Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Yanick Lindor

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Travaux publics et Services gouvernementaux Canada

l'intimé

Décision

Numéro du dossier : T1465/1110

Membre : Robert Malo

Date : Le 9 avril 2014

Référence : 2014 TCDP 13



I.                   Contexte

[1]               En date du 17 janvier 2005, madame Yanick Lindor, plaignante au dossier, a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) en vertu des articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C.(1985), ch. H-6 (la Loi), à l’encontre du ministère des  Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, soit l’intimé aux présentes.

[2]               En date du 17 mars 2010, la Commission, en vertu de l’article 44(3)a) de la Loi a référé la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) sous la portion de la plainte qui touchait à la déficience alléguée de la plaignante et par conséquent, la Commission a rejeté la portion de la plainte en ce qui a trait aux motifs de distinction illicite quant à l’âge, la couleur, ainsi qu’à la situation  familiale de la plaignante.

A.    Position de la plaignante

[3]               Au tout début de l’audience, l’avocat de la plaignante a indiqué au Tribunal qu’une décision sur la responsabilité était requise en premier par le Tribunal et, selon la décision du Tribunal, une deuxième audition en ce qui a trait aux dommages pourrait alors être requise.

[4]               Dans son argumentation, l’avocat de la plaignante a indiqué qu’il ferait entendre deux témoins : madame Yanick Lindor, la plaignante ainsi que madame Isabelle Borré, une agente des relations de travail pour l’Association canadienne des employés professionnels.

[5]               En résumé, l’avocat de la plaignante indique qu’il existe une déficience qui sera prouvée à l’audition, que la plaignante a été victime de discrimination en vertu de l’article 7 de la Loi, que la plaignante a subi un traitement différentiel et cela à la connaissance de l’intimé. Finalement, il allègue les dispositions de l’article 14 de la Loi en matière de harcèlement.

B.     Position de l’intimé

[6]               Dans sa présentation, le représentant de l’intimé indique au Tribunal qu’il n’existe pas de preuve prima facie de discrimination basée sur une déficience telle qu’alléguée par la plaignante.

[7]               De plus, le représentant de l’intimé indique au Tribunal que la plaignante n’avait pas respecté les exigences élémentaires du programme auquel elle avait accepté de souscrire et qu’il y avait toujours eu des lacunes importantes dans le travail effectué par la plaignante.

[8]               Il indique au Tribunal que la décision de congédier la plaignante fut prise uniquement sur des motifs selon lesquels la plaignante ne pouvait pas respecter les exigences élémentaires du programme et n’avait jamais été motivée par la déficience alléguée de la plaignante.

[9]               Conséquemment, il indique que l’intimé a mis fin au programme d’apprentissage auquel la plaignante avait accepté de souscrire uniquement en raison de son rendement insatisfaisant qui s’est manifesté tout au long de la période pertinente et que l’intimé n’aurait donc commis aucun acte discriminatoire.

[10]           Au niveau de sa preuve, l’intimé a fait entendre les sept (7) témoins suivants :

        Madame Louise Caron, traductrice au sein du service du Bureau de la traduction, Service Criminologie qui relève du ministère des Travaux publics et Service gouvernementaux Canada ;

        Madame Manon Boucher, superviseuse de la plaignante ;

        Madame Céline Marchand, encadreuse de la plaignante ;

        Monsieur Simon Audy, traducteur au sein du Bureau de la traduction, service de criminologie ;

        Madame Micheline Audet, gestionnaire de cas dans le dossier de la plaignante ;

        Madame Geneviève Durocher, agente des relations de travail dans le présent dossier ;

        Madame Jocelyne Doyle-Rodrigue, directrice de la Direction de la traduction multilingue, régions et sécurité nationale au Bureau de la traduction.

II.                Les faits

A. Preuve de la plaignante

-          Témoin Yanick Lindor

[11]           Au début de son témoignage, la plaignante indique au Tribunal qu’elle a accepté en date du 10 octobre 2002 de suivre un cours de traduction en vertu du programme d’apprentissage TR (Traduction socio-économique, politique et juridique / Criminologie) à Ottawa. Cette acceptation faisait suite à une offre qui avait été formulée par l’intimé dans une lettre datée du 26 septembre 2002 dans laquelle la plaignante avait été invitée à suivre une formation afin de devenir traductrice dans le cadre du programme d’apprentissage TR à compter du 18 novembre 2002.

[12]           Au soutient de cette lettre se trouvait un résumé des conditions d’emploi qui faisait état du traitement, de la période de stage et de la période d’apprentissage. La période d’apprentissage devait permettre à la plaignante d’obtenir une Norme de compétence (niveau TR-02) en une période maximale de deux (2) ans avec possibilité d’être nommée plus rapidement au niveau opérationnel, c’est-à-dire au niveau TR-02.

[13]           Tel qu’en fait foi ledit résumé des conditions d’emploi, les objectifs du programme d’apprentissage devaient permettre à la plaignante d’obtenir la « formation en vue d’atteindre la Norme de compétence (niveau TR-02) », avec une « mise en place d’une culture d’entreprise dans le cadre d’une administration publique » et un « développement du sens du service à la clientèle » (pièce P-1, onglet A-3).

[14]           Le même résumé fait référence à la capacité de travailler dans des conditions stressantes, avec une « mise de l’avant de qualités comme la souplesse et la disponibilité dans un contexte d’optimisation des ressources » (pièce P-1, onglet A-3 des documents de la Plaignante).

[15]           Conséquemment, à l’acceptation de l’offre qui lui avait été formulée par l’intimé, un plan d’encadrement fait au nom de la plaignante a été rédigé pour une période de deux (2) années allant du 18 novembre 2002 au 18 novembre 2004.

[16]           Il est à noter que dans le plan d’encadrement soumis à la plaignante, en général, il faut compter deux (2) années avant qu’un diplômé en traduction soit au niveau de travail, c’est-à-dire :

• [Q]u’il satisfasse pleinement aux exigences qualitatives de l’employeur, à savoir qu’il puisse traduire en autonomie toutes les catégories de texte de son service ou de son équipe, selon la situation particulière du service dans lequel il  est affecté, peu importe le niveau de difficulté et le degré d’urgence; l’autonomie signifie que la grande majorité des textes ne nécessite aucune révision; 

• qu’il satisfasse pleinement aux exigences quantitatives de l’employeur, à savoir qu’il atteigne le rendement quantitatif attendu, lequel est mesuré sous forme de revenus générés.

(Pièce P-1, onglet A-5)

[17]           Dans le même plan, il est noté :

[I]l est raisonnable de penser que deux années d’encadrement se révèlent généralement nécessaires avant qu’un employé recruté au niveau TR-01 dans le cadre du Programme d’apprentissage TR du Bureau de la traduction atteigne l’autonomie et qu’il fournisse un rendement à la hauteur de l’objectif de revenu fixé.

(Pièce P-1, onglet A-5)

[18]            En d’autres termes, ce plan d’encadrement prévoyait une période de deux (2) ans d’encadrement, laquelle s’avèrera fatidique pour la plaignante, tel que la preuve le démontrera.

[19]           De même, il est utile de rappeler qu’en vertu du même plan d’encadrement, il est noté que :

[C]ependant, le Bureau de la traduction n’est nullement tenu de garder l’employé pour la période maximale prévue de deux années et peut mettre fin à son emploi en cours de programme n’importe quand, s’il est clairement établi que l’employé n’atteindra pas le niveau de compétence requis pendant la durée du Programme, ce qui est démontré quand l’employé n’atteint pas entièrement tous les objectifs applicables pour une étape donnée. Exception : les employés recrutés à l’intérieure de la fonction publique.

(Pièce P-1, onglet A-5)

[20]           Pour les faits de l’accomplissement de ce plan d’encadrement, une encadreuse a été assignée à la plaignante, soit madame Céline Marchand.

[21]           De même, madame Manon Boucher était alors en charge de ce service.

[22]           Tout au cours de la durée de l’encadrement, des périodes d’évaluation devaient avoir lieu à tous les trois (3) mois.

[23]           Or, peu de temps après le début du plan d’encadrement, juste avant la période du congé de Noël 2002, son encadreuse, madame Céline Marchand, a alors demandé de la rencontrer dans la salle de conférence du Bureau de la traduction sans savoir exactement le pourquoi de cette rencontre.

[24]           À ce moment, madame Marchand a alors informé la plaignante qu’on ne voulait pas la garder et qu’elle devait prendre une décision durant la période des fêtes qui s’annonçait et selon madame Marchand, on lui aurait alors dit : « Je ne vois pas ton avenir dans le bureau. »

[25]           Il va s’en dire qu’à ce moment, la plaignante est tombée « des lunes ». La plaignante indique qu’elle ne s’attendait pas à ce genre de remarque. Elle fut étonnée, déçue et perdue. Elle a indiqué au Tribunal qu’elle a passé de très mauvaises fêtes et malgré le fait que madame Marchand lui avait demandé de prendre une décision quant à son avenir dans le Bureau de la traduction, la plaignante a indiqué qu’elle avait pris la décision de revenir avec de meilleures intentions, soit de traduire plus vite, avec certains outils. Conséquemment, au mois de janvier 2003, la plaignante a alors continué son programme d’apprentissage.

[26]           Subséquemment, la plaignante a fait référence à sa première évaluation datée du 4 mars 2003, qui lui fut présentée en présence de son encadreuse, madame Marchand ainsi que de madame Boucher en date du 4 mars 2003.

[27]           Selon la Plaignante, cette dernière indique au Tribunal qu’elle « y arrivait » et, à cet égard, elle était satisfaite et voyait la possibilité de sa progression au sein du Bureau de la traduction.

[28]           De la même façon, un deuxième rapport d’étape a été produit en date du 12 juin 2003 (pièce P-1, onglet A-8).

[29]           Ce rapport fait également référence à des résultats « partiellement atteints » et, dans les autres commentaires à la fin du rapport, il est indiqué que :

Yanick est une employée désireuse d’apprendre et de bien faire. Les nombreuses recommandations contenues dans ces évaluations ne sont pas étrangères aux difficultés qu’elle éprouve à remettre ses traductions à temps. En apprenant à mieux organiser son temps, en s’appliquant à bien rendre le texte de départ, en choisissant des termes justes et pertinents et en relisant attentivement le produit final, Yanick prendra graduellement confiance en ses moyens et accélérera son rythme de travail.

(Pièce P-1, onglet A-8)

[30]           Dans son témoignage, la plaignante indique qu’après cette deuxième évaluation, elle était positive, mais que sa superviseuse, madame Boucher, lui aurait alors annoncé un transfert dans un autre service. Son étonnement était alors grand et elle ne comprenait pas ce qui se passait. Selon la plaignante, madame Boucher lui aurait mentionné qu’un ami lui aurait demandé de l’aide dans un autre service. Bien qu’elle se disait déséquilibrée par cette intervention, la plaignante indique qu’elle n’avait aucune inquiétude et a continué à travailler d’arrache pied. Elle a toutefois noté que madame Boucher était fâchée contre elle.

[31]           Puis survint la troisième évaluation datée du 16 septembre 2003 (pièce P-1, onglet A9).

[32]           Dans les objectifs de rendement qualitatif, on note des objectifs partiellement atteints, de même que d’autres qui sont entièrement atteints.

[33]           Dans la section « autres commentaires », on peut noter ce qui suit : « Yanick semble avoir atteint un plateau pour le moment. Il est vrai que les points à corriger sont nombreux et qu’il n’est pas facile de tout améliorer rapidement, mais ces aspects représentent des éléments essentiels du travail du traducteur » (pièce P-1, onglet A‑9).

[34]           C’est à ce moment que la situation se serait dégradée rapidement selon la plaignante.

[35]           Elle note que son encadreuse, madame Marchand, n’avait plus autant de temps pour l’encadrer. On la prenait en faute, mais la plaignante indique qu’elle redoublait d’énergie, de plus, elle indique au Tribunal qu’il y avait beaucoup trop de stress. Elle en a parlé alors à madame Boucher, mais c’était trop. La plaignante indique qu’elle sentait trop de pression et elle a alors mentionné qu’elle subissait madame Marchand. Elle est donc retournée voir madame Boucher, mais presqu’à chaque fois qu’elle allait voir madame Marchand, c’était une situation de panique. De même, elle sentait se faire reprocher tout ce qu’elle faisait et madame Marchand lui indiquait qu’elle n’avait plus le temps de travailler avec elle. La plaignante indique qu’elle sentait subir un processus. Elle fait mention qu’elle tremblait à quelques reprises sans savoir ce qui se passait effectivement.

[36]           Devant une telle pression, la plaignante indique qu’un certain matin, elle a senti un mal de tête, mal de cœur, elle tremblait, elle aurait alors perdu conscience et c’est son mari qui l’aurait ramassé. Une visite effectuée chez son médecin en date du 26 septembre 2003 a alors conduit au billet médical qui a été produit sous la cote P‑1, onglet A10, dans laquelle il fait mention qu’à cause d’une situation personnelle, la plaignante devait s’absenter de son travail et être évaluée dans trois (3) semaines.

[37]           Subséquemment, une autre ordonnance médicale est datée du 14 octobre 2003 est fournie par la plaignante à son employeur, l’ordonnance fait indication d’un prolongement de congé jusqu’au 4 novembre 2003 (pièce P-1, onglet A-11).

[38]           Dans son témoignage, la plaignante indique que madame Boucher lui téléphonait presqu’à tous les jours pour des informations sur des documents, des mots-de-passe et également en ce qui a trait à l’état de son travail. La plaignante indique qu’au tout début, elle a collaboré avec madame Boucher et elle informe qu’elle devait travailler sur certains documents à la maison et les retourner par la suite à madame Boucher après un certain temps. Elle se sentait envahie jusque dans son domicile. Également, la plaignante indique qu’elle ne savait pas ce qu’était une dépression, mais son médecin l’aurait informé de cela. Son médecin lui aurait dit de ne faire aucun travail et de ne plus répondre au téléphone, ce qu’elle a fait.

[39]           De même. la plaignante indique que son médecin ne lui aurait pas spécifié qu’elle subissait ou qu’elle était atteinte d’une dépression nerveuse mais, selon elle, il s’agissait du genre d’information qui ne se divulgue pas. Elle n’aurait pas discuté avec son médecin de l’inclusion ou non de ce diagnostic dans les différents billets médicaux qui furent produits à son employeur. Face aux absences mentionnées dans les différents billets médicaux, un plan d’intervention fut donc instauré par madame Manon Boucher à l’endroit de la plaignante. Dans un premier courriel qui a été envoyé à la plaignante par madame Boucher en date du 26 novembre 2003 (pièce P‑1, onglet A-14), il fait état que le plan d’intervention était prêt et qu’une rencontre devait avoir lieu le mercredi 10 décembre 2003 en présence du représentant de la plaignante, madame Isabelle Borré, ainsi qu’avec madame Geneviève Durocher, agente des relations de travail au sein de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada.

[40]           Il est à noter que dans les différents billets médicaux soumis à l’employeur, une reprise graduelle du travail par la plaignante était envisagée à raison soit de deux (2) jours, trois (3) jours et, plus tard, à quatre (4) jours par semaine.

[41]           À l’audience, la plaignante qualifie cette rencontre du 10 décembre 2003 en présence de mesdames Geneviève Durocher, Isabelle Borré et Manon Boucher comme étant orageuse, ou durant laquelle elle indique qu’elle avait besoin de quitter la pièce, qu’elle voulait disparaître et qu’elle avait de la difficulté à supporter le climat de ladite réunion. Dans son témoignage, la plaignante a également fait référence à un rapport de consultation médicale daté du 19 décembre 2003 et signé par son médecin de famille, la docteure Janet Seale, adressé à madame Michèle Delisle, la psychologue consultante de la plaignante à ce moment. On y retrouve le diagnostic de dépression et d’anxiété. La plaignante a indiqué au Tribunal qu’elle ne se souvenait pas de l’avoir remis à son employeur.

[42]           Toujours au sujet de la note médicale du 19 décembre 2003, la plaignante a indiqué au Tribunal qu’elle avait entrepris des démarches afin de rencontrer un psychiatre et un psychologue avec l’aide de son médecin traitant d’où le billet médical du 19 décembre 2003.

[43]           De même, la plaignante indique au Tribunal qu’elle a suivi un stage de ressourcement du 26 au 30 janvier 2004. Elle mentionne qu’à ce moment, elle était en période de retour progressif pour les fins de son travail à raison de deux (2) à trois (3) jours par semaine suivant l’avis de son médecin. Elle a donc informé madame Boucher qu’elle ne pouvait pas suivre plus de trois (3) jours par semaine. Toutefois, la plaignante mentionne que madame Boucher aurait indiqué qu’il était impératif de suivre la formation à ces dates. Puis survint une quatrième évaluation de son rendement à l’intérieur de son programme d’apprentissage, datée du 12 janvier 2004 (pièce P-1, onglet A-20).

[44]           Encore une fois, la plaignante obtient des résultats qui ne dénotent pas qu’elle a entièrement atteint les objectifs du programme d’apprentissage. Le rapport est signé encore une fois par madame Céline Marchand, encadreuse, ainsi que madame Manon Boucher, gestionnaire, ainsi que par la plaignante.

[45]           Dans une autre note médicale datée du 4 février 2004 (pièce P-1, onglet A-21) laquelle fut remise à madame Manon Boucher, on indique que la plaignante n’était pas à cent pour cent (100%) de son état normal, mais qu’un retour progressif en raison de trois (3) jours semaine, avec des périodes de pauses, était indiqué avant son retour complet à son emploi.

[46]           Puis survinrent les différentes évaluations relativement au plan d’action qui fut instauré à cause de l’état de santé de la plaignante.

[47]           Dans une évaluation datée du mois de janvier 2004, on peut lire que la plaignante fait encore régulièrement des fautes de distraction, des sigles parfois mal accordés, des phrases lourdes et qui manquent de clarté, ainsi que des passages mal compris et qui manquent de logique (voir le rapport à la pièce P-1, onglet A22).

[48]           On y relève également ce qui suit : « [a]près un an de travail dans notre service, Yanick ne devrait plus commettre aussi souvent ces erreurs dans ses textes, mais avoir seulement besoin de se faire guider dans la compréhension de nos domaines de travail » (pièce P-1, onglet A22, paragraphe 4).

[49]           D’autres rapports font également état de progrès peu enviables dans la performance de la plaignante. Cette dernière attire également l’attention du Tribunal sur d’autres notes médicales où l’on fait état d’une augmentation de trois (3) à quatre (4) jours dans une semaine de travail (pièce P-1, onglet A-26 (note médicale du 1er avril 2004)).

[50]           Une autre note médicale datée du 16 avril 2004 laquelle démontre que, de toute évidence, la plaignante est affectée par la condition qui l’afflige à ce moment, qu’elle éprouve beaucoup de stress, des difficultés à dormir ainsi que des maux de tête.

[51]           Puis survint une note médicale datée du 16 avril 2004, laquelle fait état d’un congé médical du 19 avril 2004 au 19 juillet 2004 (pièce P-1, onglet A-28).

[52]           Durant la même période de temps, une lettre datée du 22 avril 2004 signée par madame Manon Boucher du Bureau de la traduction (Service Criminologie), informe la plaignante de la fin de sa participation au programme d’apprentissage TR et cela en date du 6 avril 2004, soit la fin de la journée de travail indiquée. Cette lettre de Manon Boucher est accompagnée d’une autre lettre signée par madame Jocelyne Doyle-Rodrigue, directrice, traduction multilingue, régions et sécurité nationale, laquelle confirme dans les termes suivants ce qui suit : « vous n’avez pas démontré que vous étiez en mesure d’atteindre la norme de compétences requise liée à votre poste. Par conséquent, je vous avise que nous allons mettre fin à votre participation au Programme d’apprentissage TR le 6 avril 2004 à la fin de la journée de travail » (pièce P-1, onglet A-29).

[53]           Avec ces lettres, une évaluation du mois de mars 2004 en ce qui a trait au plan d’action qui avait déjà été instauré indique que la plaignante aurait accusé un recul dans ses performances et que conséquemment, la qualité du travail de la plaignante n’était pas vraiment à la hauteur des attentes du Bureau de la traduction.

[54]           Suite à la réception de cette lettre de madame Boucher, de même que l’évaluation du mois de mars 2004 ainsi que la lettre de madame Jocelyne Doyle-Rodrigue, la plaignante indique au Tribunal que « ce fut le néant, le dernier clou enfoncé dans le cercueil. »

[55]           La plaignante indique au Tribunal qu’elle a éprouvé des sentiments de honte, de rejet, de douleur, de peine et même de dégoût. Elle confirme au Tribunal que cela a été le début de sa dépression grave.

[56]           La plaignante indique également au Tribunal que suite aux recommandations de son médecin, elle aurait communiqué à son employeur, soit madame Manon Boucher, les différentes informations relativement à sa condition, lesquelles ont été envoyées d’après les différentes notes médicales versées au dossier.

[57]           Finalement, la plaignante a fait référence à un courriel daté du 25 mai 2004 de la part de madame Manon Boucher adressé à tous les membres du personnel du Bureau de traduction (pièce P-1, onglet A-30). Dans ce courriel, madame Boucher informe le personnel du départ de madame Yanick Lindor, alors même que la Plaignante était malade à son domicile et qu’elle ne travaillait pas. La plaignante qualifie ce courriel de la façon suivante : « Il faut qu’elle abatte l’animal. »

[58]           En contre-interrogatoire, la plaignante confirme qu’à la fin de l’été 2003, soit vers la fin du mois de juillet 2003, sa situation au sein du Bureau a commencé à mal tourner. Elle confirme que madame Marchand l’encadrait toujours, mais lui demandait d’arrêter de répéter les mêmes erreurs.

[59]           Également, en date du 16 septembre 2003, soit au moment d’une rencontre à propos de son évaluation avec mesdames Céline Marchand et Manon Boucher, les relations devinrent très difficiles.

[60]           Lors du contre-interrogatoire, à une question posée par le procureur de l’intimé, à savoir si elle se souvenait que madame Boucher lui demandait de travailler plus que ce que le médecin lui demandait, la plaignante indique que madame Boucher lui demandait une production qu’elle n’arrivait pas à atteindre.

[61]           Elle confirme également qu’elle n’avait pas de problème financier pressant qui pouvait la rendre malade. Elle indique que son mari possédais également un emploi.

[62]           En réponse à une question posée par le procureur à savoir si, entre la période allant du mois de novembre 2002 au mois de janvier 2006, l’employeur de la plaignante l’avait accommodé en fonction des certificats médicaux fournis, la plaignante confirme positivement que tel était le cas « si c’était respecté dans les règles de l’art. »

[63]           Finalement, lors du contre-interrogatoire, elle confirme qu’elle a reçu un courriel d’excuses de Manon Boucher daté du 1er juin 2004 en ce qui a trait au courriel fatidique daté du 25 mai 2004, qui avait été envoyé à l’ensemble des employés du Bureau de la traduction.

[64]           La plaignante indique qu’elle a été mortifiée par l’envoi de ce courriel, qui fut reçu par son fils et que même si les intentions étaient louables, « tuer » une personne n’est pas louable selon elle, et que madame Manon Boucher a de cette façon giflé sa famille.

-          Témoin Isabelle Borré

[65]           Dans sa preuve, la plaignante fait également entendre madame Isabelle Borré, l’agente des relations de travail pour l’Association canadienne des employés professionnels.

[66]           Madame Borré a confirmé qu’elle a assisté la plaignante lors des différentes rencontres qui ont eu lieu entre la direction et la Plaignante en ce qui a trait au suivi du programme d’apprentissage ainsi que du plan d’action qui avait été mis en vigueur suite aux billets médicaux qui avaient été envoyés par la plaignante aux représentants de l’intimé.

[67]           Madame Borré confirme que les rencontres en présence madame Lindor et les représentants de l’intimé n’étaient pas amicales, que la plaignante était très affectée, elle pleurait et tremblait et que la micro gestion était très difficile pour la plaignante.  Elle a constaté du stress important qui était évident chez la plaignante.

[68]           Madame Borré informe également le Tribunal qu’elle a constaté que le médecin de la plaignante voulait qu’elle arrête de travailler, que la plaignante vivait de l’angoisse importante qui était devenue une maladie, et qu’il était évident « qu’elle était malade, cernée et épuisée. »

[69]           Elle confirme au Tribunal que l’envoi du courriel du 25 mai 2004 par madame Manon Boucher à l’ensemble du personnel du Bureau de la traduction ne l’a pas impressionné et que cela n’excusait pas le geste ou le noircissement de la plaignante qui apparaissait dans ce courriel.

[70]           Madame Borré informe également le Tribunal que la période de deux (2) années indiquée dans la période d’apprentissage n’était pas un délai fixe ou représentant une limite qui n’était pas déplaçable, selon elle.

[71]           En contre-interrogatoire, madame Borré indique qu’en ce qui a trait au plan d’action instauré afin de permettre à madame Lindor de pouvoir réaliser les objectifs du plan d’apprentissage TR, les chances de réadaptation de la plaignante étaient nulles. Également, elle constate la volonté de madame Lindor à continuer à travailler même si elle n’était pas certaine qu’elle était apte à saisir l’ampleur de sa propre maladie.

[72]           Madame Borré confirme au Tribunal qu’elle était soulagée de l’arrêt de travail complet qui avait été ordonné par le psychiatre de la plaignante dans une note médicale datée du 16 avril 2004. Elle a également fait référence à ses propres notes datées du 7 avril 2004 (pièce P-1, onglet B-12), où elle fait référence au fait que le médecin de la plaignante n’était pas d’accord à ce qu’elle continue de travailler à raison de quatre (4) jours semaine.

[73]           Toujours dans la même note, on retrouve une mention que la plaignante avait besoin d’argent, ce qu’elle a confirmé à l’audience.

B. Preuve de l’intimé

[74]           Dans sa preuve, l’intimé a fait comparaître sept (7) témoins soit :

        Madame Louise Caron, traductrice de formation depuis 1975 et au moment de l’effet du présent dossier, directrice de la Direction de la traduction juridique et économique ;

        Madame Micheline Audet, conseillère en gestion d’invalidité ;

        Madame Manon Boucher, chef, Service Criminologie du Bureau de la traduction  au moment de l’effet du présent dossier ;

        Madame Céline Marchand, traductrice avec31 ans d’expérience  au Bureau de la traduction, service de criminologie, et encadreuse de la plaignante ;

        Monsieur Simon Audy, traducteur au Bureau de la traduction et correcteur des textes de la plaignante ;

        Madame Geneviève Durocher, conseillère en relations de travail pour le Bureau de la traduction ;

        Madame Jocelyne Doyle-Rodrigue, au moment de l’effet du présent dossier, madame Doyle-Rodrigue était directrice de la Direction de la traduction multilingue, régions et sécurité nationale au Bureau de la traduction.

-          Témoin Louise Caron

[75]           Dans son témoignage, madame Louise Caron, alors directrice de la Direction de la traduction juridique et économique au moment des faits, informe le Tribunal que le programme d’apprentissage dont était sujet la plaignante et dont une offre a d’ailleurs été formulée afin d’inviter la Plaignante d’y participer, ledit programme a été effectué en fonction des besoins du Bureau de la traduction, lequel était en concurrence à cette époque avec le secteur privé.

[76]           Conséquemment, le mode de recrutement alors en vigueur devait permettre de renflouer les effectifs du Bureau de la traduction. Il a donc été convenu que le programme TR devait s’échelonner sur deux (2) ans et que ce délai devait permettre de reprendre les objectifs fixés pour la formation des nouveaux traducteurs. En cela, ce délai de deux (2) ans respectait une norme de l’industrie et il s’avérait que ledit délai était suffisant.

[77]           Madame Caron fait référence que la formation de deux (2) années devait s’effectuer à temps plein et que le travail à temps partiel n’était pas accepté. En conséquence, les traducteurs devaient travailler en raison de cinq (5) jours semaine. Si des accommodements devaient avoir lieu, la date d’échéance pouvait être reportée au regard d’une période d’absence.

[78]           Elle confirme au Tribunal que le travail de l’encadreur était de s’occuper de l’aspect du travail plus que de l’aspect médical. Elle confirme aussi que chaque cas est différent et qu’un encadreur doit parler au gestionnaire de toute difficulté. En ce qui a trait à la discipline et aux accommodements, ce sont les relations de travail qui devaient alors prendre la relève. Le gestionnaire avait la responsabilité ultime de la réussite ou non du plan d’apprentissage pour un candidat.

[79]           Elle confirme également que le délai de deux (2) années prévu dans le plan d’apprentissage pouvait faire l’objet d’accommodement, par exemple pour des congés de maternité ou de maladie.

-          Témoin Micheline Audet

[80]           Durant son témoignage, madame Micheline Audet confirme que depuis l’année 2001, elle est conseillère en gestion d’invalidité et cela afin de faciliter le retour au travail d’employés malades. Chaque situation devait donc être évaluée au cas par cas.

[81]           Madame Audet explique que la réception d’un certificat médical était donc primordiale dans cette évaluation. Elle confirme au Tribunal qu’elle a reçu un appel de madame Manon Boucher en date du 26 septembre 2003, durant lequel cette dernière l’a informé que madame Yanick Lindor devait avoir un arrêt de travail pour trois (3) semaines. Madame Audet confirme qu’elle a vu le certificat médical produit sous la cote P-1, onglet A-10, qui fait mention d’une situation personnelle en ce qui a trait à la condition médicale de la plaignante. Elle n’a posé aucune question au médecin de la plaignante au regard de ce certificat médical.

-          Témoin Manon Boucher

[82]           L’intimé a ensuite fait entendre madame Manon Boucher, la gestionnaire dans le dossier de madame Yanick Lindor.

[83]           Madame Boucher confirme que les textes de la plaignante comportaient des « étrangetés », et cela, dès la première étape d’évaluation. Elle confirme qu’il y avait des choses inattendues, des virgules, des mots mal utilisés et que cela ne ressemblait pas à des travaux finis. Elle indique au Tribunal que les évaluations de rendement de la plaignante comportent des annotations d’objectifs partiellement atteints et confirme que madame Lindor a commencé à éprouver des problèmes dès le début de la période d’apprentissage.

[84]           Madame Boucher informe le Tribunal que lors de l’évaluation du 16 septembre 2003, soit la troisième étape, les objectifs n’étaient pas atteints et qu’il y avait des améliorations assez nombreuses, mais les mêmes erreurs étaient toujours présentes lesquels était des « choses de la base. »

[85]           Conséquemment, elle a envisagé de faire un plan d’action et de cibler les améliorations à obtenir de la plaignante.

[86]           Elle confirme au Tribunal que le lendemain de cette réunion, soit le 17 septembre 2003, la plaignante a entamé son congé de maladie. Subséquemment, en date du 26 septembre 2003, un billet médical fut produit (pièce P-1, onglet A‑10).

[87]           Le témoin informe le Tribunal qu’elle a pensé que la plaignante réagissait au plan d’action qui lui avait été suggéré. Elle a considéré une question de stress chez la plaignante.

[88]           Madame Boucher confirme que le billet médical lui a été présenté en personne par la plaignante sans fournir aucun détail en ce qui a trait à la nature de la condition de la plaignante.

[89]           Madame Boucher confirme que le plan d’action envisagé a été confectionné par elle et madame Céline Marchand et qu’il fut soumis à la rencontre du 10 décembre 2003 en présence de madame Geneviève Durocher, madame Isabelle Borré ainsi que de la plaignante. Contrairement à ce que prétend madame Lindor, madame Boucher informe le Tribunal que cette rencontre a duré entre une heure (1h) et une heure trente (1h30). Il n’y a pas eu de cris et elle n’a pas vu madame Lindor pleurer. Elle a indiqué à madame Lindor que, malheureusement, elle avait des bouchées doubles à faire. De même, elle informe le Tribunal que la condition médicale de madame Yanick Lindor ne lui a jamais été divulguée, mais elle doutait bien qu’il s’agissait de stress. Elle informe le Tribunal que selon elle, elle n’avait pas le droit de demander la nature exacte de la condition de la plaignante. Elle confirme au Tribunal que la situation au Bureau de traduction est très stressante et que cela nécessite une concentration à chaque instant.

[90]           Finalement, elle constate que les objectifs prévus ne sont pas atteints et que, subséquemment, madame Lindor s’exprimait de moins en moins, tout en étant consciente qu’il y avait plus de recul que de progrès dans sa situation.

[91]           Madame Boucher indique au Tribunal que lors de la troisième évaluation du mois de mars 2004, il y a eu constatation d’un recul dans la situation de la plaignante et que l’évaluation en question n’était pas très positive. Devant cette situation, elle en a discuté avec madame Jocelyne Doyle-Rodrigue, sa patronne immédiate, et que finalement, comme il s’agissait toujours des mêmes points qui accrochaient, il s’est avéré que la poursuite du programme d’apprentissage pour la plaignante n’était plus une bonne idée. Conséquemment, une lettre officielle fut donc rédigée en date du 6 avril 2004 par madame Jocelyne Doyle-Rodrigue afin de mettre un terme au programme d’apprentissage de la plaignante.

[92]           En ce qui a trait au courriel qui fut envoyé en date du 25 mai 2004 à tout le personnel du Bureau de traduction, madame Boucher a fait référence à une lettre d’excuses qui fut subséquemment produite (pièce I-1, onglet 3).

[93]           En contre-interrogatoire, madame Boucher confirme qu’en ce qui a trait à une possibilité de suspendre le projet d’apprentissage pour la plaignante, cette situation n’est pas dans la normalité des choses et que cela a été fait. De plus, elle confirme qu’il n’a jamais été question de prolonger le sursis où le prolonger d’une année additionnelle. Elle confirme également au Tribunal que dans les circonstances particulières de madame Lindor, le maximum de ressources et d’aide ont été fournis à la plaignante.

[94]           Toutefois, elle a constaté que madame Lindor devenait de plus en plus silencieuse et qu’il était difficile de discuter avec elle, puisqu’elle ne lui répondait pas. Madame Boucher informe également le Tribunal que madame Lindor avait la responsabilité de lui dire si la situation ne lui convenait pas. En ce qui a trait aux autres mesures d’accommodements possibles, elle informe le Tribunal qu’elle n’avait pas d’informations sur les problèmes de santé de madame Lindor et que les certificats médicaux étaient ceux fournis par la plaignante elle-même.

-          Témoin Céline Marchand

[95]           Dans sa preuve, l’intimé a fait entendre madame Céline Marchand, Madame Marchand ayant plus de 31 années de service au sein du Service Criminologie. Cette dernière est devenue l’encadreuse de la plaignante au regard des faits du présent dossier.

[96]           Dans son témoignage, madame Marchand fait référence au fait qu’elle a constaté des problèmes chez la plaignante qui dénotaient que son travail n’était pas à la hauteur, puisqu’il y avait beaucoup d’erreurs. Elle constate que la marche sera très haute au regard du travail de la plaignante versus les objectifs à atteindre pour cette dernière. Elle indique au Tribunal ce qui suit : « on s’en va vers la catastrophe. »

[97]           Elle fait référence à une évaluation du mois de janvier 2004 en ce qui a trait au plan d’action qui avait été rédigé suite aux problèmes constatés, ainsi qu’aux absences notées de la plaignante. Elle a fait référence aux erreurs régulièrement commises suite à des fautes de distraction, des sigles parfois mal accordés, des phrases lourdes et qui manquent de clarté, des passages mal compris et qui manquent de logique. Elle confirme que l’uniformité pauserait encore un problème. Elle affirme également que monsieur Simon Audy, qui revoit toutes les révisions de madame Marchand relève très souvent des coquilles qui ont, malgré tout, échappé à l’attention de cette dernière.

[98]           Elle confirme qu’après une année de travail dans le service du Bureau de traduction, la plaignante ne devrait plus commettre ce genre d’erreurs dans ses textes, mais devrait seulement avoir besoin de se faire guider dans la compréhension des domaines de travail.

[99]           Elle trouve anormal de toujours créer un environnement particulier autour de la plaignante à cause de ses difficultés.

[100]       Au mois de décembre 2003, elle indique : « les choses vont mal.»

[101]       Elle retrouve même des textes dans les archives qui reprennent mot pour mot un texte qui avait été donné à la plaignante pour fin de traduction.

[102]       Il s’agit donc du même texte pris par la plaignante dans un autre endroit afin d’effectuer cette traduction. Elle constate que madame Lindor prend deux fois le temps requis afin d’effectuer une traduction. En ce qui a trait au premier congé de maladie de la plaignante, en contre-interrogatoire, madame Marchand indique que, bien qu’elle n’ait jamais douté de la condition médicale de la plaignante, elle n’avait toutefois aucune idée de ce qu’était cette condition. Elle a supposé que c’était à cause du travail.

[103]       Lors de l’audience, madame Marchand a fait référence à un aide mémoire de décembre 2002 à avril 2004 (pièce I-1, onglet 22).

[104]       On y retrouve notamment des mentions à l’effet que la plaignante n’était pas rapide, qu’elle était désorganisée et qu’il y avait une autre chose qui pouvait la préoccuper, mais sans autres détails.

[105]       Elle constate de façon claire que le travail de la plaignante n’est pas à la hauteur des attentes, sans savoir de la part de la plaignante quelles pouvaient être les causes de ses problèmes. Elle indique : « c’était des non-dits tout le long, peut-être qu’après 10 ans elle aurait pu atteindre ses objectifs, mais le programme était de deux (2) ans, je ne pouvais pas lui accorder plus. »

-          Témoin Simon Audy

[106]       Dans sa preuve, l’intimé a également fait entendre monsieur Simon Audy, qui est également un traducteur de niveau TR-02, mais qui était un traducteur de niveau TR-03 au moment des faits du présent dossier.

[107]       Monsieur Audy informe le Tribunal que les fautes qui apparaissent dans les documents produits par l’intimé sous la cote I-2 étaient des fautes « qui surprenaient pour un TR en formation. »

[108]       Il constate qu’il existe beaucoup d’erreurs assez graves dans le travail de la plaignante et normalement, elle aurait dû être plus avancé tenant compte du temps écoulé.

-          Témoin Geneviève Durocher

[109]       L’intimé a également fait entendre madame Geneviève Durocher, conseillère en relations de travail pour la période des faits mentionnés dans le présent dossier. Son travail consistait à donner des avis et conseils à la gestion.

[110]       Madame Durocher a participé à certaines rencontres, dont celle du 10 décembre 2003, qui ont mené à la production d’un plan d’action qui avait été fait dans le but de permettre à la plaignante de corriger des lacunes et atteindre les étapes requises dans le programme d’apprentissage. D’après elle, l’atmosphère n’était pas tendue, mais plutôt délicate et, à tout le moindre, cordiale.

[111]       Elle constate en ce qui a trait aux limitations médicales de la plaignante qu’il n’y avait que certaines annotations sur son retour progressif, sans plus.

[112]       En contre-interrogatoire, en ce qui a trait à la prolongation possible du programme d’apprentissage, madame Durocher mentionne au Tribunal que cette situation a été relevée à compter du retour de la plaignante et que si une suspension de sept (7) semaines au total avait eu lieu, la fin du programme aurait été déplacée pour autant. Elle confirme qu’une fois le sursis accordé et pris, il y avait un recommencement, mais qu’il fallait toutefois rester dans la période de deux (2) ans qui est prévue dans le programme. Madame Durocher indique au Tribunal que le travail devait être fait en fonction du programme et que les attentes demeuraient les mêmes, mais que la quantité de travail et les délais étaient fixés en fonction du nombre d’heures de travail accordés en vertu des certificats médicaux. La charge de travail était donnée en fonction du nombre d’heures, considérant les certificats médicaux.

-          Témoin Jocelyne Doyle-Rodrigue

[113]       Finalement, en tant que dernier témoin, madame Jocelyne Doyle-Rodrigue a été entendue par l’intimé. Tel que mentionné auparavant, madame Doyle-Rodrigue est directrice de la Direction de la traduction multilingue, régions et sécurité nationale au Bureau de la traduction.

[114]       Elle confirme au Tribunal que la fin du programme était immuable, mais que la gestion avait tenu compte de la maladie de la plaignante après une évaluation de toutes les étapes franchies et, considérant les retards qui étaient présents à ce moment là et qui ne pouvaient être comblés, il fut décidé de mettre fin au programme.

III.             Droit

[115]       À l’audience, l’avocat de la plaignante mentionne au Tribunal que les dispositions des articles 7b), 14 et 14.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont invoqués et il indique qu’il y aurait eu une adaptation déficiente dû à la condition de la plaignante par l’intimé.

[116]       Pour une bonne compréhension du présent dossier, il est donc utile de rappeler les dispositions des articles 7b), 14 et 14.1, qui se lisent comme suit :

Article 7 : Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

Article 14 : (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

a) lors de la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public;

b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

c) en matière d’emploi.

Note marginale : Harcèlement sexuel

(2) Pour l’application du paragraphe (1) et sans qu’en soit limitée la portée générale, le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

Article 14.1 :  Constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

[117]       À cet égard, l’avocat de la plaignante fait référence au fait qu’il y aurait eu du harcèlement causé à l’endroit de la plaignante par les différentes actions commises par les employés de l’intimé.

[118]       En réplique, l’avocat de l’intimé indique au Tribunal que seul le rendement de la plaignante fut pris en cause dans la décision de mettre un terme au programme de formation TR.

[119]       Il mentionne également que le Tribunal doit effectivement constater que la déficience fut un motif de renvoi dans l’application des dispositions légales mentionnées ci-dessus.

[120]       Les principes juridiques sous-adjacents dans l’application de la Loi sont maintenant bien connus.

[121]       Il appartient à la plaignante d’établir sur une base prima facie un cas de discrimination ou au moins un des fondements allégués. À cet égard, le seuil requis afin d’établir une preuve de discrimination est extrêmement bas. Ainsi, la Cour suprême du Canada indique que : « la preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 558). Cette réponse ou explication de la part de l’intimé doit être crédible.

[122]       De même, la réponse ou l’explication doit être suffisante et ne pas être un prétexte (Basi v. Canadian National Railway (no1), (1988) 9 C.H.R.R. D/5029 (C.H.R.T.), au paragraphe 38474).

[123]       Une fois que la plaignante a établi une preuve prima facie de discrimination, elle est donc sujet à obtenir une compensation en l’absence de justification de la part de l’intimé (Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, aux pages 202 à 208).

[124]       Il est utile de noter que cette preuve de la part de l’employeur peut se faire par balance des probabilités.

[125]       Une fois que la preuve prima facie a été établie, le fardeau de preuve est transféré sur l’intimé, qui doit démontrer que la discrimination alléguée est, soit non produite ou que cette conduite apparaît comme être non discriminatoire ou justifiée.

[126]       Afin d’établir une preuve prima facie de discrimination, la plaignante doit établir qu’elle a subi un traitement différentiel sur la base de sa déficience, contrairement à la disposition de l’article 7 de la Loi. De plus, la plaignante n’a pas besoin de démontrer que la discrimination n’est pas intentionnelle (voir Bhinder c. CN, [1985] 2 R.C.S. 561, à la page 57).

[127]       Dans sa preuve, l’intimé doit démontrer que la discrimination alléguée n’est pas survenue ou n’origine pas d’une conduite en soit qui serait discriminatoire. Pour se faire, l’intimé doit démontrer sur la balance des probabilités que :

[Q]u’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause […] qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail […] que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.  

(Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 S.C.R. 3, à la page 5) 

[128]       Une fois ces principes légaux établis, le Tribunal doit donc répondre à la première question, à savoir si effectivement la plaignante s’est bien déchargée de son fardeau de preuve en établissant de façon prima facie une cause de discrimination ou, à tout le moins, un de ses fondements.

[129]       Après avoir attentivement révisé la preuve au dossier et tenu compte des différents témoignages, ainsi que des pièces qui ont été produites à l’audience, le Tribunal considère effectivement que la plaignante s’est dûment déchargée de son fardeau de preuve.

[130]       Plus particulièrement, le Tribunal note effectivement une condition médicale connue de la part de l’intimé et même si cette condition médicale n’a pas été détaillée au départ par les certificats médicaux produits par la plaignante, les dispositions de l’article 7b) de la Loi apparaissent avoir été enfreintes par l’intimé.

[131]       Finalement, le Tribunal considère que la preuve est suffisante et a été établie de façon prépondérante afin d’établir effectivement les conditions de l’article 7b) de la Loi. L’intimé a dûment été avisé que la plaignante souffrait d’une déficience, laquelle définition serait l’une des définitions de l’article 25 de la Loi.

[132]       De plus, même si le diagnostic n’avait pas été établi dès le départ et communiqué aux représentants de l’intimé, soit madame Boucher ainsi que madame Marchand, dès les premières manifestations de la condition de la plaignante, les témoignages de madame Boucher et de madame Marchand indiquent que ces dernières se doutaient bien que le stress pouvait être la cause de ladite condition chez la plaignante.

[133]       Tenant compte de l’existence d’une condition, même non définie auprès de l’intimé, de la mise en œuvre d’un plan d’action instauré par l’employeur pour le bénéfice de la plaignante et, subséquemment, de la mise à pied ou de la terminaison du programme d’apprentissage TR dont la plaignante faisait partie, il appert au Tribunal que toutes les conditions ont été réunies afin d’établir de façon prima facie l’existence de conditions relatives à l’application des disposition de l’article 7b) de la Loi.

[134]       Tenant compte du renversement du fardeau de preuve sur l’intimé, cette dernière s’est-elle déchargée d’un tel fardeau et cela, en fonction des critères établis par la jurisprudence?

[135]       Après avoir longuement considéré la preuve au dossier, plus particulièrement les témoignages de la plaignante, ainsi que de madame Manon Boucher et madame Céline Marchand, lesquelles sont les principaux témoins dans le présent dossier, le Tribunal arrive à la conclusion qu’effectivement, l’intimé s’est déchargé de son fardeau de preuve, et cela, pour les raisons exprimées ci-après.

A.    Théorie de la cause de la plaignante

[136]       Dans le cadre de son analyse, le Tribunal a été confronté à deux (2) théories. La première théorie est celle de la plaignante qui repose essentiellement sur la connaissance par l’intimé de l’existence d’une condition médicale ou déficience chez la plaignante, laquelle connaissance aurait dû engendrer chez l’intimé une obligation de faire enquête sur la santé de la plaignante (Mackenzie v. Jace Holdings and another (No. 4), 2012 BCHRT 376 ; Wall v. Lippé Group, 2008 HRTO 50 ; Fendick v. Lakes District Maintenance (No2), 2005 BCHRT 573 ; Martin v. Carter Chevrolet Oldsmobile, 2001 BCHRT 37).

[137]       Dans un deuxième temps, après une analyse plus approfondie de l’état de santé de la plaignante, l’employeur aurait dû adopter un processus d’accommodement auprès de la plaignante et cela en fonction de l’analyse plus approfondie sur l’état de santé de la plaignante.

[138]       Le représentant de la plaignante considère que ce processus d’accommodement doit être effectué et cela, jusqu’à contrainte excessive tel que l’a établi la jurisprudence et, plus particulièrement, dans les décisions : Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970 ; Gordy v. Painter’s Lodge (No. 2), 2004 BCHRT 225 ; Machado v. Terrace Ford Lincoln Sales, 2011 HRTO 544 (CanLII) ; Conte c. Rogers Cablesystems Ltd., 1999 CanLII 1022 (TCDP) ; Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2012 TCDP 10 (CanLII).

[139]       De fait, la plaignante reproche à l’intimé qu’il « savait ou aurait dû savoir » que la condition médicale ou la déficience de la plaignante devait entraîner d’autres mesures d’accommodements lesquelles n’ont pas été adoptées par l’intimé. De plus, la plaignante reproche de façon directe à madame Manon Boucher de ne pas avoir demandé une enquête par Santé Canada sur son état de santé et considère que l’intimé avait une obligation de ce faire et de s’enquérir plus à fond de sa déficience.

[140]        De plus, la plaignante reproche à l’intimé de ne pas avoir envisagé de prolonger la période de deux (2) ans prévue dans le plan d’apprentissage et indique qu’il n’existe pas de preuve de contrainte excessive à l’effet de prolonger ledit programme d’apprentissage TR. La plaignante allègue que le délai de deux (2) ans prévu dans le programme d’apprentissage TR prévoyait une limite de deux (2) années laquelle était une limite interne pour l’intimé seule et, à cet égard, considère qu’il n’y a pas eu de preuve a contrario que le délai de deux (2) année ou que l’extension du délai de deux (2) années pouvait comporter une contrainte excessive.

B.     Théorie de la cause de l’intimé

[141]       En ce qui a trait à la deuxième théorie, soit celle de l’intimé, cette dernière prétend que la déficience de la plaignante n’était pas un motif de renvoi, mais que seule la performance déficiente de la plaignante fut la cause première de son renvoi du programme d’apprentissage TR.

[142]       Certes, dans la preuve, le Tribunal a noté qu’il n’y avait aucun rapport ou expertise médicale décrivant les incapacités de la plaignante eu égard à sa capacité d’effectuer son travail, sans compter qu’une telle analyse aurait peut-être pu permettre d’analyser plus à fond les accommodements requis en fonction de la condition de la plaignante.

[143]       Sous-jacent à cette lacune, il y a lieu d’analyser les comportements tant de la plaignante que celui des représentants de l’intimé.

[144]       En d’autres termes, les seuls manquements d’obtenir une pareille expertise médicale reposent-ils uniquement sur l’employeur, ou également, y a-t-il lieu de tenir compte des comportements de la plaignante dans la divulgation des informations médicales qu’elle avait sous son contrôle? Cette analyse doit être faite en fonction des critères établis dans l’arrêt Renaud, dans lequel l’honorable juge Sopinka s’exprime comme suit :

La recherche d’un compromis fait intervenir plusieurs parties. Outre l’employeur et le syndicat, le plaignant a également l’obligation d’aider à en arriver à un compromis convenable. La participation du plaignant à la recherche d’un compromis a été reconnue par notre Cour dans l’arrêt O’Malley. Le juge McIntyre y affirme, à la p. 555:

Cependant, lorsque ces mesures ne permettent pas d’atteindre complètement le but souhaité, le plaignant, en l’absence de concessions de sa propre part, comme l’acceptation en l’espèce d’un emploi à temps partiel, doit sacrifier soit ses principes religieux, soit son emploi.

Pour faciliter la recherche d’un compromis, le plaignant doit lui aussi faire sa part. À la recherche d’un compromis raisonnable s’ajoute l’obligation de faciliter la recherche d’un tel compromis. Ainsi, pour déterminer si l’obligation d’accommodement a été remplie, il faut examiner la conduite du plaignant.

Cela ne signifie pas qu’en plus de porter à l’attention de l’employeur les faits relatifs à la discrimination, le plaignant est tenu de proposer une solution. Bien que le plaignant puisse être en mesure de faire des suggestions, l’employeur est celui qui est le mieux placé pour déterminer la façon dont il est possible de composer avec le plaignant sans s’ingérer indûment dans l’exploitation de son entreprise. Lorsque l’employeur fait une proposition qui est raisonnable et qui, si elle était mise en œuvre, remplirait l’obligation d’accommodement, le plaignant est tenu d’en faciliter la mise en œuvre. Si l’omission du plaignant de prendre des mesures raisonnables est à l’origine de l’échec de la proposition, la plainte sera rejetée. L’autre aspect de cette obligation est le devoir d’accepter une mesure d’accommodement raisonnable. C’est cet aspect que le juge McIntyre a mentionné dans l’arrêt O’Malley. Le plaignant ne peut s’attendre à une solution parfaite. S’il y a rejet d’une proposition qui serait raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, l’employeur s’est acquitté de son obligation.

(Renaud, précité, aux pages 994 et 995)

[145]       Or, dans la preuve qui est soumise dans le présent dossier, le Tribunal considère que le comportement de la plaignante n’a pas été sans reproche.

[146]       En effet, en vertu de la preuve soumise, le Tribunal a été à même de constater une demande de renseignement d’assurance-invalidité qui fait référence à un diagnostic de dépression et d’anxiété (pièce P-1, onglet A-40). Cette demande a été signée par le médecin traitant de la plaignante, la docteure Janet Seale, qui a corrigé le document en date du 17 octobre 2003 pour modifier la date au 24 octobre 2003.

[147]       À cet égard, il est utile de rappeler que des symptômes de la condition médicale de la plaignante se seraient manifestés dès le 17 septembre 2003, soit le lendemain de la réunion qui a eu lieu en ce qui a trait à une évaluation des performances de la plaignante avec les responsables du programme d’apprentissage TR (voir la section « renseignements sur l’employé », complétée et signée par la plaignante le 21 octobre 2003, document à la pièce P-1, onglet A-40).

[148]       Subséquemment, on y retrouve différentes dates de consultations avec la docteure Seale à compter du 26 septembre 2003 et également avec madame Michèle Delisle, psychologue de la plaignante, en date du 10 novembre 2003.

[149]       Dans les différentes rencontres qui ont suivi, et plus particulièrement celle du 10 décembre 2003, lors de laquelle un plan d’action a été élaboré par mesdames Manon Boucher et Céline Marchand à l’intention de la plaignante en considérant sa condition médicale, la plaignante n’a, en aucun temps, fait référence à cette demande d’assurance-invalidité, ni au diagnostic qu’on y retrouvait.

[150]       De même, dans une note médicale datée du 19 décembre 2003 (pièce P-1, onglet A‑16), adressée à madame Michèle Delisle, en ce qui a trait à la condition médicale de la plaignante, le même diagnostic de dépression et d’anxiété apparaît. Encore une fois, cette note médicale n’a jamais été révélée à l’intimé.

[151]       Fort curieusement, la première note médicale adressée à l’employeur et datée du 26 septembre 2003 (pièce P-1, onglet A-10) fait référence à une « personal situation », laquelle ne contient pas plus de précision en ce qui a trait à la condition médicale de la plaignante.

[152]       Subséquemment, dans une deuxième note médicale datée du 14 octobre 2003 soumise à l’intimé, encore une fois, aucune autre information plus pertinente n’apparaît en ce qui a trait à la déficience de la plaignante. De même, dans une troisième note médicale datée du 12 novembre 2003 adressée à l’intimé, aucune autre information plus pertinente n’apparaît également en ce qui a trait à la condition médicale de la plaignante. Finalement, en ce qui a trait à la quatrième note médicale datée du 19 décembre 2003 (pièce P-1, onglet A-16), laquelle fait référence à un diagnostic de dépression et d’anxiété, comment interpréter le fait que cette note médicale a été remise à madame Michèle Delisle, psychologue consultante de la plaignante et qu’aucune mention n’en fut faite à l’intimé?

[153]       De fait, comment interpréter le témoignage de la plaignante lorsqu’elle indique qu’au regard de la note médicale du 12 novembre 2003 (pièce P-1, onglet A-13), laquelle note médicale fut remise à l’employeur, que son médecin ne lui avait pas spécifié qu’elle soufrait de dépression nerveuse, mais selon elle,  « c’est le genre d’information qui ne se divulgue pas »?

[154]       Le Tribunal considère qu’il s’agit de manquements de la part de la plaignante dans la divulgation de ses informations personnelles viennent miner la crédibilité de la plaignante dans le présent dossier.

[155]       Mais il y a plus également en ce qui a trait à l’attitude de la plaignante dans le présent dossier. En effet, en date du 10 décembre 2003, lors d’une réunion avec sa représentante ainsi que ceux de l’intimé, il a été convenu d’élaborer un plan d’action afin de permettre à l’intimé de vérifier l’avancement des progrès de la plaignante (pièce P-1, onglet A-15).

[156]       Il est à noter que ce plan d’action, daté du mois de novembre 2003, indique, en son premier paragraphe, que :

[L]’employée a du s’absenter pendant cinq semaines complètes pour des raisons de santé et elle est revenue au travail à raison de 2 jours par semaine par la suite (sur les conseils de son médecin qui l’a jugée apte à travailler 15 heures par semaine), le programme a été interrompu. Il aurait dû reprendre la semaine du 3 novembre, mais nous avons accordé deux semaines supplémentaires à Mme Lindor pour l’aider à reprendre le travail en douceur. Le programme a donc été réactivé le 17 novembre 2003. 

[157]       Le plan d’action représente de toute évidence un accommodement qui a été fourni à la plaignante. Or, la plaignante et sa représentante ont participé aux réunions devant permettre l’établissement d’un tel plan d’action. En ce sens, la plaignante avait donc toute latitude, tenant compte de sa déficience, qu’elle connaissait (même non définie), afin d’intervenir dans l’élaboration du plan d’action et de pouvoir mentionner à l’intimé si un tel plan d’action lui convenait.

[158]       De fait, dans l’élaboration du plan d’action, la plaignante tenait compte de ses disponibilités, dont son médecin faisait état, par des retours progressifs au travail à raison de deux (2) jours, trois (3) jours ou quatre (4) jours per semaine. Elle a donc participé de ce fait aux mesures de redressement, et cela, en fonction de sa condition médicale qu’elle a elle-même dévoilée à partir des notes médicales fournies par son propre médecin.

[159]       Or, la preuve révèle que malgré le plan d’action et les billets médicaux fournis par la plaignante en ce qui a trait à son retour progressif au travail, les performances de la plaignante ne se sont pas améliorées.

[160]       En cela, le Tribunal considère qu’on ne peut reprocher à l’intimé d’avoir pris les dispositions qui s’imposaient en tenant compte de la condition médicale, telle que dévoilée par la plaignante, afin d’accommoder cette dernière.

[161]       Tenant compte des faits particuliers à la présente affaire, le Tribunal considère que l’obligation de l’intimé au regard d’enquêter sur la condition médicale de la plaignante ne serait prévaloir sur l’obligation de la plaignante d’informer adéquatement l’employeur de sa condition médicale, qu’elle connaissait ou aurait pu savoir facilement avec plus de précisions quant à la nature exacte de sa condition médicale.

[162]       Comme l’a mentionné l’honorable juge Sopinka dans l’arrêt Renaud, le Tribunal considère que l’omission du plaignant d’informer adéquatement son employeur de sa situation médicale, ainsi que de prendre des mesures raisonnables dans le présent dossier, tenant compte de sa condition médicale, qu’elle connaissait ou aurait pu connaître dans le présent dossier, sont à l’origine également de l’échec de la proposition de l’intimé. De plus, le Tribunal note comme dans l’arrêt Renaud, que la plaignante dans le présent dossier ne pouvait s’attendre à une solution parfaite.

IV.             Décision

[163]       La plaignante et sa représentante ont eu l’opportunité de présenter toutes les solutions possibles en fonction de sa condition médicale et de faire en sorte d’obtenir de la part de l’employeur, qui n’a pas refusé suivant la preuve au dossier, d’accommoder la plaignante.

[164]       Dans sa recherche de jurisprudence relativement au présent dossier, le Tribunal a pu prendre connaissance de la décision Butler c. Nenqayni Treatment Centre Society, 2002 CanLII 12274 (TCDP), où la plaignante Butler fut congédiée après plusieurs efforts de trouver d’autres fonctions pour la plaignante, lesquelles furent infructueuses.

[165]       Dans cette décision du Tribunal prononcée par le membre instructeur Anne L. Mactavish (Butler c Nenqayni Treatment Center Society), on indique en appliquant la décision Meiorin (Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3), ainsi que la décision Grismer (Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868), ce qui suit : « [c]omme il a été mentionné précédemment, la recherche de mesures d’adaptation afin de répondre aux besoins des employés n’est pas une voie à sens unique, c’est-à-dire que tant l’employé que l’employeur ont certaines responsabilités. »

[166]       Dans une autre décision du Tribunal (Benoit c. Bell Canada (Québec), 2004 TCDP 32 (CanLII), le membre instructeur Athanasios D. Hadjis a également eu à examiner la question de la communication d’informations médicales par un plaignant à son employeur.

[167]       Dans cette décision, où le plaignant était aux prises avec un problème d’alcool de façon excessive, le plaignant fut mis à pied non seulement pour la question de son l’alcoolisme, mais également en raison du piètre rendement professionnel comparativement aux autres cadres.

[168]       Malgré que les faits diffèrent du présent dossier, dans le dossier Benoit, le plaignant a admis de son propre aveu avoir délibérément induit en erreur les directeurs dont il relevait en les amenant à croire sincèrement qu’il n’était pas un alcoolique.

[169]       Le membre instructeur Hadjis, en reprenant les commentaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Renaud, fait référence également au fait qu’il existe une responsabilité de la part de l’employé de prendre les choses en main et de demander de l’aide.

[170]       À cet égard, il indique que la recherche de compromis fait intervenir plusieurs parties et exige « une participation active du plaignant » (Benoit).

[171]       En conclusion, le membre instructeur Hadjis indique que, bien que n’étant pas convaincu que le problème d’alcool du plaignant ait joué dans la décision de mettre fin à son emploi, l’explication fournie par l’intimée s’est avérée raisonnable et, en conséquence, cette explication n’a pas constitué un prétexte.

[172]       Finalement, le Tribunal cite la décision Graham c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 40 (CanLII), décision prononcée par le membre instructeur J. Grant Sinclair.

[173]       Dans ce dernier dossier, la plaignante, Sandra Graham, qui travaillait pour la Société canadienne des postes (ci-après appelée SCP) a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne après avoir demandé à un collègue à la SCP d’intervenir en son nom auprès des cadres supérieurs de la SCP afin de tenter de résoudre les difficultés qui s’opposaient entre elle et son gestionnaire en raison de son absence.

[174]       Dans cette décision le Tribunal a conclu que la plaignante avait effectivement souffert d’une déficience pendant la période au cours de laquelle elle s’était absentée de son travail. Le membre instructeur Sinclair a conclu que, malgré la présence d’une déficience, la plaignante n’avait pas établi une preuve prima facie de discrimination.

[175]       De même, le membre Sinclair a appliqué les dispositions de l’arrêt Renaud de la Cour suprême du Canada en indiquant que :

Pour faciliter la recherche d’une mesure d’accommodement, le plaignant doit aussi faire sa part. À la recherche d’un compromis raisonnable s’ajoute l’obligation de faciliter la recherche d’un tel compromis.  Ainsi, pour déterminer si l’obligation d’accommodement a été remplie, il faut examiner la conduite du plaignant. 

(Renaud, précité, paragraphe g à la page 994). 

[176]       Le membre Sinclair a conclu qu’il était impossible pour la SCP de mettre en place des mesures d’accommodements appropriées pour la plaignante (paragraphe 93 de la décision).

[177]       Conséquemment, la plainte de discrimination de la plaignante Graham contre la SCP n’a pas été justifiée et finalement sa plainte fut rejetée.

V.                Conclusion

[178]       De la même façon que dans les décisions Butler, Benoit et Graham, précitées, j’en arrive à la conclusion que la plaignante savait ou aurait dû savoir l’état de sa condition médicale et aurait pu facilement la communiquer à l’intimé suivant la preuve présentée au Tribunal.

[179]       De même, le plan d’action qui a été mis en œuvre à l’intérieur du programme d’apprentissage TR, auquel participait la plaignante, comportait suffisamment d’éléments d’accommodements afin de permettre à la plaignante de trouver les solutions eu égard à sa déficience et dont la preuve a été faite à l’audience.

[180]       Le Tribunal ne peut supposer que la plaignante a volontairement fait du camouflage en ne dévoilant pas totalement sa situation médicale comme dans l’arrêt Benoit mentionnée ci-dessus, mais certainement l’omission de dévoiler à l’intimé les billets médicaux ou les notes médicales qui ont été fournis tant à son assureur qu’à son psychologue, madame Michèle Delisle, affecte de façon très sérieuse la crédibilité de la plaignante.

[181]       Tenant compte des informations qui ont été fournies par la plaignante à son employeur et des différents  témoignages, dont principalement les témoignages de madame Manon Boucher et de madame Céline Marchand, le Tribunal considère que l’intimé a effectivement rempli son obligation d’accommodement et que, si de telles mesures d’accommodements n’ont pas réussi dans la situation de la plaignante, cette dernière est en grande partie responsable de l’échec de la proposition de l’intimé.

[182]       Finalement, le Tribunal constate à la lueur de la preuve qui lui a été présentée, les nombreuses difficultés que rencontrait la plaignante afin de se conformer au programme d’apprentissage TR, et cela, avant le 16 septembre 2003, date où une première rencontre a eu lieu avec une mise au point devant permettre d’établir et corriger les difficultés rencontrées par la plaignante.

[183]       Ce faisant également, le Tribunal s’est interrogé sérieusement sur les capacités de la plaignante à pouvoir devenir effectivement une traductrice et de supporter tout le stress qu’une telle fonction peut engendrer.

[184]       Conséquemment, le Tribunal considère que même une prolongation au-delà de deux (2) années prévues, qui apparaît dans programme d’apprentissage TR, n’aurait peut-être pas amené la plaignante à devenir une traductrice de niveau TR-02.

[185]       À partir de ces constatations, le Tribunal considère que d’envisager d’autres mesures d’accommodements dans le contexte particulier de la plaignante, aurait certainement amené à l’intimé une contrainte excessive. Il apparaît donc au Tribunal que d’autres mesures d’accommodement n’étaient pas raisonnables selon toutes les circonstances du présent dossier. Comme l’a souligné l’honorable juge Sopinka dans l’arrêt Renaud, la plaignante ne pouvait s’attendre à une solution parfaite (Renaud, précité, à la p. 995).

[186]       Le Tribunal conclut donc que la plainte de discrimination portée par la plaignante, madame Yanick Lindor, contre l’intimé, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, n’est pas justifiée.

[187]       Conséquemment, sa plainte est donc rejetée.

 

Signée par

 

Robert Malo

Membre du Tribunal

 

Ottawa (Ontario)

Le 9 avril 2014

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T1465/1110

Intitulé de la cause : Yanick Lindor c. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada

Date de la décision du Tribunal : le 9 avril 2014

Date et lieu de l’audience : du 23 au 27 septembre 2013 et du 21 au 23 octobre 2013

Ottawa (Ontario)

Comparutions :

Jean-Michel Corbeil, pour la plaignante

Jonathan Bujeau, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Guy A. Blouin, pour l'intimé

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