Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

JOHANNE GUAY

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

l'intime

DÉCISION RELATIVE AUX QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

2004 TCDP 34
2004/11/18

MEMBRE INSTRUCTEUR : Michel Doucet

I. Les questions préliminaires soulevées par la plaignante et la Commission

A. La première question : modifications au formulaire de la plainte afin d’y ajouter des allégations de représailles contrairement à l’article 14.1 de la Loi

B. Deuxième question : ordonnance modifiant la plainte afin d’y ajouter trois nouveaux intimés

II. Les questions préliminaires soulevées par l’intimée

A. La première question : modification de l’intitulé de la plainte

B. Deuxième question: les dossiers médicaux

C. Troisième question : production des notes prises par la plaignante suite à des conversations avec l’inspecteur Marc Proulx

III. Conclusion

[1] Le Tribunal est saisi de plusieurs questions préliminaires soulevées par les parties relativement à une plainte déposée le 23 septembre 2002, par Johanne Guay (la plaignante) devant la Commission canadienne des droits de la personne (la Commisssion) dans laquelle elle allègue que la Gendarmerie royale du Canada (l’intimée) a commis à son égard une discrimination contrairement aux articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne L.R.C. 1985, chap. H-6 (la Loi).

[2] Dans leurs requêtes, la plaignante et la Commission sollicitent une modification au formulaire de la plainte afin d’y ajouter des allégations de représailles contrairement à l’article 14.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne L.R.C. 1985, chap. H- et une ordonnance modifiant la plainte afin d’y ajouter trois nouveaux intimés.

[3] Pour sa part l’intimée a demandé que l’intitulé de la plainte soit modifié afin que le Procureur général du Canada soit désigné comme intimé au lieu de la Gendarmerie royale du Canada. Elle sollicite également une ordonnance visant l’obtention de subpoena duces tecum à l’égard d’un certain nombre de médecins ainsi que des services de santé de la Gendarmerie royale du Canada, leur ordonnant de divulguer les dossiers médicaux, notes d’étude clinique, rapports de consultations, résultats de test et résultats d’examen de laboratoire de la plaignante entre le 1er janvier 2000 jusqu’à présent. Subsidiairement, elle demande une ordonnance ayant pour effet d’obliger la plaignante à consentir à cette divulgation. Elle sollicite également une ordonnance obligeant la plaignante à divulguer les noms de toutes les professionnels de la santé qui l’ont traité entre le 1er janvier 2000 jusqu’à présent et un subpoena duces tecum à leur égard.

[4] L’intimée sollicite aussi une ordonnance obligeant la plaignante à divulguer les notes qu’elle a prise lors de ses conversations avec l’inspecteur Marc Proulx ainsi que toute autre note qui serait pertinente et en sa possession.

[5] Finalement, elle sollicite une ordonnance de prorogation du délai de communication prescrit à l’alinéa 6(1) des Règles de procédure provisoire du Tribunal canadien des droits de la personne de 30 jours suivant la réception des renseignements de santé recherchés.

I. LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES SOULEVÉES PAR LA PLAIGNANTE ET LA COMMISSION

A. La première question : modifications au formulaire de la plainte afin d’y ajouter des allégations de représailles contrairement à l’article 14.1 de la Loi

[6] La plaignante et la Commission ont présenté une requête en vertu de la Règle 3(1) des Règles de procédure provisoire du Tribunal des droits de la personne. La requête a pour objet la modification de la plainte afin d’y ajouter le motif de représailles prévu à l’article 14.1 de la Loi. En effet, elles allèguent que, suite au dépôt de la plainte signée le 23 septembre 2002, par la plaignante, l’intimée aurait, par les actes de ses employés, commis envers la plaignante des actes de représailles.

[7] Dans la décision Schnell c. Machiavelli and Associates Emprize Inc et Micka, rendu le 25 avril 2001, le Tribunal a énoncé, au paragraphe 12, les critères à appliquer dans un tel cas:

En ce qui concerne la requête de la Commission visant à modifier la plainte, le critère, tel qu’énoncé par ce Tribunal, consiste à se demander si la nature des allégations de représailles est liée, du moins par le plaignant, à celle des allégations ayant donné lieu à la plainte initiale. Le fait que la modification proposée porte sur un article différent de la Loi en cause dans la plainte initiale ne prive pas le Tribunal de son pouvoir d’autoriser une telle modification. Le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire de modifier la plainte de façon à y inclure d’autres allégations, pourvu que les intimés reçoivent un préavis suffisant pour leur permettre de répliquer.

[8] Dans ses représentations écrites, l’intimée ne s’est pas objectée aux modifications demandées par la plaignante et la Commission pourvu qu’elle reçoive un préavis suffisant lui permettant de répondre aux nouvelles allégations.

[9] L’audience dans la présente affaire ayant été remise au 8 mars 2005, il ne fait aucun doute que l’intimée a suffisant de temps pour répondre aux nouvelles allégations.

[10] Le Tribunal acquiesce donc à la requête de la plaignante et de la Commission. Elle donne également à l’intimée 21 jours à partir de la date de la présente décision pour soumettre, si elle le désir, une réponse écrite à ces nouvelles allégations.

[11] La plainte est par la présente modifiée afin d’y inclure l’allégation de représailles conformément au paragraphe 14.1 de la Loi.

B. Deuxième question : ordonnance modifiant la plainte afin d’y ajouter trois nouveaux intimés.

[12] La Commission et la plaignante sollicitent une ordonnance afin que MM. Marc Proulx, Normand Goulet et Denis Fortin soient ajoutés comme intimés. Selon les allégations de la plaignante et de la Commission ces individus seraient les auteurs présumés du harcèlement dont la plaignante se dit victime et ils auraient commis des actes de représailles contre la plaignante après le dépôt de la plainte à la Commission.

[13] En appui de sa requête, la Commission soutient que Marc Proulx et Normand Goulet on été cités dans la plainte et ils ont été interrogées par l’enquêtrice de la Commission. Elle ajoute que l’adjonction de ces nouvelles parties, en ce qui a trait aux représailles, n’était pas raisonnablement prévisible lors du dépôt de la plainte mais qu’elle est maintenant devenue nécessaire pour disposer de cet aspect de la plainte.

[14] Selon la Commission, s’il est vrai que l’intimée, en tant qu’employeur des ces individus, est responsable des actes discriminatoires qu’ils auraient pu poser dans le cadre de leur emploi aux termes de l’article 65 de la Loi, il n’en demeure pas moins qu’ils sont des personnes distinctes de celle-ci.

[15] Pour sa part, l’intimée argumente que l’adjonction des trois membres de la Gendarmerie royale du Canada est inutile et n’aura pour effet que de compliquer la procédure et de prolonger inutilement l’audience.

[16] Dans la décision Desormeaux c. Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton, T701/0602, 2 octobre 2002, vol. 1, p. 46, le Tribunal fait remarquer que l’alinéa 48.9(2)b) de la Loi prévoit expressément l’adjonction de parties aux instances devant le Tribunal. Le paragraphe 48.9(2) prévoit également que le Tribunal peut établir des règles de pratique régissant la procédure devant le lui.

[17] Deux décisions relativement récentes du Tribunal se sont directement penchées sur cette question: Syndicat des employés d’exécution de Québec-Téléphone, Section Locale 5044 du SCFP c. Telus Communication (Québec) Inc., 2003 TCDP 31 (ci-après Telus) et Brown c. Commission de la capitale nationale, 2003 TCDP 43 (ci-après Brown)

[18] Dans la décision Telus, le Tribunal indique que bien que la Loi confère au Tribunal le pouvoir d’ajouter des parties à une instance lorsqu’il le juge approprié, le contexte législatif entourant ce pouvoir discrétionnaire milite en faveur d’une certaine retenue ou prudence. Le Tribunal fait remarquer que la Loi prévoit, dans le traitement des plaintes de discrimination, un processus d’enquête et d’instruction fort élaborée où tant la Commission que le Tribunal ont des rôles bien définis. L’ajout de parties en cours d’instance devant le Tribunal prive le nouvel intimé du bénéfice de certains moyens de défense qu’il peut normalement faire valoir au stade de l’examen d’une plainte par la Commission, notamment la possibilité de faire rejeter la plainte sans qu’il n’y ait besoin d’instituer une instruction.

[19] Le Tribunal conclut, au paragraphe 30, que l’adjonction forcée d’un nouvel intimé une fois que le Tribunal a été chargé d’instruire une plainte est appropriée…s’il est établi que la présence de cette nouvelle partie est nécessaire pour disposer de la plainte dont il est saisi et qu’il n’était pas raisonnablement prévisible une fois la plainte déposée auprès de la Commission que l’adjonction d’un nouvel intimé serait nécessaire pour disposer de la plainte. Dans Telus, le Tribunal refusa l’adjonction de la partie tierce, soit le Syndicat des agents de maîtrise de Québec-Téléphone (le SAQT). Pour le Tribunal, la mise en cause du SAQT serait préjudiciable à ce dernier d’un point de vue d’équité procédurale.

[20] Dans la décision Brown, le Tribunal indique qu’il peut ajouter une partie lorsqu’une telle mesure est nécessaire pour trancher toutes les questions en litige et résoudre efficacement et complètement l’affaire dont il est saisi. Le membre instructeur poursuit en ajoutant un élément supplémentaire qui est, selon lui, plus important que la question de la prévisibilité. Il indique que la Loi a pour objet de remédier à la discrimination et que le pouvoir du Tribunal d’ajouter des parties doit être subordonné à cet objet. Les instances en matière de droits de la personne comportent un volet constitutionnel qui est souvent absent dans les instances civiles. Puisque les litiges que tranche le Tribunal sont des affaires d’intérêt public, les règles concernant l’adjonction des parties doivent tenir compte du mandat du Tribunal qui est d’assurer une réparation efficace en cas de discrimination. Dans Brown, l’adjonction d’une nouvelle partie n’était pas demandée parce qu’elle était considérée comme directement responsable de l’acte discriminatoire mais plutôt parce qu’elle était considérée comme essentielle afin de permettre une exécution plus appropriée de la décision qui serait prise contre l’intimée initiale.

[21] La partie initiale était dans Brown la Commission de la capitale nationale (la CNN). Pendant l’audience il est devenu évident que la solution au problème que le Tribunal avait à résoudre se trouvait probablement dans un immeuble adjacent qui appartenait au ministère des Travaux publics. Bien que le ministère des Travaux publics et la CNN soient distincts en droit, il s’agit de deux créatures de la Couronne fédérale. L’adjonction du ministère des Travaux publics fut donc permise car elle allait permettre une exécution plus appropriée de la décision.

[22] Dans le cas en l’espèce, les trois nouveaux intimés, dont la Commission et la plaignante demandent l’adjonction, sont des employés de l’intimée. À cet effet, l’article 65 de la Loi prévoit:

65. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les 65. (1) Subject to subsection (2), any act or actes ou omissions commis par un employé, un omission committed by an officer, a director, an mandataire, un administrateur ou un dirigeant employee or an agent of any person, association or dans le cadre de son emploi sont réputés, pour organization in the course of the employment of l’application de la présente loi, avoir été commis the officer, director, employee or agent shall, for par la personne, l’organisme ou l’association qui the purposes of this Act, be deemed to be an act or l’emploie. omission committed by that person, association or organization.

(2) La personne, l’organisme ou l’association (2) An act or omission shall not, by virtue of visé au paragraphe (1) peut se soustraire à son subsection (1), be deemed to be an act or omission application s’il établit que l’acte ou l’ommission committed by a person, association or a eu lieu sans son consentement, qu’il avait pris organization if it is established that the person, toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher association or organization did not consent to the et que, par la suite, il a tenté d’en atténuer ou commission of the act or omission and exercised d’en annuler les effets. all due diligence to prevent the act or omission from being committed and, subsequently, to mitigate or avoid the effect thereof.

[23] Dans son argumentation écrite, la Commission indique que ces employés sont des personnes distinctes de l’intimée. Elle ajoute que selon l’article 4 de la Loi, toute personne reconnue coupable d’actes discriminatoires peut faire l’objet d’ordonnances spécifiques.

[24] La plaignante ne sollicite aucun redressement particulier à l’encontre de ces demandeurs. Pour sa part, l’intimée n’a pas soulevé à leur égard une défense fondée sur le paragraphe 65(2). Évidemment, si une telle défense était soulevée par l’intimée, ma décision sur l’adjonction des parties pourraient être différentes.

[25] Les actes de discrimination qui leur sont reprochés sont exactement les mêmes que ceux qui sont allégués contre l’intimée et aucune preuve n’a été soumise démontrant que ces actes auraient été commis à l’extérieur de leur emploi. Ainsi, s’il est établi que les actes ou omissions de ses employés sont discriminatoire puisqu’ils ont été commis dans le cadre de leur emploi, ils seront réputés, pour l'application de la présente loi, avoir été commis par l’intimée.

[26] Par ailleurs, le Tribunal ne peut ignorer que la Commission et la plaignante auraient pu raisonnablement prévoir au moment du dépôt de la plainte et lors de l’enquête l’adjonction de ces parties. Ils ont choisi alors de ne pas les ajouter. Leur adjonction maintenant sans qu’ils n’aient été l’objet d’une plainte formelle, les priverait de la possibilité de faire valoir certains moyens de défense devant la Commission en vertu des articles 41 et 44 de la Loi.

[27] Le Tribunal n’est pas convaincu que l’adjonction de ces intimés est nécessaires pour disposer de la plainte et contrairement à la décision dans l’affaire Brown leur présence n’est pas essentielle afin de permettre une exécution plus appropriée de la décision qui serait prise contre l’intimée.

[28] La demande de la Commission et la plaignante pour l’adjonction de trois nouvelles parties est refusée.

II. LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES SOULEVÉES PAR L’INTIMÉE

A. La première question : modification de l’intitulé de la plainte

[29] L’intimée a présenté une requête pour la modification de l’intitulé de la plainte afin qu’elle soit désignée comme le Procureur général du Canada. L’intitulé actuel de la plainte identifie la Gendarmerie royale du Canada comme intimée. Selon les prétentions de l’intimée seul le Procureur général du Canada peut ester en justice pour répondre des actes commis par les membres de la Gendarmerie royale du Canada.

[30] Elle ajoute que la capacité d’ester en justice est réservée aux seules personnes naturelles et aux personnes morales. La Gendarmerie royale du Canada n’ayant pas été doté d’une personnalité juridique distincte par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, c. R-10, elle ne possède donc pas la capacité d’ester en justice. Elle ajoute que la GRC n’étant pas une personne, elle ne peut constituer une partie à une plainte sous la Loi canadienne des droits de la personne.

[31] L’article 3 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada prévoit:

3. Est maintenue pour le Canada une force de 3. There shall continue to be a police force for police composée d’officiers et autres membres Canada, which shall consist of officers and other et appelée Gendarmerie royale du Canada. members and be known as the Royal Canadian Mounted Police.

[32] La Commission ne s’oppose pas à cette requête. Pour sa part, la plaignante soutien que le Procureur général du Canada n’est pas son employeur et que la modification ne devrait pas être accordée.

[33] Dans la décision Plante c. Gendarmerie royale du Canada, 2003 CHRT 28, le Tribunal avait devant lui une requête tout a fait similaire à la présente. En accordant la requête de l’intimée dans cette affaire le Tribunal indique qu’un examen de la jurisprudence citée par l’intimée, ainsi que les dispositions pertinentes de la Loi sur la responsabilité de l’État révèlent que l’intimée a raison et que la procédure de la plaignante devrait en bonne et due forme être intentée contre le Procureur général du Canada (représentant de la Gendarmerie royale du Canada).

[34] Je comprends comment la demande de l’intimée peut apparaître à la plaignante mais je considère que la requête de l’intimée porte uniquement sur des formalités judiciaires de litiges auxquels le gouvernement fédéral est partie et qu’elle ne pose aucun préjudice à la plaignante. Le changement de l’intitulé de la cause n’entravera pas la capacité de la plaignante de faire valoir ses arguments et le redressement qui devrait lui être accordé dans l’éventualité où sa plainte serait accueillie.

[35] J’ordonne donc que le nom de l’intimée soit remplacé par le Procureur général du Canada (représentant la Gendarmerie royale du Canada).

B. Deuxième question : les dossiers médicaux

[36] Le 23 septembre 2002, la plaignante a déposé une plainte auprès de la Commission alléguant qu’elle est victime d’actes discriminatoires de la part de l’intimée en raison de sa déficience. Elle allègue, entre autres, que l’intimée refuse de l’accommoder en vue de sa condition médicale et qu’elle est harcelée en raison de sa déficience. Dans sa divulgation, la plaignante soutien que ses superviseurs l’obligent à travailler des journées ou des quarts de travail qui ne tiennent pas compte des recommandations de son médecin et qu’ils lui refusent une mutation à un poste qui serait plus adapté à sa condition de santé.

[37] Sa divulgation de documents révèle, qu’en plus de son médecin traitant, le docteur Mireille Belzile, elle a consulté les docteurs John Gosselin, Bruno Laplante et Jocelyn Aubut. Dans l’Exposé des questions de faits et de droit, les mesures de redressement sollicitées par la plaignante incluent une demande de compensation financière de 20 000$ pour préjudices physiques et moraux. Elle soutient que les actes de l’intimée lui occasionne un stress indu et lui crée des problèmes d’insomnie, d’épuisement, des migraines et des troubles de digestion.

[38] Selon l’intimée dès qu’une partie met son état de santé en litige, elle renonce implicitement à la confidentialité qui protégerait autrement son dossier médical et que, dans le mesure où ce dossier contient des renseignements potentiellement pertinents aux faits en litige, il doit être divulgué. L’intimée ajoute que l’étendue de la déficience est en litige, de la même façon que l’existence et l’étendue des manifestations psychologiques et physiologique du stress prétendument souffert par la plaignante. Par conséquent, elle en conclut que les renseignements relatifs à l’état de santé de la plaignante sont pertinents.

[39] La Commission et la plaignante allèguent pour leur part que la divulgation des dossiers médicaux de la plaignante n’est pas nécessaire puisque l’intimée connaît son état de santé depuis plusieurs années.

[40] La Loi et les Règles de procédure provisoire du Tribunal canadien des droits de la personne codifient la règle de justice naturelle accordant à chaque partie le droit à une audition pleine et entière. Ce droit comporte également le droit à la divulgation des éléments de preuve pertinents en la possession ou sous le contrôle de la partie adverse. Toutefois dans une requête comme la présente, le Tribunal doit soupeser les divers intérêts qui s’opposent – les intérêts de la justice au regard du droit d’une personne au respect de sa vie privée et à la confidentialité.

[41] Dans son avis de requête amendé, l’intimée sollicite une ordonnance visant l’obtention de subpoena duces tecum à l’égard des médecins traitant de la plaignante. Le but de la partie duces tecum du subpoena est d’enjoindre des tierces parties, qui ne sont pas parties au litige, de produire des documents qu’elles ont en leur possession.

[42] D’autres principes sont également pertinents et doivent être considérés avant que je puisse rendre ma décision. Premièrement, il est important qu’un lien rationnel existe entre les documents demandés et les questions contenues dans la présente requête; c’est-à-dire que l’on puisse prétendre à la pertinence probable de l’information recherchée.

[43] La demande ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une partie de pêche. La description des documents ne devrait pas être trop large ou trop générale et devrait être identifiée de façon minutieuse. Finalement, la demande ne devrait pas être oppressive, c’est-à-dire, qu’elle ne devrait pas obliger un étranger partie au litige à se soumettre à une recherche onéreuse et fort étendue de documentation. (Voir CTEA c. Bell Canada, T503/2098, décision n° 2.)

[44] Dans la décision Day c. Ministère de la défense nationale et Hortie, décision n° 3, 2002/ 12/06 , le Tribunal a retenu un processus à trois étapes pour décider si des documents devraient être ou non divulgué:

  1. Le Tribunal doit déterminer si les renseignements sont d'une pertinence possible, lequel ne constitue pas une norme particulièrement élevée. Il doit y avoir une certaine pertinence et la partie qui demande la production des renseignements ou des documents doit démontrer qu'il existe un lien entre les renseignements ou documents demandés et les questions en litige. Il doit s'agir de documents probants qui pourraient être pertinents à l'égard d'une question à trancher. Le but est d'empêcher qu'on se lance dans des demandes de production qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires.
  2. Le Tribunal doit ensuite se pencher sur toute autre question susceptible d'influer sur la divulgation, sans examiner les documents. S'il n'existe pas de raisons impérieuses de préserver le caractère confidentiel des documents, ceux-ci doivent être divulgués.
  3. Si le Tribunal n'est pas en mesure de résoudre la question sans examiner les documents, il y a alors lieu de le faire. Lors de la dernière étape du processus, il serait peut-être utile que la partie qui désire que les documents soient protégés attire l'attention du Tribunal sur les passages ou les documents particuliers qui suscitent de l'inquiétude.

[45] Je me dois ici de conclure que les documents sollicités ont une pertinence probable et qu’ils pourraient être pertinents à l’égard d’une question à trancher. L’intimée a établi qu’il existait un lien entre les documents demandés et les questions en litiges notamment en ce qui concerne les redressements sollicités. Dans des procédures en matière de droits de la personne, la plaignante, lorsqu'elle réclame une indemnisation pour des préjudices physiques et moraux, accepte implicitement que l'intimée puisse avoir accès à ses dossiers médicaux ou, de façon générale, à des renseignements personnels sur sa santé. Le droit à la confidentialité des dossiers médicaux cesse alors d'exister. En l’espèce, la plaignante demande une compensation financière pour préjudices physiques et moraux. Le droit à la confidentialité est alors éclipsé par le droit du défendeur de connaître les motifs et la portée de la plainte dont il fait l'objet. La justice, dans des procédures en matière de droits de la personne, exige que l'on permette à la partie intimée de présenter une défense pleine et entière à l'argumentation de la partie plaignante. Si la plaignante plaide sa cause en se fondant sur son état de santé, l'intimée a le droit d'obtenir les renseignements de santé pertinents qui peuvent avoir trait à la réclamation.

[46] La plaignante et la Commission n’ont soulevé aucun argument qui serait susceptible d’influer sur ma décision d’ordonner la divulgation des documents recherchés.

[47] Eu égard à ce qui précède, le tribunal émettra des subpoenae duces tecum à l’égard des docteurs Mireille Belzile, John Gosselin, Bruno Laplante, Jocelyn Aubut, ainsi que des services de santé de la Gendarmerie Royale du Canada, leur ordonnant de divulguer aux procureurs de l’intimé les dossiers médicaux, notes d’étude clinique, rapports de consultations, résultats de tests et ou résultats d’examen de laboratoire de la plaignante entre le 1er janvier 2000 et jusqu’à présent.

[48] Afin de préserver le droit à la confidentialité de la plaignante, il est également convenu que les procureurs de l’intimé consulteront eux-mêmes ces documents et n’en divulgueront le contenu à aucune autre personne sans l’autorisation au préalable du Tribunal et sans en avoir donné avis à la plaignante. Il est également attendu que la divulgation de ces documents ne signifie pas leur admission à titre de preuve et que toutes questions à ce sujet seront traitées lors de l’audience. De plus, si la plaignante voulait soulever certaines questions relativement à la confidentialité de certaines informations qui pourraient être contenues dans ces documents et qui ne concerneraient pas la présente affaire, elle est priée d’en faire part au Tribunal dans les plus brefs délais. Dans ce cas, sur avis aux parties, le Tribunal examinera les dossiers afin d’évaluer quelles informations devraient être divulguées en raison de leur pertinence avec les questions soulevées dans le présent litige et quelles informations ne devraient pas être divulguées.

[49] En ce qui a trait à la demande de l’intimée pour une prorogation du délai de communication prescrit au paragraphe 6(1) des Règles de procédure provisoire, le Tribunal ne voit aucune raison d’accéder à cette demande et ordonne à l’intimée de procéder, si ce n’est déjà fait, avec celle-ci dans les sept jours qui suivront la présente décision. S’il devait s’avérer, suite au dépôt des dossiers médicaux, que l’intimée doit apporter des modifications à sa communication, elle pourra présenter à ce moment une requête en ce sens au Tribunal.

C. Troisième question : production des notes prises par la plaignante suite à des conversations avec l’inspecteur Marc Proulx

[50] Dans sa divulgation, il semble que la plaignante a identifiée des notes personnelles qu’elle aurait prises lors de ses conversations avec l’inspecteur Marc Proulx. Dans sa réponse à la présente requête, elle ajoute que ces notes constituent presque intégralement l’information contenue dans les allégations de représailles dont il est fait mention plus haut.

[51] L’alinéa 6(1)d) des Règles Provisoire de procédure impose aux parties l’obligation de divulguer tout document en leur possession, sur lesquels ils ne revendiquent aucun privilège, et qui sont pertinent aux questions en cause. En l’espèce, aucun privilège n’a été revendiqué sur les notes dont il est question.

[52] J’ordonne donc que la plaignante divulgue à l’intimée les notes prises lors de ses conversations avec l’inspecteur Marc Proulx et dont il est fait mention dans sa divulgation.

[53] Le fait que j’ordonne la divulgation de ces documents ne veut pas dire que celles-ci seront recevables en preuve. Cette question sera déterminée à l’audience.

III. CONCLUSION

[54] Le Tribunal acquiesce à la requête de la plaignante et de la Commission et ordonne que la plainte soit modifiée afin d’y inclure l’allégation de représailles conformément au paragraphe 14.1 de la Loi.

[55] Le Tribunal donne à l’intimée 21 jours à partir de la date de la présente décision pour soumettre une réponse écrite à ces nouvelles allégations.

[56] La demande de la Commission et la plaignante pour l’adjonction de trois nouvelles parties est refusée.

[57] La requête pour que le nom de l’intimée soit remplacé par le Procureur général du Canada (représentant la Gendarmerie royale du Canada) est accordée.

[58] Le Tribunal accepte d’émettre des subpoenae duces tecum à l’égard des docteurs Mireille Belzile, John Gosselin, Bruno Laplante, Jocelyn Aubut, ainsi que des services de santé de la Gendarmerie royale du Canada, leur ordonnant de divulguer aux procureurs de l’intimé les dossiers médicaux, notes d’étude clinique, rapports de consultations, résultats de tests et ou résultats d’examen de laboratoire de la plaignante entre le 1er janvier 2000 et jusqu’à présent.

[59] Le Tribunal ordonne à la plaignante de divulguer à l’intimée les notes prises lors de ses conversations avec l’inspecteur Marc Proulx.

originale signée par

Michel Doucet

Ottawa (Ontario)
Le 18 novembre 2004

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T914/3404

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Johanne Guay c. Gendarmerie royale du Canada

DATE DE LA DÉCISION

Le 18 novembre 2004

DU TRIBUNAL :

ONT COMPARU :

Johanne Guay En son propre nom

François Lumbu Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Alexandre Kaufman Pour l’intimée

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