Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 2/ 80

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

PLAINTE de discrimination logée contre Via Rail Canada Inc. par David J. Foreman, Marylin Butterill et G. Cyril Wolfman.

ONT COMPARU: Russell G. Juriansz: Procureur de la Commission canadienne des droits de la personne et des plaignants
J. K. Allen : Procureur de Via Rail Canada Inc.

AUDITION TENUE DEVANT: Frank D. Jones, c. r.

Tribunal d’enquête constitué dans la présente affaire en vertu du paragraphe 39( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

2. LES FAITS

Un bref exposé des faits permettra de délimiter les facteurs communs aux plaintes des trois plaignants.

M. David J. Foreman a présenté une demande d’emploi de serveur auprès de Via Rail. Sa demande initiale est datée du 11 janvier 1979 mais Via Rail lui a accordé une entrevue et lui a fait passer des tests d’aptitude orale et mathématique le 1er mars 1979, tests qu’il a réussis. On lui a demandé de se présenter au superviseur des serveurs et des porteurs et après une autre entrevue, on l’a engagé à condition qu’il passe un examen médical.

Le 2 mars, il a passé cet examen médical au terme duquel on l’a trouvé physiquement inapte pour l’emploi puisque la vision de son oeil gauche ne satisfaisait aux critères établis par Via Rail. Ses problèmes de vision remontent à cinq ans environ. Au retour d’un voyage au Mexique, il avait consulté un oculiste d’Edmonton et avait séjourné sept semaines à l’hôpital pour hémorragie oculaire interne. Son oeil gauche présente une cicatrice. Un certain docteur Pavlin a fait passer des tests à M. Foreman et son rapport se lit comme suit:

"Mon examen a révélé une vision de 20/ 20 à l’oeil droit et 20/ 200 au gauche. La réfraction ne pourrait améliorer cet état. Le patient souffre d’un défaut réfractif de myopie astigmatique que les lunettes qu’il porte actuellement corrigent de façon satisfaisante. Son dossier révèle une inflammation de l’oeil gauche, alors qu’il étudiait à l’Université de l’Alberta en 1970. On n’en a apparemment jamais déterminé la cause. Il a passé sept semaines à l’hôpital et a été traité à la Prednisone. Depuis lors, la vision de son oeil est restée brouillée. L’examen du patient révèle une cicatrice ovale à la macula lutea 2 gauche et quelques voiles à l’humeur vitrée. Il semble s’agir d’une cicatrice consécutive à l’inflammation antérieure, bien qu’il soit difficile de poser un diagnostic absolument spécifique. L’oeil semblait totalement reposé et la rétine droite était complètement claire. Le reste de l’examen oculaire était normal.

Mademoiselle Butterill a présenté une demande d’emploi chez Via Rail le 14 septembre 1978 et elle a été engagée comme serveuse. Elle a complété sa période de formation durant une semaine et elle a travaillé comme serveuse sur plusieurs trajets avant de passer son examen médical. Environ deux semaines et demi après son stage de formation, période durant laquelle elle avait travaillé comme serveuse lors de deux voyages de cinq jours chacun à Toronto et un voyage de six jours à Vancouver, elle a subi un autre examen médical. L’examen a révélé qu’elle avait une vision de 20/ 25 et 20/ 400. Elle a ensuite consulté un certain Dr Langer, ophtalmologiste, dont l’examen révéla qu’elle avait une vision de 20/ 25 moins 2 et 20/ 400, mais une vision corrigée de 20/ 25 et 20/ 200. La Compagnie Via Rail l’a ensuite informée qu’elle ne pourrait pas être engagée comme employée permanente puisqu’elle ne satisfaisait pas aux normes médicales. Le témoignage de Mademoiselle Butterill est à l’effet que son défaut à l’oeil est de naissance et qu’elle ne porte pas de lunettes.

M. Zane Wozney était le responsable de l’équipe à bord du train lors du premier voyage de Mademoiselle Butterill de Winnipeg à Toronto et, à ce titre, il devait compléter les rapports d’évaluation des employés. Il déclare dans son rapport que l’apparence, l’attitude et la célérité de Mademoiselle Butterill sont moyennes, que sa coopération est au- dessus de la moyenne et déclare en outre qu’elle est très nerveuse et se presse trop, mais ... elle sera très bonne après un ou deux autres voyages (Pièce C- 13).

M. Cyril Wolfman a travaillé comme signaleur au ministère des Autoroutes, comme porteur pour Via Rail de mai à septembre 1973 et de décembre 1973 à janvier 1974 lorsqu’il a démissionné pour reprendre ses études universitaires. Il a en outre travaillé à plein temps pour Via Rail du 16 avril 1974 à septembre 1976 comme porteur, sommelier et troisième cuisinier.

M. Wolfman avait subi deux examens médicaux chez Via Rail au moment de sa première demande d’emploi en mai 1973 et il avait passé le second examen avec succès. A son retour chez Via Rail en décembre 1973, il n’avait pas subi d’autre examen de la vue. Durant sa période d’emploi permanent, il a subi périodiquement des analyses de sang mais pas d’examen de la vue. Durant son emploi avec Via Rail, M. Wolfman a travaillé durant 50 à 60 voyages environ comme porteur, sommelier ou troisième cuisinier. En ce qui a trait au travail dans un wagon- restaurant, l’espace y est restreint et la cuisine est encombrée; il faut faire attention aux autres employés travaillant à côté et ne rien casser (Preuve, p. 308). M. Wolfman n’a eu aucun accident durant toute cette période et on ne s’est pas plaint de son travail.

En 1977, M. Wolfman, qui suivait des cours à l’université, présenta une demande d’emploi chez Via Rail mais ne réussit pas lors de l’examen à satisfaire aux normes de vision établies par la compagnie. Les résultats de l’examen indiquaient une vision sans lunettes de 20/ 100 à l’oeil droit et 20/ 70 à l’oeil gauche et une vision avec lunettes de 20/ 70 à l’oeil droit et 20/ 25 à l’oeil 4 gauche. (Pièce C- 15). M. Wolfman n’a donc pas été engagé en 1979.

On peut donc constater que dans les trois cas, Via Rail a refusé d’engager les plaignants parce que leur vision ne satisfaisait pas aux normes établies par la compagnie pour ces catégories d’emplois.

Via Rail Canada Inc. possède une description de tâches pour les serveurs qui énumère les qualifications, le statut, les responsabilités et les tâches générales et particulières de cet emploi (Pièce C- 4). On a produit en preuve le même genre de description de tâches pour les sommeliers et les porteurs de wagons- lits.

On a également soumis en preuve les règlements et normes du CN en ce qui a trait à l’acuité visuelle, la perception des couleurs et l’ouïe. Il n’est pas contesté par les procureurs que ces règles s’appliquent à Via Rail (Preuve, p. 30). Il existe deux normes d’acuité visuelle, la première s’appliquant lors de l’entrée en service:

"Un minimum de 20/ 30 à un oeil et un minimum de 20/ 40 à l’autre, avec ou sans lunettes. Vision rapprochée #2, avec ou sans lunettes. Perception des couleurs selon les normes ci- dessus."

Le second critère s’applique en cas de promotion ou lors d’un nouvel examen:

"Un minimum de 20/ 40 à un oeil et un minimum de 20/ 70 à l’autre, avec ou sans lunettes, ou 20/ 30 à un oeil indépendamment de la vision de l’autre oeil, avec ou sans lunettes. Vision rapprochée #2, avec ou sans lunettes. Perception des couleurs selon les normes ci- dessus."

L’article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit ce qui suit:

"La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, aux principes suivants:

a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, la situation de famille ou l’état de personne graciée ou, en matière d’emploi, de leurs handicaps physiques;"

L’article 10 de cette même loi prévoit que: 10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur... (a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite ... pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

L’article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit que:

"14. Ne constituent pas des actes discriminatoires a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils sont fondés sur des exigences professionnelles normales;"

La question qui se pose à ce tribunal consiste donc à 6 déterminer si les normes d’acuité visuelle établis par Via Rail contreviennent à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je suis conscient que c’est la première fois que ce problème est soulevé devant une commission ou devant les tribunaux et que la décision peut avoir des répercussions étendues en matière d’emploi au Canada. A mon avis, il faut établir un certain équilibre entre d’une part, une ingérence indue dans les critères et exigences raisonnables d’emploi et, d’autre part, le respect de l’intention du Parlement exprimée dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Les plaidoiries orales et écrites de Messieurs Juriansz et Allen m’ont apporté une aide précieuse dans cette tâche.

DECISION

Interprétation statutaire

Quel principe devrait- on utiliser pour interpréter la Loi canadienne sur les droits de la personne? Dans le passé, les tribunaux ont principalement adopté trois approches d’interprétation des lois. La première dans l’ordre chronologique est l’approche dite des torts. Cette règle, établie dans l’arrêt Heydon (1584) 3 Co. Rep. 7, représente l’exemple extrême d’approche technologique d’interprétation des lois. Elle se fondait sur des aspects caractéristiques des débuts de l’histoire législative: l’éclectisme de la rédaction des lois, l’utilisation particulière des lois afin de remédier à des problèmes individuels nés de la Common Law et l’absence d’un contexte juridique général où l’on aurait pu intégrer une loi particulière. On peut résumer cette règle ainsi: les juges doivent d’abord déterminer les torts auxquels une loi est censée remédier puis ils devraient décider que tout ce qui est censé être visé par la loi ou l’esprit de la loi devrait aussi l’être par le texte de cette loi, quelle que soit la formulation employée dans la loi. En d’autres mots, le but de la loi étant d’exercer un contrôle, en pouvait s’en autoriser pour modifier les termes utilisés par le Parlement.

La deuxième approche est ce qu’on a convenu d’appeler depuis la règle d’interprétation littérale. Enoncée dans l’arrêt Sussex Peerage (1844) 11 C. L. et F. 85, cette approche reflète la rébellion des tribunaux contre la législation judiciaire et s’est manifestée au moment où le Parlement connaissait un regain d’activité. Selon la règle d’interprétation littérale, on devrait s’attacher uniquement aux mots utilisés par le Parlement dans la loi et, s’ils sont clairs, on doit leur donner leur effet normal quelles qu’en soient les conséquences, l’objet d’une loi ne devant être pris en considération que si les mots eux- mêmes ne sont pas clairs.

Le troisième type d’interprétation des lois est énoncé dans l’arrêt Grey v. Pearson (1857) 6 HLC 6. Cette approche, dite la règle d’or constituait une pondération de l’approche littérale et résultait d’une prise de conscience par les tribunaux que le nombre et la complexité croissante des lois pouvaient à l’occasion entraîner des erreurs de rédaction causant des contradictions, des conflits et un manque d’harmonie interne. En vertu de la règle d’or les juges donnaient donc aux mots leur sens ordinaire à moins qu’il n’en résulte de contradictions, des absurdités ou un manque d’harmonie.

Aujourd’hui cependant, les tribunaux interprètent la législation d’une façon beaucoup plus constante et uniforme. On 8 s’accorde à dire qu’aucune de ces approches prise isolément ne constitue une bonne méthode d’interprétation statutaire. L’approche moderne résulte plutôt de la constatation que chacune de ces méthodes exprime une facette différente d’un même processus. On pourrait dire en fait que l’approche moderne est une synthèse de ces règles.

Dans leurs décisions, les tribunaux canadiens citent souvent E. A. Dreidger, The Construction of Statutes, Butterworths 1974, où l’on trouve ce qui suit à la page 2:

"On peut référer à l’objet et au but d’une loi, non pas pour changer les termes utilisés par le Parlement, comme on l’a fait à l’époque de l’arrêt Heydon, mais plutôt pour comprendre ce qu’il a dit. L’objet d’une loi et son contexte factuel sont toujours pertinents et cela, non seulement dans les cas où il existe un doute, comme on le pensait à l’époque de l’arrêt Sussex Peerage. La règle formulée dans l’arrêt Grey v. Pearson signifie seulement qu’on peut modifier le sens littéral d’une loi lorsqu’il en résulte un manque d’harmonie interne, et non pas seulement lorsqu’elle a des conséquences absurdes ou injustes."

(traduction) A la page 57, M. Dreidger énonce le principe fondamental qui s’applique aujourd’hui et qui est accepté par les deux procureurs:

"Il existe aujourd’hui un seul principe ou approche. Il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte complet, dans leur sens grammatical ordinaire, en les replaçant dans le cadre et l’objet de la loi ainsi que l’intention du Parlement."

(traduction) L’article 11 de la Loi d’interprétation, S. R. C. c. I- 23, prévoit que:

"Chaque texte législatif est censé réparateur et doit s’interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objets."

Si l’on en revient maintenant à l’interprétation de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l’objet de la loi est énoncé expressément à l’article 2. Il s’agit d’une disposition 9 substantive et non pas simplement d’un préambule ou d’un objet qu’on puisse déduire de la loi. On doit donc considérer l’article 2 comme une partie du tout que constitue la Loi. L’article 3 énumère un certain nombre de motifs de distinction illicite. Il est à remarquer qu’on ne prétend pas nier par ces motifs toutes les différences pouvant exister entre les individus. Donc, même en matière de motifs de distinction illicite, il existe des différences quant aux activités visées par ces interdictions; ainsi, les distinctions fondées sur un handicap physique ne constituent de la discrimination qu’en matière d’emploi.

L’article 4 prévoit que seuls les actes discriminatoires peuvent faire l’objet d’une plainte en vertu de la Partie III de la Loi.

Les articles 5 à 13 décrivent divers cas où la distinction fondée sur un motif prohibé constitue un acte discriminatoire. Certains articles de la Loi prévoient cependant des exceptions. Il s’agit des paragraphes 9( 2), 11( 3) et 13( 2). En vertu du paragraphe 9( 2) par exemple, si une association d’employés exerce une discrimination contre l’un de ses membres en l’expulsant à cause de son âge, cet acte ne sera pas censé discriminatoire si cette personne a atteint l’âge normal de la retraite.

Enfin, la Partie I dela Loi prévoit une série de dispositions décrivant expressément des actes qui ne sont pas considérés discriminatoires. Les articles 14 à 17 traitent d’un certain nombre de situations qui ne sont pas visées par les dispositions des articles 5 à 13. On pourrait soutenir qu’il ne s’agit pas là de véritables exceptions, mais plutôt de la description de certaines situations qui ne sont pas visées par les interdictions des articles 5 à 13.

Pour interpréter la Loi canadienne sur les droits de la personne j’adopte donc le critère d’interprétation statutaire proposé par Dreidger à la page 67, que j’ai mentionné plus haut. A mon avis, la lecture de la Loi dans son entier nous indique que son objet ne consiste pas à établir une prescription à l’effet qu’une distinction constitue en soi de la discrimination et qu’elle n’interdit pas toutes les formes de discrimination; son objet consiste plutôt à prévenir et éliminer certains actes discriminatoires. On permet spécifiquement certaines formes de distinction, comme les exigences professionnelles normales.

En matière d’emploi, il est clair que les articles 7, 11 et 14 de la Loi ne visent pas à obliger les employeurs à traiter sur un pied d’égalité tous les employés ou les candidats à un emploi. Le but de la Loi consiste à assurer une égalité fondamentale dans les chances d’emploi tout en assurant la réalisation d’autres objectifs comme l’élimination de l’incompétence, du manque de sécurité, de l’inefficacité et des frustrations profesionnelles. Ces dispositions, ainsi que les articles 8, 9, 10, 16 et 17 démontrent qu’on a pensé dans la Loi à la nature particulière du marché du travail et qu’on en a tenu compte lors de sa rédaction.

FARDEAU DE LA PREUVE

Le procureur de la Commission canadienne des droits de la personne a admis qu’en matière de droits de la personne, la Commission a le fardeau de prouver par une prépondérance de preuve qu’on a contrevenu à la Loi. Il est notoire que les faits de cette cause constituent des considérations fondées sur un handicap physique en matière d’emploi’, au sens de l’article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cela ne suffit pas 11 cependant pour prouver qu’il y a eu infraction à la Loi, puisqu’un acte discriminatoire doit avoir été posé pour qu’on puisse dire qu’il y a eu infraction à la Loi. En vertu de l’article 14, ne constituent pas des actes discriminatoires:

"... les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils sont fondés sur des exigences professionnelles normales."

Dans la législation canadienne en matière de droits de la personne seules la loi fédérale et celle de l’Ile- du- Prince- Edouard imposent à l’employeur le fardeau de prouver l’existence d’exigences professionnelles normales. Dans toutes les autres provinces, la législation prévoit simplement une exception dans les cas d’exigences professionnelles normales, mais ne traite pas du fardeau de preuve. En vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne l’employeur a donc à mon avis le fardeau de prouver l’existence d’exigences professionnelles normales.

Ce fardeau n’est pas de nature criminelle mais devrait tout de même constituer une forte prépondérance de preuve, étant donné qu’il peut avoir pour effet de priver une personne de son droit au travail.

LE SENS DE L’EXPRESSION EXIGENCES PROFESSIONNELLES NORMALES

Revenant maintenant à la difficile question de déterminer ce que constituent des exigences professionnelles normales, je reprends la décision du juge Urie dans l’affaire Harris (1976) I F. C. 84 (C. A. fédérale), ou il devait interpréter la Loi sur l’égalité de salaire pour les femmes et où il déclarait à la page 94:

"Le caractère réformateur de cette loi n’affecte en rien le principe selon lequel on doit attribuer aux mots employés dans un article leur sens normal, littéral et grammatical..."

Quant au sens à donner à l’expression exigences professionnelles normales je retiens la citation suivante de R. L. Mackay, c. r., qui a été approuvée par le juge Arnup de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Ontario Human Rights Commission and City of North Bay (1977) 17 O. R. (2d) 712.

M. Mackay déclarait ce qui suit dans sa décision: Bona fide est le mot- clé. Les dictionnaires renommés, qu’ils soient généraux (comme Oxford et Webster) ou juridiques (comme Black) donnent toujours à cet expression l’un ou plusieurs des sens suivants: honnêteté, de bonne foi, sincère, sans fraude ou dol, sans simulation ou faux prétexte, véritable. Ces expressions dénotent un motif et un critère substantif. Une personne peut donc être honnêtement convaincue du bien- fondé d’une chose alors que son opinion n’est objectivement ni motivée ni raisonnable. Ce seul critère suffit à me convaincre qu’en adoptant le règlement 2085 et en négociant la convention collective sur laquelle il est fondé, la Corporation agissait de façon honnête et non pas délictuellement, frauduleusement, ou en cachant ses intentions véritables.

La question ne s’arrête cependant pas là et cela ne peut être le seul sens de l’expression bona fide puisque les critères seraient alors trop éphémères et varieraient en fonction de l’opinion (et des préjugés) de chaque employeur, pourvu qu’il s’agisse d’opinions honnêtes quant aux exigences relatives à l’emploi, indépendamment de leur caractère déraisonnable ou inacceptable. Une compagnie aérienne pourrait alors décider honnêtement que ses hôtesses ne devraient pas avoir plus de 25 ans; cependant, si elle imposait ce genre de limitation pour obtenir ou conserver un emploi je n’hésite pas à dire qu’il ne s’agirait pas là d’une exigence professionnelle de bonne foi au sens de l’exception prévue par le paragraphe 4 (6). 13 Pourquoi? Parce qu’à mon avis, cette limitation n’est pas fondée objectivement ou factuellement. En d’autres mots, bien qu’il soit essentiel qu’une restriction soit édictée ou imposée de façon honnête et sincère, elle doit de plus être motivée logiquement et factuellement en fonction des réalités concrètes du milieu du travail quotidien et de la vie.

(traduction) Je tiens à souligner très clairement qu’il n’est aucunement question dans la présente affaire que Via Rail ait agi délictuellement, frauduleusement ou en cachant ses intentions véritables. La preuve est clairement à l’effet contraire.

Il faut donc évaluer la preuve à la lumière de la définition donnée ci- dessus et déterminer si Via Rail a établi des exigences professionnelles normales fondées sur les réalités concrètes du milieu de travail quotidien et de la vie. Le témoignage de M. Alex McQuaid, superviseur des employés de service, section des services sur les trains, Service des ressources humaines de Via Rail et qui compte de nombreuses années d’expérience dans l’industrie ferroviaire tant avec le CN qu’avec Via Rail, illustre l’un des problèmes fondamentaux que posent les normes établies par Via Rail.

Q. Ai- je bien compris votre témoignage? Ce n’est pas le Service médical qui fixe les normes?

R. Non.

Q. Mais c’est lui qui les administre?

R. Oui, il les administre.

Q. Les normes sont établies par un autre service?

R. C’est juste.

Q. Le service des opérations?

R. En ce qui a trait aux conditions de travail, oui. Les normes médicales ont été établies voici quelque temps. Je ne saurais dire maintenant qui a établi ces normes, le service médical du Canadien National ou quelqu’un d’autre. Je ne pourrais pas le dire.

Q. Pourriez- vous le rechercher et serez- vous ici demain?

R. Oui.

Q. Ces normes ont cependant été adoptées par Via Rail lors de sa création?

R. Oui.

Q. Les a- t- on étudiées, examinées d’une façon quelconque?

R. Je ne saurais le dire. Je pense qu’elles ont été étudiées mais là encore, je ne saurais l’affirmer.

Q. Bien. Savez- vous si des études médicales ont été faites?

R. Non.

Q. A- t- on passé en revue les dernières publications médicales?

R. Non.

Q. A- t- on retenu les services d’ophtalmologistes?

R. Je ne saurais le dire.

LE PRESIDENT: Excusez- moi, je n’ai pas entendu votre réponse.

LE TEMOIN: Je ne saurais le dire.

PAR M. JURIANSZ: Q. A- t- on procédé à des comparaisons avec les normes de vision exigées par d’autres industries, ou des industries semblables?

R. Là encore, je ne le sais pas.

Q. S’est- on informé auprès de l’industrie ferroviaire aux Etats- Unis et a- t- on comparé leurs exigences?

R. Je ne le sais pas. Le Dr Walker a été appelé comme témoin- expert par Via Rail et a déclaré ce qui suit en contre- interrogatoire:

Q. Pouvez- vous nous dire l’origine de ces normes?

R. D’après ce que j’en sais, elles viennent de Montréal où est situé le siège social régional. Le docteur Bond est le responsable médical pour cette région... la date mentionnée ici est 1967 et, pour autant que je sache, il n’y a pas eu de modifications depuis lors. Je suppose que lui et un comité de médecins...

Q. Est- il possible que ces normes existaient avant, et que celles de 67 ne soient que de nouvelles...

R. Je n’en ai aucune idée. Je ne sais pas si elles ont été rafraichies ou non. Et plus loin dans son témoignage:

Q. Jusqu’ici, vous ne vous étiez pas attardé au bien- fondé de ces règles?

R. Certaines d’entre elles, si, probablement. Pas forcément les règles d’acuité visuelle et pas forcément ces règles d’acuité visuelle. Je pense cependant que tout ce que nous avons pris en considération n’avait aucun impact sur le cas de M. Foreman.

M. Martin Cahill a été appelé à témoigner par Via Rail. Il est gérant de la conception des services, Services à bord des trains de Via Rail Canada. M. Cahill a 34 ans d’expérience dans l’industrie ferroviaire. Il a déclaré ce qui suit en interrogatoire principal:

Q. Avez- vous envisagé la possibilité de réviser ou 16 d’améliorer les normes médicales d’acuité visuelle - si je peux employer cette expression - qui étaient en vigueur avant le transfert?

R. Non, nous ne sommes pas responsables des normes médicales pour les services à bord des trains. Nous nous occupons seulement du service, des règles et règlements relatifs au service.

Appelé comme témoin par Via Rail, le Dr McCulloch n’a pas expliqué la façon dont ces normes avaient été établies, ni la raison de leur état actuel. Le dernier témoin- expert de Via Rail fut le Dr Octavius Eggerston qui était le responsable médical régional du Canadien National, Via Rail, pour la région des Prairies. A son avis les normes ont principalement été établies en fonction des normes de l’AAR, (American Association of Railways) et par leur service médical composé d’un groupe de médecins du milieu du transport ferroviaire. Le Dr Eggerston pense que les normes étaient raisonnables mais a admis en contre- interrogatoire qu’une vision de 20/ 50 aux deux yeux était également raisonnable pour ces emplois. Il a également dit en contre- interrogatoire qu’il valait la peine d’étudier la possibilité de ramener les normes au niveau suivant: 20/ 40 à un oeil et aucune vision à l’autre oeil.

Il n’existe donc pas à mon avis de preuve satisfaisante sur la façon dont les normes ont été mises en vigueur, si on les a remises à jour récemment, ou si des tests ont été élaborés en consultation avec des ophtalmologistes, relativement aux normes médicales existantes.

Si l’on examine ces normes dans leur forme actuelle, peut- on dire qu’il s’agit d’exigences professionnelles normales selon la 17 définition donnée ci- dessus? Il ne faut pas sous- estimer le caractère exigeant du travail de serveur, de sommelier ou de porteur à bord des trains de passagers. Cela exige de longues heures de travail et peu d’heures de sommeil dans un train toujours en mouvement et dans un espace restreint, comme membre d’une équipe au service du public, tout en transportant des plateaux sur des distances pouvant équivaloir à la longueur de quatre wagons. Ce travail comporte certains dangers inhérents pour les passagers, comme lorsque le garçon leur verse du café chaud ou qu’il les aide à monter dans le train ou en descendre. Il est évident qu’il faut avoir une certaine acuité visuelle pour faire ce travail; le problème consiste à déterminer si les normes établies par Via Rail constituent des exigences professionnelles normales, dans le sens utilisé par le Professeur MacKay, compte tenu des réalités concrètes du milieu de travail quotidien.

On a soumis en preuve l’importance d’une vision binoculaire quant à la perception de la profondeur de champ à courte distance, qu’on a définies comme les distances inférieures à 20 pieds. Il a été établi que Via Rail utilisait à cet égard le graphique de Snelle et que ce test ne permet pas en fait de contrôler la vision binoculaire.

La Commission des droits de la personne a fait témoigner le Dr John Crawford. Il possède un bagage impressionnant et il est spécialisé en ophtalmologie et en perception de la profondeur de champ. D’après le Dr Crawford, les personnes qui se sont habituées à un état de vision monoculaire perçoivent aussi bien la profondeur de champ que celles qui ont une vision binoculaire.

Q. Donc, si je comprends bien, si je n’ai qu’un oeil, et qu’on ait besoin de deux yeux pour évaluer les distances, je peux y arriver en partie en tournant la tête?

R. C’est juste.

Q. Et vous dites qu’une personne qui est née borgne ou qui s’est habituée à une vision monoculaire apprend à le faire automatiquement de façon subconsciente, avec le résultat que les autres personnes peuvent très bien ne pas s’en apercevoir.

R. C’est juste; on ne les voit même pas le faire, et ils n’ont aucune difficulté à évaluer la distance et la profondeur de champ.

Q. Bien. Maintenant, existe- t- il des études, ou selon votre avis d’expert, quelle est l’importance de la vision binoculaire dans la perception de la profondeur de champ, en ce qui a trait aux indices dont nous disposons pour évaluer les distances, la profondeur de champ? Quelle proportion de ces indices est de nature binoculaire; quelle est l’importance relative de la lumière, de l’ombre, de la taille et de ces autres indices?

R. La plus grande proportion de notre perception de la profondeur de champ vient certainement des indices monoculaires que nous avons appris. Vous savez, je dirais que les gens... les indices binoculaires représentent une part mineure de notre perception de la profondeur de champ. Les indices binoculaires sont plus importants pour voir de près que de loin. Il existe un très grand nombre de gens dans le monde qui ne voient que d’un oeil. Je vous ai parlé de ces enfants qui louchent et dont nous corrigeons la vision: la plupart de ces enfants n’apprennent jamais à utiliser leurs yeux ensemble, ils n’en utilisent qu’un à la fois. Ils n’en utilisent qu’un et ferment l’autre alternativement. Ils n’éprouvent aucune difficulté. Ils pourraient devenir de bons joueurs de tennis et faire un bon travail...

Q. Je ne veux pas trop insister mais à une question précédente, lorsque je vous ai demandé combien d’indices de perception de la profondeur de champ sont binoculaires, vous avez répondu une grande partie. Pourriez- vous préciser un peu?

R. Duke- Elder dit que 20% de nos indices sont probablement binoculaires, le reste étant monoculaire.

Q. Qui est Duke- Elder?

R. Duke- Elder est un ouvrage de doctrine rédigé par Duke Elder.

Q. Un ouvrage d’ophtalmologie...

R. Un ouvrage courant sur l’ophtalmologie. Le Dr Crawford a ensuite poursuivi en citant des exemples de dentistes ne voyant que d’un oeil qui pratiquent leur profession, ou encore de chirurgiens et d’ailleurs de chirurgiens ophtalmologistes, qui pratiquent des opérations complexes avec un seul oeil. Le Dr Crawford a dit ensuite avoir lu les descriptions de tâches des serveurs et serveuses, des sommeliers et des porteurs et qu’à son avis, elles ne contenaient aucune tâche qu’une personne ne voyant que d’un oeil ne pourrait accomplir.

Revenant ensuite à la définition de l’expression normales mentionnées ci- dessus et en appliquant les mots fondés sur les réalités concrètes du milieu de travail quotidien et de la vie selon la définition du Professeur MacKay, le Dr Crawford a déclaré ce qui suit:

Q. Je vous montre maintenant une brochure intitulée Règlements et normes du C. N. dont une partie traite de l’acuité visuelle et en particulier à la page 18, des normes exigées des serveurs, des porteurs, des sommeliers, des placiers et pour d’autres postes; lors de l’entrée en service les exigences sont les suivantes:

20/ 30 à un oeil et un minimum de 20/ 40 à l’autre, avec ou sans lunettes;...

A votre avis, s’agit- il de normes raisonnables pour ces emplois?

R. Pour ce poste, non. Je veux dire que ces normes sont trop sévères.

Via Rail a mentionné à juste titre, par la voix de ses témoins, qu’il fallait prévoir un coefficient de sécurité dans ces normes étant donné qu’elles s’appliquent à plusieurs centaines de candidats à un emploi. Les témoignages indiquent que les normes actuelles sont sûres. A mon avis, cela ne répond cependant pas à la question sous- jacente posée à ce tribunal d’enquête. De toute évidence, des normes qui exigeraient une vision parfaite pour chaque emploi seraient également sûres. Mais la question consiste à déterminer si ces normes sont des exigences professionnelles normales, compte tenu des réalités concrètes du milieu de travail quotidien. A mon avis, la preuve ne permet pas de répondre par l’affirmative. Les experts de Via Rail ont simplement déclaré que les normes étaient raisonnables, mais cette affirmation n’est étayée par aucun argument scientifique. La Commission des droits de la personne a également fait venir un expert qui a déclaré que les normes étaient trop sévères.

Le Dr John Clement McCulloch, témoignant pour Via Rail est ophtalmologiste; il dirige le Service d’ophtalmologie de l’hôpital Toronto Général, ainsi que le Service d’ophtalmologie de l’université. Contre- interrogé par M. Juriansz, procureur de la Commission des droits de la personne, il a admis qu’une personne ne voyant que d’un oeil, habituée à cet état et n’ayant pas d’expérience du travail sur un train, serait plus sûre qu’une personne ayant récemment perdu un oeil et possédant de l’expérience du travail sur les trains.

Q. Bien; nous émettrons l’hypothèse d’un individu borgne de naissance, qui n’a jamais travaillé comme serveur, mais qui a déjà pris l’autobus et le métro et a travaillé dans la salle d’attente d’un restaurant. Il est maintenant âgé de 24- 25 ans, a mené une vie normale et veut obtenir un emploi de serveur sur les trains. L’autre personne, par hypothèse, travaille depuis un an sur les trains mais vient de perdre un oeil la semaine précédente.

R. Vous savez, je jugerais l’individu en ma capacité de praticien. S’il se présentait pour un ré- examen et qu’il entrait dans cette catégorie... je pense que je le déclarerais...

21 En ce sens, il est probable que je l’examinerais et dirais ensuite s’il répond ou non aux normes d’un ré- examen.

Q. Je ne suis pas sûr que vous m’ayez compris. Admettons que vous ne puissiez engager qu’une personne. Laquelle est la plus sûre? Celle qui est née borgne et n’a pas d’expérience sur les trains, ou celle qui a ce genre d’expérience mais vient de perdre un oeil?

R. Je suis sûr que le service du personnel choisirait probablement la personne qui a de l’expérience.

Q. Le Service du personnel? R. Vous me demandez en quelque sorte si les pommes sont meilleures que les oranges? Cela dépend si vous préférez les pommes ou les oranges. Je veux dire...

Q. Laquelle des deux personnes aurait une meilleure vision... une meilleure perception de la profondeur de champ?

R. L’un des deux ne verrait pas du tout d’un oeil, donc son acuité visuelle et le reste... on peut penser que l’autre personne serait acceptable. Vous voyez, cela devient une question de... Vous voyez.., il n’a qu’un oeil. Il ne se produit aucune stéréopsie.

Q. Non, aucun d’entre eux n’en aurait mais ils percevraient différemment la profondeur de champ. Je vous suggère que la personne dont la vision s’est adaptée, celle qui a grandi en n’ayant qu’un oeil aurait une meilleure perception de la profondeur de champ parce qu’elle a appris à utiliser...

R. Vous voulez dire qu’il se débrouillerait un peu mieux dans la vie. C’est ce que vous voulez dire. Les tests stéréoscopiques multiplient...

Q. Se débrouillerait- elle mieux dans la vie?

R. C’est ce que vous dites.

Q. Oui.

R. Je le pense... On peut donc résumer en disant que la preuve d’experts médicaux soumise au tribunal n’a pas établi à ma satisfaction que Via Rail a établi ses normes de façon à s’assurer qu’elles constituent des exigences professionnelles normales, en se basant sur les réalités concrètes du travail quotidien et plus spécifiquement ici en ce qui concerne les tâches de serveurs, serveuses, sommelier et porteur.

Deux des plaignants ont de fait travaillé comme serveur, serveuse et porteur et se sont bien acquitté de leurs tâches. Via Rail a utilisé des tests qui ne permettent pas de contrôler la vision binoculaire, ni d’évaluer d’adaptation à la vision monoculaire. Les normes elles- mêmes établissent un double critère, l’un pour l’entrée en service et l’autre pour les promotions et les ré- examens, l’explication avancée étant qu’une personne expérimentée peut faire un bon travail, d’une façon sûre, avec une moins bonne vision. En contre- interrogatoire cependant, un expert appelé par Via Rail, le Dr McCulloch, a déclaré ne pas être en accord avec cette opinion.

DECISION ET ORDONNANCE

Via Rail Canada Inc. a enfreint les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne et plus particulièrement l’article 2 et le paragraphe 14( a) en refusant d’engager les plaignants à cause d’un handicap physique, les normes établies par la compagnie n’étant pas fondées sur des exigences professionnelles normales Dans la mesure où des actes discriminatoires ont été effectivement posés, l’intention de Via 23 Rail n’a pas d’incidence sur la question (Voir A. G. Alberta v. Gares (1976) 67 D. L. R. (3d) 635). Via Rail avait ici le fardeau de prouver que ses normes constituaient des exigences professionnelles normales, et je conclus qu’elle n’y a pas réussi.

Compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, je ne pense pas justifié d’accorder des dommages généraux. La compensation principale est le respect de la Loi canadienne des droits de la personne par Via Rail, et plus spécifiquement à l’égard des plaignants.

ORDONNANCE

Pour les motifs mentionnés ci- dessus ce tribunal d’enquête ordonne à Via Rail:

(a) de réviser ses exigences d’acuité visuelle pour les emplois de serveur, serveuse, sommelier et porteur, en retenant les services d’experts et en utilisant les données scientifiques actuellement disponibles.

L’expert de Via Rail, le Dr McCulloch, a suggéré lors de son témoignage qu’il ferait des recommandations en ce sens:

Q. En examinant les normes que je vous présente, recommanderiez- vous des changements sans plus attendre?

R. Non, je n’y toucherais pas, pas dans le sens où vous le demandez, pas aussi rapidement. Ce que je suggérerais serait de former... disons de trouver deux ou trois personnes expertes en la matière, et leur demander de former un comité, ou un groupe, en demandant au service du personnel de leur fournir des renseignements sur les descriptions de tâches, la nature réelle du travail et tous les autres renseignements disponibles. Il faut un certain temps pour tout prendre en considération, si l’on veut changer les normes.

Q. En d’autres mots, vous n’abaisseriez pas les normes de façon arbitraire, sans recherches approfondies?

R. J’y penserais soigneusement. Je pourrais les réduire, ou les changer mais ... ou les rendre..., non je ne pense pas. Je crois que ces normes sont bonnes et je ne pense donc pas que je les rendrais plus sévères; mais je les étudierais certainement et obtiendrais le maximum de renseignements pour prendre la décision

Q. Les normes actuelles vous semblent- elles beaucoup trop sévères pour les candidats à ce genre d’emploi?

R. Je ne sais pas, mais cela vaudrait la peine de les revoir et d’y penser.

(b) Dans sa plaidoirie M. Allen a déclaré que si je concluais que Via Rail a enfreint la Loi canadienne sur les droits de la personne, la compagnie se retrouverait sans aucune norme. J’ordonne donc que les normes actuelles en matière de promotion et de ré- examen soient appliquées à tous les cas jusqu’à ce qu’on ait abouti à un résultat dans le cadre de la révision ordonnée au paragraphe (a). Ceci concorde avec le témoignage du Dr Crawford à l’effet que les individus qui se sont habitués à une vision monoculaire peuvent très bien remplir les tâches de serveur, de serveuse, de sommelier et de porteur. Cela concorderait aussi avec le témoignage du Dr McCulloch, mentionné ci- dessus. A mon avis, cela n’affecterait pas le facteur sécurité et ne comporterait pas de dangers pour le public.

(c) Via Rail devra offrir un emploi de serveuse à Marylin Butterill, dès que le prochain poste deviendra disponible à Winnipeg, à condition qu’elle puisse satisfaire aux normes d’acuité visuelle actuellement en vigueur à l’égard des promotions et des ré- examens.

(d) Via Rail devra offir un emploi de porteur à M. Cyril Wolfman pour les mois d’été à condition qu’il puisse satisfaire aux normes d’acuité visuelle actuellement en vigueur à l’égard des promotions et des ré- examens.

(e) Via Rail devra offrir un emploi de serveur/ sommelier à M. David Foreman, à condition qu’il puisse satisfaire aux normes d’acuité visuelle actuellement en vigueur à l’égard des ré- examens et des promotions.

Edmonton, Alberta, le 9 avril 1980

La version originale anglaise a été signée par F. D. Jones, c. r. Président

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