Tribunal canadien des droits de la personne

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LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

TINA (HUBBERT) RADFORD

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

WORLDWAYS CANADA LTD.

l'intimée DÉCISION DU TRIBUNAL EN CE QUI CONCERNE LES DOMMAGES-INTÉRETS DANS LE CAS DE TINA (HUBBERT) RADFORD TRIBUNAL : Carl E. Fleck, c.r. - président Dudley Campbell - membre Judith Dohnberg - membre

ONT COMPARU :

René Duval Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE : Le 19 juillet 1991 Toronto (Ontario)

Renvoi : D.T. 1/91 5 avril 1991

TRADUCTION

La présente décision vient compléter la plainte déposée par la plaignante Tina (Hubbert) Radford. La décision rendue le 5 avril 1991 accueillait la plainte de discrimination qu'elle avait portée contre l'intimée Worldways Canada Ltd.

Il a été convenu, avec l'assentiment de tous les avocats présents à l'audience principale, que la question de la discrimination serait tranchée avant celle des dommages-intérêts. Le tribunal a siégé une nouvelle fois le 19 juillet 1991 afin d'examiner la question des dommages- intérêts qui devraient être accordés à la plaignante Tina (Hubbert) Radford.

Avant d'aborder cette question, il convient de rappeler certains événements qui se sont produits après le prononcé de la décision sur la question de la discrimination, le 5 avril 1991. Il semble que l'intimée Worldways Canada Ltd a mis fin au mandat de son avocat, Me Pollock. Le 15 juillet 1991, le cabinet Ogilvy, Renault a fait parvenir à la Commission canadienne des droits de la personne (appelée ci-après C.C.D.P.) une lettre dans laquelle il indiquait qu'il représenterait désormais l'intimée Worldways Canada Ltd. La lettre portait en outre que l'avocat de ce cabinet ne comparaîtrait pas à la date fixée pour l'audience, soit le 19 juillet 1991.

Le tribunal, par l'intermédiaire du bureau du registraire, a informé l'avocat que la plainte avait été portée il y avait environ cinq ans et que depuis, plusieurs ajournements avaient été accordés à la demande de l'intimée et qu'il avait fait droit à une demande de scinder en deux la décision sur la plainte de sorte qu'elle porte d'une part sur la discrimination et de l'autre sur les dommages-intérêts. Toutes ces demandes ont été accueillies et, en tout temps, le tribunal a tenté de satisfaire aux demandes de l'intimée. Il semble que le mandat de M. Pollock a été révoqué en avril et il a fallu environ trois mois avant qu'on ne se décide à informer le tribunal du changement d'avocat.

La lettre que Worldways a fait parvenir au tribunal par l'intermédiaire du cabinet Ogilvy-Renault indique dans un paragraphe final que la question des dommages-intérêts serait de toute manière théorique, Worldways ayant cessé ses activités le 11 octobre 1990.

Des témoins ont été cités à l'audience du 19 juillet 1991 et le tribunal a entendu M. Peter Douglas, représentant national du Syndicat canadien de la fonction publique. Ce dernier a déclaré en ce qui concerne les activités de Worldways que le syndicat avait négocié un contrat à court terme avec cette compagnie pour la poursuite de ses activités pendant le reste de l'année 1991 et pendant une partie de l'année 1992. Il a décrit la nature de ses négociations avec Worldways qui, a-t-il souligné, ont été menées par l'intermédiaire du cabinet Ogilvy-Renault qui représentait la compagnie. Il a déclaré dans son témoignage que les négociations se sont déroulées à la condition qu'il y aurait revitalisation de la compagnie aérienne et non cessation de ses activités. Il a souligné qu'une fois la restructuration de la compagnie effectuée, M. D. Donald Bunker deviendrait président du conseil d'administration. M. Bunker est avocat principal chez Ogilvy-Renault.

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La plaignante Tina (Hubbert) Radford a déclaré dans son témoignage qu'à l'époque où elle avait présenté sa demande d'emploi à la compagnie Worldways en juin 1985, elle travaillait comme C.R.-2 temporaire pour le gouvernement provincial. Elle était alors célibataire et vivait seule, et elle croyait qu'une carrière au sein de la compagnie intimée constituerait un défi excitant ainsi qu'un moyen de voyager un peu partout dans le monde. Elle a déclaré dans sa déposition qu'elle avait terminé sa treizième année et qu'elle était en bonne santé. Après avoir terminé son cours secondaire, elle a occupé divers emplois de bureau.

Elle a exposé en détail ce qui s'était passé au moment de son entrevue avec l'intimée. Elle se rappelle avoir attendu avec plusieurs autres personnes dans les locaux de l'intimée. L'entrevue a eu lieu environ une semaine après qu'elle eut présenté sa demande d'emploi à l'intimée en juin 1985. Une employée de l'intimée a mené l'entrevue; elle a indiqué à la plaignante au milieu de l'entrevue qu'elle mettait fin à celle-ci parce qu'elle ne remplissait pas les exigences en matière d'acuité visuelle.

La plaignante indique que, par suite de ce traitement, elle était très fâchée et découragée.

La plaignante a indiqué dans son témoignage les emplois qu'elle a occupés après l'entrevue de juin 1985. En outre, elle a versé en preuve ses divers feuillets T-4 pour les années 1985 jusqu'à aujourd'hui. Depuis l'entrevue de 1985, la plaignante s'est mariée et elle a eu des enfants. Il convient de signaler que l'assurance-maladie et les prestations d'hospitalisation et, ce qui est plus important, le congé de maternité offerts par la compagnie intimée revêtaient un attrait particulier pour la plaignante. Il ressort d'un examen des pièces produites que ses revenus ont été les suivants :

  1. 1985 3 279,00 $;
  2. 1986 18 539,02 $;
  3. 1987 21 939,00 $;
  4. 1988 27 765,00 $;

    TOTAL 71 522,02 $

La plaignante a déclaré dans son témoignage que son dernier employeur n'offrait pas de congé de maternité payé ni de travail à temps partiel. Il semble qu'elle ait abordé avec son employeur Intercity Paper la question d'un emploi à temps partiel après son retour au travail en octobre par suite de son congé de maternité. Il n'y avait à ce moment aucun emploi à temps partiel disponible dans la compagnie.

En 1989 et 1990, elle s'est occupée de sa famille bien qu'elle ait présenté des demandes d'emploi temporaire par l'intermédiaire d'une agence de placement.

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La plaignante a déclaré qu'elle demandait au tribunal de rendre une ordonnance prévoyant qu'on devrait lui accorder le prochain poste d'agent de bord disponible avec l'ancienneté liée au poste qui lui avait été refusé par suite de l'entrevue du mois de juin 1985. En outre, elle sollicite des dommages-intérêts pour préjudice moral ainsi que des dommages-intérêts pour la perte des avantages dont elle aurait bénéficié si elle avait travaillé pour l'intimée.

L'avocat de la C.C.D.P. a fait comparaître un représentant du S.C.F.P. (Division du transport aérien), M. Peter Douglas, afin qu'il explique la nature de la structure des salaires et les avantages sociaux des employés de l'intimée. M. Douglas est un représentant principal, celui-ci ayant travaillé environ dix-sept ans au sein de la division du transport aérien du S.C.F.P. qui représente pratiquement tous les agents de bord au Canada. Il connaissait bien les diverses conventions collectives négociées depuis 1984 jusqu'à aujourd'hui ainsi que la structure salariale et l'ensemble des avantages sociaux en découlant. Il a témoigné au sujet de ces conventions qui ont été versées en preuve. Il avait participé aux négociations ayant mené à la conclusion de la plupart de ces conventions.

M. Douglas a déclaré dans son témoignage que le salaire d'un agent de bord est calculé en fonction du nombre d'heures de vol. La convention collective prévoit une garantie minimale de soixante-cinq heures de vol par mois. M. Douglas a estimé que la moyenne d'heures de vol d'un agent de bord de Worldways était de soixante-quinze heures par mois sur une période d'un an. A la demande de l'avocat de la C.C.D.P., M. Douglas a fait des calculs qui ont servi à déterminer la perte de salaire globale de la plaignante. Ces calculs ont été produits comme pièce HR-18 intitulée [TRADUCTION] Calculs du salaire de Tina Radford.

Pour effectuer ces calculs, M. Douglas a présumé que la plaignante avait commencé à travailler pour l'intimée en juin 1985 et qu'elle avait ensuite reçu les augmentations de salaire auxquelles elle aurait eu droit si elle avait travaillé à compter de cette date jusqu'à aujourd'hui. Il a ajouté dans son témoignage qu'étant donné l'ancienneté qu'elle aurait acquise, la plaignante aurait vraisemblablement travaillé jusqu'à aujourd'hui malgré les difficultés financières provisoires de l'intimée.

En ce qui concerne les dispositions relatives au congé de maternité, M. Douglas a déclaré que les conventions prévoyaient une période de congé de dix-sept semaines ainsi qu'un congé de vingt-quatre semaines pour soins des enfants. Il a ajouté que de nombreux agents de bord ont des enfants et qu'ils continuent à voler et à élever leurs jeunes enfants. Il a ajouté qu'il était possible pour les agents de bord de travailler à temps plein et à temps partiel en choisissant leurs heures de vol. Comme la plaignante aurait eu de l'ancienneté, il lui aurait été possible de fixer son horaire de vol en fonction des arrangements pris pour la garde de ses enfants. M. Douglas a également indiqué dans son témoignage que la grossesse n'empêchait pas les agents de bord féminins de voler.

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M. Douglas a expliqué les avantages médicaux offerts, notamment une assurance soins dentaires, une assurance médicaments et une assurance- maladie complémentaire. En outre, il existe une assurance sur la vie, une assurance pour mort accidentelle, une indemnité en cas de mutilation et une assurance voyage. Un avantage important pour les agents de bord est le laissez-passer qui permet à un employé de voyager sans que cela ne lui coûte quoi que ce soit sur tout vol de Worldways vers n'importe quelle destination et ce, en fonction des places disponibles. Il existe également un accord entre les compagnies aériennes qui permet à un agent de bord d'obtenir un tarif réduit d'un autre transporteur aérien.

Disons pour insister que M. Douglas a souligné que l'ancienneté était la chose la plus importante que possédait un agent de bord.

M. Douglas a abordé dans son témoignage les possibilités d'avancement au sein de la structure d'emploi de l'intimée. Il a déclaré que l'avancement se fait de façon progressive, du poste d'agent de bord à celui de directeur du service en vol. Ce poste est maintenant désigné par l'expression coordinateur du service en vol, poste qui, au sein de l'unité de négociation, permet de recevoir une prime de salaire. Il a dit que la plaignante aurait eu d'excellentes chances de présenter sa candidature à ce poste.

Après avoir entendu tous les témoignages sur la question des dommages-intérêts ainsi que les arguments de l'avocat de la C.C.D.P., le tribunal conclut qu'il y a lieu de rendre la décision suivante en ce qui concerne la plaignante :

  1. Le tribunal ordonne que le prochain poste d'agent de bord disponible au sein de la compagnie intimée Worldways Canada Ltd. soit accordé à la plaignante et que cette offre d'emploi comporte l'ancienneté que la plaignante aurait acquise si on ne lui avait pas au départ refusé ce poste.
  2. Le tribunal ordonne qu'une somme de 120 619,43 $ moins 72 522,02 $, cette dernière somme représentant les revenus qu'elle a gagnés depuis juin 1985, soit versée à la plaignante à titre de salaires perdus. L'indemnité nette accordée pour les pertes de salaire est de 49,097,41 $.
  3. Le tribunal ordonne qu'une somme de 10 000 $ soit versée à la plaignante à titre d'indemnité pour la perte d'avantages sociaux, notamment des avantages médicaux, dentaires et pharmaceutiques, ainsi que pour la perte de prestations de congé de maternité et de laissez-passer.
  4. Le tribunal ordonne qu'une somme de 1 000 $ soit versée à la plaignante pour le préjudice moral subi.
  5. Le tribunal ordonne qu'un intérêt fixé au taux préférentiel à compter de la date du dépôt de la plainte, soit 13 % par année, soit versé à la plaignante sur les présentes indemnités.

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FAIT, ce 26e jour de novembre 1991.

CARL E. FLECK, c.r. président

DUDLEY CAMPBELL, membre

JUDITH DOHNBERG, membre

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