Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE:

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MINISTRE DU PERSONNEL DU

GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST,

À TITRE D'EMPLOYEUR

l'intimé

DEUXIÈME DÉCISION SUR LES DOCUMENTS PRIVILÉGIÉS

Décision no 8

2000/12/29

MEMBRES INSTRUCTEURS:

Paul Groarke, président
Athanasios Hadjis, membre
Jacinthe Théberge, membre

[1] Nous sommes actuellement saisis de quatre questions différentes. Par souci de commodité, il nous semble logique de les examiner dans l'ordre chronologique.

I. Documents de novembre

[2] La première question a trait au réexamen des documents dont nous avons pris connaissance en novembre 1999, lorsque nous avons rendu notre première décision au sujet du privilège. Dans cette décision, nous avons accueilli la demande de privilège de la plaignante à l'égard d'un certain nombre de documents énumérés dans sa liste de documents privilégiés. Nous avons convenu de réexaminer ces documents afin de veiller à appliquer les mêmes normes et principes à tous les documents ayant fait l'objet d'une contestation par les parties.

[3] Il deviendra évident que rien ne justifie à notre avis la révision de notre décision initiale. Comme nous l'avons reconnu dans l'exposé de nos motifs le 23 novembre 1999, la nature et la portée des privilèges ont suscité une certaine controverse; toutefois, le point essentiel est que ces documents méritent d'être protégés en vertu des quatre critères Wigmore. La plaignante n'est pas tenue de les divulguer aux autres parties.

II. Documents pour lesquels le GTN-O a revendiqué l'immunité d'intérêt public

[4] La deuxième question a trait à l'ordonnance du juge MacKay rendue le 2 octobre 2000 qui traite des documents de niveau 5 de l'intimé, pour lesquels celui-ci a revendiqué l'immunité d'intérêt public. En résumé, le juge MacKay a parcouru les documents de niveau 5 ayant fait l'objet d'une contestation de la part de la plaignante et de la Commission et en a retranché les passages qui sont sujets à immunité. Il a demandé au Tribunal de se pencher sur toute autre demande de privilège présentée par l'intimé, avant de communiquer les documents à la plaignante et à la Commission.

[5] Nous avons reçu les documents le 17 octobre. Après les avoir examinés, nous avons informé les parties que nous désirions réserver notre décision à l'égard des demandes de privilège de l'intimé jusqu'à ce que nous ayons eu l'occasion de prendre connaissance du gros des documents ayant fait l'objet d'une contestation par toutes les parties. Nous avons examiné ces documents une deuxième fois, à la lumière de notre examen des autres documents qui nous ont été soumis.

[6] Le juge MacKay a rendu deux ordonnances subséquentes qui clarifient un certain nombre de points relatifs à l'ordonnance initiale et donnent accès à un certain nombre de passages supplémentaires. Nous avons, par conséquent, étendu notre examen des documents aux passages auxquels le juge MacKay a donné accès le 11 novembre, ainsi qu'au texte intégral du document 411, un rapport établi par M. Critelli, qui a été communiqué le 13 décembre.

[7] Nous n'entendons pas analyser séparément l'ensemble initial de documents de niveau 5; nos commentaires au sujet des autres documents que le gouvernement a en sa possession peuvent s'appliquer à l'ensemble des documents qui nous ont été soumis. Ayant pris connaissance des documents que nous a transmis le juge MacKay, et ayant examiné les facteurs qui entrent en jeu en l'occurrence, nous sommes d'avis que l'intimé n'est pas tenu de divulguer ces documents aux autres parties. Nous avons maintenant reçu un deuxième ensemble de documents de niveau 5, dont l'intimé a retranché des passages conformément à la décision antérieure du juge MacKay. Nous examinerons ces documents au cours de la nouvelle année.

III. Avis de motion du gouvernement

[8] La troisième question a trait à l'avis de motion modifié du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, qui a été déposé le 13 décembre (pièce R-93.1). Le gouvernement demande de rendre une ordonnance pour qu'un certain nombre de documents énumérés dans les listes de documents privilégiés de la plaignante puissent être divulgués aux autres parties. Ces documents sont énumérés à l'annexe A de l'avis de motion et dans une deuxième liste un addendum qui a été déposée à titre de pièce R-93.2. Cette deuxième liste a été modifiée au cours du plaidoyer oral de sorte que certains documents ne sont plus contestés.

[9] Dans son avis de motion, le gouvernement demande de rendre quatre ordonnances subsidiaires, sur lesquelles on s'est prononcé d'une façon ou de l'autre durant l'audience. Il reste donc la demande principale de l'intimé, qui vise à obtenir une ordonnance pour que la plaignante divulgue un certain nombre de documents mentionnés dans ses listes de documents privilégiés. Le 7 décembre, avant la dernière séance, la plaignante a remis au Tribunal, pour examen, des exemplaires des documents contestés. Autant que nous sachions, nous avons maintenant en main tous les documents ayant fait l'objet d'une contestation par le gouvernement; notre décision sur la présente motion mettra fin à un volet du processus de divulgation.

[10] Nous n'entendons pas nous livrer à une analyse approfondie du bien-fondé des demandes de privilège de la plaignante. Nous avons appliqué les mêmes principes dans l'examen de tous les documents qui nous ont été soumis, et nos observations subséquentes peuvent s'appliquer également aux documents que la plaignante et l'intimé ont en leur possession. Les documents de l'une ou l'autre partie qui font directement ou indirectement référence au plan Hay, lequel a succédé à l'étude conjointe sur la parité salariale, sont peut-être ceux qui sont les plus problématiques.

IV. Avis de motion de la plaignante

[11] L'avis de motion modifié de la plaignante, qui a été déposé le 13 décembre (pièce C-23), constitue la quatrième et dernière question. La plaignante a demandé deux ordonnances. L'une concerne les documents de niveau 4 figurant dans les listes de documents à divulguer de l'intimé, qui renferment des renseignements confidentiels provenant des dossiers du gouvernement relatifs au personnel. L'avocat de l'intimé a informé le Tribunal qu'il lui était impossible de produire ces documents, en raison des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information et sur la protection des renseignements personnels, LTN-O 1994, c. 20, sans une ordonnance du Tribunal. Étant donné qu'il ne s'opposait pas à une telle ordonnance et qu'il a en fait invité le Tribunal à l'octroyer, nous avons déjà statué que les documents doivent être divulgués.

[12] La plaignante demande également que soit rendue une ordonnance indiquant que les documents énumérés à l'annexe A de son avis de motion ne sont pas sujets à privilège et devraient être divulgués. L'annexe renferme une liste des documents contestés par la plaignante qui sont mentionnés dans la liste de documents privilégiés de l'intimé. Durant la dernière séance, l'intimé nous a fourni, pour examen, des exemplaires de la majeure partie des documents contestés. Il reste encore un certain nombre de documents en suspens, pour lesquels l'intimé revendique l'immunité d'intérêt public.

[13] Nous avons examiné les documents. Nous aimerions nous pencher dans les meilleurs délais sur ceux qui restent, car nous pourrons ainsi mettre un terme au processus de divulgation. Nous avons déjà informé les avocats que nous sommes disposés à examiner les cas d'exception, un à un, une fois le processus de divulgation terminé. Toute partie désireuse de présenter un document qui n'a pas été divulgué sera tenue d'expliquer pourquoi le document en question n'a pas été divulgué. Nous nous en remetttrons probablement dans ces cas-là aux principes ordinaires de l'équité et à l'application régulière de la loi.

[14] Les avocats conviendront certes que les circonstances de l'affaire dont nous sommes saisis semblent bien particulières. Vu le long délai qui s'est écoulé avant que la plainte soit soumise au Tribunal, nous avons permis aux parties de produire des éléments de preuve avant la fin du processus de divulgation. Afin que cela ne compromette pas l'équité du processus, nous avons informé les parties que nous accorderions à la plaignante et à la Commission au moins six semaines pour examiner les documents avant la clôture de leur preuve.

[15] Nous avons émis à d'autres occasions des commentaires au sujet de la quantité excessivement élevée de renseignements que les parties ont en main en l'occurrence. La présente affaire est vraiment exceptionnelle en ce qui concerne la procédure relative aux droits de la personne ou les poursuites civiles ordinaires. La majeure partie des renseignements ayant fait l'objet d'une contestation sont entre les mains du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, qui nous a fourni onze listes de documents ordinaires à divulguer et sept listes de documents pour lesquels il revendique un privilège ou une immunité. Cela s'ajoute aux six listes de documents déposées par les autres parties à cette instance.

[16] Il s'ensuit que nous sommes en présence d'une preuve documentaire surabondante. Nous reconnaissons qu'il est inévitable que certaines erreurs humaines se glissent dans un processus de divulgation aussi vaste. Nous avons donc tenté de faire montre de souplesse dans l'évaluation des documents. Notre principal objectif était d'assurer la transparence de l'audience, sans en étendre la portée aux questions étrangères ou objets de discorde auxquels les parties sont confrontées dans d'autres arènes. Nous avons tenté de voir les négociations collectives dans une optique générale et équitable et nous avons exercé une certaine latitude dans l'évaluation des diverses demandes de privilège dont nous sommes saisis.

[17] Nous reconnaissons que la jurisprudence contemporaine penche assurément en faveur de la divulgation. D'autre part, nous admettons qu'il est dans l'intérêt public d'assurer une certaine protection des relations de travail entre le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et sa fonction publique. À notre avis, l'intérêt public à cet égard englobe les relations internes du syndicat et du gouvernement. Il justifie donc une certaine protection des communications entre le Syndicat des travailleurs du Nord et l'Alliance de la fonction publique du Canada, ainsi que des communications entre cadres supérieurs du gouvernement. Nous ne voyons aucune raison de contraindre les parties à divulguer des documents qui ne feraient qu'attiser les tensions entre le syndicat et l'employeur ou qui procureraient à une partie un avantage imprévu dans les négociations futures.

[18] La divulgation vise à permettre de statuer de façon équitable sur les litiges entre les parties; il est généralement admis que le processus de divulgation ne devrait pas servir à des fins étrangères. La présomption d'engagement en droit civil repose sur cette prémisse. Cette règle veut qu'il soit implicitement entendu que les documents obtenus par voie de divulgation ne seront pas utilisés à d'autres fins. Le juge en chef adjoint Morden a expliqué la raison d'être de cette règle dans Goodman v. Rossi (1995) 25 O.R. (3d) 359 (C.A. Ont.). À la p. 367, il a affirmé :

… le principe est fondé sur la reconnaissance du droit général à la vie privée qu'un individu possède à l'égard de ses documents. Le processus de divulgation représente un empiétement sur ce droit par l'effet des procédures coercitives du tribunal. Le corollaire nécessaire est que cette intrusion devrait être permise à seule fin de veiller à ce que l'instance dans laquelle s'inscrit la divulgation soit juste.

Nous avons déjà reconnu que le même raisonnement s'applique aux procédures devant un tribunal des droits de la personne.

[19] La règle générale régissant l'examen de documents contestés a été établie par le juge Lowry dans G.W.L. Properties Ltd. v. W.R. Grace & Co. of Canada (1992) 10 C.P.C. (3d) 165 (C.S.C.-B.) (p. 172) :

La demande d'examen judiciaire ne doit jamais être faite à la légère et elle ne doit pas s'imposer naturellement. Les avocats ont une sérieuse responsabilité, car ils ne doivent recourir à ce genre d'intervention judiciaire que lorsque les circonstances dans lesquelles le privilège est revendiqué les y obligent. Toutefois, lorsqu'ils le font, la justice exige une évaluation indépendante de la part du tribunal.

[20] La nature contradictoire des relations entre les parties dans cette affaire a parfois été palpable lors de l'audience. On peut comprendre, par conséquent, que l'avocat de la partie adverse veuille qu'une partie neutre comme le Tribunal revoie certaines des décisions prises de part et d'autre.

[21] Bien qu'une partie ait toujours le loisir de renoncer à un privilège, la seule obligation de la plaignante et du gouvernement à ce moment-ci est d'informer les autres parties de la preuve à réfuter. Cette obligation ne se limite pas au stade préliminaire de l'audience et s'applique à des questions comme la rémunération, qui sont susceptibles de faire surface à des étapes ultérieures de l'instance. Si une partie revendique un privilège à l'égard de certains documents, elle ne sera pas autorisée à citer ces documents dans sa preuve, car on permettrait ainsi qu'elle prenne l'autre partie par surprise et on irait à l'encontre de l'objectif essentiel du processus de divulgation.

[22] Le rôle du Tribunal est d'exercer une surveillance et un contrôle sur le processus de divulgation, afin que l'audience soit équitable et se déroule efficacement. Nous reconnaissons que les avocats sont tenus d'exercer une certaine discrétion dans la divulgation des documents; dans la mesure où cette discrétion est exercée comme il se doit, nous sommes prêts à la respecter. Bien que la description d'un certain nombre de documents nous ait posé certaines difficultés, toute décision à savoir si un document particulier est privilégié est une question de jugement et nous ne voyons pas de raison de douter de la bonne foi des parties. Il nous semble important de préciser cela, ne serait-ce que pour dissiper les doutes des avocats des deux parties.

[23] Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a revendiqué un privilège de négociation collective et un privilège des communications liées à un litige à l'égard de la plupart des documents qui nous ont été soumis. Ces revendications sont conformes à celles présentées par le syndicat. Toutes les parties ont reconnu que nous devrions ériger une cloison pare-feu entre le présent litige et les relations de travail entre les parties en général. Bien que certains documents soient à cheval sur la ligne de démarcation entre les deux domaines, nous n'avons éprouvé aucune difficulté à déterminer l'objet particulier de chaque document.

[24] L'argument fondamental est que les parties ne devraient pas avoir à divulguer des documents internes décrivant la stratégie adoptée à l'égard des diverses facettes du différend portant sur la parité salariale. Voilà qui nous ramène à notre décision initiale, à savoir que les documents internes établis afin d'élaborer la stratégie des parties à l'égard des négociations collectives, de la procédure de règlement des plaintes et des discussions en vue d'un règlement dans le contexte de l'étude conjointe sur la parité salariale devraient être considérés comme privilégiés. Cette décision était fondée jusqu'à un certain point sur le consensus des trois parties, qui ont reconnu que la divulgation non nécessaire de documents internes pourrait nuire aux rapports permanents entre la plaignante et l'intimé.

[25] Il y a lieu de noter que nous avons affaire à des entités institutionnelles qui ont été bien représentées tout au cours de l'instance. Me Fine a présenté la position de la Commission dans son exposé écrit. Au paragraphe 37, il affirme :

La Commission admet que les documents établis par les parties à une convention collective qui traitent de la stratégie à utiliser dans les négociations qui avaient cours font l'objet d'une immunité relative reconnue.

Il semble exister entre les parties des divergences quant aux paramètres précis d'un telle immunité. La Commission plus particulièrement a exprimé certaines préoccupations quant à l'opportunité d'étendre cette immunité à la procédure des règlements des plaintes et aux discussions en vue d'un règlement. Toutefois, les distinctions entre ces documents sont minimes en ce qui touche la question fondamentale. C'est la nature des documents qui importe. Le Tribunal, à l'instar des parties, reconnaît que de sérieux motifs d'intérêt public militent en faveur de la protection des communications relatives à la stratégie adoptée par l'employeur ou par le syndicat dans un différend du travail.

[26] À notre avis, toutes les parties ont admis que la stratégie interne, particulièrement dans le contexte des négociations collectives, ne devrait pas être sujette à divulgation. De bonnes raisons justifient l'acceptation d'un tel consensus et nous ne voyons aucunement pourquoi nous modifierions notre décision initiale à ce moment-ci de l'audience. Nous sommes reconnaissants à Me Fine d'avoir exprimé les préoccupations de la Commission en ce qui concerne les répercussions de notre décision antérieure sur d'autres affaires. Cependant, nous ferons respectueusement remarquer aux avocats qu'il n'existe à notre avis aucune raison impérieuse de rouvrir le débat. Bien qu'il soit possible dans certaines circonstances de rouvrir le débat sur une question de droit sur laquelle les parties ne s'accordent pas, nous ne croyons pas qu'il serait opportun de songer à le faire, à moins que cela ne soit absolument nécessaire.

[27] La position que nous avons adoptée est conforme à la jurisprudence en matière civile. L'arrêt-clé semble être Fidelitas Shipping Co. v. V/O Exportchleb, [1965] 2 All E.R., dans lequel lord Diplock déclare à la p. 10 :

Lorsque la question tranchée n'est pas déterminante dans l'instance, la décision à l'égard de celle-ci constitue un jugement interlocutoire et la procédure suit son cours. Cependant, point n'est besoin selon moi de citer des sources pour démontrer aux parties qu'elles sont liées par la décision en question. Elles ne peuvent subséquemment présenter dans la même instance des arguments ou d'autres éléments de preuve pour prouver que la décision était erronée. Le seul recours est d'en appeler…

Les tribunaux canadiens ont suivi cette pratique, particulièrement dans Toronto-Dominion Bank v. Leigh Investments (1997) 35 O.R. (3d) (Div. gén., Cour de l'Ontario) (p. 276) et dans Diamond v. Western Realty Co., [1924] R.C.S. 308, [1924] 2 D.L.R. 922.

[28] Me Allen a soutenu que nous devrions accorder une immunité relative aux documents de stratégie internes. Il s'agit là peut-être d'une question de sémantique puisqu'il faudrait encore énoncer les principes généraux permettant de déterminer dans quels cas un tel privilège s'appliquerait. Nous reconnaissons néanmoins la position essentielle de la plaignante, à savoir que les documents qui répondent aux quatre critères Wigmore devraient être protégés. Selon ces critères, les communications en question doivent avoir été transmises confidentiellement avec l'assurance qu'elles ne seraient pas divulguées. Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien des rapports entre les parties. Il doit être évident, en outre, que les rapports doivent être de la nature de ceux qui doivent être entretenus assidûment. Enfin, le préjudice que subiraient les rapports doit être plus considérable que les avantages qui résulteraient de la divulgation.

[29] L'approche que nous avons adoptée est conforme au droit contemporain, qui veut que les décisions en matière de divulgation tiennent compte des besoins propres à chaque cas. Me Karayannides a soutenu que la présente instance est régie par les faits qui l'entourent, lesquels permettent d'établir que les rapports entre le syndicat et l'employeur au cours de la majeure partie de la période pertinente étaient essentiellement de nature contradictoire. Il s'ensuit que l'une et l'autre a agi comme un adversaire cherchant un avantage tactique qui l'aiderait lors du prochain affrontement. Cela s'applique autant aux négociations collectives qu'à la procédure de règlement des plaintes ou à l'étude conjointe sur la parité salariale.

[30] Cela soulève les préoccupations qui ont traditionnellement surgi en ce qui concerne les documents établis en prévision d'un litige. Ces préoccupations découlent de l'opinion voulant que chaque partie au litige ait droit à une certaine protection des renseignements qui la concernent, pour consulter ses avocats et élaborer sa stratégie. Cela favorise l'efficacité de la procédure et de l'ensemble du système juridique. L'intimé a fait valoir à juste titre que cette protection est garante de l'équité des procédures judiciaires. L'un des principes fondamentaux de notre droit est que chaque partie à un litige a droit de consulter un avocat et de discuter avec ses conseillers de la conduite à adopter dans une instance.

[31] Dans notre décision antérieure, nous avons reconnu qu'il est possible de distinguer les divers litiges distincts qui s'inscrivent dans le différend en matière de parité salariale et qu'il existe au moins trois processus différents qui peuvent être qualifiés de litige. Le premier est celui de la négociation collective, que toutes les parties nous ont demandé de protéger. Le deuxième réside dans la procédure de règlement des plaintes aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le troisième se situe au niveau des discussions en vue d'un règlement qui ont eu lieu en marge de l'étude conjointe sur la parité salariale. À tout cela s'ajoute un autre problème : ces processus semblent se fondre en un seul, puis se fragmenter, au fil de l'évolution du différend.

[32] En dépit de ces difficultés, nous sommes d'avis que, de façon générale, les documents parlent d'eux-mêmes. Nous n'avons éprouvé aucune difficulté à déterminer dans quels cas un document a été établi dans le contexte d'un débat contradictoire dans le but principalement de se préparer à un litige. La délimitation des paramètres précis d'un privilège est une question de jugement dans chaque cas, et c'est une erreur que d'établir des paramètres stricts pour déterminer à quels documents tel ou tel privilège s'applique. Quelle que soit la position que nous adoptions, il y a des avantages et des inconvénients pour les deux parties. Néanmoins, l'élément déterminant est le moment où les parties deviennent des adversaires juridiques conscients. Le fait que les rapports entre le syndicat et le gouvernement soient nettement de nature contradictoire vient compliquer la situation.

[33] Aux fins de l'examen des documents, nous avons donc appliqué le critère utilisé traditionnellement dans le cas des documents établis en prévision d'un litige. Nous avons ensuite examiné les privilèges propres à l'affaire qui satisfont aux critères Wigmore. Dans ce dernier cas, nous avons limité notre décision aux documents 1) qui sont strictement de nature interne; 2) qui sont surtout de nature stratégique. Les documents contestés sont essentiellement de nature privée, c'est-à-dire qu'il s'agit de documents qu'une partie n'établirait qu'en sachant qu'ils ne seraient pas portés à la connaissance de la partie adverse.

[34] Dans l'état actuel du droit, la principale question qu'il faut se poser en ce qui touche les documents établis en prévision d'un litige consiste à se demander s'ils ont surtout été préparés en vue du litige. Ainsi, dans Edgar v. Auld [2000] N.B.J. no 69 (C.A.N.B.) (par. 11), le juge Ryan fait sienne la position de la Cour d'appel de l'Ontario dans General Accident [Assurance v. Chrusz et al. [1999] O.J. no 3291, 45 O.R. (3d) 321] :

Tel qu'indiqué dans l'opinion majoritaire énoncée dans General Accident (par. 30), les cours d'appel de la Nouvelle-Écosse, de la Colombie-Britannique, de l'Alberta et du Nouveau-Brunswick ont adopté le critère de l'objectif principal -- voir McCaig and McCaig v. Trentowsky, (1983) 47 N.B.R. (2d) 71 (C.A.).

Bien que les faits entourant ces affaires diffèrent considérablement des faits en l'espèce, nous reconnaissons que le même principe s'applique au processus de divulgation.

[35] Il est évident qu'il faut s'interroger en l'occurrence sur deux questions de droit particulières. La première consiste à se demander ce qui devrait être considéré comme un litige aux fins de l'attribution du privilège des communications liées à un litige. Le deuxième point a trait aux rouages internes des institutions ou sociétés pour lesquelles des consultations ou discussions internes sont essentielles à la conduite de leurs affaires. On craint d'étendre l'application d'un privilège ou d'une mesure de protection à des communications qui ne relèvent pas de la relation d'avocat à client, qui a été à l'origine de l'attribution d'un privilège à l'égard des documents établis en prévision d'un litige.

[36] La seule source que nous connaissions sur ce premier point est Ed Miller Sales & Rentals Ltd. v. Caterpillar Tractor Co. (1988) 61 Alta. L.R. (2d) 319; toutefois, la Cour d'appel de l'Alberta a soutenu qu'une enquête menée en vertu de la Loi sur la concurrence constituait un litige aux fins de déterminer si l'on devait accorder à des documents de travail le privilège qui est habituellement attribué aux documents établis en prévision d'un litige. À la p. 326, le juge en chef Laycraft écrit :

Une fois que le directeur eût décidé que les sociétés Caterpillar feraient l'objet d'une enquête pour déterminer si elles étaient coupables d'infractions en vertu de la Loi, on était vraiment en présence d'un litige au plein sens du mot; il ne s'agissait plus d'un litige appréhendé.

Nous souscrivons à l'argument de Me Fine à savoir qu'il existe des différences considérables entre la procédure prévue par la Loi sur la concurrence et la procédure de règlement des plaintes aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[37] Cependant, cet élément n'est pas déterminant et ne nous empêche pas de faire nôtre la position de l'intimé selon laquelle les conséquences possibles de la présente plainte sont de la nature de celles qui justifient ordinairement l'attribution d'un privilège. Comme Me Karayannides l'a indiqué, en réponse à la Commission :

ME KARAYANNIDES : On nous a cité des montants d'argent. Même le moins élevé de ceux-ci représente une somme rondelette. Quant au plus élevé, il représente une somme faramineuse.

Il y a, d'une part, les conséquences politiques d'une décision défavorable et, d'autre part, les conséquences sur les relations de travail d'une décision défavorable; par conséquent, une décision défavorable risque de causer un préjudice, d'avoir de lourdes conséquences, pour reprendre la formulation utilisée dans la décision Ed Miller Sales. (10064; 3 ll.)

Il ressort clairement de la preuve que toutes les parties ont considéré le différend sur la parité salariale comme un litige très important, que ce soit du point de vue des négociations collectives ou de la procédure relative aux droits de la personne, ou encore de l'étude conjointe sur la parité salariale.

[38] Il s'ensuit que les parties ont droit à un privilège qui s'apparente à celui des communications liées à un litige pour ce qui est des documents qui ont été établis en vue de préparer une réplique à l'un des développements qui ont marqué l'évolution de l'affaire. Nous ne croyons pas que cela entravera l'exercice par la Commission des droits de la personne des pouvoirs d'enquête légitimes que lui confère la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le type de privilège que nous avons attribué aux documents qui nous ont été soumis ne s'applique qu'aux documents qui renferment des opinions ou renseignements qui ont été fournis expressément dans le but d'aider une partie à élaborer sa stratégie. Il ne s'applique pas aux documents administratifs ordinaires, qui confirment ou infirment une attitude discriminatoire.

[39] Tout avocat est conscient du fait que les documents de ce genre renferment souvent des énoncés qui peuvent être interprétés comme des aveux par les autres parties. À d'autres occasions, Me Allen a exprimé la crainte que certaines déclarations ou certains aveux puissent démontrer la mauvaise foi de l'intimé. Nous convenons cependant que le privilège ne protégera pas les documents qui constituent une preuve sérieuse ou substantielle de mauvaise foi. Il n'y a rien de cette nature dans les documents et le fait que l'auteur d'un document ait formulé une remarque fortuite ou présomptueuse ne suffit pas à annuler le privilège.

[40] Passons au deuxième point, soit la question à savoir si le privilège s'applique à d'autres documents que ceux établis afin de consulter un avocat. Un exemple simple permet d'illustrer le problème. Il est facile d'imaginer une réunion convoquée par l'employeur ou le syndicat pour discuter de la stratégie à adopter en cas de litige. La question qui se pose est la suivante : les documents ayant trait à ces discussions sont-ils privilégiés? Il ne fait aucun doute qu'ils sont assortis du privilège s'ils ont été établis en vue d'être examinés par un avocat. Toutefois, qu'en est-il des documents internes ou tout à fait préliminaires qui n'ont jamais été établis avec l'idée qu'un avocat en prendrait connaissance? Ces documents sont-ils assortis eux aussi d'un privilège?

[41] Bien qu'aucune loi ne nous ait été citée à cet égard, il est significatif que les parties aient convenu que les documents internes de ce genre devraient bénéficier d'une protection afin de ne pas être produits. Le syndicat a fait valoir que les dirigeants syndicaux jouent souvent un rôle similaire à celui des avocats et a soutenu que les juges ont reconnu l'existence d'un privilège analogue à celui des communications liées à un litige pour ce qui est de la procédure de règlement des griefs. Si les documents en question ont été établis principalement en vue de l'élaboration de la stratégie à adopter dans le litige subséquent, on peut donc présumer qu'ils devraient être privilégiés. C'est ici qu'entre en jeu le critère de l'objectif principal; il s'agit essentiellement de se demander si les documents ont été établis en vue de l'élaboration de la stratégie à adopter dans des rapports pourparlers subséquents avec la partie adverse.

[42] Il est évident que le seul fait que ces documents soient de nature interne ne suffira pas à empêcher leur divulgation. Il doit y avoir de bonnes raisons de protéger les relations entre les parties. Dans le cas qui nous occupe, ces raisons peuvent être soit les préoccupations d'intérêt public, qui militent en faveur de la protection de l'harmonie relative des relations entre le gouvernement et sa fonction publique, soit le besoin de préserver l'efficacité et l'équité du processus d'audience. Ni l'une ni l'autre de ces considérations n'élimine le besoin d'évaluer la valeur probatoire des documents qui nous sont soumis. Il est évident que les parties n'ont pas le droit de se servir des mesures de protection et privilèges qu'elles demandent pour dissimuler des communications préjudiciables qui risquent de nuire à leur cause. Cela irait à l'encontre de la raison d'être des privilèges en question, qui est de faciliter le processus judiciaire et non de l'entraver.

[43] Somme toute, notre obligation primordiale est d'assurer l'équité de la procédure. Cela soulève des considérations en matière d'équité, qui incitent à penser que nous devrions répondre aux besoins des parties lorsqu'il existe entre eux un consensus raisonnable. Toutes les parties ont exprimé une crainte légitime, à savoir que la divulgation complète des documents internes en leur possession pourrait nuire aux relations entre le syndicat et le gouvernement. Une telle divulgation pourrait également détourner la présente procédure de son objectif principal, qui est de déterminer si la structure salariale dans les Territoires du Nord-Ouest était discriminatoire et, le cas échéant, les conséquences découlant d'une telle conclusion. Il existe de nombreuses questions incidentes qui suscitent une contestation entre les parties mais qui ne regardent pas ce tribunal.

[44] Le principal point en ce qui touche les documents de l'intimé consistait à déterminer si les évaluations, données et rapports produits par l'employeur au moment où le plan Hay a été institué étaient sujets au privilège de négociation collective ou au privilège des communications liées à un litige. Il ne serait pas utile de décrire en détail ces documents, mais il y a peut-être lieu de préciser que l'employeur a préparé une série de rapports confidentiels visant à examiner les effets de l'évaluation des postes et du régime salarial sur les salaires existants. Cette question suscitait une certaine inquiétude, étant donné que les effets de la redistribution des emplois et des salaires sur la structure salariale en place n'avaient pas dans une large mesure été déterminés.

[45] Le mémoire du gouvernement semble soulever une question en ce qui touche le mérite relatif du plan Hay et du plan Willis, sur lequel a été fondée l'étude conjointe sur la parité salariale. Quoi qu'il en soit, nous reconnaissons que les documents qui nous ont été soumis ont été établis d'abord et avant tout aux fins des négociations collectives. Il ressort clairement de la preuve documentaire que l'employeur était résolu à ne pas dévoiler au syndicat la méthode suivie pour élaborer ces documents. Cela confère nettement aux documents un certain caractère stratégique qui les range carrément dans la catégorie de ceux qui sont assujettis au privilège de négociation collective et au privilège lié à la stratégie interne que nous avons convenu de reconnaître.

[46] Cela n'empêche pas les parties de soulever à l'audience des questions au sujet du plan Hay. L'une ou l'autre partie peut aborder l'efficacité et la validité des deux plans, dans la mesure où cela confirme ou infirme la présente plainte. Nous souscrivons essentiellement à l'argument des parties selon lequel cela soulève d'autres questions que le processus de négociation collective. Il est peut-être difficile de dissocier complètement les relations de travail entre les parties de la procédure de règlement des plaintes et des litiges à trancher à l'occasion de la présente audience. Il existe néanmoins des raisons impérieuses de respecter les vœux des parties et d'exclure du cadre de l'audience les questions touchant les négociations et l'application de la convention collective.

[47] Le droit contemporain reconnaît qu'il faut soupeser un certain nombre d'intérêts opposés pour déterminer ce qui est équitable dans un cas particulier. Il est important d'assurer un bon équilibre. En outre, il faut absolument tenir compte dans chaque cas des facteurs pratiques qui aident à déterminer l'importance que revêt tel ou tel document dans le cadre de l'audience. En l'occurrence, ces facteurs sont les suivants : date du document, date de la plainte, proximité des négociations collectives, rôle et identité de la personne ayant produit le document.

[48] L'examen du droit et des documents de l'intimé nous amène à conclure qu'il y a seulement deux documents (4618 et 4684) qui doivent être divulgués. Par conséquent, l'intimé voudra bien fournir sans tarder des exemplaires de ces documents aux autres parties. Il est à espérer que la présente décision aidera les avocats à déterminer si d'autres documents sont assortis d'un privilège. Nous examinerons les documents de niveau 5 restants et toute question accessoire relative à la divulgation lors de la reprise de l'audience. L'agent du greffe communiquera avec les avocats pour déterminer si les documents que le Tribunal a en sa possession devraient être retournés aux parties ou détruits.

Paul Groarke, Président

Jacinthe Théberge, Membre

Athanosios Hadjis, Membre

OTTAWA, Ontario

Le 29 décembre 2000

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DU TRIBUNAL: T470/1097

INTITULÉ DE LA CAUSE: Alliance de la fonction publique du Canada c. Ministre du Personnel du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, à titre d'employeur

LIEU DE L'AUDIENCE: Ottawa (Ontario) (les 12 et 13 décembre 2000)

DÉCISION DU TRIBUNAL EN DATE DÛ: le 29 décembre 2000

COMPARUTIONS:

Judith Allen au nom de l'Alliance de la fonction publique du Canada

Ian Fine au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

George Karayannides
Joy Noonan au nom du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest

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