Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 4/ 80 Décision rendue le 11 juillet 1980

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE LITIGE METTANT EN CAUSE:

EDWARD J. WHITE, plaignant, - et

SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS, PRÉSIDENT DU CONSEIL DU TRÉSOR, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE, défendeurs.

ONT COMPARU:

Russell Juriansz au nom du plaignant et de la Commission canadienne des droits de la personne,
Robert Cousineau au nom des défendeurs.

DEVANT:

William Tetley, juge du Tribunal des droits de la personne constitué en vertu de l’article 39 de la Loi.

> DÉCISION

M. Edward J. White, mécanicien de machines fixes à la retraite, de Fredericton (N.- B.), a déposé une plainte en vertu des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, (25- 26) Elizabeth II, 1976- 77, c. 33, contre le ministère des Travaux publics, le Conseil du Trésor et la Commission de la Fonction publique. La plainte déposée contre cette dernière a été retirée au début de l’audience avec l’assentiment de toutes les parties intéressées. L’Alliance de la fonction publique du Canada a été avisée de la tenue de l’audience.

Dans sa formule de plainte (pièce C- 2), M. White déclarait ce qui suit: On a refusé de me verser une indemnité de départ parce que je n’avais pas droit à une pension de retraite. De plus, il avait été victime, selon lui, d’une discrimination fondée sur l’âge. L’indemnité de départ qu’il ne devait pas recevoir s’élevait à $1,147.44, somme dont l’exactitude n’a pas été contestée.

Voici les faits. M. White a occupé le poste de mécanicien de machines fixes au ministère des Travaux publics du 25 décembre 1975 au 27 juillet 1979, date à laquelle il a été mis à la retraite d’office parce qu’il avait atteint 65 ans. Il avait alors accumulé trois ans et 33 jours de service ouvrant droit à pension.

> - 2 L’article 22.05 de la convention collective pertinente (pièce C- 5) stipule que l’employé qui, au moment de sa retraite, a droit à une pension de retraite à jouissance immédiate, ou l’employé qui atteint l’âge de cinquante- cinq (55) ans et qui a droit à une allocation annuelle immédiate en vertu de la Loi sur la pension de la Fonction publique, touche une indemnité de départ... dont le montant s’obtient selon un calcul donné.

L’article 11 de la Loi sur la pension de la Fonction publique stipule qu’un employé doit avoir à son crédit cinq années de service ouvrant droit à pension pour acquérir le droit de toucher une pension à jouissance immédiate; M. White n’ayant qu’à peine plus de trois années de service à son crédit, il en pouvait avoir droit à une indemnité de départ.

L’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne fait de l’âge un motif de distinction illicite, avec huit autres. L’article 7 stipule que constitue un acte discriminatoire le fait de défavoriser un employé, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite. Pour ce qui est de l’article 10, le plaignant ne l’a invoqué ni dans son exposé écrit ni lors de l’audience. La principale question soulevée par M. White est, par conséquent, de savoir si celui- ci n’a pas été jugé admis à toucher une indemnité de départ, ni n’a touché

> - 3 ladite indemnité, en raison d’une distinction fondée sur l’âge, interdite par la Loi.

Un certain nombre de questions fondamentales ont été soulevées lors de l’audience, et il convient d’en faire état immédiatement. La première est assez difficile à trancher et se rapporte à l’article 2 de la Loi, qui stipule ce qui suit: La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet... Le titre de la Loi contient également les mots compléter la législation canadienne actuelle. Cela signifie- t- il que la Loi s’applique uniquement à la législation actuelle, c’est- à- dire aux lois en vigueur au moment où elle a été adoptée, ou qu’elle s’applique également aux lois adoptées ultérieurement ? Les avocats des deux parties ont toutefois convenu, lors de l’audience, que les lois en cause étaient en vigueur lorsque la Loi canadienne sur les droits de la personne a pris effet; par conséquent, la question de lois adoptées ultérieurement n’est pas pertinente.

La question suivante est celle de savoir si l’intéressé s’est vu refuser une indemnité de départ avant la fin de son emploi, aux termes du paragraphe 7b) de la Loi. L’avocat des défendeurs a soutenu avec vigueur que la perte de l’indemnité de départ était survenue après la fin de l’emploi et, par conséquent, n’était pas interdite par la Loi.

> - 4 Pour répondre à cette question, on peut dire tout d’abord que plusieurs articles de la Loi canadienne sur les droits de la personne, en particulier les articles 14, 16 et 17, portent sur les droits acquis au moment de la cessation de l’emploi. Ces articles prévoient des exceptions spécifiques, en matière de régimes de pensions, pour ce qui est des actes discriminatoires qui sont interdits en vertu des articles 7 et 10. L’exclusion de l’indemnité de départ de la portée de la Loi, tout particulièrement dans un cas comme celui qui nous intéresse, où le droit d’un employé à une indemnité de départ est fonction de ses années de service ouvrant droit à pension, nécessiterait une interprétation restrictive de la Loi. Or, le libellé large de celle- ci ainsi que son objet, défini en termes généraux à l’article 2, donnent à conclure qu’une interprétation restrictive serait contraire aux intentions du législateur, comme le stipule d’ailleurs l’article 11 de la Loi de l’interprétation, S. R. C. 1970, c. I- 23, en vertu duquel tous les textes législatifs doivent s’interpréter d’une façon juste, large et libérale. Ce point de vue correspond à celui exprimé par l’ancien juge en chef adjoint Thurlow dans l’affaire opposant le Procureur général du Canada et Peter Cumming et al, compte rendu non publié, Cour fédérale du Canada, no du greffe T- 3578- 79, 31 juillet 1979, à la page 10, sur le sens du mot services tel qu’il figure à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne:

> - 5 Le libellé de la loi est large et tant par son objectif que par son but, la loi ne demande pas une interprétation stricte.

J’en conclus donc que la Loi canadienne sur les droits de la personne, en l’occurrence le paragraphe 7b) de celle- ci, embrasse la discrimination dans le versement d’une indemnité de départ.

Ces questions étant réglées, nous pouvons nous attaquer à la question principale, à savoir si la mise à la retraite de M. White et le refus de lui verser une indemnité de départ ont résulté d’une discrimination fondée sur l’âge, c’est- à- dire parce qu’il était âgé de 65 ans, ou d’une quelque autre raison.

L’avocat du plaignant a fait valoir que si celui- ci avait été licencié un jour avant son 65e anniversaire, il aurait eu droit à une indemnité de départ. Les licenciements et les mises à la retraite, a- t- il déclaré, sont décidées unilatéralement par les employeurs. L’exposé écrit était dépourvu d’ambiguïté à cet égard:

2.2 La mise à la retraite d’office et le licenciement sont des mesures que l’employeur prend unilatéralement pour mettre fin à un emploi.

> - 6 2.3 Si le Conseil du Trésor et le ministère des Travaux publics avaient mis fin à l’emploi du plaignant un jour plus tôt, celui- ci aurait été mis à toucher une indemnité de départ. Le jour où le plaignant a atteint ses 65 ans, l’employeur a substitué les mots mise à la retraite au mot licenciement et a refusé de verser une indemnité de départ à l’intéressé.

2.4 Le plaignant est d’avis qu’il s’est vu refuser une indemnité de départ parce que son emploi a pris fin lorsqu’il a atteint l’âge de 65 ans. Il ne se plaint pas d’avoir été soumis à la règle de la retraite obligatoire, ni de s’être vu refuser le droit à une pension de retraite.

3.2 Le plaignant et la Commission demanderont, primo, qu’il soit fait droit à la plainte déposée contre les défendeurs, et, secundo, que le plaignant touche l’indemnité de départ qu’il aurait reçue si les défendeurs avaient utilisé le mot licenciement pour décrire la cessation de son emploi.

L’avocat des défendeurs a soutenu que la différence entre les conditions ouvrant droit à une indemnité de départ à la suite d’un licenciement ou d’une mise à la retraite était définie dans une convention collective (pièce C- 6), entente conclue, après négociations, entre le gouvernement et l’Alliance de la fonction publique du Canada, qui représentait à ce titre M. White ainsi que d’autres employés.

> - 7 Deux représentants de l’Alliance de la fonction publique du Canada ont affirmé, dans leur témoignage, que sur environ 80 conventions collectives en vigueur dans la fonction publique, cinq contiennent des clauses prévoyant le versement d’une indemnité de départ lorsque la durée de l’emploi est inférieure à cinq années. Une clause de ce genre est incorporée à une convention collective si les membres du syndicat intéressé la requièrent ou la désirent. Les témoins ont décrit l’indemnité de départ comme étant une solution de remplacement à un congé, et ils ont avancé que l’indemnité de départ était autant justifiée dans des cas de mise à la retraite que dans des cas de licenciement. Cette opinion correspondait bien sûr à celle de l’avocat de M. White, qui avait demandé dans son exposé écrit que celui- ci touche l’indemnité de départ qu’il aurait reçue si les défendeurs avaient utilisé le mot licenciement pour décrire la cessation de son emploi.

Selon l’avocat du plaignant, les dispositions différentes qui figurent dans la convention collective en cause, pour ce qui est de l’indemnité de départ, en cas de licenciement et en cas de mise à la retraite, contreviennent à la Loi canadienne sur les droits de la personne, parce que discriminatoires. Il a soutenu en outre que ladite loi annule la convention collective et les lois en cause, et a cité pour étayer son argument les causes

> - 8 suivantes: Re Prince Rupert, Labour Arbitration Cases, volume no 19, pp. 308 à 321; McLeod and Egan, Dominion Law Reports, volume no 46 (3e série), p. 150; Re Board of Education (1975), Labour Arbitration Cases, volume no 9, p. 184; Dominion Law Reports, volume no 31 (3e série), p. 385.

La primauté de la Loi canadienne sur les droits de la personne, toutefois, est une question qu’il faut trancher uniquement lorsqu’il y a eu discrimination. Il s’agit, ici, de déterminer si M. White s’est vu refuser une indemnité de départ en raison d’une discrimination fondée sur l’âge. Il faut pour cela déterminer dans quelle mesure l’âge de M. White a conditionné son droit à une indemnité de départ. En raison de son âge, il s’est vu forcé de prendre sa retraite. Son exposé écrit précise qu’il ne conteste pas sa mise à la retraite proprement dite, ce qu’il ne pourrait d’ailleurs faire avec succès, puisque les paragraphes 14b) et 14c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne stipulent que ne constitue pas un acte discriminatoire le fait de mettre à la retraite une personne ayant atteint l’âge maximal prévu. Au moment de prendre sa retraite, l’employé doit répondre aux conditions énoncées dans la convention collective pour recevoir une indemnité de départ, conditions qui équivalent à celles qui ouvrent droit à une pension. Une personne a droit à une pension si elle remplit

> - 9 certaines conditions relatives à l’âge, ce qui était le cas de M. White, mais ces conditions sont également définies comme non discriminatoires au paragraphe 14d) de la Loi.

M. White n’a pas touché d’indemnité de départ parce qu’il comptait moins de cinq années de service ouvrant droit à pension et parce qu’il a été mis à la retraite alors qu’il était âgé de 65 ans, ce qui ne constitue pas en soi un acte discriminatoire. S’il était entré à la fonction publique deux ans plus tôt, ou s’il avait été licencié à l’âge de 64 ans et 364 jours, il aurait eu droit à l’indemnité de départ. Dans les deux cas, ce n’est pas l’âge qui est en cause, mais plutôt les années de service ou le fait d’avoir été licencié. De la même façon, lorsqu’un employé compte moins de cinq années de service au moment de prendre sa retraite, et qu’il n’est pas licencié, son âge ne constitue pas le facteur qui détermine le refus de lui verser une indemnité de départ.

Reste que le cas de M. White est très émouvant. Selon certains témoignages auxquels il n’a pas été fait objection, bien qu’ils eussent pu être rejetés comme non pertinents, M. White a travaillé à partir de 13 ans dans une usine textile de Fredericton (N.- B.), emploi qu’il a quitté à 61 ans parce que la situation financière précaire de l’entreprise lui faisait craindre pour l’avenir (il n’y avait pas de régime de pensions dans cette usine). Il a

> - 10 alors été embauché par le ministère des Travaux publics. Lorsqu’il quitta les Travaux publics quatre ans plus tard, il ne bénéficia ni d’une indemnité de départ ni d’une pension de retraite. Les représentants de l’Alliance de la fonction publique du Canada qui ont témoigné ainsi que le plaignant dans son exposé écrit ont souligné que si celui- ci avait été licencié un jour plus tôt, il aurait eu droit à une indemnité de départ, et ils ont soutenu qu’il aurait dû en être ainsi.

Le cas qui nous occupe soulève un dilemme important dans notre société, soit les besoins de l’individu par rapport au bien public; autrement dit, le traitement humain des individus par des fonctionnaires qui jouent également le rôle de gardiens de l’ensemble de la société.

La Loi canadienne sur les droits de la personne a pour objet de protéger les individus face à des mesures discriminatoires fondées sur neuf motifs, dont l’âge. Toutefois, de même que le ministère des Travaux publics aurait agi irrégulièrement s’il avait licencié M. White avec son assentiment, étant donné que cette façon de procéder n’est pas admissible sur le plan légal et enfreint l’esprit et la lettre d’une convention collective qui constitue une entente négociée entre la société et un groupe d’individus, de même ce tribunal ne serait pas fondé en droit à assimiler un licenciement à une mise à la retraite et à statuer qu’il

> - 11 y a eu discrimination fondée sur l’âge aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La Loi canadienne sur les droits de la personne a une utilité importante dans la société canadienne, car elle permet de rectifier les lois qui ont un caractère discriminatoire. Il ne siérait pas de compromettre son impact par des tentatives visant à redresser des anomalies au niveau individuel ou encore à régler des problèmes sociaux dont la discrimination n’est pas la cause, quel que soit le mérite du plaignant.

La plainte doit par conséquent être rejetée. Il ne me reste qu’à exprimer ma reconnaissance à M. White et aux autres témoins pour le témoignage digne et sincère qu’ils ont rendu, ainsi qu’à remercier M. White d’avoir soumis son cas à la Commission. On me dit qu’il a été ou sera déchargé de ses frais de déplacement et autres indépendamment de la décision du tribunal. Je sais également gré à Maîtres Russell Juriansz et Robert Cousineau d’avoir évité tout affrontement sur des questions de procédure, afin de consacrer leurs énergies à la présentation d’une version claire des faits et d’une interprétation rationnelle de la Loi. Enfin, je remercie

>- - 12 M. Michael Glynn, de la Commission, qui a organisé l’audience avec rapidité et efficacité.

La plainte est rejetée. Motifs du jugement prononcés à Montréal, le 9 juillet 1980.

Le Président du tribunal, William Tetley, C.- R.

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