Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier no: T503/2098
Décision no: 3

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

R.S.C., 1985, c. H-6 (tel que modifié)

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

L'ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS DE TÉLÉPHONE
LE SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS,
DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER,
FEMMES-ACTION

Plaignants

et

La COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

et

BELL CANADA

Intimée


DÉCISION SUR LA REQUÊTE NO 5


TRIBUNAL:

J. Grant Sinclair, C.R. Président
Shirish Chotalia Membre instructeur
Pierre Deschamps Membre instructeur

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

LES FAITS

Le Projet mixte relatif à l'équité salariale

La clause de confidentialité - Article 2.4 du Mandat

Les plaintes, la Commission et l'étude mixte

L'étude mixte et l'évaluation des emplois/plaintes reliées aux emplois

Conclusion - La confidentialité des documents de l'étude mixte - Étape préalable à la médiation

La confidentialité et la médiation

Les événements menant à l'Entente de médiation

L'Entente de médiation

Le rapport d'enquête préliminaire et le rapport final

Conclusion sur la confidentialité à l'étape de la médiation

Conclusion sur l'article 47(3) de la Loi

Conclusion finale

I. INTRODUCTION

La présente est une requête datée du 5 août 1999 déposée par Bell Canada demandant au Tribunal de déclarer certains documents (les documents en litige) et toute preuve orale à l'appui de ces documents comme n'étant pas admissibles en preuve lors de l'audition de sept plaintes déférées au présent Tribunal par la Commission canadienne des droits de la personne.(1) Les plaintes, qui allèguent une violation de l'article 11 de la Loi canadienne des droits de la personne, ont été déposées par l'Association canadienne des employés de téléphone, le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier et Femmes-Action au nom des employées de Bell qui sont membres de ces syndicats.

II. LES FAITS

Le Projet mixte relatif à l'équité salariale

À la fin des années 1980, deux comités bipartites ont été établis au sein de Bell, soit Bell et l'ACET, et Bell et le SCEP (anciennement le STC) dont la mission était d'identifier les façons appropriées d'examiner la valeur relative des emplois chez Bell. À cette époque, André Beaudet était responsable des questions relatives à l'équité salariale chez Bell, Linda Wu l'était pour l'ACET et Patricia Blackstaffe pour le SCEP. Pour un certain nombre de raisons, le processus bipartite n'était pas efficace et a pris fin en 1990.

Au début de 1991, pour faire suite aux efforts déployés par Michèle Boyer, directrice de l'équité

salariale chez Bell (qui avait remplacé André Beaudet), pour remettre en marche le processus, Bell, l'ACET et le SCEP se sont entendus pour établir un processus tripartite. Cette entente a pris forme sous le nom de Mandat à l'égard d'un projet relatif à l'équité salariale, datée du 26 avril 1991 (étude mixte). Cette étude mixte visait à évaluer l'équité des systèmes de rémunération quant au travail effectué dans les catégories à prédominance féminine des unités de négociation représentées par l'ACET et par le STC, conformément au chapitre H-6, article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les résultats de l'étude mixte devaient être remis aux comités de négociation des parties respectives à des fins de négociation collective par les quatre unités de Bell.

Le mandat a établi un comité mixte formé de douze membres, quatre provenant de Bell, quatre de l'ACET et quatre du SCEP. Le comité mixte avait trois coprésidents, un représentant chaque partie, qui formaient le sous-comité. Le sous-comité devait faire des recommandations au comité mixte quant à la portée et la structure de l'étude mixte.

Le mandat a également mis sur pied un comité d'évaluation de l'emploi, qui se composait d'un maximum de douze employés de Bell qui n'étaient pas membres du comité mixte. La fonction de ce comité était d'évaluer les 98 postes repères qui avaient été sélectionnés comme étant représentatifs des emplois au sein de l'unité de négociation.

Michèle Boyer a été la coprésidente au nom de Bell de 1991 à 1993, date à laquelle

Louise Belle-Isle lui a succédé à ce titre. Linda Wu et Patricia Blackstaffe ont été les coprésidentes de l'ACET et du SCEP au cours de l'étude mixte.

Il est important de noter que trois personnes ont témoigné relativement à la présente requête portant sur le processus relatif à l'étude mixte, André Beaudet, Linda Wu et Paul Durber, directeur de l'équité salariale pour la Commission de 1989 à 1998. Selon son témoignage, M. Beaudet était un membre du comité mixte, mais travaillait essentiellement à l'écart durant l'étude mixte. Il n'a pas assisté aux réunions ni participé directement aux discussions, aux appels de téléconférence ou à la correspondance dont il est fait mention dans la preuve et qui constituent des éléments significatifs quant à l'issue de la présente requête. Des trois témoins, seule Linda Wu a pris part directement à tous ces aspects dès le début de l'étude mixte et au-delà. Paul Durber, directeur de l'équité salariale pour la Commission, était également présent ou a également participé à ces événements à partir du moment où la Commission est intervenue dans le processus. Ni Michèle Boyer ni Louise Belle-Isle n'ont été appelées par Bell pour témoigner.

La clause de confidentialité - Article 2.4 du Mandat

Les trois parties à l'étude mixte se sont montrées préoccupées quant à la sauvegarde de la nature délicate des renseignements produits ou partagés durant l'étude. Plus précisément, les trois parties étaient préoccupées par la divulgation des systèmes de notation par point et des classifications de postes individuels. Bell appréhendait l'utilisation de ces renseignements dans les griefs ; l'ACET ne voulait pas partager les renseignements qu'elle possédait sur ses salaires de peur que le SCEP n'encourage ses membres à monter aux barricades. Le SCEP quant à lui ne voulait pas divulguer les systèmes de notation individuelle par point relatifs aux emplois en raison des problèmes internes qui pouvaient survenir au sein du syndicat.

Ces préoccupations ont été traitées par les parties et ont fait l'objet de l'article 2.4 du mandat qui dispose :

2.4 Les renseignements obtenus dans le cadre du projet relatif à l'équité salariale ne sont utilisables qu'aux fins de la présente étude. Les parties conviennent de sauvegarder tout dossier confidentiel ou contenant des renseignements de nature délicate.

Le sous-comité a également accepté que les renseignements produits au cours de l'étude mixte puissent être communiqués ou divulgués une fois l'étude terminée avec le consentement unanime des trois coprésidents. Cette pratique a été respectée à la fois durant l'étude mixte et une fois que celle-ci fut complétée.

Selon M. Beaudet, les renseignements partagés, produits, discutés ou considérés au cours du processus de l'étude mixte étaient de nature délicate. Toutefois, de l'avis de Linda Wu, les parties n'avaient pas envisagé que tous les renseignements produits au cours de l'étude mixte étaient de nature délicate ou confidentiels. Par exemple, les renseignements relatifs aux emplois ou aux descriptions de postes étaient considérés de façon générale comme étant de l'information publique. Il en était de même des procès-verbaux des réunions du sous-comité. Les renseignements relatifs aux systèmes de notation par point et aux facteurs de pondération étaient de nature très délicate et devaient demeurer au sein de l'étude mixte, sous réserve du consentement des trois coprésidents à l'égard de leur divulgation. Sur cette question, nous acceptons le témoignage de Mme Wu. Cette dernière a pris part activement aux discussions menant à l'adoption du Mandat et a une connaissance personnelle, directe et contextuelle de tout le processus relatif à l'étude mixte.

Les plaintes, la Commission et l'étude mixte

En janvier 1990, des employés de Bell et des membres de l'ACET ont sur une base individuelle déposé des plaintes en vertu de l'article 11 de la Loi. Durant les années 1991 et 1992, l'ACET avait déposé des plaintes collectives à l'égard des emplois qui étaient occupés par les plaignants individuels qui étaient membres de l'ACET. Le but était d'assurer un traitement uniforme en matière de classification d'emplois. Toutes les plaintes se basaient sur une comparaison d'emploi à emploi, c.-à-d. qu'elles faisaient état de l'emploi faisant l'objet de la plainte et d'un facteur de comparaison.

Bien que l'étude mixte ait été établie à des fins de négociation collective, les trois parties à l'étude ont peu après décidé de faire intervenir la Commission. La raison en était que si la Commission faisait une enquête séparée, il y aurait peut-être de la confusion dans le milieu de travail si les résultats de la Commission étaient différents de ceux auxquels en seraient venus les membres de l'étude mixte. De plus, les parties voulaient que la Commission valide l'étude mixte de sorte que les résultats soient plus acceptables à la fois par la direction et par les employés de Bell.

Entre les mois de mai et juillet 1991, un certain nombre de réunions ont été tenues entre les représentants des parties et la Commission, y compris Michèle Boyer, Linda Wu et Paul Durber.

La Commission soutenait que si elle devait s'appuyer sur l'étude mixte, elle devait être persuadée que l'étude répondait au critère de l'article 11 de la Loi. La Commission voulait examiner les renseignements tels que les questionnaires, les rapports de progrès et les résultats des évaluations de postes. En aucun temps durant ces discussions il n'a été question que la Commission serait liée par le mandat.

Ces réunions ont mené à ce que les parties ont décrit comme étant l'Entente du mois d'août 1991 entre les parties à l'étude mixte et la Commission. L'Entente consiste en deux lettres, une datée du 2 août 1991, transmise par Michèle Boyer (et Patrick Hubbert, directeur, relations industrielles, chez Bell) à Paul Durber, avec des copies à Linda Wu et à Patricia Blackstaffe. La deuxième lettre, datée du 6 août est la réponse de Paul Durber à la lettre du 2 août 1991.

Aux termes de la lettre du 2 août 1991, les trois parties ont proposé que le système d'évaluation des postes que l'étude mixte tentait d'élaborer soit utilisé pour établir la valeur de l'emploi du plaignant et celle du facteur de comparaison qui faisaient l'objet de plaintes auprès de la Commission. À cette fin, la Commission devait recevoir, sur une base strictement confidentielle, des renseignements relativement au système d'évaluation des postes et à la valeur établie pour chaque emploi faisant l'objet des plaintes. L'enquête de la Commission sur ces plaintes ou toute autre plainte similaire mettant en cause des emplois de l'ACET et du SCEP devait être suspendue durant l'étude mixte.

Les emplois faisant l'objet de la plainte et les facteurs de comparaison auraient été soumis à une vérification, étape faisant partie de l'étude mixte s'il s'agissait de postes repères. S'ils n'étaient pas ainsi sélectionnés, ils auraient été soumis à une vérification séparée avec l'aide des renseignements produits par l'étude mixte. Lorsque la notation par point à l'égard des emplois faisant l'objet des plaintes aurait été déterminée, celle-ci aurait été fournie à la Commission et grâce à l'utilisation de ces renseignements, la Commission aurait déterminé la validité des plaintes.

Dans sa lettre du 6 août 1991, M. Durber n'a pas consenti à mettre en suspens l'enquête que menait la Commission sur les plaintes. Il n'a pas non plus répondu directement à la question de savoir si la Commission était en mesure de recevoir les renseignements sur une base strictement confidentielle, sinon de dire que des problèmes pourraient effectivement survenir sur la question de confidentialité. Il était persuadé, toutefois, que de tels problèmes pouvaient être résolus. Il a accepté la proposition voulant que l'étude soit utilisée par la Commission à des fins d'enquête.

Mme Wu apporte plus d'éclaircissements quant à la substance et au fonctionnement de l'Entente du mois d'août 1991. Selon son témoignage, que nous avons accepté, les coprésidents étaient d'accord avec la participation de la Commission, mais se disaient préoccupés par la divulgation par la Commission de renseignements relatifs à la notation par point à l'égard d'emplois qui leur incombaient. Les notations par point et les détails concernant l'évaluation des postes que l'étude mixte a fait ressortir auraient été remis à la Commission et utilisés à des fins d'enquête et d'évaluation des plaintes. La Commission n'aurait divulgué aucun de ces renseignements durant l'enquête. Mais si les plaintes n'avaient pas été résolues et avaient été renvoyées devant le Tribunal des droits de la personne, ces renseignements auraient été alors divulgués et rendus publics.

Le témoignage de Paul Durber confirme que les coprésidents étaient préoccupés quant à la non divulgation par la Commission des renseignements sur les systèmes de notation par point à l'égard des emplois. M. Durber a assuré aux coprésidents que la Commission ne divulguerait pas ces renseignements durant son enquête. Cependant, il a fait remarquer aux coprésidents qu'il ne pouvait pas offrir cette même garantie au-delà de l'étape de l'enquête.

La Commission a en effet participé au processus relatif à l'étude mixte. Le personnel de la Commission a pris part à sa mise à l'essai; la Commission a fait part de ses commentaires dans des questionnaires d'analyse portant sur les sous-facteurs relatifs aux postes; le personnel de la Commission a assisté à des séances où les questionnaires ont été pris en considération tout en prenant part à des groupes ciblés, à des séances de formation ainsi qu'à certaines réunions du comité de l'étude mixte et du comité de l'évaluation des postes. Le développement du programme d'évaluation a également été supervisé par la Commission.

L'étude mixte et l'évaluation des emplois/plaintes reliées aux emplois

L'étude mixte a été complétée en novembre 1992 et les résultats ont été consignés dans le Rapport final du comité mixte sur l'équité salariale, daté du 23 novembre 1992. Le 14 décembre 1992, les représentants des trois parties, y compris Linda Wu, Trish Blackstaffe et Michèle Boyer, et des représentants de la Commission, dont Paul Durber, se sont rencontrés au bureau de la Commission. Lors de cette rencontre, le rapport final de l'étude mixte était remis à la Commission ainsi que quatre classeurs à anneaux contenant des renseignements sur l'étude mixte relativement aux emplois occupés par les plaignants et aux facteurs de comparaison. Les renseignements comprenaient les résultats compilés tirés des questionnaires, des descriptions de postes et des exigences de formation, et de l'information sur les cotes d'évaluation à l'égard de chaque emploi. Toutefois, afin de pouvoir compléter sa vérification, la Commission a demandé des renseignements supplémentaires, notamment la possibilité d'avoir accès au schéma de pondération final de l'étude mixte. M. Durber a demandé ces renseignements auprès de Louise Belle-Isle en janvier 1993. Mme Belle-Isle a fourni ces renseignements en février 1993. Dans sa lettre explicative, elle a réitéré les préoccupations des coprésidents quant à la nécessité d'éviter la divulgation publique des facteurs de notation par point et a noté que les renseignements avaient été fournis sur une base confidentielle.

En effet, au 23 février 1993, la Commission avait reçu le rapport final de l'étude relative à l'équité salariale qui n'a pas servi à déterminer la validité des emplois/des plaintes relatives aux emplois.(2) Elle avait également reçu les cotes d'évaluation des emplois et les facteurs de pondération finals à l'égard des emplois faisant l'objet de plaintes et des facteurs de comparaison, tant les postes repères que ceux qui ne l'avaient pas été.

Conclusion - La confidentialité des documents de l'étude mixte - Étape préalable à la médiation

Bell a contesté l'admissibilité de 49 des 74 documents identifiés par la Commission comme étant les documents de l'étude mixte. Bell fait valoir que ces documents sont confidentiels entre les trois parties de l'étude mixte et la Commission, à la lumière de ces faits, est tenue à l'obligation de confidentialité.

Nous ne sommes pas d'avis que les renseignements produits ou partagés lors de l'étude mixte sont confidentiels. Il ressort clairement du témoignage de Linda Wu que les trois parties avaient des inquiétudes particulières quant à la divulgation de renseignements relatifs à l'évaluation des postes et les titulaires de ces postes à l'égard des emplois/plaintes reliées aux emplois. L'article 2.4 n'accorde pas aux renseignements produits lors de l'étude mixte un caractère de confidentialité. Selon cet article, les parties doivent assurer la sauvegarde de la nature délicate ou de la confidentialité des dossiers. Cette protection a été assurée grâce à la pratique des coprésidents voulant que la divulgation de renseignements confidentiels exige le consentement unanime de ceux-ci.

De toute évidence, les trois coprésidents n'ont pas estimé que l'article 2.4 du mandat offrait la protection requise lorsque des renseignements confidentiels étaient fournis à la Commission. Par conséquent, ils en sont venus à une entente avec celle-ci. Si la Commission est tenue par l'obligation de préserver la nature délicate des renseignements qu'on lui a fournis afin d'évaluer les plaintes, cette obligation découle sans aucun doute de l'Entente du mois d'août 1991.

Nous estimons qu'aux termes de l'Entente du mois d'août 1991, la Commission ne devait pas divulguer ou rendre public quelque renseignement que ce soit concernant la notation par point qui découle de l'étude mixte. Mais non seulement il y avait une restriction quant à la portée de cette obligation mais également quant à sa durée. La Commission a clairement indiqué qu'elle ne divulguerait pas ces renseignements durant son enquête à l'égard des plaintes, mais si les plaintes étaient portées devant les tribunaux, ils seraient rendus publics. En effet, dans ses plaidoiries, Bell concède que ces renseignements ne devaient pas être fournis à des employés sur une base individuelle non plus qu'il n'a été question de l'irrecevabilité de la preuve de ces renseignements devant un tribunal.

La confidentialité et la médiation

Les événements menant à l'Entente de médiation

Le rapport final portant sur l'équité salariale confirme qu'il y a eu disparité salariale entre les emplois à prédominance féminine et les emplois à prédominance masculine au sein de la main d'œuvre de Bell. Le rapport final fut remis aux comités de négociation de chaque partie et a été publié auprès de tous les employés. Ceux-ci ont été informés que ces écarts de salaire feraient l'objet de consultation et de négociation collective. Quant aux emplois/plaintes reliées aux emplois, la vérification de l'étude mixte n'a révélé aucun écart de salaire. Toutefois, lors de sa vérification au moyen des renseignements produits par l'étude mixte, la Commission a conclu que les emplois permettaient d'établir l'équivalence des fonctions et que seules certaines plaintes pouvaient prétendre à la disparité salariale.

Au cours de l'année 1993, Bell de même que les syndicats ont déployé tous les efforts pour abolir la disparité salariale. Cependant, la Commission, sous la pression des plaignants individuels, devait compléter son enquête et faire avancer le dossier.

À la fin de 1993 et au début de 1994, les relations étaient de toute évidence dans une impasse. Les négociations entre Bell et les syndicats n'avaient pas mené à un règlement sur la question de disparité salariale et Bell avait indiqué qu'il n'était pas de son intention de se soumettre à un plan de redressement, comme le lui avait demandé la Commission.

En janvier 1994, Femmes-Action et l'ACET ont déposé tous deux des plaintes systémiques ou non spécifiques en vertu de l'article 11 de la Loi. En mars 1994, l'ACET a déposé une plainte systémique et elle a transformé une plainte collective reliée à l'emploi en plainte systémique. L'ACET a déposé une autre plainte systémique en juin 1994(3). Les plaintes systémiques allèguent une violation de l'article 11 de la Loi d'après les résultats obtenus suite à l'étude mixte, mais ne font pas état d'emplois particuliers ou de facteurs de comparaison. À cette étape, il était clair pour Bell qu'elle ne faisait plus face à des plaintes reliées à des emplois particuliers mais qui faisaient plutôt référence à l'étude mixte, qui avait identifié un écart salarial. Selon Bell, il y a eu un revirement à la fois en ce qui concernait les plaintes auxquelles elle devait désormais faire face et sa relation avec la Commission. Comme les plaintes systémiques faisaient référence à l'étude mixte qui démontrait un écart salarial, Bell était vulnérable. De plus, les parties n'arrivaient pas à s'entendre quant à la méthodologie à être utilisée pour évaluer cet écart. Par conséquent, Bell a fait marche arrière et ne consentait plus à fournir à la Commission de renseignements supplémentaires qui avaient été produits par l'étude mixte.

L'Entente de médiation

Dans sa tentative de résoudre les plaintes restées en suspens, la Commission a proposé que les plaintes soient confiées aux soins d'un médiateur externe. Une réunion fut tenue le 16 mars 1994 afin de discuter des modalités du processus de médiation proposé. Paul Durber, les trois coprésidents ainsi que les autres représentants des parties ont assisté à cette réunion. Elle fut présidée par le médiateur proposé. Les modalités du processus ont fait l'objet de discussions lors de cette rencontre et ont été documentées par M. Durber. L' Entente de médiation intervenue entre les parties est décrite aux termes d'une lettre datée du 22 mars 1994 et envoyée par Paul Durber aux trois coprésidents; aux termes d'une lettre datée du 31 mars 1994, de Paul Durber à Louise Belle-Isle; et aux termes du paragraphe 14 du contrat intervenu entre la Commission et le médiateur, en date du 15 mars 1994.

Selon la lettre de M. Durber datée du 22 mars 1994, le processus devait se dérouler sous toutes réserves et les données obtenues de l'étude mixte devaient être examinées sur une base confidentielle. La Commission a reconnu la nécessité de protéger ces données et à ce titre, elle a consenti à ce que la pondération des 98 postes repères ne soit divulguée qu'à la Commission, au médiateur et aux trois parties, sous réserve du consentement des coprésidents. La Commission a également consenti à prendre position pour s'assurer que les données ainsi reçues ne seraient pas sujettes à la Loi sur l'accès à l'information. M. Durber a conclu que ces protections seraient assurées tout au long du processus de médiation et aux fins du rapport d'enquête.

La seule preuve portant sur l'Entente de médiation a été obtenue lors du témoignage de Linda Wu. À son avis, les obligations de confidentialité dont était tenue la Commission en vertu de l'Entente de médiation ne différaient en rien des obligations contractées en vertu de l'Entente du mois d'août 1991, à l'exception toutefois qu'elles s'appliquaient désormais aux plaintes systémiques. Les renseignements de nature délicate fournis aux fins du processus de médiation ne pouvaient pas être divulgués dans le rapport d'enquête. Si, toutefois, les plaintes étaient portées devant les tribunaux, les renseignements auraient été rendus publics.

Dans sa lettre du 31 mars 1994, M. Durber assurait à Louise Belle-Isle que le médiateur était lié par les ententes voulant que la confidentialité des données soit maintenue conformément à sa lettre du 22 mars. Le contrat entre la Commission et le médiateur est au même effet.

Aux termes de sa lettre du 5 avril 1994, Louise Belle-Isle faisait parvenir à la Commission le rapport technique du consultant préparé aux fins de l'étude mixte, et deux présentations par Nan Weiner, une à l'ACET et l'autre au SCEP; de l'information sur un poste y compris de l'information sur les titulaires de postes selon leur nombre et leur genre, les notations par point et la classification des 98 postes repères. Ces dernières données avaient été enregistrées sur disquette. La lettre du 5 avril 1994 était marquée du sceau confidentiel et sous toutes réserves et aux termes de celle-ci, Mme Belle-Isle demandait à ce que les renseignements soient traités de façon confidentielle et qu'ils ne soient pas divulgués en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Elle a également stipulé que les documents et les disquettes devaient être retournés chez Bell afin de compléter le processus de médiation. En effet, la Commission a retourné effectivement ces renseignements à Bell à ce moment. Les efforts de médiation ont été infructueux ce qui sonnait le glas du processus.

Le rapport d'enquête préliminaire et le rapport final

La Commission a préparé deux rapports d'enquête pertinents; le rapport préliminaire daté du 15 mai 1995 et le rapport final daté du 15 novembre 1995. Au paragraphe 105 du rapport préliminaire, l'enquêteur affirme que Bell avait consenti à divulguer les résultats détaillés de l'étude mixte à la condition que cette information ne soit utilisée qu'à des fins de médiation et la Commission s'est engagée par écrit à respecter ces modalités. L'enquêteur a conclu dans ce paragraphe que, bien que la Commission ait obtenu tous les résultats provenant de l'évaluation de postes pour les emplois faisant l'objet de l'étude, ces renseignements ne pouvaient pas être utilisés dans le rapport d'enquête. Cette position se retrouve également aux paragraphes 173 et 174 du rapport d'enquête final.

Au paragraphe 13 du rapport préliminaire, l'enquêteur affirme que le processus de médiation avait reçu la même protection que celle qui aurait été assurée lors d'un processus formel de conciliation et par conséquent, les renseignements partagés et produits durant ce processus ne pouvaient être divulgués durant l'enquête. Une fois de plus, cette position est également décrite au paragraphe 12 du rapport final d'enquête.

Conclusion sur la confidentialité à l'étape de la médiation

Bell a fait valoir que les circonstances entourant la médiation avaient changé de façon si substantielle qu'elle n'avait pas pu consentir aux mêmes modalités de divulgation que pour celles qui avaient fait l'objet de l'Entente du mois d'août 1991. Des plaintes systémiques d'une toute autre nature avaient été déposées en 1994. Bell s'opposait à ce que la Commission obtienne des renseignements supplémentaires produits lors de l'étude mixte. Lorsqu'elle ne s'y opposait pas, elle le faisait sous toutes réserves et demandait à ce que les données lui soient retournées. La Commission lui a donc retourné les données, contrairement à la pratique qui prévalait.

Bien que nous soyons sympathiques à l'argument de Bell voulant que les circonstances aient changé de façon significative de leur point de vue, en l'absence du témoignage de Louise Belle-Isle, nous acceptons le témoignage de Linda Wu selon lequel les modalités de l'Entente de médiation s'accordent avec les modalités de l'Entente du mois d'août 1991. Ainsi, les données ne seraient pas divulguées mais plutôt rendues publiques si l'affaire était portée devant les tribunaux.

Ce témoignage vient appuyer les modalités établies dans la lettre du 22 mars 1994 de Paul Durber selon lesquelles les protections continueraient de prévaloir durant le processus de médiation et à des fins de divulgation des données relativement au rapport d'enquête.

Conclusion sur l'article 47(3) de la Loi

Bell a fait valoir, en s'appuyant sur les paragraphes 12 et 13 des rapports d'enquête, que la médiation devrait être soumise aux dispositions concernant la conciliation en vertu de l'article 47(3) de la Loi.

L'article 47 de la Loi prévoit la nomination par la Commission d'un conciliateur à des fins d'en arriver à un règlement de la plainte. En vertu de cet article, les fonctions de conciliateur sont incompatibles avec la fonction d'enquêteur et les renseignements recueillis par le conciliateur sont confidentiels et ne peuvent être divulgués sans le consentement de la personne qui a fourni ces renseignements.

Aucun conciliateur n'a été formellement nommé en vertu de l'article 47 à des fins de régler les plaintes. À notre avis, les affirmations de l'enquêteur aux paragraphes 12 et 13 des rapports d'enquête ne peuvent transformer la médiation en un processus de conciliation en vertu de l'article 47 de façon à assurer à Bell la protection visée par le paragraphe 3 de cet article.

En fait, les conclusions auxquelles l'enquêteur est parvenu aux termes de ces paragraphes quant à la non divulgation dans les rapports d'enquête des données provenant de l'étude mixte font partie d'un thème qui est constant tout au long de la participation de la Commission à l'étude mixte. Ce thème voulant que l'obligation de confidentialité à laquelle est tenue la Commission ait une portée et une durée restreintes n'est pas allé au-delà de l'étape de l'enquête.

Dans leurs plaidoiries, les conseillers des parties ont fait référence à un certain nombre d'autorités que nous avons examinées et considérées dans le prononcé de notre jugement. Plusieurs de ces causes se distinguent des faits établis aux termes de la présente requête. Par surcroît, à la lumière des conclusions que nous avons tirées des faits quant aux limites imposées sur la Commission par l'obligation dont elle était tenue en vertu de l'Entente du mois d'août 1991 et de l'Entente de médiation, nous n'avons pas à nous étendre sur ces autorités.

Conclusion finale

Pour toutes les raisons invoquées ci-dessus, nous avons conclu que tous les documents en litige sont admissibles en preuve à l'audition des plaintes qui sont déférées au présent Tribunal.

DATÉE à Ottawa, en Ontario, ce 10e jour d'avril 2000.


J. GRANT SINCLAIR,
président

Shirish Chotalia,
membre instructeur

Pierre Deschamps,
membre instructeur

1. Il y a une certaine ambiguïté quant à savoir quels sont les documents en litige dont Bell réclame le privilège suite à l'entente de médiation intervenue. Dans sa plaidoirie, le conseiller de Bell a fait valoir que les documents cruciaux sont ceux que Bell identifie dans sa lettre du 5 avril 1994. M. Beaudet, lors de son témoignage, a identifié cinq des documents en litige comme ayant le privilège de la médiation. Le conseiller de Bell, en réponse à la demande d'éclaircissement du Tribunal, a identifié huit documents sur la liste des documents en litige, y compris les cinq énumérés par M. Beaudet. Notre examen du témoignage de M. Beaudet indique que les documents numérotés 32, 56, 64, 65, 66, 67 et 71 de la liste des documents en litige ont été fournis à la Commission par Bell à des fins de médiation.

2. 2 Le rapport final a identifié un écart salarial variant de 1,99 $/h à 5,45 $/h. Ces résultats ont été obtenus suite à une comparaison entre les hiérarchies et non entre les emplois.

3. 3La Commission a déféré sept plaintes au Tribunal. Cinq d'entre elles étaient des plaintes systémiques et deux d'entre elles étaient des plaintes collectives reliées aux emploi. Ces deux dernières, qui ont été déposées en 1991 et 1992 ont été modifées en plaintes systémiques mais celles-ci n'ont pas été déférées au Tribunal.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.