Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

L’ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS DE TÉLÉPHONE
LE SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS,
DE L’ÉNERGIE ET DU PAPIER,
FEMMES-ACTION

Plaignants

- et -

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

- et -

BELL CANADA

Intimée

REQUÊTE EN MODIFICATION DES PLAINTES X00344-X00372

Décision No 4

2000-08-31

TRIBUNAL :

J. Grant Sinclair, président

Shirish Chotalia, membre

Pierre Deschamps, membre

  1. La présente est une requête, datée du 22 août 2000, par la Commission canadienne des droits de la personne demandant au Tribunal d’ordonner la modification des plaintes X00344 et X00372 dont il a été saisi, selon la forme et le libellé des plaintes portant les numéros X00344 modifiée et X00372 modifiée.

I. LES CONCLUSIONS DE FAIT

  1. L’historique de ces plaintes est très long et complexe et on en retrouve une description exhaustive dans le rapport d’enquête de la Commission, dans la décision de la Cour fédérale d’appel et dans le témoignage de Linda Wu, une ancienne dirigeante de l’Association canadienne des employés de téléphone. Tous ces faits ont été déposés en preuve à l’égard de la présente requête. Nous ne ferons que reprendre les parties de cet historique qui sont nécessaires à la disposition de cette requête.
  2. Au début des années 1990, la Commission a été saisie d’un certain nombre de plaintes alléguant que Bell Canada avait agi de façon discriminatoire à l’égard des plaignants, en violation de l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ces plaintes réunissaient quatre groupes professionnels de commis et six groupes professionnels d’employés masculins identifiés comme étant des facteurs de comparaison d’emplois à prépondérance masculine de valeur égale. En tout, soixante-deux plaintes individuelles ont été déposées par soixante-quatorze employés.
  3. Les quatre groupes professionnels de commis faisant l’objet des plaintes individuelles étaient les commis 7, Répartition des travaux; les commis 7, Localisation des câbles; les commis 9, Approvisionnement en liaisons et les commis 6, Matériel au contrôle. Ces groupes faisaient partie de l’unité de négociation des commis et du personnel associé chez Bell, représentée par l’ACET.
  4. Outre les plaintes individuelles, l’ACET a déposé auprès de la Commission la plainte X00344 datée du 27 juin 1991; la plainte X00372 datée du 1er avril 1992 et la plainte X00417 datée du 22 octobre 1992. Les plaintes déposées par l’ACET étaient des plaintes collectives au nom de tous les commis faisant partie des groupes professionnels commis 7, Localisation des câbles; commis 7, Répartition des travaux et commis 9, Approvisionnement en liaisons. Ces plaintes identifiaient des facteurs de comparaison particuliers d’emplois à prépondérance masculine. L’ACET n’a pas déposé de plainte collective à l’égard du groupe de commis 6, Matériel au contrôle. Plutôt que de déposer 500 plaintes individuelles, l’ACET a choisi de déposer des plaintes collectives dans le but de couvrir tous les titulaires de postes au sein de ces trois groupes professionnels de commis (environ 500 employés).
  5. Au cours de la période couvrant le mois de novembre 1992 (date du rapport final du Projet mixte relatif à l’équité salariale [étude mixte]) et le mois de décembre 1993, il y eut un certain nombre de discussions et de négociations entre Bell, l’ACET et le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (qui avait exigé la présence des deux autres unités de négociation de Bell) visant à résoudre la situation de disparité salariale qu’avait identifiée le rapport final. Les parties n’ont pas été en mesure de régler le dossier de façon satisfaisante. En janvier et en février 1994, des discussions eurent lieu entre la Commission, l’ACET et les plaignants individuels portant sur le dépôt de nouvelles plaintes visant à utiliser les emplois à prépondérance masculine désignés à l’étude mixte sur l’équité salariale à titre de facteurs de comparaison plutôt que des facteurs de comparaison particuliers.
  6. La plupart des plaintes individuelles ont conservé le libellé des plaintes originales. Le 4 mars 1994, l’ACET a modifié ses trois plaintes collectives, X00344, X00372 et X00417. Les modifications consistaient à remplacer la mention de facteurs de comparaison particuliers par un renvoi aux emplois à prépondérance masculine de l’étude mixte. Le 11 mars 1994, la Commission informait Bell que l’ACET avait déposé ces modifications.
  7. Le 4 mars 1994, l’ACET a déposé une plainte systémiqueauprès de la Commission, la plainte X00460, alléguant que Bell avait agi de façon discriminatoire à l’égard de chaque groupe professionnel de commis à prépondérance féminine en versant, à l’égard de ces emplois, un salaire moindre qu’à l’égard des emplois à prépondérance masculine de valeur égale désignés à l’étude mixte, violant ainsi l’article 11 de la Loi. Cette plainte couvrait environ 17 000 titulaires de postes.
  8. Cette plainte venait à la suite de semblables plaintes systémiques que le SCEP et Femmes-Action avaient déposées antérieurement auprès de la Commission. La plainte X00456 du SCEP, datée du 31 janvier 1994, allègue que Bell a commis des actes discriminatoires à l’égard du groupe à prédominance féminine de l’unité de négociation des services des téléphonistes et salle à manger et de l’unité de négociation des techniciens et des employés auxiliaires, en versant une rémunération moindre que pour les emplois à prépondérance masculine de valeur égale, comme le démontre l’étude mixte, en violation de l’article 11 de la Loi.
  9. La plainte X00455 déposée par Femmes-Action couvre un groupe d’employés des unités de négociation des services des téléphonistes, salle à manger et nettoyeurs de locaux (environ 1 050 individus) alléguant que Bell avait agi de façon discriminatoire à l’égard de ces emplois, comparativement aux emplois à prépondérance masculine de valeur égale désignés à l’étude mixte, violant ainsi les articles 10, 11 et 53 de la Loi.
  10. Le 21 juin 1994, l’ACET a déposé une autre plainte systémique, la plainte X00469, auprès de la Commission, au nom du groupe professionnel à prépondérance féminine formé des employés associés au service des ventes. Cette plainte alléguait que Bell avait commis des actes discriminatoires en versant une rémunération moins élevée que pour les emplois à prépondérance masculine de valeur égale, comme l’a démontré l’étude mixte, contrairement aux dispositions de l’article 11 de la Loi.
  11. Le 15 novembre 1995, Paul Durber, directeur de l’équité salariale pour la Commission, a écrit à André Beaudet, directeur de l’évaluation des postes chez Bell, en y joignant le rapport d’enquête révisé de la Commission, tout en l’informant que ce rapport serait soumis aux commissaires afin que ceux-ci puissent rendre une décision à cet égard lors de leur réunion du mois de février 1996.
  12. Ce rapport d’enquête révisé faisait référence aux plaintes individuelles, aux trois plaintes collectives de l’ACET en soulignant que l’ACET avait modifié ces plaintes et aux quatre plaintes systémiques déposées par l’ACET, le SCEP et Femmes-Action.
  13. Ce rapport d’enquête révisé contenait un certain nombre de propositions de solutions par la Commission, y compris une proposition selon laquelle la Commission avait résolu, conformément aux articles 40(4) et 49 de la Loi, de demander au président [du comité] du Tribunal de constituer un Tribunal unique des droits de la personne afin que celui-ci soit chargé d’examiner toutes les plaintes portées contre Bell et énumérées à l’annexe 1. Le rapport d’enquête révisé, déposé à titre de pièce auprès du Tribunal, ne comprend pas l’annexe 1. Ainsi, le Tribunal ne sait pas quelles sont les plaintes que l’enquêteur a du moins proposé de renvoyer au Tribunal des droits de la personne.
  14. Ce que le Tribunal sait cependant de la preuve soumise est que, le 27 mai 1996, Lucie Veillette, secrétaire de la Commission, a écrit à André Beaudet, directeur de l’organisation et de l’évaluation des postes chez Bell, l’informant que la Commission avait révisé le rapport d’enquête portant sur les plaintes déposées par l’ACET contre Bell. Mme Veillette a dressé la liste des plaintes de l’ACET comme suit :
  • (X00469) datée du 21 juin 1994
  • (X00460) datée du 4 mars 1994
  • (X00417) datée du 22 octobre 1992, telle que modifiée
  • (X00372) datée du 1er avril 1992
  • (X00344) datée du 27 juin 1991
  • En outre, elle a informé Bell que la Commission avait décidé, conformément à l’article 49 de la Loi, de demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer un Tribunal dans le but d’examiner ces plaintes.
  1. Mme Veillette l’a également informé que la Commission avait décidé de demander la formation d’un Tribunal unique afin que celui-ci entende la plainte X00455 de Femmes-Action et la plainte X00456 du SCEP.
  2. Cette lettre fut suivie d’une lettre, datée du 30 mai 1996, de Max Yalden, président de la Commission, adressée à Anne Mactavish, présidente du Comité du tribunal des droits de la personne. Dans sa lettre, M. Yalden informait Mme Mactavish que la Commission avait pris la décision, selon l’article 49 de la Loi, de demander la formation d’un Tribunal des droits de la personne chargé d’examiner les plaintes portées contre Bell. Ces plaintes, énumérées dans la lettre du président, sont comme suit :
  • X00417 ACET 22 octobre 1992, telle que modifiée
  • X00469 ACET 21 juin 1994
  • X00460 ACET 4 mars 1994
  • X00372 ACET 1er avril 1992
  • X00344 ACET 27 juin 1991
  • X00455 Femmes-Action 25 janvier 1994
  • X00456 SCEP 31 janvier 1994
  • Une copie des formulaires relatifs à chacune des plaintes énumérées ci-dessus a été jointe à cette lettre.
  1. De plus, M. Yalden a informé Mme Mactavish que la Commission avait également décidé de demander la formation d’un Tribunal unique pour entendre toutes les plaintes, puisque celles-ci soulevaient en grande partie les mêmes questions de droit et de fait.

DISPOSITION

  1. La Commission a demandé par sa requête que le Tribunal modifie les plaintes X00344 et X00372 qui ont été renvoyées à celui-ci par la Commission. À notre avis, il ne s’agit pas d’une question de modification puisque ces plaintes ont été modifiées par l’ACET le 4 mars 1994 et par la suite déposées auprès de la Commission.
  2. De plus, la Commission a choisi de ne renvoyer aucune des plaintes individuelles mais de renvoyer cependant la plainte X00417 modifiée de l’ACET. Il s’agit donc d’un choix plutôt que d’une omission.
  3. Par sa demande, la Commission cherche à obtenir du Tribunal qu’il casse la décision claire et non équivoque qu’elle a rendue de renvoyer le dossier et qu’il substitue sa propre décision à celle de la Commission. Nous n’avons pas la compétence pour donner droit à cette requête.
  4. Dans sa plaidoirie, l’avocat de la Commission a fait référence à la note de bas de page 1 du jugement de la Cour fédérale d’appel. Brièvement, il a soutenu que l’avocat de Bell pensait que le fait de renvoyer uniquement les plaintes originales constituait une erreur et que, selon la Cour d’appel, cette erreur pouvait facilement être corrigée par le tribunal.
  5. Nous ne sommes pas d’accord avec cet argument. Premièrement, le juge statuant sur les requêtes et la Cour d’appel n’ont pas eu à examiner la lettre du 30 mai 1996 adressée par le président de la Commission qui renvoyait les plaintes à un Tribunal des droits de la personne. Cette lettre, ainsi que les copies jointes en annexe des formulaires relatifs à chacune des plaintes renvoyées, confirme la décision de la Commission (transmise en premier lieu à Bell dans une lettre datée du 27 mai 1996) de ne renvoyer que les plaintes originales dont il était question.
  6. Deuxièmement, la référence de la Cour d’appel au fait que l’avocat de Bell avait reconnu qu’il s’agissait d’une erreur ne devrait pas être interprétée comme signifiant que la Cour en concluait que la Commission avait commis une erreur en ne renvoyant que les plaintes originales. Ce que la Cour fait observer est le fait que Bell n’a pas fait valoir la question de l’incidence d’une telle erreur sur la validité des deux plaintes ou sur la validité de la décision de la Commission prise dans son ensemble, et il ne lui est pas possible de le faire non plus. Bell ne pouvait encore moins soulever cette erreur pour remettre en question le renvoi, aux motifs qu’elle avait subi un préjudice.
  7. Finalement, la Cour d’appel a affirmé dans sa note de bas de page 1 que l’ erreur pouvait facilement être corrigée devant le Tribunal et non par le Tribunal.
  8. Si la Commission a considéré que c’est par erreur que les plaintes modifiées n’ont pas été renvoyées au Tribunal, il lui incombait d’en faire la preuve. La Commission n’a présenté aucun élément de preuve sur cette question bien qu’elle ait été invitée à le faire à deux occasions par le Tribunal.
  9. La Commission savait au moins depuis le 24 novembre 1997 (date où la demande de contrôle judiciaire de Bell a été plaidée), sinon avant, qu’un litige existait quant à la question des deux plaintes collectives modifiées de l’ACET qui n’ont pas été renvoyées au Tribunal.
  10. La Commission aurait pu résoudre ce problème en renvoyant au Tribunal, en tout temps depuis cette date, ces deux plaintes modifiées. Ce que la Commission n’a pas fait.
  11. Pour tous ces motifs, la requête de la Commission est rejetée.

J. Grant Sinclair, président

Shirish Chotalia, membre

Pierre Deschamps, membre

OTTAWA, Ontario

31 août 2000

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE DOSSIER DU TRIBUNAL : T503/2098

INTITULÉ DE LA CAUSE : ACET et al. c. Bell Canada

LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa, Ontario

22, 23 et 24 août 2000

DATE DES MOTIFS DU JUGEMENT : 31 août 2000

COMPARUTIONS :

Larry Steinberg pour l’ACET

Peter Engelmann pour le SCEP

Alain Portelance pour Femmes-Action

Patrick O’Rourke pour la Commission canadienne des droits de la personne

Guy Dufort pour Bell Canada
Roy Heenan
Gary Rosen

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