Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 11/91 Decision rendue le 24 juillet 1991

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (L.R.C. 1985, ch. H-6 et ses modifications)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

ROBERT LEBEL

Plaignant

- et -

CANPAR, division de CANADIEN PACIFIQUE EXPRESS & TRANSPORT LTÉE

Intimée

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

TRIBUNAL : William I. Miller, c.r. - Président Rose Fortin Henriette Guérin DÉCISION DU TRIBUNAL ONT COMPARU

Me Anne Trottier Avocate de la Commission canadienne des droits de la personne

Me R. Michael McLearn Me Melinda Munro Avocats de l'intimée

DATES DE L'AUDIENCE : Les 12 et 13 juin 1989 Le 18 avril 1990

LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)

TRADUCTION

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I. Introduction

Le 21 novembre 1988, le président du Comité du tribunal des droits de la personne, M. Sidney N. Lederman, a constitué un tribunal des droits de la personne, composé du soussigné, William I. Miller, ainsi que de Rose Fortin et d'Henriette Guérin, afin d'examiner la plainte datée du 23 septembre 1985, déposée par M. Robert Lebel contre l'intimée Canpar, division de Canadien Pacifique Express & Transport Ltée (ci-après appelée Canpar).

M. Lebel affirme dans sa plainte que l'intimée s'est rendue coupable, à son endroit, de discrimination fondée sur la déficience en refusant de l'embaucher comme chauffeur, le ou vers le 15 août 1985, en contravention à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (ci-après appelée la Loi). Le texte de la plainte, tel qu'il apparaît au formulaire original produit sous la cote HRC-1, est ainsi conçu :

En me refusant un poste de chauffeur de camion parce que j'ai récemment obtenu des points de démérite pour conduite en état d'ébriété, et parce qu'il me percevait, pour cette raison, comme étant dépendant envers l'alcool, le mis en cause a pratiqué à mon endroit de la discrimination fondée sur le motif de distinction illicite déficience (sic), en contravention à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Les articles pertinents de la Loi applicables en l'espèce sont les alinéas 3a) et 15a) et les articles 7 et 25.

II. Objections et requêtes préliminaires présentées par l'intimée

Il nous faut, avant de nous prononcer sur le fond de la présente plainte, statuer sur une série de quatre objections et requêtes présentées par les avocats de l'intimée au début de l'audience dans le but de suspendre ou de remettre celle-ci. En voici un bref résumé :

  1. La constitution du tribunal soulève une crainte raisonnable de partialité en raison de l'absence de permanence de ses membres, de leur rémunération et des modalités de celle-ci et d'autres motifs de même nature. Des objections de ce type ont été soumises à l'examen de la Cour fédérale dans un certain nombre d'affaires, y compris dans une action engagée par Bell Canada. L'intimée soutient que l'existence de ces litiges justifie la suspension de la présente audience jusqu'à ce que la Cour fédérale rende jugement. Après avoir étudié l'argument de l'intimée, le tribunal a résolu de tenir l'audience, étant entendu qu'il s'abstiendrait de rendre une décision finale si cela s'avérait nécessaire pour protéger les droits des parties. Comme, pour autant que nous le sachions, il ne s'est rien produit, en l'espèce ou dans d'autres affaires, qui justifie de retenir notre décision, nous rejetons la requête de l'intimée et statuons sur le fond de la plainte.
  2. L'intimée a fait valoir que la Commission canadienne des droits de la personne a refusé d'entériner la recommandation du conciliateur concluant au caractère non fondé de la plainte sans motiver ni ce refus ni sa décision de soumettre la plainte à l'examen du tribunal. Comme la loi
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    ne fait pas obligation à la Commission d'observer les recommandations du conciliateur et que rien dans ses dispositions n'indique non plus que le tribunal soit lié par le rapport ou par les recommandations dudit conciliateur, l'objection de l'intimée est rejetée.

  4. L'intimée a soutenu qu'en représentant à la fois la Commission canadienne des droits de la personne et le plaignant, l'avocat de la Commission viole l'esprit de l'article 51 de la Loi, qui requiert que la Commission adopte, devant le tribunal, une attitude conforme à l'intérêt public. Toutefois, comme la Loi confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de décider de ce qui est dans l'intérêt public, le tribunal ne peut conclure qu'en donnant instruction à son avocat de la représenter en même temps que le plaignant, la Commission adopte une attitude non conforme à l'intérêt public. Cette objection est donc rejetée. (iv) L'intimée a exposé qu'étant donné l'incapacité où elle a été d'obtenir une copie de l'état du dossier conducteur (Driver's Abstract en anglais) pour production devant le tribunal aux fins de l'audience, les parties ne l'ont pas en main et qu'il faut donc suspendre l'audience jusqu'à ce que les autorités provinciales appropriées le délivre. Après en avoir discuté, le tribunal a décerné un subpoena duces tecum ordonnant à la Régie de l'assurance automobile du Québec de produire sans délai le document en question pendant l'audience, et a décidé qu'il n'était pas nécessaire de suspendre celle-ci jusqu'à sa production.

Après avoir statué oralement sur ces requêtes et objections préliminaires au cours de la séance d'ouverture de l'audience, le tribunal a examiné la substance de la plainte.

Le point de droit

Il échet principalement au tribunal de déterminer si l'intimée a contrevenu à la Loi canadienne sur les droits de la personne et s'est rendue coupable de discrimination fondée sur une déficience, savoir la dépendance envers l'alcool, en refusant la demande d'emploi de camionneur présentée par le plaignant, après avoir examiné l'état du dossier conducteur de ce dernier indiquant une suspension de permis pour conduite en état d'ivresse et après lui avoir dit, selon ce qu'il affirme, que Canpar n'engageait pas les alcooliques.

Les faits

Le plaignant, qui a obtenu jeune son permis de conduire, a travaillé comme camionneur et comme chauffeur de différentes catégories de véhicules. Sa première expérience de conducteur professionnel, il l'a eue dans les Forces armées, de 1965 à 1967 approximativement. Pendant son service, il a eu l'occasion de conduire toutes sortes de véhicules utilisés dans l'armée, y compris des autobus, des chars d'assaut, des camions et ainsi de suite. Il a également occupé la fonction d'instructeur en entretien de véhicules.

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Par la suite, il a obtenu les permis qu'il fallait, au Québec, pour conduire toutes les catégories de véhicules, soit les catégories 1, 2, 3, 4a, 4b, 4c, 5 et 6a, à l'exclusion du permis de chauffeur de taxi.

Après son séjour dans l'armée, le plaignant a travaillé comme camionneur pour son propre compte de 1975 à 1981. Il a également obtenu des permis ou des licences l'autorisant à conduire dans certains États des États-Unis (ICC). Il transportait des marchandises de toute sorte, sauf de la dynamite et de la nitroglycérine, des substances qu'il jugeait de manipulation trop dangereuse. Il a vendu son camion en 1981 et a travaillé à temps partiel pour l'agence de transport Cyclone, une agence de placement, jusqu'à ce que celle-ci ferme ses portes, tout en cherchant, pendant tout ce temps, un emploi à temps plein.

Le plaignant s'est fait suspendre son permis pendant trois mois, du 4 février au 3 mai 1985, après avoir plaidé coupable à l'accusation d'avoir conduit en état d'ivresse en 1984. Malgré la suspension, le plaignant pouvait continuer à conduire sous réserve de certaines conditions. Outre la suspension, le plaignant a été condamné à une amende de 300 $, et deux points d'inaptitude ont été portés à son dossier.

Le plaignant a continué à travailler comme chauffeur à temps partiel, aux termes de son permis restreint, et à desservir des destinations comme l'État de New York ou la Pensylvanie. Il faisait deux ou trois voyages par semaine, mais persistait toujours dans sa recherche d'un emploi à temps plein.

Vers le 12 août 1985, le plaignant a répondu à une offre d'emploi annoncée par Canpar. L'intimée voulait engager des chauffeurs pour effectuer la cueillette et la livraison de petits colis en zone urbaine. Le plaignant se rendit au bureau de l'intimée où on lui remit un formulaire de demande d'emploi dont une copie a été déposée sous la cote HRC-2.

Il a d'abord rencontré le représentant commercial de Canpar, M. Andy Sénécal, lequel l'a dirigé vers le Superviseur, Transport grande distance, M. John Crosby. Ce dernier avait, entre autres, pour fonctions d'évaluer les candidats chauffeurs et conducteurs de camion-remorque qui soumettaient des demandes d'emploi. M. Crosby demanda au plaignant de revenir le lendemain pour subir un premier examen écrit portant sur la conduite de petits camions et le respect des règlements de la circulation et de se représenter le jour suivant pour les examens relatifs aux gros camions. On lui demanda également d'apporter son dossier de conduite, aussi appelé état de dossier conducteur dans le métier.

Le plaignant a déclaré qu'après avoir examiné son dossier de conduite, M. Crosby lui aurait dit :

[TRADUCTION]

"Nous n'engageons pas d'alcooliques ici" ou une phrase au même effet et aurait ajouté que le plaignant avait échoué aux examens et n'était donc pas un candidat convenable pour un poste de camionneur au service de l'intimée.

Le plaignant continua, par la suite, à exercer d'autres emplois de camionneur et, au moment où il a déposé la présente plainte, il remplaçait

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un dénommé Ken Craig pendant les vacances de ce dernier. Il travailla au service de ce dernier pendant encore deux mois environ.

Le plaignant commença également à travailler comme chauffeur d'autobus auprès de la Commission des transports de Montréal, le 24 mai 1988. Cependant, son employeur le renvoya cinq mois et demi après, manifestement parce que le plaignant avait omis de déclarer la suspension de permis à la direction du personnel de la Commission, un acte que l'employeur a considéré comme une fausse déclaration. Pour des raisons inexplicables, le dossier du plaignant ne faisait pas état de la suspension à cette date. Le plaignant a par ailleurs affirmé dans son témoignage que le formulaire de demande d'emploi ne comportait aucune question spécifique sur la suspension de permis et qu'il avait soit mal compris la question soit oublié la suspension de permis qui lui avait été imposée.

Le plaignant s'est trouvé sans emploi du mois de juillet 1986 au mois de mai 1988, et il a reçu des prestations d'aide sociale jusqu'à la date de l'audience. Il a déposé un grief contre son renvoi auprès du syndicat des employés de la Commission, mais celui-ci n'avait pas encore été entendu au moment de l'audience.

Le superviseur, Transport grande distance de Canpar, M. John Crosby, a nié avoir dit au plaignant que la compagnie [TRADUCTION] n'engageait pas d'alcooliques (Déposition, p. 131). Il se souvenait que le dossier de conduite du plaignant faisait état d'une suspension de permis pour conduite en état d'ivresse et d'autres infractions mineures (Déposition, p. 130). Il a avisé ce dernier qu'en raison de ce dossier, il n'était pas un candidat approprié pour Canpar. M. Crosby n'a pas nié qu'il a pu faire allusion au fait qu'une suspension de permis consécutive à une telle infraction rendait le plaignant inapte à exercer un emploi chez Canpar.

M. Crosby a ajouté dans son témoignage, qu'il n'était jamais arrivé qu'on lui soumette, à l'appui d'une demande d'emploi comme chauffeur, un dossier de conduite contenant une condamnation pour conduite en état d'ivresse. Il a déclaré qu'il rejetait en moyenne 50 % des demandes d'emploi de chauffeur qu'il recevait, et que le plaignant était le seul candidat dont le dossier recelait une infraction de conduite en état d'ivresse. Le témoin a affirmé qu'il n'engagerait jamais un candidat ayant un mauvais dossier de conduite (Déposition, p. 134), et a conclu son témoignage en déclarant que la compagnie avait pour politique de rechercher des chauffeurs faisant preuve de professionnalisme, courtois, sûrs et responsables et qu'il ne croyait pas que le plaignant présentât ces qualités.

Trois autres témoins ont déposé pour le compte de l'intimée, dont M. Ron Norris, superviseur, Transport grande distance pour l'Ontario. M. Norris occupe ce poste depuis les six dernières années et il assume, pour la province de l'Ontario, des fonctions similaires à celles de M. Crosby au Québec. Le témoignage de M. Norris corrobore les affirmations de M. Crosby selon lesquelles le dossier de conduite joue un rôle important dans le processus d'embauche :

[TRADUCTION]

le dossier de conduite est probablement l'un des éléments les plus importants, il vous renseigne sur le passé du conducteur (Déposition, p. 230). M. Norris a en outre déclaré

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que la compagnie intimée s'était donné une politique concernant les employés ayant des problèmes d'alcoolisme et que son programme de réadaptation témoignait, en effet, du fait que Canpar comptait des personnes alcooliques parmi ses employés.

Le tribunal a également entendu le témoignage de M. David J. Bennett qui, entre 1985 et 1988, a été agent de ressources humaines pour Canpar. Sa déposition a porté sur l'importance attachée au dossier de conduite exigé dans le cadre du processus d'embauche. Il a déclaré que pour tous les postes de conducteur, il s'agissait de l'un des facteurs utilisés pour déterminer si un candidat était apte à l'emploi. Il a ajouté :

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Tous ces facteurs mis ensemble font que chez Canpar, un chauffeur n'est pas qu'un automobiliste moyen. C'est une personne chez qui l'on doit retrouver un sens des responsabilités et une maturité permettant de faire tout cela en même temps (Déposition, p. 269).

Finalement, M. Bennett a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

R. La sécurité représentait, je crois, pour la direction, des superviseurs jusqu'au président de CP Camionnage, en passant par le directeur général, l'un des éléments les plus importants. On insistait énormément là-dessus auprès des chauffeurs et des manoeuvres préposés aux entrepôts au cours des rencontres du matin, par exemple, avant que les employés n'entreprennent leur journée, et il y avait des rappels constants de même que des séances de formation sur la sécurité, au moyen de toutes sortes d'activités similaires (Déposition, p. 270).

Le troisième témoin convoqué par l'intimée a été M. Roger Soucy. Pendant les trois dernières années, il a travaillé auprès de Transports Kingsway Ltée en qualité de gestionnaire et, avant cela, il était chargé de l'embauche des chauffeurs, de la surveillance du transport et des marchandises et de l'examen des cas d'accidents et des questions connexes chez Transport Guilbeault Inc., où il a passé quatorze ans. Son témoignage a porté sur l'importance du dossier de conduite et sur ce que ce document permettait d'apprendre sur la compétence ou les aptitudes d'un chauffeur. M. Soucy a déclaré :

La base d'employés qu'on accepte chez Kingsway, l'abstract comme de raison, c'est très important, à savoir si l'employé est un employé qui fait de la vitesse ou c'est un employé qui a des délits de fuite ou si c'est un employé ou une personne c'est-à- dire qui a pris de l'alcool, si c'est un chauffeur qui a des tendances de ce côté-là. La vitesse, s'il se fait arrêter trop souvent pour de la vitesse, remarquez sur nos routes aujourd'hui il y a quatre personnes par jour qui meurent au Québec concernant les véhicules automobiles, puis si vous écoutez le matin les rapports de circulation qui se font à Montréal, bien vous entendez dire que 90 % du temps un chauffeur de camion est

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impliqué dans un accident avec une voiture et vous entendez jamais dire le contraire. Alors l'exemple doit être donné par des professionnels de la route; donc un chauffeur de camion avec un mastodonte de 45 000 livres d'équipement et de marchandises, il faut que ça soit un homme qui a les facultés saines, des facultés propres et qui ait un dossier net (Déposition, p. 289).

Deux employés de la Régie de l'assurance automobile du Québec, et non pas un seul, sont venus témoigner principalement pour établir ce qui avait été versé au dossier de conduite du plaignant depuis son ouverture. Il y a eu une certaine confusion concernant le caractère complet et l'exactitude de ces dossiers. Toutefois, trois documents distincts produits à l'audience, les pièces R-2, T-2 et HRC-4 ont permis de prouver que le dossier du plaignant faisait état des suspensions et révocations suivantes :

  1. Du 4 février 1985 au 3 mai 1985 - suspension de permis d'une durée de trois mois, 300 $ d'amende et deux points d'inaptitude découlant d'un plaidoyer de culpabilité à une accusation de conduite en état d'ivresse;
  2. Du 24 octobre 1988 au 23 octobre 1989 - suspension de permis d'une durée d'un an découlant d'une condamnation sous le régime de l'article 238.5 du Code criminel (défaut ou refus de fournir un échantillon).
  3. Du 25 novembre 1989 au 31 décembre 1989 - suspension de permis d'une durée d'un mois par suite du non-paiement d'une amende relative à une infraction en matière de conduite automobile, infligée par un tribunal de Joliette.

Avaient également été portées au dossier de conduite du plaignant les infractions additionnelles suivantes :

  1. Du 18 janvier 1988 au 9 juin 1989 - deux points d'inaptitude pour avoir fait un excès de vitesse de 15 à 29 km/h;
  2. Du 18 février au 23 août 1988 - un point d'inaptitude pour avoir fait un excès de vitesse de 1 à 14 km/h;
  3. Du 28 mars au 7 septembre 1988 - trois points d'inaptitude pour avoir passé outre à un feu rouge.

Finalement, le tribunal a entendu des témoignages portant sur un accident que le plaignant aurait eu avec son camion le ou vers le 27 juillet 1986. Le plaignant a toutefois nié toute responsabilité à l'égard de cet accident.

Le tribunal constate qu'au moment où le plaignant a soumis sa demande d'emploi à Canpar, seule la première des infractions et des suspensions de permis mentionnées plus haut figurait à son dossier de conduite. Les autres infractions et suspensions de la liste n'existaient manifestement pas encore ou étaient inconnues de l'intimée. En conséquence, le tribunal

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n'a tenu compte de celles-ci qu'à titre de preuve supplémentaire des mauvaises habitudes récurrentes et des médiocres aptitudes du plaignant en matière de conduite, de son manque de professionnalisme et de son insouciance à l'égard de la sécurité dans l'accomplissement des fonctions de chauffeur.

Le tribunal est convaincu qu'en refusant la demande d'emploi du plaignant, l'intimée n'obéissait qu'à la nécessité et à la volonté de maintenir, tant dans son intérêt que dans celui du public en général, ses politiques existantes axées principalement sur la sécurité et sur les normes de sécurité.

Devant le caractère inférieur et médiocre du dossier de conduite de l'appelant, les représentants de l'intimée chargés de l'embauche ont jugé, eu égard aux compétences de celui-ci, qu'il serait risqué de l'engager comme chauffeur et, bien sûr, les événements qui ont suivi leur ont donné raison. Mais même en faisant abstraction des infractions et suspensions subséquentes, la conclusion de l'intimée selon laquelle il serait risqué d'engager le plaignant demeure valable.

La preuve du fait que l'intimée rejette environ la moitié des candidats chauffeurs suffit en elle-même à démontrer que la politique qu'observe l'intimée relativement à l'application de critères d'embauche rigoureux tient à sa volonté d'assurer le maintien de ses normes élevées de sécurité, et ne peut d'aucune façon être interprétée comme un acte discriminatoire. Après tout, pour autant qu'il s'agisse du personnel conduisant, ce sont les aptitudes et les compétences des chauffeurs qui constituent le facteur premier et, certainement, indispensable, de la sécurité et des normes de sécurité.

C'est ce qui ressort également des dépositions des témoins de l'intimée selon lesquelles ils hésiteraient beaucoup à engager comme chauffeur un candidat dont le dossier de conduite ferait état, comme celui du plaignant, d'une suspension de permis pour conduite en état d'ivresse.

En conséquence, le tribunal conclut, pour ce motif seulement, qu'en refusant la demande d'emploi de chauffeur présentée par le plaignant, l'intimée n'a pas commis d'acte discriminatoire et, par suite, il rejette la plainte, jugeant celle-ci non fondée.

Bien que M. John Crosby ait catégoriquement nié avoir prononcé la phrase [TRADUCTION] Nous n'engageons pas d'alcooliques ici, que lui attribue le plaignant, celle-ci peut néanmoins avoir créé, dans l'esprit de ce dernier, la fausse impression qu'il y avait eu, dans le rejet de sa demande d'emploi, de la discrimination fondée sur un motif qui, d'après lui, était relié à l'alcool. La preuve, toutefois, démontre plutôt que le prétendu facteur alcool n'a joué aucun rôle important dans ce rejet, mais n'a fait que révéler le fait que le plaignant ne répondait pas aux critères établis par l'intimée. En conséquence, le tribunal, ayant conclu que le rejet de la demande d'emploi ne constituait pas un acte discriminatoire, n'estime pas nécessaire ou opportun d'examiner la portée juridique de

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l'alinéa 15a) de la Loi puisque celui-ci porte sur l'obligation de l'employeur d'établir l'existence d'un exigence professionnelle justifiée.

En exerçant son pouvoir discrétionnaire d'employeur d'accorder la préférence à des candidats plus compétents que le plaignant, l'intimée se comportait en fait comme un personne morale responsable. Sa conduite et celle des autres employeurs comme elle, appelle des félicitations et non une accusation de discrimination sous le régime de la Loi. En agissant comme elle l'a fait, l'intimée, bien loin de commettre un acte discriminatoire, faisait simplement preuve de bon sens.

Le tribunal conclut donc que le plaignant n'a pas fait la preuve prima facie de l'existence d'un acte discriminatoire et rejette sa plainte.

FAIT à Montréal, le 17e jour de juin 1991.

WILLIAM I. MILLER, c.r. Président

ROSE FORTIN

HENRIETTE GUÉRIN

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