Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

DECISION RENDUE LE 14 OCTOBRE 1980

DT- 6/ 80

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE (CANADA) DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE, S. C. 1976- 1977, c. 33 et MODIFICATIONS ET DANS L’AFFAIRE D’UNE PLAINTE EXAMINEE PAR UN TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE CONSTITUE EN VERTU DE L’ARTICLE 39 DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE.

ENTRE:

ROBERTA BAILEY, WILLIAM CARSON, REAL J. PELLERIN, MICHAEL MCCAFFREY ET COMMISSION CANADIENNE DES DROITS LA DE LA PERSONNE - PLAIGNANTS

- et

SA MAJESTE LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRESENTEE PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL, - DEFENDERESSE

(Traduction - original en anglais)

TABLE DES MATIERES

1. Introduction - La nature des plaintes

2. La structure générale de la Loi canadienne sur les droits de la personne en ce qui a trait à la présente enquête

3. Question préjudicielle sur la compétence du tribunal des droits de la personne

4. La signification de situation de famille selon l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

5. Dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu étudiées par le tribunal: l’article 109( 1) a) et l’article 63 a) Les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu b) Article 109( 1) a) - Déduction pour personne mariée c) Motifs de l’inadmissibilité des concubins à la déduction prévue à l’article 109( 1) a) d) Article 63 - Déduction des frais de garde d’enfants e) Historique et fondement de la politique relative à la promulgation de l’article 63

6. Interprétation de la Loi canadienne sur les droits de la personne a) Interprétation de la législation sur les droits de la personne en général b) Interprétation spécifique de la Loi canadienne sur les droits de la personne

7. Les articles 109( 1) a) et 63 de la Loi de l’impôt sur le revenu comportent- ils un service"?

8. Résolution de l’apparente contradiction entre la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Loi de l’impôt sur le revenu

9. Redressements en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne

10. Décision

1. INTRODUCTION - LA NATURE DES PLAINTES

Le Tribunal a été saisi de plusieurs plaintes qui, du consentement des avocats, ont été entendues ensemble, toutes reposant sur les mêmes preuves et arguments.

Dame Roberta Agnes Bailey, la première, a déposé une plainte (Pièce no C- 1) alléguant qu’elle avait invoqué son statut de personne mariée à sieur William Carson en produisant sa déclaration d’impôt sur le revenu pour 1977, pour réclamer l’exemption prévue à l’article 109( 1) a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (ci- après appelée la L. I. R.), S. C. 1970- 1971- 1972, c. 63 et modifications, et que l’exemption lui avait été refusée par le ministre du Revenu national parce qu’elle n’était pas mariée â William Carson. C’est- à- dire que William Carson n’était pas considéré comme son conjoint au sens que donne à cette expression l’article 109( 1) a) de la L. I. R. L’exemption de personne mariée ne peut être réclamée que par une personne mariée dont le conjoint était à sa charge. Dame Bailey et sieur Carson avaient vécu en concubinage quelque cinq ans et il avait été à sa charge en 1977.

Aucun fait de l’affaire n’était contesté. Il ne s’agissait de trancher que des questions de droit. William D. Carson a déposé une plainte (Pièce no C- 1) fondée sur le même fait, soit le refus par Revenu Canada de l’exemption de femme mariée réclamée par sa concubine (Pièce no C- 1).

Dame Bailey et sieur Carson ont tous deux allégué que la répondante, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre du Revenu national, avait commis un acte discriminatoire selon l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le ministre ayant défavorisé Roberta Bailey en lui refusant une déduction aux fins de sa cotisation d’impôt sur le revenu.

La Commission canadienne des droits de la personne s’est assurée que la plainte était fondée en ce sens que la L. I. R. défavorise des individus, et que la défenderesse, en appliquant l’article 109( 1) de la L. I. R., avait défavorisé dame Bailey à cause de sa situation de famille (Pièce no C- 1). Il est clair que la Commission a apprécié avec justesse la situation de fait. A la lumière de ces données, le Tribunal doit donc décider si la défenderesse a commis un acte discriminatoire aux termes de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

M. Réal Pellerin du Nouveau- Brunswick a déposé une plainte (Pièce no C- 2) ainsi libellée:

Ma femme et moi sommes séparés sans entente officielle; j’ai conservé la garde de notre enfant. Les fonctionnaires de Revenu Canada ont refusé de m’accorder une déduction pour frais de garde d’enfant parce que nous n’avions pas de séparation judiciaire à l’époque. Ils n’auraient pas adopté cette attitude à l’égard d’une femme.

Ainsi, bien que l’article 63 de la L. I. R. ait prévu la déduction, jusqu’à un certain montant, des frais de garde d’un enfant subis par un contribuable particulier, on a refusé à M. Pellerin la déduction des frais de garde d’enfant qu’il a réclamée en produisant sa déclaration d’impôt pour 1976, 1977 et 1978, parce qu’il ne pouvait satisfaire aux critères plus rigoureux applicables aux contribuables de sexe masculin.

L’article 63 de la L. I. R. permet à une femme de déduire ses frais de garde d’enfant sans lui imposer de conditions, mais il exige d’un homme qu’il ait été séparé de sa femme en vertu d’un arrêt, d’une ordonnance ou d’un jugement d’un tribunal compétent ou en vertu d’un accord écrit.

Le plaignant, Michael McCaffrey, s’est plaint d’être victime d’actes discriminatoires pour le même motif, Revenu Canada lui ayant refusé, dans sa déclaration d’impôt pour 1978, une déduction pour frais de garde d’enfants parce que, déclarait- il, je n’ai pas de convention écrite de séparation et que je suis une mère de sexe masculin (Pièce no C- 2). Les plaintes déposées contre la défenderesse par Michael McCaffrey et Réal J. Pellerin soulèvent en substance les mêmes questions de fait et de droit, c’est pourquoi elles ont été jointes. Les plaignants y allèguent que Sa Majesté la Reine, représentée par le ministre du Revenu national, défavorise les contribuables de sexe masculin dans l’application de l’article 63 de la L. I. R. La Commission canadienne des droits de la personne a donc déposé une plainte portant que Sa Majesté la Reine, par son représentant le ministre du Revenu national, a commis et commet un acte discriminatoire aux termes de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en établissant une distinction illicite fondée sur le sexe qui défavorise les hommes, dans l’application de l’article 63 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Pièce no C- 2). Encore une fois, le fait même de défavoriser quelqu’un pour des considérations de sexe est inattaquable et reconnu. A la lumière de ces faits, le Tribunal doit donc décider si la défenderesse a commis un acte discriminatoire aux termes de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

2. LA STRUCTURE GENERALE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE EN CE QUI A TRAIT A LA PRESENTE ENQUETE

La Loi canadienne sur les droits de la personne établit les modalités particulières selon lesquelles sont étudiées et réglées les plaintes relatives à des actes discriminatoires dans des domaines bien précis de la compétence législative du gouvernement fédéral. 1 C’est à la Commission canadienne des droits de la personne que revient l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Sous le régime de la Partie III de cette Loi, la Commission décide, en fonction des critères établis, si elle doit statuer sur une plainte (art. 33); elle peut charger une personne d’enquête sur une plainte (art. 35), et au reçu du rapport de l’enquêteur, prendre les mesures qui s’imposent, soit renvoyer la plainte à une autre autorité, ou accepter le rapport ou rejeter la plainte (art. 36). Elle peut aussi nommer un conciliateur (art. 37).

1 Voir Lodge c. le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1979) 25 N. R. 437 (C. A. F.) p. 439, le juge Le Dain confirmant (1979) C. F. 458 (C. F. 1ère inst.)

A toute étape postérieure au dépôt d’une plainte, la Commission peut constituer un tribunal des droits de la personne et le charger d’examiner la plainte (art. 39). L’article 40 décrit les fonctions et pouvoirs du tribunal et les articles 41 et 42 indiquent la nature des ordonnances qu’il peut rendre s’il juge la plainte fondée après des audiences publiques. Diverses formes de redressement sont prévues, notamment une ordonnance contre la personne coupable d’un acte discriminatoire d’indemniser la victime, de mettre fin à ses actes discriminatoires et d’adopter un programme destiné à les prévenir, et d’accorder à la victime, à la première occasion raisonnable, les droits ou avantages dont l’acte l’a privée.

Selon l’article 31, un acte discriminatoire s’entend des actes visés aux articles 5 à 13. L’article 4 nous dit que tout acte discriminatoire peut faire l’objet d’une plainte en vertu de la Partie III, et l’article 32 de ladite Partie III indique les modalités de la déposition d’une plainte auprès de la Commission.

Chacune des plaintes dont est saisi ce Tribunal allègue qu’il y a eu acte discriminatoire en contravention de l’article 5 qui est ainsi libellé:

Constitue un acte discriminatoire le fait pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public

a) d’en priver, ou b) de défavoriser, à l’occasion de leur fourniture, un individu, pour un motif de distinction illicite.

L’article 3 se lit ainsi:

Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, la situation de famille ou l’état de personne graciée et, en matière d’emploi, sur un handicap physique. (Soulignement ajouté.)

On peut interjeter appel de la décision du tribunal (s’il est composé de moins de trois membres) sur toute question de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait (art. 42( 1)).

Toutes les modalités ci- dessus précédant la constitution de ce tribunal ont été dûment suivies par la Commission canadienne des droits de la personne.

3. QUESTION PREJUDICIELLE SUR LA COMPETENCE DU TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

La défenderesse a d’abord posé au Tribunal la question préjudicielle de savoir si celui- ci, constitué par la Commission canadienne des droits de la personne en vertu de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, est habilité à examiner les plaintes au sujet desquelles il a été constitué, nonobstant le fait que le Procureur général du Canada se soit déjà adressé à la Cour fédérale de première instance pour empêcher le tribunal d’examiner la plainte.

Selon le Demandeur, lorsque le ministère du Revenu national fait une cotisation d’impôt sur le revenu, il ne fournit pas un service au sens où l’entend l’article 5, et que même s’il s’agissait d’un service de cette nature, ce n’est pas le Ministère qui défavorise un individu en fonction de sa situation de famille ou de son sexe mais le droit tel qu’il est énoncé dans la Loi de l’impôt sur le revenu que le Ministère a le devoir d’appliquer, que tout redressement qu’un tribunal des droits de la personne est habilité à accorder en vertu de l’article 41 entrerait en contradiction avec les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu et entraînerait l’abrogation ou la modification desdites dispositions, ce qui n’est pas le but de la Loi canadienne sur les droits de la personne et ce qui, si c’en était le but, constituerait un excès de pouvoir. Le procureur a donc demandé à la Cour d’interdire les poursuites intentées devant le Tribunal des droits de la personne. 1

1 Le Procureur général du Canada c. Peter Cumming, la Commission canadienne des droits de la personne Roberta Bailey, William Carson, Réal Pellerin et Michael McCaffrey, 79 DTC pp. 5303- 5306, par le J. C. A. Thurlow.

Le juge en chef adjoint Thurlow a rejeté la demande, déclarant notamment:

A mon avis, la Commission n’a pas outrepassé la compétence que lui confère l’article 39( 1) en constituant le tribunal. Elle aurait pu le faire à toute étape postérieure au dépôt des plaintes. Dans ces cas- ci, elle l’a fait après enquête et acceptation du rapport de l’enquêteur. Si, comme je le crois, la Commission était habilitée à constituer le tribunal, les articles 40 et 41 avaient pour effet d’accorder au tribunal le pouvoir de faire enquête et, à l’issue de celle- ci, de décider si les actes discriminatoires allégués dans les plaintes sont fondés, y compris trancher toute question que cela pourrait comporter quant à savoir si la conduite reprochée et prouvée pouvait constituer un acte discriminatoire interdit par la Loi.

Il semble que ce qu’on demande au fond ici à la Cour, c’est de supplanter le tribunal pour trancher une question que la loi lui reconnaît le pouvoir de trancher. Se rendre à la demande postulerait que la Cour a décidé que ce dont on se plaint ne peut pas être un acte discriminatoire illicite, que le tribunal ne peut que rejeter les plaintes et que par conséquent le tribunal n’a pas la compétence voulue pour faire enquête ni même pour juger que la preuve d’actes discriminatoires illicites n’a pas été faite et que la plainte devrait être rejetée.

La Cour a indéniablement le droit, lorsque la compétence d’un tribunal inférieur repose sur une question de droit claire et divisible, émanant de faits incontestés, de trancher cette question de droit et, si elle en conclut que le tribunal n’a pas compétence, d’interdire à celui- ci d’agir.

Dans le cas présent, les plaintes pourraient bien soulever des questions de droit, par exemple à savoir si le ministère du Revenu national, en établissant des cotisations d’impôt, fournit un service selon l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ou encore, si le ministère fournit un service au sens où l’entend l’article 5, à savoir si le fait d’appliquer les dispositions discriminatoires de la Loi de l’impôt sur le revenu constitue en sol un acte discriminatoire illicite. Le cas échéant, la question de savoir si les redressements spécifiés à l’article 41 conviendraient ou devraient être consentis. Cela pourrait soulever la question de savoir si les dispositions fondées sur des motifs interdits par la Loi canadienne sur les droits de la personne sont pour autant abrogées. Et il pourrait y en avoir d’autres.

Quant à la première de ces questions, qui me semble toucher à la compétence du tribunal, je ne suis pas disposé à partager l’avis de la Commission selon lequel en établissant des cotisations sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, le ministère du Revenu national ne fournit pas un service au sens que donne à cette expression l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Loi est rédigée en termes généraux et tant sa matière que son but avoué laissent croire qu’elle ne doit pas être interprétée de façon étroite ou restrictive. Je ne crois pas non plus inconcevable que des actes discriminatoires fondés sur l’un des motifs interdits par la Loi puissent se produire à l’occasion de la fourniture de tels services au public.

Outre cette question d’ordre général, le cas présent me semble en soulever une autre qui est de savoir si, à l’occasion de la fourniture d’un service au public, l’application, par le Ministère, d’une loi qui établit des distinctions pour des motifs illicites, constitue en soi un acte discriminatoire au sens où l’entend la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il se peut que ces plaintes ne soulèvent rien d’autre que cette question de droit. Mais même s’il advenait que cette question, ou même une variante encore plus étroite, soit la seule qu’il faille trancher pour en venir à une conclusion, elle ne me semble pas mettre en cause la compétence du tribunal d’examiner les plaintes mais qu’il appartient au tribunal de décider, dans la mesure nécessaire, de trancher la question de savoir si, à la lumière des faits établis à l’enquête, il a été prouvé qu’il y avait eu distinction illicite. 2

2 Ibid. pp. 5307- 9 A mon avis, cette décision dispose en réalité de l’opinion exprimée par la Répondante sur cette question préjudicielle dont est saisi le tribunal (en réalité la poursuite de sa demande à la Cour fédérale ou l’appel de la décision rendue par celle- ci) et selon laquelle le tribunal n’aurait pas compétence.

4. LA SIGNIFICATION DE SITUATION DE FAMILLE SELON L’ARTICLE 3 DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

Les plaintes de dame Bailey/ sieur Carson font état d’actes discriminatoires à l’égard de dame Bailey, celle- ci n’ayant pas obtenu la déduction accordée par l’article 109( 1) a) de la L. I. R., pour un motif de distinction illicite, soit la situation de famille, mentionné à l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Répondante n’a pas contesté qu’il y ait eu acte discriminatoire de fait, fondé sur ce motif de distinction illicite. Mais elle a évidemment contesté que cette situation de fait reconnue équivaille à un acte discriminatoire en droit. Quoi qu’il en soit, je mentionne en passant que la situation de famille est plus difficile à définir que la plupart des autres motifs de distinction illicite.

Dans Louis A. Blatt c. The Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto 1 , une commission d’enquête de l’Ontario a étudié la signification donnée à l’expression situation de famille dans The Ontario Human Rights Code, S. R. O. 1970, c. 318 et mod. Le Plaignant avait perdu son emploi parce qu’il vivait en concubinage. La Commission a rejeté la plainte, jugeant que le congédiement était fondé sur un jugement moral sur le mode de vie du plaignant et non sur sa situation de famille.

1 Le 21 février 1980.

Dans sa décision, le Prof. Bruce Dunlop, président, a déclaré: La situation de famille n’est pas définie plus clairement ni dans le Code, ni dans aucune autre loi, ni dans le common law, un dictionnaire n’aide guère à mieux comprendre (l’expression marital status), car selon le Oxford English Dictionary, marital signifie of, or pertaining to marriage, et status signifie, entre autres choses, legal standing or position et condition in respect, e. g. of... marriage or celibacy. Mais on peut dire que jusqu’à ces dernières années, au moins, la loi qui nous régit ne reconnaissait que deux états en matière de mariage. Une personne était soit mariée soit non mariée, bien qu’il pouvait être parfois délicat de dire dans quelle catégorie l’on tombait. On pouvait même croire être marié sans l’être, et vice versa. L’expression common law marriage (concubinage), du moins ici, était un euphémisme pour dire vivre comme si l’on était mariés sans l’être. On disait péjorativement vivre dans le péché. Récemment, le Family Law Reform Act (loi sur la réforme du droit familial), 1978 (Ont.) c. 2, sans utiliser l’expression marriage a tenté d’accorder aux parties à une telle relation des droits réciproques qu’elles ne possédaient pas auparavant. Cette loi reconnaît que la cohabitation sans le mariage devrait, dans certaines circonstances, donner lieu à des droits de soutien parce qu’en fait elle engendre la dépendance. La Loi crée- t- elle ainsi une nouvelle forme de mariage? Ou au contraire, crée- t- elle un troisième état entre celui de marié et de célibataire auquel il faut donner le nom de situation de famille? La Commission a l’impression que le libellé de la loi évite avec soin l’un et l’autre résultat. Quoi qu’il en soit, la Loi ne se serait pas appliquée à la relation du plaignant. Celle- ci a duré moins de deux ans. 2

2 Supra, note 1, pp. 5- 6.

Dans Kerry Segrave c. Zeller’s Ltd, 3 une commission d’enquête de l’Ontario a jugé qu’un homme qui avait été victime de distinction illicite en matière d’emploi parce qu’il était divorcé, était fondé à porter plainte en vertu du Ontario Human Rights Code pour avoir été victime d’un acte discriminatoire fondé sur sa situation de famille.

3 22 septembre 1975.

On peut dire, pour reprendre l’expression du Prof. Dunlop, que dame Bailey et sieur Carson vivent comme s’ils étaient mariés sans l’être, et que cela décrit leur situation de famille. C’est pourquoi ils réclament la déduction offerte par l’article 109( 1) a) de la L. I. R. qui a pour but de soustraire à l’impôt une partie du revenu du contribuable marié à cause de la situation de famille de celui- ci, soit le fait d’avoir un conjoint à sa charge pendant l’année. Dame Bailey réclame la déduction parce que sa situation est conforme à toutes les normes applicables, sauf que sieur Carson n’est pas son conjoint par mariage. Bien qu’elle soit dans la même situation de fait (sauf pour le mariage) qu’un contribuable marié ayant un conjoint à sa charge, c’est sa situation de famille qui lui est fatale. Donc les Bailey/ Carson ont bien formulé leurs plaintes en invoquant la situation de famille comme motif de distinction illicite.

5. DISPOSITIONS DE LA LOI DE L’IMPOT SUR LE REVENU ETUDIEES PAR LE TRIBUNAL: ARTICLE 109( 1) a) ET ARTICLE 63 a) Les dispositions de la L. I. R. à l’étude sont les alinéas a), b) et c) de l’article 109 et l’article 63 ainsi conçus: Déductions permises aux particuliers.

109( 1) Aux fins du calcul du revenu imposable d’un particulier pour une année d’imposition, il peut être déduit de son revenu pour l’année celles des sommes suivantes qui sont appropriées:

Personne mariée. a) dans le cas d’un particulier qui, pendant l’année, était une personne mariée subvenant aux besoins de son conjoint, une somme égale au total de

(i) $1,600*, et

(ii) $1,400* moins la fraction, si fraction il y a, du revenu du conjoint pour l’année pendant le mariage qui est en sus de $300*.

Personne entièrement à charge. b) dans le cas d’un particulier qui n’a pas droit à une déduction aux termes de l’alinéa (a), qui, durant l’année, était

(i) une personne non mariée ou une personne mariée ne subvenant pas aux besoins de son conjoint et ne vivant pas avec lui, et

(ii) qui, seul ou conjointement avec une ou plusieurs autres personnes, tenait un établissement domestique autonome (où ce particulier vivait) et y subvenait effectivement aux besoins d’une personne qui, durant l’année, était

(A) entièrement à la charge du contribuable, et (B) unie par les liens du sang, du mariage ou de l’adoption, au contribuable, ou au contribuable et à une ou plusieurs de ces personnes, selon le cas, une somme égale au total de

(iii) $1,600*, et (iv) $1,400* moins la fraction, si fraction il y a, du revenu, pour l’année, de cette personne à charge qui est en sus de $300*;

* Montant indexables.

Célibataire

c) dans le cas d’un particulier n’ayant pas droit à une déduction en vertu de l’alinéa (a) ou de l’alinéa (b), $1,600*.

* Montants indexables.

Frais de garde d’enfants 63( 1) Peuvent être déduites lors du calcul du revenu tiré dans une année d’imposition par un contribuable qui est

a) une femme, ou b) un homme,

(i) qui, à une date quelconque dans l’année, n’était pas marié,

(ii) qui, à une date quelconque dans l’année, a été séparé de sa femme en vertu d’un arrêt, d’une ordonnance ou d’un jugement d’un tribunal compétent ou en vertu d’un accord écrit,

(iii) dont la femme a été déclarée, par un médecin qualifié, être une personne qui,

(A) en raison d’une infirmité mentale ou physique et de l’obligation, pendant au moins 2 semaines dans l’année de garder le lit, de demeurer dans un fauteuil roulant ou d’effectuer un séjour dans un hôpital, un asile ou tout autre établissement semblable, a été dans l’incapacité de s’occuper de ses enfants, ou qui

(B) en raison d’une infirmité mentale ou physique, a été dans l’année et sera vraisemblablement, pendant une longue période indéfinie, dans l’incapacité de s’occuper de ses enfants, ou

(iv) dont la femme a effectué dans l’année, un séjour d’au moins 2 semaines en prison, les sommes payées dans l’année par le contribuable à titre ou au titre de frais de garde pour ses enfants, dans la mesure

c) où le paiement de ces sommes est attesté par l’envoi au Ministre de reçus portant chacun le numéro d’assurance sociale du particulier qui les a délivrés, et

d) où le total des sommes que le contribuable a ainsi payées dans l’année ne dépasse par le moins élevé des montants suivants:

(i) $4,000, (ii) le produit obtenu en multipliant $1,000 par le nombre d’enfants du contribuable, pour lesquels les frais de garde d’enfants ont été engagés, ou

(iii) le montant égal aux 2/ 3 du revenu gagné dans l’année par le contribuable.

Application du paragraphe (1) dans certains cas. (2) Aux fins du paragraphe (1),

a) lorsque le contribuable est un homme, le sous- alinéa (1) d)( i) est interprété comme étant libellé ainsi:

"(i) le moins élevé des deux montants suivants: $4,000 ou une somme égale au produit obtenu lorsque le nombre de semaines dans l’année durant laquelle

(A) il n’était pas marié, (B) il était séparé de sa femme en vertu d’un accord écrit, ou (C) sa femme était confinée, dans un des endroits

indiqués dans la disposition b)( iii)( A) ou le sous- alinéa b)( iv), ou était dans un état d’incapacité pour les raisons visées à la disposition b)( iii)( B),

selon le cas, est multiplié par le moins élevé des montants suivants: $120 ou le produit obtenu lorsque $30 est multiplié par le nombre d’enfants à l’égard desquels les frais de garde d’enfants ont été engagés; et

b) lorsque le contribuable est une femme visée au sous- alinéa (1) b)( iii) ou (iv),

(i) le sous- alinéa (1) d)( i) est Interprété conne étant libellé ainsi:

"( i) $4,000 moins le montant déductible en vertu du présent article lors du calcul du revenu, pour l’année, du conjoint du contribuable, et

(ii) le sous- alinéa (1) d)( ii) est interprété comme étant libellé ainsi:

"( ii) la fraction, si fraction il y a,

(A) du produit obtenu lorsque $1,000 est multiplié par le nombre de ses enfants à l’égard desquels les frais de garde d’enfants ont été engagés, qui est en sus (B) du montant déductible, en vertu du présent article, lors du calcul du revenu, pour l’année, du conjoint du contribuable".

Définitions. (3) Dans le présent article, Frais de garde d’enfants

a) frais de garde d’enfants d’un contribuable signifie toute dépense engagée par le contribuable dans le but de faire assurer au Canada la garde de tout enfant du contribuable, en le confiant à une gardienne d’enfants ou à une garderie, en le plaçant dans un pensionnat ou dans une colonie de vacances ou en utilisant d’autres services analogue, si

(i) l’enfant était, durant l’année, habituellement sous la garde du contribuable et

(A) était âgé de moins de 14 ans, ou (B) de 14 ans ou plus et était à la charge du contribuable en raison d’une infirmité mentale ou physique,

(ii) les services étaient assurés pour permettre au contribuable

(A) de remplir les fonctions d’une charge ou d’un emploi,

(B) d’exploiter une entreprise, soit seul, soit comme associé participant activement à l’exploitation de l’entreprise,

(C) d’entreprendre un cours de formation professionnelle relativement auquel il a reçu une allocation de formation professionnelle qui lui a été versée en vertu de la Loi sur la formation professionnelle des adultes, ou

(D) de mener des recherches ou tous travaux similaires relativement auxquels il a reçu une subvention, et

(iii) les services étaient assurés par une personne résidant au Canada autre qu’une personne

(A) au titre de laquelle une déduction a été effectuée en vertu de l’article 109, lors du calcul du revenu imposable pour l’année du contribuable ou de son conjoint, ou

(B) qui, au cours de l’année, était âgée de moins de 21 ans et unie au contribuable ou à son conjoint par le sang, le mariage ou l’adoption, sauf que

(iv) tous frais de cette nature engagés dans l’année pour le placement d’un enfant dans un pensionnat ou une colonie de vacances, dans la mesure où leur total dépasse le produit obtenu en multipliant $30 par le nombre de semaines de l’année pendant lesquelles l’enfant a été ainsi placé, et

(v) pour plus de précision, tous frais visés à l’alinéa 110( 1) c) et tous autres frais engagés au titre des soins médicaux ou hospitaliers, de l’habillement, du transport, de l’éducation ou de la pension et du logement (sauf dispositions contraires contenues dans le présent alinéa), ne constituent pas des frais de garde d’enfants; et Revenu gagné a) revenu gagné d’un contribuable signifie le total

(i) des traitements, salaires et autre rémunération, y compris les gratifications, reçus par lui dans le cadre de charges ou d’emplois, et de toutes les sommes incluses dans le calcul de son revenu en vertu des articles 6 et 7,

(ii) des sommes incluses dans le calcul de son revenu, en vertu de l’alinéa 56( 1) m), n) ou o), et

(iii) des revenus qu’il tire de toutes les entreprises qu’il exploite soit seul, soit comme associé participant activement à l’exploitation de l’entreprise.

"Garde" (4) Aux fins du présent article, il doit être supposé que l’enfant d’une femme et d’un homme qui demeuraient ensemble sans être mariés, était ordinairement à la garde de la femme et non pas de l’homme.

Dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu étudiées par le tribunal:

b) Article 109( 1) a) - Déductions pour personne mariée Le Rapport Carter 1 recommandait que la famille (c’est- à- dire le mari, la femme et tout enfant à charge) soit considérée comme une seule entité fiscale, les revenus de tous ses membres étant réunis aux fins de fisc et une échelle d’imposition familiale s’appliquant au revenu imposable de toute l’entité familiale. Bien que cette proposition n’ait pas été adoptée, dans le calcul de l’impôt d’un particulier, il est tenu compte en partie de ses responsabilités familiales au moyen d’exemptions personnelles. Le régime de l’impôt sur le revenu comporte des dispositions de cette nature depuis sa mise en oeuvre en 1917 2 .

Les exemptions personnelles ou déductions de base sont des déductions quelque peu arbitraires offertes aux particuliers dans le calcul de leur revenu imposable. Cette politique s’inspire du principe qu’un contribuable a besoin d’un revenu minimum exonéré d’impôt pour subvenir à ses besoins et à ceux des personnes à sa charge. Ainsi, l’exemption est fondée sur la situation personnelle et familiale du particulier. 1 Canada. Commission royale sur la fiscalité, 1967 (Commission Carter), Vol. 1, pp. 17- 19; Vol. 3, c. 10, pp. 122- 125. 2 Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, 1917, 7- 8 George v. chap. 28, art. 6( 1).

L’article 109 fait partie de la Section C de la Partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ce calcul du revenu imposable est la troisième étape, après la détermination de l’assujettissement à l’impôt et le calcul du revenu, menant à la détermination de l’impôt payable par un contribuable en vertu de la Partie I de la Loi.

Les alinéas a) à c) de l’article 109( 1) énoncent les déductions de base ou, comme on les appelle le plus souvent, les exemptions personnelles, auxquelles tout particulier a droit, selon sa situation de famille. Rigoureusement parlant, une exemption est un type particulier de revenu non assujetti à l’impôt. Donc les déductions à l’étude ne sont pas à proprement parler des exemptions; elles seraient plus correctement désignées du nom de dégrèvements personnels, car un dégrèvement est la soustraction à l’impôt d’une partie du revenu, indépendamment de sa source ou de sa nature. La somme déductible est rajustée à la hausse chaque année en vertu de l’article 117.1 pour 1974 et les années d’imposition suivantes. Ces rajustements sont destinés à compenser en partie l’érosion de la valeur du dollar attribuable à l’inflation.

Avec l’indexation, l’exemption de personne mariée ayant son conjoint à sa charge en 1978 était de $4,560, en 1979 de $4,970 et en 1980 elle sera de $5,420. L’expression marié s’entend de toute personne mariée selon une forme de mariage reconnue par les lois du Canada et qui n’est ni veuve, ni divorcée, ni séparée. L’exemption ne se limite pas au conjoint de sexe masculin. Si le conjoint de sexe féminin subvient aux besoins de son mari, il peut la réclamer. Cependant, il faut que le contribuable soit d’une personne mariée subvenant aux besoins de son conjoint".

Le ministère du Revenu national a toujours été d’avis que le conjoint vivant en concubinage n’a pas qualité de conjoint et il a toujours appliqué la Loi dans cette optique (Voir les Bulletins d’interprétation IT- 429, 22 mai 1979, et IT- 191, 23 décembre 1974, art. 15); de même, les tribunaux ont statué qu’un conjoint vivant en concubinage n’avait pas qualité de conjoint aux fins de l’article 109( 1) a). 3

3 Voir, par exemple, Toutant c. M. R. N., (1978) CTC2671( TRB).

Une personne est réputée avoir subvenu aux besoins de son conjoint lorsqu’elle lui fournit le gîte, la nourriture, le vêtement et les commodités essentielles de l’existence conformément à leur position et à leur mode de vie. L’exemption totale de personne mariée peut être réduite si le conjoint à charge a touché un revenu propre pendant l’année. Il faut également tenir compte de l’alinéa b) de l’article 109( 1). Le contribuable qui ne peut se prévaloir de l’article 109( 1) a) en tant que personne mariée ayant subvenu aux besoins de son conjoint peut obtenir l’équivalent de l’exemption de marié pour avoir une autre personne à sa charge. Cependant, l’exemption dépend, entre autres conditions, du fait que le contribuable ait un foyer autonome et qu’il y subvienne véritablement aux besoins d’une personne qui, pendant l’année, était entièrement à la charge du contribuable et qui lui était unie par les liens du sang, du mariage ou de l’adoption. En soi, l’article 109( 1) b) n’offre pas d’exemption au contribuable pour son concubin ni sa concubine. La déduction offerte par cet article sera généralement réclamée par le père ou la mère d’un enfant qui garde seul un enfant dans un foyer autonome.

Fait à souligner cependant, l’alinéa b) de l’article 109( 1) peut parfois avantager sur le plan fiscal les contribuables qui vivent en concubinage par rapport à ceux qui sont mariés. Si les conjoints vivant en concubinage ont chacun un revenu, ils auront chacun droit à la déduction de célibataire offerte par l’article 109( 1) c). Et s’ils ont un enfant, l’un des deux peut également réclamer l’équivalent de l’exemption de marié accordée par l’article 109( 1) b). 3a Cette déduction ne peut cependant être réclamée qu’une fois, et si les deux conjoints ne s’entendent pas quant à celui qui peut faire la déduction, ni l’un ni l’autre ne peut la faire (art. 109( 2)). Les parents vivant en concubinage ayant un enfant constituent une famille avantagée par le fisc, tous autres facteurs étant les mêmes, par rapport à la famille où les parents sont mariés. Dans ce dernier cas, l’un des parents peut profiter de la déduction pour enfants offerte par l’article 109( 1) d), 3b mais celle- ci n’équivaut qu’a environ le tiers de celle que permet l’alinéa b) du même article au titre de l’équivalent de marié. 4

3a L’article 109( 2) impose trois restrictions à la déduction de l’article 109( 1) b). Un contribuable ne peut profiter de cette déduction que pour une seule personne; s’il le fait, nul ne peut plus profiter de la déduction à l’égard d’un enfant prévue à l’article 109( 1) d); et un seul contribuable peut profiter d’une déduction à l’égard de la même personne à charge ou du même établissement domestique.

3b Il faut noter que l’article 109( 3) établit, entre autres, la présomption que l’enfant légitime est entièrement à la charge de son père.

4 Bien qu’elle ne soit par pertinente dans le cadre du problème dont ce Tribunal est saisi au sujet soit de l’article 109( 1) a), soit de l’article 63, une observation s’impose au sujet de l’article 63 dans le contexte des observations faites dans la décision jusqu’ici. Selon l’article 63, un contribuable marié ne peut déduire un paiement qu’il a fait à sa femme pour qu’elle s’occupe des enfants. Cependant, selon l’article 63( 4), les enfants d’un couple vivant en concubinage sont réputés à la garde de la femme. Ainsi, un concubin ne peut pas déduire les dépenses qu’il a payées à sa concubine. Par contre, rien n’empêche la concubine de profiter de la déduction d’un paiement qu’elle a fait à son concubin pour la garde des enfants, ce qui est interdit à la femme mariée: article 63( 3) a)( iii). L’article 63 accorde donc, dans cette mesure au moins, un traitement de faveur au contribuable célibataire vivant en concubinage.

Cependant, dans le cas dont est saisi le Tribunal et qui est exposé dans les plaintes des Bailey/ Carson, dame Bailey qui a simplement subvenu aux besoins de sieur Carson, son concubin, n’a pas pu profiter de la déduction offerte par l’article 109( 1) a) et s’est donc trouvée défavorisée sur le plan fiscal. S’ils étaient mariés, dame Bailey aurait pu profiter de la déduction offerte par l’article 109( 1) a).

c) Motifs de l’inadmissibilité des concubins à la déduction prévue à l’article 109( 1) a).

Nous disposons de très peu de documentation sur les motifs pour lesquels le Parlement a agi de façon discriminatoire en ce qui a trait à la déduction accordée au conjoint d’un couple vivant en concubinage. Dans le Journal des débats de la Chambre des communes, la question n’a été soulevée qu’à quatre occasions de 1940 à 1980. Le 4 mai 1959, au cours de la période de questions, M. Harold Winch (Vancouver Est) tenait les propos suivants:

Sous le régime des lois de divorce au Canada, le conjoint d’une telle personne (qui refuse le divorce) ne peut obtenir un divorce afin de se refaire une vie normale; il en vient parfois à vivre un régime de droit commun, comme on dit, avec une personne avec qui il n’est pas marié et qu’il ne peut pas épouser en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. Autant que je sache, les lois provinciales reconnaissent, dans la plupart des circonstances, l’épouse de droit commun... Je ne parle pas, bien entendu, d’une personne qui ne serait dans cette situation que depuis quelques semaines ou quelques mois. Je veux parler d’une union de droit commun existant depuis plusieurs années, et qui a produit des enfants.

... il y a tout au plus deux semaines que j’ai appris que la loi de l’impôt sur le revenu n’admet pas un conjoint de droit commun à titre de personne à charge d’un soutien de famille. A mon avis, cela impose un lourd et inutile fardeau à toute personne qui veut mener une vie normale et qui, pour des raisons qui échappent peut- être entièrement à sa volonté, doit vivre sous l’empire du droit commun. ... Je voudrais demander au ministre s’il ne serait pas possible de reconnaître les épouses de droit commun comme personnes à charge, dans certains cas raisonnables, aux fins de l’impôt sur le revenu. Presque toutes les provinces reconnaissent les mariages de droit commun en certaines circonstances. 1

1 Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 2e session, 24e Parlement, 4 mai 1959, p. 3450.

L’hon. Donald Fleming, ministre des Finances de l’époque, a répondu:

Monsieur le président, quand la loi de l’impôt sur le revenu parle de mariage ou d’épouse ou de mari, elle parle de ceux qui ont cette qualité aux termes de la loi. Cette loi ne tient aucun compte des rapports illicites à cet égard. Dans le cas des enfants, naturellement, un enfant illégitime peut être considéré comme personne à charge aux termes de cette loi, mais dans le cas de la femme de droit commun, on ne peut la considérer comme une épouse aux termes de la présente loi. L’honorable député demande s’il serait possible de modifier cela. Oui, le Parlement peut le modifier, mais la chose n’est pas envisagée. 2

M. Fleming, dans sa réponse, n’a pas donné de justification pour ces dispositions discriminatoires. On n’en eu qu’en octobre 1971, au cours de la seconde lecture, par le Parlement, du Bill C- 259 3 qui donnait suite au Livre blanc du gouvernement, Propositions pour une réforme de la fiscalité. 4

2 Ibid., p. 3298

3 Débats, 18 juin 1971, p. 6892; Herb Gray (Windsor Ouest) a proposé la deuxième lecture du Bill C- 259 le 13 septembre 1971, Débats, 13 septembre 1971, p. 7750. Troisième lecture le 17 décembre 1971.

4 Le Livre blanc, Propositions pour une réforme de la fiscalité, a été déposé à la Chambre le 7 novembre 1969 Débats, 7 novembre 1969, p. 659.

En quatre occasions, pendant que la Chambre étudiait en comité plénier le Bill C- 259, M. Robert McCleave (Halifax - East Hants) a demandé des explications sur les motifs de la distinction entre couples mariés selon la loi et couples vivant en concubinage. M. Patrick Mahoney (Calgary South), secrétaire parlementaire du ministre des Finances de l’époque, lui a répondu en ces termes:

C’est un problème d’administration, pas dans un sens strict, mais plutôt dans l’établissement de l’union libre. Le gouvernement convient sûrement que la législation fiscale n’est pas un instrument de censure ou de récompense morale. Dans ses commentaires, le député au moins a invoqué un élément de moralité en faveur de sa thèse. Il a parlé d’amant et maîtresse. Cela présuppose que les deux personnes sont de sexe différent, pourtant ce n’est pas nécessairement le cas aujourd’hui. Que faire en l’occurence? Comment prouver une union libre? De quelle sorte d’union libre le répartiteur devrait tenir compte pour décider si l’exemption des époux doit être accordée? S’agit- il d’une relation éphémère d’un ou deux jours ou d’une ou deux semaines? Quelle est exactement une union libre à laquelle le député a fait allusion?

L’honorable député voit deux catégories distinctes dans cette situation qui n’est ni reconnue ni sanctionnée. Un couple qui ne peut se marier à cause d’un autre empêchement légal en est un exemple. Dans le premier cas qu’il a cité, le couple était libre de se marier mais ne l’a pas fait. Mon attitude devant cette situation est sensiblement la même que lorsqu’il s’est agi d’étendre aux entreprises non constituées les stimulants consentis aux petites entreprises. Je regrette que nous n’ayons pas trouvé le moyen de le faire. La plupart des petites entreprises sont par contre libres de se constituer. De même, dans le cas qui nous intéresse, la plupart des contribuables ont le choix de se marier. 5

5 Débats, 25 octobre 1971, p. 9008.

L’hon. Edgar J. Benson, ministre des Finances, a poursuivi cette explication le lendemain:

... je voudrais seulement dire que, si bien disposé que je sois à cet égard, il est très difficile d’établir en quoi consiste un ménage de droit commun. Peut- on admettre comme vivant en état de mariage une personne ayant une bonne amie â laquelle il rend visite de temps à autre? La loi est assez précise en ce qui concerne le statut conjugal... des preuves existent... A mon avis, il serait impossible en droit de définir le genre de rapport admissible si l’on devait songer à reconnaître concubinage aux fins de la loi de l’impôt sur le revenu. 6

6 Ibid., 26 octobre 1971, p. 9048.

L’argument avancé à la fois par M. Mahoney et par l’hon. Edgar Benson, selon lequel le ministre du Revenu national serait incapable de définir convenablement en quoi consiste la concubinage, s’il ne fait pas l’unanimité chez les commentateurs, reçoit d’eux un certain appui. Un savant légiste, le Prof. William Klein, a écrit:

Il est clair qu’on ne saurait établir de règle permettant de distinguer entre ces couples non mariés qui vivent comme mari et femme et ceux qui ne font que cohabiter... Du moins, aucune règle ne pourrait être appliquée sans que l’on montre une totale indifférence envers les notions reçues des limites qu’il convient d’imposer aux pouvoirs et activités des fonctionnaires gouvernementaux... combien de temps un homme peut- il passer chez une femme et quelle peut être sa conduite avant qu’il cesse de la fréquenter ou de la courtiser pour devenir son mari putatif? En outre, qui définira les faits pertinents, sur la base de quelles informations et quels soupçons et de quelle façon? 7

7 William A. Klein, Familial Relationships and economic wellbeing: family unit rules for a negative income tax, (1971) 8 Harvard Journal on Legislation 361, pp. 388- 393.

Klein a aussi soulevé la possibilité de la violation de la vie personnelle ou privée des contribuables dans l’application de l’article, pour assurer du respect des critères de la déduction personnelle.

Si le mariage, aux fins du fisc, devait comprendre le concubinage, quelles seraient les normes applicables à sa définition? Deux personnes non unies par les liens du sang et vivant dans le même foyer seraient- elles admissibles à la déduction?

Le sexe serait- il un facteur décisif, par exemple dans des relations homosexuelles? Et s’il l’était, le ministère du Revenu national prêterait- il alors le flanc à d’autres plaintes d’actes discriminatoires fondés sur le sexe? Dans un récent article, un auteur soulevait la possibilité d’un autre problème, celui du faux concubinage. Des personnes pourraient se marier pour avoir droit à la déduction, puis se séparer pour se soustraire à la répartition des revenus. 8 La relation qui, de prime abord, semblerait le mieux fonder le droit à la déduction serait peut- être celle dans laquelle le couple a un enfant. 9

Quoi qu’il en soit des problèmes ci- dessus, la section du Droit familial de l’Association canadienne du Barreau de l’Ontario a suggéré que l’article 109( 1) a) soit étendu aux personnes non mariées qui, en vertu d’une loi provinciale, sont légalement tenues d’assurer la subsistance d’une autre personne, que les paiements effectués pour cela le soient en vertu d’un accord domestique ou d’une ordonnance d’un tribunal. 10 Cette interprétation a ceci de bon que la déduction continue d’y être liée au principe pour lequel les déductions de l’article 109 sont offertes, soit que les contribuables ont besoin d’un revenu pour assurer leur subsistance et celle de leurs personnes à charge et que ce revenu de base devrait se situer sous le seuil de l’impôt sur le revenu. Pour l’Association canadienne du Barreau, le problème de la définition du concubinage se résout par renvoi aux lois de la province où le couple vit. 11

8 Arthur Drache, Financial Post, 10 juin 1980.

9 Supra note 7, p. 394.

10 Barbara Suzuki, Recommendations of the Family Law Section Committee of Income Tax and the Family Canadian Bar Association (Ontario), 25 janvier 1979, p. 5.

11 Ibid. p. 6. Voir aussi Susan Eng, Tax Consequences of Provincial Family Law Reform Legislation (1978) 26 Canadian Tax Journal 554.

Cette solution toutefois risquerait de soulever d’autres problèmes, soit des inégalités dans l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu si celle- ci dépendait de la province dans laquelle le contribuable a son domicile. Il existe des inégalités dans le régime fiscal des Etats- Unis parce que le statut de personne mariée est défini différemment d’un Etat à l’autre. 12

12 Commentaires The Haitian Vacation: the applicability of Sham Doctrine to year- end divorces (1979) 77 Michigan Law Review 1332, pp. 1339- 1344.

Un conférencier à un récent congrès de la Canadian Tax Foundation faisait les observations suivantes au sujet de la différence entre les diverses provinces en matière de droit matrimonial et son effet sur la L. I. R.:

Les modifications du droit de propriété dans le mariage proposées par les diverses provinces et que j’ai brièvement commentées auraient à mon avis des répercussions fiscales différentes pour les résidents des diverses provinces... Les praticiens du droit se souviendront sans doute sans grand plaisir de la situation qui prévalait en matière de droits successoraux et d’impôt sur les dons de 1972 à 1977, à l’époque où au moins cinq provinces oeuvraient dans ce domaine, chacune avec ses propres lois. De l’avis de plusieurs, cet état de chose menait à la balkanisation du pays. A mon humble avis, le régime des biens dans le mariage court les mêmes risques. Il serait sans doute naïf de proposer que toutes les provinces adoptent le même régime matrimonial en matière de propriété pour que tous les citoyens du Canada soient soumis au même traitement, mais il n’est sûrement pas hors de propos de suggérer que le gouvernement fédéral fasse de son mieux pour que les mesures s’appliquant à ces citoyens ne dépendent pas de la province où ils se sont mariés ou de celle de leur résidence temporaire. Tout autre résultat contredirait nettement toute notion d’équité en matière d’impôt. 13

13 Canadian Tax Foundation. Report of Proceedings of the twenty- ninth Tax Conference, Toronto 1977, p. 239 (M. Robert Goodwin).

Evidemment, il existe néanmoins déjà d’appréciables différences dans l’application de l’impôt sur le revenu liées au lieu de résidence à cause, simplement, des variations dans les taux des impôts provinciaux sur le revenu.

Qu’un ministre des Finances envisage avec sympathie ou non une modification de la déduction de façon à y faire entrer les liens de concubinage, le seul motif apparent de la distinction en semble être un de commodité administrative, c’est- à- dire qu’on a l’impression qu’en élargissant la définition de mariage on ouvrirait la porte à l’évasion fiscale et par conséquent on rendrait l’application de la loi plus difficile. Nous verrons ci- après si ce motif, si important soit- il, est suffisant.

Aux Etats- Unis, l’équivalent de l’article 109( 1) a) de la L. I. R. est l’article 151b) du Internal Revenue Code. 14 Contrairement au Canada, les Etats- Unis permettent aux contribuables mariés de produire des déclarations conjointes. Cependant, l’article 151b) permet au contribuable qui produit une déclaration distincte de déduire 1,000 dollars de son revenu pour son conjoint pourvu que celui- ci n’ait pas eu de revenu brut pour l’année d’imposition en cause et qu’il n’ait pas été à la charge d’un autre contribuable. Le Internal Revenue Code ne donne pas de définition du terme conjoint. La jurisprudence, cependant, laisse croire que conjoint s’entend soit de l’époux, soit de l’épouse. Le Corpus Juris Secondum 15 définit le conjoint ainsi: époux ou épouse selon la loi. 16 Les mots époux et épouse sont des termes génériques ayant un sens précis et bien défini, qui supposent nécessairement un mariage légitime. 17 Dans l’ouvrage Words and Phrases 18 on lit que conjoint est le terme juridique ou ordinaire 19 décrivant la relation tant au sein du mariage qu’entre concubins. Dans le supplément, on précise que conjoint se dit par rapport à un mariage légitime dûment contracté. 20

14 Title 26 U. S. C. A. nos 1 à 160, p. 568 (St- Paul, Minn.: West Publishing Co.)

15 Vol. XLI (St- Paul, Minn.: West Publishing Co.).

16 Ibid. p. 393.

17 Ibid.

18 Edition permanente, volume 39A (St- Paul, Minn.: West Publishing Co.).

19 Ibid., p. 537 20 Supplément de 1980, p. 91

Dans la jurisprudence relative à l’article 151b) du Internal Revenue Code, on constate que le terme conjoint s’entend d’une personne mariée, donc une personne ayant un concubin à sa charge n’est pas admissible à la déduction offerte par l’article en question. 21 La détermination de l’état de famille à l’article 143 concorde avec cette interprétation, car il y est question d’une personne mariée et ensuite de son conjoint.

21 Sheppard c. C. T. R. 1959, 32 T. C. 942.

L’article 151e) du Internal Revenue Code contient des dispositions semblables à celles de l’article 109( 1) b) de la L. I. R. aux fins qui nous intéressent; cet article prévoit une exemption supplémentaire de 1,000 dollars pour chaque personne à charge selon la définition qu’en donne l’article 152a). Cet article n’admet pas le conjoint comme personne à charge aux fins de l’article 151e) mais ajoute cependant que personne à charge comprend

Une personne (autre que le conjoint)... qui, pour l’année d’imposition du contribuable a comme principal lieu d’habitation la maison du contribuable et est un membre de sa famille.

Ainsi, le concubin ou la concubine qui par ailleurs satisfait aux critères de l’article 151e)( 1) serait à la charge de l’autre et lui permettrait de réclamer l’exemption de 1,000 dollars accordée par l’article 151e)( 1). A ce titre, la loi américaine est plus libérale que la loi canadienne et ne ferait pas de distinction fondée sur la situation de famille dans le cas Bailey/ Carson; en effet, aux Etats- Unis, dame Bailey aurait droit à la déduction pour avoir eu sieur Carson a sa charge en vertu de l’article 151e)( 1).

Il existe toutefois une réserve. L’article 152b)( 5) est ainsi libellé:

Une personne n’est pas membre de la famille d’un contribuable si à quelque moment au cours de l’année d’imposition du contribuable leurs liens réciproques sont en contravention d’une loi locale. (Soulignement ajouté)

La loi d’un Etat peut rendre des relations de concubinage illégales; dans ces Etats, ni le concubin ni la concubine n’ont droit à la déduction prévue à l’article 151( 1) e). 22

22 Untermann c. C. I. R., 1962, 38 T. C. 93; Turnipseed c. C. I. R., 1957, 27 T. C. 758.

DISPOSITIONS DE LA LOI DE L’IMPOT SUR LE REVENU ETUDIEES PAR LE TRIBUNAL

d) Article 63 - Deduction des frais de garde d’enfants

Les frais de garde d’enfants engagés par un contribuable de sexe féminin peuvent, dans des limites données, être déduits dans le calcul du revenu. La limite prévue est que le contribuable ne peut déduire à ce titre que le moins élevé des montants suivants: (i) $4,000, (ii) un montant égal aux 2/ 3 du revenu gagné, et (iii) le produit obtenu en multipliant $1,000 par le nombre d’enfants pour lesquels le contribuable a engagé les frais de garde. Sont compris dans ces frais le coût d’une gardienne d’enfants ou d’une garderie, d’un pensionnat ou d’une colonie de vacances, à la condition que ces services aient été fournis pour permettre au contribuable de remplir les fonctions d’un emploi ou d’exploiter une entreprise.

L’article 63( 1) de la L. I. R. indique à quelles conditions un homme a le droit de déduire les frais de garde d’enfants dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition, conditions auxquelles une femme n’est pas astreinte. Ces conditions sont les suivantes: que l’homme ne soit pas marié ou qu’il soit séparé de sa femme, que sa femme ait été dans l’incapacité de s’occuper des enfants en raison d’une infirmité mentale ou physique ou du fait qu’elle était en prison. Bref, si toutes les femmes sont admissibles à la déduction, tous les hommes ne le sont pas. Les règles spéciales énoncées aux paragraphes (1) b) et (2) a) à l’intention du contribuable masculin prévoient également une déduction maximum inférieure pour celui- ci. Le Prof. B. J. Arnold, dans un article publié en 1973 (dont j’ai mis les chiffres à jour pour les rendre conformes aux modifications apportées subséquemment à la loi), donnait l’exemple suivant:

Lorsque le contribuable est un homme, la déduction maximum est le moins élevé des deux montants suivants: $4,000 ou le produit obtenu en multipliant $30 pour chacun des enfants du contribuable (jusqu’à concurrence de quatre) par le nombre de semaines pendant lesquelles le contribuable a satisfait à l’une des quatre conditions le rendant admissible à la déduction. En d’autres termes, un contribuable de sexe masculin non marié ou séparé n’a droit à une déduction que pour cette partie de l’année d’imposition durant laquelle il est séparé ou non marié. Prenons par exemple un contribuable, père de deux enfants, dont la femme est hospitalisée pendant quatre semaines. En l’absence de la règle spéciale du paragraphe 2a) de l’article 63, il n’aurait droit qu’à une déduction de $2,000, soit $1,000 pour chaque enfant. 5 Par l’application de la règle spéciale, cependant, la déduction se trouve réduite de $240 (soit $30 par enfant, multipliés par 4, le nombre de semaines pendant lesquelles sa femme a été hospitalisée).

5 Ce résultat est obtenu par l’application de l’article 63( 1) d). Il suppose que les deux tiers du revenu gagné du contribuable dépassaient $1,000.

Dans les cas où la femme était confinée, la limite générale de $4,000 de même que la limite de $1,000 par enfant sont réduites du montant que le mari a déduit à titre de frais de garde d’enfants dans l’année. 22a

22a Arnold, B. J., Section 63. The Deduction for Child Care Expenses (1973) 21 Canadian Tax Journal 176, p. 177. Voir aussi Arnold, The Deduction for Child Care Expenses in the United States and Canada: A Comparative Analysis, (1973) 12 Western Ontario L. R. 1.

Bien que la société évolue rapidement, il demeure encore vrai aujourd’hui que dans la plupart des cas où les deux parents travaillent, c’est le père qui touche le plus fort revenu. Etant donné le taux progressif de l’impôt de la L. I. R., il serait plus avantageux, si la Loi le permettait, pour le mari en tant que bénéficiaire du revenu le plus élevé, que pour la femme en tant que bénéficiaire du revenu le moins élevé, de profiter de la déduction. Or en vertu de l’article 63, les hommes mariés ne sont pas admissibles à la déduction. Si les parents travaillaient tous les deux et si le mari, touchant le revenu le plus élevé, pouvait profiter de la déduction, le fisc y perdrait davantage, étant donné le taux progressif de l’impôt.

Cependant, cette exclusion des hommes mariés des avantages de l’article 63 peut avoir pour résultat une distinction injuste envers les hommes abandonnés par leur femme, comme on s’en est rendu compte au moment du débat sur la réforme fiscale.

M. Lambert (Edmonton- Ouest): Monsieur le président, je voudrais soulever un point. Au sujet de cette disposition, je vais, je crois, défendre la liberté du père. Nombre de députés ont parlé de parents célibataires et on a laissé entendre que ce sont toujours les mères qui sont en cause. Le présent bill ne prévoit rien dans le cas du père, sauf s’il est séparé de sa femme par suite d’un accord de séparation couché sur papier. C’est ce qu’on répète maintes et maintes fois dans le bill. Un homme a droit à la déduction pour frais de garde d’enfants seulement s’il n’est plus marié, ou s’il vit séparé de sa femme en vertu d’un accord écrit ou encore si sa femme a été déclarée, par un médecin qualifié, être une personne qui, en raison d’une infirmité mentale ou physique, est dans l’obligation pendant au moins deux semaines d’effectuer un séjour dans une institution.

Mme MacInnis: Que dire des veufs? M. Lambert (Edmonton- Ouest): Son cas n’est pas prévu, pas plus que celui de l’homme dont l’épouse l’a abandonné avec les enfants. Nous savons que ces choses arrivent. Ces cas- là ne sont peut- être pas tout à fait aussi nombreux que ceux des maris qui désertent le foyer, mais il arrive souvent qu’une femme abandonne son mari en lui laissant les enfants.

Il me semble que la séparation dans de tels cas ne devrait pas se limiter à la séparation en vertu d’un accord écrit. Le veuf, bien sûr, est visé par la disposition concernant l’homme non marié. En vertu de ces dispositions, il est considéré comme n’étant pas marié. Je dois dire qu’il y a de nombreux cas où la femme a quitté le mari en lui laissant les enfants.

Il ne lui est pas possible alors de négocier un accord et aucune raison majeure ne l’incite à le faire.

Il faudrait peut- être prévoir un ordre de la Cour. Supposons que les partis soient simplement séparés par un ordre semblable. Par exemple, le tribunal familial peut décider pour le bien des enfants ou pour d’autres raisons que le mari doit vivre séparé et éloigné de sa femme. Ma foi, si les enfants sont à la garde de l’époux, celui- ci devrait certes avoir droit à l’allocation de garde d’enfants. La déduction dont il est question à l’article 63( 1) b)( iii)( A) pourrait prêter à des abus si la femme avait à garder le lit et qu’il serait établi par certificat qu’elle doit y demeurer pendant deux semaines et que le soin des enfants s’impose. Il serait vraiment possible, je pense, d’en arriver à quelque résultat là- dessus.

Je demande donc au secrétaire parlementaire de m’expliquer pourquoi l’avantage se limite à l’homme qui est père de famille et qui est séparé en vertu d’un accord écrit. Je sais que les partis qui décident de se séparer afin de chercher à obtenir quelques avantages pourraient en profiter. Mais bon sang, quand il est prouvé que la femme a fichu le camp ou quand la cour a décrété la séparation des deux parties, donnant la garde et le soin des enfants au mari, cela devrait être suffisant pour lui donner le droit à l’allocation de frais de garde.

M. Mahoney: ... L’article 63 indique bien clairement que si la maîtresse de maison a un revenu, elle peut automatiquement y prétendre, mais le chef de famille doit subir un certain nombre de tests pour pouvoir y prétendre, comme l’a laissé entendre le député d’Edmonton- Ouest: il doit prouver soit qu’ils sont séparés ou qu’il n’est pas marié et a les enfants à charge pour une raison ou un autre, étant veuf ou divorcé, ou que sa femme est séparée de lui en vertu d’une convention écrite, ou que sa femme avait été privée pour des raisons mentales ou physiques de sa capacité légale pour une période de temps au courant de l’année ce qui lui permettrait de réclamer cette déduction en vertu de l’article 63.

En passant, je pourrais citer les commentaires du député d’Edmonton- Ouest et faire remarquer que naturellement dans ce domaine et dans presque toutes circonstances que je pourrais imaginer et que le député a mentionnées, le contribuable aurait droit de réclamer la totalité de l’exemption pour personne mariée pour une autre personne à charge que sa femme, à condition que les circonstances qu’il a mentionnées existent et j’aimerais examiner ses commentaires pour voir si par hasard nous pourrions trouver une situation où un homme ne pourrait pas réclamer de déduction pour garde d’enfants ou d’exemption à titre de personne mariée pour le compte de quelque personne à charge autre que sa femme. Toutefois, je ne crois pas que cette circonstance existe; je crois qu’il a droit à l’une ou l’autre des exemptions dans ces conditions.

M. Lambert (Edmonton- Ouest): Qu’arriverait- il s’il met les enfants en pension et qu’il se prévaille des dispositions concernant le placement des enfants dans un pensionnat avec les restrictions inhérentes? Il n’y aurait pas droit? 22b

22b Débats, 1er novembre 1971, pp. 9226, 9227.

Comme le dit M. Mahoney, le mari abandonné avec un enfant à charge peut profiter de la déduction offerte par l’article 109( 1) b), soit l’exemption de l’équivalent de marié (disposition que nous avons déjà étudiée dans le contexte des plaintes des Bailey/ Carson). Ce n’est cependant pas une réponse satisfaisante que de laisser entendre que la logique veut que le mari abandonné ne devrait donc pas avoir droit à la déduction pour frais de garde d’enfants prévue à l’article 63, puisque la femme abandonnée qui se trouve dans la même situation de fait, c’est- à- dire avec un enfant à sa charge, peut profiter à la fois de la déduction de l’article 109( 1) b) et de celle de l’article 63. Le conjoint de sexe féminin abandonné se trouve, sur le plan fiscal, dans une position nettement plus avantageuse que le conjoint de sexe masculin abandonné.

e) Historique et fondement de la politique relative à la promulgation de l’article 63

Avant d’aborder l’étude même de l’article 63, il est indispensable de revoir brièvement certains postulats de la Loi de l’impôt sur le revenu pour mieux comprendre à la fois la logique de cette loi et les motifs qui ont dicté les modalités de l’article 63.

L’économiste Robert Murray Haig définissait le revenu comme la valeur monétaire de la majoration nette du pouvoir économique entre deux points dans le temps; et les auteurs du Rapport Carter déclaraient: Nous sommes profondément persuadés que les impôts devraient être répartis selon le pouvoir des individus et des familles. 23

23 Canada. Rapport de la Commission royale sur la fiscalité. (Commission Carter), Vol. 1 Introduction, Remerciements et rapports minoritaires, Ottawa: Imprimeur de la Reine, 1966, pp. 9- 10.

La Loi de l’impôt sur le revenu de 1972 s’écarte manifestement dans plusieurs cas particuliers de la notion d’assiette fiscale globale, mais toute la Loi repose sur le postulat que le revenu s’entend d’une majoration nette du pouvoir économique. Ainsi, l’article 9( 1) mentionne le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise ou d’un bien comme étant le bénéfice qu’il en tire pour l’année. Le calcul du bénéfice tiré d’une entreprise ou d’un bien doit se faire selon des principes de comptabilité généralement acceptés, à moins que la Loi ne s’en écarte, par exemple, soit en rendant des dépenses non déductibles, soit en permettant de déduire des dépenses que de tels principes de comptabilité ne permettraient pas de déduire.

Il s’en dit logiquement que les débours ou les dépenses faits ou engagés par le contribuable en vue de tirer un revenu de biens ou d’une entreprise ou de leur faire produire un revenu sont déduits du revenu brut pour en arriver à un revenu net ou bénéfice aux fins de l’impôt. 24

24 Article 9( 1) et article (18)( 1) a). Voir, par exemple, The Royal Trust Co. c. M. R. N. (1957) C. T. C. 32; (1957) 11 DTC 1055 (C. de l’Ech.).

Un second principe veut que pour que des dépenses soient déductibles, elles doivent être faites dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise, et donc que les frais personnels ou frais de subsistance ne soient pas déductibles. 25 Et cela est logique en ce que les frais personnels ou de subsistance dépendent dans une large mesure de la volonté de chacun, en permettant leur déduction, on réduirait l’assiette fiscale. La personne qui dépenserait tout son revenu ne paierait pas d’impôt.

25 Article 18( 1) h)

Quant au revenu tiré d’un emploi, l’une des difficultés d’application de la L. I. R. résiderait dans le fait que les contribuables réclament comme déduction des dépenses qui ne sont pas liées au gain du revenu tiré de l’emploi. De plus, si des dépenses se rapportent à l’entreprise d’un employeur, celui- ci paie ordinairement les dépenses et rembourse l’employé, ou au moins verse à l’employé une indemnité pour les dépenses afférentes à son emploi. Le législateur a donc adopté comme méthode en ce qui a trait au revenu tiré d’un emploi d’exiger que le salaire ou traitement brut soit compté aux fins de l’impôt moins les seules déductions spécifiquement autorisées par la L. I. R. Celles- ci comprennent une déduction générale des dépenses afférentes à un emploi 26 jusqu’à concurrence de $500, en reconnaissance du fait que la plupart des employés doivent, pour gagner le revenu qu’ils tirent de leur emploi faire des dépenses que ne leur rembourse pas leur employeur.

26 Article 8( 1) a).

Donc, en résumé, la norme applicable pour que des dépenses soient déductibles est qu’elles doivent avoir été faites dans l’exploitation de l’entreprise ou l’accomplissement des charges d’un emploi. Ainsi donc, les dépenses faites pour se rendre au lieu d’affaires ou d’emploi ne sont pas déductibles. 27 La classification ne change pas du fait que, sans ces dépenses, le contribuable n’aurait pas pu exploiter son entreprise ou exercer son emploi.

27 Dr. Ronald K. Cumming c. M. R. N. (1967) CTC 462 (1967) 21 DTC 5312 (C. de l’Ech.); Martyn c. M. R. N. (1962), 35 Tax ABC 428; 62 DTC 341 (T. A. B.).

La Loi de l’impôt sur le revenu a tiré la ligne entre les dépenses faites pour l’exploitation d’une entreprise d’une part et les dépenses personnelles ou frais de subsistance d’autre part. Les premières peuvent être considérées comme le coût de gagner sa vie et les secondes simplement comme le coût de la vie. Lorsqu’on commence à permettre des déductions relatives à ces dernières, il est très difficile de savoir où s’arrêter. Si les frais de transport pour se rendre au lieu de travail sont déductibles, pourquoi les frais du contribuable relatifs à sa nourriture, ses vêtements et son gîte, encourus hors de l’exploitation de ses affaires ne le seraient- ils pas? Sans ces dépenses, il serait incapable d’agir. Mais permettre de déduire ces dépenses, surtout lorsque leur nature et leur quantité dépendent de la discrétion et des goûts du contribuable, ce serait entamer sérieusement l’assiette fiscale.

La L. I. R. reconnaît que tout particulier contribuable a besoin d’un montant minimum d’argent pour vivre et donc qu’il devrait bénéficier d’un dégrèvement dans le calcul de son revenu imposable. C’est pourquoi la L. I. R. prévoit les exemptions ou déductions personnelles de l’article 109( 1) a) (étudiées ci- dessus) en litige dans les affaires dont est saisi le Tribunal par les plaintes Bailey/ Carson.

Donc, les écarts par rapport à la norme (les dépenses personnelles ou de subsistance ne sont pas déductibles sauf les exemptions personnelles prévues à l’article 109) sont des exemptions, et pour que le contribuable ait droit à telles déductions, son cas doit correspondre rigoureusement aux dispositions de la L. I. R.

On trouve des exemples de ces écarts dans les dispositions permettant la déduction de dons de charité et frais médicaux. La déduction des dons à des oeuvres de charité 28 repose sur le principe qu’il faut accorder des dégrèvements d’impôts à certaines initiatives jugées bénéfiques pour la société, en laissant au secteur privé (les contribuables donateurs) le soin de décider qui bénéficiera de ces dons. Certains frais médicaux peuvent être déduits 29 en vertu du principe qu’ils constituent des dépenses extraordinaires (c’est- à- dire supérieures à un seuil qu’un contribuable peut atteindre normalement), qu’ils ne dépendent pas de la volonté de chacun et qu’ils réduisent effectivement le revenu et donc le pouvoir économique du contribuable.

28 Article 110( 1) a).

29 Article 110( 1) c) L. I. R.

Avant l’adoption de l’article 63, les tribunaux avaient statué que les frais de garde d’enfants n’étaient pas déductibles parce qu’ils constituaient des dépenses personnelles. 30

30 Arnold, B. J., The Deduction for Child Care Expenses in the United States and Canada: A comparative Analysis, (1973) 12 Western Ontario L. R. 1, p. 26.

En outre, étant donné la limite fixée à la déduction par le libellé de l’article 63, il est clair que la déduction ne correspond pas aux frais réels de garde d’enfants et ne sert pas de barême pour définir le revenu. La L. I. R. ne considère pas que ces dépenses se rapportent à ce qu’il en coûte pour gagner sa vie mais tout simplement au coût de la vie.

Mais les frais de garde d’enfants ont toujours été conçus et classés comme frais de subsistance personnelle tant au Canada qu’aux Etats- Unis par les tribunaux avant la réforme de la loi ainsi que dans les dispositions de la Loi qui accordent la déduction.

Dans la conception de la L. I. R., les dispositions relatives aux frais de garde d’enfants sont groupées avec diverses autres, sous la rubrique Déductions lors du calcul du revenu à la sous- section e, Section B, de la Partie I de la Loi. L’article 62 permet la déduction des frais de déménagement qui sont autres dépenses indissociablement liées au gain d’un revenu. L’article 60f) permet la déduction des frais de scolarité aux niveaux secondaire, professionnel et universitaire. Sans instruction, le contribuable aura vraisemblablement un revenu inférieur. Il est à l’avantage du bien commun qu’il n’existe pas d’anti- stimulant fiscal à la mobilité de la main- d’oeuvre ou à l’amélioration de ses connaissances; c’est pourquoi ces déductions sont permises.

Mais l’interprétation selon laquelle ces déductions sont considérées, dans la L. I. R., comme assimilables à des dépenses personnelles est corroborée par le fait que les déductions admises en vertu de la sous- section (e) ne peuvent pas engendrer une perte qui puisse être défalquée du revenu tiré d’autres sources. 32

32 Un solde débiteur imputable aux déductions de la sous- section (e) ne peut pas être utilisé (3( c)). Par contre, une perte attribuable à un emploi, une entreprise ou un bien peut être défalquée du revenu tiré de toutes sources (3d)) et être utilisée, dans certaines limites, en d’autres années d’imposition, à titre de pertes autres que des pertes en capital (Art. 111 (1) a) et 8a)).

Mais les frais de garde d’enfants ont toujours été conçus et classés comme frais de subsistance personnelle tant au Canada qu’aux Etats- Unis par les tribunaux avant la réforme de la loi ainsi que dans les dispositions de la Loi qui accordent la déduction.

Dans la conception de la L. I. R., les dispositions relatives aux frais de garde d’enfants sont groupées avec diverses autres, sous la rubrique Déductions lors du calcul du revenu à la sous- section e, Section B, de la Partie I de la Loi. L’article 62 permet la déduction des frais de déménagement qui sont autres dépenses indissociablement liées au gain d’un revenu. L’article 60f) permet la déduction des frais de scolarité aux niveaux secondaire, professionnel et universitaire. Sans instruction, le contribuable aura vraisemblablement un revenu inférieur. Il est à l’avantage du bien commun qu’il n’existe pas d’anti- stimulant fiscal à la mobilité de la main- d’oeuvre ou à l’amélioration de ses connaissances; c’est pourquoi ces déductions sont permises.

Mais l’interprétation selon laquelle ces déductions sont considérées, dans la L. I. R., corne assimilables à des dépenses personnelles est corroborée par le fait que les déductions admises en vertu de la sous- section (e) ne peuvent pas engendrer une perte qui puisse être défalquée du revenu tiré d’autres sources. 32

32 Un solde débiteur imputable aux déductions de la sous- section (e) ne peut pas être utilisé (3( c)). Par contre, une perte attribuable à un emploi, une entreprise ou un bien peut être défalquée du revenu tiré de toutes sources (3d)) et être utilisée, dans certaines limites, en d’autres années d’imposition, à titre de pertes autres que des pertes en capital (Art. 111 (1) a) et 8a)).

Avant 1972 au Canada et 1954 aux Etats- Unis, les dépenses afférentes à la garde d’enfants engagées par l’un des parents qui abordait pour la première fois le marché du travail n’étaient pas déductibles du revenu gagné. Ces dépenses n’étaient pas considérées comme afférentes à l’emploi mais comme des dépenses personnelles. Chacun fait des dépenses, notamment pour son alimentation et ses vêtements qui lui sont indispensables pour être en mesure de gagner un revenu mais qui ne sont pas faites spécifiquement pour le gagner. Comme nous l’avons vu, les dépenses déductibles se limitent généralement à cette dernière catégorie: celles qui sont faites dans l’exploitation d’une entreprise ou dans l’accomplissement des tâches d’un emploi. Cette position, adoptée tant par le ministère du Revenu national au Canada que par le Department of the Treasury aux Etats- Unis, a été confirmée par les tribunaux des deux pays. 33

33 Voir Bowers c. Harding (1891) 1 B. R. 560; no 68 c. M. R. N. 52 DTC 333; Nadon c. M. R. N. 66 DTC 1, King c. M. R. N. 71 DTC 18; Lawlor c. M. R. N. 65 DTC 1248, décisions canadiennes, et Smith c. Commissioner 40 BTA 1038 (1939) conf. par cour, 113 F2d 114 (2d Cir, 1940).

L’amendement apporté au Internal Revenue Code des Etats- Unis en 1954 avait un but spécifique et limité: apporter un soulagement aux familles à revenu modique, en particulier aux familles monoparentales dirigées par une femme. 34

34 Arnold, supra, no 30, p. 31.

La Commission Carter dans son rapport de 1967 a recommandé l’établissement de crédits d’impôt pour les mères au travail. 35 Elle préférait un tel régime à un régime de prestations, l’estime plus apte à soulager le fardeau fiscal des familles à revenu modique, ce qui est également le but premier des prestations. A cause du taux progressif des impôts, le contribuable à revenu élevé profite des prestations en ayant moins d’impôts à payer. En outre, les crédits d’impôt devaient stimuler davantage les femmes à se présenter sur le marché du travail.

35 Canada. Rapport de la commission royale d’enquête sur la fiscalité, Tome 3 l’imposition du revenu: Première partie Les particuliers et les familles, Ottawa; Imprimeur de la Reine et Contrôleur de la Papeterie, 1966, pp. 21, 206, 220- 1. Lorsqu’une épouse travaille, il peut en résulter un accroissement des dépenses ménagères de la famille... pour une famille qui a des enfants, il y a manifestement un accroissement des dépenses incompressibles lorsque les deux conjoints travaillent (p. 220).

Dans ses propositions de réforme fiscale, le gouvernement a adopté le principe d’une aide aux mères, mais il a préféré leur offrir une déduction plutôt que des crédits d’impôt. 36 Il a reconnu que les femmes étaient victimes de discrimination sur le marché du travail et que certaines dispositions de la L. I. R. pouvaient les dissuader de s’y présenter. 37

36 E. J. Benson, Ministre des Finances, Propositions de réforme fiscale, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1969, p. 12, par. 1.33. Le coût de la garde des jeunes enfants lorsque les deux parents travaillent, ou lorsqu’il n’y a qu’un parent et que celui- ci travaille, serait déductible dans certaines conditions. Cette nouvelle déduction, destinée principalement à venir en aide aux mères qui doivent travailler pour subvenir aux besoins de leur famille, s’ajouterait à l’exemption habituelle pour enfants à charge.

37 Voir le Rapport de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada; Conseil consultatif de la situation de la femme, The Person Paper: Taxation Untangled, 1ère éd. Ottawa, janvier 1977, pp. 8- 9. Voir aussi Louise Delude pour le Conseil consultatif de la situation de la femme, Background Study on Women and the Personal Income Tax System (1976).

De même, on considérait l’allégement d’impôt comme un pas vers la réalisation de normes souhaitables d’emploi, y compris l’égalité de chances et de traitement pour la main- d’oeuvre féminine, énoncées par l’Organisation internationale du Travail dont le Canada est membre. 38 En 1965, l’OIT a adopté la recommandation no 123 selon laquelle les gouvernements devaient favoriser les perspectives de la femme au travail en assurant notamment... l’égalité des chances dans l’emploi. 39

38 Sur cette question de la mobilité, voir les observations de M. Arthur C. Parks (Economiste en chef, Conseil économique des provinces de l’Atlantique, Compte rendu des témoignages, Comité permanent des Finances, du Commerce et des questions économiques, 1970, pp. 79- 111.

39 OIT, 64e session, 1978. Rapport III (Partie 4B, Troisième article à l’ordre du jour: Information et rapports sur l’application des conventions et recommandations). Relevé général sur l’emploi (Femmes ayant des responsabilités familiales). Recommandation, 1965 (No 123) Rapport du Comité d’experts sur l’application des conventions et recommandation, (Articles 19, 22 et 25 de la constitution) - Vol. 13, Genève: Bureau international du travail, 1978.

"Nous avons tout considéré: la possibilité de déduire les frais de garde des enfants, les déductions autorisées pour encourager la mobilité de la main- d’oeuvre, et tout ce qui y a rapport et qui nous semblait souhaitable, spécialement dans un domaine qui exige un changement structural important et où la mobilité de la main- d’oeuvre fait partie du problème général."

Voir aussi la communication du Conseil économique des provinces de l’Atlantique, Appendice, pp. 49- 13 79- 221:

"L’émancipation de la femme, la rapide transformation démographique des densités rurales et urbaines et le fait que les services fournis à la collectivité soient maintenant fortement constitués par du personnel féminin - toutes les tendances majeures qui se sont accélérées dans l’après- guerre accusent une évolution rapide de la société. Ces tendances conjugées à la population croissante que nous devons à l’explosion démographique d’après- guerre, population souvent constituée par des femmes mariées et des mères qui ont embrassé une carrière, font qu’il est nécessaire d’instituer une forme de compensation des dépenses encourues par des ménages où les deux parents travaillent. Par conséquent, nous tenons la proposition de permettre la déduction de frais de puériculture pour une idée prévoyante du gouvernement."

Voir aussi les observations de J. R. Brown, ministère des Finances, pp. 31: 13 à 31: 39.

Le Comité permanent des Finances, du Commerce et des Affaires économiques de la Chambre des communes a souligné que les déductions ne devraient être offertes qu’aux personnes dans le besoin, à celles qui travaillent par nécessité plutôt que par choix. 39a On a également suggéré que la déduction soit accordée à celui des parents ayant le revenu le plus faible. 39b Cela aurait fait disparaître la distinction fondée sur le sexe que comporte la disposition telle qu’elle a été adoptée. Les deux suggestions n’ont pas été retenues.

39a Parlement du Canada, 18e rapport du Comité permanent des finances, du commerce et des questions économiques au sujet du Livre blanc sur la réforme fiscale, 2e session, 28e Législature, pp. 93- 30.

39b Ibid.

Au cours du débat à la Chambre des communes, des députés ministériels ont fait valoir que la déduction aiderait les femmes à accéder au marché du travail ou à y revenir. 40 On a également invoqué le fait qu’en assurant mieux la garde des enfants on lutterait contre la délinquance. 41

40 Canada, Débats de la Chambre des communes, 28 juin 1971, p. 7390 (M. E. D. Osler), Winnipeg Centre- sud).

41 Ibid., 1er novembre 1971, p. 9230 (M. Gilbert).

Un commentateur américain a mis de l’avant, à l’appui de la déduction des frais de garde d’enfants, un autre motif qui a bien pu jouer implicitement dans la volonté de réforme au Canada.

"La déduction des frais de garde d’enfants et d’entretien du foyer que subit un salarié convient tout à fait, cependant, comme moyen d’égaliser l’assiette fiscale d’épouses qui travaillent à la maison pour y assurer les services d’entretien et de garde d’enfants d’une valeur appréciable et celle d’épouses qui gagnent un salaire. La déduction établit une compensation entre les deux types de travail accessibles à l’individu: le travail de maison et le travail rémunéré. 42"

42 William D. Popkin, Household Services and Child Care in the Income Tax and Social Security Laws, (1975), 50 Indiana Law Journal, 238, p. 246.

Si une épouse produit un revenu en franchise d’impôt puisqu’il n’y a pas d’impôt sur le revenu supposé (la valeur des services qu’elle rend à sa famille comme maîtresse de maison n’est pas un revenu aux fins du fisc) - disons de $100 par jour comme maîtresse de maison et qu’elle désire gagner un salaire de $200 par jour - revenu qui sera imposable - et qu’elle paie $20 par jour en frais de garde d’enfants, son niveau de vie n’a augmenté que de $80 moins l’impôt payable sur les $200. Sans la déduction de $20, son assiette fiscale serait de $20 plus élevée, soit $200 plutôt que $180. Dans ce contexte, on comprend mieux que les frais de garde d’enfants font partie du processus de gain d’un revenu plutôt que d’être des dépenses sans lesquelles ce gain ne serait pas possible. On les considère davantage comme faisant partie du coût de gagner sa vie plutôt que du coût de la vie. Dûment classés, tels que nous les avons étudiés, ils font simplement partie du coût de la vie.

Un autre commentateur américain déclarait au sujet de l’amendement apporté à la loi américaine en 1954:

A tort ou à raison, on considère généralement que c’est à la mère plutôt qu’au père que revient la responsabilité familiale première d’éduquer les enfants pendant les heures de travail. Lorsqu’une mère veut travailler, elle doit en général trouver un remplaçant pour assumer ces responsabilités en son absence. Les dépenses afférentes à cette garde sont destinées à permettre à la mère de travailler et sont accessoires au processus du gain d’un revenu; en ne permettant pas la déduction des frais de garde d’enfants du revenu de l’épouse aux fins de l’impôt, on taxe ses gains bruts plutôt que ses gains nets. 43

43 Alan L. Feld, Deductibility of Expenses for Child Care and Household Services: New Section 214, (1971- 1972) 27 Tax L. Rev. 415, p. 425- 426.

Il considérait donc la déduction des frais de garde d’enfants permise aux Etats- Unis comme une tentative en vue d’établir l’équilibre entre les dépenses déductibles afférentes à une entreprise et les dépenses personnelles non déductibles pour les soins aux personnes à charge... pour s’adapter à l’évolution de la situation économique des épouses et des mères 44 qui ont besoin de travailler.

44 Ibid., p. 447

Dans son discours du budget, l’hon. Edgar J. Penson faisait les observations suivantes:

Cela contribuera pour beaucoup à surmonter un obstacle qui, au dire de bien des femmes, les empêchait de travailler. Dans certains cas, la déduction pourra être réclamée par le père... Dans bien des cas, de graves difficultés financières en seront ainsi atténuées. 45

45 Débats, 18 juin 1971, p. 6894.

M. J. R. Brown, conseiller principal en matière d’impôt du ministère des Finances, déclarait lors des audiences du Comité permanent des finances étudiant les propositions gouvernementales de réforme fiscale en 1970:

... le principe sous- jacent est le suivant: si une épouse envisage de retourner au travail... et si elle a des petits enfants à la maison, une des dépenses qu’elle devra faire et une des choses qu’elle devra envisager, sera d’avoir à payer pour qu’on s’occupe de ses enfants. 46

46 Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité permanent des Finances, du commerce et des questions économiques, 1970, p. 31: 22.

La déduction des frais de garde d’enfants a donc été édictée pour les motifs que ces dépenses peuvent être considérées comme une condition préalable au gain d’un revenu, comme des dépenses personnelles extraordinaires (comparativement à celles des contribuables célibataires ou sans enfants), et pour faciliter l’accès des mères au marché du travail.

... s’il n’y avait pas de parent à la maison parce qu’ils travaillent, c’est que ces frais de garde doivent évidemment être déduits pour tenir compte du revenu net de la famille. Donc... nous avons pensé qu’il était nécessaire d’examiner les deux situations (l’individu déduisant ses dépenses et l’unité familiale). Autrement, si l’on examinait d’une façon indépendante, il se pourrait qu’on paye les frais de garde d’enfants lorsque le père travaille et la femme reste chez elle, et vice versa... La nature même de la déduction nous a menés à étudier la situation au foyer... cela découle de la nature de l’ensemble des propositions du Livre blanc. 47

47 Ibid., p. 31: 14

Cette déclaration traduit en partie la pensée traditionnelle selon laquelle c’est à la femme qu’il incombe de prendre soin des enfants, donc c’est elle qui a droit à la déduction.

La déduction était reconnue comme une déduction spéciale pour les mères de famille qui travaillent 48 et le principe était acceptable à toutes les provinces et organisations qui ont présenté des mémoires au comité.

48 Ibid., p. 70- 145

Comme nous l’avons déjà vu, l’article 63 établit une distinction à l’encontre des hommes. Un premier point à retenir, et déjà noté, est que lorsque les deux parents travaillent à temps plein, le mari n’est pas admissible à la déduction. Il est certain que l’un des motifs fondamentaux de ce raisonnement est que, de nos jours, la plupart du temps, c’est le mari qui a le plus fort revenu et donc il y aurait une plus forte perte de recettes fiscales, à cause du taux progressif de l’impôt, si on lui accordait la déduction. Le mari dont la femme complète son éducation pourrait aussi avoir besoin de déduire des frais de garde d’enfant aux fins du calcul de son impôt sur le revenu. 48a Cependant, l’article 63( 1) b), en établissant les critères rigoureux selon lesquels un parent contribuable de sexe masculin peut obtenir la déduction, fait une distinction injuste, notamment, à l’égard des maris abandonnés 49 tels les plaignants Pellerin et McCaffery. Le Comité permanent des Finances, du commerce et des questions économiques, en recommandant l’adoption de l’article 63, a ajouté la réserve qu’il faudrait clairement spécifier, en outre, que la déduction serait accordée à celui des parents dont le revenu est le moins élevé. 50 Cette optique aurait été semblable à celle de l’article 214 modifié du Internal Revenue Code. 51

48a Lewis Ayala c. MRN, 78 CTC 2299 (TRB), étudié ci- dessous.

49 Arnold, B. J. Section 63: The Deduction for Child Care Expenses (1973) 21 Canadian Tax J. 176, p. 178.

50 Comité permanent sur les finances, le commerce et les questions économiques, supra no 46, p. 93.30.

51 United States Code Congressional and Administrative News, 92e Congrès, 1ère session, Revenue Act of 1971, Pub. L. 92- 178, art. 210 (10 déc. 1971) modifiant Int. Rev. Code of 1954, art. 214. Voir New York University Proceedings of the 34th Institute of Federal Taxation, vol. 1, p. 158.

De fait, un ancien ministre du Revenu national, l’hon. Robert Stanbury, répondant à une question de M. Duncan Beattie (Hamilton- Mountain) a déclaré sa préférence pour la méthode favorisant le revenu gagné le plus faible. 52

52 Débats, 1er mars 1973, p. 1791.

Sur quel raisonnement, alors, repose la discrimination à l’égard des hommes? M. R. B. Bryce, conseiller économique du premier ministre Trudeau à l’époque, a suggéré une explication au comité.

Rappelez- vous que si l’on permet à l’époux de profiter de cette déduction parce que son revenu est plus élevé, il faut envisager comparaison entre deux épouses qui travaillent, l’une dont le mari gagne, disons, $30,000 par année, et l’autre dont le mari gagne $6,000 par an. Est- ce que vous allez donner davantage pour les frais de garde d’enfants là où la femme travaille lorsque le mari a un revenu dans l’échelon dont l’impôt est de 50 p. 100, ou est- ce que vous allez baser cela sur le revenu de la femme? Il s’agit ici d’une question de justice ainsi qu’une question d’économie d’impôt. 53

53 Comité permanent des finances, du commerce et des questions économiques, supra, no 46, p. 31: 14.

M. Brown est allé plus loin: ... si on veut être logique, on devrait dire que c’est le parent qui a le revenu le plus faible puisque c’est probablement ce parent là qui exerce un choix économique... je pense qu’il serait plus pratique de choisir l’épouse... comme étant la personne qui devrait faire la déduction, car cela rendra la loi plus compréhensible. C’est ce que nous espérons réaliser ici, c’est- à- dire que dans les cas où il y a une épouse, qu’elle en ferait la déduction sur son revenu... Le principe de la déduction était d’essayer d’en arriver à une décision. Les deux parents travailleraient- ils ou l’un travaillerait- il tandis que l’autre reste à la maison? Si on veut être aussi logique que possible sur le prix économique, ce sera le parent qui a le revenu le plus faible... Je pense que traditionnel est préférable. Donc, je pense que s’il y avait un époux et une épouse, ce serait l’épouse qui ferait la déduction. 54

54 Comité permanent des finances, du commerce et des questions économiques, supra, no 46, pp. 31: 14 à 31: 15.

En 1971, avec effet à compter du 1er janvier 1972, l’article 214d) du Internal Revenue Code a établi un plafond uniforme applicable aux contribuables tant célibataires que mariés. L’article 214 traitait auparavant les femmes célibataires différemment des hommes célibataires 55 qui n’avaient généralement droit à la déduction que s’ils étaient veufs et l’on craignait que ces dispositions soient anticonstitutionnelles. 56

55 John B. Keane, Federal Income Tax Treatment of Child Care Expenses, (1972) 10 Harvard Journal on Legislation, 1. p. 11.

56 Voir Reed c. Reed, 40 U. S. Law Week 4013, 23 Nov. 1971. Mais voir aussi Charles E. Moritz, CCH 30 déc., 386, 55 TC 113 (1970). Les deux affaires sont mentionnées dans Hjorth, A Tax Subsidy for Child Care: Sec. 210 of the Revenue Act of 1971, (1972) 10 Taxes 133, p. 134.

Depuis une autre réforme fiscale en 1976, l’article 44A 57 (remplaçant l’article 214) prévoit maintenant un crédit d’impôt de 20 pour cent des frais de garde d’enfants admissibles, ces dépenses étant faites pour permettre au contribuable d’avoir un emploi rémunéré, le crédit étant limité à $1,000 pour une personne à charge et à $4,000 pour deux ou plus.

57 Added Pub. L. 94- 455. Title V, s. 504( a)( 1), 4 oct. 1976, 90 Stat 1563 et Pub. L. 95- 600 mod., Title I, s. 121( a), nov. 1978, 92 Stat. 2779.

Les dépenses admissibles retenues pour le calcul sont limitées par le revenu gagné de l’individu. Si celui- ci est marié, une déclaration conjointe doit être produite et le montant limitatif des dépenses admissibles devient le revenu du conjoint qui est inférieur à celui de l’autre. On ne fait pas de distinction entre contribuables de sexe masculin et contribuables de sexe féminin et le contribuable marié qui produit une déclaration distincte est considéré comme non marié aux fins de cette disposition si, au cours des six derniers mois de l’année d’imposition, son conjoint ne faisait pas partie de sa maison.

L’un des principes pour lesquels on a inséré dans la L. I. R. la déduction des frais de garde d’enfants était de faciliter l’accès au marché du travail aux femmes ayant des enfants. Son aspect discriminatoire tenait au fait qu’on voulait rétrécir l’application de l’article à celles auxquelles il était destiné à l’origine: les mères au travail. On peut certainement soutenir qu’il y a eu injustice, en particulier envers les maris abandonnés tels MM. Pellerin et McCaffrey. Mais cette injustice une fois reconnue doit être replacé dans son contexte.

Comme l’écrivait un commentateur, M. J. R. Allan, au sujet de toute réforme fiscale:

Vu qu’un bon nombre des changements étaient complexes et qu’ils se conjuguent généralement les uns aux autres, il serait extrêmement difficile de déterminer et d’analyser leurs effets même s’ils atteignaient les contribuables de façon relativement uniforme. Comme la situation économique et démographique des contribuables varie en fait beaucoup, il peut être très difficile de déterminer les effets d’un seul changement dans le régime fiscal. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’après une période de rapides et fréquents changements, il subsiste beaucoup d’incertitude et de débats quant aux effets des transformations apportées. 57a

57a J. R. Allan et coll., The effects of tax reform and post- reform changes in the Federal personal income tax 1972- 75, (1978) 26 Canadian Tax J. 1, p. 29.

Arthur Drache exprimait les mêmes idées dans un récent article: Le principal obstacle à la réalisation de l’équité tient au fait que l’équité absolue voudrait dire une loi très complexe. La plupart des dispositions obscures de la loi résultent des efforts accomplis pour réaliser la justice. La loi commence souvent par une règle générale, souvent rigoureuse, puis elle y prévoit des exceptions au nom de l’équité. A mesure que le nombre de cas paraissant analogues à ceux pour lesquels on a prévu des exceptions, augmente, on augmente les exceptions. Si bien qu’à la longue, la disposition devient extrêmement complexe. Les fonctionnaires se trouvent ainsi devant le dilemme de poursuivre l’équité au prix de la simplification ou d’abandonner des changements qui pourraient être souhaitables en principe mais qui sont trop complexes à appliquer. Au moins un changement important à la déduction des frais de garde d’enfants, qui avait été approuvé en principe à tous les échelons, a dû être abandonné parce qu’il exigeait l’adoption de dispositions si complexes qu’elles en auraient été incompréhensibles. 58

58 Arthur Drache, Introduction to Income Tax policy formulation: Canada 1972- 76, (1978) 16 Osgoode Hall Law Journal 1, p. 4.

Le contexte final dans lequel l’article 63( 1) doit être envisagé est en réalité qu’il constitue une dépense gouvernementale. Il représente une redistribution des ressources économiques par le gouvernement au moyen du régime de l’impôt sur le revenu; en d’autres termes, l’article 63 prévoit une dépense fiscale appréciable.

Une dépense fiscale est toute forme de stimulant ou d’allégement accordé par le régime fiscal plutôt que sous forme de dépense gouvernementale. Les moyens les plus couramment employés sont, notamment, les déductions, les exemptions, les dégrèvements, les exclusions et les crédits. L’idée maîtresse derrière cette notion est que les stimulants ou allégements offerts au moyen de dispositions fiscales sont semblables aux dépenses classiques de crédits faites pour atteindre des buts similaires... les revenus fiscaux ainsi abandonnés... devraient également figurer dans les budgets gouvernementaux... Derrière cette notion, on trouve une définition de Haig- Simon du revenu imposable fondée sur la méthode de l’accroissement du revenu net. 59

59 John R. Kesselman, Non- business deductions and tax expenditures in Canada: Aggregates and distribution. (1977) 25 Canadian Tax. J. p. 161; voir aussi (1979) 1( 2) Canadian Taxation: A Journal of Tax Policy, pp. 3- 62.

Pour 1979, le gouvernement fédéral a estimé que l’article 63 aura pour résultat des dépenses gouvernementales de quelque 40 millions de dollars. 59a L’un des buts premiers de l’imposition des revenus est d’obtenir des ressources pour financer les dépenses directes du gouvernement pour assurer des services. Les ressources auxquelles le gouvernement renonce par la déduction des frais de garde d’enfants du revenu imposable peuvent être considérées comme une dépense indirecte du gouvernement au moyen du régime de l’impôt sur le revenu. Un commentateur a estimé qu’en 1975, le montant total dépensé directement par les gouvernements de tous les niveaux au Canada pour des services de garderie était à peu près équivalent au montant des revenus perdus cette même année par la réduction des revenus imposables attribuable à la déduction des frais de garde d’enfants accordée aux contribuables du fédéral. 60 En 1973, deux mères sur cinq et une mère sur trois ayant des enfants d’âge pré- scolaire étaient au travail en Ontario. 60a L’article 63 est essentiellement une mesure de correction, une dépense fiscale faite par le gouvernement pour corriger des mesures discriminatoires passées et présentes à l’égard des femmes au travail et pour atténuer les effets dissuasifs de la L. I. R. sur les femmes qui voudraient se joindre à l’effectif ouvrier. 60b

59a Canada, Ministère des Finances, Gouvernement du Canada, compte des dépenses fiscales: une analyse conceptuelle des préférences fiscales des systèmes d’impôt sur le revenu et d’impôts indirects (Ottawa: Ministère des Finances, 1979) pp. 47, 94.

60 Anna Fraser, The More You Have, the More You Get: An examination of Section 63 of the Income Tax Act, The Child Care Déduction, Project Child Care Working Paper No. 5, a joint project of the Community Day Care Coalition of Metropolitan Toronto, and the Social Planning Council of Metropolitan Toronto, 1978.

60a Day Care and Public Policy in Ontario, Michael Kisslinsky, University of Toronto Press, Toronto, 1977.

60b Allan, supra n. 57a, p. 30; Drache, supra, n. 58, p. 11.

Les commentaires des dispositions relatives à la déduction des frais de garde d’enfants tant au Canada qu’aux Etats- Unis soulignent qu’il s’agit là d’un exemple classique de subvention fiscale... parce qu’il ne s’agit pas vraiment de ce qu’il en coûte pour gagner sa vie. 70 Si ces dépenses étaient de fait des dépenses ordinaires et nécessaires pour gagner sa vie, il n’y aurait pas de limite arbitraire fixée au montant déductible. 71

70 Hjorth, A Tax Subsidy for Child Care: S. 210 of the Revenue Act of 1971, (1972) 10 Taxes 133, 138. Voir aussi le commentaire, The Child Care Déduction: Issues Raised by Michael and Elizabeth Nammack and the Pending Amendment to Section 214, (1971- 72) 13 Boston College Industrial Commercial Law Review, 270, p. 280.

"La politique à laquelle l’article 214 est censé donner suite a été décrite ci- dessus: la déduction a été conçue pour permettre à certaines femmes et à certaines catégories d’hommes dans la même situation, de travailler en dépit de leurs responsabilités à l’égard de personnes à charge exigeant des soins personnels. Essentiellement donc, la déduction était conçue comme une subvention pour répondre à un besoin particulier plutôt que comme instrument de politique fiscale. L’historique de cette mesure montre clairement que la déduction pour soins de garde d’enfants a été conçue comme une subvention."

71 L’article 214 du Internal Revenue Code des Etats- Unis prévoit également un retrait graduel de la limite de revenu. Hjorth, supra, no. 70, p. 138.

Le Congrès des Etats- Unis était peut- être surtout soucieux de secourir les nécessiteux car de nombreuses femmes qui avaient perdu leur mari au cours de la Seconde guerre mondiale et de la guerre de Korée étaient obligées de confier leurs enfants à une garderie pour pouvoir travailler. 72 On a aussi fait valoir d’autres objectifs motivant l’article 214 du Internal Revenue Code, notamment:

Pour atteindre les buts qui ont motivé l’article 214, soit libérer les parents pour qu’ils puissent travailler, fournir aux enfants pauvres l’occasion de s’instruire et fournir du travail aux gardiens d’enfants, la déduction actuelle d’impôt pour frais de garde d’enfants devrait être reformulée ou l’on devrait financer un programme de rechange non fiscal. 73

72 Keane, supra, n. 55, p. 4.

73 Keane, supra, n. 55 p. 27.

A vrai dire, la déduction pour soins de garde d’enfants est un moyen de canaliser l’aide financière du gouvernement aux soins des enfants, bien que ce ne soit peut- être pas là le meilleur mécanisme pour ce faire.

Un programme de dépenses comporte plusieurs avantages par rapport au dégrèvement d’impôt comme moyen de canaliser l’aide financière du gouvernement aux soins des enfants. Tout d’abord, le montant de l’aide qui peut être donnée au moyen d’un dégrèvement est fonction du revenu de chaque contribuable et est limité par lui. En second lieu, un programme de dépenses directes ne repose pas sur des stimulants passifs; les dépenses dans les régions où l’on en a besoin peuvent être assurées sous la direction du fédéral. En outre, lorsque les crédits sont limités, un programme de dépenses directes peut être conçu de façon à ce que le peu de fonds dont on dispose soient affectés à l’objectif. Les dispositions fiscales établissent des priorités de façon générale parce que les lois fiscales répartissent les avantages de façon passive; un contribuable admissible peut décider combien d’aide fédérale il va s’attribuer en déterminant combien il dépensera pour les services de garde de ses enfants. Enfin, les services de garde d’enfants assurés par des programmes de dépenses directes peuvent probablement être évalués et contrôlés plus efficacement que les subventions qui sont acheminées au moyen de dégrèvement d’impôt. 74

74 Ibid.

Je me suis attardé à l’étude de l’historique de l’article 63 pour deux raisons. La première est plus évidente, c’est qu’une telle étude est pertinente pour l’examen des problèmes dont le tribunal est saisi. Il faut étudier et comprendre l’article 63 avant de trancher la question épineuse de savoir s’il constitue un acte discriminatoire au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La seconde raison peut ne pas paraître aussi évidente, mais elle doit être soulignée. Si l’article 63 est une disposition constituant une forme de dépense fiscale pour subventionner certains contribuables, comme je le crois, alors sa nature et sa fonction essentielles ne sont pas étrangères à une disposition statutaire qui prévoit une dépense directe classique par le gouvernement. L’observateur pourrait fort bien considérer une dépense directe du gouvernement comme un service et, il faut le rappeler à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il est bien question d’un acte discriminatoire... d’un fournisseur de services...

Par exemple, le régime universel d’allocations familiales au Canada, en tant que dépenses directes par le gouvernement, peut être considéré comme un service depuis son établissement en 1945.

Le crédit d’impôt remboursable pour enfants, établi par modification de la L. I. R. en 1978 75 et applicable aux années d’imposition 1978 et suivantes, a élargi de façon appréciable le régime de prestations pour enfants, en introduisant dans la Loi la notion d’ impôt négatif sur le revenu. Le montant du crédit est de $200 par enfant admissible, réduit de 5 pour cent du montant du revenu familial excédant la limite du revenu familial indexé ($ 21, 360 pour 1980). Dans la mesure où les crédits d’impôt pour enfants dépassent l’impôt sur le revenu autrement payable, le contribuable peut avoir droit à un remboursement, car les crédits sont réputés être payés par lui au compte de son impôt sur le revenu. La disposition apporte donc une aide aussi à ceux qui n’ont pas payé d’impôt fédéral sur le revenu. Le crédit d’impôt remboursable pour enfants peut aussi être considéré comme un service.

75 Article 122.2 de la L. I. R.

Si les dépenses gouvernementales directes sont des services au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, des dépenses gouvernementales indirectes qui équivalent à une subvention fiscale, comme celle qui est accordée par l’article 63 de la L. I. R., sont- elles également un service au sens où l’entend l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne? Nous aborderons bientôt ce problème.

6. INTERPRETATION DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

Nous avons vu que la L. I. R. défavorise les conjoints vivant en concubinage pour le motif de leur situation de famille, en ce que la déduction offerte par l’article 109( 1) a) de la L. I. R. ne l’est pas à un contribuable vivant en concubinage, telle la plaignante, dame Bailey, qui avait à sa charge son concubin, sieur Carson, le plaignant. La L. I. R. défavorise également les hommes pour des motifs fondés sur le sexe, en ceci que la déduction pour frais de garde d’enfants accordée par l’article 63, est accordée aux hommes selon des critères différents et plus rigoureux qu’aux femmes. En particulier, comparativement aux femmes, les époux abandonnés tels les plaignants Pellerin et McCaffrey sont défavorisés en ce qui a trait à la déduction pour frais de garde des enfants.

La question qu’il s’agit maintenant d’étudier est de savoir si l’une ou l’autre de ces situations, de fait discriminatoires, sont visées par l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Comment faut- il interpréter cet article de la loi et toute la Loi canadienne sur les droits de la personne?

Il convient d’envisager d’abord dans son ensemble l’interprétation de la législation sur les droits de la personne pour ensuite aborder spécifiquement l’interprétation de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

a) Interprétation de la législation sur les droits de la personne en général

Il existe un accord très clair de toutes les commissions d’enquête partout au Canada sur la notion que la législation sur les droits de la personne est une législation réparatrice. Ces commissions d’enquête ont statué que la législation sur les droits de la personne doit être interprétée de façon équitable et libérale pour assurer la réalisation des objectifs fixés dans les dispositions des lois.

Dans Robert Heerspink c. The Insurance Corporation of British Columbia, 1 le président Léon Getz a étudié longuement la bonne façon d’interpréter la législation en matière de droits de la personne. Dans la plainte de Heerspink, le défendeur avait résilié une police d’assurance- incendie qu’il détenait sur les biens du plaignant. Aucun motif n’avait été donné pour cette résiliation, mais le plaignant alléguait que c’était parce qu’il avait été accusé de possession et de trafic de marihuana. Il prétendait que cet acte était en contravention de l’article 3 du British Columbia Human Rights Code qui interdit les actes discriminatoires dans la fourniture de services.

1 16 mars 1977.

Le président devait décider si l’article 3 constituait une dérogation du common law en matière de relations contractuelles. Il a conclu que la Loi apportait un changement fondamental au common law.

S’il subsiste quelque doute à ce propos, il devrait, à mon avis, être tranché en faveur du Code.

Il faut se rappeler que le Human Rights Code constitue, à certains égards, de la législation d’une nature assez spéciale. Parlant de législation analogue d’Angleterre, les Race Relations Act de 1965 et 1968, lord Morris faisait récemment observer que ces lois avaient introduit dans le droit de ce pays un nouveau principe d’une importance capitale et de longue portée. (Chapter c. Race Relations Board, (1973) 1 All. E. R. 512, 518 (H. C.)). Il me semble que le Code également a introduit dans le droit de la Colombie- Britannique un nouveau principe semblable, d’une importance capitale et de longue durée. Il est de la nature même des problèmes auxquels il s’applique qu’il soit exprimé en termes généraux et de longue portée. Il ne traite pas d’abus spécifiques et isolés comme c’était le propre de la législation adoptée à une autre époque où le législateur intervenait le moins possible dans les traditions fondamentales de la société et où les tribunaux ne faisaient qu’exécuter sa volonté en respectant cette présomption (contre toute intervention dans les droits consacrés par le common law) pour restreindre l’action de la loi à d’étroites limites. (Willis, Statutory Interpretation in a Nutshell (1938) 26 Can, Bar Rev., 1, 20.)) Il s’applique plutôt à de vastes secteurs du comportement et exige un mode d’interprétation conforme à sa nature. A mon avis, il exige cette interprétation équitable, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objectifs qu’indique l’article 8 du Interpretation Act, S. B. C., 1974, c. 42. 2

2 pp. 13- 14. En appel à la Cour suprême de Colombie- Britannique, le juge Meredith a confirmé la décision de la Commission d’enquête (voir Robert Heerspink c. The Insurance Corporation of British Columbia 1976- 1978) I. L. R. 859 (B. C. S. C.)).

Dans l’affaire Attorney- General for Alberta and Gares, 3 le tribunal était appelé à tirer au clair une ambiguïté dans le terme employ à l’article 5 de la Individual Rights Protection Act 4 de l’Alberta. La plainte alléguait que les employés féminins étaient moins bien rémunérés que les employés masculins. Le juge McDonald, après avoir cité le préambule de la Individual Rights Protection Act, concluait en ces termes:

"D’après le préambule, il paraît clair que l’interdiction de l’article 5 était destinée à protéger l’égalité des droits de toutes les personnes... indépendamment de... leur sexe... Ce qui m’amene a conclure que si le mot employ à l’article 5( 1), est ambigu, il devrait être interprété libéralement, de la façon qui assure le mieux la réalisation des objectifs de la loi." 5

3 (1976) 67 D. L. R. (3e) 635.

4 S. A. 1972, 21 Elizabeth II, c. 2.

5 Gares, p. 687.

Dans une affaire instruite en Saskatchewan, Barry Singer c. William Iwasyk and Pennywise Foods Ltd, 6 le plaignant alléguait que le défendeur affichait une enseigne manifestant de la discrimination à l’égard d’une catégorie de personnes à cause de leur couleur, en contravention de l’article 4( 1) de la Fair Accommodation Practices Act, R. S. S., 1965, c. 379, modifié. L’enseigne, annonçant un restau- route, montrait une caricature d’un petit personnage à peau noire, vêtu d’une toque de chef et d’une jupe d’herbes, et portait les mots Sambo’s Pepperpot. La publicité du restaurant, y compris ses cartons d’allumettes et ses collants pour pare- chocs, montrait la même caricature avec les mots Jez aint none better ( Y’en a pas d’meilleur). La présidente, le juge Tillie Tayler, avait à décider si la caricature manifestait de la discrimination envers les noirs, à l’encontre de l’article 4( 1).

6 5 novembre 1976.

Dans sa décision, la présidente a conclu en ces termes:

"Il faut interpréter l’article 4( 1) dans le contexte de l’ensemble de la législation de la province en matière de droits de la personne. En vertu de la Saskatchewan Human Rights Commission Act, 1972, S. S., c. 108, modifiée, la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan a le devoir de suivre le principe selon lequel toutes les personnes sont libres et égales en dignité et en droit, indépendamment de leur race, leur couleur, etc. Conformément aux dispositions de l’article 11 de la Interpretation Act de la province de Saskatchewan selon lesquelles toute loi doit être réputée réparatrice et doit être interprétée de la façon équitable, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objectifs, la Commission est tenue d’interpréter l’article 4( 1) de la Fair Accommodation Practices Act de façon à protéger la dignité et les droits des noirs et des personnes de couleur ainsi que de toutes autres qui pourraient être atteintes par la caricature du Sambo..." 7

7 pp. 4- 5

Dans sa décision, le juge Taylor a déclaré que la Commission aurait pu invoquer le fait que ce passage de l’article est trop faible et incertain et donc qu’il ne saurait être appliqué. 8 Mais elle a conclu ainsi:

"Nous avons décidé que puisque notre législation est réparatrice et destinée à protéger le droit de nos concitoyens à être traités sans discrimination, il nous incombe de donner à la loi une interprétation large afin de réaliser l’objectif du législateur énoncé à l’article 7a) de la Loi sur la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan, soit

a) d’appliquer le principe selon lequel tous sont libres et égaux en dignité et en droits, indépendamment de leur race, leur foi, leur couleur, leur confession, leur sexe, leur nationalité, leurs ancêtres ou leur lieu d’origine. 9

8 p. 7.

9 p. 7. Cette décision a été infirmée pour d’autres motifs par le juge Hughes de la Cour du Banc de la Reine, le 5 octobre 1977 (1077) 6 W. W. R. 699.

L’une des toutes premières décisions rendues en vertu du Ontario Human Rights Code 10 l’a été par le juge J. C. Anderson; 11 il avait constitué une commission d’enquête chargée de statuer sur une plainte de distinction raciale illicite portée par Alvin Ladd et deux autres personnes contre Mitchell’s Bay Sportsman Camp. Les plaignants alléguaient être victimes de distinction illicite fondée sur leur race parce que le défendeur refusait de leur louer certaines de ses installations. Bien que les plaignants et le défendeur en soient venus à un règlement en cours d’enquête, le juge Anderson a fait les observations suivantes au sujet du Code:

"Dans le préambule du Code ontarien des droits de la personne, on lit que la reconnaissance de la dignité intrinsèque et de l’égalité et de l’inaliénabilité des droits de tous les membres de la famille humaine constitue les fondements de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde et que selon les principes politiques de l’Ontario, toutes les personnes sont libres et égales en dignité et en droits quels que soient leur race, leur foi, leur couleur, leur nationalité, leurs ancêtres ou leur lieu d’origine. Et le Code a pour but de créer dans la collectivité un climat de compréhension et de respect mutuel dans lequel toutes les personnes, quels que soient leur race, leur religion ou leurs antécédents culturels se sentent égales en dignité et en droits." 12

10 An Act to establish the Ontario Code of Human Rights and to provide for its Administration, S. O. 1961- 1962, 10- 11 Elizabeth c. 93.

11 Le 15 août 1963.

12 Pp. 2- 3.

Le préambule et l’article 9 du Ontario Human Rights Code contiennent les préceptes suivants:

Attendu que la reconnaissance de la dignité intrinsèque et de l’égalité et de l’inalinéabilité des droits de tous les membres de la famille humaine constitue les fondements de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde et est conforme à la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par les Nations Unies;

Et attendu que selon les principes politiques de l’Ontario, toutes les personnes sont libres et égales en dignité et en droits quels que soient leur race, leur foi, leur couleur, leur sexe, leur situation de famille, leur nationalité, leurs ancêtres ou leur lieu d’origine;

....... art. 9... La Commission doit a) appliquer le principe que toutes les personnes sont libres et égales en dignité et en droits quels que soient leur race, leur foi, leur couleur, leur âge, leur sexe, leur situation de famille, leur nationalité, leurs ancêtres ou leur lieu d’origine.

Quelques années plus tard, des sentiments semblables ont été exprimés dans l’affaire Nora Gordon c. Bessie Papadropoulos. 13 Le président, Dean R. St. J. Macdonald a tenu les propos suivants au sujet du Ontario Human Rights Code:

Dès le début, le Code devait être plus qu’une simple déclaration de valeurs qu’il serait souhaitable de réaliser uniquement par l’enseignement et la persuasion. Si les dispositions du Code ne sont pas rigoureusement parlant du droit pénal, sanctionnable par de lourdes peines, elles reflètent néanmoins la conviction du gouvernement que les barrières artificielles à l’égalité des chances... peuvent être franchies ou abolies. (Débats de l’Assemblée législative de l’Ontario, 14 décembre 1961, p. 419.)...

En tant qu’organisme officiel, la Commission a le devoir de raffermir le respect du principe de l’égalité, de réaffirmer expressément et avec force que ce principe a une valeur collective supérieure à celle d’un simple voeu, et de proclamer publiquement que la condamnation sans compromis des distinctions fondées sur la race fait partie des principes moraux de la province. Ce devoir, la Commission ne saurait mieux s’en acquitter qu’en appliquant vigoureusement ce principe à l’occasion. 14

13 31 mai 1968

14 Pp. 8- 9.

Dans l’affaire Allen Walls c. Louis Lougheed 15 , dont a été saisie une commission d’enquête présidée par le professeur Horace Kraver, le plaignant se prétendait victime d’un acte discriminatoire parce qu’on avait refusé de lui louer un logement à cause de sa race et de sa couleur. Le président Kraver déclarait:

"Le Code a pour but de réaliser un état de fait dans lequel la reconnaissance du principe que tous les individus sont libres et égaux en dignité et en droits quelles que soient leur race ou leur couleur se reflèterait dans la conduite des citoyens de cette province. On ne pourrait parvenir à ce résultat si l’on interprétait de façon étroite et restrictive les dispositions de l’article 3a). Pour en arriver à cette conclusion, je m’inspire des dispositions de l’article 10 du Interpretation Act. R. S. O. 1960, c. 191, ainsi libellées:

Toute loi est censée réparatrice... et doit donc s’interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objectifs selon son exprit, son intention et son sens véritables. Des décisions subséquentes ont confirmé le bien- fondé de ce mode d’interprétation de la législation en matière de droits de la personne et on rejeté constamment toute restriction de l’interprétation du Ontario Human Rights Code.

15 Le 21 août 1968.

Dans l’affaire Roland Cooper c. Belmont Property Management and Others 16 où le plaignant se disait victime de distinction illicite fondée sur la race et la couleur dans son emploi, le président Edward Ratushny a invoqué les mêmes dispositions, soit l’art. 10 du Interpretation Act R. S. O., 1970, c. 225, pour donner à l’expression situation de famille l’interprétation juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation des objectifs de la loi d’après son intention, son sens et son esprit véritables".

Ayant à choisir entre une interprétation restrictive et une interprétation libérale, le président Ratushny a estimé qu’il fallait écarter tout mode d’interprétation restrictif dans le cas d’infractions nouvelles à un genre spécial de lois à but social. Il a conclu que le Ontario Human Rights Code était de toute évidence une loi de ce genre. 17

16 Le 27 juillet 1973, p. 4.

17 P. 5.

Le président Sidney Lederman a également adopté l’avis que le Ontario Human Rights Code est une loi réparatrice humanitaire qui remplit une fonction sociale, dans la plainte de Betty- Anne Shack c. London Driv- Ur- Self and Others. 18 La plaignante prétendait qu’on lui avait refusé un emploi à cause de son sexe. Le défendeur soutenait que le sexe était une légitime qualification professionnelle; le président Lederman a statué que le Code devait être interprété rigoureusement et que le fardeau de la preuve de toute exception incombait à celui qui l’invoquait. Le président Lederman pour motiver sa décision a invoqué l’article 20 Interpretation Act selon lequel, comme nous l’avons déjà vu, toute loi est réputée réparatrice et doit être interprétée de façon juste, large et libérale.

18 Le 7 juin 1974.

A l’occasion d’une décision plus récente, en date du 19 mai 1977, au sujet de la plainte de Brett Bannerman on behalf of Debbie Bazso où celle- ci prétendait avoir été victime d’actes discriminatoires parce que la Ontario Rural Softball Association lui avait refusé des services et l’accès à des installations à cause de son sexe, le même président devait décider si le défendeur fournissait des services et installations selon l’article 3 du Human Rights Code. Le président Lederman a de nouveau préconisé une interprétation libérale de la loi en invoquant l’article 10 du Interpretation Act. 19

19 Debbie Bazso c. Ontario Rural Softball Association, 18 mai 1977, p. 13. Cette décision a été infirmée pour d’autres motifs en appel. Re: Ontario Rural Softball Association and Bannerman (1978) 21 O. R. (2E) 395 (H. Ct. of Justice, Div. Ct.).

Enfin, le 15 août 1978, dans un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, statuant en appel sur la décision d’une commission d’enquête présidée par le professeur Mary Eberts, Cummings and Ontario Minor Hockey Association, 20 le juge en chef Evans déclarait:

"... je conviens qu’il faut donner aux dispositions d’un code statutaire de cette nature une interprétation large et libérale, mais avec la réserve qu’il ne faut pas en altérer les termes pour en arriver à une conclusion qui irait à l’encontre des objectifs pour lesquels le Ontario Human Rights Code a vraisemblablement été adopté." 21

20 (1978) 21 O. R. (2e) 389; Confirmée (1979) 10 R. G. L. (2e) 121. Dans les deux affaires Cummings et Bannerman, il s’agissait de situations de fait où des fillettes étaient membres d’équipes de garçons. Les décisions portaient sur l’interprétation de l’article 2( 1) du Ontario Human Rights Code.

21 P. 392.

Interprétation de la Loi canadienne sur les droits de la personne

b) Interprétation spécifique de la Loi canadienne sur les droits de la personne

Deux dispositions de la Loi d’interprétation, S. R. C. 1970, c. I- 23, sont pertinentes pour l’interprétation de la Loi canadienne sur les droits de la personne, soit

10. La loi est censée toujours parler et, chaque fois qu’une matière ou chose est exprimée au présent, il faut l’appliquer aux circonstances au fur et à mesure qu’elles surgissent de façon à donner effet au texte législatif ainsi qu’à chacune de ses parties, selon son esprit, son intention et son sens véritables.

11. Chaque texte législatif est censé réparateur et doit s’interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objets.

Pour interpréter la Loi canadienne sur les droits de la personne, il faut en garder le but présent à l’esprit. L’article 2 est ainsi conçu:

La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, aux principes suivants:

a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine natinale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, la situation de famille ou l’état de personne graciée ou, en matière d’emploi, de leurs handicaps physiques.

M. Daniel Hill, ancien président de la Commission des droits de la personne de l’Ontario écrivait:

... la législation contemporaine sur les droits de la personne repose sur le postulat que l’attitude et la conduite des gens qui ont des préjugés peuvent être modifiés et influencés par un mode de vérification et de discussion et par l’exposé de documents socio- scientifiques destinés à contrer les mythes et stéréotypes sur les humains... il s’agit d’une judicieuse conjonction de méthode d’enseignement et de dispositions légales utilisées dans la poursuite de la justice sociale. 22

Dans ses observations, M. Hill souligne que le rôle de la Commission ontarienne est d’apporter remède aux actes discriminatoires que posent certaines personnes contre d’autres pour des motifs illicites. A mon avis, il énonce ainsi exactement la notion de législation sur les droits de la personne qui sous- tend la Loi canadienne sur les droits de la personne. 23

22 Walter Surma Tarnopolsky, The Canadian Bill of Rights, 2 éd. révisée, Toronto, McClelland and Stewart, 1975, p. 70.

23 Voir en particulier les articles 2a), 3, 5 à 13 de la Loi.

L’article 63( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit en outre que

La présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada.

A mon avis, étant donné le but de la Loi canadienne sur les droits de la personne tel qu’il est exprimé à l’article 2, et étant donné l’article 63( 1) et les règles générales d’interprétation des lois, il est clair que la loi en général et l’article 4 en particulier, s’appliquent au pouvoir exécutif du gouvernement et qu’une ordonnance rendue en vertu de l’article 41, si elle est pertinente, peut s’appliquer à un ministre de la Couronne. 23a

On peut aussi se reporter au droit international ainsi qu’aux obligations internationales assumées par le Canada pour interpréter la Loi canadienne sur les droits de la personne. 24

23a Fait à noter, l’article 63( 1) a pour effet d’empêcher l’application de l’article 16 de la Loi d’interprétation, S. R. C. 1970, c. I- 23, ainsi conçu:

"Nul texte législatif de quelque façon que ce soit ne lie Sa Majesté ni n’a d’effet à l’égard de Sa Majesté ou sur les droits et prérogatives de Sa Majesté, sauf dans la mesure y mentionnée ou prévue, la

24 Driedger, pp. 129, 130, 161, 162. Voir, par exemple, Solomon c. Commissioners of Customs and Excise, citée par Driedger.

Le Pacte International relatif aux droits civils et politiques auquel le Canada a adhéré le 23 mars 1976 prévoit ce qui suit:

Article 2

1. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

2. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent...

Article 3

Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à assurer le droit égal des hommes et des femmes de jouir de tous les droits civils et politiques énoncés dans le présent Pacte.

Article 23

4. Les Etats parties du présent Pacte prendront les mesures appropriées pour assurer l’égalité de droits et de responsabilités des époux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. En cas de dissolution, des dispositions seront prises afin d’assurer aux enfants la protection nécessaire.

Article 26

Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

Le Canada a également adhéré au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques à la même date, qui prévoit que pour mieux assurer l’accomplissement des fins du Pacte relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies peut recevoir des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d’une violation d’un des droits énoncés dans le Pacte après avoir épuisé tous les recours internes disponibles. 25

25 Voir Préambule et article 2. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies est présentement saisi d’une affaire émanant du Canada relative à une Indienne qui n’a plus le statut d’Indien.

Selon l’article 40( 3) c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne,

Pour la tenue de ses audiences en vertu de la présente Partie, le tribunal a le pouvoir

c) de recevoir des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire.

Par conséquent, nonobstant le principe général de la preuve selon lequel les débats parlementaires ne sont pas recevables comme indication de l’intention du législateur, 26 j’estime que l’article 40( 3) c) permet au tribunal de consulter le procès- verbal des comités permanents du Parlement de même que le compte rendu des débats de la Chambre des communes. Le tribunal doit être prudent dans l’appréciation de ces témoignages. Bien sûr, on ne peut pas présumer que l’opinion d’un ministre ou d’un député représente l’intention du Parlement; mais je crois qu’elle demeure un élément de preuve pertinent. En particulier, je crois utile de connaître l’opinion du ministre de la Justice qui a parrainé un projet de loi pour le compte du gouvernement. Lorsque le ministre de la Justice explique le sens d’un projet de loi à un comité permanent ou à la Chambre des communes, on peut au moins supposer que la façon dont l’ensemble des députés a compris le libellé de la loi qu’ils ont adoptée, résultat des explications fournies par le Ministre.

26 E. A. Driedger, The Construction of Statutes, Butterworths: Toronto, 1974, p. 130. Mais voir Reference Anti- Inflation Act (1976) R. C. S. 373.

Le ministre de la Justice en 1977, M. Ron Basford, responsable de la rédaction d’un projet de loi (Bill C- 25) et de son adoption par la Chambre des communes, faisait les observations suivantes sur le sens de l’article 2 au Comité permanent étudiant le Bill C- 25:

L’article 2 expose de manière générale l’objet de cette loi. C’est en quelque sorte un préambule dont le but premier est de faciliter l’interprétation de la loi. En outre, il décrit le champ d’application des dispositions antidiscriminatoires.

De façon générale, les principaux domaines auxquels s’applique ce projet de loi sont l’emploi dans les ministères et organismes fédéraux, ainsi que dans des entreprises, telles que les chemins de fer, les banques et les lignes aériennes, qui relèvent de la compétence fédérale; ils s’appliquent également aux locaux publics et commerciaux ainsi qu’aux services assurés par lesdits organismes.

L’Association du Barreau canadien se préoccupe du fait que l’article 2 peut entraîner une limitation d’application du projet de loi; nous sommes d’un avis contraire et nous pensons que cette préoccupation est dénuée de fondement. Cet article a pour but de veiller à ce que les dispositions de la loi soient interprétées conformément à cet objet, qui est très vaste. Le Comité d’action national estime qu’il faudrait introduire un article qui aurait prééminence sur les autres, ce qui nous semble encore une fois inutile. Tel sera l’effet de cette loi, à moins que son application soit ultérieurement exclue ou limitée par une autre loi. Un article comme celui qui est proposé n’aboutirait pas à grand- chose. 27

27 Procès verbaux et témoignages du Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, Chambre des communes, 10, 17 mai 1977, pp. 11: 28, 11: 29

Cette loi a la préséance sur toutes les autres, à moins d’une dispense précise et, par conséquent, elle s’applique à toutes les dispositions de la Loi sur les secrets officiels. Selon moi, le fait d’inclure l’obédience politique ou les penchants sexuels aurait évidemment une incidence sur l’embauche ou, plus exactement, sur les critères de recrutement ou, plus exactement, de promotion, tels qu’ils sont appliqués par la Commission de la fonction publique car, bien entendu, nous avons clairement indiqué que cette loi est toute aussi contraignante pour la Commission de la fonction publique que pour le secteur privé. Et, pour en revenir à l’argument de M. Woolliams, c’est une des raisons pour lesquelles nous voulons que soit créée une commission qui, sur le plan des droits de la personne et du travail, serait chargée de faire respecter la même norme à la fois dans le secteur public et le secteur privé (soulignement ajouté). 28

28 Ibid., p. 11: 40.

Les passages soulignés montrent clairement que, pour le ministre, la Loi canadienne sur les droits de la personne s’appliquait aux dispositions des lois fédérales. M. Basford ajoutait On ne définit pas avec précision ce que sont les produits (biens) et on ne donne pas un sens spécial à ce mot; il aurait donc son sens ordinaire. 29

29 Ibid., p. 11: 48.

M. Basford a bien souligné qu’il fallait interpréter largement la Loi canadienne sur les droits de la personne pour que son but, énoncé à l’article 2, soit atteint, mais il envisageait des limites à son application. Présentant le projet de loi en seconde lecture, il expliquait les restrictions implicites à la loi pour ceux qui prétendent que l’incapacité ou le refus de fournir des services gouvernementaux dans une langue quelconque pourrait être un motif de distinction illicite:

Si l’on estime que cette loi devrait employer la multitude de langues qu’un bon nombre de Canadiens parlent librement dans les motifs de distinction illicite, il faudrait alors offrir des services, de l’emploi et des logements dans chacune de ces langues. Nous sommes tous d’accord pour que personne ne fasse l’objet d’actes discriminatoires à cause de son accent... mais de là à rendre obligatoire que tout le monde puisse être servi ou hébergé dans la langue de son choix, c’est une autre. 30

30 Débats, 2 juin 1977, p. 6199.

Cette opinion était partagée par Walter Tarnopolsky, conseiller du ministère de la Justice pour le Bill C- 25. Au cours des audiences du comité, le Prof. Tarnopolsky a déclaré que à la façon dont sont libellées les premières dispositions - disons, à partir de l’article 3 - il n’est question que d’actes discriminatoires. 31 Fait plus révélateur, tant le Prof. Tarnopolsky que M. Basford ont déclaré que pour d’autres motifs de politique, des restrictions étaient - et devaient être - apportées à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ils ont spécifiquement mentionné l’absence de la citoyenneté comme motif de distinction illicite, de façon à ne pas nuire aux mesures de correction adoptées par les provinces pour augmenter le nombre de Canadiens chez les professeurs d’université. 32

31 Justice et affaires juridiques, p. 11: 50.

32 Ibid., p. 11: 49 - 11: 50.

Deux députés se sont exprimés dans le même sens. M. Arnold Malone (Battle River), dans ses commentaires sur la nécessité d’étendre l’abattement fiscal des handicapés aux personnes souffrant de graves malaises au dos et aux victimes d’une crise cardiaque débilitante, déclarait:

Je répète que l’adoption de ce bill ne pourra pas assurer l’égalité entre tous les Canadiens. Si nous ne modifions pas nos autres lois et règlements, cette égalité ne sera pas obtenue. 33 M. Claude- André Lachance (Lafontaine- Rosemont) a abondé dans le même sens:

Le Bill C- 25... est une étape importante dans le processus global de mise en oeuvre d’une politique canadienne articulée visant à la protection des droits de la personne. 34

33 Débats, 24 février 1977, p. 3406.

34 Ibid., 11 février 1977, p. 2988.

Ces citations font ressortir deux aspects importants de la portée de la Loi canadienne sur les droits de la personne: la Loi n’est évidemment pas universelle, à en juger par les observations de M. Malone au sujet de son inefficacité en ce qui a trait aux dispositions de la L. I. R. et le respect des droits de la personne est un processus complexe dont la Loi canadienne sur les droits de la personne n’est qu’un des rouages importants.

A la question de M. Eldon Wooliams (Calgary Nord) au sujet des liens entre la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Déclaration canadienne des droits, M. Basford a répondu en ces termes:

La Déclaration des droits de l’homme n’a rien à voir avec l’article 2( b)... parmi un certain nombre de choses que l’on ne retrouve pas ici, la Déclaration établit certaines normes devant servir de guide à l’élaboration et à l’application de la législation et de la réglementation fédérale...

Bien qu’elle serve de guide pour l’élaboration et l’interprétation de la législation et de la réglementation fédérale, la Déclaration des droits de l’homme ne résout aucunement les cas individuels de discrimination. Selon moi... elle permettrait d’empêcher le gouvernement ou le Parlement d’adopter une loi sur les relations de travail dans la Fonction publique susceptible de donner cours à la discrimination. Elle n’aiderait en rien le Pakistanais dont la candidature à un concours de la Fonction publique serait refusée simplement parce que les trois commissaires ont des préjugés contre les Pakistanais... elle n’offre aucun recours à ce Pakistanais. D’où la nécessité d’une loi de ce type. 35

35 Justice et questions juridiques, p. 11: 31.

Le professeur Tarnopolsky s’est dit d’accord avec les observations du ministre de la Justice:

A mon avis, ce paragraphe (article 2( a)) vient compléter l’article 1( b) de la Déclaration des droits et cela permet de contourner les détails qui forcent à s’en tenir au droit coutumier, lequel impose d’énormes restrictions lorsqu’il s’agit d’enrayer la discrimination. 36

36 Ibid., p. 11: 36.

A ce propos, M. Basford a ajouté:

Je crois que tous deux (Bill C- 25 et Déclaration des droits) sont très différents, même s’ils se complètent. Le projet de loi confère des droits et offre des solutions que l’on ne peut pas obtenir en vertu de la Déclaration des droits, que l’on ne peut pas non plus obtenir avec l’application du droit coutumier. 37

37 Ibid.

En guise d’exemple, M. Basford a propose le cas imaginaire d’un réceptionniste qui refuserait une chambre à un noir dans un hôtel d’Ottawa.

Ce refus a son origine non pas dans la loi mais dans l’étroitesse d’esprit du gérant de l’hôtel, du serveur ou de l’employé... Selon moi, la création d’une commission constitue une solution pour la personne qui est victime d’une discrimination non en raison de la loi mais à cause d’une attitude (soulignement ajouté). 38

38 Ibid., pp. 11: 32- 11: 33.

Ces observations faites au stade de l’étude en comité du Bill C- 25 sur la portée de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne portent pas spécifiquement sur la question de savoir si la Loi devait s’appliquer aux dispositions contrevenantes d’une autre loi. Les exemples donnés laisseraient plutôt entendre que la Loi devait s’appliquer aux actes discriminatoires dans les cas où les dispositions de la loi sont neutres. Il se peut cependant que les exemples aient été choisis parce que la situation ordinaire comportant un acte ou une pratique discriminatoire ne résulterait pas de la bonne application des dispositions d’une loi qui elles- mêmes défavorisent un individu pour des motifs de distinction illicite. La situation de fait habituelle serait celle de la commission d’un acte discriminatoire consistant à défavoriser un individu pour un motif illicite à l’occasion de la fourniture d’un service lorsque la loi en soi est neutre.

En outre, la Déclaration canadienne des droits vise à prévenir les distinctions injustes résultant de l’application des lois fédérales et, ce faisant, établit des normes de rédaction et d’interprétation pour ces lois. Toutefois, comme l’indiquent les observations faites au stade de l’étude en comité, la législation sur les droits de la personne a en général comme but premier d’apporter remède à des actes discriminatoires individuels. Il est indubitable que telle est la portée de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dans la sphère de compétence du Parlement. De plus, il me semble que cette loi s’applique clairement à tout acte discriminatoires commis par un fonctionnaire gouvernemental dans l’administration d’un service, lorsque les dispositions de la loi en vertu desquelles le service est fourni sont elles- mêmes neutres. Mais que dire du cas où le fonctionnaire applique pertinemment les dispositions d’une loi qui elles- mêmes défavorisent un individu pour un motif illicite?

Il existe diverses dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui soustraient à son application d’autres lois fédérales. Ainsi, l’article 63( 2) se lit:

La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.

Ce paragraphe a été rédigé avec soin. De toute évidence, on y vise notamment les dispositions mêmes de la Loi sur les Indiens ainsi que les mesures telles les règlements établis sous son régime par les conseils de bandes des Indiens; il ne s’agit pas seulement des mesures administratives prises en vertu de la Loi sur les Indiens.

De même, l’article 48( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne soustrait à son application les régimes ou caisses de retraite constitués par une loi du Parlement.

Les Parties I, II et la présente Partie ne s’appliquent, ni directement ni indirectement, aux régimes ou caisses de retraite constitués par une loi du Parlement antérieure à l’entrée en vigueur du présent article.

La Loi sur le régime de pensions du Canada, S. R. C. 1970, c. C- 5, établit des distinctions fondées sur l’âge (art. 44); la Loi sur la pension de la Fonction publique, S. R. C. 1970, c. C- 36, fait aussi des distinctions fondées sur l’âge (articles 13 et 14). De même, l’article 14 d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne renvoie à l’article 10 de la Loi sur les normes des prestations de pension, S. R. C. 1970, c. P- 8, qui fixe un âge limite de 45 ans à certaines fins.

Ces dispositions d’exception indiquent que la Loi canadienne sur les droits de la personne s’applique par ailleurs aux dispositions des lois fédérales.

Cependant, il n’existe aucune clause de préséance dans la Loi canadienne sur les droits de la personne comme on en trouve dans la législation sur les droits de la personne de plusieurs provinces, 39 ce qui serait la façon la plus simple de résoudre les contradictions entre deux lois. L’absence d’une clause de préséance veut peut- être simplement dire que il n’était pas dans l’intention du gouvernement que la Loi ait simplement la priorité sur toutes les autres lois (au moins existantes) qui n’étaient pas spécifiquement soustraites à son application. 40 L’absence de clause de préséance ne signifie pas qu’il ne pourrait jamais y avoir de contradiction.

39 Alberta Individual Rights Protection Act. S. A. 1972, c. 2 mod., art. 1( 1) Saskatchewan Human Rights Commission Act, S. S. 1972, c. 108 mod., art. 44, 48. Charte des droits et libertés de la personne, Québec, S. Q. 1975, c. 6 mod., a. 51, 52. Nova Scotia Human Rights Act, S. N.- E. 1969, c. 11 mod., art. 13. Prince Edward Island Human Rights Code, S. I.- P.- E. 1975, c. 72 mod. a. 1( 2).

40 Anne Bayefsky, the Jamaican Women Case and the Canadian Human Rights Act: Is Government Subject to the Principle of Equal Opportunity? à paraître sous peu dans l’University of Western Ontario Law Review.

A mon avis, après avoir étudié les dispositions mêmes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, les observations faites au sujet du projet de loi au stade de l’étude en comité parlementaire, et avoir donné une interprétation large à une loi réparatrice dont le but général s’inspire notamment du principe que tous ont droit à l’égalité des chances d’épanouissement..., je conclus que la Loi canadienne sur les droits de la personne peut s’appliquer aux dispositions d’autres lois fédérales.

C’est- à- dire qu’un acte discriminatoire d’un fonctionnaire gouvernemental fait en vertu des dispositions d’une loi fédérale qui elle- même défavorise l’individu pour un motif illicite, peut constituer un acte discriminatoire au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les actes allégués dans les plaintes dont est saisi le tribunal constituent- ils de tels actes?

7. LES ARTICLES 109( 1) a) ET 63 DE LA LOI DE L’IMPOT SUR LE REVENU COMPORTENT- ILS UN SERVICE?

A mon avis, que j’élaborerai sous peu, l’application de la L. I. R., loi fédérale, sur la base d’un motif de distinction illicite, constituerait un acte discriminatoire... à l’occasion de la fourniture... de services... selon la définition qu’en donne l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cependant, c’est la L. I. R. elle- même dans les deux articles 109 et 63 qui défavorise des individus, dans les cas exposés par les plaignants. En appliquant la L. I. R., le ministre ne fait que s’y conformer. La question qui se pose dès lors est la suivante: le fait, pour la L. I. R., de défavoriser des individus pour un motif de distinction illicite tombe- t- il sous le coup de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne? Pour y répondre, nous devons d’abord déterminer si l’une ou l’autre des dispositions de la L. I. R. a trait à la fourniture... de service.

La Cour fédérale, en première instance dans l’affaire Lodge, 1 semble avoir été d’avis que les services n’allaient même pas jusqu’à comprendre les mesures administratives.

1 Lodge et autres c. le Ministère de l’Emploi et de l’Immigration, (1979) C. F. 458 (C. F. 1ère inst.).

Ceci dit, aux fins du présent cas, je supposerai que tout ce qui est allégué dans la plainte est vrai. D’après cette supposition, un certain nombre des motifs de distinction illicites définis à l’article 3 de la Loi se trouvent établis...

L’article 5 est le seul qui décrive un acte discriminatoire sur lequel les demandeurs se fondent, et là encore, en supposant que tout ce qui est allégué dans la plainte est vrai, on ne constate tout simplement pas d’acte discriminatoire selon la définition qu’en donne l’article 5. Si j’en doutais le moindrement, je serais tout à fait disposé à rechercher la compétence en vertu de laquelle je pourrais pertinement fonder un ordonnance ayant l’effet désiré. Mais l’application par le défendeur des dispositions de la Loi sur l’immigration ne revient tout simplement pas au fait de priver un individu de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement. Cela ne constitue pas un acte discriminatoire, et le motif de son application, même si on le démontrait aussi repréhensible que les plaignants le prétendent, ne peut pas en faire ce qu’il n’est pas. 2

2 Cet extrait du jugement de la cour de première instance est cité par le juge Le Dain dans Cour fédérale d’appel (1979) 25 N. R. 437 (C. F. A.) pp. 444- 445.

Cependant, il est clair que la Cour fédérale d’appel n’a pas répondu à cette question.

Tant que la validité des ordonnances d’expulsion dans l’affaire des appelants n’a pas été contestée avec succès, on ne peut prétendre que le Ministre commettrait un abus de pouvoir ou agirait en contravention de la loi en les exécutant. Le tribunal ne peut pas statuer qu’il y a eu acte discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La compétence nécessaire pour statuer en l’espèce a été confiée aux organismes et tribunaux spécialisés prévus par la Loi. Une telle décision repose sur une question de fait à déterminer d’après une enquête de la Commission et une audition de l’affaire par un tribunal des droits de la personne. C’est une autre question que de savoir si une telle décision affecterait, sur le plan technique, la validité des ordonnances d’expulsion ou si elle ouvrirait simplement droit aux remèdes prévus à l’article 41. Il semble que le tribunal doit considérer les ordonnances d’expulsion comme présentement valides et le ministre comme tenu par la loi de les exécuter.

Ayant conclu pour ces motifs qu’il n’y a pas lieu d’émettre une injonction à des fins telles celles qui sont invoquées dans la présente affaire, il ne m’apparaît pas nécessaire de donner mon avis sur la question de savoir si l’application des dispositions de la Loi sur l’immigration relatives aux demandes de renseignements et aux expulsions constitue un service destiné au public selon l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La question de savoir dans quelle mesure, le cas échéant, l’application des lois fédérales, de caractère règlementaire ou non, relève de la Loi canadienne sur les droits de la personne est évidemment une question sérieuse. Il pourrait y avoir d’importantes distinctions à faire entre divers aspects de la fonction publique d’après les faits établis dans chaque cas. Je crois préférable que ces questions soient tranchées d’abord par la Commission, comme on semble le souhaiter à l’article 33 avant qu’un tribunal en soit saisi. Dans la présente affaire, la Commission a indiqué qu’elle était disposée à entendre la plainte. Elle a fait valoir devant ce tribunal qu’elle a la compétence nécessaire. Elle a prétendu qu’en invoquant spécifiquement l’alinéa a) de l’article 5 de la loi, le juge de première instance n’a pas tenu compte de l’application de l’alinéa b) selon lequel constitue un acte discriminatoire le fait, pour le fournisseur de services destinés au public, de défavoriser, à l’occasion de leur fourniture, un individu, pour un motif de distinction illicite. Cette allégation peut être vraie. Pour les motifs déjà indiqués, il suffit de déclarer que ce n’était pas une erreur de refuser une injonction dans le présent cas. L’appel doit donc être rejeté avec dépens. 3

3 Ibid., p. 447- 448.

La Cour a statué que bien qu’une injonction serait recevable contre les autorités publiques pour empêcher la commission d’un acte qui constituerait un abus de pouvoir ou qui serait autrement illégal, 4 la validité des ordres de déportation était incontestée et donc le Ministre agissait dans les limites de sa compétence et en vertu de celle- ci. La question de savoir s’il y avait acte discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été laissé en suspens pour la Commission et pour être tranchée par un Tribunal des droits de la personne.

4 Ibid., p. 446.

Pour l’interprétation d’une loi, Driedger dans The Construction of Statutes 5 écrit:

Notre troisième problème est de connaître le sens grammatical et usuel ou le sens premier et usuel des mots. Ces expressions signifient évidemment la même chose, soit le sens obtenu par l’application des règles de grammaire qui donnent aux mots leur sens usuel. Par signification usuelle, on entend celle que l’on trouve au dictionnaire. Mais un mot peut servir plusieurs sens. Les lexicographes dans leurs dictionnaires donnent ordinairement d’abord le sens le plus répandu d’un mot. C’est le sens usuel, commun ou premier. Et un même mot peut avoir plusieurs sens usuels ou se rapporter à différentes matières. 6

5 P. 6.

6 M. Ron Basford déclarait lors de l’étude en comité du Bill C- 25 que On ne définit pas avec précision ce que sont les produits (biens dans la loi et, par conséquent, services) et on ne donne pas un sens spécial à ce mot; il aurait donc son sens ordinaire. Procès- verbaux et témoignages du Comité permanent sur la Justice et les questions juridiques, Chambre des communes, 10, 17 mai 1977, p. 11: 48.

... Et c’est le sens usuel appliqué à la matière qu’il faut normalement prendre. Ce qui n’est pas une règle absolue, car en fin de compte, le sens d’un mot est dicté par son contexte.

L’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne se lit ainsi:

Constitue un acte discriminatoire le fait pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public

a) d’en priver, ou b) de défavoriser, à l’occasion de leur fourniture, un individu, pour un motif de distinction illicite.

Que signifie le mot services? Selon le Oxford English Dictionary, 7 le substantif service semble avoir été considérablement influencé par association avec le verbe; il a les sens suivants:

Condition de serviteur; le fait de servir un maître. ... Condition d’emploi d’un fonctionnaire public. Le travail ou les devoirs d’un serviteur; l’action de servir un maître.

... Servir le souverain ou l’Etat à titre officiel; les devoirs des fonctionnaires publics.

...

Action de servir, d’aider ou d’être avantageux; conduite favorisant le bien- être ou l’avantage d’autrui.

Webster 8 définit service notamment ainsi: Accomplissement des devoirs officiels d’un souverain ou de l’Etat: fonction officielle; ... aussi, tâche particulière de ce travail; par ex., service de juré.

Le World Book dictionary 9 définit le substantif service ainsi: Acte salutaire; le fait d’être utile à autrui

...

Dispositions en vue de fournir quelque chose d’utile ou de nécessaire

...

7 Volume IX, Oxford, Clarendon Press, pp. 515- 518.

8 Webster’s New International Dictionary of the English Language, G.& C. Merriam Company, Springfield, Mass., 1961, p. 2288.

9 The World Book Dictionary, vol. 2 (éd. de 1979) Doubleday & Company Inc.

Ordinairement, services, accomplissement de devoirs, et la définition de servir, verbe, comprennent:

Le fait d’être serviteur; rendre service; travailler; exécuter des fonctions

... Accomplir des fonctions officielles ou publiques. Il est banal de dire que la démocratie est le gouvernement par le peuple et que le gouvernement représentatif est nécessaire pour réaliser l’autonomie qui est le but de la démocratie pour une collectivité considérable dans un pays. Le souveraineté populaire signifie que le gouvernement est au service du peuple. Dans un pays moderne et pluraliste, bien que la plupart des biens et services soient produits et fournis par des particuliers ou des entités ou groupes privés, les autorités publiques règlementent l’activité économique et produisent et fournissent aussi des biens et services. Le gouvernement fédéral fournit des services à la population en général à la fois par l’adoption de mesures législatives (ex., les allocations familiales) et en s’acquittant de ses responsabilités telles que les définissent les lois adoptées par le Parlement (par ex., en fournissant l’information et les formules pertinentes aux citoyens pour qu’ils puissent toucher les allocations familiales, en expédiant les chèques, etc.).

Dans l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique même, il est question de services à fournir au public (art. 106), par l’entremise de la Fonction publique. Le Parlement a adopté des lois relatives à ces services, notamment le Public Service Inventions Act 10 (Loi sur les inventions des fonctionnaires) le Public Service Employment Act 11 (Loi sur l’emploi dans la Fonction publique) le Public Service Staff Relations Act 12 (Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique) et le Public Service Superannuation Act 13 (Loi sur la pension de la Fonction publique). On désigne couramment du nom de service certaines divisions administratives du gouvernement fédéral, que ce soit aux Postes, à l’Assurance- chômage ou aux Affaires extérieures.

10 S. R. C., c. P- 31.

11 S. R. C., c. P- 32.

12 S. R. C., c. P- 35.

13 S. R. C., c. P- 36.

Nous devons aussi garder présent à l’esprit le but de la Loi canadienne sur les droits de la personne énoncé à l’article 2 a). Selon Driedger, On peut avoir recours au but de la loi, non seulement pour choisir entre des significations diverses mais aussi pour déterminer la portée des mots. 14

14 E. A. Driedger, The Construction of Statutes, Butterworth’s Toronto, 1975, p. 16.

Le ministre du Revenu national, en établissant des cotisations en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu fournit- il des services... destinés au public au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne? La défenderesse a fait valoir (transcription, p. 15) que même si le tribunal statuait que le ministre du Revenu national défavorisait des individus pour des motifs de distinction illicite, il faudrait que l’acte discriminatoire (attendu que la plainte alléguait distinction injuste à l’encontre de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne) soit accompli par le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public. Autrement dit, il ne peut y avoir d’infraction à la loi que si celle- ci correspond au libellé de la loi.

Le mot pertinent de la loi, pour nos besoins, est services. Le ministre fournit- il des services lorsqu’il fait des cotisations?

Le ministre du Revenu national est tenu par la loi d’appliquer la Loi de l’impôt sur le revenu (article 220( 1)). En vertu de l’article 152( 1) de cette loi, il doit examiner chaque déclaration de revenu et fixer l’impôt pour l’année d’imposition d’après l’assujettissement à l’impôt que la L. I. R. impose. En ce qui a trait aux plaintes dont est saisi le tribunal, nul ne conteste que le Ministre ait fixé l’impôt d’après la L. I. R., c’est- à- dire conformément aux articles 109 et 63. Ce n’est donc pas l’application de la L. I. R. qui est vraiment en cause mais les dispositions positives de la L. I. R. elles- mêmes qui, selon les plaintes, défavoriseraient les plaignants pour des motifs de distinction illicite, soit la situation de famille (Bailey) et le sexe (Pellerin et McCaffrey), respectivement.

Si des individus avaient été défavorisés pour un motif de distinction illicite à l’occasion de la fourniture de services dans l’application de la L. I. R., la situation serait relativement claire et facile. Au pis, le ministre aurait commis un acte discriminatoire en respectant la loi parce que la L. I. R. elle- même fait des distinctions illicites.

En agissant de la sorte, le ministre fournissait- il des services? La situation de fait serait évidemment plus simple si le ministre fournissait de l’information, des transports ou autre chose du genre au public et, à cette occasion, défavorisait des individus pour un motif de distinction illicite.

Dans son plaidoyer, 11 la défenderesse a voulu limiter les services au fait de faire quelque chose directement pour aider le public. A mon avis, c’est là interpréter de façon trop étroite le sens de l’expression services 12 à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le ministre du Revenu national, de fait, exerce ces fonctions dans le cadre de ses responsabilités générales. Le ministère fournit des formules, des brochures d’information et des guides au public par l’entremise de ses bureaux régionaux de l’impôt. Depuis le 14 septembre 1970, les contribuables peuvent obtenir du ministère sur demande des décisions (voir Circulaire d’information No. 70- 6R du 18 décembre 1978 et Circulaire d’information No. 74- 8R du 2 août 1977).

11 Voir le dernier paragraphe de l’Exposé des faits et du droit de la défenderesse, le paragraphe 16.

12 On trouvera des exemples de décisions judiciaires sur des questions autres que les droits de la personne dans lesquelles le mot service a reçu une interprétation large, notamment dans Peterson Truck Co. c. Socony Vacuum Exploration Co., (1956), 1 DLR (2e) 158 (Alta C. A.), et Laphkas c. le Roi 1942 R. C. S. 84. Une Commission d’enquête de l’Alberta a statué en 1972 dans l’affaire Weaselfat c. Driscoll que l’expression services comprend une offre de crédit.

Le premier paragraphe de la Circulaire d’information 78- 17 du 29 décembre 1978, intitulée Directives à l’intention des préparateurs de déclarations d’impôt sur le revenu des particuliers, se lit ainsi qu’il suit:

La présente circulaire présente certaines directives à l’intention des comptables et autres préparateurs de déclarations d’impôt sur le revenu des particuliers et fournit un aperçu des procédures d’établissement des cotisations qui dictent les exigences du Ministère. La collaboration des préparateurs de déclarations assurera non seulement des économies importantes au Ministère, en réduisant le coût du traitement, mais aussi un service plus rapide au contribuable (soulignement ajouté).

Le Ministre jouit d’une très large discrétion en matière de pratiques administratives, puisqu’il peut dans certains cas interpréter la loi à l’encontre du simple libellé d’un article particulier de la Loi, et même à l’occasion laisser de côté une décision judiciaire lorsqu’il ne serait ni raisonnable ni pratique d’en tenir compte. 13

13 Par ex., Trapp c. M. R. N. (1946) CTC 30. Voir Stikeman, Canada Tax Service, D511, D512.

On pourrait même soutenir que le processus de la cotisation est un service selon la Loi canadienne sur les droits de la personne. On peut en effet prétendre que les fonctions administratives d’un ministre, c’est- à- dire la façon dont un ministère s’acquitte de ses obligations statutaires, constitue un service selon la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Si un individu se trouvait défavorisé dans l’acquittement de responsabilités statutaires pour un motif de distinction illicite, il y aurait à mon avis infraction à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La L. I. R. elle- même prévoit, à plusieurs articles, l’exercise du pouvoir discrétionnaire du ministre. Ainsi, l’article 31( 2) autorise le ministre à déterminer que le revenu d’un contribuable ne provient pas principalement de l’agriculture aux fins de l’article 31. De même, selon l’article 74( 5), lorsqu’un mari et sa femme sont associés dans une entreprise, le revenu d’un conjoint tiré de l’entreprise pour une année d’imposition peut, à la discrétion du Ministre, être réputé appartenir à l’autre conjoint.

A mon avis, - non indispensable pour la présente décision, dans les situations décrites, le Ministre fournit des services selon l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Ainsi, je statuerais que la Loi canadienne sur les droits de la personne s’applique aux gestes des fonctionnaires dans l’accomplissement de leurs fonctions en vertu de dispositions statutaires (qui en elles- mêmes ne font pas de distinction illicite) selon lesquelles ces fonctionnaires doivent exercer un pouvoir discrétionnaire. 14

14 Cette question a été soulevée dans Lodge c. le Ministère de l’Emploi et de l’Immigration (1970), 25 N. R. 437 (F. C. A.), mais non résolue. Voir Anne Bayefsky The Jamaican Women Case and the Canadian Human Rights Act: Is Government subject to the Principle of Legal Opportunity? à paraître dans un prochain numéro de la University of Western Ontario Law Review, où sont bien exposés l’affaire et cette question.

Il se peut que le mot service ait été interprété de façon étroite dans un récent arrêt de la Cour suprême du Canada, Gay Alliance Toward Equality c. The Vancouver Sun & British Columbia Human Rights Decision 15 ayant trait au refus du journal défendeur de publier une annonce du plaignant.

15 (1979) 4 W. W. R. 118 (S. C. C.).

Se reportant aux mots moyens d’hébergement, services ou installations que l’on trouve à l’article 3 du British Columbia Human Rights Code, 16 le juge Martland déclarait:

L’expression services se rapporte notamment aux restaurants, bars, tavernes, stations de service, transports publics et services d’utilité publique. 17

Le juge Martland a statué que le service en question était assujetti au droit du journal de contrôler le contenu d’une telle annonce, 18 soit que la portée du service offert était limitée et qu’il ne s’agissait pas du cas où un service, offert en général, était refusé à un individu à cause de traits personnels.

Toutefois, le j. en c. Laskin, dans son opinion minoritaire, déclairait:

Selon le procureur du Vancouver Sun, si celui- ci ne pourrait défavoriser un individu pour le motif qu’il serait borgne - ce qui constituerait un acte discriminatoire lié à un trait personnel - il pourrait refuser une annonce sollicitant des abonnements à un périodique pour aveugles si la politique du journal était de ne pas accepter de telles annonces. 19

16 (1979) S. B. C. 1973, c. 119.

17 (1979) 4 W. W. R. 118 p. 125 (S. C. C.).

18 Ibid., 125, 126.

19 Ibid., 126 à 133.

Il a qualifié cet argument du procureur d’argument de dernier recours jugeant que le journal ne pouvait invoquer à sa décharge le fait qu’il existait un motif raisonnable (comme le permet l’article 3 dans certaines rares circonstances) de faire une telle distinction.

Le juge Dickson partageait ce point de vue minoritaire, 20 le juge Estey se rangeant du côté de la majorité. Je soumets respectueusement que le raisonnement du juge Martland dans l’affaire Gay Alliance se limitait à la seule situation de fait dont le tribunal était saisi en l’espèce, et que le raisonnement des juges dissidents convient mieux à la situation dont le présent tribunal est saisi.

20 Ibid., 134 pp. 148, 149.

J’ai déjà longuement considéré les principes de politique relatifs tant à l’article 109( 1) a) qu’à l’article 63. Ces dispositions portent des dépenses fiscales par le gouvernement fédéral en fournissant, de fait, des subventions fiscales à certains contribuables. Cette analyse s’applique mieux à l’article 63, mais elle vaut aussi selon moi pour l’article 109 a). A mon avis, ces dispositions constituent des services du gouvernement tout comme le sont les dépenses directes. 21

21 Voir l’exposé ci- dessus, page 52.

Cependant, le gouvernement du Canada lui- même conviendrait que les déductions des alinéas a) et b) de l’article 109 constituent des dépenses fiscales.

Une questions qui est habituellement considérée comme se rapportant à l’entité fiscale plutôt qu’à l’assiette fiscale est le régime des exemptions pour personnes à charge dans la structure de référence. Cependant, la Commission royale d’enquête sur la fiscalité a soutenu d’abord qu’un revenu de large définition devait servir aux fins de l’impôt et ensuite que l’assiette fiscale devait être une question économique discrétionnaire. La Commission a défini cette dernière comme le revenu au sens large, corrigé des déductions ou des crédits d’impôt destinés à refléter la différence de situation personnelle comme la maladie ou la situation de famille (personne mariée ou célibataire, nombre d’enfants). Le régime des personnes à charge faisait donc partie, pour la Commission, de l’étude de l’assiette fiscale. Bien que la prise en compte de ces situations puisse fort bien être un objectif valable, tout régime préférentiel peut être accordé de diverses façons; par exemple, au moyen d’allocations familiales, d’exemptions pour enfants ou de crédits d’impôt. De plus, si le particulier est l’entité fiscale de base, comme nous le verrons plus loin, ces déductions ou crédits d’impôt ne sont pas neutres selon la taille de la famille du contribuable. Ces avantages équivalent donc fonctionnellement à des dépenses directes et ne sont pas neutres. Leur classement dans les dépenses fiscales permet dans un but informatif, d’indiquer leur ordre de grandeur. 22 (Soulignement ajouté.)

22 Canada, Ministère des Finances, Gouvernement du Canada, compte des dépenses fiscales: une analyse conceptuelle des préférences fiscales des systèmes d’impôt sur le revenu et d’impôts indirects (Ottawa, Ministère des Finances, 1979) pp. 17, 19. Pour 1979, les dépenses fiscales attribuables à l’article 109( 1) a) seraient de 1,355 milliards de dollars. Ibid., p. 42.

Si les dépenses directes du gouvernement sont des services au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, alors, à mon avis, les dépenses indirectes du gouvernement, telles celles qui sont faites par le truchement des articles 63 et 109( 1) a) de la L. I. R. sont également des services selon l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Interprétant libéralement la Loi canadienne sur les droits de la personne et ayant présents à l’esprit son but et sa fonction je suis d’avis que ces dispositions statutaires constituent des services selon le sens que donne à ce mot l’article 5 de la Loi sur les droits de la personne. En outre, bien que la question n’ait pas été soulevée à l’audience, je statue expressément que les services fournis en vertu des articles 109( 1) a) et 63 de la L. I. R. sont destinés au public au sens où l’entend l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je préconise l’interprétation qui permet le mieux d’atteindre le but de ladite loi.

Etant donné ces conclusions, il faut maintenant examiner l’apparente contradiction entre la Loi canadienne sur les droits de la personne et les articles 109( 1) a) et 63 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

8. RESOLUTION DE L’APPARENTE CONTRADICTION ENTRE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE ET LA LOI DE L’IMPOT SUR LE REVENU

On dit que lorsqu’il y a contradiction ou incompatibilité entre deux lois, la dernière est censée avoir implicitement aboli la précédente. 1 Cependant, cette proposition souffre une importante exception:

S’il est une certitude, c’est bien ceci que lorsqu’une loi ultérieure comporte des termes généraux qui se prêtent à une application raisonnable et sensée sans qu’on en étende la portée à des matières touchées spécifiquement par la loi antérieure, vous ne devez pas considérer cette loi antérieure et spéciale comme indirectement abrogée, modifiée ni contournée du seul fait desdits termes généraux sans indication d’une intention particulière en ce sens. 2

1 Driedger, The Construction of Statutes, (Toronto: Butterworths, 1974) p. 174.

2 Seward c. Vera Cruz, (1884) 10 A. C. 59, p. 68, par le comte de Selbourne, L. C., cité par Driedger, p. 175.

C’est dire que la loi de portée générale doit le céder à la loi spéciale comme à une exception à la règle générale, l’idée étant qu’en adoptant la loi ultérieure, le Parlement a présumément exclu implicitement la matière de la précédente.

Driedger souligne la chose: La règle de l’abrogation implicite a pour but de résoudre les contradictions entre deux lois.

... Dans certains cas, l’incompatibilité entre les lois n’est que partielle... et la contradiction est résolue en restreignant la portée des termes généraux, en choisissant un sens de préférence à un autre ou en soustrayant une disposition à l’effet d’une autre. Le mot abroger ne convient guère ici. Dans ces cas, on ne peut exprimer la solution de l’incompatibilité qu’en ajoutant des mots d’exception ou de réserve que l’on suppose que le législateur y avait vus implicitement. C’est- à- dire en ajoutant au texte plutôt qu’en y soustrayant. Et si les termes contradictoires (la disposition incompatible) sont ensuite supprimés par le législateur, les mots servant à résoudre l’incompatibilité le sont également et les termes de la loi doivent être appliqués avec toute leur vigueur. Il vaut mieux laisser au corps législatif le soin de dire ce qu’il abroge. 3

3 Driedger, supra, n. 1, pp. 182, 185.

Driedger poursuit: On peut souvent résoudre la contradiction entre les dispositions de deux lois... en en modifiant le sens grammatical et usuel, en réduisant la portée des termes généraux, en choisissant entre deux significations possibles, en laissant de côté des termes ou en en ajoutant d’autres qui établissent l’accord tels sauf, nonobstant, sous réserve de pour indiquer qu’une des dispositions fait exception à l’autre ou est limitée par elle. 4

4 Supra, n. 1, p. 185.

D’où le dicton selon lequel une loi générale ne fait pas exception à une loi spéciale à moins que les deux ne soient absolument contradictoires et inconciliables. 4a

4a Maxwell on the Interpretation of Statutes (7e éd.), 1962, citant Seward c. The Vera Cruz (1884) 10 app. cas. 59, p. 68.

La défenderesse a fait valoir que le Parlement ne pouvait pas déléguer son pouvoir législatif, 4b mais là n’est pas le véritable problème. Evidemment, rien dans la Loi canadienne sur les droits de la personne ne laisse entendre que ce tribunal a le pouvoir de légiférer. La vraie question est de savoir si le Parlement a abrogé implicitement les dispositions incriminées de la L. I. R. elle- même en adoptant subséquemment la Loi canadienne sur les droits de la personne.

4b Attorney- General of Nova Scotia c. Attorney- General for Canada (1951) R. C. S. 31. Le Parlement peut cependant déléguer son pouvoir législatif à une entité subordonnée (autre qu’au corps législatif d’une province), dans l’affaire Gray (1918) 57 R. C. S. 150, par le j. Duff, p. 170.

Ayant présents à l’esprit ces deux principes généraux d’interprétation des lois, appliqués lorsque deux lois sont apparemment contradictoires ou inconciliables, je vais maintenant passer en revue brièvement l’expérience pertinente des Etats- Unis, puis les précédents dans l’interprétation de la Déclaration canadienne des droits.

Il peut être utile de se reporter à l’expérience des Etats- Unis, mais à la condition, toutefois, de se rappeler toujours les différences entre la législation américaine et la législation canadienne, et l’arrière- plan constitutionnel propre à chacun des pays.

L’égalité des citoyens américains devant la loi est garantie par le 14e amendement à la constitution. Depuis longtemps l’amendement est réputé ne pas abroger les lois spéciales qui

... peuvent peser plus ou moins lourdement sur l’un que sur l’autre pourvu qu’elles soient conçues de façon à ne pas imposer de restrictions inégales ou inutiles à quiconque, mais à promouvoir, avec le moins d’inconvénients possible, le bien public. 5

5 Barbier c. Connolly, (1885) 113 U. S. 27, p. 31, cité par R. Michael M’Gonigle, The Bill of Rights and the Indian Act: Either? Or?, (1977) 15 Alberta Law Rev. 292, p. 298.

La question est de savoir quand la loi spéciale est inconstitutionnelle. Pour en juger, les commentateurs américains utilisent une norme dite norme de classification raisonnable, c’est- à- dire que lorsqu’une loi publique établit une distinction entre des groupes, cette distinction doit être basée sur une classification raisonnable, soit une classification qui comprend toutes les personnes qui se trouvent dans la même position par rapport au but de la loi 6 dont le but lui- même ne doit pas être discriminatoire. 7

6 Tussman and ten Broek, The Equal Protection of the Laws, (1949) 37 Calif. L. Rev. 341, p. 346, cité par M’Gonigle, supra n. 5.

7 Ibid. pp. 353- 361.

Voyons maintenant certaines affaires de distinction illicite en vertu de la loi dont la Cour suprême des Etats- Unis a été saisie récemment. Dans Frontiero c. Richardson, 8 Mme Frontiero, membre des Forces armées, alléguait l’inconstitutionnalité d’une disposition légale qui permettait aux femmes à charge des membres du personnel des Forces armées de bénéficier d’office de certains avantages mais qui, par contre, exigeait des maris à charge qu’ils fassent la preuve de leur dépendance réelle à l’égard de leur conjointe membre des Forces armées. Le Département de la Défense a répliqué que la distinction était valide parce que, historiquement, le mari n’était pas ordinairement à la charge de sa femme tandis que la femme d’un membre des Forces armées l’était généralement, faisant valoir que cette façon d’agir était plus commode sur le plan administratif et permettait des économies. 9

8 93 S. Ct. 1764 (1973); 441 U. S. 677 (1973).

9 P. 1771.

Le tribunal a rejeté le raisonnement du Département bien qu’il ait été partagé quant à la question de savoir si, pour être valide, une distinction fondée sur le sexe devait avoir un fondement rationnel ou devait répondre à un intérêt contraignant. La différence entre les deux normes est une question de degré, un intérêt contraignant étant plus restrictif qu’une norme rationelle, celle- ci exigeant uniquement que la loi ne soit pas manifestement arbitraire et totalement dépourvue de rapport avec une politique d’Etat permissible. 10 La norme de l’intérêt contraignant exige une contrainte réelle, c’est- à- dire que le législateur n’ait pas pu rédiger la loi d’une façon moins discriminatoire. Dans l’affaire Frontiero, aucun des juges n’a estimé recevable l’argument selon lequel la commodité administrative constituerait une base rationnelle. Le juge Brennan était également d’avis (bien que la question ne fut pas en cause) qu’il aurait fallu que l’intérêt fut contraignant pour que le tribunal accepte qu’il y eut distinction illicite fondée sur le sexe. Le tribunal conclut qu’il ne fait pas de doute que la commodité administrative n’est pas une formule magique qu’il suffit de prononcer pour assurer la constitutionnalité d’une mesure. 11

10 Emily Sanford Read, dans un commentaire de l’affaire Kahn c. Shevin, (1975) 24 Emory L. J. 169, p. 170.

11 P. 1772.

Cette opinion a été répétée dans l’affaire Taylor c. Louisiana 12 dans laquelle la Cour suprême a jugé inconstitutionnelle une loi restreignant les jurés de sexe féminin à ceux qui étaient inscrits sur une liste de jurés féminins bénévoles. La loi permettait aux femmes de se soustraire spontanément au devoir de juré sous prétexte que leurs responsabilités domestiques quotidiennes avaient préséance sur ce devoir, ce qui permettait de contourner une lourde procédure administrative utilisée pour les hommes en vertu de laquelle chacun était choisi au mérite. En vertu de la loi, une femme ne pouvait être appelée à servir comme jurée que si elle avait déjà produit une déclaration par écrit manifestant son désir de servir.

12 95 S. Ct. 692 (1974); 419 U. S. 522 (1974).

Cependant, dans l’affaire Gruenwald c. Gardner, 13 le juge Anderson a déclaré:

Ce n’est que l’acte odieusement discriminatoire ou la classification manifestement arbitraire (et) manquant totalement de justification rationnelle qu’interdisent les articles relatifs au droit à l’application normale de la loi ou à l’égalité de protection... Il existe ici une relation raisonnable entre le but recherché au moyen de la classification qui est de réduire la disparité entre les aptitudes économiques et physiques de l’homme et de la femme, et les moyens employés pour atteindre ce but en permettant à la femme de calculer plus avantageusement ses prestations. Il n’y a en outre rien d’arbitraire ni de déraisonnable dans l’application du principe d’où émanent les différences statutaires dans les calculs pour l’homme et pour la femme. 14

13 390 F 2d 591 (1968).

14 P. 592.

L’affaire Gruewald portait sur des règlements relatifs aux prestations de sécurité sociale en vertu desquels on ne devait pas tenir compte des trois années de la carrière d’une femme pendant lesquelles son salaire avait été le plus bas (contrairement à la méthode adoptée pour l’homme) de façon à compenser la distinction injuste dont, selon les probabilités statistiques, elle avait eu à souffrir de ses employeurs en matière de salaire.

Le juge Douglas dans Kahn c. Shevin 15 a exprimé la même opinion. L’affaire Kahn est particulièrement pertinente aux questions dont est saisi ce tribunal car elle portait sur une déduction spéciale de l’impôt foncier accordée aux veuves en Floride. Le juge Douglas, au nom de la majorité, a statué que la loi n’était pas inconstitutionnelle:

Le veuf peut ordinairement poursuivre l’activité professionnelle qu’il exerçait avant le décès de son conjoint, tandis que la veuve se trouve souvent poussée subitement sur un marché du travail qui ne lui est pas familier et auquel, à cause de sa dépendance économique antérieure, elle aura moins d’aptitudes à offrir...

Il s’agit pas ici d’une affaire comme l’affaire Frontiero... où le gouvernement refusait à ses employés de sexe féminin des avantages à la fois positifs et administratifs qu’il accordait aux employés de sexe masculin uniquement... par souci de commodité administrative... Nous avons affaire ici à une loi fiscale d’Etat raisonnablement conçue dans le cadre de ses politiques en vue d’amortir les répercussions financières de la perte d’un conjoint pour celui des conjoints auquel cette perte impose un fardeau d’un poids disproportionné... Une loi fiscale d’Etat n’est pas arbitraire bien qu’elle favorise une certaine catégorie de citoyens... si, pour ce faire, elle se fonde sur une distinction raisonnable ou sur une différence dans les politiques de l’Etat... 16

15 94 S. Ct. 1734 (1974); 416 U. S. 351 (1974).

16 P. 1737.

Le juge Brennan qui avait rendu la décision de la majorité dans Frontiero était dissident dans Kahn. Il soutenait que si le législateur voulait aider les veuves pauvres en tant que groupe, il aurait pu le faire en insérant une vérification des moyens de subsistance dans la loi; de cette façon, il n’aurait atteint que le groupe cible. Il n’y avait pas d’intérêt contraignant à utiliser la classification générale de veuves, qui aidait des femmes qui n’avaient pas besoin d’aide, défavorisant ainsi les veufs. 17

17 Ibid., p. 1740.

Ces affaires américaines suggèrent qu’il est permis, dans une loi, de faire une distinction fondée sur le sexe si la distinction est faire pour corriger une mesure antérieure qui défavorisait une catégorie de personnes et non simplement pour favoriser un sexe par rapport à l’autre. 18

18 A. W. Turner, Constitutional Law - Tax Exemption for Widows Upheld over Sex Discrimination Challenge (1979) 53 N. Carolina L. R. 551, pp. 557- 559; Morris Hill, Discrimination against unwed mothers, (1973) 11 Indiana L. R. 551, p. 552; Eddie Correria, Constitutional Law, (1976) 29 Oklahoma L. R. 771, pp. 719, 720. Voir aussi Weinberger c. Wiesenfeld 955 S. Ct. 1225 (1975) par le juge Brennan, p. 1232: La simple allégation d’un but compensatoire ne constitue pas une justification en soi.

Etudiant les principes qui régissent les divers arrêts relatifs aux mesures législatives discriminatoires, un commentateur de l’affaire Kahn concluait:

Dans les domaines de la fiscalité, de la règlementation économique et du bien- être social, le tribunal a jugé particulièrement pertinente la norme de la rationalité parce que de telles mesures législatives doivent souvent favoriser certaines catégories de citoyens pour réaliser ses objectifs de règlementation, de correction ou de protection... Il est avéré que de nombreux dispositifs fiscaux constituent des solutions pratiques à des problèmes locaux et qu’ils doivent souvent aboutir à une certaine inégalité. C’est un principe juridique bien établi que le législateur peut élaborer ses mesures de réforme à l’échelle de l’Etat une à une, en s’attaquant à la phase du problème qui lui paraît la plus aiguë. 19

19 Emily Sanford Read, Kahn c. Shevin (1975) 24 Emory L. J. 169, pp. 171- 172.

La Cour suprême des Etats- Unis dans l’affaire Kahn a employé une double norme - le but de la loi et l’effet sur les victimes de la mesure discriminatoire - dans le cadre de la méthode générale qui consiste à permettre à l’Etat de faire l’expérience de divers correctifs aux effets d’actes discriminatoires passés. 20

20 Turner supra n. 18, pp. 558- 9, 560.

A mon avis, cette norme est foncièrement la même que celle que recommandait le professeur Tarnopolsky dans son étude sur la Déclaration canadienne des droits:

En résumé, et sans trop répéter l’exposé, l’art, 1b) de la Déclaration des droits exige une comparaison entre la personne qui se trouve devant le tribunal et les autres personnes de sa catégorie. Cela en soi ne suffit pas, car cela n’aide pas à déterminer à qui la personne est comparée. Ce qui devrait au moins en partie être déterminé par la seconde étape du processus, soit à savoir si une inégalité de fait constitue une inégalité devant la loi. Il faut tenir compte du but que visait le Parlement en décrétant la loi qui établit la distinction. Le fardeau de la preuve de l’inégalité doit reposer sur celui qui l’allègue. En cas de doute, les juges doivent trancher dans le sens du maintien de la loi. Toutefois, la Déclaration des droits indique que le Parlement a confié aux tribunaux le soin d’apprécier la chose. Cette appréciation doit être faite d’après une norme telle la suivante: La distinction faite dans la loi ou le processus est- elle raisonnablement justifiable dans un pays démocratique libéral voué à une politique d’égalité des chances tempérée par des efforts en vue de réaliser l’égalité de fait. 21

21 W. S. Tarnopolsky, The Canadian Bill of Rights (2e éd.) McClelland and Stewart: Toronto, 1975, p. 316.

Voyons maintenant quelques affaires pertinentes relatives à la Déclaration canadienne des droits.

Dans Luis Ayala c. Sa Majesté la Reine, 22 le plaignant, travailleur social dont l’épouse était étudiante à temps plein, avait voulu déduire aux fins de l’impôt sur le revenu un montant versé au titre de frais de garde pour ses deux enfants d’âge pré- scolaire. Le plaignant ne tombait dans aucune des catégories énoncées à l’article 63( 1) b) de la L. I. R. Cependant, si sa femme avait gagné un revenu, elle aurait eu droit à la déduction des frais de garde d’enfants. La Commission d’appel de l’impôt 23 a rejeté les allégations du plaignant selon lesquelles, à cause de sa situation, l’article 63 constituait une distinction illicite fondée sur le sexe et par conséquent une inégalité devant la loi, en contravention de l’article 1 b) de la Déclaration canadienne des droits ainsi libellé:

1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ci- après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient... son sexe:

b) le droit de l’individu à l’égalité devant la loi et à la protection de la loi;

En outre, il est décrété à l’article 2 de la même Déclaration:

2. Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme...

22 79 D. T. C. 5083 (F. C. T. D.).

23 78 D. T. C. 1262, 1978 C. T. C. 2299.

24 S. R. C. 1970, Annexe 111.

Le juge Collier a rejeté l’appel de M. Ayala à la Cour fédérale en se fondant sur les arrêts de la Cour suprême du Canada dans les affaires R. c. Drybones, 25 R. c. Burnshine, 26 Prata c. M. M. T., 27 et Bliss c. P. G. du Canada. 28

25 (1970) R. C. S. 282.

26 (1975) 1 R. C. S. 693.

27 (1976) 1 R. C. S. 376.

28 (1978) 6 W. W. R. 711 confirmant P. G. c. Bliss (1977) 77 DLR (3e) 609 (C. F. A.).

Drybones avait trait à un Indien des Territoires du Nord- Ouest, condamné en vertu de l’article 94 b) de la Loi sur les Indiens 29 pour ivresse à l’extérieur d’une réserve, prévoyant une amende d’au moins $10 et d’au plus $50 ou à un emprisonnement d’au plus trois mois. Par contre, en vertu de l’ordonnance territoriale de portée générale sur les boissons alcooliques, un non- Indien ne pouvait être déclaré coupable que s’il était ivre dans un endroit public, l’amende ne comportait aucun minimum et l’emprisonnement maximum n’était que de 30 jours. La Cour suprême du Canada a statué que Drybones s’était vu refuser l’égalité devant la loi parce que les Indiens étaient traités plus rigoureusement en vertu de la législation fédérale en vigueur et par conséquent, que l’article 94 b) de la Loi sur les Indiens était sans effet; la condamnation de Drybones a été infirmée.

29 S. R. C. 1970, c. I- 6.

30 (1975) 1 R. C. S. 693.

Cette méthode comparative pour déterminer l’égalité devant la loi a été raffinée dans des arrêts subséquents. Dans R. c. Burnshine, 30 il s’agissait d’une différence de traitement en matière de durée d’emprisonnement d’individus en vertu de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, selon le lieu où les individus se trouvaient au pays. Le juge Martland, exprimant l’avis unanime de la Cour, a déclaré que pour que le demandeur réussisse à faire déclarer une loi inopérante sous prétexte qu’elle niait l’égalité devant la loi proclamée par la Déclaration canadienne des droits, il devait au moins démontrer à ce tribunal qu’en adoptant l’article 150, le Parlement ne poursuivait pas un objectif fédéral légitime. 31

31 Ibid., pp. 707, 708.

La dissidence 32 reposait sur le fait que la disposition de la loi incriminée prévoyant une peine plus forte en Colombie- Britannique que dans huit autres provinces pour le même délit, constituait la négation de l’égalité devant la loi.

32 Ibid., par Laskin alors juge, 709, p. 716, 718. (Avis concordant des juges Spence et Dickson.

Quant à l’effet de l’arrêt Drybones, le juge Martland déclarait:

La majorité dans cette affaire estimait que l’article créait délibérément un type spécifique d’infraction punissable qui ne pouvait être commise que par des Indiens et que par conséquent une inégalité devant la loi avait été fondée sur des motifs de race. La portée de ce jugement a été exposée par le juge Ritchie au nom de la majorité, en page 298, en ces termes:

Il me semble souhaitable d’établir clairement que les motifs du jugement se limitent à une situation dans laquelle, selon les lois du Canada, constitue une infraction punissable en droit, le fait pour une personne d’une certaine race, de faire quelque chose que tous les Canadiens qui n’appartiennent pas à cette race peuvent faire impunément; à mon avis, les mêmes considérations ne s’appliquent aucunement à toutes les dispositions de la Loi sur les Indiens. 33

33 Ibid., 706 (cité par le j. Collier dans Ayala c. la Reine, 79 DTC 5083 p. 5084.

Ainsi donc, l’expression égalité devant la loi paraissant à l’article 1 b) de la Déclaration canadienne des droits ne peut s’interpréter littéralement comme signifiant que tous les individus doivent avoir, en vertu de toutes les lois, exactement les mêmes droits et obligations. 34 L’article 1 b) de la Déclaration canadienne des droits ne décrète pas que toutes les lois fédérales doivent s’appliquer à tous les individus de la même façon.

34 Juge Pratte dans Bliss c. Procureur général du Canada (1977) 16 NR 254 p. 259 CAF).

Dans Prata c. M. M. T., 35 un individu sous le coup d’une ordonnance d’expulsion en avait appelé aux pouvoirs discrétionnaires de la Commission d’appel de l’Immigration pour des motifs de pitié et des considérations d’ordre humanitaire. Cependant, à la suite de la production, par un ministre, d’un certificat attestant qu’il serait contraire à l’intérêt national pour la Commission d’exercer les pouvoirs discrétionnaires que lui conférait l’article 21 de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration, les pouvoirs discrétionnaires de la Commission lui avaient été retirés.

35 (1976) 1 R. C. S. 376.

Le juge en chef Jackett de la Cour d’appel fédérale déclarait:

... il est de l’essence même d’une bonne législation que les lois soient conçues de façon à être applicables aux catégories de personnes et dans les circonstances qui sont le mieux de nature à réaliser les objectifs sociaux, économiques ou nationaux adoptés par le Parlement. L’application d’une règle positive de droit à une catégorie de personne et non à une autre ne peut, à mon avis, constituer en soi un acte discriminatoire condamnable du point de vue de l’article 1 b) de la Déclaration canadienne des droits. Ce n’est pas dire qu’une loi ne pourrait pas être essentiellement discriminatoire par rapport à d’autres préjugés, de la même façon qu’une loi peut être discriminatoire pour des motifs de race, d’origine nationale, de couleur, de religion ou de sexe. Une telle loi, dans la mesure où elle serait discriminatoire, ne serait pas fondée sur des objectifs législatifs acceptables (c’est- à- dire qu’elle ne serait pas acceptable, compte tenu de la Déclaration canadienne des droits, à moins qu’elle n’ait été adoptée nonobstant la Déclaration canadienne des droits) endossés par le Parlement et, dans cette mesure, irait à l’encontre de l’article 1 b) de la Déclaration canadienne des droits. 35a

35a (1972) C. F. 1405 p. 1414.

A la Cour suprême du Canada, le juge Martland a statué ce qui suit: Le second motif d’appel est que les dispositions de la Déclaration canadienne des droits empêchent l’application de l’article 21 tel qu’il est libellé, dans les circonstances de la présente affaire. On prétend que l’application de l’article 21 a privé l’appelant du droit à l’égalité devant la loi établi par l’article 1 b) de la Déclaration canadienne des droits. Cette prétention aurait pour effet que le Parlement ne pourrait pas exclure de l’application de l’article 15 les personnes auxquelles, de l’avis de la Couronne on ne devrait pas permettre, dans l’intérêt national, de demeurer au Canada, sous prétexte que lesdites personnes seraient ainsi traitées différemment de celles auxquelles on permet de réclamer les avantages de l’article 15. Le motif de l’adoption de l’article 21 est clair et vise la réalisation d’un objectif fédéral légitime. Ce tribunal a statué que l’article 1 b) de la Déclaration canadienne des droits n’exige pas que toutes les lois fédérales soient appliquées à tous les individus de la même façon. La législation applicable à une catégorie particulière de personnes est valide si elle est adoptée pour réaliser un objectif fédéral légitime (R. c. Burnshine). 36

36 (1976) 1 R. C. S. 376 p. 382, cité par le j. Collier dans Ayala c. la Reine 79 DTC 5083 p. 5085.

Dans l’affaire Bliss, une femme ayant quitté son emploi pour donner naissance à un enfant et ayant réclamé des prestations d’assurance- chômage parce qu’elle ne pouvait se trouver un emploi, se les était vu refuser en vertu de l’article 46 de la Loi sur l’assurance- chômage 37 de 1971 qui excluait certains types de prestations aux réclamants de sexe féminin pour une période de huit semaines avant l’accouchement et de six semaines après. Elle prétendait que l’article était inopérant parce qu’il contrevenait à l’article 1 b) de la Déclaration canadienne des droits. Le juge Pratte de la Cour d’appel fédérale, a statué ce qui suit:

L’article 46 de la Loi sur l’assurance- chômage n’est pas isolé. Il faut le lire avec l’article 30 et les autres dispositions de la loi. Il me semble évident que le Parlement a jugé que le chômage attribuable à la grossesse était différent du chômage attribuable à la maladie ou du chômage qui ouvre droit au versement de prestations ordinaires. On peut penser qu’une telle distinction n’est pas justifiée mais on ne peut pas prétendre qu’elle soit entièrement sans fondement. Le chômage attribuable à la grossesse, contrairement aux autres genres de chômage qui ouvrent droit à des prestations est ordinairement le résultat d’un acte volontaire. En outre, le Parlement a peut- être jugé souhaitable que les femmes enceintes s’abstiennent de travailler pendant 14 semaines à l’occasion de leur accouchement. Il n’était pas illogique, alors, de leur refuser pendant ce temps les prestations qui ne sont payables qu’à ceux qui sont disponibles pour travailler et de leur accorder des prestations d’un nouveau genre, payables indépendamment de la capacité de travailler et de la disponibilité pour le travail. Ayant ainsi créé ce nouveau genre de prestations en faveur des femmes enceintes, le Parlement devait décider à quelles conditions elles seraient payables, et notamment après quelle période d’emploi les femmes y auraient droit. Cette période aurait pu être la même que celle exigée pour les prestations ordinaires, auquel cas la demande du défendeur n’aurait pas été rejetée par la Commission. Le Parlement a décidé que la période d’emploi nécessaire pour avoir droit aux prestations de grossesse qui, à certains égards, sont plus généreuses que les prestations ordinaires, devrait être plus longue que pour ces dernières.

37 S. C. 1970- 1971- 1972, c. 48.

On peut penser que cette décision n’était pas sage mais on ne peut pas prétendre qu’elle était fondée sur des considérations non pertinentes; Il s’ensuit, à mon avis, que la législation adoptée pour mettre en oeuvre cette décision a été édictée afin de réaliser un objectif fédéral légitime (Voir Prata c. MMI, 3 NR 484; (1976) 1 R. C. S. 376, p. 382), et ne portait pas atteinte aux droits de quiconque à l’égalité devant la loi. 38

38 (1977) 16 N. R. 254, p. 261.

Un autre appel à la Cour suprême du Canada a été rejeté, le juge Ritchie statuant:

Il était à mon avis nécessaire, pour l’exercise effectif de l’autorité à lui conférée par l’article 91( 2A) de l’AABN, que le Parlement fixe les conditions d’admissibilité aux prestations prévues par la loi. L’établissement de ces conditions était partie intégrante d’un programme législatif établi par le Parlement visant un objectif fédéral légitime dans l’exercise de l’autorité constitutionnelle à lui confiée par l’article 91 (2A), et le fait que cela voulait dire traiter les réclamants qui satisfont aux conditions différemment de ceux qui n’y satisfont pas ne peut, à mon avis, être tenu pour invalider une telle législation. 38a

38a (1978) 6 W. W. R. 771, p. 713, confirmant P. G. c. Bliss (1977) D. L. R. (3e) 609 (C. F. A.).

Les paroles du juge Ritchie, prises littéralement, supposent que sa norme est quelque peu plus étroite que celle employée par le juge Martland dans l’affaire Burnshine, car il semble laisser entendre que n’importe quelles conditions d’admissibilité suffiraient. Il ne faut pas interpréter un objectif fédéral légitime comme équivalant à n’importe quel motif législatif pourvu qu’il y ait un fondement constitutionnel à la législation.

Cependant, le juge Ritchie poursuivant: Comme je l’ai indiqué, l’article constitue une restriction à l’admissibilité aux prestations d’un groupe spécifique d’individus et, en tant que tel, s’insérait dans un programme fédéral légitime. Il y a une grande différence entre des dispositions législatives qui traitent un secteur de la population plus sévèrement que tous les autres à cause de sa race, comme dans l’affaire R. C. Drybones, supra, et des dispositions législatives qui offrent des prestations supplémentaires à une catégorie de femmes en spécifiant les conditions d’admissibilité à ces prestations et déterminant une période pendant laquelle ces prestations ne sont pas offertes. Dans un cas, il s’agit de l’imposition, à un groupe racial, d’une peine à laquelle les autres citoyens ne sont pas assujettis; dans l’autre cas, il s’agit de la définition des qualités requises pour avoir droit aux prestations, et à mon avis, l’application des restrictions prévues à l’article 46 ne constitue pas une négation de l’égalité de traitement dans l’application de la loi par les tribunaux ordinaires du pays comme dans l’affaire Drybones.

Ces derniers critères ont été employés devant ce tribunal pour déterminer la signification d’égalité devant la loi dans P. G. Can. c. Lavell; Issac c. Bédard, (1974) R. C. S. 1349, pp. 1365- 66, 23 C. R. N. S. 197, 11 R. F. L. 3333, 38 D. L. R. (3e) 48, et le juge Martland s’est fondé sur le même raisonnement pour exprimer l’avis de la majorité des juges dans R. c. Burnshine (1975) 1 R. C. S. 693, pp. 703- 704, (1974) 4 W. W. R. 49, 25 C. R. N. S. 270, 15 C. C. C. (2e) 205, 44 D. L. R. (3e) 584, 2 N. R. 53. 38b

38b Ibid., p. 718. * (Voir à l’art. 63( 3) le sens de l’expression frais de garde d’enfants.)

Le juge Collier de la Cour fédérale de première instance a statué dans l’affaire Ayala que l’article 63 de la L. I. R. avait un objectif fédéral légitime. Il a déclaré:

Quant à l’article 63, le législateur, si j’ai bien compris, a voulu assurer une aide à l’un des parents au travail ayant la garde d’enfants et devant engager des frais de garde d’enfants.* Cela constitue à mon avis un objectif fédéral légitime. Il n’est pas rendu illégitime du fait qu’une catégorie de contribuables parents (hommes ou femmes) obtenaient une aide dont étaient privée d’autres catégories de contribuables parents de sexe masculin.

Il n’y a quant à moi à l’article 63 ni distinction injuste fondée sur le sexe ni inégalité devant la loi. La disposition s’applique à la situation de certains parents qui doivent supporter des frais de garde d’enfants. Les conditions d’admissibilité à la déduction sont moins rigoureuses pour la mère que pour le père. On peut s’interroger sur les motifs de cette différence: le rôle que joue la mère, historiquement, du moins, qui est de subvenir à la plupart des besoins de l’enfant en bas âge ou encore, historiquement aussi, la différence de pouvoir économique de la femme au travail par rapport à celui de l’homme. 38c

38c 79 DTC 5083, p. 5085 (FCTD).

A mon avis, ce tribunal devrait d’abord définir l’objectif de la loi et déterminer si celui- ci constitue un objectif fédéral légitime; et en second lieu, apprécier si la classification est raisonnable pour ceux qui en sont affectés. Comme l’écrivait un auteur canadien:

"Le législateur établit de fait des distinctions entre groupes fondées sur les valeurs et des objectifs acceptés, qui produisent des différences réelles entre les droits des groupes devant la loi. En ce sens concret, ils sont inégaux, mais l’étant équitablement, il n’y a pas d’inégalité dans le fait qu’ils soient traités différemment. Ce n’est que lorsque la distinction originale est elle- même fondée sur un objectif inacceptable - lorsqu’elle est discriminatoire - qu’il y a inégalité. Dans ce cas, les égaux ne sont pas traités également". 39

39 M’Gonigle, The Bill of Rights and the Indian Act: Either Or? (1977) 15 Alberta L. Rev. 292, pp. 299- 300.

Toutefois, pour apprécier si la classification est raisonnable pour ceux qui sont atteints par la législation incriminée, la Cour suprême du Canada dans les affaires relatives à la Déclaration canadienne des droits adopte une méthode très conservatrice. La norme revient en réalité à ceci: la classification établie dans la loi était- elle fondée sur des considérations tenues par le Parlement comme pertinentes par rapport à ses objectifs? Dans cette appréciation, je crois que l’opinion fort pertinente de l’actuel juge en chef de la Cour suprême du Canada dans Curr c. la Reine 40 peut nous servir de principe directeur:

"... il faudrait faire valoir des motifs contraignants pour que la Cour soit justifiée d’avoir recours à la compétence qu’elle possède en vertu de la loi (par opposition à celle que lui confère la constitution) pour rendre inopérante une disposition positive dûment édictée par un Parlement constitutionnellement habilité à ce faire et exerçant ses pouvoirs conformément aux principes du gouvernement responsable qui sont à la base de l’exercice du pouvoir législatif en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique". 40a

40 (1972) R. C. S. 889. 40a Ibid., p. 899.

Le juge Pratte de la Cour fédérale d’appel dans Bliss c. le Procureur général du Canada 41 a statué:

Il est normal que les droits et devoirs des individus varient selon leur situation. Mais ce n’est là qu’une façon de dire que ces droits et devoirs devraient être les mêmes dans des situations identiques. Ayant ceci présent à l’esprit, on pourrait concevoir le droit à l’égalité devant la loi comme le droit d’un individu à être traité par la loi de la même façon que les autres individus dans la même situation. Mais une telle définition serait incomplète car deux individus ne peuvent pas se trouver dans exactement la même situation. Il est toujours possible de faire des distinctions entre individus. Lorsqu’une loi établit une distinction entre deux personnes de façon à les traiter différemment, cette distinction peut être pertinente ou non pertinente. Elle est pertinente lorsqu’il y a un lien logique entre le fondement de la distinction et les conséquences qui en découlent; elle n’est pas pertinente lorsque ce lien est absent. A la lumière de ces considérations, on pourrait définir le droit d’un individu à l’égalité devant la loi comme le droit, pour lui, d’être traité aussi bien par la loi que d’autres qui, si l’on ne tenait compte que de facteurs pertinents, seraient considérés comme étant dans la même situation. Selon cette définition, que le procureur du répondant, je crois, ne rejetterait pas, une personne serait privée de son droit à l’égalité devant la loi si elle était traitée plus rigoureusement que d’autres à cause d’une distinction non pertinente faite entre elle et ces autres personnes. Si, toutefois, la différence de traitement était fondée sur une distinction pertinente (ou même sur une distinction qui pourrait être conçue comme peut- être pertinente) son droit à l’égalité devant la loi ne serait pas atteint. 42 (Soulignement ajouté.)

41 (1977) 16 N. R. 254.

42 P. 259- 260.

Fait à noter également, la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire des Droits linguistiques de Belgique 43 a appliqué une norme analogue à celle de la classification raisonnable pour interpréter l’article 14 de la Convention européenne sur les droits de l’homme selon laquelle la jouissance des droits et libertés énoncés dans la présente Convention doit être assurée sans distinction aucune, notamment de sexe, de race, de couleur...

"L’article 14 n’interdit pas toute différence de traitement dans l’exercice des droits et libertés reconnus... on obtiendrait des résultats absurdes si l’on donnait à l’art. 14 une interprétation aussi large que cela... On serait en effet amené à juger contraires à la Convention toutes les nombreuses mesures légales ou administratives qui n’assurent pas à chacun une complète égalité de traitement dans la jouissance des droits et libertés reconnus. Les autorités nationales compétentes sont souvent confrontées à des situations et problèmes qui, à cause de leurs différences intrinsèques, exigent des solutions légales différentes; de plus, certaines inégalités de la loi ne visent qu’a corriger des inégalités de fait... Il est important donc de rechercher les critères qui permettront de reconnaître si une différence de traitement donnée enfreint l’article 14. A ce propos, la Cour, suivant les principes qui peuvent être déduits de la pratique juridique d’un grand nombre d’Etats démocratiques, statue que le principe de l’égalité de traitement est violé si la distinction n’a pas de justification objective et raisonnable." 44 (Soulignement ajouté.)

43 Cour européenne des droits de l’homme, Série A, Jugement du 23 juillet 1968, cité par Anne Bayefsky, The Jamaican Women Case and the Canadian Human Rights Act. Is Government Subject to the Principle of Equal Opportunity? à paraître dans un prochain numéro de la University of Western Ontario Law Review.

44 Ibid.

Les distinctions établies par l’article 109 a) et l’article 63 de la L. I. R. sont- elles raisonnablement justifiables au Canada, pays voué à une politique d’égalité des chances (expressément énoncée à l’article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne), tempérée par des efforts en vue de réaliser l’égalité de fait? 44a

44a Tarnopolsky, supra, note 21, page 316.

D’une part, nous avons le principe de l’égalité des chances dont l’application est exigée par la Loi canadienne sur les droits de la personne. D’autre part, nous avons la politique énoncée aux articles 109( 1) a) et 63 de la L. I. R., toutefois ces dispositions constituent des actes discriminatoires (du moins de fait) en ce sens que des contribuables reçoivent un traitement qui les défavorise à cause de leur situation de famille ou de leur sexe. 45

45 Incidemment, un principe fondamental d’équité en fiscalité veut que les contribuables qui se trouvent dans la même position quant à la hausse de leur revenu dans l’année soient imposés de la même manière. Mais, évidemment, la L. I. R. s’écarte de ce principe dans des cas importants, par exemple en n’imposant que la moitié d’un gain de capital. Voir les art. 38, 39 de la L. I. R.

Il faut nécessairement harmoniser ces intérêts divergents pour donner son effet à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous avons déjà étudié en détail les objectifs législatifs des dispositions de la L. I. R. Les objectifs du Parlement sont de toute évidence légitimes: étant donné le besoin dans lequel le gouvernement fédéral se trouve d’avoir des ressources et d’imposer les revenus, il lui est donc nécessaire d’établir les déductions dont les particuliers peuvent bénéficier dans le calcul de leur revenu aux fins du fisc. Il est clair que le gouvernement fédéral n’a pas pour objectif, par l’une ou l’autre de ces dispositions, de défavoriser des individus pour un motif de distinction illicite.

Mais ce traitement de défaveur appliqué à certains contribuables par la L. I. R. est- il raisonnable étant donné l’objectif concurrent que constitue le principe de l’égalité des chances exprimé dans la Loi canadienne sur les droits de la personne? Etant donné les modalités fixées pour les déductions personnelles à l’article 109 de la L. I. R., le paragraphe (1) a) dudit article a été conçu comme se limitant au contribuable marié pour la commodité de l’administration, pour éviter qu’on se soustrait à l’impôt avec les pertes de revenu que cela représenterait. Cependant, il semble qu’il ne serait pas très difficile de modifier l’article 109( 1) a) de telle façon qu’un test concret, assez précis mais non discriminatoire, puisse permettre de trancher la question, tel le test adopté dans le Internal Revenue Code des Etats- Unis. Comme nous l’avons vu, l’article 151 e) accorde une exemption pour chaque personne à charge selon la définition qu’en donne l’article 152; l’alinéa a) définit la personne à charge comme un individu aux besoins duquel le contribuable a subvenu pour plus de la moitié pour l’année et comprend (art. 152 a)( 9)) un individu dont le principal lieu d’habitation pour l’année est la maison du contribuable et qui fait partie de celle- ci. Ce statut doit avoir existé pendant l’année d’imposition tout entière. 47 Le règlement stipule en outre (a. 152 b)( 5)) qu’un individu n’est pas considéré comme membre de la maison du contribuable si, à quelque moment pendant l’année, les liens qui unissaient la personne à charge et le contribuable étaient en contravention d’une loi locale. Par contre, l’article 109( 1) b) pourrait comprendre le conjoint d’une union libre grâce à un tel test. Le ministère du Revenu national pourrait faire valoir qu’il est difficile de contrôler de telles situations de fait. Pourtant, l’article 109( 1) a) comporte déjà un contrôle des faits (mariage et personne à charge); et ce n’est pas là un cas unique dans la L. I. R., étant donné que la perception fiscale repose, comme il se doit, sur l’honnêteté du contribuable à établir lui- même sa cotisation et à faire sa déclaration. Il est peu probable qu’il y aurait une perte substantielle de recettes attribuable à l’augmentation du nombre de contribuables (le conjoint d’une union libre ayant l’autre conjoint à sa charge) profitant de la déduction puisque ceux d’entre eux qui ont des enfants profiteraient déjà de l’équivalent de l’exemption de marié accordée par l’article 109( 1) b) dont ils ne pourraient pas profiter s’ils s’étaient prévalu de l’exemption de personne mariée de l’article 109( 1) a). 48 Il est douteux qu’il existe un grand nombre d’unions libres où le couple n’a pas d’enfants et l’un des conjoints n’a pas de revenu.

46 Ci- dessus, pp. 27, 28.

47 Trowbridge c. C. I. R., 1958, 30 C. T. C. 879.

48 Le contribuable acquerrait cependant droit à la déduction pour un enfant offerte par l’article 109( 1) d), mais cela ne ferait que placer le contribuable vivant en concubinage et ayant un enfant dans la même situation qu’un contribuable marié ayant un enfant.

Cependant, l’argument de la perte de recettes n’est pas vraiment pertinent vu que tant le contribuable marié dont le conjoint est à sa charge que le contribuable non marié dont le compagnon ou la compagne est à sa charge (tout le reste étant égal) ont besoin d’un revenu non imposé pour subvenir à leurs besoins et à ceux des personnes à leur charge. Selon le postulat politique dont s’inspire l’article 109( 1) a) (tout contribuable a besoin d’un revenu minimum non imposé pour subvenir à ses besoins et à ceux de son conjoint à sa charge) la déduction devrait être également offerte au contribuable vivant en union libre. La portée restreinte qu’a actuellement l’article 109( 1) a) tend à contredire ses objectifs politiques, mais le Parlement (et notamment les ministères du Revenu national et des Finances du gouvernement fédéral responsables de la perception des impôts et de la politique fiscale) semble juger la restriction nécessaire à la bonne perception des impôts.

Fait à noter, la déduction prévue à l’article 109( 1) b) comporte plusieurs restrictions de la nature d’un contrôle des faits, puisque l’exemption n’est accordée que dans le cas d’un particulier qui n’a pas droit à une déduction aux termes de l’alinéa a), qui, durant l’année, était

(i) une personne non mariée ou une personne mariée ne subvenant pas aux besoins de son conjoint et ne vivant pas avec lui, qui n’était pas à sa charge, et

(ii) qui, seul ou conjointement avec une ou plusieurs autres personnes, tenait un établissement domestique autonome (où ce particulier vivait) et y subvenait effectivement aux besoins d’une personne qui, durant l’année, était

(A) entièrement à la charge du contribuable, et (B) unie par les liens du sang, du mariage ou de l’adoption, au contribuable, ou au contribuable et à une ou plusieurs de ces personnes, selon le cas...

En outre, l’expression unie par les liens du... mariage reçoit son sens ordinaire, car elle est exceptée par la définition générale qu’en donne l’article 251( 6) de la L. I. R. Ainsi, par exemple, si la plaignante dame Bailey était veuve, elle pourrait se prévaloir de la déduction offerte par l’article 109( 1) b) pour un beau- père à charge. 49

49 Bulletin d’interprétation IT- 191, art. 22; Pembroke Ferry Ltd. c. M. R. N. 6TTax ABC 389. Ainsi, on ne peut pas prétendre que les restrictions aux relations ouvrant droit aux déductions des alinéas a) et b) de l’article 109( 1) sont fondées sur la notion qu’un contribuable marié devrait pouvoir obtenir une déduction pour son conjoint ou son enfant à cause de l’obligation légale qui lui est faite par le droit de la province de subvenir à leurs besoins. De même, l’obligation de soutien peut, évidemment, émaner du droit de la province pour l’enfant issu d’une union libre et, avec la réforme du droit familial, l’obligation de soutien peut naître entre conjoints vivant en concubinage. Voir, par exemple, le Family Law Reform Act de l’Ontario, 1978, S. O., c. 2, a. 14, 15.

Ne pas offrir la déduction à un contribuable tel la plaignante, dame Bailey, a pour effet de nier l’égalité des chances, puisque la contribuable ayant, en concubinage, un conjoint à sa charge, se trouve avec un revenu après impôts inférieur et par conséquent un pouvoir économique moindre que le contribuable marié dans la même situation. Il semble que cette situation discriminatoire pourrait être corrigée sans grandes difficultés législatives. Si la perte de recette était appréciable par suite du plus grand nombre de contribuable qui pourraient profiter de la déduction, elle pourrait être compensée en offrant à tous les contribuables une déduction inférieure à celle qu’offre à certains d’entre eux l’actuel article 109( 1) a).

Toutefois, on pourrait faire valoir en outre qu’étendre la déduction pour personnes à charge au- delà des liens définis par l’article 109( 1) a) et b) de la L. I. R., comme le fait le Internal Revenue Code signifierait qu’un contribuable pourrait profiter d’une déduction pour toute personne à charge et pour plus d’une telle personne. Ainsi, par exemple, un contribuable homosexuel pourrait profiter de la déduction pour son conjoint. Etendre la déduction à de tels liens semble conforme au postulat de base de l’article 109( 1) a) selon lequel un contribuable a besoin d’un revenu libre d’impôts minimum pour subvenir à ses besoins et à ceux des personnes à sa charge. Si le Parlement souhaite soit décourager de tels liens soit les ignorer en imposant ce qui reviendrait à une peine fiscale en interdisant la déduction à ceux qui entretiennent de tels liens, il peut certainement le faire, mais il devrait s’attaquer résolument au problème moral et politique en cause. Quoi qu’il en soit, le souci de ne pas prendre de décision sur cette question (si tel est le cas) ne devrait pas servir d’excuse pour refuser la déduction en cause aux conjoints vivant en concubinage. Il semble que cette exclusion ne soit présentement fondée que sur la commodité administrative et non sur quelque désapprobation morale du Parlement et, comme je l’ai déjà dit, je ne crois pas que la commodité administrative soit un fondement nécessaire ni raisonnable pour cette restriction. Des critères de fait pourraient être établis, comme dans le Internal Revenue Code des Etats- Unis, de façon à inclure le conjoint vivant en concubinage, mais si le Parlement voulait limiter l’accessibilité de la déduction au contribuable ayant à sa charge son conjoint vivant en concubinage, il pourrait ajouter les restrictions nécessaires à la loi. Si une telle restriction (qui, en fait, refuserait la déduction à un contribuable ayant à sa charge une autre personne unie à lui par les liens de l’homosexualité) risquait de devenir inopérante parce qu’elle contreviendrait à la Loi canadienne sur les droits de la personne, 50 une exception pourrait être faite au moyen d’un amendement à cette loi. De même, une disposition élargie permettant à un contribuable vivant en concubinage de profiter de la déduction pourrait être limitée à une seule déduction pour l’année d’imposition.

50 Il semble toutefois que les penchants sexuels ne sont pas visés par l’actuelle Loi canadienne sur les droits de la personne. En outre, en vertu de règles générales d’interprétation des lois, des dispositions législatives spécifiques subséquentes pourraient être tenues pour non incompatibles avec la Loi canadienne sur les droits de la personne, antérieure et de portée générale.

Certains pourront faire valoir qu’en permettant aux personnes vivant en concubinage de bénéficier du même traitement que les personnes mariées on n’aidera que quelques individus et on n’améliorera que marginalement la possibilité pour la Loi canadienne sur les droits de la personne de réaliser la politique d’égalité des chances qu’elle poursuit. Mais ce serait là passer à côté de l’essentiel. Ce n’est qu’en faisant preuve de vigilance dans chaque cas particulier que l’on réussit à améliorer en général une société démocratique et civilisée, vouée à des valeurs aussi fondamentales que les droits de la personne. En accordant à l’individu l’égalité des chances, c’est la société dans son ensemble qui y gagne appréciablement, d’abord en termes du maintien et de la valorisation de ses valeurs les plus fondamentales, et même aussi, à la longue, en termes de prospérité économique.

La classification de l’article 109( 1) a) de la L. I. R. est- elle raisonnable en offrant la déduction qu’aux personnes mariées? A mon avis, elle ne l’est pas. Cependant, je crois que la classification établie par la loi est fondée sur des considérations que le Parlement a jugées pertinentes par rapport au but fondamental de la législation fiscale qui est la perception des impôts.

L’étude de l’article 63 nous a révélé qu’il a pour but de faciliter aux femmes l’accès au marché du travail en supprimant un élément de dissuasion en cette matière, les frais de garde d’enfant constituant des dépenses personnelles extraordinaires et indispensables pour gagner un revenu après que la décision de travailler a été prise. Ainsi, le postulat politique de base de l’article 63 est de favoriser l’égalité des chances d’un groupe, les femmes, envisagées comme se trouvant dans une posture économique désavantageuse. Cependant, la disposition est étendue aux hommes dans certaines circonstances, et ainsi, bien que son action soit principalement d’aider les femmes, son but n’est pas de défavoriser des individus uniquement à cause de leur sexe. C’est- à- dire qu’on ne peut pas considérer l’article 63 simplement comme une sorte d’action affirmative parce que sa portée ne se limite pas aux femmes. Les restrictions sont imposées aux contribuables de sexe masculin à cause de l’opinion traditionnelle (indubitablement, quoique malheureusement, encore fondée sur la réalité d’aujourd’hui) voulant que le contribuable marié de sexe féminin ait en général un revenu inférieur à celui de son mari. Si le contribuable ayant le revenu le plus élevé (ordinairement le mari, présentement) pouvait profiter de la déduction, le trésor fédéral y perdrait davantage, étant donné le taux progressif des impôts. Ainsi, en établissant la déduction en faveur du contribuable féminin, le législateur veut, au moyen de l’article 63, non seulement aider les femmes à accéder au marché du travail mais le faire sans y perdre lui- même plus de recettes fiscales qu’il n’est nécessaire pour atteindre cet objectif limité.

Il semple cependant que l’article 63 pourrait être facilement modifié de sorte que la déduction puisse profiter à toute personne (qui y est par ailleurs admissible), mais lorsque les deux conjoints ne sont pas séparés, c’est le conjoint ayant le revenu le plus bas qui y aurait droit. 50a Cette solution serait semblable à celle du Internal Revenue Code des Etats- Unis. Comme nous l’avons vu, 51 selon ce Code, les contribuables mariés ne peuvent bénéficier de la déduction pour frais de garde d’enfants que s’ils produisent une déclaration conjointe (a. 44A( f)). Toutefois, un individu est considéré comme n’étant pas marié (a. 44A( f)( 4)) s’il produit une déclaration distincte, s’il a comme domicile un établissement domestique qui constitue, pour plus de la moitié de l’année, le principal lieu de résidence de l’enfant, s’il assume plus de la moitié des frais d’entretien dudit établissement durant l’année et si, pendant les six derniers mois de ladite année, le conjoint dudit individu ne fait pas partie dudit établissement domestique. Ainsi donc, le conjoint abandonné, ayant un enfant à sa charge pourrait également profiter de la déduction. Cela ferait disparaître l’aspect discriminatoire de l’article 63 pour ce qui a trait aux maris abandonnés. Quoi qu’il en soit, il ne semble pas nécessaire, même en conservant les modalités actuelles de l’article 63 (posant des restrictions à l’admissibilité du contribuable de sexe masculin à la déduction), d’appliquer les restrictions présentes au mari abandonné. Comme nous l’avons vu, d’après le Internal Revenue Code des Etats- Unis, le contribuable est tout simplement considéré comme n’étant pas marié si, au cours des six derniers mois de l’année d’imposition, son conjoint ne faisait pas partie de son établissement domestique.

50a J’entends ici des conjoints mariés. Pour les conjoints vivant en concubinage, (pour éviter un traitement de défaveur), la meilleure solution consisterait peut- être à établir un contrôle des faits semblables à celui dont il a déjà été question ci- dessus à propos d’une modification possible de l’article 109 a) et b) de la L. I. R. C’est à dire que si deux personnes étaient considérées comme des conjoints d’après un contrôle des faits et étaient admissibles à la déduction de personne mariée ou à l’équivalent de la déduction de marié (que les personnes profitent ou non de la déduction, car si les deux travaillent, elles profiteraient probablement de la déduction offerte par l’article 109( 1) c)), elles seraient considérées comme des conjoints aux fins de la déduction de l’article 63 et c’est celui des deux qui aurait le revenu le plus faible qui seul aurait droit à la déduction.

51 Supra, pp. 46 et 47.

La portée des dispositions devrait peut- être être étendue de façon à permettre la déduction au contribuable conjoint qui a été obligé d’assumer des frais de garde d’enfant du fait que son conjoint retournait à l’université à temps plein. Cela aurait également pour effet de favoriser la poursuite du principal objectif politique de l’article 63 qui est de faciliter aux femmes l’accès du marché du travail. 51a

51a Pour avoir une idée des opinions des fonctionnaires du fisc, voir le passage de cette décision auquel renvoie la note 3, pages 114, 115.

Tout comme pour l’article 109( 1) a), l’objectif politique de l’égalité des chances et une saine politique fiscale exigent tous deux que les contribuables qui se trouvent foncièrement dans la même situation de fait soient traités de la même façon aux fins de déterminer leur assujettissement à l’impôt sur le revenu.

La classification établie à l’article 63 de la L. I. R. est- elle raisonnable puisqu’elle impose des restrictions qui défavorisent le mari abandonné? A mon avis, elle n’est pas raisonnable. Cependant, tout comme pour l’article 109( 1) a), cette classification de la loi repose sur des considérations tenues par le Parlement pour pertinentes par rapport au but premier de la législation fiscale qui est la perception des impôts.

A mon avis donc, et je statuerai en ce sens, il n’y a pas contradiction entre les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu faisant l’objet de plaintes devant ce tribunal et la Loi canadienne sur les droits de la personne, de nature à rendre inopérantes lesdites dispositions fiscales.

La façon dont j’ai finalement résolu les plaintes pourra paraître étonnante, attendu que j’ai statué que les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu défavorisaient des individus pour des motifs de distinction illicite et de façon déraisonnable. Toutefois, je m’estime lié par les arrêts de la Cour suprême du Canada sur la Déclaration canadienne des droits tant parce que ce sont les précédents qui font autorité qu’à cause du raisonnement qui les sous- tend et avec lequel je suis d’accord. Bref, les plaintes ne sont pas conformes aux principes directeurs déjà invoqués selon lesquels

"il faudrait faire valoir des motifs contraignants (pour que la Cour soit justifiée)... d’avoir recours à la compétence qu’elle possède en vertu de la loi (par opposition à celle que lui confère la constitution) pour rendre inopérante une disposition positive dûment édictée par un Parlement constitutionnellement habilité à ce faire et exerçant ses pouvoirs conformément aux principes du gouvernement responsable qui sont à la base de l’exercice du pouvoir législatif en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.) 52 (Soulignement ajouté.)

52 Curr c. R. (1972) R. C. S. 889, p. 899, par Laskin, alors juge.

A mon avis, il ne suffit pas que les dispositions de la loi incriminée établissant une classification soient simplement déraisonnables pour qu’elles deviennent inopérantes du fait qu’elles sont en désaccord avec la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les dispositions incriminées ne sont pas en désaccord au point d’être inopérantes en droit si la classification établie par la loi est fondée sur des considérations tenues par le Parlement comme pertinentes par rapport au but premier de la législation fiscale qui est la perception des impôts. L’article 109( 1) a) et l’article 63 de la Loi de l’impôt sur le revenu satisfont ces critères.

Si les plaintes portées devant ce tribunal l’avaient été dans le contexte d’une Déclaration canadienne des droits enchâssée dans la constitution et comprenant la substance des articles 3 et 5 de l’actuelle Loi canadienne sur les droits de la personne, un tribunal aurait pu rendre un arrêt différent au sujet de l’incompatibilité entre de telles dispositions de la constitution et les deux articles 109( 1) a) et 63 de la Loi de l’impôt sur le revenu, étant donné les conclusions auxquelles je suis arrivé.

9. Redressements en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne

Le procureur de la défenderesse a fait valoir qu’après avoir statué qu’il y avait contravention à la Loi canadienne sur les droits de la personne, le tribunal ne pouvait que rendre une ordonnance en vertu de l’article 41, dont le paragraphe (2) se lit ainsi:

A l’issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l’article 42, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire

a) de mettre fin à l’acte et de prendre des mesures destinées à prévenir les actes semblables, et ce, en consultation avec la Commission relativement à l’objet général de ces mesures; celles- ci peuvent comprendre l’adoption d une proposition relative à des programmes, des plans ou des arrangements spéciaux visés au paragraphe 15( 1);

b) d’accorder à la victime, à la première occasion raisonnable, les droits, chances ou avantages dont, de l’avis du tribunal, l’acte l’a privée;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte; et

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il fixe, des frais supplémentaires causés, pour recevoir à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte.

En somme, selon ce raisonnement, lorsque le Parlement a commis un acte discriminatoire en légiférant, même en contravention de la Loi canadienne sur les droits de la personne, c’est le Parlement seul qui peut corriger la situation en modifiant la loi.

Les articles 47 et 22( 1) e) sont ainsi libellés:

47( 1) La Commission doit, dans les trois mois qui suivent la fin de l’année civile, présenter au ministre de la Justice le rapport annuel de ses activités sous le régime de la Partie II et de la présente Partie, mentionnant et commentant tout point visé aux alinéas 22( 1) e) ou f) qu’elle juge pertinent; le Ministre dépose le rapport devant le Parlement dans les quinze jours de sa réception ou, si celui- ci ne siège pas, dans les quinze premiers jours de la séance suivante.

47( 2) La Commission peut, à tout moment, présenter au Ministre de la Justice un rapport spécial mentionnant et commentant toute question relevant de ses pouvoirs et attributions d’une urgence ou d’une importance telles qu’il ne saurait attendre la présentation du prochain rapport annuel visé au paragraphe (1); le Ministre dépose les rapports spéciaux devant le Parlement dans les quinze jours de leur réception ou, si celui- ci ne siège pas, dans les quinze premiers jours de la séance suivante.

22( 1) Outre les fonctions prévues par la Partie III au titre des plaintes fondées sur des actes discriminatoires et l’application générale des Parties I, II et III, la Commission

e) peut étudier les recommandations, propositions et requêtes en matière de droits de la personne et de libertés qu’elle reçoit, ainsi que les mentionner et les commenter dans le rapport visé à l’article 47 dans les cas où elle le juge opportun.

Tout d’abord, à mon avis, l’action du tribunal doit se limiter aux correctifs énoncés à l’article 41; elle ne va pas jusqu’à permettre au tribunal de faire une ordonnance rendant une disposition statutaire inopérante. Le plus que le tribunal puisse faire est simplement de statuer qu’une disposition statutaire est inopérante. Etant donné l’interprétation que je donne à la Loi canadienne sur les droits de la personne, soit que les articles 3 et 5 peuvent s’appliquer à d’autres dispositions statutaires fédérales, je me rends compte que je laisse peut- être entendre maintenant qu’il peut parfois y avoir un mal en droit (une infraction des articles 3 et 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne à cause d’une incompatibilité avec une disposition statutaire fédérale) sans remède, et je me rends compte de l’anomalie que peut représenter cette opinion. Vu l’absence de correctif en effet, le mieux qu’un tribunal puisse faire est de déclarer qu’une disposition statutaire devrait être rendue inopérante.

En second lieu, en supposant qu’il ait été statué que les articles 109( 1) a) ou 63 enfreignaient les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ce tribunal, à mon avis, serait incapable de rendre une ordonnance enjoignant au ministre du Revenu national d’accorder les déductions réclamées par les plaignants. Même si le tribunal déclarait inopérantes ces dispositions de la loi, cela n’aiderait pas les plaignants, car il ne peut pas faire le pas supplémentaire indispensable pour modifier la loi et leur obtenir les déductions. On pourrait peut- être faire valoir, au sujet du problème de la déduction des frais de garde d’enfants que le libellé des sous- alinés (i) à (iv) de l’article 63( 1) b) pourrait être simplement déclaré inopérant. Le reste du paragraphe permettrait alors à tous les contribuables parents, quel que soit leur sexe, de déduire les frais de garde d’enfants. Mais à mon avis, cette solution - offrant une déduction fiscale là où le Parlement n’en projetait pas - aurait également pour effet de modifier la législation fiscale, ce que ce tribunal ne peut pas faire. Seul le Parlement a compétence pour modifier la loi. 1

1 Voir Ayala c. la Reine 79 DTC 5083, p. 5086.

En outre, les situations dont ce tribunal est saisi ne ressemblent pas à celle de l’affaire Drybones dans laquelle le tribunal rendait inopérante une disposition statutaire qui visait uniquement un groupe, les Indiens. Cet arrêt n’avait pas pour effet de restreindre les droits de quelque autre personne. Rendre inopérants les articles 63 et 109( 1) a) de la L. I. R. défavoriserait des centaines de milliers sinon des millions de contribuables qui profitent de ces déductions. Une telle décision reviendrait à modifier la législation fiscale pour ces contribuables, ce qui, je le répète, est hors de la compétence de ce tribunal.

Le mot de la fin est que tout remède réel doit être apporté aux plaignants par une modification de la loi, que ce tribunal tranche ou non en leur faveur. Seul le Parlement est habilité à adopter, modifier, changer ou abroger les lois, mais une disposition peut être déclarée inopérante en vertu de la Déclaration canadienne des droits, ainsi qu’en fait foi l’affaire Drybones. 2 Vu l’interprétation que j’ai donné à la Loi canadienne sur les droits de la personne, soit qu’elle peut s’appliquer à d’autres dispositions statutaires fédérales, il pourrait être statué qu’un article d’une loi fédérale est (en fait, devrait être, en l’absence d’un remède efficace) inopérant du fait de son incompatibilité avec la Loi canadienne sur les droits de la personne, soit parce qu’il n’a pas été édicté pour un but fédéral légitime, soit parce que la classification qu’il établit n’est pas fondée sur des considérations que le Parlement a tenues pour pertinentes par rapport aux objectifs de la loi.

2 Voir Tarnopolsky, the Canadian Bill of Rights, chap. LV The Effect of the Canadian Bill of Rights on Canadian Law, notamment pp. 135- 141, 153- 162.

Enfin, quoi qu’il en soit, à mon avis, le seul remède pertinent qui s’offre au sujet des plaintes dont ce tribunal est saisi (soit que les dispositions de la L. I. R. établissent des distinctions injustes), s’il avait été statué qu’il y avait acte discriminatoire en droit pour un motif de distinction illicite en contravention de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, serait la présentation d’un rapport au minitre de la Justice conformément aux articles 22( 1) e) et 47 de cette même loi. Aucun des remèdes énumérés au paragraphe (2) de l’article 41 ne saurait être invoqué avec succès à l’encontre du ministre du Revenu national. Comme le tribunal ne peut pas modifier la L. I. R. ni ne peut ordonner que les articles 63 et 109( 1) e) soient rendus inopérants, il incombe au ministre du Revenu national, conformément aux obligations statutaires que lui confère la L. I. R., de s’acquitter des fonctions que le Parlement exige de lui. Le ministre ne peut ni mettre fin à l’acte discriminatoire (art. 41( 2) a)) ni accorder à la victime... les droits... dont, de l’avis du tribunal, l’acte l’a privée (art. 41( 2) b)). Si le ministre du Revenu national optait pour l’une ou l’autre de ces solutions, il enfreindrait l’article 152( 1) de la L. I. R. Le ministre ne peut non plus indemniser la victime. L’article 17( 1) de la Loi sur l’administration financière prévoit un soulagement des effets de la fiscalité attribuables à la L. I. R. au moyen d’une indemnisation de la victime dans l’intérêt public, mais seulement par le gouverneur en conseil sur la recommandation du Conseil du trésor. A mon avis, ce tribunal n’est pas habilité à ordonner à des tiers, au gouverneur en conseil, ni au Conseil du Trésor, de faire ou de cesser de faire quoi que ce soit. L’article 41( 2) est très clair à ce propos. Le tribunal ne peut émettre d’ordonnance qu’ à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire.

Enfin, étant donné la nature des articles 109( 1) a) et 63 de la Loi de l’impôt sur le revenu, analysés dans l’arrêt de ce tribunal, il se peut que la Commission canadienne des droits de la personne souhaite présenter un rapport au ministre de la Justice, ainsi que le prévoient les articles 22( 1) e) et 47( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, lui suggérant de recommander au Parlement de modifier comme il convient les dispositions mentionnées de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Je sais que le ministère des Finances a déjà songé à modifier l’article 63 pour en supprimer les aspects discriminatoires.

Non seulement les concepteurs de la fiscalité doivent- ils faire face à l’incertitude de la conjoncture mais ils doivent encore se garer de l’imprévu. Même les plus habiles et les plus expérimentés à sonder le climat politique savent qu’ils peuvent se tromper. Et pour éviter les ennuis, ils doivent supposer qu’ils font face à une hostilité exacerbée. Qu’on se rappelle le budget de mai 76 lorsque les déductions de l’impôt sur le revenu des particuliers pour frais de garde d’enfants ont doublé, passant de $500 à $1,000 par enfant, la limite familiale passant de $2,000 à $4,000. En étudiant cette proposition, les fiscalistes se sont souciés non seulement du fait que l’importance de la déduction ne correspondait plus à la réalité comme lors de son adoption en 1972, mais aussi du fait que seules les femmes obtenaient un traitement favorable selon ces dispositions. Les groupements de femmes ainsi que le Comité interministériel sur la situation de la femme pressaient les fiscalistes de modifier les choses, faisant valoir que la déduction devait être offerte tant au mari qu’à la femme.

Les fiscalistes ont envisagé deux solutions. La première était de permettre soit au mari, soit à la femme, de profiter de la déduction, pourvu qu’un des principaux membres de la famille fréquente l’école à temps complet. C’était susciter un grave problème en ouvrant la porte à une véritable foire d’empoigne dans le cas où le mari, touchant un fort revenu, profite de la déduction avec une substantielle économie d’impôt pendant que sa femme fréquente l’école à temps complet. L’autre solution consistait à permettre la déduction à celui des deux conjoints qui a le revenu le moins élevé. Cela paraissait acceptable, mais posait un problème lorsque la femme, gagnant plus d’argent que son mari, ne pouvait plus profiter de la déduction. Comme l’expliquait un fonctionnaire, cela signifiait qu’il y aurait quelques perdants, quelques- uns seulement, mais juste assez pour rendre tout le procédé gênant. Après consultations aux plus hauts échelons, les fiscalistes décidèrent de s’en tenir à ce qui existait déjà puisqu’il n’y avait pas de solution satisfaisante et de se contenter de hausser la limite de la déduction. Ils estimaient que ces quelques perdants, c’est- à- dire les familles où le revenu de la femme est supérieur à celui du mari, suffisaient pour les justifier de ne pas modifier la loi de l’impôt. Ne sachant pas quels différends cela pourrait susciter de la part de quelques familles, ils supposèrent le pire en imaginant un scénario pessimiste à outrance dans lequel le climat politique était hostile. C’est ainsi que la loi ne fut pas changée. 3

3 David A. Good, The Politics of Anticipation: Making Canadian Federal Tax Policy, Carleton University, Ottawa, 1980, p. 31.

Si cette description des considérations en cause est exacte, à mon avis, la modification proposée en vue de permettre la déduction à celui des conjoints dont le revenu est inférieur à l’autre a été rejetée pour des motifs qui ne correspondent pas exactement aux objectifs politiques sur lesquels repose l’article 63. Le fait est, notamment, qu’en permettant la déduction au contribuable de sexe féminin, l’article 63 vise non seulement à aider les femmes à accéder au marché du travail, mais à y arriver sans perte de plus de recettes fiscales qu’il n’en faut pour atteindre cet objectif principal limité. A mon avis, le Parlement n’avait pas l’intention de défavoriser les hommes, comme objectif de sa politique, mime si la méthode employée avait des résultats discriminatoires. On a simplement pensé que c’était là la seule méthode législative pratique étant donné les objectifs politiques poursuivis. Cependant, comme nous l’avons étudié en détail au cours du présent arrêt, 4 il n’est pas nécessaire que la déduction profite toujours à la femme lorsque les deux conjoints travaillent pour que les objectifs politiques du Parlement soient atteints. Enfin, si je me trompe dans mon analyse des objectifs poursuivis par le Parlement en adoptant l’article 63, il y aurait lieu maintenant d’étudier de nouveau ce que ces objectifs politiques courants devraient être.

4 Supra, pages 105 à 107.

Décision

Pour les motifs donnés, les plaignants sont déboutés et les plaintes rejetées.

Daté à Toronto ce 26e jour de septembre 1980. Peter Cumming

(signé) Peter Cumming

Tribunal des droits de la personne

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.