Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 1/ 80

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

DEVANT: R. DALE GIBSON, JANE BANFIELD HAYNES, ROBERT KERR

ENTRE: SHIRLEY COOLIGAN, MAUREEN MCKENNY, LES PLAIGNANTES,

- et

BRITISH AMERICAN BANK NOTE COMPANY LIMITED, LE DEFENDEUR,

- et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE, L’INTERVENANT.

DÉCISION DU TRIBUNAL

COMPARANTS: Me FRANCOIS LEMIEUX: Avocat représentant la Commission canadienne des droits de la personne
Me JOHN D. RICHARD: Avocat représentant la British American Bank Note Company Limited
Me DAVID G. CASEY: Avocat représentant la Banque du Canada

DATES DE L’AUDIENCE: les 6 et 7 décembre 1979

INTRODUCTION

Nous avons été choisis, en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (Statuts du Canada, 1976- 1977, ch. 33), pour constituer un tribunal des droits de la personne chargé d’examiner la plainte déposée devant la Commission par Shirley Cooligan et Maureen McKenny (pièce no C- 1 du dossier) contre la British American Bank Note Company Limited. Avant même que nous ayons entrepris l’étude du fond de la cause, le défendeur a contesté la compétence du tribunal, nous obligeant à résoudre une délicate question préalable de droit constitutionnel, qui constitue l’unique objet de la présente décision.

A l’audience consacrée à l’étude de la question préalable, l’avocat du défendeur et celui de la Commission étaient présents; les demanderesses, bien qu’avisées, n’ont pas comparu.

Le défendeur soutient qu’il n’est pas assujetti à la Loi canadienne sur les droits de la personne, du moins en ce qui concerne les plaintes du type de celle qui nous intéresse. Suivant celle- ci, le défendeur pratique la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent dans son établissement des fonctions équivalentes et ce faisant, il commet un acte discriminatoire aux termes de l’article 11 de la Loi. Le défendeur prétend que pour tout ce qui touche le salaire de ses employés, il est soumis aux lois pertinentes de l’Ontario et non aux lois votées par le Parlement du Canada.

Afin d’éclairer le tribunal sur la nature des activités du défendeur, l’avocat de ce dernier et celui de la Commission ont présenté un exposé conjoint des faits (pièce no R- 1) auquel se sont ajoutées les réponses de l’avocat du défendeur à plusieurs questions posées par les membres du tribunal et les réponses de l’avocat de la Banque du Canada à trois questions de l’avocat de la Commission au sujet des liens entre le défendeur et la Banque du Canada. C’est en tenant compte de tous ces renseignements que nous avons rendu notre décision sur le statut constitutionnel du défendeur.

NATURE DES ACTIVITÉS DU DÉFENDEUR

La British American Bank Note Company Limited, le défendeur, a été constituée en compagnie publique en 1909 après émission de lettres patentes, conformément à la Loi sur les corporations canadiennes. Comme le voulait la tradition, ses objets étaient énumérés de façon suffisamment vague pour lui permettre d’avoir une multitude d’activités; toutefois, la principale était sans aucun doute celle mentionnée en tête de liste, à savoir: Engraving and printing of banknotes, debentures, bonds, postage, revenue and bill stamps, bills of exchange and other matter. Cette mention couvre encore assez bien l’essentiel des activités présentes de l’entreprise. D’après le paragraphe 7 de l’exposé conjoint des faits (pièce no R- 1), la compagnie d’Ottawa imprime actuellement des:

billets de banque chèques de voyage timbres- poste mandats- poste bons d’impôt chèques- dividendes titres d’action chèques de prime droits d’achat certificats- cadeau obligations garanties ou non billets à ordre billets de loterie chèques personnalisés ordinaires

Le défendeur possède une imprimerie à Ottawa, où travaillent les deux employées dont émane la plainte que nous avons été chargés d’examiner. Il possède également des filiales à Toronto, Winnipeg, Calgary et Vancouver. On nous a laissé entendre qu’il s’agit de filiales à cent pour cent que le défendeur considère comme faisant partie intégrante de la société. Les deux établissements situés en Ontario possèdent un trait distinctif important: ce sont les seuls en effet qui utilisent, entre autres machines, des presses à gravure sur acier, nécessaires à l’impression des billets de banque, des timbres- poste, des obligations d’épargne du Canada et autres types d’imprimés à usage très contrôlé. Les demanderesses sont amenées à travailler à ces presses.

L’impression de documents contrôlés qui exige, comme on vient de le voir, le recours aux presses à gravure sur acier, constitue une part très importante des activités du défendeur, lequel travaille essentiellement par contrats pour le gouvernement fédéral ou la Banque du Canada - émetteur officiel de billets de banque canadiens. En 1978, 54,7 p. cent des ventes de l’imprimerie du défendeur à Ottawa étaient destinés au gouvernement fédéral, soit 34,4 p. cent constitués par des billets de banque, 12,9 p. cent par des timbres- poste et autres documents destinés au ministère des Postes et 7,4 p. cent par divers documents comme les obligations d’épargne du Canada, etc. En ce qui concerne l’ensemble de la société (filiales y comprises), le pourcentage de la production destinée au gouvernement fédéral s’établissait à 35,9 p. cent du total des ventes. Les ventes au gouvernement ont enregistré une légère baisse durant les dix premiers mois de 1979, passant, pour l’imprimerie d’Ottawa et pour l’ensemble de la société, respectivement de 54,7 p. cent à 48,4 p. cent et de 35,9 p. cent à 27,8 p. cent. Le gouvernement et la Banque du Canada confient la presque totalité de leurs travaux d’impression dans ces domaines à deux entreprises, dont celle du défendeur. C’est ainsi que cette dernière fournit toutes les commandes annuelles de billets de un dollar et de deux dollars et les commandes ponctuelles de billets de cent dollars, tandis que son concurrent imprime les autres valeurs. Il va de soi qu’il ne s’agit pas de contrats à vie. Dans le cas du contrat passé avec la Banque du Canada, l’une et l’autre parties peuvent le résilier sous réserve d’un préavis de six mois. Le contrat qui lie le défendeur au ministère des Postes est renégocié tous les trois ans. Tout permet cependant de penser que ces contrats continueront de fournir une portion régulière importante des activités de la société; c’est même, peut- on dire, la principale raison d’être de la société, de l’imprimerie d’Ottawa en tous les cas.

Le défendeur sert de nombreux autres clients. L’impression des documents bancaires (chèques, lettres de change, mandats, bordereux de dépôt, etc.) constitue plus de 20 p. cent du total des ventes de la société et de ses filiales (pièce no R- 3, quoique ce pourcentage diminue considérablement pour l’établissement d’Ottawa. Le restant de ses activités est constituées par l’impression de titres d’action, de billets de loterie, etc., destinés à une multitude d’importantes sociétés canadiennes et étrangères opérant dans des secteurs très divers et à certains organismes publics comme l’Inter- Provincial Lottery Corporation, secteurs où le défendeur ne détient pas, concurremment avec une autre entreprise, le monopole du marché, comme dans le cas des documents gouvernementaux à usage contrôlé qui exigent le recours aux presses à gravure sur acier. La concurrence y est bien plus forte. L’avocat du défendeur n’a pu nous dire quel pourcentage de ce marché est contrôlé par son client. Il reste que celui- ci, non compris les contrats publics et semi- publics, est l’un des premiers fournisseurs canadiens de papiers de commerce de grande qualité au secteur privé.

L’établissement du défendeur à Ottawa emploie deux cent quinze salariés payés à l’heure. Les filiales à cent pour cent de Toronto, Winnipeg, Calgary et Vancouver occupent quant à elles, respectivement cent trente, cent dix, cinquante et quinze employés. Ceux d’Ottawa appartiennent à plusieurs syndicats dont chaque unité de négociation a été accréditée par la Commission des relations de travail de l’Ontario. On nous a fait savoir que les employés n’ont jamais présenté de requête en accréditation en vertu de la législation fédérale du travail. Les salariés comme la direction de l’entreprise semblent être partis du principe que les relations de travail y étaient régies par la juridiction provinciale et non fédérale.

Il semble même que lorsque Shirley Cooligan, l’une des demanderesses, a déposé la plainte que nous sommes chargés d’examiner, elle se soit d’abord adressée au ministère du Travail de l’Ontario qui lui a fait savoir que la législation provinciale pertinente ne prévoit pas de recours dans un tel cas (pièce no R- 1, annexe H). Le syndicat et la direction ont alors convenu de soumettre la question du salaire de la demanderesse à un tribunal d’arbitrage établi en vertu de l’Ontario Labour Relations Act (pièce no R- 1, annexe G). La décision du tribunal n’a pas eu pour effet, à notre connaissance, d’amener l’ajustement de salaire souhaité par le syndicat. Ce n’est que devant ce premier échec, que les demanderesses ont décidé d’invoquer la Loi canadienne sur les droits de la personne.

QUESTION DE DROIT CONSTITUTIONNEL

Pour le défendeur, une imprimerie établie dans la province de l’Ontario ne relève pas de la législation fédérale relative à la propriété et aux droits civils (embauchage, salaires et autres aspects des relations de travail). Il appuie son affirmation sur le paragraphe 92( 13) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 qui stipule que la propriété et les droits civils dans la province sont soumis au contrôle exclusif de la législation provinciale.

L’avocat de la Commission soutient que le défendeur est assujetti aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne car ses activités recoupent largement plusieurs des domaines énumérés à l’article 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 qui sont sous l’autorité législative du Parlement du Canada, à savoir: la dette et les propriétés publiques, le service postal, le cours monétaire et le monnayage, les banques, l’incorporation des banques et l’émission de papier- monnaie, les lettres de change et les billets promissoires, l’intérêt de l’argent et les offres légales.

A son avis, dès l’instant où le Parlement du Canada régit les secteurs principaux d’activités du défendeur, il régit également toutes les autres activités de ce dernier qui sont nécessairement touchés par l’exercice de ses pouvoirs, y compris celles visées par la législation sur les relations de travail.

C’est un point très important car non seulement les droits du défendeur et des demanderesses sont en cause, mais de plus, il s’agit de déterminer le champ d’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La réponse à cette dernière question est hélas fort complexe.

NATURE DE LA LOI

Il serait bon de régler tout de suite un problème qui nous a donné du fil à retordre lors de l’audience. Les deux avocats ont semblé d’accord pour affirmer que la Loi s’applique aux relations de travail en vue d’en établir la portée constitutionnelle. Ils se sont ensuite contentés presque exclusivement de répondre à la question de savoir si la constitution autorise le Parlement du Canada à légiférer en matière de relations de travail dans une entreprise comme celle du défendeur. Nous estimons que le libellé de la question est trop restrictif car la Loi canadienne sur les droits de la personne ne se limite pas aux seules relations de travail. Certes, elle traite des actes discriminatoires en matière d’emploi, mais elle interdit également toute distinction illicite dans le cadre de la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public, de même que les annonces discriminatoires et la propagande haineuse. L’article 2 définit l’objet de la Loi en matière de pratiques discriminatoires, soit de donner effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, aux principes suivants:

"tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, la situation de famille ou l’état de personne graciée ou, en matière d’emploi, de leurs handicaps physiques".

On remarquera que la seule fois où il est fait expressément allusion à l’emploi, c’est au sujet de la discrimination fondée sur les handicaps physiques. C’est le seul cas en effet, où l’interdiction des actes discriminatoires s’applique exclusivement aux questions d’emploi, tandis que dans les autres cas, l’interdiction s’applique à un bien plus grand nombre d’activités. Il s’agit donc ici, à notre avis, d’une loi concernant non pas les relations de travail mais les droits de la personne.

PORTÉE DE LA LOI

Il est important de souligner que le Parlement a donné à la Loi une portée assez restreinte, moins étendue, en tout cas, que celle des pouvoirs qu’il tient de la constitution visant le respect des droits de la personne. Le Parlement aurait pu dresser la liste de toutes les formes de distinction illicite par un texte de nature plus générale applicable à tous les Canadiens et à toutes les activités pratiquées au Canada. Il aurait pu user de son droit de légiférer en matière de loi criminelle, conformément au paragraphe 91( 27) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, et déclarer que c’est un crime pour quiconque de perpétrer l’un des actes discriminatoires mentionnés où que ce soit au Canada. Un examen de la Loi montre cependant qu’il ne s’agit pas d’un cas d’application des pouvoirs en matière de loi criminelle. La procédure et les sanctions applicables ressortissent essentiellement au droit civil et non au droit criminel. La disaosition tant décriée du début de l’article 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, à savoir faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, aurait pu servir de base à une loi de portée universelle sur les droits de la personne au pays. Nombreux sont ceux en effet qui considèrent la défense des droits de la personne comme une question de dimension nationale car elle a fait l’objet de décisions qui limitent considérablement les domaines touchés par la disposition de l’article 91, comme dans le Anti- Inflation Case1. Le Parlement ne semble pas avoir voulu donner une portée universelle à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

L’article 2 de cette loi stipule que son objet est de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, aux principes déjà évoqués. Cette définition pourrait être prise littéralement; dans ce cas, elle manifesterait la volonté du Parlement d’étendre l’application de la loi à tous les domaines sur lesquels la constitution lui donne autorité. Ce ne semble pas être l’objectif visé par le Parlement. L’avocat de la Commission a admis, au cours de la discussion, que la Loi est conçue pour ne s’appliquer qu’aux entreprises qui relèvent pour une raison précise de la juridiction fédérale. Cette interprétation est confirmée par l’étude des débats parlementaires qui ont précédé le vote de la loi. En présentant le projet de loi à la Chambre, le ministre de la Justice a indiqué que les provinces avaient déjà passé des lois couvrant les domaines de leur compétence. Il a bien précisé qu’il n’était pas question, en passant une loi fédérale, de remplacer et d’annuler les lois provinciales. Le ministre a notamment déclaré: Ces mesures interdisant tout acte discriminatoire s’appliquent à tous les ministères et organismes fédéraux ainsi qu’aux entreprises sous juridiction fédérale.2 Lorsqu’il aborda l’étude des dispositions garantissant le respect du principe à travail égal, salaire égal, invoqué par les demanderesses dans le cas qui nous intéresse, il a pris l’exemple d’une entreprise de camionnage exploitant à l’échelon interprovincial ou international.3 Au cours du débat, personne n’a suggéré de donner à la loi un champ d’application plus vaste que celui défini par le ministre. Nous pensons donc que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne vise nullement à supplanter les lois provinciales existant en ce domaine, mais qu’elle cherche à couvrir certains secteurs qu’elles ont passés sous silence. Ce faisant, le Parlement exerce son droit constitutionnel de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada dans les domaines qui ne ressortissent pas expressément aux gouvernements provinciaux, sans pour autant prétendre posséder le droit exclusif de légiférer en matière de droits de la personne en vertu de la disposition susmentionnée ou de tout autre de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

Nous savons pertinemment que les interprétations classiques de la portée des lois font généralement peu cas des débats parlementaires pour étayer leur analyse. A notre avis, nous sommes autorisés à y avoir recours par l’alinéa 40( 3) c) qui stipule que le tribunal a le pouvoir & e recevoir des éléments de preuve ou des renseignements... par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire. Le compte rendu des débats de la Chambre entre pour nous dans la catégorie des renseignements que nous sommes en droit de consulter. Même si nous n’avions pas été autorisés à le faire, notre interprétation de la portée de la loi aurait été la même. Il serait étonnant que le Parlement ait voulu annexer un domaine important qui ressortissait précédemment aux provinces sans qu’il ait exprimé clairement ou implicitement son intention.

Il ne suffit pas d’affirmer que la Loi canadienne sur les droits de la personne s’applique, comme l’a déclaré le ministre, aux entreprises sous juridiction fédérale, pour éliminer ipso facto l’accusation d’incompétence de la Commission formulée par le défendeur. C’est à peine si l’on a effleuré la question. En réalité, toute entreprise relève, pour une raison ou pour une autre, de la juridiction fédérale, ne serait- ce qu’en matière de loi criminelle. Il s’agit plus précisément ici de savoir si l’entreprise du défendeur ressortit à la juridiction fédérale aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

FONDEMENTS DE LA COMPÉTENCE FÉDÉRALE

Nous avons déjà écarté l’applicabilité du pouvoir fédéral en matière de loi criminelle et de tout pouvoir dont le Parlement serait investi qui l’autoriserait à invoquer la dimension nationale pour exercer son droit de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada et à supplanter ainsi la juridiction provinciale en matière de droits de la personne. Il reste donc deux fondements possibles de la compétence fédérale. D’une part, le pouvoir de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, qui est un résidu du pouvoir législatif conféré au Parlement fédéral par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, mettrait les questions de droits de la personne touchant des entreprises qui ne relèvent pas des lois provinciales, sous la juridiction du Parlement du Canada. D’autre part, ce dernier pourrait voter des lois sur les droits de la personne qui découleraient naturellement de l’exercice de ses pouvoirs dans les domaines énumérés à l’article 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Nous devons d’abord nous demander si l’entreprise du défendeur est régie par la Human Rights Act de l’Ontario. Si la réponse à cette question est négative, nous serons obligés de conclure qu’elle est assujettie à la loi fédérale. Dans le cas contraire, nous devrons alors nous demander si le Parlement du Canada a, en vertu de sa compétence sur certaines activités du défendeur, le droit de ne pas faire cas des dispositions de la législation provinciale ou d’en ajouter d’autres.

APPLICABILITÉ DE LA HUMAN RIGHTS ACT DE L’ONTARIO

Il est indéniable que certaines lois de l’Ontario s’appliquent aux activités du défendeur dans cette province. Si toutes les entreprises canadiennes relèvent en effet de certaines lois fédérales la plupart, bien que leurs activités ressortissent principalement à la juridiction fédérale, doivent également se conformer à certaines lois des provinces où elles opèrent. Le Bureau du conseiller juridique du Conseil privé a déclaré, dès 1899, qu’une société interprovinciale de chemin de fer pouvait être tenue de se conformer à un règlement municipal qui exigeait que tous les occupants des terrains situés dans les limites de la municipalité nettoient leurs fossés (C. P. R. c. Notre- Dame de Bonsecours)4.

Dans le cas qui nous intéresse, c’est le paragraphe 92( 13) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, accordant aux provinces le droit de légiférer en matière de propriété et de droits civils dans la province, qui s’applique à la défense des droits de la personne en matière d’embauchage par une imprimerie opérant en Ontario. Il reste que les entreprises qui sont assujetties, de par la nature de leurs activités principales, à la juridiction fédérale, ne tombent pas sous le coup des dispositions des lois provinciales qui visent l’essentiel de leurs activités. Les principes directeurs ont été définis par le juge Beetz dans une récente décision de la Cour suprême du Canada relative à l’applicabilité de la Loi du Québec sur le salaire minimum aux employés d’une entreprise de construction qui construit un grand aéroport dans cette province (Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum 5 ):

Cette question doit être tranchée selon les principes établis, le premier étant que les relations de travail comme telles et les termes d’un contrat de travail ne relèvent pas de la compétence du Parlement; les provinces ont une compétence exclusive dans ce domaine: Toronto Electric Commissioners v. Snider (1925 A. C. 396). Cependant, par dérogation à ce principe, le Parlement peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines s’il est établi que cette compétence est partie intégrante de sa compétence principale sur un autre sujet: In re la validité de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail (1955) R. C. S. 529), (l’arrêt Stevedoring). Il s’ensuit que la compétence principale du fédéral sur un sujet donné peut empêcher l’application des lois provinciales relatives aux relations de travail et aux conditions de travail, mais uniquement s’il est démontré que la compétence du fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale. Ainsi, la réglementation des salaires que doit verser une entreprise, un service ou une affaire et la réglementation de ses relations de travail, toutes choses qui sont étroitement liées à l’exploitation d’une entreprise, d’un service ou d’une affaire, ne relèvent plus de la compétence provinciale et ne sont plus assujetties aux lois provinciales s’il s’agit d’une entreprise, d’un service ou d’une affaire fédérale; In re l’application de la loi du salaire minimum de la Saskatchewan à un employé d’un bureau de poste à commission (1948) R. C. S. 248 (l’arrêt Bureau de poste à commission); Commission du salaire minimum c. Bell Canada (1966) R. C. S. 767 (l’arrêt Salaire minimum chez Bell Canada); Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada (1975) R. C. S. 178 (l’arrêt Facteurs). La question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l’exploitation: le juge Pigeon, dans l’arrêt Conseil canadien des relations du travail c. La ville de Yellowknife (1977) R. C. S. 729 à la page 736. Mais pour déterminer la nature de l’exploitation, il faut considérer les activités normales ou habituelles de l’affaire en tant qu’entreprise active" (le juge Martland dans l’arrêt Salaire minimum chez Bell Canada, à la p. 772), sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pourrait être appliquée de façon continue et régulière: Agence Maritime Inc. c. Conseil canadien des relations ouvrières (1969) R. C. S. 851) (l’arrêt Agence Maritime); l’arrêt Facteurs.

La question fondamentale est donc de savoir si la compétence sur les droits de la personne des employés et des clients du défendeur fait partie intégrante de la compétence principale du Parlement sur les activités du défendeur. Dans la cause Montcalm, il a été décidé que bien que la compétence fédérale en matière d’aéronautique s’étende à la localisation, à la conception et à certains aspects de la construction des aéroports, le montant des salaires accordés aux employés d’une société qui participe aux travaux de construction d’un aéroport relève de la compétence provinciale:

"A mon avis, les salaires versés par un entrepreneur indépendant comme Montcalm à ses employés chargés de la construction de pistes est une question si éloignée de la navigation aérienne ou de l’exploitation d’un aéroport que le pouvoir de réglementer cette matière ne peut faire partie intégrante de la compétence principale du fédéral sur l’aéronautique..."

Il arrive fréquemment que les entrepreneurs et leurs employés travaillent successivement ou simultanément à plusieurs chantiers qui n’ont rien ou très peu en commun. Ils peuvent travailler sur une piste d’atterrissage, une autoroute, des trottoirs, une cour, pour le secteur public, fédéral ou provincial, ou pour le secteur privé. Personne ne dira qu’ils exploitent une entreprise de construction de pistes d’atterrissage parce que pendant quelque temps ils construisent une piste d’atterrissage, ou qu’ils se lancent dans une entreprise de construction d’autoroutes parce qu’ils entreprennent la construction d’un tronçon d’autoroute provinciale. Leur activité ordinaire est la construction. Ce qu’ils construisent est accessoire. Et leur activité ordinaire n’a rien de spécifiquement fédéral." 6

Le défendeur soutient se trouver dans une situation similaire à celle de l’entreprise de construction Montcalm et que son activité ordinaire est l’impression; quant à ce qu’elle imprime, c’est un aspect accessoire des choses.

L’avocat de la Commission prétend pour sa part que le défendeur est dans une situation bien différente de celle de l’entreprise Montcalm. Pour établir cette distinction, il s’appuie en grande partie sur l’arrêt que la Cour suprême du Canada a rendu en 1955 dans l’affaire Stevedoring 7 et aux termes desquels les employés d’une entreprise opérant uniquement en Ontario, qui se consacraient au changement et au déchargement de navires faisant du transport interprovincial, étaient assujettis à la loi fédérale et non à la loi provinciale de travail. Cette activité relève de la compétence fédérale. C’est pourquoi la Cour suprême du Canada a décidé, dans la cause Stevedoring (pour reprendre les termes du juge Beetz dans l’arrêt Montcalm) que la compétence du Parlement sur les relations de travail et les conditions d’emploi des personnes qui chargaient et déchargeaient les navires faisait intégralement partie de cette compétence fédérale. L’avocat de la Commission soutient que la situation du défendeur est bien plus proche de celle de la société de débardage que de celle de l’entreprise de construction et qu’en conséquence, le gouvernement fédéral plutôt que le gouvernement provincial a juridiction sur ses activités.

Il nous semble que les activités du défendeur tiennent à la fois de celles de la société de débardage et de celles de l’entreprise de construction. Ses activités, comme l’impression de papier- monnaie, qui relèvent de la compétence fédérale, sont loin d’être accessoires. La British American Bank Note Company Limited a été créée dans le but d’imprimer des billets de banque et s’est toujours largement consacrée depuis à ce genre de travail d’impression. Même si le juge Beetz a estimé que l’activité ordinaire de l’entreprise de construction n’avait rien de spécifiquement fédéral (arrêt Montcalm, p. 776), il est évident qu’une large part des activités ordinaires du défendeur relève de la compétence fédérale. La situation de ce dernier n’est pas identique à celle de la société de débardage pour autant. Une part importante et constante de ses travaux d’impression ne relèvent pas de la compétence du Parlement du Canada alors que la totalité des opérations de la société de débardage en relevait. Ce point n’a peut- être pas une énorme importance étant donné que la Cour suprême du Canada a décidé qu’une entreprise dont une partie constante des activités ne relèvent pas de la compétence fédérale, peut néanmoins ressortir à cette dernière (Union des futurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada 8 ). Il existe toutefois une différence bien plus importante encore entre la cause Stevedoring et celle qui nous intéresse ici qui nous amène à appuyer notre décision sur l’arrêt Montcalm.

On comprendra aisément que la Cour suprême du Canada ait déclaré, dans l’arrêt Stevedoring, que les relations de travail et les conditions d’emploi du personnel d’une entreprise qui se consacre au transport interprovincial relève de la compétence fédérale. En cas de grève d’une partie des employés, c’est toute l’entreprise qui est menacée. C’est pourquoi le Parlement souhaite pouvoir intervenir en vertu des lois fédérales en matière de travail. Nous pensons que le Parlement du Canada, dans le cas de l’émission de papier- monnaie et d’autres activités tout aussi vitales, a une compétence exclusive. Le défendeur ne serait probablement pas obligé, par exemple, d’ouvrir ses portes aux inspecteurs provinciaux chargés de la sécurité, conformément à la législation provinciale, si cela risquait de nuire à la sécurité des travaux d’impression de billets de banque. Dans quelle mesure peut- on dire cependant que la compétence en matière de protection des droits personnels des employés et des clients du défendeur fait intégralement partie de l’exercice de la compétence du Parlement sur l’émission de papier- monnaie et sur tout autre domaine dans lequel il est habile à influer sur le fonctionnement de l’entreprise du défendeur? A notre avis, la défense des droits personnels des employés et des clients du défendeur et la compétence du Parlement du Canada dans le domaine de l’émission de papier- monnaie, du service postal, de la dette publique, des banques, etc., sont deux choses bien distinctes; comme le sont, aux termes de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans la cause Montcalm, le montant du salaire des ouvriers d’une entreprise chargée de la construction d’un aéroport et le secteur de l’aéronautique. En conséquence, estimant que la protection des droits de la personne ne fait pas intégralement partie de l’exercice des pouvoirs du Parlement sur les secteurs d’activité de l’entreprise du défendeur qui relèvent de sa compétence, nous concluons que le défendeur ressortit à la Human Rights Act de l’Ontario.

POUVOIRS ACCESSOIRES DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL

Ceci nous amène à considérer la dernière possibilité: même si le défendeur est assujetti à la Human Rights Act de l’Ontario, le Parlement du Canada, en vertu de sa compétence principale en matière d’émission de papier- monnaie, etc., est en droit, et pour ce qui concerne les activités du défendeur, de compléter les dispositions de la loi provinciale et, en cas de conflit entre les dispositions de la loi fédérale et celles de la loi provinciale, d’imposer son point de vue. Nombreux sont les cas d’entreprises sous juridiction fédérale où le respect des droits de la personne, tout en ne justifiant pas la négation totale de la juridiction provinciale, peut être légitimement garantie par le Parlement au titre des pouvoirs accessoires qu’il a de régir le secteur d’activité concerné. Ainsi, il est quasi indéniable que la Loi canadienne sur les droits de la personne s’applique aux entreprises de transport qui relèvent de la compétence fédérale et qu’elle leur interdit de commettre des actes discriminatoires dans le cadre de la fourniture de services destinés au public. En cas de conflit entre la législation fédérale et la législation provinciale sur les droits de la personne dans ce secteur, la première l’emporterait. Dans l’arrêt Montcalm, le juge Beetz envisage (pp. 779- 780) cette éventualité sans pouvoir découvrir aucun cas de conflit entre les lois fédérales pertinentes et la loi provinciale concernée.

Dans le cas présent, l’exercice par le gouvernement fédéral de sa suprématie ne se justifie nullement. Nous ne pensons pas que l’existence d’une garantie légale des droits personnels des employés et des clients du défendeur ait un impact sensible sur l’efficacité des Postes canadiennes, sur l’émission de papier- monnaie ou sur toute autre secteur en rapport avec l’entreprise du défendeur qui relève de la compétence fédérale. Nous pensons donc que la protection des droits de la personne dans le cas qui nous intéresse ne découle pas automatiquement de l’exercice d’un pouvoir du Parlement du Canada sur le défendeur, pouvoir autre que ceux d’ordre général qui, comme nous l’avons montré, ne s’appliquent pas au présent cas.

CONCLUSION

En conséquence de quoi, nous concluons que les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s’appliquent pas aux activités du défendeur et que la Commission n’a pas la compétence voulue pour statuer sur la plainte. Nous regrettons vivement de devoir nous retirer de cette affaire. Nous pensons que les dispositions relatives au respect du principe à travail égal, salaire égal contenues dans la Loi susmentionnée constituent un progrès considérable par rapport à celles des lois provinciales visant la discrimination fondée sur le sexe. Nous encourageons vivement leur application la plus stricte, sans pour autant prôner l’abus des pouvoirs conférés par la constitution. Si l’on applique ces dispositions à des entreprises similaires à celles du défendeur, il faudra que les provinces les intègrent dans leur législation ou que le Parlement revendique l’exercice de droits constitutionnels plus étendus que ceux sur lesquels s’appuie la présente loi.

La version officielle anglaise a été signée par R. Dale Gibson et Jane Banfield Haynes le 26 février 1980

AVIS CONFORME DE R. W. KERR

J’ai l’avantage, il est vrai, d’avoir pris connaissance de la décision du président. Si je suis de son avis quant aux conclusions, je suis en désaccord sur la démarche. Je n’ai rien à redire sur la présentation des faits ni sur les conclusions en matière de loi criminelle et de pouvoir de légiférer pour la paix, le bon ordre et le bon gouvernement. Là où je ne suis pas le président toutefois, c’est sur l’analyse des pouvoirs accessoires du Parlement.

A mon avis, quand on se demande quelle autorité législative le Parlement a invoquée pour voter la Loi canadienne sur les droits de la personne, la réponse va de soi. Cette Loi vise des personnes unies par contrat ou des relations entre individus qui entraînent une atteinte aux droits civils. Elle cherche à mettre un terme aux conflits inter- personnels de cette nature par des moyens proches de ceux du droit privé. Toutes les provinces ont voté une loi semblable en invoquant leur pouvoir législatif en matière de propriété et de droits civils. J’estime donc que la Loi canadienne sur les droits de la personne concerne également la propriété et les droits civils, domaine qui est tout autant du ressort du Parlement, même s’il est normalement réservé aux provinces.

La compétence fédérale en matière de propriété et de droits civils découlent de plusieurs pouvoirs énumérés à l’article 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (y compris, évidemment, ceux qui, au paragraphe (29), sont énumérés par dérogation à l’article 92 de ce même document). Ces pouvoirs fédéraux sont de deux types. En premier lieu, le Parlement possède des pouvoirs dans des domaines qui ne sont ni plus ni moins que des subdivisions de la compétence en matière de propriété et de droits civils, prise dans son sens le plus large. Ces domaines ont été soustraits à la juridiction provinciale en matière de propriété et de droits civils pour relever de la compétence du Parlement.

En second lieu, compte tenu de l’impact effectif du plein exercice de ses pouvoirs, le Parlement dispose de pouvoirs accessoires dans le domaine de la propriété et des droits civils qui lui permettent d’appliquer les politiques dans les domaines qui relèvent explicitement de sa compétence, même si ces pouvoirs accessoires n’en font pas intégralement partie. Ainsi, il est entendu que la compétence fédérale en matière de système interprovinciaux de transport et de communication l’autorise à légiférer sur la propriété de ces systèmes et sur les questions de droit civil qui leur sont associées, bien qu’en l’absence d’une loi en ce domaine, ils soient régis exclusivement par les lois provinciales sur la propriété et les droits civils (voir à ce propos l’arrêt A.- G. Canada c. C. P. et C. N., (1958) R. C. S. 285, 12 D. L. R. (2e) 625.).

La Loi canadienne sur les droits de la personne ne constitue donc pas un exercice direct de l’un des pouvoirs explicites du Parlement sur la propriété et les droits civils, ni de l’un des autres pouvoirs explicites qu’il possède, par exemple, en matière de loi criminelle. Elle ne se fonde sur aucune de ces compétences. J’estime donc qu’il s’agit ici de l’exercice d’un pouvoir accessoire du Parlement sur la propriété et les droits civils.

En abordant la question de l’applicabilité de ladite Loi à certains cas du ressort de la juridiction fédérale accessoire, il ne faut pas oublier, à mon avis, que le Parlement peut exercer son pouvoir de deux façons. Il peut d’une part, étendre la portée d’une loi établie en vertu d’un des pouvoirs expressément énumérés à l’article 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, et ce, afin de légiférer dans des domaines connexes de la propriété et des droits civils. Ainsi, en ce qui concerne les droits de la personne, des dispositions pourraient être ajoutées à la Loi sur les banques afin d’interdire les actes discriminatoires dans les établissements bancaires. Ces dispositions, sans être en rapport immédiat avec la législation bancaire, pourraient néanmoins être adoptées par le Parlement au titre des pouvoirs qui lui sont dévolus dans ce domaine. En outre, il ne serait pas indispensable que ces dispositions soient incluses dans la Loi sur les banques car leur simple application exclusive aux banques constituerait le lien constitutionnel avec le pouvoir fédéral en matière bancaire.

Le Parlement peut d’autre part voter des lois générales en matière de propriété et de droits civils qui s’appliquent aux différents domaines de compétence fédérale accessoire. A l’heure actuelle, la législation fédérale en matière d’emploi en est le meilleur exemple. Il est évident que la Loi canadienne sur les droits de la personne en fournit un autre exemple car elle ne découle pas directement de l’exercice de la compétence fédérale dans un des domaines de juridiction explicite.

La législation fédérale du travail étant le premier exemple de ce type, on trouve les principes constitutionnels applicables à la présente plainte dans les arrêts ultérieurs relatifs à des conflits de travail. La décision récente la plus importante est celle de Construction Montcalm c. Commission du salaire minimum (1979) R. C. S. 754. Le président a cité largement cet arrêt; aussi ne prendrai- je pas la peine d’en rappeler les points essentiels. Pour juger en dernier ressort de l’applicabilité de la législation fédérale à certaines activités, il semble qu’il faille déterminer si ces activités sont le fait d’une entreprise, d’un service ou d’un commerce de la compétence fédérale. Dans certains cas, la réponse est évidente, comme pour les systèmes interprovinciaux de transport et de communication ou les banques. Dans d’autres, il est plus difficile de trancher; on doit alors se demander si l’activité en question fait partie intégrante d’une entreprise, d’un service ou d’un commerce du ressort du Parlement.

L’entreprise du défendeur n’entre pas dans la première catégorie. Certes, ses activités sont soumises au contrôle fédéral (sur l’argent, les banques et les postes), mais indirectement. Elle n’émet pas véritablement de la monnaie, ni n’exploite une banque ou ne fournit de services postaux.

Les éléments à considérer pour déterminer si une telle entreprise relève de la compétence fédérale générale en matière de propriété et de droits civils ont été précisés par le juge Dickson dans l’arrêt Northern Telecom Limited c. Le Syndicat des travailleurs en communication du Canada (1979): (1979) 28N. R. 107 (C. S. C.) à la page 127:

Au vu de ce qui précède, les activités du défendeur ne font pas partie intégrante d’une ou de plusieurs entreprises fédérales même si les choses ne sont pas aussi simples. Le défendeur exploite son entreprise indépendamment des établissements fédéraux qu’il fournit. Ses rapports avec eux sont régis par des contrats détaillés qui, sans créer aucun lien de dépendance entre le défendeur et les établissements du gouvernement qu’il dessert, établissent cependant certaines relations. On ne peut toutefois dire que le défendeur et le gouvernement fédéral exploitent des entreprises en commun; rien ne permet de l’affirmer. S’il est vrai que les services que le défendeur fournit aux établissements du gouvernement sont importants, le premier possède d’autres clients et le second a d’autres fournisseurs de taille. Les liens de dépendance ne sont donc pas suffisamment étroits. Les liens fonctionnels véritables entre le défendeur et le gouvernement fédéral sont même restreints et ne permettent nullement de justifier que le défendeur relève de la compétence fédérale générale en matière de propriété et de droits civils.

Le Parlement pourrait, par une loi prévue à cet effet, régir l’entreprise du défendeur au nom de sa compétence accessoire en matière de propriété et de droits civils. Pour ce faire, il devrait recourir à une loi de nature particulière et non générale. En invoquant une loi de nature générale, le Parlement porte largement atteinte à la juridiction provinciale qui détient la compétence pour les questions générales de propriété et de droits civils. Le Parlement exerce son pouvoir accessoire lorsqu’il l’estime nécessaire à la mise en oeuvre des politiques fédérales dans certains domaines particuliers de sa compétence. Le Parlement doit faire la preuve que le besoin existe. La législation devrait tout au moins délimiter clairement l’applicabilité de la compétence fédérale en matière de propriété et de droits civils à des domaines autres que les établissements, services et entreprises proprement du ressort fédéral. Le pouvoir judiciaire n’est pas autorisé à exercer de pouvoir législatif de cette nature.

Je m’oppose fermement à l’idée selon laquelle le Parlement devrait exercer plus largement son pouvoir général en matière de propriété et de droits civils car cela créerait un flou dans la loi concernée. Les entreprises dont les activités relèvent d’une compétence fédérale accessoire mal définie ne sauraient pas exactement leur degré de sujétion au Parlement.

En conséquence, je conviens que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne régit pas les activités du défendeur et que ce tribunal n’a pas la compétence voulue pour examiner la plainte des demanderesses. Je partage également les idées exprimées par le président dans le dernier paragraphe consacré aux justifications de sa décision.

La version officielle anglaise a été signée par R. W. Kerr

RÉFÉRENCES

1. Renvoi relatif à la Loi anti- inflation (1976) 68 D. L. R. (3e) 452 (C. S. C.)

2. Débats de la Chambre des communes, 30e législature, 2e session, volume 120, p. 2976, le vendredi 11 février, M. Basford.

3. idem, p. 2977.

4. (1899) A. C. 367 (C. P.)

5. (1979) R. C. S. 683- 889, pp. 768- 769. Voir également Four B. Manufacturing Ltd. c. United Garment Workers and Brant (non publié - 1979).

6. idem, pp. 771 et 776. 7. Renvoi relatif à la validité de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail (1955) R. C. S. 529 (C. S. C.). 8. Voir Union des facteurs c. Syndicat des postiers (1975) R. C. S. 115- 250, p. 178 (C. S. C.)

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