Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Entre :

Micheline Montreuil

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Forces canadiennes

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Pierre Deschamps
Date : Le 8 mai 2007
Référence : 2007 TCDP 17

Table des matières

I Introduction.

II La position des parties.

A. La Commission.

B. L’intimée.

C. La plaignante.

III Analyse.

A. Les privilèges.

(i) Le privilège du secret professionnel de l’avocat ou le privilège de la consultation juridique.

(ii) Le privilège relatif au litige ou l’immunité de divulgation.

B. Les rapports d’expert

(i) Les documents utilisés par un expert dans la rédaction de son rapport

(ii) Les rapports préliminaires ou les ébauches de rapport

IV Conclusion.

V Décision.

I. Introduction

[1] Par sa requête, la Commission requiert de la part de l’intimée, les Forces canadiennes, la divulgation ou production des notes, des documents et des ébauches reliés à un rapport d’expert préparé par le Dr. Pierre Assalian dans le cadre de la présente instance.  Plus spécifiquement, la Commission désire obtenir la divulgation ou la production d’un rapport préliminaire qu’aurait préparé le Dr. Assalian et qui aurait été remis au procureur de l’intimée antérieurement au 24 avril 2006.

[2] Pour sa part, l’intimée s’objecte à la divulgation de ces documents au motif qu’ils sont couverts par le privilège du secret professionnel et celui relié au litige.

[3] Lors de son témoignage sur sa qualification comme expert, le Dr. Assalian a témoigné sur la confection des rapports qu’il fut appelé à rédiger dans le cadre de la présente instance.

[4] Le Dr. Assalian a expliqué que, lors d’une rencontre survenue à l’automne 2005, mandat lui fut confié par Me Morissette, procureur de l’intimée, d’évaluer sur documents si les Forces canadiennes avaient été justifiées d’imposer une limitation d’emploi à Madame Montreuil en raison d’une dysphorie du genre.

[5] Le Dr. Assalian a, par la suite, expliqué qu’il avait reçu les documents dont il devait faire l’évaluation au début de 2006 et qu’il avait produit, par la suite, une ébauche de rapport ou rapport préliminaire en conformité avec le mandat qui lui avait été confié.

[6] Selon le Dr. Assalian, l’ébauche aurait été produite en mars ou avril 2006 et transmise, par courriel, au procureur de l’intimée, Me Lamb.  Le Dr. Assalian affirme qu’après avoir fait parvenir son ébauche de rapport ou rapport préliminaire au procureur de l’intimée, il a demandé de rencontrer ce dernier afin de discuter du document.

[7] Le Dr. Assalian affirme que, lors de sa rencontre avec le procureur de l’intimée, il a exprimé le désir de faire une évaluation clinique de la plaignante, ce qui fut accepté par le procureur de l’intimée.

[8] Appelé à expliquer les raisons de sa demande, le Dr. Assalian a affirmé qu’il aurait pu se satisfaire d’une évaluation sur documents, mais qu’il jugeait important de faire une évaluation clinique afin de confirmer son évaluation, étant d’avis qu’il s’agissait, en l’espèce, d’un cas high profile, suivant son expression, et envisageant qu’il y aurait contestation s’il y avait analyse documentaire sans examen clinique.

[9] Le Dr. Assalian, en compagnie de deux collègues, a donc, le 18 mai 2006, procédé à l’évaluation clinique de la plaignante.  Le 21 juin 2006, le Dr. Assalian remettait au procureur de l’intimée un rapport signé par lui-même.  Ce rapport paraît avoir été rédigé à partir de la documentation fournie par Madame Montreuil, de l’entrevue réalisée le 18 mai 2006, ainsi que du test MMPI-2 auquel Madame Montreuil avait dû se soumettre.

[10] Il appert donc, du témoignage du Dr. Assalian, que celui-ci aurait rédigé un premier rapport qu’il aurait transmis au procureur de l’intimée avant le 24 avril 2006 et qu’il aurait, à la suite de l’évaluation clinique de Madame Montreuil, produit un deuxième rapport, le 21 juin 2006.

[11] Lors de son témoignage, le Dr. Assalian a affirmé ne plus avoir en sa possession les notes manuscrites prises en rapport avec l’évaluation de la plaignante, celles-ci ayant été détruites à la suite de la rédaction du rapport d’expertise.  Il a, de plus, affirmé qu’il n’avait pas conservé ses documents de travail et qu’il ne détenait aucun dossier médical sur Madame Montreuil.

[12] Sur la base du témoignage du Dr. Assalian, il appert donc que le seul document en litige est l’ébauche de rapport ou le rapport préliminaire rédigé par celui-ci et remis avant le 24 avril 2006 au procureur de l’intimée.

II. La position des parties

A. La Commission

[13] La Commission soutient, premièrement, que l’ébauche de rapport ou le rapport préliminaire rédigé par le Dr. Assalian avant le 24 avril 2006 devrait lui être communiqué ou divulgué.  Selon la Commission, il s’agit là d’un document potentiellement pertinent aux questions en litige et, sur cette base, un document qui devrait lui être divulgué.  Elle s’appuie, en cela, sur les Règles de procédure du Tribunal, plus précisément sur l’article 6(1)(d).

[14] Deuxièmement, s’appuyant sur une décision rendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire Vancouver Community College v. Phillips, Barratt [1987]B.C.J. No 3149, la Commission fait valoir que, tant et aussi longtemps qu’un expert se limite à son rôle de conseiller d’une partie, tous les documents en sa possession demeurent privilégiés et leur communication ne peut être exigée de la partie adverse.  Toutefois, dès que l’expert est appelé comme témoin, son rôle change et ses opinions ainsi que leurs fondements ne peuvent plus être considérés comme privilégiés.  La Commission s’appuie également sur un certain nombre d’autres décisions qui seraient au même effet.

[15] La Commission soutient, par ailleurs, que le secret professionnel de l’avocat ne s’applique pas en l’espèce, que les règles applicables sont celles du privilège relié au litige et qu’en vertu de ces règles, les ébauches de rapport ou les rapports préliminaires produits par un expert ne sont pas confidentiels dans la mesure où l’expert est appelé comme témoin.

B. L’intimée

[16] Pour sa part, l’intimée s’objecte à la divulgation ou à la production du rapport préliminaire qu’aurait produit le Dr. Assalian antérieurement au  24 avril 2006 au motif que celui-ci est protégé par le secret professionnel de l’avocat (privilège avocat-client), ce que conteste la Commission.

[17] L’intimée s’appuie notamment sur le quatrième paragraphe de l’article 50 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R. (1985) ch. H-6 qui se lit comme suit :

Il (le Tribunal) ne peut admettre en preuve les éléments qui, dans le droit de la preuve, sont confidentiels devant les tribunaux judiciaires.

Elle s’appuie également sur l’article 40 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R. (1985) ch. C-5  qui se lit comme suit :

Dans toutes les procédures qui relèvent de l’autorité législative du Parlement du Canada, les lois sur la preuve qui sont en vigueur dans la province où ces procédures sont exercées, y compris les lois relatives à la preuve de la signification d’un mandat, d’une sommation, d’une assignation ou d’une autre pièce s’appliquent à ces procédures, sauf la présent loi et les autres lois fédérales. (Emphase mise)

[18] À cet égard, l’intimée plaide qu’en l’espèce, le droit québécois de la preuve doit recevoir application même si le litige en est un qui s’inscrit dans le cadre de l’application d’une loi fédérale, soit la Loi canadienne des droits de la personne, précitée et même s’il devait s’en suivre des différences au niveau provincial quant aux règles de preuve applicables.

[19] En outre, l’intimée fait valoir qu’en droit québécois, les ébauches, notes, rapports préliminaires d’un expert sont protégés par le secret professionnel de l’avocat.  En cela, l’intimé s’appuie principalement sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel du Québec dans Poulin c. Prat, [1994] A.Q. no 142.  Dans cet arrêt, la Cour d’appel du Québec a clairement établi qu’une partie ne peut exiger la production des rapports préparatoires d’un expert, ses notes, ses ébauches préalables et que ces documents sont couverts par le secret professionnel de l’avocat.

C. La plaignante

[20] Pour l’essentiel, la plaignante abonde dans le sens de la Commission.

III. Analyse

[21] D’entrée de jeu, il convient de souligner qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une question de divulgation de documents en la possession d’une partie, documents  que celle-ci serait tenue de dévoiler en vertu de l’article 6(1)(d) des Règles de procédure du Tribunal.  Dès lors, la décision rendue par ma collègue Jensen sur une requête en divulgation de documents présentée par la Commission ne saurait recevoir application étant donné que la question en litige, en l’espèce, n’en est pas une de divulgation mais de production de documents.

[22] Les rapports d’expertise et les documents qui les accompagnent ne sauraient être considérés comme des documents qu’une partie a en sa possession au sens de l’article 6(1)(d) des Règles de procédure du Tribunal, documents qu’une partie serait tenue de divulguer.

[23] En tout état de cause, il y a lieu d’opérer une distinction entre les documents qui sont en la possession d’une partie au moment où survient un litige et les documents qui sont créés dans le cadre d’un litige pour les fins du litige.  Les rapports d’expertise et toutes les versions préparatoires, s’il en est, qui s’y rapportent doivent, à cet égard, être considérés comme  des documents créés spécifiquement pour les fins d’un litige et non comme des documents en la possession d’une partie au moment où survient un litige et qui s’y rapportent.

[24] Considérer les rapports d’experts comme des documents en la possession d’une partie signifierait que, dans les cas où une partie a obtenu un rapport d’expert pour sa propre gouverne sans intention de le produire ou de faire entendre l’expert, celle-ci serait tenue de le divulguer à la partie adverse.  Tel ne peut être la portée de l’article 6(1)(d) des Règles de procédure du Tribunal.

[25] Les prescriptions de l’article 6 des Règles de procédure couvrent les documents en la possession d’une partie au moment où survient un litige et qui pourraient être potentiellement pertinents aux questions en litige.

[26] En l’espèce, il s’agit plutôt de déterminer si une partie peut exiger la production d’un document rédigé par un expert, que ce soit une ébauche de rapport ou encore un rapport préliminaire, dans le cours de la rédaction d’un rapport d’expertise.

[27] Plus spécifiquement, la question qui se pose, en l’espèce, est celle de savoir si le document rédigé par le Dr. Assalian antérieurement au 24 avril 2006 en accomplissement du mandat qui lui avait été confié par l’intimée est protégé par le secret professionnel de l’avocat ou le privilège relatif au litige.

[28] Si le document fait partie du privilège de l’avocat, il est protégé et la Commission ne peut y avoir accès.  Si le document fait partie du privilège relié au litige, il pourrait être accessible à la Commission.  Il importe donc d’examiner le sens et la portée de ces deux concepts que sont le privilège du secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige.

A. Les privilèges

[29] La Commission fait valoir qu’il importe d’opérer une distinction entre le secret professionnel de l’avocat et le privilège relié au litige.  Elle a raison.  En droit canadien, les tribunaux opèrent une distinction aujourd’hui entre le privilège du secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige et ce, tant en droit civil québécois qu’en common law, ces privilèges étant assujettis à des règles d’application différentes.

(i) Le privilège du secret professionnel de l’avocat ou le privilège de la consultation juridique

[30] Au Québec, dans l’arrêt Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) Inc., [2004], 1 R.C.S. 456, la Cour suprême du Canada a statué que, dans le cadre législatif québécois, l’expression secret professionnel vise tant le secret professionnel de l’avocat que le privilège relatif au litige.

[31] Selon la Cour, le secret professionnel vise tant l’obligation de confidentialité qui impose à l’avocat un devoir de discrétion à l’endroit de son client et, à l’égard des tiers, l’immunité de divulgation qui protège le contenu de l’information contre sa communication forcée (Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) Inc., para. 29).

[32] Ainsi, le privilège du secret professionnel de l’avocat ou, de façon plus restreinte, en droit civil, l’obligation de confidentialité de l’avocat vis-à-vis son client, couvre essentiellement les communications verbales et écrites échangées entre un avocat et son client.  Ces communications sont considérées privilégiées et une partie ne peut en exiger la production ni même la divulgation (Voir, au même effet, Poulin c. Prat, [1994], A.Q. no 142).

[33] Cela dit, si, en droit québécois, les deux privilèges se trouvent englobés dans le privilège du secret professionnel, il n’en demeure pas moins que les deux volets doivent, selon la Cour suprême, être dissociés l’un de l’autre (Société d’énergie Foster Wheeler Ltée, C.S.C., 2004, précité).

[34] En ce qui a trait à la common law, la Cour suprême a statué dans l’arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2006], A.C.S. no 39, para. 7) qu’il importe, au niveau de l’analyse juridique, de considérer le secret professionnel de l’avocat et le privilège relié au litige comme des concepts distincts et non comme deux composantes d’un même concept.  Ces deux privilèges sont assujettis à des régimes juridiques différents.

(ii) Le privilège relatif au litige ou l’immunité de divulgation

[35] En droit civil québécois, l’immunité de divulgation, équivalent du privilège relatif au litige de la common law, est considérée comme une composante du secret professionnel de l’avocat (voir à cet égard l’arrêt Société d’énergie Foster Wheeler Ltée,  précité, para. 1 et 15).  Les deux volets, tels qu’énoncé précédemment, sont toutefois distincts et assujettis à des règles d’application différentes.

[36] À l’opposé, en common law, la Cour suprême a statué dans l’arrêt Blank c. Canada (Ministère de la Justice, précité, par. 7) que le privilège relatif au litige est distinct du secret professionnel de l’avocat en raison de leur portée, de leur objet et de leurs fondements différents.  Il importe de noter ici que, dans l’arrêt Blank, la Cour suprême n’a nullement fait référence à l’arrêt rendu dans Société d’énergie Foster Wheeler Ltée.

[37] Suivant l’arrêt Blank, le privilège relatif au litige s’applique aux communications à caractère non confidentiel entre l’avocat et des tiers et englobe même des documents qui ne sont pas de la nature d’une communication (Sharpe, cité dans Blank, par. 28: voir également Vancouver Community College c. Phillips, Barratt, précité, Jesionowski c. Gorecki, [1992] A.C.F., no 816  Il existe indépendamment du privilège du secret professionnel de l’avocat.

[38] [38] Ayant établi les différences qui existent entre le secret professionnel de l’avocat et le privilège relié au litige, il importe maintenant de déterminer si le document remis par le Dr. Assalian au procureur de l’intimée antérieurement au 24 avril 2006 en rapport avec le mandat qui lui avait été confié par l’intimée, tombe sous le privilège du secret professionnel de l’avocat ou s’il est protégé ou non par le privilège relatif au litige.  Il importe d’examiner cette question à lumière des règles de preuve qui régissent la production de rapports d’expertise, tant en droit civil qu’en common law.

B. Les rapports d’expert

[39] En matière de rapport d’expertise, il y a lieu de distinguer, d’une part, les documents utilisés par un expert dans le cadre de la rédaction de son rapport, qui sont des documents pertinents au contre-interrogatoire de l’expert et, d’autre part, les ébauches de rapport ou rapports préliminaires préparés par un expert dans l’accomplissement d’un mandat qui lui a été confié par une partie.

[40] D’entrée de jeu, il importe de préciser que la Commission cherche à obtenir, en l’espèce, ce ne sont pas les fondements ayant servi à la rédaction du rapport produit par le Dr. Assalian et à l’égard duquel il sera interrogé, mais le rapport préliminaire ou l’ébauche de rapport qu’il aurait communiqué au procureur de l’intimée antérieurement au 24 avril 2006.

(i) Les documents utilisés par un expert dans la rédaction de son rapport

[41] Dès lors qu’un médecin est appelé comme expert et que son rapport est déposé en preuve, une partie est en droit d’obtenir copie de tous les documents ayant servi à la rédaction de son rapport – les bases documentaires de son rapport.  Ceci est nécessaire pour que l’avocat qui contre-interroge l’expert puisse, en rapport avec le rapport produit, évaluer pleinement les tenants et aboutissants de la réflexion de l’expert quant au rapport produit, de même que son cheminement intellectuel.

[42] Dès lors qu’une partie produit en preuve un rapport d’expert, cette partie ne peut garder secrète quelque partie que ce soit du rapport.  C’est ce qui ressort notamment de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans R. c. Stone, [1999] 2 R.C.S. 290, para. 98.

[43] En outre, un expert sera tenu de rendre disponible à la partie adverse tous les documents en sa possession sur lesquels il s’est fondé pour rédiger son rapport.  C’est ce qui ressort notamment de la décision rendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans Vancouver Community College c. Phillips, Barratt, précité, para. 34.  Il importe de noter que cette décision ne concerne pas spécifiquement les ébauches de rapport ou les rapports préliminaires d’un expert, mais fait référence, dans un sens plus large, aux documents en la possession d’un expert.

[44] Comme le souligne la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Vancouver Community College et la Cour suprême du Canada dans R. c. Stone, en faisant témoigner un expert, une partie  renonce à tout privilège rattaché à son rapport.  Selon la Cour, dès qu’un témoin se présente à la barre, on ne peut plus considérer qu’il donne des conseils confidentiels à une partie.  Il donne une opinion pour assister le Tribunal.  Pour cette raison, la partie adverse doit avoir accès aux fondements de telles opinions pour en vérifier adéquatement l’exactitude (para. 99). (Nous soulignons)

[45] Plus récemment, l’arrêt R. c. Stone a reçu application dans l’arrêt rendu par la Cour d’appel de l’Ontario dans Horodynsky Farms Inc. c. Zeneca Corp. (c.o.b. Zeneca Agro), [2006] O.J. No 3012.  Dans cet arrêt, un juge de la Cour d’appel de l’Ontario qui était appelé à interpréter la portée de la règle 31.06(3) des Règles de procédure civile de l’Ontario, a statué qu’une note de service (memorandum) préparée par un avocat à la suite d’une conversation avec un expert qui avait produit par la suite un rapport devait être communiquée à la partie adverse et qu’elle n’était pas protégée par le privilège relié au litige.

[46] Selon la Cour, cette note de service pouvait faire partie des constatations, opinions et conclusions auxquelles la règle 31.06(3)des Règles de procédure civile fait référence.  En obiter, le juge Gillese de la Cour d’appel devait émettre l’opinion que les projets de rapport (draft reports) d’un expert tombaient sous la gouverne de l’article 31.06(3) des Règles de procédure civile de l’Ontario.

[47] Cela dit, il nous apparaît que cette décision a une portée limitée et ne saurait être considérée comme l’énoncé d’un principe général dans la mesure où elle porte sur l’interprétation du sens des termes findings, conclusions or opinions qui se trouvent à la règle 31.06(3) des Règles de procédure civile de l’Ontario et que le document en litige était une note de service. 

[48] Au Québec, la Cour d’appel du Québec devait statuer dans Poulin c. Prat, précité, qu’une partie a le droit de connaître les faits sur lesquels l’expert fonde son opinion.  Selon la Cour, une partie a le droit de connaître les faits sur lesquels l’expert fonde son opinion.  Dans cet esprit, elle a sûrement le droit de connaître les sources, documentaires ou autres, où l’expert a puisé cette information.  Toutefois, (   ) elle n’a pas, pour autant, le droit d’obtenir de l’expert qu’il produise les notes, brouillons, projets de rapport qui ont mené à la rédaction de son rapport d’expertise final (para. 34).

[49] Il ressort donc de ces différentes décisions que, dès lors qu’un expert est appelé comme témoin, il peut être tenu de produire tout document qui a pu servir à la rédaction de son rapport et être interrogé sur ces documents.  La partie adverse est, en effet, en droit de connaître les bases documentaires de son rapport et d’exiger que l’expert produise toute la documentation ayant servi à la rédaction de son rapport d’expert.  La partie qui produit l’expert renonce alors au privilège relié au litige, que celui-ci soit incorporé ou non au secret professionnel de l’avocat, comme c’est le cas au Québec.

[50] En l’espèce, il sera donc loisible pour la plaignante et la Commission, lors de leur contre-interrogatoire du Dr. Assalian, de demander à ce dernier de produire tous les documents dont il se serait servi dans l’accomplissement du mandat que lui avait été confié par l’intimée, à moins que ces documents ne soient déjà en leur possession.

(ii) Les rapports préliminaires ou les ébauches de rapport

[51] Il appert, qu’en common law, certaines décisions ont suggéré que les projets de rapport (drafts) préparés par un expert appelé à témoigner dans une instance ne sont pas couverts par le privilège relié au litige et qu’un partie peut en exiger la production.  C’est ce qui ressort notamment d’un obiter de M. le juge Gillese de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Horodynsky Farms Inc. c. Zeneca Corp. (c.o.b Zeneca Agro), précité, para. 38.

[52] De même, dans Chapman Management & Consulting Services Ltd v. Kernic Equipment Sales Ltd, [2004] A.J. No 756, M. le juge McIntyre de la Cour du banc de la reine de l’Alberta conclut, s’appuyant notamment sur la décision rendue dans Vancouver Community College, précité, que le défendeur devait produire les projets de rapports (draft versions) de son expert ainsi que tout document en la possession de l’expert ayant servi à l’élaboration de l’opinion de ce dernier (para. 2).

[53] Cela dit, il ne semble pas, toutefois, y avoir unanimité en common law quant à la production de projets de rapport, d’ébauches de rapport ou de rapports préliminaires en relation avec le témoignage d’un expert dans une instance donnée.  Il existe, en effet, en common law, des décisions judiciaires où les tribunaux ont refusé de suivre l’approche adoptée dans Vancouver Community College, précité, et considéré comme privilégiés et protégés par le privilège relié au litige les ébauches de rapport et les rapports préliminaires d’un expert (voir, par exemple, Kelly c. Kelly, [1990] O.J. No 603), Bell Canada v. Olympia & York Developments Ltd et al., 68 O.R. (2d) 103, Highland Fisheries Ltd v. Lynk Electric Ltd, 63 D.L.R. (4th) 493).

[54] Dans ce contexte, on ne saurait prétendre qu’en common law, l’état du droit en matière de production de projet de rapport, d’ébauche de rapport ou de rapport préliminaire d’expert est clair et limpide et ne donne lieu à aucune divergence de point de vue.  La décision rendue dans Vancouver Community College, précité, ne semble pas avoir toute l’autorité que semble lui accorder la Commission.  Du reste, la décision rendue dans Vancouver Community College, précité, ne portait pas spécifiquement sur la production d’ébauches de rapport ou de rapports préliminaires mais de documents en la possession d’un expert et qui avaient servi à l’élaboration de son rapport.

[55] En droit civil québécois, la Cour d’appel a, pour sa part, à quelques reprises, statué que les notes et brouillons, ébauches et rapports préliminaires produits par un expert font partie du secret professionnel de l’avocat et qu’ils ne peuvent être produits en preuve à la demande de la partie adverse (Poulin c. Prat, précité, Laviolette c. Bouchard, [2001] J.Q. no 3642).

[56] Dans l’arrêt Poulin c. Prat, la Cour d’appel a émis l’opinion que lorsqu’un avocat, pour préparer la défense des intérêts de son client, engage un expert, il n’agit que comme mandataire de son client (para. 22).  Pour la Cour, autant les communications écrites qu’orales entre l’avocat et l’expert, sauf circonstances particulières, demeurent confidentielles et sont protégées par le secret professionnel (para. 22 et 26).

[57] En outre, pour la Cour d’appel, le fait de produire un expert comme témoin ne doit pas permettre à la partie adverse d’exiger de ce témoin qu’il produise tout ce qu’il a en sa possession, telles que notes, brouillons et projets de rapport qu’il pourrait avoir colligés et écrits alors qu’il poursuivait l’étude du dossier et la réflexion qui devait le mener à la formulation de l’opinion définitive qu’il est appelé à partager avec le tribunal. (Poulin c. Prat, précité, para. 27)

[58] Dans l’affaire Poulin c. Prat, la Cour devait conclure que les documents recherchés en l’espèce, échangés par l’avocat et l’expert, étaient confidentiels et soumis au secret professionnel de l’avocat (para. 31).

[59] Il appert donc qu’au Québec, les règles de droit qui s’appliquent quant à la production d’ébauches de rapport, de projets de rapport ou de rapports préliminaires d’un expert soient beaucoup plus claires si l’on considère les arrêts de la Cour d’appel dans les affaires Poulin c. Prat, précité, et Laviolette c. Bouchard, précité.  La jurisprudence de la Cour d’appel doit, dans les circonstances, être considérée comme déterminante en ce qui concerne la production des ébauches de rapport, des projets de rapport ou des rapports préliminaires d’un expert.

[60] En terminant, il importe de souligner que, si la recherche de la vérité doit être au cœur de toute contestation judiciaire, il faut, par ailleurs, accepter que l’expert dont les services sont retenus par une partie puisse, en toute liberté, s’acquitter du mandat qui lui a été confié par cette partie.  L’expert doit pouvoir élaborer ses opinions et formuler ses conclusions sans craindre que des tiers viennent, à quelque moment que ce soit, saisir des idées, des propos qu’il aurait mis sur papier à un moment où il était encore en processus d’analyse et de réflexion et ne s’était pas formé une opinion définitive sur une question.

[61] Il importe que les experts aient l’assurance que leur travail intellectuel ne sera pas épié par des tiers.  Déjà, on peut penser que bon nombre d’experts d’expérience ne conservent pas d’ébauche de leur rapport ou de notes manuscrites par crainte que ces documents trouvent leur chemin devant le tribunal, exposant alors au grand jour leur démarche intellectuelle, susceptible d’évoluer au gré des informations obtenues et des périodes de réflexion consacrées à l’étude d’un dossier.

[62] Cela dit, il n’en demeure pas moins que l’expert qui est appelé à témoigner dans une instance donnée et qui produit un rapport devra à la demande d’une partie produire tous les documents ayant servi à la rédaction de son rapport.  Cette partie est en droit de l’interroger sur tous les éléments qui ont servi à la rédaction de son rapport.  Il appartiendra alors au Tribunal d’évaluer l’objectivité et la solidité de l’expertise produite.  En outre, une partie pourra toujours contester le bien-fondé des opinions et conclusions d’un expert dans le cadre de son contre-interrogatoire de l’expert ou en appelant son propre expert qui pourrait avoir des points de vue différents de ceux exprimés par l’expert.  La médecine est à la fois une science et un art.

[63] Certes, il existe toujours un risque qu’un expert se méprenne sur son rôle d’expert et pense qu’il est là pour servir les intérêts de la partie qui le produit comme témoin.  Il existe également un risque que l’expert se soit laissé influencé par les propos tenus par l’avocat qui a retenu ses services ou encore qu’il ait accepté de modifier ses conclusions ou ses appréciations à la demande d’un procureur.  Un contre-interrogatoire habile permettra souvent de mettre à jour les carences d’une expertise qui ne soit pas objective.

IV. Conclusion

[64] Le Tribunal en vient à la conclusion que le rapport transmis par le Dr. Assalian au procureur de l’intimée antérieurement au 24 avril 2006 est protégé par le secret professionnel de l’avocat et doit donc être considéré comme confidentiel.  Il ne peut donc, en vertu de l’article 50(4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, être admis en preuve.

V. Décision

[65] Pour les raisons ci-dessus énoncées, la requête de la Commission visant à obtenir la production ou la communication de l’ébauche de rapport ou le rapport préliminaire soumis au procureur de l’intimée par le Dr. Assalian antérieurement au 24 avril 2006 est rejetée.

Signée par

Pierre Deschamps
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 8 mai 2007

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1047/2805

Intitulé de la cause : Micheline Montreuil c. Les Forces canadiennes

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 8 mai 2007

Date et lieu de l’audience : Les 3 et 4 mai 2007 Québec (Québec)

Comparutions :

Micheline Montreuil, pour elle même

Ikram Warsame, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Guy Lamb et Claude Morissette, pour l'intimée

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