Tribunal canadien des droits de la personne

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DT 17/ 89

Décision rendue le 8 décembre 1989

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S. C. 1976- 77, chap. 33 modifiée

ET DANS L’AFFAIRE D’UNE AUDIENCE TENUE DEVANT UN TRIBUNAL DES DROITS DE LA

PERSONNE constitué en application du paragraphe 39( 1.1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ENTRE :

AVTAR (TERRY) DHAMI Plaignant

et :

LA COMMISSION DE L’EMPLOI ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA Intimée

et :

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE Commission

DEVANT : NORMAN FETTERLY, Président

BETTY SMITH

BARRY SHEPPARD

DÉCISION DU TRIBUNAL

Ont comparu : RENÉ DUVAL Avocat de la Commission canadienne des droits de la

personne

PETER ENGELMANN Avocat de l’intimée

DATES/ LIEUX : du 20 au 22 mars 1989 du 12 au 15 juin 1989 à Vancouver

> INDEX

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Introduction 1 Les faits 3 La preuve d’actes similaires 13 Les points en litige 14 Le fardeau de la preuve - Comportement apparemment discriminatoire 15 La politique de l’intimée 18 La preuve 19 Le témoignage du plaignant, M. Dhami, au sujet de la discrimination raciale 33 Discrimination dans l’application des règles suivies a) Mars 1984 - Ordre inverse du mérite 42 b) Octobre 1984 - Le concours pour un poste de niveau CR- 3 56 Conclusion 66 >

1 INTRODUCTION

Les plaintes ont été déposées contre la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada par Avtar (Terry) Dhami qui est originaire des Indes orientales. Il y a deux plaintes écrites datées respectivement du 28 mars 1985 et du 30 septembre 1985. Selon ces deux documents, la Commission intimée aurait commis un acte discriminatoire en licenciant M. Dhami et en refusant de le réembaucher pour des considérations fondées sur sa race, sa couleur et son origine nationale ou ethnique en violation de l’alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le libellé des plaintes écrites, qui ont été versées au dossier sous les cotes HR- 3 et HR- 4, est similaire, sauf sous un aspect important. La première plainte fait état de la cessation d’emploi de M. Dhami à compter du 31 mars 1984 (TRADUCTION) ainsi que de celle de deux autres employés nommés pour une période déterminée. Dans la deuxième plainte du 30 septembre 1985, l’auteur mentionne les trois personnes dont la date de cessation d’emploi est le 31 mars 1984 et il ajoute (TRADUCTION) il y a parmi nous deux Indo- canadiens.

L’alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne est libellé comme suit :

7. Constitue un acte discriminatoire s’il est fondé sur un motif de distinction ilklicite, le fait, par des moyens dircts ou indirects:

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu [...] pour un motif de distinction illicite.

Le paragraphe 3( 1) de la Loi dispose ce qui suit : 3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur [...]

Dans leurs remarques préliminaires, les avocats ont convenu que l’affaire reposait essentiellement sur des faits et que la crédibilité des témoins constituerait une préoccupation majeure du tribunal. Beaucoup de preuves ont été présentées pendant les sept jours d’audience, et un bon nombre visait des faits que ni l’une ni l’autre des parties n’a contestés sérieusement. Le Tribunal estime qu’il est utile de résumer brièvement les circonstances entourant la période qui commence à l’embauchage de M. Dhami par la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada (ci- après appelée l’intimée) et se termine quelque temps après son licenciement. Par conséquent, nous voulons donner un aperçu de la situation et de l’évolution des rapports entre M. Dhami et l’intimée dans ce contexte avant d’aborder les éléments de preuve contestés et ceux qui visent soit directement, soit indirectement, la discrimination raciale.

LES FAITS

M. Dhami, qui est devenu citoyen canadien en 1969, a émigré du Pendjab (Indes) où il est né. Il a fait ses études secondaires à Vancouver et ses études post- secondaires au Vancouver Community College où il a suivi le programme de tenue de livres. Fraîchement diplômé, il a obtenu, par voie de concours, un poste de débutant chez l’intimée. Il a commencé à travailler aux bureaux de l’Administration régionale au centre de Vancouver le 30 septembre 1981 à titre d’employé nommé pour une période déterminée à un poste de niveau CR- 3.

Selon la description de fonctions, le poste de commis aux comptes généraux occupé par M. Dhami était classé au niveau CR- 3.

Le contrat de travail de l’employé nommé pour une période déterminée est renouvelable de façon périodique. Les renouvellements ont lieu à chaque trimestre ou semestre et, parfois à chaque année. Les employés nommés pour une période déterminée n’ont pas l’assurance d’un poste permanent comme l’employé nommé pour une période indéterminée qui a obtenu la permanence grâce à un concours. Habituellement, les employés nommés pour une période déterminée, comme M. Dhami, voient leur contrat de travail renouvelé trimestriellement.

Lorsque M. Dhami a commencé à travailler pour l’intimée, il a été affecté à la Sous- section des comptes de programme de la Direction des opérations comptables. Il était chargé de traiter trois programmes informatisés, soit le Service de diagnostic, le Service de main- d’oeuvre agricole du Canada et le Programme d’établissement et d’adaptation des immigrants. Ce dernier programme a apparemment été remplacé par le Service consultatif de la main- d’oeuvre.

Pendant que M. Dhami travaillait à la Commission, M. Steve Enos était chef des Opérations comptables. Quatre chefs d’unité ou surveillants, qui étaient chargés d’assurer le fonctionnement de leur service respectif, relevaient de lui. Les Comptes de programme, sous- section à laquelle avait été affecté M. Dhami, la Sous- section du contrôle de la comptabilité, celle de la comptabilité des recettes et celle des comptes généraux forment les quatre fonctions comptables dont le chef des Opérations comptables, M. Enos, était responsable. Son supérieur immédiat était M. Robert S. Coleman, directeur des Services financiers.

A la fin des années soixante- dix et au début des années quatre- vingt, avant que M. Dhami ne commence à travailler pour l’intimée, Main- d’oeuvre et Immigration Canada et la Commission d’assurance- chômage avaient été intégrés pour former la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada. D’importants changements organisationnels avaient été effectués pendant l’intégration.

Il semble que l’intimée soit instable sur le plan politique et que le financement soit incertain, ce qui entraîne un taux proportionnellement élevé d’employés nommés pour une période déterminée par rapport aux employés permanents ou nommés pour une période indéterminée. Le gouvernement établit de nouveaux programmes pour satisfaire à des besoins pressants et imprévus, comme par exemple, l’afflux de réfugiés politiques des dernières années. Cette situation, accentuée par des facteurs saisonniers, crée une charge de travail variable exigeant de la souplesse dans la dotation en personnel.

M. Dhami ne se rappelle pas clairement qui était son supérieur immédiat lorsqu’il a commencé à travailler en septembre 1981. Son témoignage à ce sujet est hésitant, pour ne pas parler des contradictions relevées entre sa déposition et celle des différents témoins cités pour l’intimée. Qu’il suffise de dire qu’à un moment donné pendant sa carrière chez l’intimée, le supérieur immédiat de M. Dhami était une certaine Veronica Walters, qui a pris sa retraite depuis. Sa dernière surveillante a été Mme Rose Kozak, chef de la Sous- section des comptes de programme.

Comme il se doit, M. Dhami a été évalué par son supérieur immédiat qui, à cette époque, était Veronica Walters. Les résultats sont exposés dans le rapport officiel établi en date du 9 janvier 1983 qui est signé par Mme Walters et contresigné par M. Dhami. Ce rapport est produit sous la cote HR- 2, onglet 3.

En février 1984, alors qu’il était au service de l’intimée, M. Dhami a participé à un concours avec vingt- six autres candidats en vue d’obtenir une promotion, soit un poste de niveau CR- 4, celui de commis aux dépenses de finance. En préparation au concours ouvert pour le poste de niveau CR- 4, les employés nommés pour une période déterminée effectuaient une rotation pour parfaire leurs connaissances et acquérir de l’expérience ou ils travaillaient dans d’autres sections des Opérations comptables.

Cinq candidats ont réussi le concours; les autres dont M. Dhami, ont échoué. A cette époque, la surveillante de M. Dhami était Mme Rose Kozak.

L’exercice de la Direction des services financiers se terminait le 31 mars et plusieurs semaines avant, le directeur, M. Coleman, avait été informé que des coupures budgétaires importantes seraient effectuées. Dans une note de service datée du 2 mars 1984 et versée au dossier sous la cote R- 1, onglet 1, M. Coleman avise officiellement M. Enos de la nécessité de réduire l’effectif composé de cinquante- neuf années- personnes à quarante- neuf années- personnes afin de se conformer aux coupures budgétaires. Une année- personne est un moyen d’identifier et de quantifier les ressources humaines disponibles. Par exemple, quatre personnes travaillant pendant trois mois constituent une année- personne.

La note de service indique bien la possibilité d’un financement supplémentaire, mais M. Coleman insiste sur le fait que (TRADUCTION) vous ne pouvez inscrire au budget ce que vous n’avez pas.

Sur la recommandation du chef des ressources humaines, M. Terence McMullen et de sa conseillère en personnel, Mme Bonnie Smith, les coupures de personnel ont été effectuées selon l’ordre inverse du mérite. Cette méthode n’avait pas été utilisée avant, car les restrictions budgétaires n’avaient jamais exigé une réduction substantielle du personnel et une diminution des années- personnes. La méthode est entièrement fondée sur le mérite, ni les connaissances de l’employé (qui sont tenues pour acquises) ni son ancienneté ne constituant des facteurs à prendre en considération. Pour appliquer cette méthode, il faut évaluer le personnel concerné. Aux Opérations comptables, dix- sept employés nommés pour une période déterminée et occupant des postes de niveau CR- 3, dont M. Dhami, devaient être licenciés afin d’effectuer la réduction de personnel nécessaire.

L’ordre inverse du mérite exige que les employés jugés le moins qualifiés soient les premiers à être mis à pied. Éventuellement, les dix- sept employés visés devaient être congédiés graduellement au cours d’une période de plusieurs mois afin, d’une part, de réduire les années- personnes selon les contraintes budgétaires, et d’autre part, de minimiser l’incidence de leur départ sur le fonctionnement de la Direction des opérations comptables. Ce qu’on appelle le plan des années- personnes a été dressé par M. Enos et soumis à l’approbation de M. Coleman (voir pièce R- 1, onglet 1). Il prévoyait une réduction graduelle du personnel, échelonnée sur une période d’environ dix mois à compter du 31 mars 1984.

Il a été jugé nécessaire de donner un préavis de deux semaines aux employés dont le contrat d’emploi ne devait pas être renouvelé le 31 mars 1984.

Par conséquent, les quatre chefs d’unité ou surveillants ont rapidement procédé à l’appréciation des employés. Plusieurs réunions des chefs d’unité ont été tenues pour évaluer les employés nommés pour une période déterminée de chaque unité. Le chef d’unité ou le surveillant directement responsable de l’employé faisait l’évaluation finale, après avoir consulté ses collègues. Ces réunions ont abouti à une rencontre le 7 mars avec le chef des Opérations comptables, M. Enos, au cours de laquelle les chefs d’unité lui ont communiqué le résultat de l’évaluation de leurs employés. Les conclusions de la réunion sont consignées dans une note de service adressée par M. Enos à M. Coleman en date du 12 mars 1984 et dans laquelle il désigne les trois personnes, dont M. Dhami, qui doivent être renvoyées le 31 mars. Cette note de service était accompagnée du plan des années- personnes mentionné ci- dessus et de l’évaluation des trois employés jugés le moins qualifiés par M. Enos. En outre, une liste de priorité jointe à la note fixait l’ordre dans lequel tous les employés nommés pour une période déterminée concernés devaient être renvoyés par l’intimée. Cette documentation a été versée au dossier sous la cote R- 1, onglet 3.

M. Dhami faisait partie des trois employés nommés pour une période déterminée dont le contrat ne devait pas être renouvelé le 31 mars 1984. Il s’était classé quinzième sur dix- sept. Les deux autres employés dont le contrat n’a pas été renouvelé après le 31 mars 1984 sont Jean Coventry qui s’était classée seizième et Gulab Dass qui s’était classé dix- septième. M. Dass est également originaire des Indes orientales.

A la suite de la note de service envoyée par M. Enos à M. Coleman, les trois employés, y compris M. Dhami, ont été convoqués à une entrevue et informés du fait que leur contrat ne serait pas renouvelé le 31 mars 1984. L’entrevue de M. Dhami s’est déroulée le 14 mars 1984 dans le bureau de M. Enos. Nous reviendrons sur la discussion qui a eu lieu lorsque nous aborderons les éléments de preuve relatifs à la question raciale qui sont contradictoires ou qui constituent des versions différentes.

Après avoir été renvoyé par l’intimée, M. Dhami a déposé une plainte auprès de la Direction de l’antidiscrimination de la Commission de la fonction publique, et une enquête a été ouverte. L’avocat de l’intimée a tenté de produire le rapport de l’enquête en dépit des objections de l’avocat de la Commission canadienne des droits de la personne. Le Tribunal a d’abord différé son jugement sur l’admissibilité du rapport lorsqu’il a été introduit aux fins de prouver, selon l’avocat, que toutes les règles de procédure relatives au non- renouvellement du contrat de travail de M. Dhami avaient été correctement suivies. A ce stade de l’audience, on a estimé qu’aucun point en litige relatif à la procédure ne devait être tranché à l’égard de M. Dhami.

De l’aveu général, le rapport portait sur une allégation de discrimination raciale faite par M. Dhami, et on a jugé qu’il ne conviendrait pas de permettre l’introduction d’un rapport pouvant s’avérer préjudiciable à M. Dhami sur une question que le tribunal devait trancher selon la preuve devant lui. A la conclusion des arguments présentés par l’intimée, l’avocat a informé le Tribunal qu’il ne produirait pas le rapport aux fins de démontrer que les règles suivies par l’intimée étaient correctes. Par conséquent, les conclusions de la Direction de l’antidiscrimination sur toutes les questions abordées par elle ainsi que les raisons motivant ses conclusions ne font pas partie des éléments de preuve produits en l’espèce.

Peu après le non- renouvellement par l’intimée du contrat d’emploi de M. Dhami et de deux autres employés nommés pour une période déterminée, un financement additionnel a été accordé. Il n’était donc plus nécessaire de procéder au renvoi des autres employés nommés pour une période déterminée qui figuraient sur la liste de priorité. Le 17 avril 1984, dans une note de service adressée à Mme Bonnie Smith du personnel, M. Coleman a recommandé le réembauchage de M. Dhami (voir pièce R- 1, onglet 8). Cette recommandation a été faite sur les conseils et avec le consentement de M. Enos à peu près au moment où M. Coleman a été informé qu’il y aurait, après tout, des ressources ou des fonds disponibles pour du personnel supplémentaire.

Au cours de l’été 1984, un concours de la fonction publique pour le poste de commis aux comptes généraux a été ouvert, mais aucune preuve n’a été présentée au sujet des candidats qui s’y sont présentés ni des résultats. Cependant, en octobre 1984, un concours de la fonction publique pour le poste de commis aux comptes généraux (niveau CR- 3) s’est bel et bien tenu. Ce concours visait le poste de débutant que M. Dhami avait antérieurement occupé lorsqu’il était au service de l’intimée. A titre d’employé nommé pour une période déterminée, M. Dhami ne pouvait être réembauché qu’après avoir réussi le concours public ouvert pour le poste.

Par conséquent, M. Dhami a posé sa candidature par le truchement du centre d’emploi du Canada à Surrey. Sa demande, ainsi que celle de plusieurs autres candidats, a été traitée normalement par la délivrance d’une feuille de présentation par le centre d’emploi au jury de sélection devant lequel le candidat devait se présenter. La candidature de M. Dhami a été présentée le 15 octobre 1984. Il a ensuite contacté M. Andy Netzel, qui faisait partie du jury de sélection déjà constitué, pour prendre rendez- vous.

Le jury de sélection était composé de M. Netzel, alors chef de la Sous- section du contrôle de la comptabilité des Opérations comptables, de Mme Rose Kozak, chef de la Sous- section des comptes de programme et supérieur immédiat de M. Dhami au mois de mars précédant son renvoi, et de M. Steve Enos, chef des Opérations comptables. Ces trois personnes, et tout particulièrement M. Enos, avaient déjà fait partie d’un jury de sélection.

Les membres du jury de sélection ont été nommés le 11 octobre 1984. Jusqu’à ce que M. Dhami téléphone à M. Netzel, soit quelque temps après le 15 octobre 1984, aucun des membres du jury ne savait que M. Dhami se porterait candidat. Il s’agissait d’un concours public, c’est- à- dire non limité aux employés de la fonction publique. Dix candidats en tout se sont présentés pour un poste de débutant (niveau CR- 3).

Les candidats devaient être notés selon les connaissances, la capacité et les qualités personnelles. La pondération était la suivante : vingt pour cent pour les connaissances, quarante pour cent pour la capacité et quarante pour cent pour les qualités personnelles. L’énoncé de qualités pour le poste de commis aux comptes généraux (niveau CR- 3), est reproduit à l’onglet 13 de la pièce R- 2. L’ordre dans lequel sont cotées les exigences est le suivant : premièrement, les connaissances, deuxièmement, la capacité et troisièmement, les qualités personnelles.

Des questions types figurent à la page 2 de l’onglet 15, pièce R- 2. A l’item 8, il y a une question formulée sur une feuille à remettre au candidat. Elle nécessite une réponse écrite ou verbale du candidat qui doit effectuer un rapprochement assez simple entre un compte de caisse et un relevé bancaire. La réponse à cette question est considérée comme cruciale, car le candidat doit être capable d’effectuer des rapprochements comme l’indiquent les raisons justifiant l’administration du test à la première page de l’onglet 15.

Pendant l’entrevue, les membres du jury de sélection peuvent prendre des notes. Celles- ci leur appartiennent et ne font pas partie des dossiers permanents de l’intimée. Elles ne sont donc pas communiquées au Tribunal.

Après l’entrevue, les membres du jury de sélection tentent de se mettre d’accord sur l’acceptation ou le rejet d’un candidat, et chacun est noté individuellement à l’aide d’une grille reprenant les trois critères des connaissances, de la capacité et des qualités personnelles. Ces résultats sont ensuite consignés dans le rapport du jury de sélection qui est signé et attesté par les membres. Les notes individuelles sous forme de grille ainsi que le rapport du jury de sélection sur le concours auquel M. Dhami a participé sont reproduits et versés au dossier sous la cote HR- 19.

Le nom des trois candidats reçus figurent, par ordre de notation, dans le rapport du jury de sélection daté du 7 novembre 1984 (pièce HR- 19), et le nom de M. Dhami n’est pas mentionné. Il est indiqué qu’il n’a pas satisfait aux exigences en ce qui concerne la capacité (TRADUCTION) comme le démontre la mauvaise réponse donnée à la question no 8. En passant, il convient de noter que M. Netzel, qui a préparé le rapport du jury de sélection, a admis l’existence d’une erreur de frappe au sujet de l’un des trois candidats ayant réussi le concours d’octobre 1984, soit Sherril McIlveen. On a indiqué par erreur, contrairement à la note attribuée selon la grille, qu’elle n’avait pas satisfait aux exigences relatives à la capacité.

Les remarques qui précèdent donnent un bref aperçu de la situation qui prévalait pendant la période où M. Dhami travaillait pour l’intimée et des événements qui se sont produits avant et après le non- renouvellement de son contrat d’emploi.

LA PREUVE D’ACTES SIMILAIRES

A part les preuves documentaires et les aveux obtenus pendant le contre- interrogatoire, l’avocat de la Commission canadienne des droits de la personne s’appuie sur le témoignage de M. Dhami lui- même ainsi que sur deux autres dépositions qui seraient admissibles à titre de preuve d’actes similaires. Cette notion permet l’admission d’éléments de preuve qui autrement seraient jugés irrecevables si l’on démontre l’existence d’un lien spécial, autre qu’une simple ressemblance, entre le fait en question, c’est- à- dire la discrimination raciale, et les éléments de preuve qu’on cherche à produire (pour paraphraser Sopinka et Lederman dans leur ouvrage intitulé Law of Civil Evidence, à la page 19). L’avocat de l’intimée n’a pas demandé au Tribunal de se prononcer sur l’admissibilité de ces éléments de preuve, bien qu’il ait soulevé la question de savoir s’il existait un lien spécial entre les faits en question et les éléments présentés comme preuve en l’espèce. Il a simplement reconnu que des preuves de cette nature étaient admissibles dans la présente instance et dans d’autres procédures similaires devant le Tribunal. Il a ensuite limité ses commentaires au poids qu’il fallait accorder à ce type de preuve.

Les témoins dont la déposition a été produite à titre de preuve d’actes similaires sont MM. Gulab Dass et Rajesh Pratap, qui tous les deux ont travaillé pour l’intimée et sont originaires des Indes orientales. Leur témoignage sera évalué en même temps que seront examinées les preuves présentées au Tribunal à l’appui de l’allégation de discrimination raciale.

LES POINTS EN LITIGE

Il y a deux points en litige : en premier lieu, le non- renouvellement de l’emploi pour une période déterminée de M. Dhami en mars 1984 et en second lieu, l’échec au concours pour un poste de niveau CR- 3 en octobre 1984.

Il s’agit de savoir si ces deux incidents résultent d’un comportement ou d’actes discriminatoires de la part de l’intimée, ses mandataires ou ses préposés qui seraient motivés par des considérations fondées sur la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique.

LE FARDEAU DE LA PREUVE - COMPORTEMENT APPAREMMENT DISCRIMINATOIRE

L’avocat de la Commission canadienne des droits de la personne et celui de l’intimée ont fait valoir des points de vue divergents sur la nature du fardeau incombant à l’intimée lorsque le plaignant a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il s’agit d’un cas de discrimination apparemment fondé.

Selon l’avocat de la Commission canadienne des droits de la personne, une fois établi qu’il s’agit apparemment d’un acte discriminatoire, il y a inversion du fardeau de la preuve.

L’avocat de l’intimée a soutenu qu’il s’agissait d’un fardeau de présentation par opposition au fardeau ultime et que l’employeur s’en était déchargé en fournissant une explication raisonnable pour le comportement discriminatoire présumé.

Il y a des cas où l’employeur qui invoque les dispositions de l’alinéa 15a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne a nettement le fardeau ultime de prouver qu’il est visé par l’exception de l’exigence professionnelle réelle. Voir les motifs du juge McIntyre dans la décision Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R. S. C. 202. D’autres affaires concernent le refus d’employer une personne en raison de son âge, voir la décision Pelletier v. Brazeau Transport Inc., T. D. 4/ 87, 20 février 1987, rendue par M. Claude Marleau; le refus de services fondé sur le sexe, voir la décision Morissette v. Canada Employment and Immigration Commission, 8 C. H. R. R., D/ 4390; le refus d’employer fondé sur la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique, voir la décision B. Basi v. Canadian National Railway Company, 9 C. H. R. R., D/ 5029.

A notre avis, il importe de se rappeler que le comportement discriminatoire présumé en l’espèce consiste dans le non- renouvellement de l’emploi pour une période déterminée du plaignant par opposition à son renvoi, d’une part, et dans l’échec subi dans le concours auquel participaient d’autres candidats, d’autre part.

Dans un texte publié en 1987 et intitulé Proving Discrimination in Canada, Mme Beatrice Vizkelety mentionne à la page 123 une jurisprudence qui semble appuyer l’opinion de l’avocat de la Commission, savoir que s’il est démontré qu’il s’agit, à première vue, d’un acte discriminatoire, le fardeau de la preuve est inversé et l’intimée doit prouver qu’il n’y a pas eu discrimination.

L’auteure établit une distinction entre le fardeau de présentation et le fardeau ultime, et elle cite la décision Ingram v. National Footwear, 1 C. H. R. R. D/ 59, rendue par une commission d’enquête de l’Ontario :

(TRADUCTION)

Bref, la preuve d’un acte discriminatoire apparemment fondé est utile pour inverser le fardeau. Il incombe alors à l’employeur de fournir une explication justifiant le renvoi qui ne soit pas fondée sur des considérations discriminatoires. Cependant, une fois que l’employeur s’est acquitté de son obligation, c’est au plaignant qu’il appartient d’établir, par prépondérance des probabilités, que l’explication offerte s’écarte de la vérité et est pur prétexte.

Se fondant sur cette affaire et sur d’autres interprétations données par des commissions d’enquête en Colombie- Britannique, en Ontario, en Nouvelle- Écosse, en Alberta et par des commissions d’enquête fédérales, elle conclut que l’employeur n’a pas le fardeau ultime de prouver que les raisons justifiant le refus étaient légitimes; il lui incombe, tout au plus, de se décharger du fardeau de présentation ou de la preuve secondaire.

Pour étayer cette proposition, elle invoque la décision Israeli v. Canadian Human Rights Commission 1983, 4 C. H. R. R., D/ 1616, à la p. 617 et (1984) 5 C. H. R. R., D/ 2147. Dans l’affaire Israeli, le tribunal a résumé en ces termes l’inversion du fardeau de la preuve :

Dans les cas de discrimination, le fardeau de la preuve est important, tout comme l’ordre de présentation des éléments de celle- ci. Il semble que le fardeau et l’ordre de présentation de la preuve soient les mêmes dans tous les cas de refus d’emploi pour motifs discriminatoires, sur lesquels doivent se prononcer les commissions d’enquête canadiennes, tant au niveau fédéral que provincial. Le plaignant doit d’abord établir qu’il s’agit, à première vue, d’un acte discriminatoire. Il incombe ensuite à l’employeur de justifier son comportement apparemment discriminatoire. Finalement, le fardeau de la preuve échoit à nouveau au plaignant qui doit démontrer que l’explication fournie est un simple prétexte et que la discrimination est véritablement à l’origine des actes de l’employeur.

Cette description de l’inversion du fardeau de la preuve a été confirmée dans l’affaire Morissette, précitée.

Sans aborder la question de savoir si le fardeau de l’intimée est le fardeau ultime ou le fardeau de présentation, le Tribunal estime opportun d’adopter le concept de l’inversion du fardeau de la preuve formulé dans l’affaire Israeli, précitée, et confirmé dans la décision Morissette. Le plaignant, M. Dhami, ayant établi qu’il s’agit, à première vue, d’un acte discriminatoire, il incombe à l’intimée de fournir une explication raisonnable pour justifier un comportement discriminatoire par ailleurs. Cela fait, il appartiendra au plaignant de prouver que l’explication n’était qu’un prétexte.

LA POLITIQUE DE L’INTIMÉE

La Commission intimée est assujettie aux dispositions de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique qui prévoit, notamment, à l’article 10 ce qui suit :

Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d’une sélection fondée sur le mérite [...]

Le paragraphe 12( 3) qui suit est libellé comme suit : 12.( 3) Dans la formulation ou l’application des normes de sélection visées au paragraphe (1), la Commission ne peut faire intervenir des distinctions fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

On n’a pas tenté de démontrer que l’intimée avait adopté une politique globale de discrimination à l’égard des minorités visibles. Au contraire, il a été prouvé qu’en pratique, le pourcentage des personnes appartenant à des minorités visibles qui travaillent aux Opérations comptables pour l’intimée a augmenté de façon substantielle, passant de 5,7 % en 1980 à 27,9 % en 1986. Voir la pièce R- 1, onglet 6. La politique de non- discrimination imposée par le Parlement semble donc avoir été mise en oeuvre par l’intimée conformément aux dispositions de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

LA PREUVE

Nous aborderons ce qu’on appelle la preuve d’acte similaire introduite par le truchement de MM. Gulab Dass et Rajesh Pratap avant d’examiner le témoignage de M. Dhami.

Rappelons que M. Dass est originaire des Indes orientales. Il a occupé chez l’intimée le poste de commis aux comptes généraux (CR- 3) de septembre 1982 jusqu’à la fin de son emploi pour une période déterminée le 31 mars 1984.

Il était le dernier sur la liste des dix- sept employés dont le contrat d’emploi ne devait pas être renouvelé à la suite des coupures budgétaires et, comme M. Dhami et Jean Coventry, il a été renvoyé le 31 mars 1984.

M. Dass prétend qu’il en était à sa troisième année vers l’obtention du titre de comptable général licencié et qu’il avait acquis à l’étranger environ dix années d’expérience avant de commencer à travailler pour l’intimée. Son rendement a été évalué par Jennifer Able, son supérieur immédiat, le 19 juillet 1983 et il a obtenu la cote entièrement satisfaisant. Dans son témoignage, M. Enos a déclaré par la suite que cette évaluation était (TRADUCTION) trop généreuse. Le rapport d’évaluation de M. Dass est reproduit à l’onglet 2 de la pièce HR- 2.

M. Dass travaillait alors à la Sous- section des comptes généraux. Il a été transféré plus tard à la Sous- section des comptes de programme où M. Dhami lui prêtait main forte de temps à autre, car M. Dass éprouvait apparemment moins de gêne à lui demander son aide qu’à s’adresser à sa surveillante.

M. Dass s’est montré sévère à l’égard de sa surveillante, Ronnie Walters, dont l’attitude envers lui (TRADUCTION) était plutôt négative. (TRADUCTION) Elle ne me parlait pas avant que je sois transféré dans son service et c’est à ce moment- là seulement (TRADUCTION) qu’elle a commencé a être très gentille avec moi.

Ronnie Walters a pris sa retraite en 1983 et elle n’a pas eu connaissance des événements qui ont mené au renvoi de M. Dass en mars 1984. Selon celui- ci, elle avait été sa surveillante pendant une période très brève, une semaine exactement, et il semble qu’elle ait été absente pour des raisons de santé et qu’elle ait été en congé pendant une bonne partie de la période qui a précédé sa retraite en septembre 1983.

Quoi qu’il en soit, un examen attentif du témoignage de M. Dass ne révèle aucun incident précis, sauf peut- être une certaine réserve manifestée à son égard avant son transfert dans le service de Mme Walters qui a alors apparemment adopté une attitude plus réceptive, qui justifie la description faite à l’enquêteur de la Commission des droits de la personne par M. Dass qui qualifie Ronnie Walters (TRADUCTION) de vache, de parfaite raciste.

Interrogé sur cette déclaration au cours du contre- interrogatoire, M. Dass a répondu (page 261 de la transcription) :

(traduction)

"Bien, cette déclaration a été faite lorsque je me suis adressé aux gens des droits de la personne, ici, vous savez.

Peu après le non- renouvellement de son contrat d’emploi avec l’intimée en mars 1984, M. Dass a déposé une plainte auprès de la Direction antidiscrimination de la Commission de la fonction publique et il en a informé M. Dhami. M. Dass a été vague, sinon évasif, sur les résultats de l’enquête menée par la direction. Pressé de répondre, il a reconnu que sa plainte de discrimination raciale avait été rejetée.

Il a soutenu que des rapports étroits existaient entre Ronnie Walters et Steve Enos qu’il a décrits comme (TRADUCTION) des vieux ayant travaillé pendant un certain nombre d’années dans ce service[...] Ronnie Walters et Steve Enos étaient de bons amis au bureau. Comme Ronnie Walters avait pris sa retraite et n’avait aucunement participé à l’évaluation faite par Mme Kozak, surveillante de M. Dass pendant l’application de l’ordre inverse du mérite en mars 1984, il est difficile de comprendre, en supposant que Mme Walters ait réellement établi des distinctions fondées sur la race entre M. Dass et les autres employés, comment elle aurait pu exercer une influence sur les mauvais résultats qu’il a obtenus au cours de l’évaluation par rapport aux autres employés nommés pour une durée déterminée.

Le seul lien, et il est ténu, est que Ronnie Walters et Steve Enos étaient (TRADUCTION) de bons amis. Nous reviendrons sur la participation de M. Enos à l’évaluation lorsque nous examinerons la déposition des autres témoins.

Selon nous, on peut résumer le témoignage de M. Dass sur la discrimination raciale en reproduisant l’extrait suivant tiré de son interrogatoire principal (page 229 de la transcription) :

(TRADUCTION)

Q. Je vous demande s’il y a eu des incidents, des faits, des choses que vous avez vus, ou des choses qu’on vous a dites, qui vous ont amené à croire que c’est en raison de votre couleur que vous ne seriez pas retenu?

R. Non, je ne peux citer de faits, vous savez. Il y a eu ... on ne nous a rien montré qui permette de croire qu’il s’agissait de discrimination raciale, rien, mais il m’est venu à l’esprit que, vous savez, il y avait tellement d’autres personnes qui étaient censées être congédiées en même temps que nous. Et parce que... seulement trois personnes ont été désignées parmi le groupe. Et je crois que nous étions seulement... nous étions trois personnes de couleur et... et les autres sont encore là.

Q. Oui.

R. C’est cette chose... c’est à cause de cette chose, vous savez... il y a une sélection, treize ou quatorze personnes sont choisies dans un groupe, d’accord? et de ce groupe nous étions, les deux... les deux seules personnes originaires des Indes orientales, vous savez.

Q. Très bien.

R. Maintenant, c’est tout ce que je peux dire que... nous avons été choisis pour des motifs raciaux. Mais ils ne nous ont pas montré à moi ni à Terry, vous savez, qu’ils n’aimaient pas notre couleur ou quelque chose du genre. C’est... c’est sur fait que je m’appuie. Je peux me tromper ou je peux avoir raison.

Q. Oui.

R. Je ne sais pas.

Q. Maintenant, d’après votre expérience quotidienne au travail, est- ce que vous sentiez dans certaines circonstances que vous n’étiez pas traité comme les autres.

R. Non.

Q. Non? Très bien. Maintenant, est- ce Ronnie Walters vous a jamais fait de commentaires négatifs.

R. Non.

Q. A propos de votre travail?

R. Non.

Il ressort nettement de l’extrait reproduit ci- dessus que M. Dass n’a pas été en mesure de fournir des faits ni de décrire d’incidents, tirés soit de sa propre expérience ou d’observations faites au sujet de M. Dhami, susceptibles de l’amener à conclure que lui ou M. Dhami faisaient l’objet de discrimination raciale au travail. Il semble être arrivé à la conclusion qu’il était victime de discrimination en se fondant, à tort, sur le fait que les trois employés des Opérations comptables dont le contrat d’emploi n’a pas été renouvelé étaient des personnes de couleur. En réalité, la troisième employée était Jean Coventry, qui ne fait pas partie d’une minorité visible.

Manifestement déçu que son contrat ne soit pas renouvelé, M. Dass a cru que les coupures budgétaires alléguées étaient une excuse pour se débarrasser de lui. En fait, ce n’est que le dernier jour de son emploi, lorsqu’il a été informé par M. Enos que son contrat ne serait pas renouvelé, qu’il s’est rendu compte qu’il n’était pas traité comme les autres employés. Cependant, il a admis qu’il lui était arrivé d’être surpris en train de dormir au travail et que lorsqu’il a été transféré de la Sous- section des comptes généraux à celle des comptes de programme, on lui a dit qu’il devrait se corriger et consacrer davantage de temps à assurer le suivi des factures en souffrance et des engagements.

Le Tribunal estime que M. Dass n’est pas un témoin crédible. Il ressort nettement de son propre témoignage et d’autres dépositions acceptées par le Tribunal, que les habitudes de travail de M. Dass étaient malheureusement médiocres et qu’il commettait des erreurs nécessitant une surveillance permanente et des rectifications continuelles. M. Andrew Netzel, l’un des chefs d’unité qui a témoigné pour l’intimée, connaissait le rendement de M. Dass et il a fait les commentaires suivants à ce sujet (page 594 de la transcription) :

(TRADUCTION)

Q. Maintenant, les personnes qui se sont classées je pense 16e et 17e, Coventry et Dass, vous rappelez- vous des discussions qui ont eu lieu à leur sujet?

R. Je me souviens de Gulab Dass. Pour être franc, je ne crois pas que le contrat d’emploi de Gulab aurait été renouvelé même s’il n’y avait pas eu ces coupures budgétaires. Il était vraiment un mauvais employé. Je passais beaucoup de temps à aller voir Gulab pour rectifier les erreurs qu’il ne commettait pas seulement une fois mais qu’il répétait sans cesse. Il était, à cet égard, une personne très, très frustrante. Son travail était mauvais.

Dans son témoignage, M. Dass a donné l’impression de choisir ses mots avec une extrême prudence comme s’il se souciait d’éventuelles répercussions. Bon nombre des réponses étaient modérées par la réserve (TRADUCTION) Je ne sais pas si c’est vrai ou non. C’est simplement ce que je pensais. Ses souvenirs au sujet de certains événements étaient en vagues et incertaines et, à certains égards, il semblait évasif. Nous attachons donc peu de poids, sinon aucun, au témoignage de M. Dass en ce qui concerne la question dont est saisi le tribunal.

Quant à M. Rajesh Pratap, également originaire des Indes orientales, il a commencé à travailler pour la Direction des opérations comptables de l’intimée en juin 1980. Il a obtenu un poste de commis (CR- 3) aux comptes généraux, à titre d’employé nommé pour une période déterminée. Il s’agit d’un poste de débutant et M. Pratap est toujours au service du gouvernement fédéral à titre d’inspecteur des douanes et accises à l’aéroport international de Vancouver. Son séjour à la Direction des opérations comptables de l’intimée a été relativement bref, soit huit mois.

Il dit que lorsqu’il s’est présenté au travail en juin 1980, il s’agissait de son premier emploi au service du gouvernement fédéral et qu’il était (TRADUCTION) plutôt nerveux et tendu, bien s r. Il a ensuite décrit de façon assez détaillée l’accueil qu’on lui a réservé lorsqu’il s’est présenté et qu’il a d attendre pendant vingt ou trente minutes. Il a remarqué que la réceptionniste avait annoncé son arrivée à M. Enos et il a eu l’impression, d’après le comportement de celui- ci et ce qu’il a pu lire sur son visage, qu’il n’était pas content de le voir. M. Enos a fini par lui serrer la main et le faire entrer dans son bureau en lui disant qu’il n’avait besoin de personne pour le moment. Il lui a demandé : (TRADUCTION) Qui vous a dit de venir ici et de commencer à travailler aujourd’hui? M. Pratap dit qu’il a répondu que le personnel lui avait téléphoné pour qu’il se présente au travail ce jour- là et il lui a demandé [TRADUCTION] Y a- t- il quelque chose qui cloche? M. Enos a répondu par la négative, mais il a dit qu’il téléphonerait au personnel (TRADUCTION) pour voir ce qui s’était passé. De toute façon, puisque vous êtes là, je vais vous expliquer rapidement ce que nous faisons.

Le témoin prétend que la Direction des opérations comptables manquait alors de personnel, et il s’est plaint du fait qu’il n’a pas été présenté à son supérieur immédiat et qu’il a été installé à un petit bureau (TRADUCTION) à l’écart dans un coin. On lui aurait dit de simplement s’asseoir et d’observer ce qui se passait. Il a dit qu’il se sentait (TRADUCTION) très mal à l’aise et qu’il avait l’impression qu’il n’aurait pas d se trouver là.

Contre- interrogé sur la première rencontre avec M. Enos, il a reconnu qu’il était évident que M. Enos n’attendait pas de nouvel employé ce jour- là et que M. Enos n’avait été en aucun temps son surveillant direct. Interrogé par le Tribunal, il a établi une comparaison entre ses conditions de travail actuelles, à titre d’inspecteur aux douanes et accises à Revenu Canada, ministère qualifié par le témoin de bien organisé, et les conditions qu’il a connues lorsqu’il travaillait pour l’intimée. Dans l’extrait qui suit (page 305 de la transcription), M. Pratap explique ce qu’il pense du premier emploi obtenu chez l’intimée :

[TRADUCTION]

Q. Très bien. Est- ce que vous êtes content de votre poste actuel à Revenu Canada, à la Direction des douanes?

R. Oui. Il est très difficile pour moi d’expliquer comment je me sens maintenant. Lorsque j’ai commencé, c’était mon premier emploi, je me suis dit : comment diable... passez- moi l’expression... le gouvernement du Canada gère- t- il ses affaires de cette façon? Une confusion totale régnait dans ce service. Je ne savais pas de qui je relevais... et ainsi de suite.

En revanche, Revenu Canada est si bien organisé. Vous relevez d’un surintendant à qui vous demandez de l’aide s’il y a des problèmes. Les inspecteurs font la rotation. Ils ont en main une liste publiée et ils la suive. C’est un excellent service et je suis très content d’y travailler.

Il est révélateur que pendant la période où M. Pratap a commencé à travailler pour l’intimée, l’intégration du ministère de la Main- d’oeuvre et de l’Immigration avec la Commission de l’assurance- chômage battait son plein. Le témoignage de M. Pratap, ainsi que celui d’autres témoins, laisse à penser que l’intégration des deux directions a entraîné des bouleversements, sinon de la confusion. M. Enos, qui a déclaré qu’il était incapable de se souvenir de cet incident précis ni d’un autre incident le concernant, lui et M. Pratap, a un air plutôt sévère, pour ne pas dire rébarbatif. Il souffre d’un léger défaut d’élocution. Bien s r, il participait à la réorganisation qui avait lieu lorsque M. Pratap s’est présenté au travail en septembre 1980.

Le deuxième incident concernant M. Enos s’est produit pendant un cours de formation du personnel alors que, selon M. Pratap, il a été mis à part par M. Enos qui (TRADUCTION) s’est penché vers moi et a dit : Certains d’entre nous sont nouveaux et certains sont très bleus ici. Selon M. Pratap, M. Enos a fait ce commentaire en le regardant droit dans les yeux. Lorsque l’avocat de l’intimée lui a demandé, pendant l’interrogatoire principal, ce qu’il pensait de cette remarque, il a répondu ce qui suit (page 276 de la transcription) :

[TRADUCTION]

R. Je - il est très difficile de vous dire. Je ne connaissais pas certaines des personnes qui m’entouraient, bien s r. En tant que personne de couleur, une remarque de ce genre me mettait mal à l’aise en quelque sorte. Et comme je regardais dans la pièce, j’ai vu certaines personnes rire ou afficher un petit sourire narquois. Je n’en ai pas fait un plat. Je n’ai rien rajouté et je me suis dis que peut- être il s’agissait d’une remarque impromptue. Et je n’ai rien dit, et c’est tout.

Durant le contre- interrogatoire, M. Pratap a convenu que le mot bleu est employé pour désigner un nouvel employé ou un débutant et que c’était le premier cours de formation auquel il assistait. Interrogé sur la question de savoir si ce mot convenait dans les circonstances, sa réponse a été la suivante (page 298 de la transcription) :

R. Peut- être pour vous monsieur, mais ce n’est pas ainsi que je l’ai pris. Il faut que vous teniez compte de l’ensemble des faits : l’attitude des personnes réunies dans la salle de conférence, le fait que je sois une personne de couleur et qu’il y ait d’autres nouveaux employés.

La raison... En premier, je pensais à peu près comme vous maintenant. C’est pourquoi je n’en ai pas fait un plat et je n’en ai discuté avec personne. Et comme je l’ai dit, je me sentais mal à l’aise. Cependant, au plus profond de moi- même, je... Je sentais que cette remarque visait la couleur de ma peau. Voilà ce que j’ai à dire.

Q. Etes- vous d’accord avec moi pour dire que le mot bleu, en plus de désigner une couleur, veut dire que vous êtes nouveau?

R. Je suis obligé d’en convenir parce que c’est un fait, c’est vrai. Il y a d’autres définitions du mot bleu.

Mis à part ces deux incidents, certains faits mineurs ont apparemment amené M. Pratap à conclure qu’il faisait l’objet d’une discrimination de la part de ses supérieurs à la Direction des opérations comptables de l’intimée. L’un des événements s’est produit pendant les vacances de Noël, peu de temps après qu’il eut commencé à travailler. On lui a demandé de travailler un quart complet, alors que ses collègues avaient congé. Selon lui, Ronnie Walters lui aurait dit de travailler, mais des éléments de preuve démontrent que c’était plutôt Gertie Holmes, décédée depuis, qui était sa surveillante à cette époque. M. Pratap a eu de la difficulté à se rappeler de laquelle il s’agissait. Quoi qu’il en soit, l’incident s’explique du fait qu’un nouvel employé ne jouit pas des mêmes avantages et privilèges que ses collègues plus anciens.

Bien que le témoin l’ait nié, il y a eu une insinuation de discrimination raciale à l’issue d’un concours tenu en décembre 1980 et auquel M. Pratap a présenté sa candidature pour l’obtention d’un poste de niveau CR- 4 à la Direction des opérations comptables. Il a rappelé les cours de comptabilité qu’il a suivis au Langara College et il a ensuite raconté comment il a échoué au concours alors qu’une personne de race blanche qui postulait son premier poste au sein du gouvernement fédéral, était conducteur de taxi et affublée d’un défaut de langage, a été acceptée.

Les témoignages indiquent que lorsque M. Pratap s’est présenté au concours pour l’obtention d’un poste de niveau CR- 4 en décembre 1980, son supérieur immédiat était Gertie Holmes, qui l’a recommandé au jury de sélection présidé par M. Jim Hayre, lui- même originaire des Indes orientales.

M. Arvind Reddy, originaire des Indes orientales, qui a été cité pour l’intimée, travaillait à la Direction des opérations comptables en 1980 et occupait le même poste de débutant que M. Pratap. M. Reddy, qui est maintenant titulaire d’un poste de conseiller financier chez l’intimée, ayant réussi à se hisser à ce poste supérieur grâce à une série de concours, a été supervisé à différentes périodes par Gertie Holmes, Ronnie Walters et Steve Enos. Interrogé au sujet de son expérience de travail à la Direction des opérations comptables, il répond ce qui suit (page 961 de la transcription) :

(TRADUCTION)

Q. Monsieur, connaissiez- vous M. Pratap?

R. Oui, je le connaissais.

Q. Avez- vous travaillé aux Opérations comptables en même temps que lui?

R. Oui.

Q. Avez- vous jamais fait l’objet d’une discrimination raciale alors que vous travailliez aux Opérations comptables?

R. Non. Si c’était le cas, je ne crois pas que j’occuperais mon poste à l’heure actuelle.

Pour apprécier le témoignage de M. Pratap, il faut se rappeler que chaque remarque désobligeante ou commentaire mécontent n’est pas nécessairement inspiré par le racisme. Chaque regard amer ou comportement apparemment discourtois ne vise pas nécessairement la personne concernée. Il se peut fort bien, cela est fréquent, qu’un malaise ou un mécontentement général soit ressenti par le personnel de bureau, y compris par les gestionnaires, lorsque se produisent des événements imprévus qui bouleversent la routine habituelle. Ces circonstances peuvent être diverses : des pressions exercées au moment d’une réorganisation et d’une intégration aux coupures budgétaires mal reçues, à l’arrivée d’un nouvel employé dont la présence accroît les responsabilités, nécessite un réaménagement du lieu de travail et rend obligatoire la fourniture d’une formation.

Même si l’on présume que les incidents décrits par M. Pratap et auxquels aurait pris part M. Enos étaient attribuables au racisme, peut- on en déduire, ces incidents ayant eu lieu quelque quatre ans avant le dépôt de la plainte de M. Dhami, qu’ils démontrent nécessairement chez M. Enos un comportement susceptible de nous amener à conclure qu’il éprouvait de l’antipathie pour M. Dhami? Nous ne le pensons pas. Dans la décision Ingram v. Natural Footwear, 1 C. H. R. R. D/ 59, rendue par la Commission ontarienne des droits de la personne, la plaignante, Mme Ingram, a affirmé que c’est par discrimination fondée sur la race ou la couleur qu’on lui a imposé notamment, des conditions de travail injustement pénibles, ce qui a entraîné son renvoi. Son supérieur immédiat, un certain M. Kowalewski, aurait fait preuve de discrimination raciale à son égard. Dans cette affaire, des éléments de preuve ont été produits pour étayer l’allégation de comportement discriminatoire de l’employeur faite par Mme Ingram et un certain nombre d’anciens employés de couleur ont été cités pour témoigner à ce sujet.

Le professeur John D. McCamus a fait les commentaires suivants sur ce type de preuve (paragraphe 532) :

(TRADUCTION)

En supposant à nouveau qu’on arrive à prouver l’existence d’un comportement discriminatoire, il faudrait encore franchir la prochaine étape qui consiste à établir un lien entre le comportement général et l’incident en question.

Selon nous, les éléments de preuve produits en l’espèce n’établissent pas l’existence d’un lien entre les incidents décrits par M. Pratap et ceux qui se sont produits trois ou quatre ans plus tard au sujet de M. Dhami. Nous ne voulons pas donner ici l’impression que les incidents décrits par M. Pratap et impliquant M. Enos étaient imputables au racisme. Nous ne sommes pas convaincus que tel était le cas et, en fait, nous sommes d’avis qu’une interprétation parfaitement inoffensive pourrait et devrait être donnée à ces incidents.

LE TÉMOIGNAGE DU PLAIGNANT, M. DHAMI, AU SUJET DE LA DISCRIMINATION RACIALE

Le témoignage de M. Dhami au sujet de la discrimination raciale vise deux personnes. Il s’agit de son supérieur immédiat, Mme Veronica Walters, qui a été chef de la Sous- section des comptes de programme et de M. Steve Enos, Chef des Opérations comptables.

Rappelons que Mme Veronica Walters a quitté la fonction publique fédérale en septembre 1983. Apparemment, elle ne se portait pas bien avant de prendre sa retraite et elle s’est absentée du travail pour des raisons de santé à plusieurs reprises. Elle n’a pas témoigné dans la présente instance.

Mme Walters a demandé à M. Dhami de s’occuper d’un programme qui était traité à l’époque par une collègue de M. Dhami, Mme Kathy Prince. Cela ferait changement d’après elle. Cependant M. Dhami explique qu’il a montré peu d’enthousiasme parce qu’il avait déjà travaillé avec ce programme qui était de surcroît (TRADUCTION) en désordre. (TRADUCTION) Tous les livres n’étaient pas à jour. Il a alors été informé par Mme Walters que son peu d’empressement à se rendre à sa demande serait reflété dans son évaluation officielle.

Après avoir discuté à deux reprises avec M. Dhami de son rendement, Mme Walters a rédigé un rapport d’évaluation daté de juin 1986 qui a été approuvé par M. Enos et contresigné par M. Dhami, voir la pièce HR- 2, onglet 3.

Dans son rapport, Mme Walters attribue à M. Dhami la cote (TRADUCTION) entièrement satisfaisant. Cette appréciation est, toutefois, assortie d’une réserve et à la rubrique (TRADUCTION) Motifs justifiant la cote, le commentaire suivant a été ajouté :

(TRADUCTION)

Terry traite à l’heure actuelle tous les comptes à payer, les demandes pour le FMPMS, le Service de diagnostic, les services d’établissement, et le Service de main- d’oeuvre agricole du Canada. Il n’a montré aucun intérêt à apprendre d’autres tâches ou des tâches différentes. Pendant l’entrevue portant sur son évaluation, Terry a été informé des points qu’il fallait améliorer. Il a promis d’apporter les corrections nécessaires.

C’est moi qui souligne. L’appréciation contenait également les commentaires suivants sous la rubrique (TRADUCTION) Points forts et points à améliorer :

(traduction)

"Jusqu’à ce que Terry soit en mesure de montrer plus d’intérêt à l’égard des tâches confiées à la section dans son ensemble, il sera impossible de détecter chez lui un potentiel quelconque. Il semble que lorsque M. Dhami a commencé à travailler pour l’intimée, il relevait d’une autre personne que Veronica Walters. Celle- ci ne savait peut- être pas qu’il s’était déjà occupé du programme faisant l’objet de ses objections. M. Dhami a convenu que son superviseur avait le droit d’exiger de lui qu’il travaille sur n’importe quel programme de sa section. Les questions et les réponses suivantes ressortent du contre- interrogatoire (p. 140 de la transcription) :

(TRADUCTION)

Q. M. Dhami, je vous pose la question, un superviseur de la Sous- section des comptes de programme peut- il vous demander, en tant qu’employé nommé pour une période déterminée, de travailler sur n’importe quel programme relevant de ce service?

R. Oui.

Q. Contestez- vous ce fait?

R. Non.

Cependant, M. Dhami a nié que les tâches d’un employé de niveau CR- 3 comportaient la rotation ou l’acceptation de différentes missions au sein de la Sous- section des comptes de programme à la demande du superviseur. Les personnes qui ont comparu pour l’intimée et l’un des témoins du plaignant, M. Pratap, confirment qu’on s’attendait à ce que les employés nommés pour une période déterminée effectuent une rotation pour acquérir de l’expérience dans d’autres domaines et les chefs d’unités les y encourageaient. M. Dhami lui- même a convenu qu’il pouvait être utile de connaître les autres programmes pour obtenir un poste permanent de niveau CR- 4 chez l’intimée.

Bien que M. Dhami n’ait pas été satisfait du rapport d’évaluation de Mme Walters, il ne s’est pas plaint, ni officiellement ni officieusement à qui que ce soit à cette époque. Il a convenu pendant le contre- interrogatoire que le rapport d’évaluation rédigé par Mme Walters en juin 1983 était plus satisfaisant et constituait une meilleure appréciation de son rendement, d’après lui, que celui préparé par Mme Kozak en mars 1984 pendant l’application de l’ordre inverse du mérite.

M. Dhami prétend qu’il a apporté des améliorations au programme du Service de diagnostic après être revenu de vacances et qu’il en a fait part à Mme Walters. Il dit qu’il aidait ses collègues lorsque ceux- ci éprouvaient des difficultés au travail. En se comparant aux autres employés de son unité, il a dit ce qui suit (page 28 de la transcription) :

(TRADUCTION)

Je travaillais aussi fort et il n’y a jamais eu de plainte au sujet de mon travail, alors, je pense que j’étais aussi bon, sinon meilleur, que les autres. Mme Kozak, dernier superviseur de M. Dhami qui l’a exonérée de toute motivation raciste, ne partage pas le point de vue exprimé par M. Dhami au sujet de ses habitudes de travail.

M. Dhami prétend que Mme Walters a fait preuve de discrimination fondée sur la race dans ses rapports avec M. Dass et lui- même. Pour étayer ses affirmations, il invoque les commentaires faits dans son évaluation par Mme Walters au sujet de son peu d’enthousiasme à s’acquitter d’autres tâches. Il prétend que les améliorations qu’il a apportées au programme du Service de diagnostic, ses efforts pour se perfectionner et l’aide donnée à ses collègues n’ont pas été appréciés à leur juste valeur.

Les améliorations qu’il prétend avoir apportées au programme du Service de diagnostic consistaient, en fait, à corriger les changements effectués par une autre personne alors qu’il était en vacances et à rédiger de nouveaux formulaires pour qu’il soit plus facile de travailler avec le programme et que celui- ci soit plus à jour. Dans une déclaration faite à l’enquêteur de la Commission des droits de la personne, M. Dhami aurait dit au sujet de ce programme (TRADUCTION) Kozak m’a demandé de supprimer certaines vieilles rubriques qui n’auraient pas d s’y trouver, cela n’avait rien à voir avec la réorganisation que j’ai faite. Lorsque l’avocat a suggéré qu’après son départ le programme était dans un état lamentable, M. Dhami a laissé entendre (que si tel était le cas) M. Dass en était responsable, car il avait repris le programme un mois avant le non- renouvellement de leur contrat d’emploi.

L’auto- perfectionnement consistait en un cours suivi au Langara College et intitulé (TRADUCTION) Notions fondamentales en comptabilité. M. Dhami n’a produit aucune preuve documentaire pour démontrer qu’il avait effectivement suivi le cours ou obtenu les notes qu’il a obtenues selon lui lorsque le tribunal le lui a demandé.

Mis à part les circonstances énoncées ci- dessus, le seul autre élément de preuve qu’on puisse tirer du témoignage de M. Dhami au sujet de la discrimination raciale dont aurait fait preuve Mme Walters se rapporte à ses brefs rapports avec M. Dass. Selon M. Dhami, pendant le mois durant lequel M. Dass relevait de Mme Walters, celle- ci ne lui a pas donné la formation adéquate ni fourni l’aide dont il avait besoin pour résoudre ses problèmes.

Cette façon d’agir à son égard contrastait avec l’accueil fait à d’autres employés qui, d’après M. Dhami, ont été mieux traités par Mme Walters.

Pressé sur ce point, M. Dhami a convenu que M. Dass avait des problèmes avec les rapprochements lorsqu’il a été transféré de la Sous- section des comptes généraux à celle des comptes de programme. Il a également vu M. Dass dormir quelquefois.

Mme Veronica Walters n’a pas participé aux réunions des chefs d’unité en mars 1984 et aucun élément de preuve n’a été produit pour démontrer que M. Enos ait participé activement aux délibérations de ses chefs d’unité avant que leurs évaluations respectives ne lui soient soumises. Il est fort probable que M. Enos ait été au courant de l’évaluation de M. Dhami, laquelle avait été faite par Mme Walters en juin 1983, puisqu’il a signé le rapport. Nul doute qu’il souscrivait à l’évaluation indépendante du rendement de M. Dhami et des autres employés qu’avait entreprise Mme Rose Kozak au début de mars 1984, et qui a mené à sa note de service du 12 mars 1984 à M. Coleman.

Comme Mme Walters avait pris sa retraite et que M. Enos n’a pas participé activement aux évaluations de mars 1984, il est difficile de comprendre, même si l’on présume que l’une de ces personnes ou les deux étaient racistes, sur quoi se fonde M. Dhami pour soutenir qu’ils sont de quelque manière responsable de la cote inférieure qui lui a été attribuée à la suite de l’application de l’ordre inverse du mérite qui a conduit au non- renouvellement de sa nomination pour une période déterminée.

Selon les éléments de preuve présentés en l’espèce, Mme Walters a présidé le jury de sélection qui a accepté la candidature de M. Dhami en 1981. Ce fait n’est pas compatible avec l’accusation faite contre elle par M. Dhami. M. Dass, qui a porté une accusation similaire contre Mme Walters, a convenu qu’il n’a pas été traité différemment des autres employés et qu’elle n’a pas fait de commentaires négatifs à son égard ni au sujet de son travail.

Quant à M. Enos, selon M. Dhami il a fait preuve de discrimination en (TRADUCTION) prêtant une oreille très attentive à Ronnie Walters et en souscrivant à l’appréciation de son rendement faite par Mme Rose Kozak au moment de l’application de l’ordre inverse du mérite en mars 1984. Il serait étrange qu’un gestionnaire n’écoute pas les avis exprimés par ceux à qui une mission de surveillance a été confiée et qui sont en contact personnel direct avec les employés et, donc, mieux en mesure de se faire une opinion. Il est impossible au Tribunal d’interpréter les rapports de M. Enos avec M. Dhami comme de la discrimination fondée sur la race parce qu’il écoutait ces opinions et s’appuyait sur elles. En revanche, la preuve révèle que M. Enos a autorisé la demande de congé prolongé faite par M. Dhami qui désirait se rendre aux Indes pour prendre des dispositions en vue de son mariage. M. Enos a également participé et souscrit à la décision prise par M. Coleman d’envisager le réembauchage de M. Dhami, conformément à la note de service du 12 avril 1984, pièce R- 1, onglet 8.

Décrivant ses rapports avec M. Dhami, M. Enos a déclaré ce qui suit (page 691 de la transcription) :

(TRADUCTION)

R. Bien, je pense vraiment que M. Dhami s’entendait assez bien avec tout le monde. Je m’entendais fort bien avec Terry. Dans les faits, nous avons toujours eu de bons rapports pour l’essentiel en ce qui concerne un type personnel - pas personnel, je veux dire, dans l’ensemble. Il s’est toujours bien présenté."

Dans son témoignage et dans son comportement à l’égard de M. Dhami, M. Enos n’a manifesté aucune hostilité, et l’on éprouve les plus grandes difficultés à déceler des traces de racisme. Au contraire, il semble que Enos ait agi de façon convenable et équitable dans ses rapports avec M. Dhami. Il est vrai qu’il n’avait pas une haute opinion du rendement de M. Dhami, en raison non seulement des opinions de Mme Walters et de Mme Kozak mais aussi à cause de ses propres observations. A titre de chef des Opérations comptables, les préoccupations exprimées par M. Enos à ce sujet étaient légitimes. Il est également vrai que M. Enos a présidé un jury de sélection en octobre 1984 à l’occasion d’un concours auquel M. Dhami s’est présenté et auquel il a échoué. Les circonstances de ce concours seront décrites plus en détail ci- dessous.

Le Tribunal conclut qu’il n’y a aucune preuve directe de discrimination de la part de Mme Walters ou de M. Enos qui revête un tel poids et qui soit si concluante qu’une personne raisonnable n’aurait d’autre choix que de trancher en faveur de M. Dhami en l’absence d’une explication raisonnable. Le tribunal sait que dans des cas comme celui- ci, la preuve d’une conduite manifeste qui étayerait l’allégation de discrimination raciale est difficile et qu’il existe des attitudes, des sentiments ou des comportements subtils et indéfinissables qui se révèlent dans certaines situations et qui sont racistes.

Il y a des éléments de preuve au dossier qui permettraient à un homme raisonnable de trancher en faveur du plaignant mais nous ne sommes pas convaincus qu’il faut conclure en ce sens parce que l’intimée a fourni une explication raisonnable pour expliquer un comportement qu’on aurait autrement pu qualifier de discriminatoire.

Il convient donc d’examiner dans le détail les règles suivies dans le cas de M. Dhami pour vérifier si elles étaient viciées au point qu’il faut conclure qu’il a injustement fait l’objet d’une discrimination fondée sur sa race, sa couleur ou son origine ethnique ou nationale.

DISCRIMINATION DANS L’APPLICATION DES REGLES SUIVIES

a) Mars 1984 - Ordre inverse du mérite

Les règles suivies par l’intimée, sur le conseil de son directeur du personnel, devaient permettre d’affronter une situation exceptionnelle qu’on n’avait pas connue avant les coupures budgétaires de 1984. Elles ont été appliquées à nouveau en 1985 lorsqu’une situation similaire s’est présentée à la suite d’importantes coupures budgétaires.

Cette façon de procéder visait à atteindre deux objectifs : a) dresser une liste de priorité pour la mise en disponibilité graduelle des employés nommés pour une période déterminée dont le rendement, mesuré selon le principe du mérite, n’était pas à la hauteur de celui de leurs collègues et b) maintenir autant que possible le niveau de service antérieur aux réductions de personnel en gardant les meilleurs employés pour la fin.

Le concept est fondé sur le principe du mérite et, en pratique, ni les connaissances, qui sont tenues pour acquises, ni l’ancienneté ne sont prises en considération.

Le poste de chef d’unité ou superviseur est demeuré sans titulaire pendant plusieurs mois après le départ de Mme Walters en septembre 1983. En décembre de la même année, Mme Rose Kozak a été nommée chef de la Sous- section des comptes de programme. Selon son témoignage, qui n’a pas été contredit et que le Tribunal accepte, lorsqu’elle est entrée en fonction, elle n’a pas tenu compte des évaluations antérieures, écrites ou orales, des employés placés sous sa surveillance. Elle a préféré se faire elle- même une opinion. D’après sa déposition ainsi que celle de plusieurs témoins cités pour l’intimée, elle a évalué les capacités et les qualités de chacun selon l’ordre inverse du mérite, en consultation avec d’autres superviseurs ou chefs d’unité. L’évaluation a pris la forme d’une série de réunions auxquelles ont participé les quatre chefs d’unité et dont le point culminant a été la réunion avec M. Enos le 7 mars 1984.

Lorsque Mme Rose Kozak est devenue chef du service, il y avait aux Comptes de programme sept employés nommés pour une période déterminée, dont MM. Dhami et Dass.

D’après Mme Kozak, les employés de son service ont tous été évalués pendant la même période durant laquelle elle a observé comment ils s’acquittaient de leurs tâches. Les critères d’évaluation étaient leur capacité et leurs qualités personnelles. Elle nie avoir été influencée par le chef des Opérations comptables, M. Enos, et elle soutient que celui- ci ne lui a pas fait de commentaires négatifs au sujet de M. Dhami ni de M. Dass.

Selon elle, M. Dhami s’occupait alors de trois programmes qu’elle décrit comme le Programme de subvention salariale transférable, le Service de diagnostic et le Service de main- d’oeuvre agricole du Canada. Ces programmes étaient assez simples et il restait du temps à l’employé après l’exécution de ses tâches. D’après Mme Kozak, M. Dhami passait, plus souvent que les autres, une bonne partie de son temps libre au téléphone et elle a d à l’occasion, lui laisser des notes lui demandant de la voir (TRADUCTION) quand il aurait fini sa conversation téléphonique.

M. Dhami n’avait pas autant d’initiative que les autres employés et lorsqu’il avait terminé, il ne demandait pas qu’on lui donne d’autres genres de mission pour parfaire ses connaissances. Dans son témoignage, Mme Kozak a déclaré qu’il ne prenait pas volontiers du travail et qu’elle trouvait plus facile de s’adresser à d’autres employés qui acceptaient les affectations de bon coeur.

Mme Kozak a demandé une fois à M. Dhami d’aider une collègue, Kathy Prince. Il a d’abord refusé en alléguant que ce n’était pas son programme. Puis, comme Mme Kozak insistait, il a fini par se rendre à sa demande.

Elle a évalué M. Dass, aussi bien que M. Dhami, selon l’ordre inverse du mérite. En ce qui concerne M. Dass, elle a noté que son rendement n’était pas satisfaisant et qu’elle l’avait surpris à dormir au bureau.

Mme Kozak et d’autres chefs d’unité qui ont participé à l’application du principe de l’ordre inverse du mérite ont soutenu que M. Enos n’a pas assisté à leurs délibérations et qu’il n’a pris aucune part active aux réunions des quatre chefs d’unité au début de mars 1984. Durant le contre- interrogatoire, M Kozak a décrit, à la demande de l’avocat, comment elle avait procédé à l’évaluation des employés de son service (p. 925 de la transcription):

(TRADUCTION)

Q. Je vois. Vous avez trouvé difficile, n’est- ce pas, d’évaluer vos employés, étant donné qu’il n’y avait que trois mois que vous travailliez avec eux?

R. C’était difficile, j’en conviens, mais j’ai fait de mon mieux pour les évaluer, et ils ont tous été évalués de façon équitable parce que les appréciations ont été faites pendant la même période. Je n’ai pas été influencée par l’ancien superviseur parce qu’elle avait pris sa retraite. Elle n’était plus là. Je n’ai même pas eu l’occasion de lui parler.

Je voulais les évaluer moi- même. Il s’agissait de mes employés et je voulais garder les employés qui travaillaient afin de pouvoir traiter les documents pour les services. Je voulais assurer le fonctionnement du service le plus longtemps possible. Je voulais les meilleurs.

Nous pensions que tous nos employés nommés pour une période déterminée seraient.. ou que nous ne pourrions pas prolonger la durée de leur emploi. Alors nous pensions être obligés de nous passer de nos employés nommés pour une période déterminée. Nous en avions désespérément besoin.

Mme Kozak a témoigné qu’en évaluant M. Dhami, elle s’était rendu compte qu’il donnait satisfaction en ce qui concerne les capacités et les relations interpersonnelles mais qu’il manquait de souplesse, d’initiative et de maturité; son rendement laissait aussi à désirer en ce qui concerne l’ordre, la minutie et la vigilance. Il s’agit de qualités faisant partie des exigences fondamentales pour un commis aux Comptes généraux sous la rubrique générale des qualités personnelles (voir pièce R- 2, onglet 13). Selon Mme Kozak, M. Dhami ne donnait pas sa pleine mesure.

Avant le concours pour le poste de niveau CR- 4 en février 1984 auquel M. Dhami s’est présenté, Mme Kozak a vu à ce que M. Dhami puisse s’y préparer en revoyant avec lui la documentation à étudier et en prenant des dispositions pour qu’il consacre la moitié de la journée, pendant une semaine, à se familiariser avec les fonctions accomplies dans d’autres sections des Opérations comptables. De son propre aveu, M. Dhami a consacré exactement une demi- journée à se familiariser avec le travail des employés des autres sections. Mme Kozak en a pris note et, selon ses propres termes :

(traduction)

"J’avais été un peu déçue à l’époque à cause du temps passé à revoir la documentation, à prendre des dispositions pour qu’il aille là- bas, pour qu’il n’y fasse finalement qu’un bref passage.

Tous les témoins, y compris M. Dhami, s’entendent pour dire qu’il était utile de connaître les différents programmes des Opérations comptables pour arriver à obtenir chez l’intimée un poste de niveau CR- 4 pour une période indéterminée.

Le fait que M. Dhami n’ait pas su mettre à profit la chance offerte par Mme Kozak de se familiariser avec les autres programmes a très probablement un rapport avec son échec au concours pour le poste de niveau CR- 4 en février 1984.

Pour coter leurs employés, les chefs d’unité ont appliqué un système fondé sur les huit catégories énumérées dans l’énoncé des qualités et des exigences pour les commis aux Comptes généraux sous la rubrique capacités et qualités personnelles (pièce R- 2, onglet 13).

Lorsqu’un employé satisfaisait aux exigences prévues pour une catégorie donnée, on lui attribuait un code signifiant qu’il se classait parmi ceux qui (TRADUCTION) dépassaient les exigences, ceux qui (TRADUCTION) remplissaient les exigences ou ceux qui (TRADUCTION) ne remplissaient pas les exigences (pièce R- 1, onglet 3, à la p. 4). M. Dhami a obtenu sept points, comme Jean Coventry. M. Dass a essuyé un échec complet, et contrairement à M. Dhami et à Jean Coventry, son réembauchage n’a pas été recommandé par la suite.

Des cotes ont été attribuées aux treize autres employés nommés pour une période déterminée, et les résultats ont été compilés sur une grille préparée par M. Netzel. Les notes oscillaient entre huit et 10 points et demi.

M. Enos a écrit ce qui suit au sujet des qualités personnelles de M. Dhami:

(TRADUCTION)

[...] manque d’initiative en ce sens qu’il ne manifeste pas d’emblée le désir d’apprendre, ni d’améliorer le système dont il s’occupe... satisfait d’occuper le même poste, il n’essaie pas d’apprendre de nouvelles choses ni d’apporter des idées nouvelles. Manque de maturité révélé par le fait qu’il n’emploie pas toute son énergie à se perfectionner comme l’indique l’impossibilité pour lui de réussir aux deux concours auxquels il s’est présenté pour l’obtention d’un poste de commis aux Dépenses de finance (niveau CR- 4).

Ces commentaires sont reproduits dans la pièce R- 1, onglet 3, à la p. 4. Ils constituent l’essentiel de la note de service dactylographiée du 12 mars que M. Enos a adressée à M. Coleman. Selon M. Enos, cette documentation est fondée sur les discussions qu’il a eues avec les chefs d’unité.

L’avocat a fait remarquer que l’échec au concours du poste de niveau CR- 4 n’aurait pas d être pris en considération dans les évaluations effectuées selon l’ordre inverse du mérite. D’autres employés, qui ont obtenu une cote supérieure à celle de M. Dhami, ont également échoué au concours ouvert pour le poste de niveau CR- 4. M. Enos en a convenu, précisant que le fait de mentionner l’échec de M. Dhami au concours pour un poste de niveau CR- 4 constituait un (TRADUCTION) mauvais choix de mots. Pressé par l’avocat au sujet de ce commentaire (qui est reproduit dans un contexte légèrement différent dans la note de service dactylographiée adressée à M. Coleman), M. Enos a répondu ce qui suit (p. 712 de la transcription):

(TRADUCTION)

Q. Vous étiez alors en mesure de le faire car vous avez écrit ce qui suit dans l’appréciation : Terry a eu les chances et s’est présenté devant des jurys de sélection pour le poste de commis aux Dépenses de finance (CR- 4), mais sans succès.

R. Oui, mais je peux expliquer cette phrase...

Q. Je vous demande si...

R. Oui, mais est- ce que je pourrais s’il- vous- plaît expliquer exactement ce que cela signifiait? En ce qui concerne Terry Dhami, à titre de commis aux Comptes généraux, comme je l’ai dit, il se présentait très bien et il était bien aimé. Il était... son superviseur a suggéré qu’il travaille aux Comptes généraux et qu’on lui donne la possibilité d’acquérir plus d’expérience dans d’autres domaines, d’accord, afin qu’il ait de meilleures chances de réussir devant un jury de sélection.

Le fait qu’il ait échoué devant le jury formé pour le concours du poste de niveau CR- 4, bien s r, signifiait pour moi qu’il y avait un manque d’effort et d’initiative de sa part, ce qui confirmait ce que pensait Rose Kozak, et c’est pourquoi ce commentaire a été mentionné dans ce contexte. Cela m’a frappé. Ce commentaire n’était pas déplacé à l’époque.

Le manque d’initiative de M. Dhami, démontré par le fait qu’il n’a pas su profiter des chances que lui offrait Mme Kozak de se préparer pour le concours ouvert pour le poste de niveau CR- 4, explique par conséquent la présence de ce commentaire dans l’appréciation rédigée par M. Enos.

Dans la note de service adressée à M. Coleman le 12 mars, M. Enos déclare ce qui suit:

(TRADUCTION)

[...] dans un premier temps, nous avons choisi trois employés dont la période d’emploi ne sera pas renouvelée à compter du 31 mars 1984. D’autres coupures de personnel seront effectuées le 13 de chaque mois pendant l’année.

Rappelons que les autres coupures de personnel prévues n’ont pas eu lieu. Les seules évaluations du personnel faites par M. Enos accompagnaient la note de service du 12 mars à M. Coleman. Les appréciations des quatorze autres employés nommés pour une période déterminée n’ont pas été communiquées par les chefs d’unité respectifs et elles ont servi de base pour les évaluations officielles subséquentes.

Interrogé par le Tribunal sur la question de savoir pourquoi les évaluations effectuées pendant l’application du principe de l’ordre inverse du mérite et rédigées par lui ne concernaient que les trois premiers employés, M. Enos a fourni l’explication suivante (page 872 de la transcription):

(TRADUCTION)

M. SHEPPARD: [...] par les évaluations écrites, mais vous n’avez pas jugé nécessaire de le faire pour les trois autres, et ensuite pour les deux autres.

R. Non, parce que c’était immédiat. Cela se produisait dans l’immédiat. Des mesures devaient être prises immédiatement, des lettres et des réunions avec ces personnes pour les informer de ce qui arrivait. Voilà pourquoi.

A la suite des évaluations faites par les chefs d’unité, M. Enos a commencé à mettre en oeuvre le plan des années- personnes en rencontrant les trois premiers employés concernés en présence de leur chef d’unité respectif. M. Dhami a été vu par M. Enos, en présence de son chef d’unité, Mme Rose Kozak.

M. Dhami n’a pas été en mesure de se rappeler que Mme Kozak avait assisté à l’entrevue, bien que Mme Kozak et M. Enos aient confirmé sa présence. Selon M. Dhami, M. Enos lui a dit pendant cette entrevue que son contrat d’emploi ne serait pas renouvelé et (TRADUCTION) qu’il n’avait pas apporté d’améliorations au programme dont il s’occupait; ça lui a donné un choc. Interrogé par l’avocat, M. Dhami a décrit son état d’esprit comme suit (page 37 de la transcription):

(TRADUCTION)

Q. Au moment de cette réunion avec M. Enos, lorsqu’il vous a informé du non- renouvellement de votre contrat, avez- vous seulement protesté?

R. Non.

Q. Pourquoi?

R. Parce que toute cette affaire m’avait donné un coup. Je ne pensais pas que ce serait moi qui partirait. Bien s r, des rumeurs de mise en disponibilité avaient circulé au sein des Opérations comptables pendant les quelques semaines qui avaient précédé cette entrevue. M. Dhami avait plus d’ancienneté que certains des employés qui ont été retenus, et il est fort probable qu’il ait présumé pour cette raison, qu’il ne serait pas parmi les premiers à partir. Ce fait ressort d’une conversation entre M. Dhami et son ami et confident, M. Reddy. Ce dernier l’avait rassuré en lui disant que son emploi n’était pas en jeu à cause de son ancienneté. Cependant, l’ancienneté n’était pas prise en considération pour l’application de la méthode adoptée par l’intimée dans les circonstances.

Le témoignage de M. Enos apporte une version différente de l’entrevue du mois de mars (pages 674, 675 et 676 de la transcription):

(TRADUCTION)

Q. Revenons à M. Dhami. Vous souvenez- vous de ce que vous lui avez dit, ou de ce qui est arrivé pendant l’entrevue?

R. Oui. Nous avons expliqué que nous n’obtiendrions pas d’autres ressources pour le prochain exercice et que, par conséquent, il nous fallait procéder à une réduction du personnel. Nous avons donc appliqué l’ordre inverse du mérite pour pouvoir garder les personnes les plus compétentes aux Opérations comptables, compte tenu de la très lourde charge de travail prévue.

J’ai ensuite indiqué que pendant l’évaluation faite selon l’ordre inverse du mérite, nous avions remarqué un manque d’effort et un manque d’intérêt évidents dans l’accomplissement de ses tâches.

Q. Très bien. Vous rappelez- vous Monsieur qui a le plus parlé pendant l’entrevue, Mme Kozak ou vous?

R. C’est moi qui parlait la plupart du temps.

Q. Très bien. Comment a réagi M. Dhami pendant l’entrevue?

R. Bien, il n’avait pas l’air trop préoccupé. En fait, durant l’entrevue, je me rappelle qu’il a dit qu’il avait postulé un emploi auprès des forces policières. Je ne suis pas certain s’il s’agissait de la police de la ville de Vancouver, mais c’était la police. Et, pour l’essentiel, il a admis qu’il manquait d’intérêt pour ce domaine particulier.

Q. Pour quel domaine particulier?

R. Pour les tâches qu’il accomplissait et le traitement des comptes, et ainsi de suite.

Q. Avez- vous été étonné de sa réaction? R. Non. Je n’étais pas étonné parce que cela ressortait nettement de ses habitudes de travail en général. Je veux dire qu’il manifestait un manque d’intérêt. Il ne demandait pas du travail comme le faisaient les autres. Lorsqu’il avait fini, il s’asseyait et parlait avec ses collègues ou quelqu’un d’autre, plutôt que d’essayer d’aider les autres employés, qui pouvaient être occupés, et de leur demander du travail.

Bien qu’il nie avoir dit à M. Enos qu’il envisageait de travailler pour la police, il est intéressant de noter que M. Dhami a reconnu, lorsque l’avocat lui a posé la question, qu’à un moment donné (TRADUCTION) après le milieu de mars, il avait envisagé d’entrer dans la police et avait apparemment posé sa candidature à un poste au service de police de la ville de Vancouver.

Au sujet de l’entrevue de M. Dhami, Mme Kozak a dit ce qui suit (pages 834 et 835 de la transcription):

(TRADUCTION)

Q. Et qui était là?

R. Steve Enos, moi- même et M. Dhami.

Q. Vous souvenez- vous de la discussion qui a eu lieu?

R. Oui.

Q. Que s’est- il passé?

R. Bien, nous lui avons expliqué qu’il y avait des coupures budgétaires et nous lui avons dit que nous ne renouvellerions pas son contrat d’emploi. Nous lui avons indiqué que nous pensions qu’il aurait pu mieux s’acquitter de ses tâches, qu’il n’y mettait pas autant d’effort que certains autres employés, et il en a convenu. Il a dit : oui, je sais. J’aurais pu faire mieux. Je sais que je ne fais pas aussi bien que je pourrais. Je sais que je peux faire mieux.

Après avoir entendu M. Dhami ainsi que les témoins, y compris M. Reddy, ancien compagnon d’études et ami de M. Dhami, on a l’impression d’un jeune homme aux manières amicales et ouvertes, qui se présentait bien mais ne faisait pas tous les efforts qu’il aurait pu faire, étant satisfait de sa situation actuelle et quelque peu réticent à apprendre ou à assumer de nouvelles responsabilités lorsque cette possibilité lui était donnée par ses superviseurs.

Après avoir examiné le rendement de M. Dhami, M. Enos et Mme Kozak en sont tous deux venus à la conclusion que M. Dhami ne voulait pas apprendre et qu’il manquait d’initiative et de maturité par rapport aux autres employés nommés pour une période déterminée.

Après Mme Kozak, c’est M. Netzel qui connaît le mieux, par expérience, le rendement de M. Dhami. Selon lui, il était moyen, M. Dhami étant un commis médiocre. Voici ce que dit M. Netzel (page 567 de la transcription):

(TRADUCTION)

R. [...] Il n’excellait pas et, à mon avis, il n’était pas vraiment mauvais non plus. Il ne s’avançait pas trop [...] Je pense que, d’une certaine façon, il aimait ce qu’il faisait parce qu’il n’y avait peut- être pas vraiment de pression. Vous savez, il n’avait jamais l’air trop nerveux ni trop enthousiaste au sujet de son travail. Il se contentait d’être là. Il faisait son travail. Il n’appartient pas au Tribunal de substituer son opinion à celle de Mme Kosak, superviseur de M. Dhami, de M. Netzel et de M. Enos, chef des Opérations comptables. Toutes ces personnes sont compétentes et sont mieux en mesure de juger des capacités et des qualités de M. Dhami par rapport aux autres employés nommés pour une période déterminée. Nous acceptons leurs conclusions à ce sujet.

Nous concluons qu’aucune des mesures prises sous le régime du système ou des modalités adoptées par l’intimée et mises en oeuvre par M. Enos et les chefs d’unité n’était manifestement inéquitable à l’égard des employés nommés pour une période déterminée, en général, ni de M. Dhami en particulier. Au contraire, compte tenu des circonstances et de l’urgence manifeste de réduire le personnel, les mesures qui ont été prises étaient, à notre avis, appropriées. Elles ont été mises en oeuvre à regret par des gestionnaires réellement soucieux des personnes concernées en vue de maintenir un niveau satisfaisant de service.

Il y a peut- être eu de légères irrégularités et, à notre avis, il aurait été utile pour le Tribunal de consulter les évaluations écrites rédigées par les chefs d’unité pendant l’application de l’ordre inverse du mérite.

Dans la décision Kibale et Transports Canada, rendue le 5 septembre 1985 et confirmée par un tribunal d’appel le 27 janvier 1987, le président, Stanley H. Hartt, devait trancher la question de savoir si des irrégularités et le fait que les modalités de dotation n’aient pas été suivies à certains égards pouvaient constituer le fondement d’une présomption permettant au tribunal de conclure que les irrégularités et le non- respect des modalités de dotation étaient motivées par la discrimination. Rejetant cette présomption, le Tribunal a fait le commentaire suivant (page 8):

Il semble au soussigné très dangereux d’établir une règle selon laquelle, lorsqu’il y a irrégularité ou même illégalité absolue dans l’administration du processus de dotation en personnel de la fonction publique du Canada, un Tribunal des droits de la personne doit présumer que cette irrégularité ou illégalité a été motivée par une pratique de discrimination sans d’autre preuve rattachant cette irrégularité ou illégalité à un motif de distinction illicite.

Commentant le rôle du Tribunal, M. Hartt a aussi déclaré ce qui suit (page 9):

[...] ce n’est pas au Tribunal des droits de la personne qu’incombe le pouvoir de contrôle et de surveillance du fonctionnement du processus de dotation en vertu de la Loi concernant l’emploi dans la fonction publique du Canada et les règlements décrétés sous son autorité.[...]

Même si le Tribunal des droits de la personne constate des irrégularités dans le processus d’embauche, notre pouvoir est limité à dire si oui ou non ces irrégularités ont été motivées par des motifs de distinction illicite.

Par conséquent, en ce qui a trait à l’application de l’ordre inverse du mérite, et notamment aux évaluations des employés nommés pour une période déterminée qui travaillaient aux Comptes de programme, le Tribunal conclut à l’absence ou à l’insuffisance de preuve d’irrégularités, d’illégalités ou d’injustice dans l’application des règles suivies, pour étayer les allégations de M. Dhami qui soutient avoir été victime de discrimination fondée sur la race, la couleur ou l’origine nationale ou ethnique.

b) Octobre 1984 - Le concours pour un poste de niveau CR- 3

Quelques mois après le non- renouvellement de son contrat d’emploi, le 17 octobre 1984, M. Dhami a posé sa candidature auprès de l’intimée pour l’obtention d’un poste de niveau CR- 3, celui de commis aux Comptes généraux. Dix personnes ont postulé cet emploi. Le concours était ouvert à tous ceux qui pouvaient satisfaire aux exigences fondamentales et il n’était pas réservé aux employés ou anciens employés de l’intimée ni aux membres de la fonction publique.

Dans sa demande d’emploi, M. Dhami donne comme motif de son départ en mars 1984 sa (TRADUCTION) mise en disponibilité en raison des coupures budgétaires décrétées par le gouvernement (pièce R- 2, onglet 12), ce qui était, bien entendu, incompatible avec l’action, alors en instance, qu’il avait intentée contre l’intimée par le truchement de la Direction antidiscrimination.

Parmi les candidats au poste de niveau CR- 3, certains possédaient une excellente formation et de l’expérience. Citons, par exemple, un diplômé en commerce de l’U. B. C., M. Litke, un titulaire de certificat en comptabilité du Douglas College, M. McLean, et Sherril McIlveen, commis au Service de la paye, possédant onze années d’expérience, qui avait suivi des cours de comptabilité le soir. La qualité des candidats était de beaucoup supérieure, peut- être en raison de la récession, à celle qu’elle avait été en 1981 lorsque M. Dhami avait réussi le concours.

Le centre d’emploi a délivré une fiche de présentation aux candidats qui remplissaient les exigences fondamentales (pièce R- 2, onglet 13). Il leur incombait alors de prendre des dispositions pour se présenter devant le jury de sélection.

Dans le cas de M. Dhami, il a pris rendez- vous avec M. Netzel des Comptes généraux qui faisait partie du jury de sélection.

La date exacte de l’entrevue n’est pas précisée, mais il est s r qu’elle a eu lieu après la formation du jury de sélection composé de M. Enos, nommé président, de Mme Kozak et de M. Netzel.

Le Tribunal a trouvé inquiétant le fait que deux des membres du jury aient été mêlés au non- renouvellement du contrat d’emploi de M. Dhami chez l’intimée.

La mission du jury de sélection n’est pas comparable à celle des commissions qui exercent des pouvoirs judiciaires ou quasi judiciaires. Bien entendu, les membres du jury doivent apprécier de façon équitable les mérites des candidats qui se présentent devant eux. Le fait d’avoir pris connaissance du relevé d’emploi ou des habitudes de travail d’un candidat ne fait pas obstacle à la sélection des candidats par le jury mais peut lui permettre de mieux s’acquitter de ses fonctions. De toute façon, il aurait été matériellement impossible, compte tenu des circonstances du concours, de former un nouveau jury. Des cotes ont été attribuées aux candidats pour leurs connaissances, leur capacité et leurs qualités personnelles. Si un candidat échouait à l’une ou l’autre des deux premières catégories ou aux deux, il n’était pas nécessaire de lui attribuer une cote pour la dernière catégorie, savoir les qualités personnelles.

L’examen que faisait subir le jury de sélection reposait sur une série de questions, dont certaines étaient cruciales. Les questions et la pondération sont expliquées dans la pièce R- 2, à l’onglet 15.

Une bonne réponse à la question 8, formulée sur une feuille remise aux candidats, est considérée comme cruciale sur le plan des capacités.

La conduite de l’entrevue par le jury de sélection est quelque peu informelle. Les membres du jury prennent des notes pendant l’entrevue, les comparent après et, s’entendent, semble- t- il, sur les mérites de chaque candidat. Les résultats sont compilés sur une grille et sont consignés dans un rapport attesté par chacun des membres du jury comme suit:

DÉCLARATION : Je, soussigné( e), promets de remplir fidèlement et honnêtement la charge qui m’incombe relativement à ce jury et de ne révéler à qui que ce soit, sauf aux personnes autorisées par la Commission de la fonction publique, le résultat des délibérations du jury ou la nature de son rapport. J’ai pris connaissance de la liste des candidats et, autant que je sache, je ne suis apparenté( e) à aucun d’entre eux; de plus, les rapports que j’aurais pu avoir avec eux ne sont pas de nature à influencer ma décision.

M. Dhami a échoué au concours pour le poste de niveau CR- 3 en octobre 1984. La raison de cet échec est la mauvaise réponse donnée à la question 8 pour laquelle il fallait faire un rapprochement entre un compte de caisse et un relevé bancaire. Malheureusement, la réponse écrite donnée à cette question n’a pas été communiquée au Tribunal. On pouvait répondre par écrit ou oralement à cette question.

Interrogée par le Tribunal, Mme Bonnie Smith du personnel a déclaré qu’il s’agissait d’une entrevue orale à moins qu’une question ne nécessite une réponse écrite, comme par exemple, la question 11 pour laquelle le candidat devait rédiger un court paragraphe exposant les raisons pour lesquelles il voulait travailler pour le gouvernement fédéral.

En ce qui concerne la question 8, Mme Smith a indiqué ce qui suit au sujet des documents remis aux candidats (page 1044 de la transcription):

(TRADUCTION)

R. Un document de cette nature, s’il ne s’agit pas d’une réponse écrite, ne serait pas nécessairement conservé au dossier parce qu’on a demandé aux candidats de l’examiner. Normalement, pour toutes les questions, même celles pour lesquelles aucune documentation n’est remise, on dit aux candidats qu’ils peuvent prendre leur temps, on leur offre du papier. Ils peuvent prendre des notes pour eux- mêmes et s’en servir pour formuler les réponses.[...]

Mais, tout ce qu’ils auront pu noter pendant l’entrevue pour donner une réponse, ou tout document qui aura été examiné, ne serait pas versé au dossier parce qu’on leur demande, après avoir consulté cette documentation, de donner une réponse et une explication orales. Ils ont la possibilité de répondre par écrit et de s’inspirer de ce qu’ils ont écrit pour répondre. On ne conserverait pas ces documents.

Selon M. Dhami, la question 8 était un simple rapprochement entre un compte de caisse et un relevé bancaire. Il a déclaré qu’il avait reçu une formation en la matière et qu’il avait déjà effectué ce type d’opération comptable. Il s’est rappelé qu’il s’agissait d’une question écrite mais n’a pas pu préciser s’il avait répondu par écrit ou oralement. Il a indiqué qu’à la fin de l’entrevue, M. Enos lui a posé la question suivante: (TRADUCTION) Comment vous sentez- vous à l’idée de revenir?, ce à quoi il a répondu que (TRADUCTION) cela lui conviendrait.

Quelque temps après avoir déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne, M. Dhami a été interrogé par l’enquêteuse, Mme Penny Goldrick. Elle lui a demandé d’effectuer un rapprochement similaire qu’il prétend avoir réussi. Questionné à ce sujet par le Tribunal, il a répondu ce qui suit (pages 194, 195 et 196 de la transcription):

(TRADUCTION)

Q. Je me demandais... vous n’avez pas pu effectuer le rapprochement lorsque vous vous êtes présenté devant le jury.

R. Oui.

Q. Et c’était à l’automne 1984.

R. C’est exact.

Q. Vous avez été interrogé par Mme Goldrick de la Commission des droits de la personne environ un an plus tard.

R. C’est exact.

Q. Et vous avez fait le rapprochement.

R. Oui.

Q. Comment expliquez- vous ce fait?

R. Bien, elle m’a demandé... à l’époque, elle a dit : Est- ce de cette façon que vous avez effectué le rapprochement devant le jury? J’ai répondu que oui. Je ne savais pas que j’avais mal répondu à cette question. Penny m’a fait remarquer plus tard que je - je n’avais pas - que j’avais donné une mauvaise réponse. C’est ce qu’ils prétendent. Mais ils... la CEIC n’a pu trouver aucun indice dans les dossiers permettant de conclure que j’avais mal répondu, que j’avais fourni une mauvaise réponse. Quant à moi, j’ai bien répondu devant le jury.

Q. Contestez- vous...

R. Oui.

Q. ... le fait que le rapprochement ait été erroné? Est- ce que vous dites que cela est faux?

R. Je dis, s’ils prétendent que je n’ai pas exécuté correctement le rapprochement, à la question 8, devant le jury, je dis que je l’ai réussi devant Penny. Je dis que j’ai fait le rapprochement devant Penny et devant le jury de la même façon parce que je... je dis que... si je l’ai fait correctement devant Penny, je l’ai fait correctement devant le jury.

Pour l’essentiel, M. Dhami soutient que le jury de sélection l’a recalé sur une simple question à laquelle il a été capable de répondre correctement à une date ultérieure, et il nie avoir donné une mauvaise réponse la première fois. Comme aucune des réponses n’a été produite par écrit devant le tribunal, celui- ci doit forcément comparer la version des faits de M. Dhami avec celle du jury de sélection. La crédibilité des témoins est en jeu et il importe de se rappeler la composition du jury de sélection et ses rapports avec M. Dhami.

M. Netzel et Mme Kozak ont tous deux été exonérés par M. Dhami de tout préjugé racial à son égard. En fait, il semble avoir eu des rapports de travail amicaux avec M. Netzel, et dans une certaine mesure, il y avait entre eux des rapports sociaux tout aussi amicaux. On a demandé à M. Netzel si c’était lui ou si c’était le jury qui avait décidé que M. Dhami n’avait pas répondu correctement à la question 8. Il a répondu ce qui suit (page 619 de la transcription):

(TRADUCTION)

R. Cette décision est toujours prise par le jury. Normalement, vous décidez à l’avance ce qui constituera une réponse acceptable pour chaque question, s’il est possible de mettre par écrit le critère sur lequel vous vous fondez. Nous présentons normalement la réponse à l’avance à la dotation en personnel avec une feuille indiquant quelles sont les réponses acceptables dans l’ensemble.

Normalement, cette question est cruciale pour le jury parce que le rapprochement est une tâche très importante pour le titulaire de ce poste.

Il a déclaré que les trois membres du jury devaient souscrire à la décision finale. Dans le cas contraire, le rapport du jury n’aurait pas pris la forme qu’il a en l’espèce.

Lorsqu’on lui a demandé pourquoi M. Dhami n’avait pas réussi à répondre à cette question, M. Netzel a dit ce qui suit (page 620 de la transcription):

(TRADUCTION)

R. Il a mal répondu à cette question surtout parce qu’il ne nous a presque pas donné d’information. Il a répondu très rapidement et il nous a remis la réponse. Celle- ci n’était absolument pas correcte. S’il avait écrit... en gros, il y a deux façons de répondre à cette question.

La première consiste à analyser dans les faits toutes les différences, à les énumérer sur le formulaire, ce qui est acceptable. Ce n’est pas la réponse préférée, mais nous l’aurions acceptée. La seconde consiste à effectuer le rapprochement en bonne et due forme sur le formulaire et à faire concorder les deux relevés. Les deux méthodes font ressortir les différences entre les deux comptes.

Terry a choisi la première méthode et il n’a tout simplement pas fourni assez d’information. Il a littéralement répondu en une minute et nous a remis la feuille.

Lorsque l’avocat lui a demandé si la mauvaise réponse donnée par M. Dhami l’avait étonné, il a répondu ce qui suit (page 621 de la transcription):

(TRADUCTION)

R. Je l’étais parce qu’il a fait de la comptabilité et qu’il a travaillé pour nous pendant quelques années. Un rapprochement aussi simple aurait normalement d être effectué assez facilement. J’ai constaté qu’en raison du stress engendré par un concours ou un jury, beaucoup de gens ont tendance à se tromper en répondant à cette question. Les gens qui sont même beaucoup plus compétents que Terry ne l’était, se tromperont souvent en répondant à cette question et, normalement, je mets l’erreur sur le compte de la nervosité provoquée par la présence du jury.

M. Netzel a une longue expérience des jurys de sélection, et d’après lui, ce jury n’était pas différent des autres jurys dont il avait fait partie. Lorsqu’on lui a demandé si le jury avait été différent sous quelque rapport, il a répondu ce qui suit (page 623 de la transcription):

(TRADUCTION)

R. Il n’y avait pas de différence, non. Nous avons suivi toutes les règles que nous aurions d suivre, lesquelles sont établies pour garantir que les résultats sont équitables, que tous les candidats ont une chance égale de répondre aux questions, et que nous choisissons la personne dont les connaissances, les capacités et les qualités personnelles semblent les meilleures selon les jurys. C’est en quelque sorte le but du concours.

A la page 626 de la transcription, M. Netzel dit encore: (TRADUCTION) R. [...] Je crois honnêtement que nous avons fait l’impossible pour que le jury soit aussi équitable que possible. Je crois que nous le faisons toujours. Les trois membres du jury, je suis certain que je peux parler en leur nom, car ils ont signé le rapport, ont souscrit aux résultats des entrevues.

Nous n’avons pas choisi le candidat pour un motif de distinction fondée sur la race. Je n’ai jamais choisi quelqu’un devant travailler pour moi en faisant des distinctions fondées sur la race.

M. Netzel a déclaré dans sa déposition qu’en 1985, l’intimée pouvait choisir parmi des candidats mieux qualifiés qu’en 1981.

Le Tribunal a été impressionné par M. Netzel, par la façon dont il a rendu témoignage, et il conclut que celui- ci est un témoin tout à fait crédible.

Son témoignage est corroboré par Mme Kozak qui se rappelle que la réponse donnée par M. Dhami avait été très brève et qu’elle était bien peu étoffée. Elle se rappelle expressément lui avoir demandé s’il pouvait se souvenir d’autres choses après qu’il eut redonné la réponse, ce à quoi il aurait répondu non. Interrogée à nouveau sur ce point, Mme Kozak a dit ce qui suit (page 838 de la transcription):

(TRADUCTION)

R. Oui. Je me souviens de ce détail précis à cause de sa réponse, et j’ai pensé qu’il pouvait faire mieux. Alors, je lui ai demandé s’il pouvait rajouter quelque chose.

Q. Avez- vous été étonnée qu’il réponde de cette façon?

R. Oui.

Q. Pensiez- vous que sa réponse était acceptable ou non?

R. Il échouait parce que sa réponse ne nous permettait pas de dire qu’il pouvait faire le rapprochement. Les faits tels qu’ils ont été relatés par Mme Kozak et M. Netzel ont été corroborés par M. Enos qui a dit que M. Dhami avait répondu à la question 8 de (TRADUCTION) façon rapide et abrupte, bien qu’il n’ait pas été plus nerveux que les autres candidats. Selon M. Enos, certains candidats ont eu de la difficulté à répondre à cette question.

Interrogé par le Tribunal sur la question de savoir pourquoi il avait jugé nécessaire de demander à M. Dhami s’il était à l’aise à l’idée de revenir travailler pour l’intimée, compte tenu de la plainte déposée par celui- ci à la Direction antidiscrimination, M. Enos a répondu qu’il convenait de lui poser la question avant la fin de l’entrevue afin de voir si cette plainte aurait une incidence sur son rendement.

Le jury de sélection était composé de trois personnes expérimentées. L’une d’entre elles, M. Netzel, entretenait des rapports amicaux avec M. Dhami, une autre, Mme Kozak, avait tenté de l’aider à répondre correctement aux questions, la dernière enfin, M. Enos, sachant qu’une plainte de discrimination raciale avait été déposée, se préoccupait de savoir quel en serait l’effet sur son rendement. Ces trois personnes ont convenu qu’il n’avait pas réussi à répondre correctement à une question cruciale. Il nous semble étonnant, compte tenu de la plainte déposée par M. Dhami, qu’il ait néanmoins désiré retourner travailler au même endroit.

Le Tribunal conclut que le comportement de M. Dhami est incompatible avec les allégations de discrimination raciale et que sa version de l’entrevue pour le poste de niveau CR- 4 n’est pas crédible. Nous acceptons le témoignage de M. Netzel, de Mme Kozak et de M. Enos en ce qui a trait à la mauvaise réponse donnée à une question cruciale et nous concluons que c’est pour ce motif, et non pour des raisons fondées sur la couleur, la race, l’origine nationale ou ethnique qu’il n’a pas été choisi pour le poste qu’il sollicitait.

CONCLUSION

Pour ces motifs, nous concluons que le non- renouvellement de l’emploi pour une période déterminée de M. Dhami et son échec au concours pour le poste de niveau CR- 3 résultent de l’adoption par l’intimée de mesures et de modalités appropriées. Ces mesures et modalités n’ont pas été inspirées par des motifs de distinction fondée sur la race et elles ont été appliquées de façon équitable et impartiale.

Les plaintes de discrimination fondée sur la couleur, la race et l’origine ethnique ou nationale portées contre l’intimée et les deux personnes désignées par M. Dhami n’ont pas été prouvées et elles sont, par conséquent, rejetées.

En date du 18e jour de septembre 1989

Norman Fetterly, Président du Tribunal

Betty Smith, membre du Tribunal

Barry Sheppard, membre du Tribunal

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