Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 9 / 89

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

S. R. C. 1985, c. H- 6, version modifiée DANS L’AFFAIRE d’une audience devant un tribunal d’appel des droits de la personne, nommé en vertu du paragraphe 42.1( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

ENTRE :

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE Appelante

- et

LES FORCES ARMÉES CANADIENNES Mises en cause

- et

DONALD DOUGLAS GAETZ Plaignant

DÉCISION DU TRIBUNAL D’APPEL DEVANT : J. Gordon Petrie, c. r., Président; Stephen

I. Cole et Sharon Marshall, membres du tribunal

ONT COMPARU : René Duval, avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Brian J. Saunders, avocat des mises en cause

A Ottawa (Ontario) le 18 avril 1989

La présente affaire concerne l’appel interjeté par la Commission canadienne des droits de la personne (ci- après désigné comme l’appelante) d’une décision du tribunal des droits de la personne. La décision verbale a été rendue le 28 septembre 1988, et les motifs écrits ont été publiés par le tribunal, S. Charles Facey, c. r. le 3 novembre 1988.

Les motifs invoqués par l’appelante sont les suivants :

  1. Le tribunal a fait fausse route en ce qui concerne la charge de la preuve incombant à l’appelante.
  2. Le tribunal a fait fausse route en ce qui concerne la charge de la preuve incombant aux mises en cause.
  3. Le tribunal a commis une erreur en jugeant que la preuve médicale indiquait qu’il existait plus qu’une simple éventualité de réaction diabétique majeure.
  4. Le tribunal a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’allégation relative à l’article 10 contenue dans le formulaire de plainte.
  5. Le tribunal a commis une erreur en fondant sa décision sur des conjectures.

Les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (ci- après appelée la Loi) qui concernent le pourvoi en appel d’une décision d’un tribunal sont contenues dans l’article 42.1, qui dispose ce qui suit :

(1) "42.1 La Commission ou les parties peuvent interjeter appel de la décision ou de l’ordonnance rendue par un tribunal de moins de trois membres en signifiant l’avis prescrit par décret du gouverneur en conseil aux personnes qui ont reçu l’avis prévu au paragraphe 40( 1), dans les 30 jours du prononcé de la décision ou de l’ordonnance.

(2) En cas de pourvoi, en application du paragraphe (1), le président du Comité du tribunal des droits de la personne constitue un tribunal d’appel composé de trois membres de ce Comité autres que ceux qui ont rendu la décision ou l’ordonnance visée par le pourvoi.

(3) Sous réserve du présent article, les tribunaux d’appel sont constitués comme les tribunaux prévus à l’article 39 et sont investis des mêmes pouvoirs; leurs membres ont droit à la rémunération et aux indemnités prévues au paragraphe 39( 4).

(4) Le tribunal d’appel peut entendre les appels fondés sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait.

(5) Le tribunal d’appel entend l’appel en se basant sur le dossier du tribunal dont la décision ou l’ordonnance fait l’objet de l’appel et sur les arguments des parties intéressées mais il peut, s’il l’estime indispensable à la bonne administration de la justice, recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre des témoignages.

(6) Le tribunal d’appel qui statue sur les appels prévus au présent article peut

(a) les rejeter; ou (b) y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles du tribunal dont la décision fait l’objet de l’appel. 1976- 77, c. 33, art. 42.1; 1985, c. 26, art. 72."

Le plaignant, Donald D. Gaetz, a été à l’emploi des mises en cause au cours de la période allant du 7 ao t 1979 au mois d’ao t 1985. Il a été libéré de son poste par les mises en cause à cette dernière date, parce qu’il était diabétique insulino- dépendant.

Le tribunal de première instance a arrêté ce qui suit, à la page 49 de la décision écrite :

"Au vu des circonstances de la présente affaire, je suis d’avis que la restriction médicale imposée à M. Gaetz constitue une exigence professionnelle justifiée et que le facteur de risque réel représente plus qu’une possibilité et constitue s rement plus qu’une assomption. Je suis convaincu que l’affaire présente satisfait aux critères des affaires Etobicoke et Bhinder ."

Le tribunal d’appel est limité aux dossiers de l’affaire qui lui est soumise, exception faite des circonstances énumérées au paragraphe 42.1( 5) de la Loi. Aucune des parties à l’appel n’a cherché à présenter des éléments de preuve ou des témoignages supplémentaires.

Monsieur Duval, au nom de l’appelante, a soumis à l’examen du tribunal d’appel certaines questions relatives au fardeau de la preuve, ainsi qu’aux problèmes de la sécurité et du risque.

En bref, M. Duval a soutenu que l’exigence professionnelle justifiée supposait nécessairement une preuve crédible et fiable de l’existence d’un risque réel. Pour cela, a- t- il soutenu, il faut que toutes ou pratiquement toutes les personnes qui appartiennent à une catégorie donnée (à savoir les diabétiques insulino- dépendants) soient incapables d’exécuter le travail en question sans compromettre leur propre sécurité, celle de leurs collègues ou celle du public.

Enfin, M. Duval a fait valoir que la preuve présentée devant le tribunal de première instance était de caractère uniquement impressionniste et qu’elle ne pouvait donc pas servir de fondement à une conclusion.

Monsieur Saunders, au nom des mises en cause, a soutenu que la décision du tribunal était bonne, en ce qui touche les constatations de fait et l’application des principes juridiques. En particulier, la conclusion de M. Facey à propos de l’existence d’un facteur réel de risque non seulement était correcte, mais, a déclaré l’avocat, n’était pas susceptible de révision par le tribunal d’appel.

La plainte initiale déposée par le plaignant alléguait des violations des articles 7 et 10 de la Loi. Ces dispositions se lisent comme suit :

"7. Constitue un acte discriminatoire le fait (a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou (b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite."

10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur, l’association d’employeurs ou l’association d’employés

  1. de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite, ou
  2. de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus. 1976- 77, c. 33, art. 10; 1980- 81- 82- 83, c. 143, art. 5.

Le tribunal de première instance a jugé que les mises en cause avaient assumé la charge de la preuve et établi l’existence d’une exigence professionnelle justifiée, aux termes du paragraphe 14( a), qui dispose ceci :

"14. Ne constituent pas des actes discriminatoires

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

Le rôle du tribunal d’appel en ce qui concerne les conclusions du tribunal de première instance est résumé dans le passage suivant de l’affaire Cashin c. la Société Radio- Canada et al (1988) 86 N. R. 24 (C. A. F.), p. 27 et 28 :

[ 6] La première question soulevée est celle des pouvoirs que détient le tribunal d’appel relativement au tribunal initial. L’article 42.1 de la Loi est ainsi libellé :

"42.1 (1) La Commission ou les parties peuvent interjeter appel de la décision ou de l’ordonnance rendue par un tribunal de moins de trois membres en signifiant l’avis prescrit par décret du gouverneur en conseil aux personnes qui ont reçu l’avis prévu au paragraphe 40( 1), dans les trente jours du prononcé de la décision ou de l’ordonnance."

[7] Dans l’arrêt Dennis Brennan c. La Reine représentée par le conseil du Trésor et Bonnie Robichaud, [1984] 2 C. F. 799, à la page 819, une décision qui a été infirmée par l’arrêt Bonnie Robichaud et la Commission représentée par le conseil du Trésor, [1987] 2 R. C. S. 84, 40 D. L. R. (4th) 577, pour des motifs étrangers aux premiers, le juge en chef Thurlow a écrit au nom de la majorité de cette Cour :

"Il ne fait aucun doute que, dans une situation de ce genre où la preuve portée à la connaissance du tribunal d’appel est exactement la même que celle dont disposait le tribunal des droits de la personne, le premier doit, conformément aux principes bien connus, adoptés et appliqués dans Stein et al. c. Le navire Kathy K, [1976] 2 R. C. S. 802; 62 D. L. R. (3d) 1, accorder tout le respect qui convient à l’opinion du tribunal des droits de la personne quant aux faits, en raison particulièrement de l’avantage qu’a eu ce dernier de pouvoir évaluer la crédibilité des témoins puisqu’il les a vus et entendus. Toutefois, cela dit, le tribunal d’appel avait néanmoins le devoir d’examiner la preuve et de substituer sa propre conclusion sur les faits s’il était convaincu que la conclusion du tribunal des droits de la personne était entachée d’une erreur évidente ou manifeste."

Les motifs dissidents (à la page 841) ont présumé que ce même critère était applicable sans trancher cette question.

"[ 8] La première intimée a soutenu que, indépendamment de la question de savoir si le tribunal d’appel avait entendu une preuve supplémentaire, le pouvoir de ce tribunal de substituer ses décisions ... à celles du tribunal dont la décision fait l’objet de l’appel lui permettait effectivement de procéder à une audition de novo. Toutefois, mise à part l’autorité de l’arrêt Robichaud, il me semble qu’une telle interprétation ne devrait être donnée à l’article 42.1 que si elle exprime l’intention claire du Parlement, puisque le droit applicable tient fortement à ce que les conclusions de fait ressortissent au tribunal qui a entendu les témoins. L’intention du Parlement, selon mon interprétation, semble en fait être que l’audition ne soit menée comme une audition de novo que dans le cas où le tribunal d’appel reçoit des éléments de preuve ou des témoignages additionnels. Dans les autres cas, il devrait être lié par les conclusions du tribunal antérieur en vertu du principe énoncé dans l’arrêt Kathy K. [Stein c. Le navire Kathy K, [1976] 2 R. C. S. 802; 6 N. R. 359; 62 D. L. R. (3d) 1].

[9] Les conclusions de l’arbitre doivent donc être maintenues à moins qu’elle n’ait commis une erreur manifeste et dominante."

Manifestement, donc, le tribunal d’appel ne peut modifier les constatations de fait qu’à l’intérieur de paramètres très limités. Une directive judiciaire analogue a d’ailleurs été émise par le Juge Pratte dans la décision Canadien Pacifique Ltée c. la Commission canadienne des droits de la personne et al [1988] 1 C. F. 209 (C. A. F.) à la page 217 :

"En l’espèce tout comme dans l’affaire Etobicoke, l’élément subjectif de l’exigence en question n’a soulevé aucune difficulté. La seule question à résoudre était de savoir si la preuve permettait de conclure que les agents de la voie insulino dépendants présentaient un risque d’erreur humaine suffisant pour justifier le refus du Canadien Pacifique Limitée de les employer. C’était là une question de fait. Par conséquent, la requérante attaque ce qui est essentiellement une conclusion de fait. Normalement une telle conclusion ne peut faire l’objet de l’examen visé à l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Pour avoir gain de cause, la requérante doit démontrer soit le tribunal a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, soit qu’il a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de la façon décrite à l’alinéa 28( 1) c) de la Loi sur la Cour fédérale. La requérante ne peut demander à la Cour d’étudier la preuve et de substituer son opinion à celle du tribunal sur la question qu’il a décidée. Pour cette raison, la dernière attaque de la requérante contre la décision du tribunal n’a pas à être examinée. La question de savoir si la preuve révélait ou non qu’il y avait un danger considérable à employer des diabétiques insulino- dépendants en qualité d’agents de la voie était une question de fait que le tribunal devait décider et dont cette Cour ne peut être saisie."

En l’espèce, M. Facey a trouvé qu’il existait un facteur de risque réel en ce qui concerne le plaignant.

Les principes qui s’appliquent à l’établissement d’une qualité ou d’une exigence professionnelle justifiée sont exposés dans le passage suivant de l’arrêt du Juge McIntyre dans l’affaire de la Commission ontarienne des droits de la personne et al et la municipalité d’Etobicoke [1982] 1 R. C. S. 202 (C. S. C.) à la page 208 :

"Lorsqu’un plaignant établit devant une commission d’enquête qu’il est, de prime à bord, victime de discrimination, en l’espèce que la retraite obligatoire à 60 ans est une condition de travail, il a droit à un redressement en l’absence de justification de la part de l’employeur. La seule justification que peut invoquer l’employeur en l’espèce est la preuve, dont le fardeau lui incombe, que la retraite obligatoire est une exigence professionnelle réelle de l’emploi en question. La preuve, à mon avis, doit être faite conformément à la règle normale de la preuve en matière civile, c’est- à- dire suivant la prépondérance des probabilités.

La Cour doit examiner deux questions. En premier lieu, qu’est- ce qu’une exigence professionnelle réelle au sens du par. 4( 6) du Code et, en second lieu, employeur a- t- il démontré que les dispositions relatives à la retraite obligatoire qui font l’objet de la plainte peuvent être ainsi qualifiées? A mon mon avis, les positions adoptées respectivement par les professeurs Dunlop et McKay en la matière ne diffèrent pas sensiblement et je ne vois aucune objection sérieuse à leur description de l’élément subjectif du critère qui doit être appliqué pour répondre à la première question. Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question d’une manière raisonnablement diligente, s re et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l’exercice de l’emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général.

Dans la même décision, aux pages 212 et 213, le Juge McIntyre déclare ce qui suit en ce qui concerne la nature de la preuve nécessaire pour établir une exigence professionnelle réelle :

"Je ne suis pas du tout certain de ce qu’on peut qualifier de preuve scientifique. Je ne dis absolument pas qu’une preuve scientifique sera nécessaire dans tous les cas. Il me semble cependant que dans les cas comme celui en l’espèce, une preuve de nature statistique et médicale qui s’appuie sur l’observation et l’étude de la question du vieillissement, même si elle n’est pas absolument nécessaire dans tous les cas, sera certainement plus convaincante que le témoignage des personnes même très expérimentées dans la lutte contre les incendies, portant que le travail de pompier est une affaire de jeune homme. L’examen que j’ai fait de la preuve m’amène à souscrire aux conclusions du commissaire enquêteur. Tout en étant persuadé que la preuve et les opinions entendues ont été soumises honnêtement, c’est avec raison, à mon avis, qu’on a dit qu’elles étaient impressionnistes et qu’elles n’étaient pas concluantes. La question de la suffisance et de la nature de la preuve en la matière a été analysée dans divers arrêts, dont en particulier Hodgson v. Greyhound Lines, Inc. 499 F 2d 859 (1974); Little v. Saint John Shipbuilding and Drydock Co. Ltd. (1980), 1 C. H. R. R. 1."

L’appelante soutient, en l’espèce, que la preuve déposée par les mises en cause devant le tribunal de première instance était entièrement impressionniste et qu’elle ne peut donc servir de base à une conclusion relative à l’existence d’une exigence professionnelle justifiée.

Monsieur Facey a jugé que cette preuve n’était pas impressionniste. Deuxièmement, nous ne considérons pas la déclaration du Juge McIntyre comme faisant autorité absolue, de telle sorte que la preuve impressionniste ne puisse jamais suffire à fonder une exigence professionnelle réelle. On comprend que ses observations concernaient plutôt la question du poids à donner à une telle preuve dans un cas particulier.

Enfin, à la lumière de la transcription, le tribunal d’appel estime que les éléments de preuve ne manquent pas pour appuyer la conclusion de M. Facey concernant l’existence d’un réel facteur de risque lié à l’emploi du plaignant comme technicien des approvisionnements dans les Forces armées canadiennes. Le tribunal d’appel a été particulièrement impressionné par le témoignage d’expert du Dr Fisher, rapporté aux pages 280 à 346 de la transcription. En outre, la prépondérance de la preuve produite par les mises en cause en ce qui concerne les rôles, responsabilités et fonctions des membres des Forces armées n’était pas étrangère à la question de l’exigence professionnelle justifiée.

Nous avons donc la conviction que le tribunal de première instance n’a commis aucune erreur évidente et primordiale dans ses conclusions de fait.

D’autre part, M. Duval soutient que le tribunal a commis une erreur en s’appuyant sur le passage suivant tiré de la décision Rodger c. Compagnie canadienne de chemins de fer nationaux Ltée (1985) 6 C. H. R. R./ 2899 (Tribunal canadien des droits de la personne) :

"Il est certain que lorsque la sécurité du public est en jeu, le fardeau imposé à l’employeur est moindre qu’en des circonstances plus ordinaires."

Bien que le tribunal d’appel reconnaisse, en accord avec l’appelante, le principe voulant que la règle normale de la preuve en matière civile, à savoir la prépondérance de la preuve, constitue ici le critère qui s’applique (Air Canada c. Carson et al (1985) 1 C. F. 209 (C. A. F.) à la page 229), nous concluons également que le tribunal de première instance se trouvait devant des éléments de preuve amplement suffisants pour appuyer ses conclusions quant à l’existence d’une exigence professionnelle justifiée.

Le plaignant est un diabétique insulino- dépendant. Le Dr Fisher, dans son témoignage, a fait une description détaillée de la maladie en question.

Dans le jugement Canadien Pacifique - Mahon (cité supra), le Juge Pratte fait, à la page 214, les commentaires suivants qui s’appliquent en l’espèce :

"S’il y a un risque à employer un diabétique, il ne réside pas directement dans sa maladie, mais plutôt dans le fait qu’il prend de l’insuline. C’est l’insuline qui le rend susceptible d’une réaction hypoglycémique. Certains diabétiques, toutefois, peuvent plus facilement que d’autres, contrôler leur maladie et maintenir dans leur système l’équilibre voulu entre l’insuline et le sucre. Pour cette raison, ils sont moins susceptibles d’être victimes de réactions hypoglycémiques graves. Ce sont les diabétiques stables, au nombre desquels se trouve M. Mahon. Il existe toujours la possibilité, cependant, qu’un diabétique stable éprouve parfois de légères réactions hypoglycémiques; il existe aussi la possibilité qu’un diabétique stable subisse soudainement une grave réaction neuro- glycopénique."

Plus loin, aux pages 220 à 222, il ajoute ce qui suit ; La requérante a fait valoir que ces extraits de la décision révèlent une erreur fondamentale, à savoir qu’une exigence professionnelle normale relative à la sécurité doit nécessairement augmenter celle- ci considérablement, et que l’exigence de l’employeur qui ne fait qu’éliminer un léger risque de blessures graves ne peut être considérée comme une exigence professionnelle normale. A l’appui de son argument, la requérante invoque la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R. C. S. 561, où dit- on, une exigence qui réduisait légèrement le risque de blessures a été reconnue comme étant une exigence professionnelle normale.

Je trouve cet argument fondé. > - 13 La décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Etobicoke appuie la proposition selon laquelle une exigence imposée par l’employeur dans l’intérêt de la sécurité doit, pour être reconnue comme une exigence professionnelle normale, être raisonnablement nécessaire afin d’éliminer un risque suffisant de blessures. Dans l’arrêt Bhinder, d’autre part, la Cour suprême a reconnu comme étant une exigence professionnelle normale celle qui, si elle n’était pas respectée, exposerait l’employé à un risque plus grand de subir des blessures -- quoique seulement légèrement plus grand (à la page 584). Il ressort donc de ces décisions, à mon sens, qu’à plus forte raison, l’exigence reliée au travail qui, selon la preuve, est raisonnablement nécessaire pour éliminer le danger réel de préjudices graves au grand public doit être considérée comme une exigence professionnelle normale.

La décision contestée se fonde, me semble- t- il, sur l’idée généreuse que les employeurs et le public ont le devoir d’accepter et de courir certains risques de subir des blessures afin de permettre aux personnes handicapées de trouver du travail. A mon avis, la loi n’impose un tel devoir à personne. L’erreur commise par le tribunal en l’espèce est comparable à celle qu’il a commise dans l’affaire Bhinder, lorsqu’il a à tort décidé que l’exigence contestée n’était pas une exigence professionnelle normale parce que l’employeur avait le devoir de respecter la religion de l’employé.

Dès lors que le tribunal avait conclu que la politique de la requérante de ne pas employer des diabétiques insulino- dépendants en qualité d’agents de la voie était raisonnablement nécessaire pour éliminer un risque réel de blessures graves pour la requérante, ses employés et le public, une seule décision s’imposait au regard de la loi, à savoir que le refus de la requérante d’employer Wayne Mahon était fondé sur une exigence professionnelle normale, et qu’en conséquence il ne constituait pas un acte discriminatoire.

Le tribunal d’appel fait sienne et accepte la conclusion du tribunal de première instance, à savoir qu’il existait un risque réel de dommages sérieux pour les mises en cause, ses employés et le public si elles continuaient d’employer un diabétique insulino- dépendant au poste de technicien des approvisionnements dans les Forces armées canadiennes.

Dans la décision Mahon, le Juge Marceau, à la page 226, fait le commentaire suivant, qui s’applique en l’occurrence :

"L’arrêt Bhinder, tel que je le comprends, dit clairement que la bonne façon de s’assurer qu’une exigence professionnelle, adoptée de bonne foi pour des raisons de sécurité, respecte le critère objectif du paragraphe 14( 1) comme l’a énoncé l’arrêt Etobicoke est d’examiner les fonctions qui doivent être exercées et les conditions nécessaires à leur bon exercice (ici, les fonctions d’agent de la voie) et de considérer ces exigences en regard des capacités et des limites propres à la catégorie de personnes touchées (en l’occurrence, les diabétiques insulino- dépendants en tant que groupe). Le tribunal en l’espèce se fondant sur la preuve, a conclu, en premier lieu, que les fonctions d’agent de la voie exigeaient certaines qualités physiques dont la diminution, en milieu de travail peut faire augmenter les risques, en matière de sécurité, pour l’employé, ses collègues de travail et le grand public. Le tribunal a conclu en second lieu, que les diabétiques insulino- dépendants, même ceux qui sont stables comme M. Mahon, pouvaient subir une telle diminution de leurs capacités physiques (et mentales), possibilité qui est réelle... ni outrée ni fantaisiste (aux pages 96 et 97 de la décision). Ces deux conclusions sont, à mon sens, décisives : elles mènent à la conclusion inéluctable que la politique de non- embauchage des diabétiques insulino- dépendants se fonde sur une exigence professionnelle normale. En allant plus loin et en appréciant les capacités physiques de M. Mahon pour en arriver à la conclusion qu’en dépit de sa dépendance de l’insuline, ses limites, bien que réelles, étaient suffisamment contrôlées, le tribunal, à mon avis, a mal appliqué le paragraphe 14( 1) de la Loi."

L’appelante a fait valoir que les mises en cause auraient d faire subir à M. Gaetz des tests pour déterminer expressément s’il pouvait continuer d’occuper son poste, malgré son état de santé.

Le tribunal d’appel rejette cette proposition, en se fondant sur le jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Bhinder et al et la Compagnies de chemins de fer nationaux du Canada et al [1985] 2 R. C. S. 561 (C. S. C.). Plus particulièrement, l’extrait suivant tiré de l’opinion du juge McIntyre parlant pour la majorité, aux pages 588 et 589, s’applique :

"Lorsque l’employeur démontre qu’il y a exigence professionnelle normale, il n’est pas difficile d’appliquer l’al. 14a). En l’espèce cependant, nous nous trouvons devant la conclusion que, dans le cas d’un employé à tout le moins, une certaine condition de travail ne constitue pas une exigence professionnelle normale. Nous devons alors nous demander si une telle application, à un individu, d’une exigence professionnelle normale est permise ou possible. La Loi parle d’ exigence professionnelle.

Cela doit s’entendre d’une exigence de la profession, non d’une exigence limitée à un individu. Elle doit s’appliquer à tous les membres du groupe d’employés concernés, car c’est une exigence d’application générale concernant la sécurité des employés. Les employés doivent se conformer à cette exigence pour occuper leur poste. Le tribunal a cherché à démontrer que l’exigence doit être raisonnable, ce qui est incontestable, mais il a ensuite conclu qu’aucune exigence ayant pour effet d’établir une distinction fondée sur la religion ne pouvait être raisonnable. Cela, en fait, revenait à dire que la règle du casque de sécurité ne pouvait constituer une exigence professionnelle normale puisqu’elle était discriminatoire. C’est là, à mon avis, une conclusion inacceptable. Une condition de travail ne perd pas son caractère d’exigence professionnelle normale parce qu’elle peut être discriminatoire. Au contraire, si on démontre qu’une condition de travail est une exigence professionnelle normale, la discrimination qui peut s’ensuivre est permise ou, sans doute plus précisément, n’est pas considérée en vertu de l’al. 14a) comme un acte discriminatoire.

On a dit dans l’arrêt Etobicoke que, selon le Code ontarien des droits de la personne, la non- discrimination était la règle, la discrimination étant l’exception. Cela est également vrai en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le tribunal a été d’avis qu’il fallait donner une interprétation libérale aux dispositions interdisant la discrimination et une interprétation étroite aux exceptions. Même si cela est exact, il faut néanmoins noter que, lorsqu’il s’applique, l’al. 14a) dit en des termes plus clairs et précis que, lorsqu’il est démontré qu’il s’agit d’une exigence professionnelle normale, il ne s’agit pas d’un acte discriminatoire. Conclure alors que ce qui constituerait par ailleurs une exigence professionnelle normale ne peut s’appliquer à un employé, en raison des caractéristiques spéciales de cet employé, revient non pas à donner une interprétation étroite à l’al. 14a), mais tout simplement à ne tenir aucun compte de ce qu’il dit clairement. Appliquer une exigence professionnelle normale à chaque individu avec des résultats variables, selon les différences personnelles, c’est la dépouiller de sa nature d’exigence professionnelle et faire perdre tout leur sens aux dispositions claires de l’al. 14( a). A mon avis, le tribunal a commis une erreur de droit quand, après avoir constaté l’existence d’une exigence professionnelle normale, il a exempté l’appelant de son application.

En conséquence, le tribunal d’appel a la conviction que le tribunal de première instance a tiré les conclusions de fait appropriées en déterminant que les mises en cause avaient assumé le fardeau de la preuve qui leur incombait et établi l’exigence professionnelle justifiée.

D’après les éléments de preuve présentés au tribunal, et plus particulièrement ceux qui concernent les fonctions d’un technicien des approvisionnements et les risques inhérents à l’état de diabétique insulino- dépendant, le tribunal d’appel est convaincu que toutes ou pratiquement toutes les personnes faisant partie de la catégorie en cause seraient incapables de remplir efficacement et sans danger les fonctions de leur poste. Voir l’affaire Carson (citée supra) à la page 235.

Nous avons donc la conviction que le tribunal de première instance n’a pas fait fausse route en ce qui concerne les fardeaux respectifs de la preuve. Qui plus est, il a tiré des conclusions de fait fondées sur une preuve crédible qu’un tribunal d’appel ne peut casser, dans les circonstances du présent pourvoi.

Enfin, l’appelante soutient que le tribunal de première instance a commis une erreur en ne tenant pas compte de la plainte faite en vertu de l’article 10. Les conclusions de M. Facey sont résumées à la page 48 de sa décision. Il conclut que le plaignant a établi une affaire de discrimination fondée à prime à bord en vertu de la Loi, mais que les mises en cause se sont acquittées du fardeau de la preuve relatif à l’exigence professionnelle justifiée, imposé en vertu de l’alinéa 14a) de la Loi.

Le tribunal d’appel conclut donc que le tribunal de première instance a jugé qu’il y avait eu violation à prime à bord des articles 7 et 10. Toutefois, il a trouvé réponse à ces violations dans l’existence d’une exigence professionnelle justifiée aux termes de l’alinéa 14a).

Nous ne sommes pas en désaccord avec ces conclusions. Nous estimons qu’il s’agissait là d’une conséquence normale de l’application du jugement Bhinder (cité supra).

De plus, le tribunal d’appel a rencontré certaines difficultés en ce qui concerne la question de la politique et de la pratique, lorsqu’il a demandé des renseignements à ce sujet à l’avocat de l’appelante. A quel propos l’appelante a- t- elle affirmé l’existence d’une politique ou d’une pratique discriminatoire ? Cela n’est pas clair. De toute façon, le problème est résolu par la conclusion qu’une exigence professionnelle justifiée existait bel et bien.

En conclusion, le tribunal d’appel rejette le pourvoi. Nous sommes convaincus que le tribunal de première instance n’a pas commis d’erreur en jugeant que les mises en cause s’étaient acquittées du fardeau de la preuve et qu’elles avaient établi l’existence d’une exigence professionnelle justifiée en rapport avec le poste de technicien des approvisionnements dans les Forces armées canadiennes.

FAIT ce 27e jour d’avril 1989.

J. GORDON PETRIE, c. r. président

Stephen I. Cole

Sharon Marshall

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