Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

WILLIAM CARL WITWICKY

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

l'intimée

DÉCISION

2007 TCDP 25
2007/07/06

MEMBRE INSTRUCTEUR : Michel Doucet

I. INTRODUCTION

A. Les faits

II. LES INCIDENTS DU 31 DÉCEMBRE 2001

III. LE RAPPORT DE LA GRC

IV. LA SUITE DES INCIDENTS DU 31 DÉCEMBRE 2001

(i) Les déclarations des employés

a) La déclaration du plaignant

b) La déclaration de Larry Hindle

V. LES INCIDENTS QUI ONT SUIVI LE CONGÉDIEMENT DU PLAIGNANT

VI. LE CONTRAT DE RÉINTÉGRATION

VII. LES ALLÉGATIONS DE HARCÈLEMENT ET DE REPRÉSAILLES

VIII. ANALYSE

A. Les plaintes relatives aux articles 7 et 10 de la Loi

B. Y a-t-il preuve prima facie?

C. Conclusion au sujet des plaintes relatives aux articles 7 et 10 de la Loi

D. La plainte relative à l'article 14 de la Loi

E. La plainte relative à l'article 14.1 : L'intimée a-t-elle exercé des représailles contre le plaignant?

IX. CONCLUSION

I. INTRODUCTION

[1] Le 8 août et le 25 octobre 2003, William Carl Witwicky (le plaignant) a déposé deux plaintes relatives aux articles 7, 10, 14 et 14.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) contre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (l'intimée). Selon les plaintes, l'intimée aurait commis un acte discriminatoire fondé sur le motif de la déficience et a exercé des représailles en matière d'emploi.

A. Les faits

[2] Le plaignant a grandi dans la ville de Jasper, en Alberta, où il a habité pendant 35 ans. Il vient de ce qu'il appelle une famille du chemin de fer. Il a commencé à travailler pour l'intimée le 2 juillet 1975, en tant qu'employé à temps partiel. Il a été embauché comme employé à temps plein le 22 juillet 1977. Il a travaillé pour l'intimée à partir de cette date, à l'exception d'une période de huit mois, en raison d'un congédiement.

[3] Le plaignant est chef de train. Les chefs de train font partie d'un groupe d'employés appelés communément le personnel itinérant. Ces employés font fonctionner les trains. Le plaignant travaille à partir de Kamloops, en Colombie-Britannique, où il réside.

II. LES INCIDENTS DU 31 DÉCEMBRE 2001

[4] Le 30 décembre 2001, le plaignant a été appelé à travailler sur un train allant de Kamloops à Jasper, en Alberta. Le voyage vers Jasper a duré près de douze heures. Le train est arrivé à Jasper à 12 h 15 le 31 décembre 2001. Puisque Jasper est la gare terminus, le plaignant avait inscrit une période de repos de huit (8) heures. Cette période de repos se serait terminée à 22 h 15, heure à laquelle il aurait pu être appelé à travailler.

[5] Le plaignant a reçu une [traduction] indemnité pour attente excessive1 pour la période entre 23 h 15 le 31 décembre et 6 h 55 le 1er janvier 2002. Il a reçu une indemnité de 126,90 $ pour cette période. Pendant son contre-interrogatoire, il a affirmé s'être rendu compte pour la première fois le 28 mars 2002 qu'il avait reçu une indemnité pour attente excessive pour cette période. Il a ajouté qu'il avait offert de rembourser la somme, mais que l'intimée avait refusé.

[6] À son arrivée à Jasper, le plaignant a réservé une chambre au centre d'hébergement. Le centre d'hébergement est le lieu où les employés peuvent réserver une chambre pour se reposer avant de retourner au travail. Pendant qu'il était là, il a téléphoné à son épouse, dont il venait de se séparer récemment. Selon ses propres mots, la conversation s'est [traduction] envenimée et elle l'a informé qu'elle allait demander le divorce. Il a affirmé que cette nouvelle l'avait [traduction] dévasté.

[7] La sur du plaignant habite à Jasper. Après sa conversation avec son épouse, il s'est rendu chez sa sur pour parler de ses problèmes conjugaux. Ils ont discuté de son état émotif. Il s'est dit en plein désarroi et bouleversé. Il a ajouté qu'il ne s'était pas couché de la nuit et qu'il n'avait rien mangé. Dans ses propres mots, il était [traduction] complètement déboussolé.

[8] Après avoir parlé à sa sur, il a décidé de s'inscrire en repos en déclarant qu'il n'était pas en état de travailler. Il a décidé de rester à Jasper quelques jours, puisqu'il s'agissait de son dernier voyage avant ses vacances.

[9] Afin de pouvoir s'inscrire en repos, il a téléphoné au Centre de gestion des employés (CGE) à Edmonton, en Alberta. Le CGE supervise l'affectation quotidienne de la main-d'uvre pour les trains de l'intimée. Le CGE travaille à partir d'un système informatique appelé CATS, l'acronyme de Crew Accountability and Timekeeping System (système de gestion du temps et de la responsabilité des employés). Ce système aide le personnel du CGE à savoir quels employés sont disponibles pour travailler à toute heure. Selon le témoignage de Richard Froment, le gestionnaire du CGE pour l'ouest du Canada, le système informatique se raccorde à une liste du mouvement des trains et affiche à quelle heure les trains doivent partir. Le personnel du CGE peut alors savoir quels employés travailleront lors de ce voyage.

[10] M. Froment a témoigné au sujet de la procédure suivie par les employés pour [traduction] s'inscrire en service ou en repos. Pour s'inscrire en repos, l'employé doit appeler le CGE et demander que son statut disponible soit changé pour autre chose. L'intimée est ainsi informée que l'employé n'est pas disponible pour travailler. Le répartiteur entrera ce renseignement dans le système. Lorsque cela est fait, un dossier permanent est créé et il demeurera dans le système pendant trois ans. Après cette période, les renseignements sont archivés électroniquement et peuvent être consultés sur demande.

[11] Le CATS ne montre pas si un employé est inscrit en repos à sa gare d'attache ou à une gare de détachement. Selon M. Froment, si un employé s'inscrit en repos à une gare de détachement, le système changera automatiquement le [traduction] demi-tour de l'employé pour sa gare d'attache. En d'autres termes, M. Froment veut dire que le système indiquera que l'employé se trouve à sa gare d'attache. Le répartiteur avisera aussi le contrôleur en chef de la circulation ferroviaire, lequel est responsable du rassemblement de la main-d'uvre à la gare de détachement, pour qu'il puisse trouver un employé qui remplacera celui qui s'est inscrit en repos. M. Froment a fait savoir qu'il est très rare que quelqu'un s'inscrive en repos dans une gare de détachement.

[12] Un employé qui s'est inscrit en repos ne peut être rappelé au travail. Afin d'être à nouveau inscrit en service, l'employé doit appeler le CGE et demander à être réinscrit comme étant disponible. M. Froment a expliqué qu'un employé qui demande à être inscrit en service à partir d'une gare de détachement serait, en principe, réinscrit en service à partir de sa gare d'attache, bien qu'il ait reconnu qu'il soit possible de le faire à partir de la gare de détachement. Le CGE peut modifier le lieu de l'employé et le changer pour la gare de détachement, mais M. Froment a ajouté que, en douze ans au CGE, il n'a jamais vu un employé se réinscrire en service à partir d'une gare de détachement.

[13] Quand un employé s'inscrit en service ou en repos, il doit communiquer avec le CGE par téléphone. Comme je l'ai mentionné précédemment, ces appels sont reçus par les répartiteurs. Il y a huit répartiteurs par quart de travail au CGE à Edmonton. Chaque répartiteur est assigné à un territoire particulier. L'employé compose le numéro central et son appel sera réacheminé au répartiteur assigné à sa région. M. Froment a expliqué que deux méthodes sont utilisées pour enregistrer l'information quand un employé appelle : d'abord, le système CATS [traduction] étampe un dossier permanent dans le système, ensuite, il y a enregistrement sonore de l'appel. M. Froment a ajouté qu'il est demandé aux répartiteurs de garder l'employé en ligne jusqu'à ce que l'information soit notée et enregistrée dans le système. Le CGE veut s'assurer que toutes les mesures pour inscrire en repos sont accomplies avant que le répartiteur passe à une autre tâche. Cette méthode d'enregistrement des appels était en place le 31 décembre 2001. À ce moment, le système utilisé pour enregistrer les appels a été décrit par M. Froment comme étant un [traduction] système à bobines. Chaque cassette contient environ une semaine de données. Le système enregistre les appels à mesure qu'ils sont reçus, il peut donc être difficile de retrouver un appel en particulier sur la cassette.

[14] Il semble qu'il ait été impossible de retrouver l'enregistrement de la conversation qui aurait eu lieu entre le plaignant et le CGE le 31 décembre 2001. Lorsqu'il a été contre-interrogé à ce sujet, M. Froment a reconnu qu'il existait une cassette où ont été enregistrés les appels reçus ce jour-là. Il a également dit qu'il ne pouvait expliquer pourquoi le syndicat n'avait pas reçu de copie de cet enregistrement quand il en avait fait la demande. Finalement, il a ajouté qu'il n'avait pas écouté la cassette enregistrée cette journée-là avant l'audience.

[15] Au cours de son contre-interrogatoire, M. Froment a admis qu'il y avait eu des erreurs et que des employés n'avaient pas été inscrits en repos ou en service quand ils auraient dû l'être. Il a également affirmé que cette situation était normale si l'on considère que le CGE reçoit plus d'un million d'appels par année. Il a de plus précisé qu'il arrivait en moyenne six fois par mois qu'un employé soit inscrit en repos de façon erronée.

[16] Une copie imprimée du dossier du plaignant pour la période comprise entre le 30 décembre 2001 et le 3 janvier 2002, tel qu'enregistré dans le système CATS, a été produite en preuve. Il n'était indiqué nulle part dans le dossier que le plaignant s'était inscrit en repos à l'une ou l'autre de ces dates parce qu'il n'était pas en état de travailler.

[17] Revenons à la soirée du 31 décembre. Après que sa sur fut partie avec des amis, le plaignant est allé dîner avec un ami. Le plaignant reconnaît avoir bu de l'alcool au cours de cette soirée. Il a affirmé ce qui suit dans son témoignage : [traduction] Si je me souviens bien, j'ai bu peut-être en tout six ou sept consommations.

[18] Plus tard ce soir-là, vers 22 h 30, le plaignant a été appréhendé par la GRC quand il a été retrouvé inconscient dans un véhicule volé. Selon ce dont il se souvient, quand il a quitté le restaurant, il fallait attendre longtemps avant de pouvoir obtenir un taxi. Il a affirmé qu'un individu, qui, d'après ce qu'il croyait, travaillait au restaurant, lui a offert de l'emmener. Après quelques coins de rue, le conducteur a abandonné le véhicule et c'est à ce moment que les agents de la GRC l'ont trouvé.

[19] Il a passé la nuit du 1er janvier 2002 en garde à vue. Le lendemain matin, à 7 h 25, il a fait une déposition à la police. Selon le document de la police, cette entrevue s'est terminée à 7 h 52. Le plaignant a d'abord été accusé de possession d'un véhicule volé. Cette accusation a par la suite été retirée.

[20] Le plaignant a été relâché le matin du 1er janvier 2002 un peu avant 8 h. Un agent de la GRC qui n'était pas en service l'a ramené au centre d'hébergement pour qu'il puisse prendre ses affaires. Il est arrivé au centre un peu après 8 h. On lui a alors dit qu'un superviseur le cherchait pour qu'il accepte de travailler sur un train à destination de Kamloops.

[21] Selon David James, lequel était le superviseur en service à Jasper, le plaignant avait reçu la directive de venir travailler à bord du train de 7 h 10. À la gare de détachement, l'employé doit fournir au CGE un numéro de chambre où il peut être joint. En l'espèce, quand il fut le temps d'appeler le plaignant, celui-ci était introuvable. Le CGE a été avisé et le GEC (gestionnaire de l'exploitation en corridors) a communiqué avec M. James, chez lui, pour l'informer de la situation. M. James a affirmé dans son témoignage avoir fait un certain nombre d'appels : un appel à l'hôpital, à Jasper, et un autre à la GRC, au cas où on aurait su où pouvait se trouver le plaignant, en vain. L'appel à la GRC a automatiquement été réacheminé au poste d'Edson, une ville éloignée d'environ 160 km de Jasper, parce qu'il n'y avait pas d'agent de la GRC en service à Jasper à ce moment-là. Ce renseignement est étonnant, car M. James a affirmé avoir téléphoné entre 7 h et 7 h 30 et le plaignant était toujours, à cette heure-là, détenu à Jasper. La réponse donnée par le poste d'Edson, selon M. James, est également étonnante puisqu'il semble que personne là-bas n'ait pris la peine de s'enquérir du plaignant auprès du poste de Jasper, lequel aurait pu fournir une réponse.

[22] M. James a ajouté qu'il avait également parlé à Larry Hindle, le mécanicien qui avait travaillé à bord du train avec le plaignant la veille, pour lui demander s'il savait où se trouvait le plaignant. M. Hindle a répondu qu'il ne savait pas où se trouvait le plaignant.

[23] Vers 8 h 10, alors qu'il s'apprêtait à se rendre à Jasper, M. James a reçu un appel du préposé du centre d'hébergement pour lui annoncé que le plaignant venait d'arriver. M. James a alors demandé à parler au plaignant. Il a dit qu'il avait demandé à ce dernier où il avait été et que le plaignant avait répondu ceci : [traduction] J'ai passé la nuit chez un ami. M. James a aussi ajouté qu'il lui avait demandé pourquoi il n'avait fait savoir à personne où il pouvait être joint. Le plaignant a répondu : [traduction] J'ai fait une gaffe et je le ferai à l'avenir. Il a finalement demandé au plaignant s'il était en état d'aller travailler, ce à quoi le plaignant a répondu par l'affirmative. Compte tenu de cette réponse et du fait que, si on se fiait à sa voix, le plaignant semblait normal, M. James lui a dit de se rendre au train le plus tôt possible. Lors de son contre-interrogatoire, le plaignant a reconnu qu'il n'avait mentionné à aucun moment lors de cette conversation qu'il s'était inscrit en repos la veille parce qu'il n'était pas en état de travailler, pas plus qu'il n'a ensuite communiqué avec le CGE pour se réinscrire en service, comme le veut la procédure normale.

[24] Plus tard le même matin, M. James a téléphoné à M. Mitch McAmmond, le coordonateur de train en service à Kamloops, pour lui dire que le plaignant s'était présenté en retard à son poste à Jasper. Il l'a également informé que le départ du train avait été retardé pour cette raison. Il a mentionné qu'il conviendrait peut-être que M. McAmmond ait une conversation avec le plaignant à son arrivée à Kamloops.

[25] Le train est arrivé à Kamloops vers 19 h le 1er janvier 2002. À leur arrivée à destination, le mécanicien de locomotive, Larry Hindle, et le plaignant ont rempli leur fiche de temps dans la salle d'ordinateur. À ce moment, selon le plaignant, le superviseur McAmmond est entré dans la pièce. Il leur a souhaité à tous deux une bonne année et leur a demandé comment s'était passé le voyage. Il n'a jamais interrogé le plaignant. Larry Hindle a confirmé cette version des faits.

[26] La version de M. McAmmond est assez différente. Il a affirmé dans son témoignage que, lorsqu'il a vu le train arriver, il s'est dirigé vers celui-ci afin d'aller à la rencontre de l'équipage. Il a affirmé avoir vu M. Hindle descendre du train et avoir attendu que le plaignant descende, mais que celui-ci n'est jamais descendu. M. McAmmond est monté à bord du train pour voir si le plaignant s'y trouvait encore, mais il ne l'a pas trouvé. Il est ensuite revenu dans l'édifice et il a demandé à M. Hindle s'il savait où se trouvait le plaignant. M. Hindle a répondu qu'il ne le savait pas. Il a ajouté qu'il a été incapable de trouver le plaignant le 1er janvier 2002. Si la version de M. McAmmond est exacte, alors le plaignant a forcément dû descendre du train avant qu'il n'entre en gare à Kamloops. Il s'agirait sans aucun doute d'une situation très inhabituelle et on s'attendrait à ce que l'intimée fasse une enquête sur un tel incident. Fait intéressant, M. McAmmond n'a pas poussé l'affaire plus loin en interrogeant le plaignant sur l'endroit où il se trouvait quand le train est entré en gare cette journée-là. Compte tenu de ce dont M. McAmmond se souvient quant aux faits de cette journée, je vais, au cas où cela serait pertinent dans le cadre de ma décision, accepter la version des faits du plaignant.

[27] Le 7 janvier 2002, le plaignant a pris un mois et demi de vacances, pendant lesquelles il s'est rendu en Australie.

III. LE RAPPORT DE LA GRC

[28] L'agent Benoit Lecuyer de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) était un des agents en service le soir du 31 décembre 2001. Vers 22 h, le poste a reçu une plainte au sujet d'une camionnette volée. La camionnette était stationnée à l'extérieur d'un restaurant à Jasper et, quand le livreur du restaurant est sorti pour l'utiliser, elle était disparue. Le véhicule a plus tard été trouvé dans un stationnement situé en avant d'une station-service. Un individu sans connaissance se trouvait sur le siège du passager et le moteur du véhicule était encore en marche.

[29] Vers 22 h 48, l'agent Lecuyer est arrivé sur les lieux où le véhicule volé avait été retrouvé. Il a affirmé dans son témoignage avoir remarqué qu'il y avait dans le véhicule un homme qui semblait dormir du côté du passager. Il a affirmé que, lorsqu'il s'est approché de la camionnette, il a pu sentir une forte odeur d'alcool. Il a ajouté qu'il avait tenté pendant environ cinq minutes de réveiller l'homme qui se trouvait dans le véhicule, mais ce, sans succès. L'agent Lecuyer et un de ses collègues ont ensuite tiré l'individu hors du véhicule afin de procéder à son arrestation. Selon l'agent Lecuyer, l'individu était dans un état d'ébriété avancée.

[30] L'agent Lecuyer a affirmé dans son témoignage qu'il a été possible d'établir, au moyen du permis de conduire de la Colombie-Britannique de cette personne, qu'il s'agissait de William Witwicky, le plaignant. Au poste, le plaignant a été placé dans une cellule. Pendant tout ce temps, il n'avait toujours pas repris conscience.

[31] Vers 1 h 16, l'agent Lecuyer a été informé par le gardien du bloc cellulaire que le plaignant était maintenant éveillé et qu'il était debout. L'agent Lecuyer a dit qu'il s'est approché de la cellule pour voir à quel point le plaignant avait retrouvé ses esprits. Il a ajouté qu'il avait remarqué que le plaignant se servait des murs de sa cellule pour garder l'équilibre, ce qui montrait qu'il était encore en état d'ébriété. Il a ensuite tenté d'expliquer au plaignant où il était et pourquoi il y était. Le plaignant a seulement hoché la tête, mais il n'a rien répondu. Selon l'agent, le plaignant ne semblait pas comprendre ce qui se passait.

[32] L'agent Lecuyer est retourné voir le plaignant vers 3 h 01 et l'a trouvé tout à fait réveillé, mais agité. Il a dit avoir tenté de le calmer. L'agent a encore une fois conclu que le plaignant était toujours trop ivre pour comprendre parfaitement ce qui se passait.

[33] Il n'a pas revu le plaignant avant environ 7 h 25, le matin du 1er janvier 2002. Il a remarqué que, à ce moment, le plaignant était calme et plus en mesure de comprendre pourquoi il était détenu. Il a alors décidé de le laisser sortir de sa cellule et de l'emmener dans la salle d'interrogatoire où il lui a lu ses droits et la mise en garde de la police. Le plaignant a informé l'agent qu'il ne souhaitait pas appeler d'avocat. Il a ajouté qu'il n'avait rien fait de mal et qu'il voulait présenter ses excuses pour sa conduite. Il a ensuite fait une déposition enregistrée à l'agent.

[34] Le plaignant a plus tard été accusé de possession de biens volés puis relâché vers 8 h, sous caution personnelle. L'enquête complémentaire a été menée le 2 janvier 2002. Il s'agissait principalement de retourner au restaurant où la camionnette avait été prise. L'agent Lecuyer a déclaré que, dans le cadre de l'enquête, il a parlé avec le propriétaire du restaurant ainsi qu'avec deux autres employés. Selon leurs déclarations, le plaignant est arrivé au restaurant vers 20 h avec deux autres individus. Le propriétaire du restaurant a informé l'agent qu'il souhaitait qu'il ne soit pas donné suite à l'affaire. Après cela, l'agent a informé le plaignant que les accusations relatives aux biens volés avaient été abandonnées.

[35] Selon le Rapport de continuation rédigé par l'agent Lecuyer, le 9 janvier 2002, l'agent Benoit Tessier, un policier travaillant pour l'intimée, avait communiqué avec le poste de la GRC à Jasper et avait demandé qu'on lui fournisse une copie de la déclaration du plaignant le plus tôt possible. Le 24 janvier 2002, une transcription de cette déclaration a été envoyée à l'agent Tessier.

IV. LA SUITE DES INCIDENTS DU 31 DÉCEMBRE 2001

[36] Le plaignant, à son retour à Kamloops après ses vacances en Australie, à la fin de février 2002, a communiqué avec M. Gary George Kopp, le président du comité local de rajustement des Travailleurs unis du transport, pour voir comment allaient les choses. M. Kopp lui a fait part d'une conversation qu'il avait eue avec M. Hans Nederpel, un superviseur chez l'intimée. Il a dit que M. Nederpel l'avait abordé et lui avait parlé de la conduite du plaignant le 31 décembre 2001. Selon M. Kopp, M. Nederpel lui avait dit que le plaignant avait un problème d'alcool et qu'il souhaitait le voir s'engager dans un programme de traitement de l'alcoolisme.

[37] Le plaignant a été suspendu de son travail le 22 mars 2002. L'intimée a entrepris une enquête formelle sur l'affaire. Deux [traduction] déclarations de l'employé, l'une par le plaignant et l'autre par M. Larry Hindle, ont été obtenues. La première, celle du plaignant, a été obtenue à la suite d'une rencontre qui a eu lieu le 28 mars 2002, tandis que la rencontre pour la seconde déclaration, celle de M. Hindle, a eu lieu le 17 avril 2002.

(i) Les déclarations des employés

a) La déclaration du plaignant

[38] La rencontre avec le plaignant, au cours de laquelle il a donné sa déclaration, a eu lieu de 10 h à 18 h 30, avec une interruption pour le dîner. La déclaration de l'employé n'est pas une transcription de tout ce qui a été dit lors de l'enquête. Il s'agit d'un résumé des questions posées et des réponses données. La déclaration a été préparée par un enquêteur choisi par l'employeur. À la fin de l'enquête, il a été demandé à l'employé et à son représentant de lire le document et de le signer.

[39] M. Kopp était le représentant du plaignant lorsque la déclaration de l'employé a été recueillie. Cette enquête a été menée par M. John Gosse. Avant le début de la procédure, M. Kopp avait demandé que certains documents puissent être inspectés, notamment [traduction] [t]outes les transcriptions ou tous les enregistrements de toutes les conversations entre M. Witwicky et le directeur des transports, le chef de gare ou tout autre employé du chemin de fer ayant travaillé le soir et le jour où les incidents se sont produits. M. Kopp a témoigné n'avoir jamais reçu les enregistrements demandés. Il a ajouté qu'il avait par ailleurs protesté contre le délai excessif encouru pour la tenue de cette enquête par l'intimé.

[40] Selon la déclaration, le plaignant est arrivé à Jasper à 12 h 15, le 31 décembre 2002. Il a inscrit huit (8) heures de repos, ce qui le rendait disponible pour travailler à 20 h 15. Il avait une chambre au centre d'hébergement. Il a affirmé que, après s'être présenté au centre, il est allé chez sa sur et, à partir de là, il a téléphoné à son épouse, dont il était séparé. Cette version des faits est différente de celle que le plaignant a donné à l'audience. Il a affirmé à l'audience qu'il avait appelé son épouse à partir du centre d'hébergement avant de se rendre chez sa sur.

[41] Au cours de cette conversation, son ex-épouse l'a informé qu'elle allait demander le divorce. Il a dit que cette annonce l'avait laissé en plein désarroi sur le plan émotif et qu'il ne se sentait pas [traduction] mentalement capable de faire son travail. Il a ajouté qu'il avait alors téléphoné à son employeur pour l'informer qu'il n'était pas en état de travailler. Le plaignant a affirmé avoir passé le reste de l'après-midi chez sa sur.

[42] Vers 18 h 30 ou 19 h, un ami est venu le chercher et ils sont allés au restaurant. Il a affirmé avoir bu plusieurs verres d'alcool et qu'il avait [traduction] mangé quelque chose, bien qu'il ait ajouté plus tard qu'il avait [traduction] bu plusieurs verres d'alcool en ayant l'estomac vide.

[43] Pendant la rencontre où la déclaration a été donnée, M. Gosse a demandé au plaignant d'expliquer, s'il avait bel et bien signalé qu'il n'était pas en état de travailler, pourquoi il avait reçu une indemnité pour attente excessive de 23 h 15 à 6 h 55 dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier. Le plaignant a répondu : [traduction] Je ne m'en suis jamais rendu compte. Maintenant, avec le recul, je vois que j'aurais dû communiquer avec eux et la faire annuler.

[44] Quand l'inspecteur lui a demandé pourquoi il avait accepté de travailler le 1er janvier, si la veille il s'était bel et bien déclaré incapable de travailler, le plaignant a répondu : [traduction] Quand je suis arrivé à la gare, j'ai appris que j'avais été appelé pour 7 h 10 et que le bureau d'équipage avait accepté le travail pour moi. Le train était là. J'ai senti qu'il valait mieux pour moi que j'accepte le travail puisque j'étais tout à fait sobre et apte à travailler, que j'avais la responsabilité de faire mon travail sans retarder le train ou sans me causer davantage de problèmes. Je me suis rendu compte que je n'aurais jamais dû déclarer que je n'étais pas en état de travailler à la gare de détachement, mais, étant donné mon état d'esprit, je croyais que c'est ce qu'il fallait faire à ce moment là.

[45] Le matin du 1er janvier 2002, vers 8 h 10, le plaignant a parlé avec son superviseur Dave James, qui lui a demandé s'il était en état de travailler et le plaignant a répondu : [traduction] oui. Selon le dossier, le plaignant n'a pas informé son superviseur, M. James, qu'il avait signalé la veille qu'il n'était pas en état de travailler, pas plus qu'il ne lui a dit qu'il avait passé la nuit au poste de police. Le plaignant a expliqué qu'il ne croyait pas qu'il avait à le faire, puisque M. James lui aurait dit qu'il avait communiqué avec la GRC et que le plaignant aurait à répondre à des questions à son arrivée à Kamloops.

[46] Quand on lui a demandé comment il a pu se déclarer en état de travailler le matin du 1er janvier 2002 alors que les rapports de la GRC indiquent qu'il était encore en état d'ébriété à 3 h 01, le plaignant a répondu que, au matin, il se sentait [traduction] tout à fait sobre. Il a ajouté qu'il avait eu plusieurs heures pour dégriser et qu'il s'était rendu compte qu'il n'aurait jamais dû faire inscrire qu'il n'était pas en état de travailler. Selon lui, ce qui lui était arrivé au cours de cette soirée était un incident isolé, une grosse erreur que pouvaient expliquer les graves difficultés qu'il éprouvait dans sa vie personnelle. Il a dit qu'il ressentait beaucoup de remords et qu'il était gêné par toute cette situation.

[47] La déclaration de l'employé a été signée par le plaignant et par son représentant, M. Kopp.

b) La déclaration de Larry Hindle

[48] Larry Hindle est mécanicien de locomotive. Le 17 avril 2002, il a fait une déclaration de l'employé au sujet du service qu'il a assuré le 31 décembre 2001 et le 1er janvier 2002 à bord du train entre Jasper et Kamloops. L'entrevue tenue afin d'obtenir la déclaration a été menée par M. John Gosse en présence de M. Kopp, qui agissait à titre de représentant du plaignant, et de M. Jim Manson, le représentant de M. Hindle.

[49] M. Hindle était le mécanicien de locomotive du train Q103, le 1er janvier 2002, lors du voyage de retour à Kamloops. Il a affirmé que, au cours de ce voyage, le plaignant avait conduit la locomotive entre Blue River et Kamloops. M. Hindle a ajouté que le plaignant semblait [traduction] bien se porter quand il est arrivé au travail. Il a également fait savoir que le plaignant lui avait dit qu'il s'était déclaré incapable de travailler la veille, sans en préciser les raisons.

[50] M. Hindle a également mentionné que, à l'arrivée du train à Kamloops, il a été abordé par le superviseur Mitch McAmmond, avec qui il a échangé des vux de bonne année. Il a aussi affirmé que le plaignant était présent lors de cette rencontre.

[51] Finalement, en réponse à une question posée par M. Kopp, M. Hindle a mentionné que, le 28 janvier 2002, le superviseur Dave James l'avait [traduction] interrogé à Jasper au sujet des incidents du 31 décembre 2001. Il a aussi ajouté que, à ce moment, le superviseur avait en sa possession la transcription de la déclaration du plaignant à la GRC.

[52] Après son enquête, M. Gosse a préparé un résumé des deux déclarations de l'employé. Il a conclu : [traduction] À la lumière des renseignements et enquêtes susmentionnés, il est recommandé [...] qu'il soit mis fin à l'emploi [du plaignant] chez [l'intimée] pour violation de la règle générale G du REF et violation de l'article 8, partie 3.1 des IGE, y compris des violations à la politique du CN sur la prévention des problèmes causés par l'alcool et les drogues en milieu de travail. Ce résumé a été envoyé à Eric Blokzyl, alors surintendant du district du sud de la Colombie-Britannique. M. Blokzyl a témoigné que, en raison de la gravité des infractions, il a immédiatement communiqué avec son supérieur, M. James Fitzgerald, directeur général des opérations pour la division du Pacifique, Colombie-Britannique, afin de discuter de l'affaire. Après en avoir discuté avec M. Fitzgerald, M. Blokzyl a dit à M. Gosse de mettre sa recommandation à exécution.

V. LES INCIDENTS QUI ONT SUIVI LE CONGÉDIEMENT DU PLAIGNANT

[53] Le plaignant a été congédié le 19 avril 2002.

[54] Le syndicat a déposé un grief contestant le congédiement du plaignant. Il était d'avis que l'intimée avait imposé une mesure disciplinaire au plaignant en se fiant à des preuves obtenues de façon irrégulière. Par conséquent, il a prétendu que l'enquête était entachée d'erreurs et qu'il fallait annuler la mesure disciplinaire imposée au plaignant.

[55] Le 19 juillet 2002, on a diagnostiqué un carcinome épidermoïde chez le plaignant. Il souffrait d'une tumeur à l'amygdale, laquelle s'était propagée à plusieurs ganglions lymphatiques dans le cou. La maladie était très grave et le médecin du plaignant a décidé de procéder immédiatement à l'opération visant à retirer la tumeur. Le 24 juillet, il a été opéré au cou pour que lui soient retirées les masses. Après l'opération, le plaignant a subi 30 traitements de radiation. Ces traitements se sont poursuivis jusque vers la mi-octobre 2002.

[56] Le plaignant a également affirmé dans son témoignage que son congédiement l'avait anéanti et que, à ce moment, il avait eu recours au Programme d'aide aux familles des employés (PAFE). Il a également cherché un autre emploi. Il a demandé des prestations d'assurance-emploi et les a reçues, jusqu'à ce que son cancer soit diagnostiqué. Les ressources humaines se sont alors mises à lui envoyer des indemnités de congés de maladie.

VI. LE CONTRAT DE RÉINTÉGRATION

[57] En octobre 2002, le vice-président général des Travailleurs unis des transports, M. Ron Hackle, a communiqué avec le plaignant. M. Hackle lui a annoncé que M. Robert Reny, du service des relations de travail de l'intimée, lui avait fait savoir que l'intimée était prête à reprendre le plaignant, à condition que celui-ci accepte les modalités prévues dans un contrat de réintégration.

[58] Plusieurs jours plus tard, M. Hackle a communiqué avec le plaignant et l'a informé qu'il s'était entendu avec l'intimée. Il a expliqué que le plaignant pouvait retourner immédiatement au travail s'il satisfaisait aux exigences médicales de l'intimée et s'il signait un contrat de réintégration. Le plaignant a affirmé qu'il avait alors communiqué avec M. Kopp pour discuter du choix qui s'offrait à lui. Il a témoigné que, bien qu'il ait senti qu'il s'agissait [traduction] d'une violation de ses droits de la personne, il n'avait d'autre choix que de signer le document s'il voulait être réembauché.

[59] Le plaignant a signé le contrat de réintégration le 2 novembre 2002. Le contrat a également été signé par Barry Henry, le président général des Travailleurs unis des transports, le syndicat du plaignant, ainsi que par un agent représentant l'intimée.

[60] Une semaine après que le plaignant eut signé le contrat de réintégration, une infirmière travaillant pour le fournisseur de soins de santé de l'intimée, Medisys, a communiqué avec le plaignant. Elle l'a informé qu'il aurait à passer un examen médical avant de retourner au travail. Le 16 novembre 2002, le plaignant a rencontré le médecin de l'intimée, lequel a procédé à un examen médical complet. Le médecin n'a pas exigé à ce moment que le plaignant subisse un test de dépistage d'alcool ou de drogue. Il a autorisé le plaignant à retourner au travail.

[61] Le 22 novembre 2002, le plaignant a rencontré Eric Blokzyl, superviseur des opérations, lequel l'a accueilli à son retour au travail. Vers treize heures, il a été réinscrit au [traduction] tableau de personnel en surplus2. Plus tard le même jour, vers 17 h 30, le plaignant a reçu un appel du superviseur Mitch McAmmond l'informant qu'il n'était plus en service à la suite de directives données par le superviseur Gosse. Le superviseur McAmmond a dit au plaignant qu'il ne savait pas pourquoi son nom avait été retiré et qu'il devait appeler le superviseur Gosse s'il voulait obtenir plus de renseignements.

[62] Le plaignant a immédiatement appelé le superviseur Gosse, lequel, selon le plaignant, lui a dit : [traduction] M. Witwicky, j'ai entendu dire que vous êtes en train de nous jouer un mauvais tour en essayant de vous faire inscrire sur le tableau de service. Le plaignant lui a répondu qu'il avait reçu du superviseur Blokzyl l'autorisation de retourner au travail, ce à quoi M. Gosse lui a répondu que M. Blokzyl n'était pas son superviseur immédiat, que c'était lui qui était son superviseur immédiat et que ce serait lui qui déciderait s'il pouvait ou non retourner au travail.

[63] M. Kopp a affirmé dans son témoignage que, le même jour, il avait parlé à M. John Gosse. Il a affirmé que ce dernier lui avait demandé si le plaignant avait fourni un échantillon de sang ou d'urine au fournisseur de soins de santé de l'intimée avant de recevoir l'autorisation de retourner au travail. M. Kopp a répondu par la négative.

[64] M. Gosse n'a pas nié qu'il avait retiré le nom du plaignant du tableau de service cette journée-là. Il a expliqué que le contrat de réintégration du plaignant stipulait que certaines choses devaient être faites avant que le plaignant ne soit autorisé à retourner au travail. M. Gosse a dit qu'il n'avait pas été informé que le plaignant avait rencontré M. Blokzyl. Il a ajouté qu'il avait retiré le nom du plaignant du tableau de service pour une courte période, pour s'assurer que le plaignant s'était bel et bien conformé aux obligations prévues dans le contrat. Quand il a été confirmé que la rencontre avec M. Blokzyl avait eu lieu, il a réinscrit le nom du plaignant sur le tableau de service. Il a ajouté qu'au plus deux heures s'étaient écoulées entre le moment où le nom du plaignant avait été retiré du tableau et le moment où il y a été réinscrit. Rien n'a été déduit du salaire du plaignant pendant ce temps.

VII. LES ALLÉGATIONS DE HARCÈLEMENT ET DE REPRÉSAILLES

[65] La plupart des faits relatifs aux allégations de harcèlement concernent la relation tendue entre le plaignant et son superviseur, M. Gosse. Cette tension s'est certainement manifestée lorsque le plaignant a contre-interrogé M. Gosse. Ce dernier s'est montré très peu coopératif et avait des trous de mémoire importants chaque fois que les questions du plaignant ne semblaient pas lui plaire. Il se plaisait à argumenter et semblait, d'une certaine manière, chercher querelle dans sa façon de répondre aux questions.

[66] Pendant toute la période pertinente en l'espèce, M. Gosse travaillait comme surintendant adjoint, gestionnaire du service ferroviaire, chez l'intimée à Kamloops. Sa tâche consistait à superviser l'ensemble des opérations à la gare. Il était responsable de tout le personnel itinérant. Il a qualifié son poste de superviseur [traduction] de première ligne. M. Gosse a démissionné de son poste chez l'intimée le 30 juin 2006. Il travaille maintenant pour Via Rail.

[67] Les faits relatifs à la première allégation de harcèlement soulevée par le plaignant se sont produits le 14 mars 2002. Le plaignant représentait alors M. Plante, un collègue, lors d'une enquête officielle. Le plaignant prétend que, au cours de cette procédure, M. Gosse est entré dans la pièce et a déclaré : [traduction] J'ai lu des choses très drôle à votre sujet sur les murs [des toilettes]. Aucun des individus présents lors de cette procédure ne se rappelait ces paroles.

[68] Selon le plaignant, M. Gosse faisait référence à un document intitulé [traduction] Procédures et protocoles pour l'utilisation du camion de livraison de pizza à Jasper, lequel est une parodie des incidents du 31 décembre 2001. Le document ne faisait pas nommément référence au plaignant, mais les incidents relatés pouvaient certainement faire référence à ce qui s'était produit à Jasper. Le plaignant a affirmé dans son témoignage qu'il avait trouvé ces documents affichés sur les murs de plusieurs toilettes du lieu de travail de l'intimée. Le plaignant a demandé à divers employés s'ils savaient d'où provenait ce bulletin, mais sans succès. Le plaignant a donné à l'intimée le nom d'un collègue de travail qu'il avait vu remettre des copies de ce document à un autre employé. Pour des raisons inexpliquées, l'intimée n'a pas interrogé cet employé quand elle a fait enquête sur ces allégations.

[69] Il est intéressant de souligner que, lors de son contre-interrogatoire, M. Gosse a admis qu'il avait été informé par [traduction] un employé que ce document avait été distribué, mais qu'il n'a jamais poussé plus loin l'enquête sur la question.

[70] Un autre incident s'est produit le 17 janvier 2003. Ce jour-là, le plaignant avait rendez-vous chez le médecin du CN pour subir un test de dépistage de drogue et d'alcool. Il avait obtenu l'autorisation en bonne et due forme de se rendre à ce rendez-vous de la part du superviseur J. Power. Le plaignant a pris congé et s'est rendu chez le médecin. Lorsque le superviseur Gosse a été informé de cela, il a infligé au plaignant une sanction d'une journée de salaire. Le plaignant a déposé un grief à la suite de cet incident.

[71] M. Gosse a expliqué que M. Power était un superviseur qui avait [traduction] été prêté à Kamloops puisqu'il y manquait de superviseur à l'époque. Il a ajouté que M. Power venait de Vancouver, où il n'y avait pas de tableau de personnel en surplus, donc qu'il ne connaissait pas les politiques et procédures applicables aux employés inscrits au tableau. Il a expliqué que, pendant que le nom d'un employé figure sur le tableau de personnel en surplus, il est rémunéré selon un taux quotidien. Si l'employé obtient la permission de s'inscrire en repos pour aller chez le médecin, comme le plaignant l'a demandé, il recevra, selon la convention collective, une rémunération fixée selon un taux quotidien différent, lequel sera plus élevé que celui qu'il recevrait normalement en étant inscrit au tableau de personnel en surplus. Selon M. Gosse, permettre au plaignant de s'inscrire en repos était contraire à ces politiques et à ces procédures et c'est pourquoi il est intervenu pour changer la décision et reprendre la partie du paiement auquel le plaignant n'avait pas droit.

[72] Un mois plus tard, le 17 février 2003, le plaignant a encore une fois été appelé par Medisys afin de subir un autre test de dépistage de drogue et d'alcool. À cette date, le plaignant se trouvait sur ce qui est appelé le tableau de personnel en surplus protégé. Il a téléphoné à son superviseur M. Gosse pour obtenir l'autorisation de se rendre au rendez-vous. Il a expliqué à M. Gosse qu'il était tenu de se rendre au rendez-vous, mais qu'il avait besoin de son autorisation pour prendre congé parce que son nom figurait sur le tableau de service. M. Gosse lui a demandé quand avait lieu le rendez-vous, quelle en était la raison et combien de temps il durerait. Selon le plaignant, lorsqu'il l'a informé des raisons du rendez-vous, M. Gosse a éclaté de rire [traduction] sans pouvoir s'arrêter. Le plaignant a ajouté qu'il s'était senti avili par la conduite de son superviseur.

[73] Selon l'intimée, cette demande a été refusée parce que le nom du plaignant figurait sur le tableau de personnel en surplus à ce moment précis. M. Gosse a expliqué qu'il avait examiné où se trouvait le nom du plaignant sur le tableau de personnel en surplus et que, puisqu'il n'était pas susceptible d'être appelé au travail, il a décidé de ne pas accueillir la demande. L'intimée ajoute de plus que, selon sa politique, les employés doivent fixer leurs rendez-vous chez le médecin pendant leurs heures de repos.

[74] Le plaignant a déclaré qu'il était obligé d'aller à ce rendez-vous puisqu'il s'agissait d'une des conditions énoncées dans le contrat de réintégration. Il a expliqué que, s'il ne s'y présentait pas, il pouvait être congédié pour ne pas avoir respecté les modalités du contrat. Selon le plaignant, M. Gosse lui a dit : [traduction] Vous pouvez prendre une chance, M. Witwicky, et voir ce qui arrivera. Finalement, il n'a pas donné au plaignant l'autorisation de prendre congé pour se rendre à ce rendez-vous.

[75] En février 2003, le plaignant occupait le poste de vice-président local de la section locale 691 des Travailleurs unis des transports, à Kamloops. À un moment au cours de ce mois, le superviseur D. Savage a communiqué avec lui pour lui demander d'assister à une réunion organisée à la demande de l'entreprise. Le plaignant a informé le superviseur Savage qu'il se présenterait à la réunion si le superviseur Gosse l'autorisait à s'absenter pour ce motif. M. Gosse n'y a pas consenti et le plaignant n'a pas assisté à la réunion. À la suite du refus du plaignant d'assister à la réunion, celui-ci a été pénalisé d'une journée de salaire.

[76] Le plaignant a également fait mention d'un programme de mentorat mis en place par l'intimée. Selon ce programme, chaque employé du personnel itinérant se voit assigner un mentor. Le mentor est quelqu'un à qui l'employé peut s'adresser s'il éprouve des difficultés. Avant d'être congédié, le plaignant avait comme mentor un individu du nom d'Elio Marrelli. À son retour au travail après son congédiement, le plaignant a appris que son mentor serait M. Gosse.

[77] Le 17 mars 2003, le plaignant a écrit une lettre à M. Blokzyl dans laquelle il demandait qu'on lui assigne un nouveau mentor. Dans une lettre adressée au plaignant, datée du 10 juin 2003, M. Blokzyl a déclaré que la demande du plaignant visant à faire changer son mentor avait été [traduction] accordée conformément à ses souhaits. Le plaignant a témoigné qu'il n'a jamais changé de mentor et que M. Gosse a continué d'agir à ce titre jusqu'en juillet 2006.

[78] Le 18 mars 2003, le plaignant a écrit une lettre à M. Gosse, dans laquelle il lui demandait d'[traduction] arrêt[er] de [le] harceler. Une copie de cette lettre a été envoyée à M. Blokzyl. Ce dernier a répondu à la lettre le 8 avril en demandant plus de détails au sujet des allégations soulevées dans la lettre.

[79] Le 29 avril 2003, conformément à la politique en matière des droits de la personne pour un lieu de travail sans harcèlement de l'intimée, M. Roger Worsfold, un agent des transports pour l'intimée, a reçu le mandat de mener une enquête concernant les allégations de harcèlement du plaignant. Pour ce faire, M. Worsfold a interrogé M. Gosse ainsi que des témoins désignés par le plaignant, soit Hans Nederpel, Jerry Plante, Jim Manson et Mike Robinson. Après ces entrevues, il a ensuite interrogé le plaignant. À partir de ces entrevues et de divers documents en sa possession, il a conclu que les allégations de harcèlement étaient sans fondement.

[80] L'allégation de représailles concerne une situation relative à une occasion d'emploi chez Union Pacific Railway, une entreprise dont le siège social se trouve aux États-Unis, laquelle avait fait des démarches auprès des employés de l'intimée à l'automne 2003. Union Pacific manquait d'employés à cette époque, alors que l'intimée avait un surplus d'employés dans l'ouest du Canada. Union Pacific s'est informée auprès de l'intimée pour savoir s'il était possible d'offrir à certains de ces employés de travailler pour Union Pacific aux États-Unis. M. Kopp a affirmé dans son témoignage que tous les employés de Kamloops avaient présenté une demande d'emploi, sauf un contremaître de chantier dont l'intimée avait besoin, donc qu'elle ne voulait pas laisser partir. Le plaignant, qui avait manifesté de l'intérêt, s'est vu refuser la chance de déposer une demande. L'explication donnée par l'intimée était qu'elle ne pourrait veiller à ce que le plaignant respecte son contrat de réintégration s'il lui était permis de travailler aux États-Unis.

VIII. ANALYSE

[81] Il ne s'agit pas ici d'une procédure d'arbitrage où l'arbitre doit décider si l'employeur a contrevenu ou non à la convention collective. Il ne s'agit pas non plus d'une action pour congédiement injustifié. Par conséquent, je n'ai pas à décider si l'intimée a prouvé qu'elle avait des raisons valables de congédier le plaignant après les incidents du 31 décembre 2001. La procédure prévue par la Loi pour le traitement d'une plainte ne peut être considérée comme une solution de rechange à la procédure de grief prévue par la convention collective.

[82] Afin de bénéficier de la protection prévue par la Loi, le plaignant doit démontrer l'existence de l'un ou plusieurs des motifs de distinction illicites énoncés à l'article 3 de la Loi. En conséquence, l'analyse qui suit ne portera que sur des questions se rapportant à la Loi.

A. Les plaintes relatives aux articles 7 et 10 de la Loi

[83] M. Witwicky a déposé des plaintes relatives aux articles 7 et 10 de la Loi. L'article 7 prévoit que constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu. L'article 10 prévoit que constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait pour l'employeur de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite. Contrairement aux plaintes relatives à l'article 7 de la Loi, lequel porte sur des actes de l'employeur visant des individus en particulier, l'article 10 de la Loi porte sur les effets discriminatoires que peuvent avoir les lignes de conduite d'un employeur sur un individu ou une catégorie d'individus.

[84] De son côté, l'article 3 de la Loi mentionne la déficience comme étant un des motifs de distinction illicite. L'article 25 de la Loi énonce clairement que le terme déficience comprend la dépendance, présente ou passée, envers l'alcool ou la drogue. En outre, il est bien établi que la protection prévue par la Loi s'étend à ceux qui sont considérés à tort comme ayant une déficience (voir l'arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665, au paragraphe 49).

[85] À la suite des arrêts rendus par la Cour suprême du Canada dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin), et dans Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 (Grismer), la distinction historique entre discrimination directe et discrimination indirecte a été remplacée par une approche unie en matière de décisions tranchant des plaintes en matière de droits de la personne. Selon cette approche, il incombe toujours au demandeur d'établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'intimé. (Voir Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson Sears Limited, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 558.)

B. Y a-t-il preuve prima facie?

[86] Le plaignant soutient qu'il a fait l'objet d'un traitement différent. Il prétend qu'il a été victime de discrimination en raison d'une déficience perçue, c'est-à-dire la toxicomanie et l'alcoolisme. Il incombe au plaignant d'établir selon la prépondérance de la preuve que l'intimée estimait qu'il souffrait d'une déficience.

[87] La preuve qui m'a été soumise n'établit pas que l'intimée estimait que le plaignant souffrait de toxicomanie ou d'alcoolisme. La preuve révèle que la raison pour laquelle le plaignant a été congédié est que l'intimée a jugé qu'il avait contrevenu à [traduction] la règle générale G du REF et à [traduction] la partie 8, article 3.1 des IGE, notamment à la politique du CN sur la prévention des problèmes causés par l'alcool et les drogues en milieu de travail. L'alinéa a) de l'article G du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (le Règlement ou le REF) prévoit que [l]a consommation de boissons alcooliques ou autres substances enivrantes et l'usage de stupéfiants sont interdits aux employés appelés à prendre leur service; la consommation, l'usage et la possession de telles substances sont également interdits pendant le service. L'alinéa 3.1a), sous le titre [traduction] Responsabilité en matière de sécurité, énonce que [traduction] toute personne (gestionnaires, employés, sous-traitants, visiteurs, etc.) doit : a) dès son arrivée, être en état de travailler, être alerte et être capable de travailler en toute sécurité. Si vous désirez connaître les règles précises en matière d'alcool, de drogue, de médicaments d'ordonnance et autres médicaments, veuillez consulter le feuillet du CN intitulé "Politique sur la prévention des problèmes causés par l'alcool et les drogues en milieu de travail. Ces règles étaient en vigueur le 31 décembre 2001.

[88] Selon Robert Reny, gestionnaire principal des ressources humaines chez l'intimée, ces règles ont été instaurées pour assurer la santé et la sécurité des employés, ainsi que pour assurer la sécurité du public. Selon ce qu'il a affirmé, ces règles ont pour but d'établir [traduction] très clairement les obligations auxquelles sont tenues les employés. L'objectif est de prévenir la consommation de drogues et d'alcool ainsi que de sanctionner certains comportements pendant les heures de travail. Je n'ai pas à décider si l'intimée a eu raison ou a eu tort de conclure que le plaignant avait contrevenu à cette politique. Il s'agit d'une question qui doit être tranchée par un arbitre dans le cadre de la procédure de grief prévue par la convention collective.

[89] Le plaignant pourrait légitimement s'élever contre le temps qu'a pris l'intimée pour faire enquête. Il pourrait également contester la procédure utilisée par l'intimée dans le cadre de son enquête sur les incidents. Mais cela n'a aucun lien avec une présumée violation de la Loi. Afin de bénéficier de la protection prévue par la Loi, le plaignant doit prouver l'existence de l'un ou de plusieurs des motifs de distinction illicites énoncés à l'article 3 de la Loi.

[90] Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, je conclus que le plaignant n'a pas établi que l'intimée l'a congédié parce qu'elle croyait ou estimait qu'il était alcoolique. J'estime que la raison pour laquelle l'intimée a congédié le plaignait était que celle-ci croyait, à tort ou à raison, mais ce n'est pas à moi de décider, qu'il avait contrevenu à ses règles et à ses politiques.

[91] Je vais maintenant me pencher sur la question du contrat de réintégration. Le plaignant demande au Tribunal de conclure que les modalités de ce contrat donnaient à penser qu'il était alcoolique et qu'il s'agit là d'un acte discriminatoire. L'intimée soutient que la seule étiquette attribuée à une personne assujettie à un contrat de réintégration conformément à la politique est que cette personne a contrevenu aux règles de travail.

[92] Afin de mieux comprendre les raisons pour lesquelles le contrat de réintégration a été conçu, il est important d'examiner le document de l'intimée intitulé La prévention : un choix sécuritaire. Politique sur la prévention des problèmes causés par l'alcool et les drogues en milieu de travail - Politiques et directives. Ce document prévoit ceci :

Alcool

La possession, la distribution ou la vente de boissons alcoolisées, ainsi que la consommation d'alcool sous quelque forme que ce soit, sont interdites pendant que la personne est en service (y compris pendant les pauses prises sur la propriété du CN ou à l'extérieur), qu'elle est en service commandé ou qu'elle se trouve sur les lieux appartenant au CN, dans les véhicules et sur le matériel de la Compagnie. Cette interdiction peut être levée dans certains cas, avec l'autorisation préalable d'une vice-présidence. Ces dispositions n'empêchent pas les commerçants et les établissements détenant un permis d'alcool de pratiquer leurs activités habituelles.

Il est également interdit à tout membre du personnel d'effectuer son service, normal ou commandé, ou de se trouver sur les lieux appartenant au CN avec un taux d'alcoolémie supérieur à 0,04. Dans tous les cas où un membre du personnel doit subir un test de dépistage pour motifs raisonnables, y compris après un accident ou un incident, il lui est interdit de consommer de l'alcool dans les huit heures qui suivent l'accident ou l'incident ou jusqu'à ce que le test soit effectué ou encore qu'il ait été informé que ce test ne sera pas nécessaire.

[93] Ce document définit également ce qui constitue un poste où la sécurité est primordiale. Il y est énoncé qu'il s'agit de postes qui, selon la Compagnie, ont un rôle majeur directement lié à l'exploitation ferroviaire et pour lesquels toute baisse de performance ou de vigilance pourrait entraîner un incident grave susceptible d'affecter la santé ou la sécurité des membres de son personnel, de ses clients ou du public, ou la sécurité ou la protection des biens ou de l'environnement. Il y est également précisé que les postes de mécanicien, de serre-frein et de chef de train sont classifiés comme des postes où la sécurité est primordiale.

[94] Le document prévoit également que l'employé qui enfreint les dispositions de la politique ou qui ne satisfait pas aux normes de performance de la Compagnie par suite de consommation d'alcool ou de drogues est passible de mesures correctives. Ces mesures correctives varieront selon la nature de l'infraction et les circonstances qui l'entourent. Certaines infractions, si elles sont considérées comme étant suffisamment graves, peuvent entraîner le renvoi de l'employé dès le premier incident.

[95] Le document prévoit aussi la réintégration d'un employé après une infraction à la politique. Il y est mentionné ceci :

Dans certaines circonstances, les membres du personnel peuvent être autorisés à poursuivre leur travail au sein de la Compagnie, après avoir été informés des conditions associées au maintien de leur emploi; ces conditions doivent comprendre au minimum :

une évaluation par un spécialiste en toxicomanie ou en alcoolisme;

l'achèvement de tout programme de traitement recommandé et le respect de tout programme de prévention des rechutes consécutif au traitement;

une abstinence de toute consommation d'alcool ou de drogues pendant au moins deux ans;

des tests pratiqués à l'improviste pendant une période d'au moins deux ans;

aucune autre infraction à la présente politique durant la période de suivi;

le maintien d'une performance conforme aux attentes;

le maintien d'emploi à un poste où la sécurité est primordiale est sujet aux exigences médicales du poste en question en ce qui a trait à l'aptitude au travail.

[96] La politique prévoit également que l'intimée peut faire enquête sur des activités qui ont lieu en dehors du service dans la mesure où elles ont trait à l'alcool ou à la drogue et dans la mesure où elles ont des répercussions sur le milieu de travail. Pour ce qui est du retour au travail d'un employé après avoir obtenu un résultat positif à un test de dépistage d'alcool ou de drogues ou après avoir commis une infraction grave à la politique, cette dernière prévoit que des tests de dépistage peuvent être exigés. Plus précisément, la politique prévoit ceci :

Tous les membres du personnel relevés de leurs fonctions à la suite d'une infraction, y compris ceux occupant des postes où la sécurité est primordiale et ceux dont les problèmes liés à l'abus d'alcool et de drogues sont connus, peuvent être tenus de passer un test de dépistage d'alcool ou de drogues avant la conclusion d'un contrat de maintien de l'emploi ou d'un contrat de réintégration. Dans ces circonstances, le dépistage a lieu à l'improviste pendant une période d'au moins deux ans, et conformément aux modalités du contrat régissant le maintien de l'emploi ou du contrat de réintégration dont la Compagnie et le syndicat ont convenu.

Les dates, qui ne sont pas divulguées, sont fixées avec les Services médicaux. La direction du lieu de travail de la personne concernée est avisée que cette dernière doit se présenter pour un test de dépistage, et les dispositions pour la collecte de l'échantillon sont prises aussitôt que possible après la notification. La date et l'heure précises ne sont communiquées au membre du personnel en question qu'après règlement des détails concernant la collecte.

[97] La preuve établit clairement que le plaignant n'est pas alcoolique. Cependant, serait-il possible de soutenir que la politique de l'intimée a pour effet qu'une personne qui a eu en sa possession ou qui a consommé de l'alcool sur les lieux de travail ou lors d'activités en dehors du service est traitée comme si elle était prédisposée à l'alcoolisme et que, par conséquent, elle peut faire l'objet d'un congédiement? La politique prévoit que si un employé enfreint ses dispositions à la suite de consommation d'alcool, les sanctions appropriées pourront être prises. Ces sanctions dépendent de la nature de l'infraction et des circonstances qui l'entourent. Si cette infraction est suffisamment grave, elle peut entraîner un congédiement dès le premier incident. Selon l'intimée, les incidents du 31 décembre 2001 étaient de cette nature.

[98] Pouvons-nous comparer la politique de l'intimée avec celle d'Imperial Oil dans l'arrêt Entrop c. Imperial Oil Ltd (2000), 189 D.L.R. (4th) 14? Dans cet arrêt, la Cour d'appel de l'Ontario a déclaré, au paragraphe 92 :

[traduction]

Par conséquent, bien que le buveur mondain et le consommateur de drogue occasionnel ne souffrent pas de dépendance, Imperial Oil, pour l'application de sa politique, estime qu'ils sont dépendants. En d'autres termes, Imperial Oil croit que toute personne qui obtient un résultat positif à un test de dépistage de drogue préalable à l'embauche ou à un test de dépistage de drogues ou d'alcool inopiné souffre d'une dépendance. Parce que le Code, dans sa définition du mot handicap, inclut autant la dépendance perçue que la dépendance réelle, toute personne qui obtient un résultat positif à un test de dépistage d'alcool et de drogues prévu par la politique a droit à la protection fournie par [le] Code. Imperial Oil impose des sanctions à toute personne qui obtient un résultat positif à un test - soit en refusant de l'embaucher, soit en lui imposant une mesure disciplinaire, soit en mettant fin à son emploi - en présumant que cette personne risque, tôt ou tard, de se présenter au travail avec des facultés affaiblies et que, en conséquence, elle n'est pas apte à travailler. Par conséquent, la politique a une incidence défavorable sur les personnes qui obtiennent un résultat positif à un test de dépistage d'alcool ou de drogue - elles sont perçues comme souffrant d'une dépendance à une substance. Les dispositions de la politique prévoyant un test de dépistage de drogues préalable à l'embauche et des tests de dépistage de drogue et d'alcool inopinés sont par conséquent discriminatoires prima facie. Il incombe à Imperial Oil de prouver qu'il s'agit d'exigences professionnelles justifiées.

[99] De plus, il existe une similitude entre l'arrêt susmentionné et l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans Association canadienne des libertés civiles c. Banque Toronto-Dominion (1998), 163 D.L.R. (4th) 193, où la Cour d'appel a affirmé au paragraphe 24 :

Je ne vois pas comment il est possible de ne pas conclure que la politique de dépistage de drogues de la Banque constitue à première vue un acte discriminatoire. Je le dis parce qu'en vertu de la politique de la Banque, il est possible que les employés qui ont une dépendance envers la drogue perdent l'emploi qu'ils viennent d'obtenir. Une politique d'emploi qui vise à assurer un milieu de travail dans lequel on ne consomme pas de drogues illégales doit nécessairement avoir un effet préjudiciable sur les toxicomanes.

[100] Je ne crois pas que les décisions susmentionnées s'appliquent en l'espèce. Par exemple, dans l'arrêt Association canadienne des libertés civiles, la Cour d'appel fédérale a conclu que la politique de dépistage de drogues était susceptible de faire perdre leur emploi aux employés toxicomanes. En conséquence, l'acte discriminatoire visait les employés qui étaient toxicomanes. Le plaignant en l'espèce n'est ni alcoolique ni toxicomane. Par conséquent, l'incidence que la politique de l'intimée a sur lui n'est pas la même que l'incidence qu'avait la politique de dépistage de drogues sur les employés testés dans l'affaire Association canadienne des libertés civiles.

[101] Encore une fois, dans l'arrêt Entrop, la Cour d'appel de l'Ontario a convenu que la dépendance à une substance constituait un handicap au sens de la loi et a conclu qu'il y avait discrimination prima facie parce que tous les consommateurs étaient considérés, selon la politique, comme étant dépendants. Par sa politique, l'employeur utilisait les tests de dépistage d'alcool et de drogue pour reconnaître les employés ou les futurs employés qui avaient consommé de l'alcool ou des drogues et les sanctionnait sur la base de ce qu'ils auraient pu faire plus tard.

[102] En l'espèce, la politique de l'intimée ne vise pas à dépister tous les consommateurs d'alcool ou de drogues. Elle sanctionne plutôt les employés qui ont été trouvés en possession de drogues ou d'alcool ou qui en ont consommé pendant le travail. Rien dans la politique n'empêche les employés de consommer de l'alcool dans la mesure où ils ne le font pas pendant le travail et dans la mesure où cela ne les empêche pas d'accomplir leurs tâches. (Voir aussi Middlemiss c. Norske Canada Ltd, 2002 BCHRT 5, au paragraphe 25.)

[103] Quant au contrat de réintégration, il visait à établir les conditions auxquelles le plaignant pouvait reprendre son emploi chez l'intimée. Selon l'article 1 de ce contrat, celui-ci durait deux ans à partir de la date de la signature du plaignant, à moins d'une preuve médicale indiquant que [traduction] le suivi [devait] être prolongé au-delà de ces deux années, comme le déciderait le médecin chef de l'intimée. L'article 2 stipulait que le plaignant acceptait de subir un examen médical, ce qui comprenait un test de dépistage d'alcool et de drogue préalable à la réintégration. Le plaignant a également accepté de subir des tests inopinés de dépistage d'alcool et de drogues pendant deux ans ou plus, comme le déciderait le médecin chef.

[104] L'article 3 précisait que, si le plaignant échouait le test de dépistage d'alcool et de drogues, il ne serait pas admissible à la réintégration et son dossier chez l'intimée serait clos. L'article 4 prévoyait que le plaignant devait se conformer entièrement aux exigences de la Politique sur la prévention des problèmes causés par l'alcool et les drogues en milieu de travail, à la règle générale de sécurité 1.1 ainsi qu'à la règle G du REF, ce qui comprenait l'interdiction de consommer de l'alcool et des drogues.

[105] L'article 5 stipulait que, pour la durée du contrat, le plaignant devait s'abstenir de consommer des drogues et de l'alcool et se conformer aux modalités du contrat. Un manquement à ces conditions pouvait entraîner son renvoi ou le rendre inadmissible à la réintégration. Le plaignant devait également se soumettre à de fréquents examens du rendement de la part de son superviseur et les résultats de ces examens seraient consignés et communiqués au médecin chef.

[106] Finalement, l'article 7 prévoyait que le plaignant serait tenu de rencontrer Eric Blokzyl, lequel travaille pour l'intimée, avant de retourner au travail. Le contrat a été signé par le plaignant, le président général des Travailleurs unis des transports et par un agent du CN.

[107] Le contrat faisait partie d'une proposition relative à la résolution du grief portant sur le congédiement du plaignant. Afin de mieux comprendre l'origine de ce document, j'ai l'intention d'examiner la procédure qui a mené à sa conclusion.

[108] Après le congédiement du plaignant, le syndicat Travailleurs unis des transports a déposé un grief dans lequel il prenait la position suivante :

[traduction]

[L]e syndicat est d'avis que la Compagnie a pris une mesure disciplinaire contre W.C. Witwicky en se fondant sur des éléments de preuve obtenus de façon inappropriée. Par conséquent, le syndicat soutient que l'enquête était entachée d'un vice et demande que soit annulée la mesure disciplinaire infligée à W.C. Witwicky et qu'il soit rétabli dans sa position antérieure.

À titre subsidiaire, et sans porter atteinte à ce qui précède, le syndicat soutient que le simple fait que la police ait relâché le plaignant prouve qu'il était sobre. Par conséquent, il ne peut être démontré qu'il a enfreint une règle et le syndicat demande que soit annulée la mesure disciplinaire infligée à W.C. Witwicky et qu'il soit rétabli dans sa position antérieure.

[109] Il est intéressant de souligner que le grief ne fait nulle part mention d'une quelconque violation des droits de la personne du plaignant ni du fait que son congédiement aurait été motivé par la perception qu'il était alcoolique. Le grief n'est fondé que sur ce que le syndicat qualifie d'[traduction] éléments de preuve obtenus de façon inappropriée.

[110] Le grief a finalement été résolu selon les modalités énoncées dans une lettre de D. Edison, vice-président de la division Pacifique de l'intimée, approuvée par B.J. Henry, président général du syndicat. Dans cette lettre, l'intimée acceptait de réintégrer le plaignant, à condition qu'il accepte les modalités du contrat de réintégration. Le plaignant a accepté ces modalités le 2 novembre 2002.

[111] Le fait que le grief ait été résolu à la satisfaction des parties n'empêche pas le plaignant de déposer une plainte concernant les droits de la personne. Par conséquent, je dois maintenant répondre à la question suivante : le contrat de réintégration viole-t-il les droits que garantit la Loi au plaignant? L'arbitre Michel G. Picher a exposé le droit applicable en de telles circonstances dans Bureau d'arbitrage et de médiation des chemins de fer du Canada, dossier no 3598, une décision arbitrale rendue le 13 décembre 2006. Dans cette décision, il a déclaré que, lorsqu'un employé est réintégré après avoir commis une infraction à la politique sur les drogues et l'alcool de l'intimée, [traduction] sa réintégration est conditionnelle à ce qu'il accepte de se soumettre à un examen médical complet visant à déterminer s'il est dépendant de la drogue ou de l'alcool. Si cet examen révélait une dépendance, sa réintégration serait conditionnelle à ce qu'il suive le traitement ordonné par l'autorité ayant procédé à l'examen et à ce qu'il satisfasse à toute obligation de production de documents pouvant s'y rapporter. [Non souligné dans l'original.]

[112] Nous ne saurons jamais comment aurait réagi l'intimée si le plaignant avait été déclaré positif ou s'il avait manqué à ses obligations établies dans le contrat de réintégration, car le plaignant, du début jusqu'à la fin du contrat, n'a consommé ni drogues ni alcool et n'a jamais échoué de test. Dans la décision Milazzo c. Autocar Connaisseur Inc., [2003] D.C.D.P. no 24, aux paragraphes 177 à 180, le Tribunal a déclaré :

177 Conformément à la politique d'Autocar Connaisseur en matière de dépistage des drogues, la compagnie mettra fin sommairement à l'emploi de tout employé qui obtiendra des résultats positifs à la suite d'un test de dépistage de l'alcool ou des drogues. Si les résultats du test administré à un employé éventuel sont positifs, Autocar Connaisseur retirera son offre d'emploi.

178 On se rappellera que M. Devlin a affirmé dans son témoignage qu'Autocar Connaisseur est d'avis que ces mesures sont nécessaires, étant donné que l'employé qui, sciemment, se présente au travail avec de l'alcool ou des drogues dans son organisme se trouve à trahir entièrement la confiance de son employeur, qui n'a d'autre choix que de mettre fin à la relation d'emploi. Il se peut fort bien qu'il soit loisible à Autocar Connaisseur (à tout le moins du point de vue des droits de la personne) de procéder ainsi dans les cas où des employés consomment de l'alcool ou des drogues par choix et contreviennent volontairement à la politique de la compagnie en matière d'alcool et de drogues.

179 Cependant, la situation est différente dans les cas où l'intéressé souffre d'un état qu'on peut à juste titre qualifier de déficience. Dans ces cas-là, l'employeur est tenu d'accommoder l'employé jusqu'à la contrainte excessive, à moins qu'il lui soit impossible de le faire.

180 Le fait qu'un employé obtienne des résultats positifs à la suite d'un test de dépistage des drogues administré à la demande de l'employeur ne signifie pas nécessairement que l'employé est atteint d'une déficience. Afin de distinguer les employés qui sont atteints d'une déficience liée à l'usage de substances intoxicantes de ceux qui ne le sont pas, il sera peut-être nécessaire d'exiger que l'employé se soumette à une évaluation professionnelle de la part d'un professionnel de la santé compétent. Si l'employeur doit être sensibilisé au rôle que le déni peut jouer dans les problèmes d'abus d'alcool et autres drogues, il appartient en bout de ligne à l'employé ou à l'employé éventuel de démontrer qu'il a droit à la protection offerte par la Loi canadienne sur les droits de la personne. [Non souligné dans l'original.]

[113] En l'espèce, puisqu'il n'a pas été prouvé que le plaignant souffrait d'une déficience, réelle ou perçue, l'obligation d'accommodement dont il est question dans la décision Milazzo n'entrait pas en cause. En outre, puisqu'il n'y a pas eu de violation du contrat de réintégration, le Tribunal n'a rien à juger relativement à l'obligation d'accommodement.

[114] Dans sa plaidoirie, le plaignant a mentionné que, parce qu'il exigeait des échantillons de sang, le contrat de réintégration violait les droits de la personne. En l'espèce, les échantillons de sang ont été fournis avec le consentement du plaignant. Aucune preuve n'indique qu'il a été obligé de fournir ces échantillons. Dans ces circonstances, je ne peux pas conclure qu'il y a eu violation des droits de la personne du plaignant (voir R. c. Dersch, [1993] 3 R.C.S. 768).

C. Conclusion au sujet des plaintes relatives aux articles 7 et 10 de la Loi

[115] Comme le plaignant n'a pu établir qu'il avait une déficience ou que l'intimée estimait qu'il avait une déficience, le plaignant n'a pas prouvé qu'il y avait discrimination prima facie et, par conséquent, sa plainte relative à l'article 7 est rejetée.

[116] Pour ce qui est de la plainte relative à l'article 10, compte tenu de la preuve dont je suis saisi, je ne peux pas conclure que la politique de l'intimée concernant l'alcool et la drogue en milieu de travail et le contrat de réintégration conclu avec le plaignant contreviennent à cet article. Il ne s'agit pas d'une situation où un individu souffre d'une déficience. Dans un tel cas, l'employeur aurait l'obligation de prendre des mesures d'accommodement à l'égard de l'employé sans que cela ne représente une contrainte excessive pour l'employeur, à moins qu'il ne lui soit impossible de le faire. Nous sommes ici en présence d'une politique qui sanctionne les personnes qui sont en possession de drogues ou d'alcool ou qui en consomment pendant les heures de travail. Rien dans la politique n'empêche les employés de consommer de l'alcool dans la mesure où ils ne le font pas pendant qu'ils sont au travail et dans la mesure où cela ne les empêche pas d'accomplir leurs tâches. Par conséquent, la plainte relative à l'article 10 est également rejetée.

D. La plainte relative à l'article 14 de la Loi

[117] Aux termes de l'article 14, constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu. Comme je l'ai expliqué précédemment, les motifs illicites comprennent, selon la Loi, les déficiences physiques perçues, comme l'alcoolisme. Puisque j'ai conclu que le plaignant n'a pas prouvé qu'il souffre d'une déficience, réelle ou perçue, il n'y a aucune raison pour que je me penche davantage sur cette question parce que, s'il y a eu harcèlement, mais je ne conclus pas qu'il y en a eu, il n'était pas fondé sur un motif de distinction illicite, comme le prévoit l'article 14.

[118] La preuve a bien établi qu'il existait une relation tendue entre le plaignant et son superviseur, M. Gosse. Il ne fait aucun doute que le plaignant était irrité par l'attitude et le comportement de son superviseur et qu'il se peut qu'il ait eu raison de l'être. Il se peut également qu'il ait eu des raisons d'être exaspéré par ce qu'il considérait comme une réponse insuffisante de la part de l'intimée à l'égard de ses plaintes, mais cela ne suffit pas au regard de la Loi. Pour que la protection de la Loi puisse s'appliquer, le comportement reproché doit porter sur un motif illicite.

[119] Pour ce motif, la plainte relative à l'article 14 est rejetée.

E. La plainte relative à l'article 14.1 : L'intimée a-t-elle exercé des représailles contre le plaignant?

[120] L'article 14.1 de la Loi prévoit que constitue un acte discriminatoire pour la personne visée par une plainte d'exercer ou de menacer d'exercer des représailles contre le plaignant.

[121] Le Tribunal a adopté deux interprétations légèrement différentes quant au cadre juridique dans lequel une allégation de représailles doit être examinée. Ces interprétations sont illustrées dans deux décisions : Wong c. Banque royale du Canada, [2001] D.C.D.P. no 11, et Virk c. Bell Canada (Ontario), [2005] D.C.D.P. no 2. La principale différence entre ces deux interprétations a trait à l'importance accordée à l'intention de la personne à qui on reproche d'avoir exercé des représailles.

[122] Dans la décision Wong, le Tribunal a jugé que, compte tenu du caractère réparateur de la Loi, la plaignant ne doit pas être tenu de prouver que l'intimé avait l'intention d'exercer des représailles contre lui. L'essentiel de l'analyse porte plutôt sur la perception du plaignant et sur la question de savoir si le plaignant aurait pu ou non croire raisonnablement que la conduite de l'intimé constituait des représailles :

219 Selon Entrop, pour prouver que cet article a été enfreint, il faut démontrer l'existence d'un lien entre les présumées représailles et l'exercice des droits du plaignant en vertu de la Loi. Lorsque des faits démontrent que l'intimé entendait user de représailles en raison d'une plainte relative aux droits de la personne, le lien nécessaire est établi. Toutefois, si le plaignant perçoit raisonnablement que les mesures prises constituent des représailles en raison de la plainte relative aux droits de la personne, il pourrait également s'agir de représailles, nonobstant l'intention prouvée de l'intimé. Bien sûr, il faut déterminer dans quelle mesure la perception du plaignant est raisonnable. L'intimé ne devrait pas être tenu responsable de l'angoisse ou des réactions exagérées du plaignant.

220 Un certain nombre de tribunaux provinciaux des droits de la personne se sont inscrits en faux contre l'analyse présentée dans Entrop. Ces tribunaux ont soutenu qu'en vertu des dispositions relatives aux représailles que renferme la loi applicable, le plaignant doit prouver l'intention de l'intimé d'exercer des représailles. La disposition relative aux représailles ne s'apparente pas aux autres dispositions législatives qui confèrent des droits et ne devrait pas être interprétée comme s'appliquant à des gestes en apparence neutres de l'intimé qui sont susceptibles d'avoir des conséquences défavorables pour le plaignant.

221 Comme la Cour suprême du Canada l'a affirmé dans Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor) (5), la Loi canadienne sur les droits de la personne vise à éliminer les distinctions injustes. La Loi s'attache à éliminer la discrimination plutôt qu'à punir; par conséquent, les motifs ou les intentions des auteurs d'actes discriminatoires ne constituent pas une préoccupation majeure du législateur.

222 À mon avis, on ne devrait pas, selon la logique de Robichaud, interpréter le par. 14.1 comme exigeant que le plaignant prouve l'intention d'exercer des représailles. On ne devrait pas non plus, à mon avis, interpréter le par. 14.1 comme étant différent, du point de vue de l'application, des articles de la Loi qui confèrent des droits. D'après le libellé du par. 14.1, exercer des représailles constitue un acte discriminatoire. Les mesures de redressement qui s'appliquent aux infractions à cet article sont les mêmes que celles qui s'appliquent aux autres actes discriminatoires aux termes de la Loi. À cet égard, le par. 14.1 devrait être confronté à l'art. 59 de la Loi.

[123] Le Tribunal a adopté cette interprétation dans d'autres décisions. (Voir Bressette c. Conseil de bande de la première nation de Kettle et Stony Point, [2004] D.C.D.P. no 26, et Warman c. Winnicki [2006] D.C.D.P. no 18.)

[124] L'autre interprétation est exposée dans la décision Virk :

155 En vertu de l'article 14.1 de la Loi, constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d'exercer ou de menacer d'exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

156 L'exercice de représailles comporte une certaine forme d'acte volontaire visant à infliger un préjudice à la personne qui a déposé une plainte relative aux droits de la personne pour avoir déposé cette plainte. Ce point de vue déroge en partie à ceux qui ont été exprimés dans les décisions antérieures du Tribunal sur la question des représailles (Wong c. Banque Royale du Canada, [2001] TCDP 11; Bressette c. Conseil de bande de la Première nation de Kettle et de Stony Point, 2004 CHRT 40).

157 Dans Wong et Bressette, les points de vue exprimés portent qu'un plaignant n'a pas à prouver une intention d'exercer des mesures de représailles et que si un plaignant perçoit raisonnablement que la conduite reprochée à l'intimé constitue des représailles contre la plainte relative aux droits de la personne, il pourrait également s'agir de représailles, nonobstant l'absence de toute preuve de l'intention de l'intimé.

158 C'est au plaignant qu'incombe le fardeau de prouver qu'il y a eu représailles et celui-ci doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne qu'il prétend avoir exercé des représailles était au courant de l'existence de la plainte, que cette personne a agi d'une manière inopportune et que l'inconduite de cette personne a été motivée par le dépôt d'une plainte relative aux droits de la personne par le plaignant. Les représailles constituant une forme de discrimination en vertu de la Loi, le même fardeau de la preuve devrait s'appliquer aux allégations de discrimination et de représailles.

159 Par conséquent, une preuve de la part du plaignant que la personne qui aurait exercé des mesures de représailles était au courant de l'existence de la plainte et qu'elle aurait agi d'une manière inopportune peut donner naissance à une preuve prima facie de représailles exigeant que la personne qui aurait exercé des mesures de représailles fournisse une explication raisonnable quant aux motifs à l'origine de ses actes. Si l'explication donnée n'est pas crédible, le Tribunal doit conclure que l'allégation de représailles est justifiée.

[125] Cette interprétation a depuis été appliquée dans la décision Shulyer c. Nation des Oneidas de la Thames, [2006] D.C.D.P. no 35.

[126] Que nous adoptions l'une ou l'autre des interprétations susmentionnées, la conclusion demeure la même : rien ne prouve l'allégation du plaignant selon laquelle l'intimée a exercé des représailles contre lui parce qu'il a déposé une plainte en vertu de la Loi. La seule preuve de représailles produite par le plaignant était qu'il s'était vu refuser la possibilité de postuler pour un poste chez Union Pacific Railway, à l'automne 2003, parce qu'il avait déposé une plainte en vertu de la Loi. Malheureusement pour le plaignant, rien dans la preuve ne vient étayer cette prétention. La seule preuve à ce sujet a été amenée par le témoin de l'intimée, M. Blokzyl. Lorsque ce dernier a été contre-interrogé sur la raison pour laquelle la demande du plaignant avait été refusée, il a expliqué que l'intimée jugeait qu'elle ne serait pas en mesure de surveiller de manière adéquate le respect des conditions énoncées dans le contrat de réintégration si le plaignant était autorisé à travailler aux États-Unis. Rien ne prouve que le refus de l'intimée ait eu quoi que ce soit à voir avec la plainte relative aux droits de la personne déposée par le plaignant. Cette explication de M. Blokzyl n'a pas été contestée lors du contre-interrogatoire et aucun autre témoin n'a été interrogé sur ce sujet.

[127] Le plaignant n'a pas prouvé selon la prépondérance des probabilités que l'intimée avait fondé sa décision de refuser la demande du plaignant sur la plainte relative aux droits de la personne qu'il avait déposée ou qu'il peut être conclu que l'intimée avait l'intention d'exercer des représailles contre lui en raison du dépôt de cette plainte.

[128] Pour ce motif, la plainte relative à l'article 14.1 est rejetée.

IX. CONCLUSION

[129] Pour l'ensemble des motifs exposés précédemment, je juge que les plaintes de William Carl Witwicky, déposées auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, le 8 août et le 25 octobre 2003, devraient être et sont par la présente décision rejetées.

Michel Doucet

OTTAWA (Ontario)
Le 6 juillet 2007

1 Une [traduction] indemnité pour attente excessive est versée à l'employé qui se trouve à une gare de détachement et n'est pas rappelé pour travailler dans un autre train dans les onze heures suivantes. L'employé continue à recevoir cette indemnité jusqu'à ce qu'il accepte un travail qui le ramènera à sa gare d'attache.

2 La main-d'oeuvre de l'intimée est divisée en deux tableaux et les employés sont partagés également entre ces tableaux. L'un est appelé [traduction] tableau de personnel en surplus protégé alors que l'autre est appelé [traduction] tableau de personnel en surplus non protégé. Pendant qu'il est inscrit au tableau de personnel en surplus protégé, l'employé peut être appelé sept jours sur sept, 24 heures sur 24, pendant quatorze jours. Quand il a terminé un voyage, l'employé a le droit de prendre au plus 24 heures de repos pendant lesquelles il ne peut être appelé à travailler.

2 Quand les deux semaines d'inscription au tableau de personnel en surplus protégé sont terminées, l'employé est inscrit au tableau de personnel en surplus non protégé pour une période de deux semaines. Pendant ce temps, l'employé ne peut pas être appelé à travailler, mais il reçoit néanmoins une rémunération au taux quotidien prévu. La main-d'uvre est ainsi organisée parce que l'intimée a été aux prises, à un certain moment, avec un surplus d'employés et était incapable de garantir du travail pour tout le monde en même temps.

2

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1123/0506

INTITULÉ DE LA CAUSE : William Carl Witwicky c. La Compagnie des

chemins de fer nationaux du Canada

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 20 au 23 novembre 2006
Les 5 au 7 décembre 2006
Les 15 au 17 janvier 2007
Kamloops (Colombie-Britanique)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 6 juillet 2007

ONT COMPARU :

William Carl Witwicky
assité par Gary Kopp

Pour lui-même

Aucun représentant

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Joseph H. Hunder
assité par Adrian Elmslie

Pour l'intimée

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.