Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 2/ 89

Décision rendue le 8 février 1989

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

Charles F. Holden Appelant

- et

La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada Mise en cause

Tribunal: Niquette Delage, présidente, Nicolas Cliche, Antonio De Joseph

DÉCISION DU TRIBUNAL D’APPEL

Ont comparu: James Hendry Avocat du plaignant et de la Commission canadienne des droits de la personne

Jacques Perron Avocat de la mise en cause

Le présent tribunal, forme de M. Antonio De Joseph, de Cochrane (Ontario) et de M. Nicolas Cliche de la Beauce, membres, et de Mme Niquette Delage, de Montréal, Présidente, a entendu l’appel interjeté par M. Charles Holden, de Châteauguary, contre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, en vertu de l’article 42.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, 1976- 77, c. 33, modifiée par 1977- 78, c. 22, 1980- 81- 82- 83, cc. 111 et 143, 1984, c. 21 et 1985, c. 26.

42.1 (1) La Commission ou les parties peuvent interjeter appel de la décision ou de l’ordonnance rendue par un tribunal de moins de trois membres en signifiant l’avis prescrit par décret du gouverneur en conseil aux personnes qui ont reçu l’avis prévu au paragraphe 40( 1), dans les 30 jours du prononcé de la décision ou de l’ordonnance.

(2) En cas de pourvoi, en application du paragraphe (1), le président du Comité du tribunal des droits de la personne constitue un tribunal d’appel compose de trois membres de ce Comité autres que ceux qui ont rendu la décision ou l’ordonnance visée par le pourvoi.

L’avis d’appel invoque les motifs suivants

  1. Le tribunal n’a pas cherché à déterminer si la retraite forcée de M. Holden impliquait une discrimination fondée sur l’age, alors qu’il s’agit l’a d’une question fondamentale. Il s’est plutôt demandé si le plaignant souhaitait ou non réintégrer la société mise en cause après la cessation de son emploi.
  2. Le tribunal n’a pas établi le bien- fondé de la plainte en discrimination, ce qui aurait obligé la mise en cause à réagir.
  3. Le tribunal a présumé qu’il y avait eu évaluation individuelle du poste dont M. Holden a été retire alors qu’aucune preuve a ce sujet ne lui a été présenté.
  4. Le tribunal semble avoir cru, à tort, que le fait pour M. Holden de recevoir une indemnité de cessation d’emploi mettait un terme à toutes ses revendications contre la mise en cause en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
  5. Le tribunal a accordé beaucoup trop d’importance au fait que la prise de retraite de M. Holden avait eu lieu pendant une période de récession économique. Une mauvaise conjoncture n’autorise en aucun cas l’employeur à exercer une discrimination.
  6. Le tribunal n’a pas considéré la valeur probante des éléments à partir desquels il aurait d conclure que M. Holden avait été forcé de prendre sa retraite à cause de son age.
  7. Le tribunal a négligé d’établir le bien- fondé de la plainte de M. Holden et de lui adjuger un redressement approprié.

Les faits

M. Charles Holden est entre à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci- après appelé CN) en janvier 1941, a l’age de 18 ans.

De 1941 à 1963, M. Holden a travaillé pour le service de la comptabilité. En mars 1963, il est devenu analyste de l’élaboration des statistiques au service du marketing. Il alors été chargé de créer un programme de statistique des ventes marchandises, à des fins d’informatisation.

En juin 1966, et jusqu’au mois de juillet 1980, M. Holden est passé du poste d’agent adjoint - statistiques marchandises celui de coordonnateur de statistique des ventes marchandises.

En juillet 1980, M. Holden est devenu agent principal de la planification financière. A ce titre il agissait en tant qu’adjoint du coordonnateur de la planification financière qui lui- même relevait du directeur (réseau) - Planification et développement des systèmes.

A l’époque qui nous intéresse, M. Holden avait pour collègues six agents de la planification financière, chacun étant chargé d’un secteur du marché: carburants et produits chimiques; produits forestiers; Intermodal; automobiles; produits agricoles et alimentaires; minerais, minéraux, métaux et produits manufacturés.

Le 24 septembre 1980, son rendement a été évalué; il travaillait alors comme agent principal de la planification financière depuis deux mois. Une appréciation complète de son rendement, effectuée plus tard, soit le 8 avril 1981 a révélé que M. Holden ne répondait pas entièrement aux attentes de ses supérieurs.

M. Holden avait souffert de diabète, mais, a l’automne 1981, il était rétabli .

En septembre 1981, M. Holden est devenu agent de la planification financière pour les produits céréaliers et agricoles. Son salaire est resté le même, et, en janvier 1982, il a reçu une augmentation de rémunération de 10 p. 100.

Le 24 février 1982, M. Holden a appris de la bouche de son chef de service, le gestionnaire des systèmes, qu’il allait être mis à la retraite le 31 juillet 1982, parce que la société procédait à une compression de personnel. Une lettre lui a été présentée à ce moment- là, mais il a d’en prendre possession.

Une autre lettre semblable, datée du 1er mars 1982, a effectivement été reçue par M. Holden. Elle était accompagnée d’un bref exposé de l’administration des pensions de retraite du CN, en date du 8 février 1982, informant M. Holden des détails relatifs à sa rente de retraite et des sommes qui allaient lui être versées chaque mois après qu’il aurait pris sa retraite.

Dans une lettre datée du 16 mars 1982, M. Holden a demandé que l’avis contents dans la lettre du 1er mars 1982 soit annulé jusqu’à ce que de nouveaux arrangements financiers soient pris par négociation, ou qu’un nouveau poste lui soit accordé au CN. Il y déclarait également que (traduction) toute indemnité de cessation d’emploi inférieure au salaire d’une année signifierait pour lui des ennuis financiers sérieux, dans l’immédiate et dans le court terme.

Le 25 mars 1982, M. Gosman, directeur (réseau) - Expansion du marché, a fait parvenir à M. Holden une lettre où il lui expliquait l’impossibilité de lui accorder une indemnité équivalente à un an de salaire. La politique du CN concernant la cessation d’emploi ne le permettait pas. La société lui offrait toutefois, à ses frais, les services d’un expert en planification financière. M. Gosman ajoutait:

(traduction)

"la nécessité pour le service de marketing de procéder à des compressions de ses dépenses de fonctionnement reste inchangée. Il est donc impossible d’envisager un report de la décision qui entraîne votre mise à la retraite le 31 juillet 1982".

Le 26 avril 1982, M. Holden a écrit à M. R. E. Lawless, Président des chemins de fer du CN, une lettre où il faisait allusion aux circonstances de sa retraite prochaine. Encore une fois, il demandait qu’on lui accorde une indemnité supérieure celle normalement offerte. Il fondait sa demande sur sa situation financière.

Le 3 mai 1983, M. Lawless a répondu aux lettres de M. Holden, l’adressant à M. J. H. D. Sturgess, vice- président du marketing au CN.

Comme suite à la lettre de M. Lawless, M. Holden a donc rencontré M. Sturgess, ainsi qu’il 1éxplique dans son témoignage (p. 99 et suivantes, volume 1, 16 février 1987).

Le 25 ao t 1982, M. J. Maurice LeClair, Président et directeur général du CN a écrit à M. Holden une lettre lui annonçant officiellement que sa pension de retraite était approuvée aux termes du régime de pension de 1959. Il y remerciait M. Holden pour sa contribution aux activités du CN.

Après quelque temps, le poste de M. Holden a été repris par M. Bob Babcock, sous la désignation d’agent de la planification financière, produits céréaliers et agricoles. M. Babcock était alors âgé de 41 ans, comme l’a expliqué M. Larkman, adjoint au vice- président - marketing pour les questions de personnel et d’administration (p. 388, Volume 3, 18 février 1987).

Avant que M. Holden ne quitte le CN, le poste d’agent de la planification financière pour les carburants et les produits chimiques s’est libéré puis a été repris par l’agent de la planification financière chargé du secteur des produits forestiers, tandis que ce dernier poste a été attribué à une personne qui travaillait dans une autre région. Ces renseignements ont été fournis dans l’interrogatoire principal de M. Charles Holden (p. 109, Volume 1, 16 février 1987).

A ce propos, il convient également de souligner que les graphiques 3- A et 3- B indiquent une fusion, en 1982, du secteur des automobiles (auto) et de celui des minerais, minéraux, métaux et produits manufacturés, comme l’a expliqué M. Peter Gosman, gestionnaire adjoint directeur - développement du marché, dans son témoignage (p. 414 et suivantes, Vol. 3, 18 février 1987).

Des organigrammes ont été déposés par le CN en tant que pièce R- 4. Dans un des graphiques (3- A), en date de janvier 1982, on voit que M. Holden occupait le poste d’agent de la planification financière pour les produits agricoles et alimentaires. Dans le graphique 3- B, en date de septembre 1982, le même poste est occupé par M. R. Babcock. M. Holden avait quitté le CN le 31 juillet 1982.

LA DÉCISION

Le présent tribunal prend acte que les articles de la Loi canadienne sur les droits de la personne, 25- 26 Elizabeth II, Chapitre 33, proclamée le 14 juillet 1977, invoqués par M. Charles Holden en tant que fondement de sa plainte, sont les articles 7 et 10 de ladite Loi.

Article 7. Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

Article 10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur, l’association d’employeurs ou l’association d’employés

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite, ou b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

Ayant pris connaissance des diverses questions posées au présent tribunal par l’appelant, nous avons l’intention de répondre à chacune d’entre elles dans l’ordre où elles nous ont été présentées.

I. A la question: le tribunal de première instance a- t- il négligé de déterminer si la mise à la retraite forcée de M. Holden impliquait une discrimination fondée sur l’age, et a- t- il plutôt cherché à savoir si le plaignant souhaitait ou non réintégrer la société mise en cause après la cessation de son emploi ? le tribunal répond non.

Le tribunal est d’avis que la situation qui régnait à l’époque exigeait que le CN procède à des réductions de personnel; qu’en fait, des réductions équivalant à 10 p. 100 du personnel ont été ménagées dans le groupe du marketing; que 97 personnes ont été remerciées, certaines plus jeunes, et certaines plus âgées que M. Holden. Des mentions expresses concernant ces réductions sont contenues dans la lettre du 24 septembre 1982 adressée à M. R. E. Lawless et signée par M. J. H. D. Sturgess, déposée en tant que pièce R- 3, de même que dans l’interrogatoire de M. A. Larkman par M. Perron, avocat du CN (p. 353, 355 et 407, Vol. 3, 18 février 1987).

La raison fondamentale de ces compressions est une perte de 670 000 000 $ enregistrée dans les recettes du CN, comme l’a expliquée M. Peter Gosman dans sa déposition (p. 405, 406 et 407, Vol. 3, 18 février 1987).

La seule préoccupation de M. Holden était- elle de réintégrer la compagnie après la cessation de son emploi ? Est- ce là réellement ce que le tribunal de première instance a conclu des événements qui se sont produits entre février 1982 et le 31 juillet 1982 ?

Le présent tribunal ne voit rien dans la décision rendue par le tribunal de première instance qui indique une absence d’intérêt et un défaut de se prononcer sur la question fondamentale de la discrimination fondée sur l’age qu’aurait impliquée la mise à la retraite forcée de M. Holden. Premièrement, en ce qui concerne sa réintégration, n’est- ce pas l’a une possibilité certaine lorsqu’une convention collective prévoit la réintégration dans le cas des mises à pied décrétées par l’employeur en raison d’un manque de travail, par exemple ? Dans le cas présent, aucune convention collective ne protégeait M. Holden. En effet, aucune protection n’était prévue pour le personnel de gestion dans des circonstances telles que celles décrites par les représentants de la compagnie qui ont été appelés à témoigner sur les circonstances qui existaient à l’époque. Deuxièmement, que penser des droits d’ancienneté ? Il en a été question, mais cet élément ne peut être pris en considération, pensons- nous, pour la même raison. On trouve une explication à ce sujet dans une décision de la Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Jules Décarie c. les Produits pétroliers d’Auteuil Inc., (1986) RJO (C. A.) 2471 et 2472, citée par M. Jacques Perron, avocat du CN:

(traduction)

"L’ancienneté n’est pas une règle de droit. Elle existe uniquement si elle est prévue dans une convention collective ou un contrat de travail."

Le tribunal n’hésite pas à dire que le CN n’avait aucune obligation de mettre d’abord à pied les personnes ayant moins d’années de service que M. Holden au CN, avant même de songer a lui en tant que victime possible de la réorganisation structurelle nécessitée par la désastreuse situation économique qui touchait l’ensemble du Canada. Le tribunal ne constate aucune défaillance dans le jugement vise par le pourvoi. Il nous semble évident que, dans son examen de la question fondamentale de la discrimination fondée sur l’âge, le tribunal de première instance a rejeté ce motif illicite de distinction comme cause réelle de la mise à pied de M. Holden par le CN.

Il ne fait aucun doute que M. Holden souhaitait être réintégré dans la compagnie, comme il le déclare dans sa lettre du 16 mars 1982. Toutefois, cette possibilité n’était évoquée que dans l’éventualité où il n’y aurait aucune possibilité d’améliorer l’offre financière faite par le CN. Cette preuve documentaire a été examinée par le tribunal de première instance, et rien ne permet de douter que les souhaits de M. Holden correspondaient bien à ses déclarations écrites.

Le présent tribunal aimerait souligner que M. Holden n’a peut- être pas choisi la meilleure voie de recours. Lorsque ces événements se sont produits, si M. Holden était convaincu qu’il avait été mis a pied à tort, il aurait d , croyons- nous, s’adresser à la Commission des normes du travail du Québec pour obtenir un redressement. > - 10 II A la question: le tribunal de première instance a- t- il négligé d’établir le bien- fondé de la plainte pour discrimination, ce qui aurait obligé la mise en cause à réagir ? le présent tribunal répond non.

Non seulement nous ne constatons aucune intention d’exercer une discrimination de la part du CN, mais nous estimons que la jurisprudence concernant la question de l’intention n’est pas pertinente. Le passage concernant cette question dans l’affaire de la Commission ontarienne des droits de la personne et Theresa O’Malley (Vincent) c. Simpsons- Sears Limited, (1985), 2 SCR 536, précise notre position:

(traduction)

"(...) conclure que l’intention constitue un élément nécessaire de la discrimination en vertu du Code (Code ontarien des droits de la personne) serait, me semble- t- il, élever une barrière pratiquement insurmontable pour le plaignant qui demande réparation. (... ) Je suis d’avis que les tribunaux d’instance inférieure ont eu tort de conclure que l’intention d’établir une distinction constitue un élément de preuve nécessaire." Le Juge McIntyre.

L’absence totale de preuve de l’intention est déterminante dans la présente affaire. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a aucune preuve de discrimination au départ. Et bien que, comme l’affirme la jurisprudence dans l’affaire O’Malley, il n’y ait aucune obligation de prouver l’intention pour déterminer s’il y a eu discrimination, le présent tribunal a quand même examine l’ensemble de la situation et constate que la discrimination dont se plaint l’appelant, en l’espèce, n’apparaît pas fondée. Nous avons procédé à un examen soigneux et approfondi des éléments de preuve présentés par les deux parties. Nous avons étudié de façon très serrée le raisonnement du tribunal de première instance. Nous nous sommes efforcés de considérer objectivement chacun des côtés et d’écouter attentivement les arguments des deux parties. Or, pour nous, il ne fait pas de doute que le tribunal de première instance n’a commis aucune erreur dans sa décision à cet égard. En fait, le présent tribunal est d’avis que le plaignant, compte tenu de la longue expérience qu’il avait accumulé dans la population active, et plus précisément au CN, société pour laquelle il a travaillé 41 ans, aurait d savoir que, dans certaines circonstances (lesquelles existaient en l’occurrence), une entreprise est parfois forcée de prendre des décisions qui sont aussi difficiles pour elle que pour les employés qu’elle se trouve obligée de désigner pour une mise à pied rendue nécessaire par des restrictions financières aussi importantes que celles dont il est question ici.

Les communications écrites de M. Holden démontrent sans contredit qu’il avait conscience de la situation dans laquelle le CN se trouvait. Il comprenait le problème et n’a pas remis en question les faits qu’on lui a présentés pour expliquer la décision qui avait été prise. D’ailleurs, à cette époque difficile, ne se trouvait- il pas lui- même gêné financièrement, et n’a- t- il pas invoqué cette raison pour demander une indemnité de cessation d’emploi plus élevée?

Ceci dit, le présent tribunal constate que le CN a agi dans son propre intérêt à l’époque, ce qui est légitime, et qu’il a fait preuve d’un désir réel de limiter les dégâts d’une décision difficile pour toutes les parties concernées.

D’autre part, on a déclaré ce qui suit au présent tribunal:

  1. Le tribunal de première instance n’a pas examiné la preuve selon la procédure applicable normale des tribunaux des droits de la personne.
  2. Le tribunal de première instance était tenu de déterminer le bien fondé de la cause de discrimination fondée sur l’âge qui lui a été présentée et ne l’a pas fait.

Pour appuyer cette allégation, qui est aussi invoquée comme motif de pourvoi, l’appelant cite plusieurs affaires qui sont à l’origine de règles de procédure qui leur sont propres. Ce sont

- La Commission ontarienne des droits de la personne, Bruce Dunlop, Harrold E. Hall et Vincent Gray c. la municipalité d’Etobicoke (1982) 1 SCR 202,

- La Commission ontarienne des droits de la personne et Theresa O’Mally (Vincent) c. Simpsons- Sears Limited (1985) 2 SCR 536,

- K. S. Bhinder et la Commission canadienne des droits de la personne c. la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, le Procureur général du Canada et al., (1985) 2 RCS 561, Furnco Construction Corporation v. William Waters et al., U. S. Supreme Court Employment Practices Décisions, p. 6028 et suivantes (affaire jugée aux États- Unis),

- Mary Gadowsky c. la Commission scolaire du comté de Two Hills, No 21, CHRR, Volume 1, Décision 37, 20 octobre 1980,

- Foster Wheeler Limited c. la Commission ontarienne des droits de la personne et Gladstone Leslie Scott, CHRR, Volume 8, Décision 656, septembre 1987.

Après avoir soigneusement étudié ces décisions, le présent tribunal affirme à nouveau que le tribunal de première instance était dans une position idéale pour examiner la preuve qui lui a été présenté, qu’il a évalué tous les éléments constituant ladite preuve, se fondant sur les documents écrits mis à sa disposition qui dataient de la période où s’étaient produits les événements en question, en 1982, et qu’il a jugé que le plaignant n’avait pas établi le bien- fondé de la discrimination fondée sur l’âge, et qu’il n’avait donc pas inversé la charge de la preuve sur l’employeur. Nous ne voyons aucune raison de ne pas accepter cette conclusion.

III. Passons maintenant à la question de savoir si le tribunal de première instance a présumé à tort qu’une évaluation individuelle avait été faite du poste dont M. Holden a été retire, alors qu’aucune preuve à ce sujet ne lui avait été présentée.

Le présent tribunal a passé en revue les témoignages dans lesquels il avait été question de l’évaluation. Il est d’avis que le tribunal de première instance n’a pas présumé à tort qu’une évaluation individuelle avait été faite de M. Holden dans le poste dont il a été retiré. En fait, une évaluation avait bel et bien eu lieu, comme l’a expliqué M. Peter Gosman, supérieur immédiat de M. Holden.

M. Gosman avait reçu, directement de la haute direction du CN, l’ordre d’élinimer un certain nombre de postes, ce qui devait être fait assez rapidement. M. Gosman s’est donc employé à évaluer, pour chacune des personnes travaillant dans le groupe du marketing, le rendement, les qualités et la capacité de fonctionner dans une situation où le personnel serait restreint. Il s’est également demandé ce que chacune des personnes en place à cette époque pourrait accomplir en ces temps difficiles. Les employés les plus performants, les plus compétents et les plus aptes à faire face à une telle situation ont été repérés. M. Holden n’était pas du nombre. Voici ce qu’a déclaré M. Gosman sur toute cette opération, au sujet de laquelle aucun document écrit n’a d’ailleurs été soumis au tribunal de première instance:

(traduction)

"Premièrement, je n’avais pas le choix, il fallait que je procède à une réduction (page 408, Volume 3, 18 février 1987). (...) deuxièmement, je suppose que j’ai essayé de le faire de façon à nuire le moins possible à notre capacité d’exécuter le travail. (...) Pour ce qui concerne l’expérience et les états de service antérieurs, le mieux à faire dans les circonstances était de procéder à une évaluation. C’est ce que j’ai fait." (page 412, Volume 3, 18 février 1987).

En agissant de la sorte, M. Gosman s’est- il acquitté de l’ obligation que lui impose l’article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, d’après les affirmations de l’appelant, de prendre en considération les mérites personnels de M. Holden ? Ici encore, l’appelant cite deux décisions à l’appui de son affirmation, à savoir l’affaire Etobicoke citée plus haut et Air Canada c. Carson (1985) 1 C. F.

Ces décisions soulignent- elles la nécessité de tenir compte du mérite personnel pour que cette question soit pesée nettement et complètement dans la preuve, comme l’affirme l’appelant ?

Le CN avait pour habitude d’évaluer son personnel de gestion une fois par année. C’est ce qu’ont expliqué au tribunal de première instance M. David Bartlett (page 276, Volume 2, 17 février 1987) et M. Peter Gosman (page 408, Volume 3, 18 février 1987).

Le présent tribunal estime que le tribunal de première instance a parfaitement bien compris que des évaluations du rendement (pièce C- 5) de M. Charles Holden dans son poste d’agent principal de la planification financière avait été faite à deux occasions: la première, le 24 septembre 1980, soit peu de temps après la prise de fonctions de M. Holden dans son poste. A la lecture de cette appréciation, M. Holden avait demande, d’après une note inscrite sur le formulaire de ladite évaluation, qu’il soit procédé à un réexamen officiel six mois plus tard, soit le 21 mars 1981. Il convient de souligner que cette évaluation faisait état d’un rendement plus ou moins satisfaisant de M. Holden en tant qu’agent principal des finances, poste où les pressions et la tension nerveuse faisaient partie intégrante des exigences journalières.

D’après une deuxième évaluation du rendement de M. Holden, datée du 8 avril 1981 (pièce C- 6), son rendement laissait a désirer. M. Holden avait exprimé ses commentaires à ce sujet dans un document écrit qui est annexé à cette évaluation.

Après un certain temps, en septembre 1981, M. Holden a été déplacé de son poste d’agent principal de la planification financière et nommé agent de la planification financière pour les produits céréaliers et agricoles. Il avait occupe ce poste moins de cinq mois lorsque les ordres de réduction du personnel ont été reçus de la haute direction du CN.

Répétons- le, l’évaluation faite par M. Peter Gosman n’était pas officielle, et le tribunal de première instance n’a été saisi d’aucun document intitulé Évaluation du rendement de Charles Holden en tant qu’agent de la planification financière pour les produits céréaliers et agricoles. Il a toutefois entendu le témoignage de M. Gosman sur la façon dont il avait agi pour exécuter les ordres reçus. Il devait prendre une décision rapide. C’est pourquoi, après avoir évalué tous ses joueurs et s’être demandé comment ceux- ci se comporteraient dans une situation donnée, il avait fait un choix.

Dans ce contexte, le tribunal de première instance en est arrive, avec raison, à la conclusion suivante:

"Considérant qu’il a été prouvé que les abolitions de postes ont été effectuées sur la base des recommandations des directeurs immédiats de chaque département, le tout base sur la performance individuelle des employés durant le cours de l’année précédant lesdites recommandations et/ ou abolitions de postes, il n’a pas été prouvé qu’il y a eu discrimination à l’égard du plaignant d à son âge tel qu’allégué dans sa plainte."

Le présent tribunal aimerait insister sur le fait que le tribunal de première instance n’a fait allusion à aucune évaluation annuelle du rendement, mais plutôt à une évaluation particulière faite à un moment donné, alors que le travail effectué par tous les membres du personnel au cours des douze mois précédents était susceptible de laisser voir les points forts et les points faibles de chacun de ceux qui étaient en place à l’époque.

Il s’est trouvé que l’évaluation de M. Holden n’était pas très bonne. On a donc décidé de le licencier. En effet, des réductions avaient été ordonnées. On comptait deux employés disponibles pour chaque poste, car un poste sur deux devait être aboli.

IV. A la question de savoir si le tribunal de première semblait avoir jugé, à tort, que le fait pour M. Holden de recevoir une indemnité de cessation d’emploi quelconque mettait un terme à toutes ses revendications contre la mise en cause en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le présent tribunal croit que non.

Le tribunal de première instance ne s’est pas trompé en déclarant comme il l’a fait:

"Considérant qu’en date du 16 juin 1982, le plaignant a concrétisé ses négociations avec ses supérieurs et accepté les modalités financières négociées avec ses supérieurs en signant une autorisation de transfert d’une somme de 15 700 06 $ à l’intention de son plan enregistré d’épargne- retraite lors de la terminaison de ses fonctions avec son employeur;"

En affirmant qu’il n’avait pas mis un terme à sa négociation avec le CN, l’appelant cite à l’appui un passage de l’affaire Etobicoke:

(traduction)

"Le Code des droits de l’homme de l’Ontario a été adopté par le Parlement de la province de l’Ontario à l’avantage de l’ensemble de la collectivité et de chacun de ses membres et il fait nettement partie de cette catégorie de textes législatifs auxquels on ne peut déroger ou que l’on ne peut modifier par contrat de gré à gré." (La Commission ontarienne des droits de la personne, Bruce Dunlop, Harold E. Hall et Vincent Gray c. La municipalité d’Etobicoke (1982) 1 R. C. S.

L’appelant cite également le passage suivant tire de l’affaire Craton: The Winnipeg School Division c. Craton (1985) 2 R. C. S.:

(traduction)

"L’argument soulevé devant l’instance inférieure, mais sur lequel on n’a pas insisté devant cette Cour, selon lequel les parties, en s’engageant à respecter l’article 14 de la convention collective, avaient renoncé par contrat aux dispositions du paragraphe 6 (O), est irrecevable. Le Human Rights Act est une loi qui énonce une politique publique et les parties ne peuvent s’y soustraire par contrat de gré a gré. Voir: La Commission ontarienne des droits de la personne c. la municipalité d’Etobicoke (1982) 1 R. C. S. pages 213 et 214."

Que les parties prennent des arrangements, soutient l’appelant, cela ne signifie aucunement que le tribunal n’a pas compétence pour examiner la question de la discrimination; de plus, le fait que j’aie accepté une somme d’argent n’a pas éteint les recours qui s’ouvraient à moi. Le présent tribunal a écouté tous les arguments présentés par les parties. Tout en estimant que ce qui s’est passe entre le CN et M. Charles Holden n’est pas loin de constituer une transaction, ainsi que l’a décrite l’avocat du CN, M. Jacques Perron, l’entente en question ne peut- être considérée comme ayant le caractère final d’une transaction. Ceci dit, il reste que M. Holden a bel et bien accepté la proposition que lui a faite le CN. Des négociations ont eu lieu, comme en fait foi l’échange de correspondances qui a eu lieu et dont le tribunal de première instance a pris connaissance.

Il apparaît clairement que le tribunal de première instance ne pouvait que conclure que le CN ne s’était nullement engagé à assurer un emploi à ses employés pendant un nombre d’années illimité et, encore moins, à garantir le même emploi à ses employés pendant un nombre x d’années.

Il est manifeste aussi que le tribunal de première instance a reconnu que la direction d’une entreprise a la prérogative de déplacer ses employés là où elle le juge bon et selon les besoins. C’est pourquoi, en exprimant ses conclusions comme il l’a fait, le tribunal de première instance a fait remarquer, avec raison, que M. Holden avait accepté ce que le CN lui avait offert, et que ce geste suffisait pour convaincre n’importe quel observateur objectif que M. Holden n’avait pas le sentiment d’avoir fait l’objet d’une discrimination.

Il faut se rappeler que la décision de le licencier lui a été communiquée en février 1982. Au cours des semaines et des mois qui ont suivi, il a eu le temps de réfléchir à sa situation et lorsque, en juin 1982, on lui a présenté pour sa signature les documents convenus, il aurait certainement pu, s’il avait été convaincu que son âge constituait le motif réel de son départ, refuser de signer ces documents et poursuivre les négociations. Et qui sait ce qu’il en aurait résulté?

Ainsi, le tribunal de première instance n’a pas commis d’erreur en décidant qu’aucune discrimination pour motif d’âge n’avait été exercée par le CN. Tous les gestes de M. Holden, entre le moment de l’annonce et celui de son départ du CN, traduisent une acceptation de la situation, et la signature des documents en est la confirmation ultime.

D’après le présent tribunal, c’est de cette acceptation qu’il est question par sous- entendu dans les termes utilisés par le tribunal de première instance pour justifier sa conclusion de non- discrimination. Or, le présent tribunal ne voit aucune raison de remettre cette conclusion en question.

V. A la question de savoir si le tribunal de première instance a accordé trop d’importance au fait que la retraite de M. Holden a eu lieu pendant une période de ralentissement économique, alors qu’une mauvaise conjoncture n’autorise en aucun cas un employeur à exercer une discrimination, le présent tribunal répond que cette question générale appelle plusieurs considérations.

Il n’y a pas de réponse toute faite, comme le tribunal de première instance a pu s’en rendre compte. Plusieurs éléments lui ont été présentés, et il lui a fallu les évaluer un à un. Dans son arrêté, il exprime sa ferme conviction que la preuve soumise à l’appui de la cause du plaignant n’était pas suffisamment solide pour permettre de conclure que le bien- fondé de la discrimination avait été prouvé devant lui. Manifestement, le tribunal de première instance n’a pas trouvé ici les éléments avancés par le Juge McIntyre dans l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson- Sears (1985) 2 R. C. S., à savoir:

(traduction)

"Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé" (p. 558)

La jurisprudence citée par le plaignant concerne le cas de Mme Gadowski, qui avait subi une discrimination en raison de son age. Et nous reconnaissons tous le bien- fondé de cette affaire.

Dans le cas qui nous occupe, soutient l’appelant, il revenait à l’employeur de démontrer que le licenciement reposait sur un motif réel.

Dès le départ, l’employeur, le CN, a invoqué la situation économique comme fondement de sa décision de procéder à des réductions de personnel. Personne ne pourrait contester qu’une mauvaise situation financière prévalait; qu’en fait la conjoncture était désastreuse pour l’ensemble du monde des affaires; et qu’il fallait prendre des mesures pour régler les problèmes crées par cette récession, particulièrement sévère en 1981- 1982.

Le tribunal devait- il se substituer aux dirigeants de cette très importante société et déterminer quelles mesures ils auraient d prendre à l’époque au lieu de celles qui ont effectivement été prises? Ce n’est certainement pas là ce que la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit. Ce que la Loi interdit, ce sont les actions dont on peut conclure, sans équivoque, qu’elles découlent d’une décision fondé sur une distinction illicite.

La preuve de la discrimination doit être établie. Le tribunal de première instance a jugé, en toute honnêteté, que cette preuve n’avait pas été faite. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce quel étant donné les circonstances particulières qui prévalaient à l’époque, ce soient ces circonstances, et elles seules qui lui aient paru expliquer le comportement des gestionnaires du CN. Comme l’a déjà souligné le présent tribunal, il était impossible de ne pas tenir compte du contexte dans lequel les décisions et les mesures avaient été prises. En ce qui concerne le contexte global, le présent tribunal ne croit pas que le tribunal de première instance ait accordé trop de poids aux éléments de preuve qui lui ont été soumis à propos de la conjoncture économique.

De surcroît, la situation économique n’a pas servi de prétexte, comme le soutient l’appelant, pour exercer une discrimination fondée sur l’age et licencier un employé qui avait accumulé 41 ans de loyaux services au CN. Le présent tribunal est convaincu que la raison véritable pour laquelle M.

Holden a été remercié est que les événements et les problèmes économiques que ceux- ci suscitaient étaient de nature à exiger la prise d’une décision fondée sur des considérations économiques. Et les plus compétents ont survécu. C’est aussi simple que cela.

VI. A la question de savoir si le tribunal de première instance a négligé de considérer la valeur probante de certains éléments de preuve à partir desquels il aurait da conclure que M. Holden avait été forcé de prendre sa retraite à cause de son age, le présent tribunal conclut que cela n’a pas été le cas.

Si cette affirmation était vraie, le tribunal de première instance en serait arrive à une conclusion fausse et il reviendrait alors au présent tribunal de rectifier cette erreur. Le présent tribunal ne peut admettre qu’une conclusion fausse ait été tirée par le tribunal de première instance, puisqu’il est convaincu, au départ, que la décision qu’il a rendue était juste.

Le présent tribunal a soigneusement examiné les éléments de preuve soumis au tribunal de première instance. Il est vrai que M. Holden n’était pas dispose à quitter immédiatement le CN. il est également vrai que les évaluations de la situation, laquelle se détériorait de mois en mois, ont d être refaites. Aux prises avec plusieurs centaines de millions de pertes, le CN se devait de réagir. Personne, au CN, ne souhaitait être celui dont l’emploi serait remis en cause. Toutefois, dans le monde d’aujourd’hui, il n’existe pas un grand nombre de façons de corriger un problème comme celui- là.

D’autres récessions se sont produites dans le passé, et des entreprises ont d s’ajuster: cela signifiait que l’insécurité prévalait. Rien ne garantit qu’un emploi ne sera jamais supprimé.

En l’espèce, à l’évidence, l’employeur s’est trouve devant une situation extrêmement critique qui le forçait à restructurer ses activités A la baisse, puisqu’aucune autre solution ne pouvait être trouvée. Bien entendu, pour procéder à des réductions, il lui fallait déterminer ce qui pouvait être supprimé, et comment.

Son objectif était de permettre la poursuite des activités, quoique sur une plus petite échelle, car les forces du marché avaient modifié la situation. La société a donc procédé au choix des structures qui devaient rester en place.

Le personnel affecté aux autres fonctions de l’entreprise était ainsi devenu superflu. Il fallait que quelqu’un parte. Et comment fait- on pour choisir ce quelqu’un? Le CN a donné des ordres. Les membres de son personnel de gestion devaient produire un plan d’action propre à obtenir les effets désirés.

La société a eu recours à des méthodes considérées comme appropriées à cette époque. Elle est arrivée à la conclusion que tous ses employés ne pouvaient pas supporter la pression et les exigences que le CN devait subir en raison d’une situation qui allait se détériorant et même, disons- le, se détériorant rapidement. Les personnes qui ont été jugées incapables de tenir le coup, d’après le rendement qu’elles avaient fourni au cours des mois précédents, ont été congédiés.

Il n’est jamais facile d’accepter que l’on n’est pas aussi compétent qu’on l’aurait cru. Est- il possible que, posant comme prémisse que sa compétence n’était pas remise en cause, M. Holden ait évité délibérément d’y faire allusion ou de mentionner ses autres qualités, dans ses communications écrites? Se pourrait- il que ce motif soit également celui pour lequel il n’a fait aucune allusion au fait qu’il croyait avoir été congédié à cause d’une évaluation erronée de ses capacités ?

D’après les écrits de M. Holden, le tribunal de première instance n’avait d’autre choix que de conclure que celui- ci recherchait une indemnité plus importante. L’appelant soutient que la retraite n’était pas une éventualité à laquelle il avait songé. Il avait toutefois terminé de payer sa rente de retraite, et il avait consacré 41 ans de sa vie active au CN. C’était toute une réalisation qui méritait d’être reconnue par son employeur. Voici les termes que M. Holden a utilisés dans la lettre qu’il a adressée le 26 avril 1982 à M. R. E. Lawless:

(traduction)

"J’aurai soixante ans bientôt, je suis en bonne santé et je travaille pour le CN depuis plus de 40 ans. Ma carrière a commencé en janvier 1941. J’étais alors commis de bureau. J’ai atteint le niveau de la gestion supérieure au début de 1967. J’ai consacré une vie entière au CN, et à de nombreuses reprises j’ai donné à la compagnie la priorité par rapport à mes responsabilités personnelles et familiales. Voyant le fardeau financier que le CN m’impose, je crois fermement qu’on n’a pas tenu compte de mes réalisations et de mes services passés. On m’a offert l’indemnité normale en cas de retraite anticipée. Déjà, je me trouve à court d’argent à cause de certains engagements pris antérieurement pour la présente année, sans compter les autres engagements irrévocables que j’ai pris pour les trois prochaines années."

Le tribunal de première instance ne pouvait convenir, sur la foi des éléments de preuve qui lui avaient été présentés, que la discrimination fondée sur l’âge était à l’origine de la situation financière problématique de M. Holden. Oui, M. Holden a été congédié, au moment où son supérieur immédiat, remplissant ses responsablités à l’égard du CN, a renvoyé les personnes les moins capables de répondre aux exigences dans un service du marketing réorganisé. La façon la plus élégante de le faire, dans le cas de M. Holden, était de faire coïncider ce renvoi avec une retraite anticipée.

M. Holden ne s’était pas rendu compte qu’il avait atteint une limite dans son milieu de travail, alors que ce milieu subissait des changements. Pouvait- il s’adapter? Très certainement, M. Holden répondrait par l’affirmative. Son chef était toutefois d’avis contraire. C’est là une question d’appréciation. Or, le tribunal de première instance, en toute connaissance de cause, ayant entendu tous les témoignages et pris connaissance de la preuve documentaire, en a

accordé le bénéfice au CN. Ce n’est pas l’age qui est à l’origine du congédiement de M. Holden. La mise en cause a convaincu le tribunal de première instance que d’autres facteurs avaient joué dans sa décision, et le présent tribunal est du même avis.

VII. A la question de savoir si le tribunal de première instance a négligé d’établir le bien- fondé de la plainte de M. Holden et de lui adjuger un redressement approprié, le présent tribunal répond oui. Bien entendu.

La raison en est évidente: la preuve ne permet pas d’établir sans aucune équivoque la perpétration d’une discrimination fondée sur l’âge. Contrairement à ce qui était le cas dans d’autres affaires, il n’existe au CN aucune politique écrite ni règle tacite relative à l’imposition d’une retraite obligatoire à 60 ans.

D’autre part, ayant été pries d’évaluer ladite preuve afin de déterminer si des erreurs avaient été commises, si des défaillances remédiables entachaient le jugement du tribunal de première instance, bref, s’il y avait lieu de renverser la première décision, nous appliquons les règles définies dans de nombreux jugements antérieurs en ce qui concerne le rôle d’un tribunal d’appel.

"Dans un cas comme celui qui nous occupe, les règles qui doivent guider une première et une seconde cour d’appel sont bien connues. En raison de la position privilégiée du juge qui préside au procès, voit, entend les parties et les témoins et en apprécie la tenue, il est de principe que l’opinion de celui- ci doit être traitée avec le plus grand respect par la Cour d’appel et que le devoir de celle- ci n’est pas de refaire le procès, ni d’intervenir pour substituer son appréciation de la preuve à celle du juge de première instance à moins qu’une erreur manifeste n’apparaisse aux raisons ou conclusions du jugement frappé d’appel." Roger Dorval c. Marcel Bouvier, (1968) R. C. S. 288, p. 293.

Comme les règles sont clairement énoncées et que nous y souscrivons, nous sommes d’avis que la meilleure preuve est la preuve documentaire, par opposition aux témoignages. Or, étant donné que les écrits de l’appelant, tout comme ses actions en février, mars, avril, mai, juin et juillet de 1982 n’ont jamais laissé entrevoir à quiconque qu’une discrimination fondée sur l’âge pouvait être la cause réelle de sa mise à pied ou que telle était son opinion, nous ne pouvons reprocher quoi que ce soit à la décision rendue par le tribunal de première instance.

Le présent tribunal partage entièrement l’avis exprimé par le tribunal de première instance concernant le fait que le bien- fondé du cas de discrimination n’a pas été établi ni celui de la plainte de Charles Holden.

CONCLUSION

Nous concluons donc, pour paraphraser M. William A. Sutherland, président dans l’affaire Lorenzo Goyetche c. French Pastry Shop Limited, CHRR, Volume 1, Décision 24, 20 ao t 1980:

(traduction)

"Bien que la malheureuse situation de M. Holden nous inspire une profonde sympathie, il reste que la question qui no été posée était celle de savoir si une discrimination avait été exercée contre lui en raison de son age, en contravention de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Et nous concluons dans la négative.

Ayant conclu qu’aucune discrimination fondée sur l’âge n’a été exercée dans la présente affaire, nous ne voyons aucune raison d’aborder la question de la réparation.

Niquette Delage, Présidente

Nicolas Cliche, membre

Antonio de Joseph, membre

Le 12 janvier 1989

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