Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 12 / 89

LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE, S. C. 1976- 1977, CHAPITRE 33, ET SES MODIFICATION

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

BUDDY LEE Plaignant

- et

BRITISH COLUMBIA MARITIME EMPLOYERS ASSOCIATION Intimée

TRIBUNAL : ROBIN ADAMS

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU : Peter Carver Avocat du plaignant

René Duval Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Joan McEwen Avocate de l’intimée

DATES ET LIEU DES AUDIENCES: Les 5 et 6 avril 1988, 7 et 8 juin 1988 et 29 et 30 juin 1988 Vancouver (Colombie- Britannique)

TRADUCTION

Nature de la plainte

La présente affaire vise une plainte déposée contre la British Columbia Maritime Employers Association (appelée ci- après BCMEA) par Buddy Lee qui prétend avoir été victime de discrimination fondée sur un handicap physique, en violation de l’alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La plainte (pièce A- 25), qui est datée du 23 mai 1984, est ainsi rédigée :

[Traduction]

"J’ai commencé à travailler comme débardeur occasionnel en mars 1978. J’ai travaillé de façon régulière à compter de cette date jusqu’au 14 mars 1983, date à laquelle mon inscription auprès de la B. C. Maritime Employers Association a été révoquée. On m’a informé que la révocation découlait d’une lettre de plainte produite par le Columbia Containers Limited datée du 1er mars 1983 et dans laquelle cet employeur affirmait qu’il lui semblait que j’apprenais lentement et que je souffrais de problèmes d’atonie très importants en plus de constituer un risque tant pour ma propre sécurité que pour celle des autres employés. Même si je souffre d’un trouble de la parole peu important et d’une atonie légère des extrémités gauche, j’estime être en mesure d’exécuter de façon s re et efficace les tâches qui me sont confiées, et en avoir fait la preuve au cours de mes cinq années de travail comme débardeur. Mon médecin a également confirmé mon aptitude à exécuter ce travail. J’estime qu’en refusant de continuer à m’employer, la B. C. Maritime Employers Association a commis, en violation de l’alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, un acte discriminatoire fondé sur un handicap physique."

Les articles de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui sont pertinents en l’espèce sont les articles 7 et 14. L’alinéa 7a) de la Loi est ainsi rédigé :

"Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite."

L’article 3 indique que constitue un motif de distinction illicite la déficience qui est ainsi définie à l’article 20 de la Loi :

"Déficience désigne toute déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue."

La définition de l’expression handicap physique qui figure au paragraphe 20 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S. C. 1976- 1977, c. 33, et ses modifications, est ainsi rédigée :

"Handicap physique désigne toute infirmité congénitale ou accidentelle, y compris l’épilepsie, la paralysie, l’état d’amputé, l’atonie, les troubles de la vue, de l’ouïe ou de la parole, et s’entend de la nécessité d’avoir recours à des prothèses ou, notamment, à un fauteuil roulant ou à un chien d’aveugle; (non souligné dans le texte original)

Il est manifeste que les problèmes physiques particuliers de Monsieur Lee, c’est- à- dire son léger trouble de la parole, sa démarche quelque peu maladroite et son atonie des extrémités gauches constituent un handicap physique au sens de l’article 20 de la Loi.

Si le plaignant établit qu’il est, de prime abord, victime de discrimination fondée sur une déficience, le tribunal doit alors déterminer si les actes discriminatoires reprochés à l’employeur ne découlent pas d’une exigence professionnelle justifiée au sens de l’article 14 de la Loi, qui porte en partie :

"Ne constituent pas des actes discriminatoires a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontrent qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées..."

Les faits

Le plaignant Le plaignant, Buddy Lee, est un célibataire âgé de 35 ans qui souffre de déficience par suite de blessures au cerveau subies lorsqu’il était enfant, à l’âge de dix ans, blessures qui ont entraîné un trouble de la parole, un démarche quelque peu maladroite ainsi qu’une atonie des extrémités gauches. Il a travaillé comme débardeur occasionnel pour la BCMEA du 31 mars 1978 jusqu’à la date de la révocation de son inscription le 14 mars 1983.

L’intimée La BCMEA est une association formée de propriétaires de navires, de compagnies d’arimage, d’exploitants d’embarcadères et de débarcadères et d’exploitants de terminaux pour transport en vrac. Cette association a été créée en vue de la négociation et de l’application, pour le compte des 63 compagnies membres, des conventions collectives conclues avec le Syndicat international des débardeurs et magasiniers section canadienne (appelé ci- après le syndicat).

Quarante des compagnies membres embauchent leur main- d’oeuvre directement sur les quais.

Politiques et pratiques en matière d’emploi de la BCMEA

Il est important, en guise de préliminaire à l’examen en profondeur de la plainte, d’expliquer dans quel contexte

d’emploi la plainte a pris naissance. Le travail sur les quais est exécuté par des travailleurs syndiqués et occasionnels. En 1978, les travailleurs occasionnels voyaient au départ leur nom inscrit sur la liste E et devaient progresser par les échelons D et C et B jusqu’à la liste A avant de pouvoir devenir membres du syndicat. Le système actuel ne compte plus que les listes A, B, C et T, les listes D et E ayant été éliminées. Une fois inscrit sur la liste A, l’employé a alors accès à tous les avantages prévus par la convention collective, ainsi qu’aux prestations de pension et de bien- être social. Les occasionnels inscrits sur la liste A sont connus sous le nom d’occasionnels du bien- être social.

Les travailleurs progressent d’une liste à l’autre après avoir effectué un nombre moyen d’heures de travail à l’échelon précédent. La présence de manquements à la discipline dans un dossier de travail peut empêcher la progression d’un employé à une liste supérieure. En outre, afin de passer de la liste E à la liste D, l’employé doit subir avec succès un examen médical attestant son aptitude à travailler comme débardeur.

M. Cahan, le responsable de l’application de la convention collective pour la BCMEA, a décrit dans son témoignage la nature et la pertinence de ces diverses classifications, ainsi que la nature générale des conditions de travail sur les quais. Il a expliqué que la BCMEA est responsable de la répartition des travailleurs qualifiés auprès des diverses compagnies membres. La main- d’oeuvre régulière, qui constitue environ un tiers (1/ 3) du nombre total de membres du syndicat, est employée par diverses compagnies. On maintient une liste de membres syndiqués et non syndiqués afin de compléter cette main- d’oeuvre régulière.

La BCMEA effectue la répartition de cette main- d’oeuvre, à 7 h 00 pour ce qui est des employés de jour, à 15 h 30 pour ceux du poste de travail de 17 h 00 et, enfin, à 16 h 00 pour ceux du poste de 1 h 00. Les débardeurs syndiqués et occasionnels se présentent au centre de répartition où les assignations sont attribuées en fonction de l’ancienneté et des aptitudes. Certains débardeurs ont reçu une cote indiquant qu’ils possèdent des aptitudes particulières et, en conséquence, ils reçoivent des assignations faisant appel à ces aptitudes, autrement le travail est assigné selon l’ancienneté.

Les membres du syndicat se voient accorder la priorité en plus d’avoir, de façon générale, le choix de leur lieu de travail, à la condition, toutefois, chaque fois que cela est possible, qu’un nombre égal de syndiqués soient répartis entre les diverses compagnies membres.

Il ressort également de la preuve que le système de répartition est exploité de manière à fournir d’abord des travailleurs aux terminaux les plus éloignés du centre d’embauche. Des employés occasionnels se voient confier le travail qui reste une fois l’affectation des membres syndiqués terminée.

Si un débardeur, syndiqué ou occasionnel, refuse un travail, une suspension de vingt- quatre (24) heures lui est alors appliquée.

Une fois les débardeurs, tant syndiqués qu’occasionnels, assemblés au lieu de travail, ils sont répartis par l’employeur à leurs diverses assignations conformément à une liste d’affectation fournie par le centre de répartition qui est tout simplement la liste des noms placés selon leur ancienneté. Dans la plupart des cas, les débardeurs travaillent en équipe de tailles diverses, variant selon la nature du travail à exécuter.

Si un employé pose un problème de discipline ou si son rendement ne satisfait pas à la norme, la compagnie employeur dispose alors d’un certain nombre de recours dont les suivants :

  1. réprimande ou avertissement donné à l’employé par le contremaître de service;
  2. convocation du représentant syndical afin d’évaluer et de régler la situation;
  3. licenciement de l’employé; d) présentation à la BCMEA d’une demande écrite sollicitant que l’employé en question ne soit plus affecté à ce lieu de travail à l’avenir.

Lorsqu’un débardeur est congédié sur les quais, il est congédié pour le poste de travail en question. Cela ne l’empêche pas, sauf dans certains cas inhabituels, de se présenter le jour suivant au centre de répartition pour obtenir d’être affecté soit au même lieu de travail soit ailleurs.

La BCMEA, en sa qualité d’administrateur de la convention collective conclue par les compagnies membres et le syndicat, détermine si l’inscription de l’individu visé doit être révoquée. Le processus de révocation est mis en branle soit par suite d’un congédiement soit par suite de la réception de lettres de plainte.

Le travail que devait accomplir Buddy Lee en tant que débardeur comportait notamment les tâches suivantes :

  1. vider des containers;
  2. charger et décharger des poches de céréales et de farine;
  3. entasser des boîtes contenant des bouteilles de boissons alcooliques selon un empilement particulier;
  4. installer des poulies;
  5. pelleter du charbon;
  6. travailler sur des machines à blé dans la cale des navires;
  7. charger du blé dans des camions;
  8. travailler sur des grumiers comme calier afin de charger et de détacher des faisceaux de billes.

Chronologie des événements

  1. Le 31 mars 1978, Buddy Lee a été embauché comme débardeur et inscrit sur la liste E.
  2. Le 11 mai 1979, Buddy Lee a subi l’examen requis par les Welfare Plan Trustees pour que sa demande en vue d’obtenir la qualité d’employé occasionnel puisse être prise en considération. (Pièce A- 3).
  3. Le 1er décembre 1980, Empire Stevedoring Company Ltd. a congédié Buddy Lee de son emploi à Vanterm où il avait été affecté comme homme d’entrepôt en vue du déchargement de containers.
  4. Le 2 mars 1981, la BCMEA a révoqué l’inscription de Buddy Lee.
  5. Le 11 mars 1981, le Vancouver Port Labour Relations Committee s’est réuni pour examiner le grief présenté par le syndicat à l’encontre de la révocation de l’inscription de Buddy Lee, qui a été réinscrit par la suite.
  6. Le 24 mars 1981, Buddy Lee est passé de la liste D à la liste C.
  7. Le 28 juillet 1982, Empire Stevedoring Company Ltd. a fait parvenir une lettre de plainte à la BCMEA concernant le défaut de Buddy Lee de se présenter au lieu de travail (Pièce A- 6).
  8. Le 11 ao t 1982, Buddy Lee a été assigné à Berry Point afin d’y travailler comme calier pour la Canadian Stevedoring Company Limited.
  9. Le 13 ao t 1982, Alex Smith, surintendant de la Canadian Stevedoring Company Limited, a expédié une lettre qu’a reçue, le 18 ao t 1982, M. Kaufman, président du syndicat, section 500, sollicitant à l’égard de l’employé Buddy Lee une exemption concernant le travail relatif au bois de coupe. (Pièce A- 16).
  10. Le 23 novembre 1982, le Vancouver Port Labour Relations Committee s’est réuni pour examiner la plainte déposée par la Canadian Stevedoring contre de Buddy Lee.
  11. Le 28 février 1983, Buddy Lee a été assigné à la Columbia Containers Ltd. pour y charger des containers de blé.
  12. Le 4 mars 1983, la BCMEA a reçu de la Columbia Containers Ltd. une lettre de plainte concernant Buddy Lee (Pièce A- 20).
  13. Le 14 mars 1983, la BCMEA a révoqué l’inscription de Buddy Lee.
  14. Le 23 juin 1983, le syndicat a débattu un grief concernant Buddy Lee à l’occasion d’une réunion du Vancouver Port Labour Relations Committee.
  15. Le 25 ao t 1983, le syndicat a informé Buddy Lee de sa décision de ne pas soumettre son dossier à l’arbitrage.
  16. Le 20 février 1984, le Conseil canadien des relations de travail a tenu une audience à l’égard de la plainte déposée par Buddy Lee qui prétendait que l’article 136.1 du Code canadien des relations de travail avait été enfreint.
  17. Le 23 mai 1984, Buddy Lee a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (Pièce A- 25).
  18. Le 18 juin 1984, le Conseil canadien des relations de travail a rendu sa décision, rejetant la plainte déposée par Buddy Lee tant à l’encontre du syndicat que de la BCMEA.

Argumentation du plaignant Le plaignant soutient qu’il était perçu comme souffrant de déficience, que son employeur a tenu compte de cette perception dans ses rapports avec lui et que cela a ultimement conduit à la révocation de son inscription. Il prétend que la décision de la BCMEA concernant son emploi est fondé sur un stéréotype ou une conception erronnée en ce qui concerne sa déficience plutôt que sur une évaluation équitable et précise de ses aptitudes. En outre, il soutient qu’au cours des cinq années au cours desquelles il a travaillé comme débardeur, son travail a été effectué de façon compétente et n’est pas en lui- même la source des problèmes sur lesquels l’intimée s’est fondée pour agir.

Argumentation de l’intimée En réponse à la plainte de discrimination déposée par Buddy Lee, l’employeur présente deux arguments. Dans un premier temps, l’employeur prétend qu’il n’a pas commis d’acte discriminatoire fondé sur une déficience physique et que Buddy Lee a été remercié de ses services parce que son rendement au travail était insatisfaisant. Dans un second temps, si on devait conclure que la révocation de l’inscription est imputable en tout ou en partie à la déficience physique de Buddy Lee, c’est- à- dire à son problème d’atonie, l’employeur affirme que la coordination est une exigence professionnelle justifiée du travail de débardeur et que, outre le fait que la déficience de Buddy Lee l’empêche d’accomplir une journée de travail normale, Buddy Lee constitue, en raison de sa déficience physique particulière, un risque en matière de sécurité sur les quais, tant pour lui- même que pour ses compagnons de travail.

L’employeur soutient qu’il a fait une évaluation particulière des aptitudes de Buddy Lee, que celui- ci n’a subi aucun préjudice et qu’on a conclu qu’il n’exécutait pas son travail de manière satisfaisante, donc que l’employeur n’a pas commis d’acte discriminatoire.

Afin de déterminer s’il y a eu ou non acte discriminatoire, il est nécessaire d’examiner les incidents qui, de dire l’employeur, l’on amené à décider de révoquer l’inscription de Buddy Lee.

1. Empire Stevedoring Company Ltd.

Le 1er décembre 1980, Buddy Lee a été assigné auprès d’Empire Stevedoring Company (appelé ci- après Empire) afin de travailler dans l’entrepôt de celle- ci au rangement de boîtes contenant des boissons alcooliques. Le contremaître de service ce jour- là était Bill Varhanik.

Dans son témoignage, M. Varhanik a déclaré que Buddy Lee avait été jumelé avec un individu du nom de Kuprowski et qu’il leur avait donné instruction d’empiler, d’une certaine manière et jusqu’à une hauteur donnée, des boîtes de 40 livres sur des palettes mesurant 42 pouces sur 48. Ils travaillaient au sein d’une équipe de quatre personnes comptant également un conducteur de chariot élévateur et un signaleur.

M. Varhanik affirme avoir congédié Buddy Lee pendant le poste de travail parce que ce dernier ne faisait pas attention à son travail; de façon plus particulière, il changeait constamment la disposition des boîtes sur la palettes et passait trop de temps à se tenir là à rien faire au lieu de travailler. M. Varhanik a de plus déclaré qu’il avait averti Buddy Lee et Kuprowski qu’il les congédierait s’ils ne portaient pas davantage attention à leur travail.

Dans son témoignage, le plaignant a dit ne pas avoir reçu aucun avertissement de Bill Varhanik et que son collègue et lui- même effectuaient un travail satisfaisant malgré le fait que les boîtes n’étaient pas marquées de façon claire, ce qui les empêchait de les empiler de la manière appropriée.

Au cours de l’échange suivant, survenu en contre- interrogatoire, Buddy Lee a reconnu avoir reçu un avertissement : A la page 86, ligne 12 de la transcription des débats :

[Traduction]

Q. D’accord, vous affirmez qu’il n’a pas discuté avec vous le jour avant qu’il vous congédie?

R. Oui.

Q. Aucune discussion?

R. Aucune.

Q. D’accord, mais M. Varhanik m’a également dit vous avoir averti vous et M. Kuprowski que si vous ne faisiez pas le travail comme il faut vous seriez congédiés. Vous êtes d’accord avec cela.

R. Il m’a donné un avertissement.

Bill Varhanik, qui travaille depuis trente et un ans (31) sur les quais, est contremaître depuis neuf ans. Il a été décrit par Bruce Closter, gestionnaire des opérations chez Van Term, comme étant un bon contremaître et William Kemp, premier vice- président de la section canadienne du syndicat a déclaré:

A la page 240, ligne 11 de la transcription des débats :

[TRADUCTION]

Bien, Billy aime que le travail se fasse, et je devine que c’est pour cela qu’Empire les embauche, il est le contremaître et il supervise les aides, leur donne des directives, leur montre comment accomplir le travail, voilà ce qu’il fait. Il appartient alors à l’individu, j’imagine, de faire ce qu’on attend de lui.

Le tribunal a jugé que M. Varhanik était un témoin digne de foi et conclut qu’il a congédié Buddy Lee pour productivité insuffisante ou non pour quelque autre motif inavoué. Le jour en question, il a signalé la productivité insuffisante du plaignant à M. Closter et le congédiement a par la suite été confirmé dans une lettre datée du 2 décembre 1980, expédiée par M. Closter par la BCMEA (Pièce A- 6), lettre qui était ainsi rédigée :

[Traduction]

"Objet : S. Kuprowski #25004

B. Lee #26701 Les débardeurs susmentionnés travaillaient chez Van Term comme ouvriers d’entrepôt en vue du déchargement de containers le 1er décembre 1980. Leur contremaître a observé, à mesure que le travail avançait, que M. Kuprowski et M. Lee n’effectuaient pas leur travail de manière efficace. Après plusieurs avertissements du contremaître, ils ont été congédiés pour productivité insuffisante.

Nous recommandons que les mesures disciplinaires qui s’imposent soient prises à leur égard à la lumière de l’incident susmentionné et de leur dossier, le cas échéant.

Cette lettre a précipité la tenue de discussions entre des représentants du syndicat et de la BCMEA, discussions qui ont abouti à une entente en vue de faire subir aux deux employés un examen médical. Cette entente est confirmée dans une lettre datée du 16 janvier 1981 (Pièce A- 7), expédiée par M. Hall, administrateur adjoint de la convention pour la BCMEA, à M. Kaufman, président du syndicat - section 500 :

[Traduction]

"En conséquence, il a été décidé de faire subir à ces deux employés un nouvel examen par le médecin responsable afin de s’assurer qu’ils satisfont aux critères médicaux nécessaires pour travailler comme débardeurs..."

La réponse du syndicat à l’envoi de M. Hall figure dans une lettre adressée à ce dernier et datée du 2 février 1981 (Pièce A- 8), dans laquelle le syndicat rejette la demande de l’Association concernant un nouvel examen par le médecin examinateur de l’industrie.

La BCMEA a alors révoqué l’inscription de Buddy Lee. Les motifs de cette décision sont énoncés dans une lettre datée du 2 mars 1981 (Pièce A- 9) qui a été transmise à M. Kaufman :

[Traduction]

"Le débardeur susmentionné qui travaillait chez Vanterm le 2 décembre 1980 a fait l’objet d’un rapport à l’Association au motif qu’il était incapable d’exécuter le travail qu’on attendait de lui d’une manière satisfaisante.

Pour ce motif, l’inscription de M. Lee est immédiatement révoquée, conformément à l’article 2, section 2.03 de la Convention collective, pour conduite et rendement insatisfaisants et, en conséquence, celui- ci n’est désormais plus autorisé à travailler pour des employeurs visés par la Convention collective.

Le syndicat a déposé, à l’encontre de la révocation de l’inscription, un grief qui a été examiné à l’occasion de la réunion du Vancouver Port Labour Relations Committee le 11 mars 1981.

Le procès- verbal de cette réunion (Pièce A- 11) renferme le passage suivant concernant la décision de rétablir l’inscription de Buddy Lee :

[Traduction]

"8. B. Lee C26701 VA - révocation de l’inscription

Le syndicat a déclaré que son grief à l’encontre de la révocation de l’inscription de B. Lee portait sur les motifs cités au soutien de cette décision. Le syndicat a souligné que cet employé travaille dans l’industrie depuis près de trois ans et qu’il s’agissait là de la première et unique lettre de plainte le concernant produite au cours de cette période. Le syndicat a également indiqué que Lee souffre d’un léger trouble de la parole susceptible de réduire son aptitude à communiquer. Le syndicat a de plus mentionné qu’afin de tenter d’améliorer ses chances de trouver du travail sur les quais, B. Lee venait récemment de faire ajouter à son permis de conducteur l’autorisation de conduire des véhicules munis de freins à air. Le syndicat a prétendu qu’il serait injuste de révoquer l’inscription de cette personne sur la foi d’une seule plainte relativement peu importante.

L’Association a déclaré que même si elle n’avait reçu qu’une seule plainte écrite, on lui avait néanmoins transmis d’autres rapports indiquant que Lee éprouvait de la difficulté à suivre la cadence et à exécuter une journée normale de travail. Qui plus est, lorsque son cas a été examiné à l’occasion de la réunion du sous- comité de la discipline, les représentants des parties avaient convenu que Lee devrait subir un nouvel examen médical par le médecin examinateur de l’industrie afin de faire confirmer à nouveau son aptitude à travailler comme débardeur. Cette mesure, qui avait fait l’objet d’une recommandation conjointe, n’a pas été prise en raison du refus de Lee, manifestement sur les directives du président de la section, de subir l’examen prévu. En conséquence, ne possédant pas d’autre moyen de réévaluer l’aptitude de Lee, l’Association a estimé être contrainte d’agir comme elle l’a fait.

Compte tenu de l’assurance donnée par le syndicat à l’effet qu’il examinerait à nouveau le besoin de faire subir certains examens médicaux particuliers prescrits, outre l’examen d’admission prévu par l’industrie, on a convenu à ce moment de rétablir l’inscription de B. Lee à la condition de surveiller étroitement son rendement à l’avenir.

2. Canadian Stevedoring Company Ltd.

Le 13 ao t 1982, Buddy Lee a été assigné à Berry Point afin de travailler sur un grumier comme calier. Dans le cadre de ce travail, le calier doit décrocher un câble en acier attaché à une élingue remplie de billes, descendre les élingues sur la charge et s’éloigner pendant que le machiniste retire les élingues. Chaque charge pèse environ vingt- vinq (25) tonnes et compte de une à cinquante (50) billes. Une fois que le faisceau de billes est relaché, le calier coupe alors les bandes retenant les billes ensemble.

Les débardeurs travaillent en équipe de huit (8) par écoutille, dont deux dans la cale, quatre (4) au train de flottage, ainsi qu’un surveillant d’écoutille et un treuilliste. Chaque écoutille est contrôlée par un contremaître d’écoutille dont le travail est supervisé par un contremaître principal. Le 13 ao t 1982, le contremaître d’écoutille de Buddy Lee était Jamie Zanette et le contremaître principal Lloyd Oates, qui ont tous deux témoigné pour l’intimée. Cette dernière a également assigné Alex Smith, gestionnaire du service de bois de coupe de la Canadian Stevedoring, pour qu’il témoigne à l’égard de l’incident en question.

Voici comment M. Zanette et M. Smith ont décrit, respectivement, les dangers que présente le travail sur un grumier :

A la page 297, ligne 8 de la transcription des débats : [TRADUCTION] Mme McEwen : Est- ce qu’il se présente des situations dangereuses lorsque les élingues sont détachées des billes?

M. Zanette : Après le relâchement des élingues, il y a danger lorsque la partie supérieure fait relâcher les élingues. Ils se trouvent à soixante pieds de distance. Ils (les caliers), sur le signal d’une autre personne, retirent les élingues. Lorsque les élingues se détachent, de fait il y a deux élingues. Parfois une élingue se détache avant l’autre, et lorsque cela se produit, cette élingue tourne selon un arc de quarante pieds, parce que les élingues mesurent quarante pieds de longueur. On doit donc être prudent à ce moment là."

Et plus loin, en contre- interrogatoire : A la page 306, ligne 1 de la transcription des débats :

[Traduction]

"M. Zanette : Il pourrait se blesser oui, car, si vous vous êtes déjà trouvé sur M. Duval : Non jamais. M. Zanette : Bon, vous essayez de rassembler les billes pour qu’elles tiennent et il n’y a aucun espace pour les y descendre. Mais, dans certains cas, vous ne trouvez pas de billes de la taille appropriée, de sorte que vous avez alors un espace. Et cela peut descendre jusqu’à trente pieds, et si une personne y tombe ... bien. M. Duval : Donc, c’est un milieu de travail très risqué? M. Zanette : Oui. M. Duval : Je vois. M. Zanette : Vous devez faire attention à ce que vous faites en tout temps."

A la page 489, ligne 25 de la transcription des débats :

[TRADUCTION]

Mme McEwen : Décrivez le degré de risque que présente ce travail (flotteurs).

A la page 490, ligne 1 de la transcription des débats :

[TRADUCTION]

M. Smith : J’estime qu’il s’agit d’un travail assez dangereux. Il y a énormément de matériel en mouvement à tout moment. Des élingues qui balaient constamment le pont. Sur le train de flottage, les billes, évidemment, roulent. Il s’agit d’une situation en mouvement; les travailleurs ne sont pas sur une plate- forme immobile. Ils peuvent tomber du train de frottage, ou autre chose. C’est pas mal dangereux.

Le travail de Buddy Lee le jour en question consistait à décrocher des billes sur le pont du navire lorsque la cale était déjà pleine et que les écoutilles avaient été fermées. A un certain moment, au cours de l’après- midi, Buddy Lee s’est rendu sur le train de flottage et a par la suite été retiré des billes par M. Oates.

Dans son témoignage, Buddy Lee a dit que les machinistes l’avaient persuadé de prendre place sur le train de flottage et qu’il avait été incité à le faire par le contremaître d’écoutille, M. Zanette, malgré les directives contraires à cet effet qu’avait clairement données M. Oates.

M. Zanette nie avoir donné à Buddy Lee la permission de se rendre sur le train de flottage.

Le plaignant et les témoins de l’intimée reconnaissent qu’il est dangereux de travailler sur le train de flottage et que le fait de marcher sur les billes ne ferait qu’exacerber le problème d’atonie de Buddy Lee.

Si M. Zanette a délibérément mis en danger Buddy Lee en l’incitant à désobéir à M. Oates en tentant de marcher sur le train de flottage, il s’agirait manifestement d’un cas où la direction aurait fait une distinction en ce qui concerne Buddy Lee pour le tourner en ridicule en raison de sa déficience.

Au cours du témoignage de M. Zanette, il est apparu évident que ce dernier a surveillé étroitement Buddy Lee et qu’il se préoccupait de la sécurité de celui- ci; par exemple, lorsqu’on lui a demandé de faire part de ses observations en ce qui concerne Buddy Lee, il a répondu :

A la page 300, ligne 12 de la transcription des débats : [TRADUCTION] Bien, c’était ... il n’était pas paresseux, il faisait tout ce que je lui demandais de faire. Mais lorsqu’il se déplaçait sur les billes, il avait de la difficulté à marcher, à maintenir son équilibre et chaque fois que nous retirions les élingues, je devais lui dire, Buddy écarte- toi, Buddy fais ceci, Buddy fais cela et je devais à toutes fins pratiques m’assurer que je lui disais bien quoi faire à chaque fois qu’une charge arrivait et que les élingues étaient retirées.

Une fois je l’ai laissé monter et tenter de couper les bandes entourant le faisceau de billes. En effet, il y a une bande de fils métalliques d’environ 1 pouce de diamètre et d’un sixième de pouce d’épaisseur, on la coupe au moyen d’une hache de façon à ce que les billes s’étendent pour un meilleur arrimage, il est monté et a essayé, mais il ne pouvait couper la bande et il s’est presque coupé le pied à quelques reprises. Je lui ai donc dit, c’est bon Buddy, tu ne feras que décrocher les charges à partir de maintenant et je m’occuperai de cela.

Ensuite, lorsque M. Duval lui a demandé en contre- interrogatoire pourquoi il avait gardé Buddy Lee au travail malgré ce risque apparent à la sécurité, M. Zanette a donné une réponse plausible :

A la page 305, ligne 6 de la transcription des débats : [TRADUCTION] Parce qu’il est seulement une personne à la recherche de travail, cherchant à gagner sa vie, il est un travailleur, et je me suis dit que je pourrais le surveiller ce jour- là, lui donner une chance et voir s’il s’améliorerait."

Le fait d’autoriser Buddy Lee à se rendre sur le train de flottage est incompatible avec le comportement de Jamie Zanette pendant le reste de la journée. On peut également douter qu’il annulerait délibérément un ordre direct du contremaître principal, s’exposant ainsi lui- même à une réprimande.

Bien qu’il ne fasse aucun doute que c’est par suite des taquineries de ses collègues de travail que Buddy Lee soit monté sur le train de flottage, il n’est pas certain que cela soit imputable à sa déficience, le tribunal conclut que M. Zanette et M. Oates ne sont pas responsables de ce geste et, en l’espèce, on ne peut conclure que l’employeur a appliqué à Buddy Lee un traitement discriminatoire.

Lorsque M. Oates a vu Buddy Lee sur le train de flottage et qu’il a communiqué avec Alex Smith, le surintendant de la Canadian Stevedoring, et M. Smith s’est rendu au lieu de travail et a observé Buddy Lee sur le train de flottage. Par suite de ce qu’il a vu, M. Smith a dit au contremaître principal de retirer Buddy Lee du train de flottage, de le congédier et de le remplacer.

Buddy Lee n’était pas qualifié pour travailler sur le train de flottage, même M. Smith croyait erronément qu’il avait été assigné au lieu de travail pour travailler aux billes dans l’eau. Il a fait son évaluation initiale en observant Buddy Lee sur le train de flottage, mais lorsqu’on lui a demandé s’il croyait que Buddy Lee pouvait effectuer le travail dans la cale il a répondu de la manière suivante :

A la page 493, ligne 3 de la transcription des débats : [TRADUCTION] Non, je ne crois pas qu’il pourrait faire cela non plus. Nous n’étions pas dans la cale, nous étions sur le pont, et vous savez, le pont d’un grumier, à la mesure que vous progressez et qu’il y a des charges alternantes d’un côté ou de l’autre du pont, il est assez inégal et probablement, vous savez, on peut y marcher mais il faut faire attention.

Et, de fait, j’estimais qu’il n’avait absolument rien à faire sur un grumier. C’était mon avis.

Dans son témoignage, M. Smith a déclaré avoir communiqué avec M. Kaufman, le président du syndicat, et lui avoir dit qu’il ne voulait plus de Buddy Lee sur leurs grumiers et il a sollicité une exemption applicable au bois de coupe pour s’en assurer.

M. Smith a confirmé par écrit sa conversation téléphonique avec M. Kaufman au moyen de l’envoi suivant (Pièce A- 16) :

[Traduction]

"La présente fait suite à notre conversation téléphonique d’aujourd’hui. Nous sollicitons par les présentes une exemption applicable au bois de coupe en ce qui concerne l’employé Buddy Lee, no 26701. M. Lee était employé comme flotteur sur le navire Onward à Berry Point, le 11 ao t. Après avoir observé M. Lee au cours de la journée, le contremaître principal, Lloyd Oates, a dit être d’avis que cet employé n’avait pas le sens de l’équilibre nécessaire et ne devrait par conséquent pas être employé comme flotteur et ce, afin d’assurer sa propre sécurité.

Nous vous saurions gré de donner suite à notre demande. Le 16 ao t 1982, le répartiteur principal a reçu une note de service du représentant syndical indiquant que Buddy Lee était sous le coup d’une [TRADUCTION] interdiction d’effectuer des travaux ayant trait au bois de coupe (Pièce A- 17).

La lettre de M. Smith a fait l’objet de discussions à l’occasion de la réunion du Vancouver Port Labour Relations Committee du 23 novembre 1982 et le procès- verbal de cette réunion fait état de ce qui suit (Pièce A- 18) :

[Traduction]

"B. Lee - C26701 VA - Condition physique Lettre de la Canadian Stevedoring - datée du 13 ao t 1982.

L’Association a souligné qu’il était manifeste que Lee n’était pas en mesure de travailler sur des le train de flottage puisqu’en raison de sa condition physique il constituait alors un risque en matière de sécurité.

L’inscription de Lee a été révoquée en mars 1981 par suite de son incapacité d’exécuter une journée normale de travail. Son inscription a par la suite été rétablie, mais il a été averti que toute plainte ultérieure pourrait entraîner à nouveau la révocation de son inscription. L’Association a prétendu qu’en raison de sa condition physique, Lee était tout simplement incapable d’exécuter une journée normale de travail et qu’on devrait envisager la révocation de son inscription.

L’autorisation inexistente de Buddy Lee de travailler sur un train de flottage lui a par la suite été retirée.

L’incident survenu à Berry Point est important pour trois raisons :

  1. il est évident que Buddy Lee était protégé sur les quais par son contremaître et que certaines de ses tâches étaient effectuées par d’autres travailleurs, notamment par M. Zanette;
  2. il est évident que la BCMEA était au courant de la déficience physique de Buddy Lee et que ses responsables continuaient de surveiller étroitement son rendement;
  3. même si la plainte de l’employeur portait principalement sur la capacité de Buddy Lee de travailler comme flotteur, il y avait amplement d’éléments de preuve indiquant qu’il avait de la difficulté à travailler comme calier et qu’il constituait un risque pour lui- même lorsqu’il travaillait sur un grumier.

3. Terminaux Casco

A une date indéterminée, Buddy Lee a été assigné aux terminaux Casco afin d’y décharger des poches de farine se trouvant dans des wagons de chemin de fer. Les poches étaient entassées par piles de quatre et pesaient approximativement cent cinq (105) livres chacune.

Wally Lee, le contremaître de service ce jour- là a, dans son témoignage, indiqué que Buddy Lee manquait énormément de coordination, travaillant pratiquement à quatre pattes pour tenter de soulever les poches. M. Lee a informé le représentant du syndicat, Bill Kemp, qu’il y avait au lieu de travail un homme qui était incapable d’effectuer son travail.

Bill Kemp a dit s’être immédiatement rendu au lieu de travail où il a observé la situation suivante :

A la page 350, ligne 10 de la transcription des débats : [TRADUCTION] Buddy peinait. Il se tenait péniblement debout, tentant de lever le sac du wagon, de la travée, du wagon pour ensuite le placer sur une palette. Je pense être resté cinq, six ou sept minutes, quelque chose comme cela, puis j’ai dit à Buddy viens Buddy, ramasse tes choses, nous rentrons."

Il a ensuite ramené Buddy avec lui en automobile jusqu’au centre de répartition.

Buddy Lee a déclaré que Bill Kemp n’était pas venu au lieu de travail à cette occasion.

M. Kemp a parlé très franchement tout au long de son témoignage et le tribunal conclut qu’il s’est rendu au lieu de travail et qu’il [TRADUCTION] a retiré Buddy Lee du travail de son propre gré lorsqu’ il a constaté qu’il avait de la difficulté (Page 354, ligne 13 de la transcription des débats).

L’incident n’a pas été signalé à la direction et aucun rapport écrit à cet égard n’est disponible.

4. Columbia Containers Ltd. (appelée ci- après Columbia)

Le 28 février 1983, Buddy Lee a été assigné aux installations de chargement de blé de Columbia. Son travail consistait à ouvrir et à fermer les couvercles du container et à balayer le grain qui se répandait accidentellement sur les couvercles ou encore à travailler comme spécialiste et à commander, au moyen d’un bouton, l’écoulement du grain ou à l’arrêter.

Le jour suivant, Jack Moore, surveillant des opérations de Columbia, a transmis à la BCMEA une lettre demandant que Buddy Lee ne soit plus assigné à leurs installations (Pièce A- 20).

Cette lettre était ainsi rédigée :

[TRADUCTION]

Nous demandons que Buddy Lee no 26701 ne soit plus assigné à nos installations à nouveau. Il est venu travailler à nos installations à l’occasion par le passé et nous sommes insatisfaits de lui. Toutefois, afin de lui permettre de prendre de l’expérience, nous l’avons accepté malgré ses lacunes et le fait que notre efficacité et notre production s’en soient trouvées réduites; hier (le 28 février), je n’ai constaté aucune amélioration que ce soit dans son rendement.

Lee semble apprendre lentement et manque énormément de coordination. Il faut constamment que nos employés lui donnent des directives.

A mon avis, il constitue également un risque en matière de sécurité, tant pour lui- même que pour les autres employés lorsqu’il se trouve à nos installations ....

Par suite de la lettre qui précède, la BCMEA a révoqué l’inscription de Buddy Lee et il n’a pas travaillé comme débardeur depuis le 14 mars 1983.

En ce qui concerne cet incident, Buddy Lee a prétendu que son congédiement était fondé sur des motifs autres que ceux énoncés dans la lettre de M. Moore. Il a soumis trois théories pour expliquer son congédiement, ces théories reposent toutes sur sa conviction selon laquelle l’employeur a fait une distinction à son égard en lui faisant subir un traitement particulier.

Premièrement, il a soutenu que les travailleurs du grain le considéraient d’un mauvais oeil parce qu’il était débardeur et qu’il existe une amertume profonde entre les deux syndicats en raison des écarts de salaire et d’une rivalité en vue de l’obtention du travail. Deuxièmement, il a dit avoir été soumis à une pénible randonnée à l’arrière de la camionnette d’un travailleur du grain au cours de l’heure du dîner. Par suite de cet incident, le conducteur du véhicule a reçu une contravention et Buddy Lee croit que les travailleurs du grain lui en imputent le blâme.

Troisièmement, s’il ne savait pas comment effectuer le travail, c’est parce que l’employeur a fait défaut de lui donner les directives appropriées.

Le tribunal conclut qu’aucun élément de preuve ne justifie la première plainte.

Même s’il est clair que le plaignant a été soumis à une randonnée pénible à l’arrière de la camionnette d’un des travailleurs du grain, la preuve étaye la conclusion selon laquelle la direction n’était pas au courant de cet incident, ou à tout le moins que Buddy Lee était visé. Le tribunal conclut en outre que cet incident n’a pas influé sur la décision d’interdire à Buddy Lee de travailler aux installations de chargement du blé.

Cette conclusion découle de l’examen des témoignages de Buddy Lee, de M. McKenzie, chef d’équipe d’entrepôt ferroviaire chez Columbia le 28 février 1983 et d’Edna Monk, vice- présidente de Columbia.

M. McKenzie a déclaré que Buddy Lee lui a posé des problèmes tout au long de la journée - que Buddy Lee avait de la difficulté à fermer les couvercles du container, qu’il a causé un certain nombre de déversements de blé, y compris un important déversement dans l’après- midi qu’il a mis du temps à nettoyer. De plus, de l’avis de M. McKenzie, Buddy Lee constituait un risque pour la sécurité étant donné que son atonie diminuait son aptitude à se maintenir en équilibre sur les camions en déplacement, à grimper aux échelles et à se mettre hors du chemin des camions se mettant en position près de la machine de chargement du blé. M. McKenzie a dit avoir signalé le cas de Buddy Lee a ses supérieurs parce qu’il considérait que ce débardeur était responsable de ralentissements de la production. Rien dans son témoignage n’indique qu’il a fait part à la direction de la randonnée de Buddy Lee à l’arrière de la camionnette.

Edna Monk a déclaré qu’elle et Jack Moore, le surveillant du lieu de travail, avaient eu une conversation en ce qui concerne Buddy Lee, conversation au terme de laquelle ils avaient décidé de rédiger la lettre de plainte transmise à la BCMEA. Il ressort clairement de son témoignage que l’incident mettant en cause la police n’a pas été discuté et que ce qui intéressait l’employeur c’était le manque de productivité de Buddy Lee et la sécurité de cet employé. Le témoignage de Buddy Lee à l’égard de cet incident est lui aussi révélateur. Il affirme avoir confronté Jack Moore à propos de la révocation de son inscription, mais son témoignage relativement à cette conversation avec Moore ne fait aucune mention de la randonnée à l’arrière de la camionnette. Il est évident que Buddy Lee lui- même n’a pas fait de rapprochement entre la révocation de l’inscription et l’incident dans la camionnette, sinon il se serait s rement plaint à M. Moore du comportement des travailleurs du grain.

Le tribunal n’a pu trouver dans la preuve rien qui vienne étayer l’argument selon lequel les travailleurs du grain ou leur contremaître se seraient délibérément plaints de Buddy Lee à la direction afin de se vanger de la contravention reçue de la police. Les rapports de productivité insuffisante imputable à Buddy Lee sont le résultat d’enquêtes directes menées par Jack Moore. Buddy Lee affirme également que le défaut de l’employeur de lui donner des directives appropriées sur la manière d’effectuer son travail constituait un acte discriminatoire. Le tribunal conclut que Buddy Lee a reçu les directives appropriées et juge le témoignage suivant de M. McKenzie digne de foi :

A la page 225, ligne 18 de la transcription des débats : [TRADUCTION] Bien, nous enseignons à chaque débardeur, s’il s’agit de nouveaux employés, comment effectuer le travail, et ensuite, s’ils éprouvent des problèmes, nous retournons les voir et leur montrons à nouveau, ce que nous avons fait à quelques reprises dans le cas de Buddy Lee, et il ne semblait tout simplement pas comprendre.

Constatations

Le tribunal a conclu, au terme de la présentation par le plaignant de sa preuve, qu’il avait satisfait à la charge qui lui incombait d’établir qu’il y avait eu acte discriminatoire.

Cette conclusion selon laquelle il avait été, de prime abord, victime de discrimination reposait principalement sur la preuve documentaire, de façon plus particulière, sur les écrits indiquant que Buddy Lee a été traité de façon différente des autres employés à l’égard desquels la BCMEA reçoit une plainte écrite, en ce qu’on lui a demandé de subir un deuxième examen médical comme condition du rétablissement de son inscription.

La seule raison logique pour laquelle la BCMEA a fait cette demande, c’était afin de pouvoir réévaluer l’aptitude de Buddy Lee à travailler comme débardeur en lui faisant subir un examen médical distinct de ceux appliqués aux autres employés - il avait déjà subi avec succès l’examen médical ordinaire.

Même si Buddy Lee n’a jamais été contraint à subir le deuxième examen médical, le rétablissement de son inscription était conditionnel et fait sous réserve que [TRADUCTION] son rendement futur serait étroitement contrôlé. La vigilance de l’employeur à cet égard a été confirmée au cours de l’enquête touchant la plainte de la Canadian Stevedoring où la BCMEA a de nouveau recommandé la révocation de l’inscription de Buddy Lee en raison de l’état de santé de ce dernier. L’attitude de la BCMEA sur ce point amène à inférer qu’il y aurait eu acte discriminatoire illicite.

Se pose alors la question de savoir si les mesures prises par l’intimée en vue d’établir de nouvelles lignes directrices en matière d’examen médical sont justifiées par le fait que l’atonie serait une exigence professionnelle justifiée pour effectuer le travail de débardeur.

Le critère afin de déterminer si quelque refus d’employer ou empêchement de postuler un emploi constitue une exigence professionnelle justifiée a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire La Commission ontarienne des droits de la personne c. La municipalité d’Etobicoke (1982) 1 R. C. S. 202, à la page 208; 132 DLR (3d) 14, 3 CHRRD/ 781 :

"Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question d’une manière raisonnablement diligente, s re et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l’exercice de l’emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général."

Comme le tribunal le souligne dans sa décision dans l’affaire Nowell c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1987), 8 CHRR D 3727 (Tribunal des droits de la personne), la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Etobicoke a également indiqué de façon claire qu’un tribunal des droits de la personne [TRADUCTION] doi[ t] viser à déterminer, si d’après les preuves produites, il semble y avoir un risque suffisant de défaillance de la part des membres de la catégorie d’employés qui sont l’objet de distinction pour faire de l’acte discriminatoire une exigence professionnelle justifiée. Le caractère suffisant du risque est donc en jeu.

En l’espèce, l’exigence professionnelle requise est la coordination. Elle ne vise pas à établir une condition d’emploi applicable à tous les individus comme l’était la règle concernant le port du casque de sécurité dans l’affaire K. S. Bhinder et la Commission canadienne des droits de la personne c. CN [1985] 2 R. C. S. 561, mais elle s’applique plutôt à un groupe identifiable d’individus, c’est- à- dire les personnes souffrant d’atonie. On trouvera au sein de cette catégorie d’individus des personnes souffrant de cette déficience à des degrés divers.

La présente affaire, tout comme l’affaire Nowell, précitée, vise une catégorie de personnes déficientes susceptibles d’être exclues en application d’une exigence professionnelle justifiée, selon une évaluation individuelle. Voici le critère énoncé dans l’affaire Nowell, précitée, à la page 29523 :

"Il reste toutefois qu’on doit établir le bien- fondé de l’exigence professionnelle en déterminant le degré de risque présenté par chaque personne. La raison en est qu’il existe une grande diversité de risques et de capacités entre les membres de la catégorie ou du groupe exclu."

Pour déterminer si une exigence professionnelle justifiée satisfait au second critère énoncé dans l’arrêt Etobicoke, c’est- à- dire si cet exigence est raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général, le juge McIntyre a soumis qu’il fallait davantage qu’une preuve impressionniste. Une preuve scientifique n’est pas nécessaire, mais une preuve de nature statistique et médicale serait certainement plus convaincante que le témoignage de personnes expérimentées dans le domaine.

L’intimée doit donc convaincre le tribunal :

  1. qu’elle a imposé l’exigence professionnelle justifiée honnêtement, de bonne foi et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux de la Loi;
  2. que l’individu présente un risque d’erreur humaine suffisant pour justifier l’acte discriminatoire comme étant une exigence professionnelle justifiée;
  3. que la preuve étayant l’exigence professionnelle justifiée n’est pas seulement impressionniste.

En l’espèce, la preuve étaye l’argument selon lequel les normes de la BCMEA en ce qui concerne la condition physique et, de façon plus particulière, la coordination, constituent une exigence professionnelle justifiée.

C’est le manque de productivité de Buddy Lee qui a d’abord alerté l’employeur quant à sa déficience physique, ainsi qu’il ressort clairement de la série d’événements qui ont entraîné la révocation de son inscription le 2 mars 1981. Toutefois, c’est au terme d’une longue évaluation individuelle de ses aptitudes à travailler au sein de ce que les deux parties ont reconnu être un milieu de travail dangereux que l’inscription de Buddy Lee a éventuellement été révoquée.

L’avocat du plaignant a soutenu que la BCMEA a fait défaut de respecter un des objectifs fondamentaux en matière de droit de la personne, c’est- à- dire l’obligation de l’employeur :

[Traduction]

"de prendre, en ce qui concerne l’emploi de la personne déficiente, une décision fondée sur une évaluation honnête et précise de l’aptitude de cette personne et non sur quelque stéréotype ou conception erronée concernant sa déficience."

Cindy Cameron v. Nel- Gor Castle Nursing Home and Merlene Nelson (1984) 5 CHRR D/ 371 (Tribunal des droits de la personne).

Le tribunal conclut que la BCMEA a soigneusement et honnêtement évalué les aptitudes du plaignant de mars 1981 jusqu’à la date de la révocation de son inscription. L’employeur n’a pas fondé sa décision sur quelque conception erronée de la déficience de Buddy Lee, mais plutôt sur le rendement constamment insuffisant de ce dernier au travail ainsi que sur le fait que son atonie constituait un risque en matière de sécurité, tant pour lui- même que pour ses compagnons de travail.

Au moment de l’embauche de Buddy Lee, l’employeur a reconnu que la coordination constituait un prérequis au travail de débardeur mais qu’il ne disposait pas de critères permettant de déterminer le degré de coordination requis pour assurer la sécurité de l’individu. Au mieux, il s’appuyait sur l’examen médical imparfait et superficiel subi par les employés occasionnels pour passer de la liste E à la liste D. Lorsque la BCMEA a pris connaissance de la déficience physique de Buddy Lee, elle a cherché à le contraindre à subir un second examen médical, ce qui était raisonnable eu égard à l’exigence professionnelle justifiée selon laquelle les travailleurs éventuels doivent, pour pouvoir travailler comme débardeur, posséder une coordination suffisante. En l’absence d’une méthode scientifique permettant de déterminer l’atonie de Buddy Lee, l’employeur a décidé de lui donner une occasion honnête de démontrer ce qu’il pouvait faire, compte tenu de sa déficience.

Aucune donnée de nature scientifique n’a été soumise au tribunal en ce qui a trait au degré de coordination requis pour réduire au minimum les risques que présente pour une personne le travail de débardeur; en conséquence, le tribunal a d s’appuyer sur la preuve présentée par des personnes expérimentées dans le domaine, particulièrement sur le témoignage de divers contremaîtres, auxquels il semble appartenir de veiller continuellement à la sécurité sur les quais.

Cette preuve appuie la thèse de l’employeur selon laquelle il y avait peu de travail sur les quais que Buddy Lee pouvait accomplir de façon s re ou productive. L’incident chez Casco a démontré qu’il ne pouvait charger et décharger des poches, une des tâches les plus courantes sur les quais. Il a été incapable d’empiler des boîtes contenant des bouteilles de boissons alcooliques comme l’a démontré l’incident chez Empire. Il n’a pas été en mesure d’exécuter aucune des tâches requises de lui aux installations de chargement du blé et il ne pouvait accomplir, sans assistance, le travail requis d’un calier sur un grumier.

Fait plus important, des témoins sont venus dire à tour de rôle qu’ils craignaient pour la sécurité de Buddy Lee. Il ne s’agissait pas là d’opinions impressionnistes mais plutôt de constatations visuelles concernant les événements suivants : l’incapacité de Buddy Lee de marcher sur des billes, ses déplacements en trébuchant sur la partie supérieure des containers, sa glissade le long d’une échelle, sa façon de tenter, pratiquement quatre pattes, de transporter les poches de grain et son inattention lorsqu’il travaillait près de câbles ou de chariots élévateurs en mouvement.

L’avocat du plaignant a prétendu que Buddy Lee avait travaillé comme débardeur pendant cinq ans sans subir de blessures graves et que son rendement au travail avait l’objet de peu de plaintes, donc que l’employeur a d être satisfait de sa productivité et que les prétendues préoccupations de celui- ci à l’égard de sa sécurité n’étaient qu’un prétexte. En temps normal un tel argument serait convaincant si ce n’était de la nature exceptionnelle de la manière dont les employés sont assignés au travail sur les quais.

Comme nous l’avons expliqué plus tôt, l’ancienneté détermine l’assignation des tâches et, même si Buddy Lee a été employé comme débardeur pendant cinq (5) ans, il n’a réellement travaillé à ce titre que quatre cent dix- huit (418) jours.

Des assignations à court terme chez quarante (40) compagnies membres ne permettent pas aux contremaîtres ou membres de la direction de ces compagnies de se familiariser comme il faut avec les aptitudes de Buddy Lee sauf si, comme dans l’incident à la Canadian Stevedoring, son atonie présentait un risque flagrant en matière de sécurité. En outre, comme le plaignant ne devait travailler qu’une courte période aux divers lieux de travail, certains des contremaîtres, comme Jamie Zanette, étaient enclins à effectuer son travail jusqu’à l’arrivée de l’équipe suivante.

Il peut sembler que la BCMEA ait pris un temps exceptionnellement long avant d’évaluer le risque que constituait l’atonie de Buddy Lee, mais, à la lumière des difficultés que présentent les pratiques d’embauche particulères de l’Association et, en l’absence de lignes directrices médicales applicables, ce délai est plausible.

L’argument du plaignant selon lequel les préoccupations de l’intimée en ce qui a trait à la sécurité de Buddy Lee ne sont qu’un prétexte est démenti par la preuve documentaire. En effet, des lettres expédiées à la BCMEA à quelque sept (7) mois d’intervalle par Columbia et Canadian Stevedoring, deux (2) compagnies membres sans liens, font toutes état de l’atonie de Buddy Lee comme constituant un risque en matière de sécurité. Il est improbable que l’auteur de l’une ou l’autre de ces lettres ait été au courant des conditions imposées par la BCMEA à Buddy Lee pour qu’il continue d’être employé après la révocation de son inscription en mars 1981.

Conclusion

La preuve produite justifie la conclusion selon laquelle il existe un risque d’erreur humaine suffisant pour justifier d’empêcher Buddy Lee de travailler comme débardeur. Il était raisonnable de la part de la BCMEA d’exiger que les employés possèdent un certain degré de coordination afin de pouvoir évoluer dans les conditions dangereuses que présente le travail de débardeur et l’employeur a agi de façon responsable et équitable en menant une longue évaluation du plaignant afin de déterminer s’il pouvait accomplir le travail de façon s re et productive.

La plainte de Buddy Lee est rejetée.

FAIT à White Rock (Colombie- Britannique), le 30 juin 1989.

Robin Adams Président

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