Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

MARC GENEST

le plaignant

- et -

BELL MOBILITÉ

l'intimée

MOTIFS DE LA DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : Roger Doyon

2004 TCDP 19

2004/06/04

I. INTRODUCTION

II. LA PREUVE

A. Preuve du plaignant

(i) Marc Genest

(ii) Angello Galletto

(iii) Martin Pelletier

(iv) Gisèle Tétrault

(v) Karine Mariasine

(vi) Lorenzo Casanova

B. Preuve de l'intimée

(i) Sophie Boucher

(ii) Sylvie Sauvé

(iii) Geneviève Britt

(iv) Katherine Daoust

(v) Michel Côté

(vi) Lucie Laroche

(vii) Patti Sommerfeld

III. LE DROIT

IV. ANALYSE

V. CONCLUSION

I. INTRODUCTION

[1] Marc Genest était à l'emploi de Bell Mobilité lorsqu'en juin 1995 est entré en vigueur un nouveau régime d'assurance collective pour les employés. Le plaignant, homosexuel, prétend que l'intimée lui a refusé le droit de souscrire une assurance sur la vie de son conjoint de même sexe. Marc Genest estime que Bell Mobilité a ainsi posé à son endroit un acte discriminatoire en le traitant de façon défavorable en emploi à cause de son orientation sexuelle (homosexuel) et de son état matrimonial (concubinage homosexuel) contrairement à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi ).

II. LA PREUVE

A. Preuve du plaignant

(i) Marc Genest

[2] Marc Genest a été embauché chez Bell Mobilité en mars 1994 avec un statut d'employé temporaire à temps plein. Il occupait son emploi au 1425, route Transcanadienne, Dorval. Il a acquis le statut d'employé permanent à temps partiel le 28 juin 1995.

[3] Il faisait partie d'un groupe d'une trentaine d'employés assignés comme représentants au service à la clientèle sous la supervision de Karine Mariasine. Le département du service à la clientèle occupait une partie d'un étage de l'immeuble divisée en postes de travail à l'intérieur de petits cubicules. Une autre partie de l'étage était occupée par une dizaine d'employés affectés au service de la perception. Les cadres occupaient des bureaux à proximité des aires de travail des employés. Le rez-de-chaussée était occupé par le service des ressources humaines et celui de l'administration. Environ 80 personnes étaient à l'emploi de Bell Mobilité dans cet édifice dont une trentaine avait divulgué leur orientation sexuelle mais c'était un sujet dont il ne fallait pas parler. Il n'a donc pas divulgué son orientation si ce n'est qu'à une seule reprise lors d'une circonstance très particulière. En avril 1994, il était en période de formation pendant un mois sous la gouverne d'une formatrice. Il avait été très perturbé suite à un accident d'automobile subi par son conjoint et il s'était confié à cette formatrice.

[4] Marc Genest raconte qu'en 1995 il entretenait depuis près de huit ans une relation avec un conjoint de même sexe.

[5] Après avoir obtenu sa permanence en juin 1995, il a reçu de son employeur une brochure contenant les informations relatives au régime d'assurance collective pour les employés de Bell Mobilité avec instructions de faire connaître ses choix d'assurance en remplissant un formulaire de choix d'options d'assurance attaché à la brochure et d'acheminer le tout, par courrier interne, au service des ressources humaines. Il déclare ne pas se souvenir que des sessions d'information ont été données aux employés pour leur expliquer le régime d'assurance collective.

[6] Après analyse de cette brochure, Marc Genest a compris qu'elle ne fournissait pas d'information sur la possibilité de souscrire une assurance-vie pour un conjoint de même sexe.

[7] Par conséquent, il a pris un rendez-vous avec Lucie Laroche au service des ressources humaines afin d'obtenir de plus amples informations et compléter le formulaire de choix d'options d'assurance (Pièce P-4) en s'assurant que ses choix soient bien éclairés. Cette rencontre s'est tenue au bureau de Lucie Laroche vers 11 h 00 le 28 août 1995.

[8] Le témoin raconte qu'il a fait part à Lucie Laroche qu'il avait un conjoint de même sexe et qu'il ne comprenait pas pour quelle raison le régime d'assurance collective permettait à un employé d'assurer son conjoint de même sexe pour décès et mutilation accidentels et qu'il ne pouvait pas le faire en assurance-vie. À la demande du témoin, Lucie Laroche lui a dit qu'elle vivait avec un conjoint depuis quatre ans. Il lui a rétorqué qu'il était invraisemblable qu'après seulement quatre ans de vie commune avec son conjoint elle puisse souscrire une assurance sur sa vie alors que lui, malgré plus de sept ans de vie commune avec son conjoint ne pouvait pas le faire. Lucie Laroche était bien attentive à ses arguments, mais elle lui a dit qu'il ne pouvait obtenir l'assurance-vie pour son conjoint parce qu'il vivait avec un conjoint de même sexe.

[9] Il se souvient que Lucie Laroche lui a dit qu'il pouvait faire part de ses doléances à sa superviseure Karine Mariasine. Elle lui a dit qu'il n'y avait rien à faire pour remédier à la situation et d'en parler à Sylvie Sauvé également superviseure. Cette dernière lui a dit qu'elle ne vivait pas le même problème que lui puisque, dans son cas, son amie était également à l'emploi de Bell Mobilité, ce qui lui permettait d'être bénéficiaire de l'assurance-vie de son conjoint et vice versa. Marc Genest a réalisé qu'il ne pouvait se prévaloir des mêmes prérogatives que sa superviseure parce que son conjoint n'était pas à l'emploi de Bell Mobilité. Même s'il estimait être défavorisé, il a cessé de poursuivre ses démarches de peur de perdre son emploi car il venait à peine d'obtenir sa permanence.

[10] Marc Genest a expliqué les choix qu'il avait faits au moment où il a rempli son formulaire du choix d'options (Pièce P-4). Une partie des options choisies était payée par l'employeur et l'autre partie par lui-même. Il a décidé d'adhérer au régime d'assurance-maladie pour lui seul car il ne voyait pas la nécessité d'en faire bénéficier également son conjoint qui ne jouissait pas des privilèges d'une assurance collective.

[11] Le plaignant a décidé de se prévaloir du régime d'assurance dentaire, tant pour lui-même que pour son conjoint. Il a opté pour le régime d'assurance sur sa vie dont le montant représentait le double de son salaire annuel. Il reconnaît avoir désigné sa mère comme bénéficiaire de cette assurance. Le plaignant a choisi le régime d'assurance-décès et mutilation accidentels (ADMA) pour lui-même à raison de cinq fois son salaire annuel. Comme son conjoint avait subi un grave accident d'automobile sans blessure en 1994 et que son travail de courtier en immeuble exigeait une utilisation constante de son véhicule-automobile, le plaignant a opté l'ADMA pour son conjoint et ceci pour un montant de 200 000 $. Il croyait qu'avec ce montant d'assurance il pourrait, en cas de décès accidentel de son conjoint, être en mesure d'en assumer les conséquences financières sans difficulté. Enfin, le plaignant a souscrit au régime d'assurance-invalidité à long terme. Cette option n'était pas accessible à son conjoint.

[12] Marc Genest a également indiqué son conjoint sur ce formulaire comme personne à charge. Une fois le formulaire de choix d'options complété, il a été acheminé par courrier interne au département des ressources humaines qui a transmis au plaignant un relevé de confirmation (Pièce P-6) démontrant que son régime d'assurance était conforme aux options qu'il avait exercées et ce, pour la période du 29 juin 1995 au 31 mai 1996. Le témoin déclare ne pas se souvenir d'avoir renouvelé ses bénéfices d'assurance en 1996 et 1997 car ses choix d'options d'assurance demeuraient les mêmes.

[13] Le témoin relate qu'à cette époque son conjoint détenait une assurance-vie au montant de 50 000 $ dont il était le bénéficiaire. Il souhaitait souscrire une assurance sur la vie de son conjoint au montant maximum prévu par le régime d'assurance collective afin d'assurer sa sécurité en cas de décès de ce dernier.

[14] Marc Genest raconte qu'en 1997 son conjoint, à l'emploi de Royal Lepage comme courtier en immeuble, a perdu son statut de salarié pour devenir travailleur autonome. Au moment de l'échéance du paiement de la prime d'assurance sur sa vie au montant de 800 $ son conjoint ne pouvait rencontrer cette obligation. Le père de son conjoint, moyennant qu'il devienne bénéficiaire de cette police, a accepté d'acquitter la prime. Le père de son conjoint est devenu bénéficiaire de la police.

[15] Le témoin raconte que le père de son conjoint, de nationalité égyptienne, n'a jamais accepté que son fils soit homosexuel.

[16] Le témoin affirme qu'entre le 28 août 1995, date où il a rencontré Lucie Laroche, et le 15 juin 1998, l'employeur n'a fourni à ses employés aucune information relative au régime d'assurance collective, ni aucune session d'information pour expliquer les modifications qui auraient pu être apportées au régime d'assurance collective. De son côté, le plaignant admet qu'au cours de cette période, il n'a eu aucune discussion avec Lucie Laroche pour traiter de sa situation.

[17] Marc Genest se souvient que le 15 juin 1998 Lucie Laroche a tenu une session d'information pour expliquer aux employés les modifications apportées au régime d'assurance collective. Elle a déclaré que maintenant le conjoint homosexuel était éligible à toutes les options d'assurance prévues au régime d'assurance collective. Le plaignant est intervenu publiquement en disant : Qu'est-ce qui arrive avec moi maintenant que mon conjoint est décédé ? (Volume 1, page 127). Lucie Laroche lui a répondu de se consoler en pensant que sa lutte aura bénéficié aux autres employés dans la même situation.

[18] Suite au décès de son conjoint, le 16 février 1998, il en a fait part à Lucie Laroche. Il a été très surpris qu'elle lui mentionne sur le champ que son conjoint n'avait aucune couverture d'assurance sur la vie. Puis, elle l'a informé qu'il bénéficiait d'un congé de deuil de trois jours.

[19] Marc Genest a été appelé à consulter le contrat d'assurance collective avec Aetna Canada (1995) pour les employés de Bell Mobilité (Pièce P-2) et un extrait de ce même contrat (Pièce P- 3) et il déclare ne les avoir jamais vus auparavant.

[20] Le témoin a été affecté par le décès de son conjoint et il éprouvait beaucoup de difficultés à faire son travail; il sentait un pressant besoin d'aide psychologique. Il a demandé au département des ressources humaines de lui fournir les services d'un psychologue et ce, par le biais du programme d'aide aux employés (PAE) mis sur pied par l'entreprise et auquel les employés contribuaient financièrement. Ce n'est qu'un an plus tard qu'il a pu rencontrer un psychologue qui ne lui a apporté aucune aide.

[21] Marc Genest raconte que suite au décès de son conjoint il a multiplié les demandes, à compter de mars ou avril 1998, auprès d'Angella Santullo du service des ressources humaines afin d'obtenir une copie du contrat d'assurance collective. Elle lui disait ne pas détenir de copie de ce contrat. Puis, en septembre 2000, il s'est adressé à Julie Walbrecq du même service mais sa démarche a de nouveau été vaine. Le document recherché a été obtenu dans le cadre de l'enquête visant la présente plainte.

[22] Marc Genest était locataire avec son conjoint d'une maison à l'Île Perrot. Ils étaient copropriétaire d'un bateau à voile. Le plaignant était propriétaire de son véhicule et son conjoint disposait d'un véhicule en location. Son conjoint réalisait par son travail de courtier en immeuble un revenu annuel net d'environ 70 000 $. Toutefois, à partir du mois de juillet 1997, le témoin se souvient que son conjoint a ralenti son rythme de travail en raison de la fatigue et d'une baisse dans le marché immobilier. Auparavant, le plaignant affirme que son conjoint jouissait d'une excellente santé. Sans être un grand sportif, il pratiquait la voile et allait danser trois fois par semaine. Il dépensait beaucoup d'énergie au travail. En septembre 1997, au retour d'un voyage en Floride, il a constaté que son conjoint était encore affecté par la fatigue. Il lui a conseillé de voir le médecin mais il ne l'a pas fait. Il ne travaillait plus et son état de santé se dégradait ; son état de faiblesse a nécessité l'hospitalisation le 27 octobre 1997 à l'Hôpital général de Montréal. Suite à de nombreux examens, son conjoint a été déclaré séropositif. Il a pu quitter l'hôpital pour la période des Fêtes et, par la suite, il a été admis dans un centre d'hébergement et il est décédé le 16 février 1998.

[23] Marc Genest révèle que pendant la maladie de son conjoint il a dû assumer seul toutes les dépenses qu'il partageait avec lui, notamment celles reliées au logement, et s'absenter du travail pendant six semaines. De plus, même si ce n'était pas recommandé, il s'est procuré de la marijuana pour stimuler l'appétit de son conjoint. Lors du décès de son conjoint, sa situation financière était précaire et le tout s'est aggravé après son décès. Il a dû utiliser la marge de crédit de 5 000 $ qu'il avait obtenue. Il a utilisé un montant de 20 000 $ sur cartes de crédit. Il a dû assumer le paiement d'un montant de 4 000 $ pour une dette de son conjoint. Sa mère lui a avancé un montant de 8 000 $ qu'il n'a pas remboursé. Il disposait d'un revenu annuel de 23 500 $ approximativement. En plus du traumatisme que lui avait causé la perte de son conjoint, Marc Genest raconte que le poids de ses obligations financières lui a causé beaucoup de stress et d'anxiété. Le plaignant a conservé le logement qu'il habitait avec son conjoint au Plateau Mont-Royal jusqu'en juillet 1999 car il n'avait pu se résigner à le faire plus tôt. Il a occupé un appartement au coût mensuel de 700 $ auquel s'ajoutait le coût du chauffage. En août 2001, il a loué un appartement plus modeste et, en 2002, sa situation financière l'oblige à louer une chambre chez un ami pendant trois mois. Suite à son retour au travail, en octobre 2002, il a loué un appartement au coût de 550 $ par mois.

[24] En octobre 1998, il a souffert d'hyperventilation qui a nécessité une hospitalisation d'une journée et une absence du travail pendant quelques semaines. En octobre 1999, il a subi une dépression sévère causée par un deuil non résolu qui a nécessité une absence du travail de quelques semaines.

[25] Marc Genest a quitté son emploi chez Bell Mobilité en février 2001 et il fut sans emploi pendant un an. Il a dû liquider tous ses actifs pour subvenir à ses besoins. Il a repris le travail à l'automne 2002 comme représentant dans une société de fiducie avec une rémunération annuelle de 28 000 $. Le plaignant a fait des études en tourisme, particulièrement comme agent de voyages et guide touristique. Il a reçu aussi une formation comme agent et courtier immobilier.

[26] Le témoin déclare qu'il ignorait que le bénéficiaire d'une assurance-vie doive réclamer la prestation dans les six mois qui suivent le décès de l'assuré.

[27] Le témoin, dans un courriel adressé à Julie Walbrecq (Pièce I-1, onglet 7), le 11 septembre 2000, écrivait que la rencontre d'information tenue en 1998 à laquelle participaient une vingtaine de personnes, était dirigée par Geneviève Britt du département des ressources humaines. Cette rencontre visait à informer les employés des modifications apportées au régime d'assurance collective.

[28] Le plaignant reconnaît que le 26 septembre 2000 il a adressé une lettre à la Commission canadienne des droits de la personne. Il écrit qu'en 1995, devant l'impossibilité de souscrire une assurance sur la vie de son conjoint, il a signalé qu'il s'agissait de discrimination flagrante. Dans son témoignage, il soutient avoir fait part de ses doléances à Lucie Laroche, Karine Mariasine et Sylvie Sauvé, mais il admet ne pas avoir utilisé les termes discrimination flagrante . Il affirme avoir mentionné que la situation à laquelle il devait faire face n'avait pas de bon sens et n'était pas équitable.

[29] Marc Genest a fait parvenir à Aetna Canada une mise en demeure le 15 février 2001 (Pièce I-1, onglet 9) dans laquelle il réclame le paiement d'un montant de 20 000 $ suite au décès de son conjoint survenu le 16 février 1998. Il prétend que le montant de 20 000 $ réclamé était le montant de base de l'assurance-vie. Il a adressé cette mise en demeure parce qu'il était impossible, malgré ses demandes répétées, d'obtenir le contrat d'assurance collective.

[30] Le 29 avril 2002, le témoin a communiqué par écrit sa version des faits à la Commission canadienne des droits de la personne. Il mentionne que lors de sa rencontre avec Lucie Laroche, en août 1995, cette dernière a dessiné un X sur la page traitant de l'assurance-vie dans la brochure explicative du régime d'assurance collective.

[31] Il ajoute que Lucie Laroche lui a mentionné que la couverture de base pour l'assurance-vie d'un conjoint de sexe opposé était d'un montant de 20 000 $ qui aurait pu être majoré sur paiement de primes additionnelles. Toutefois, il n'avait pas cette disponibilité dans les circonstances.

[32] Dans ce même document, le plaignant révèle qu'à l'automne 1999, lors d'une rencontre avec Geneviève Britt, directrice du service des ressources humaines, elle lui aurait indiqué qu'en 1995, il aurait été possible d'assurer la vie de son conjoint. Il aurait suffi de l'identifier en inscrivant son nom et en indiquant au féminin le prénom de son conjoint.

[33] Au cours de cette même rencontre, il a fait part à Geneviève Britt qu'il avait besoin d'aide car il était dépressif et se sentait découragé de la vie. Geneviève Britt l'a référé à un psychologue qui lui a dit qu'il devait se rendre directement à l'urgence de l'hôpital. Il a refusé de s'y rendre car il ne croyait pas au bien-fondé de la recommandation de ce psychologue. Il n'a pas jugé à propos de revenir à la charge auprès de quiconque au service des ressources humaines pour bénéficier du programme d'aide aux employés.

[34] Dans ce document, Marc Genest affirme que son conjoint bénéficiait d'un régime d'assurance-maladie chez son employeur. Il a admis en contre-interrogatoire que tel n'était pas le cas. Le témoin affirme que la brochure explicative du régime d'assurance collective contenait la définition de conjoint sans distinction pour les conjoints de même sexe.

[35] Le témoin affirme qu'en 1995, ce n'était pas dans les habitudes chez Bell Mobilité que les employés affichent publiquement leur orientation sexuelle par crainte de froisser les gens ou de compromettre les chances d'avancement. À cette époque, il prétend que sur les 30 représentants au service à la clientèle seulement trois étaient homosexuels. Il nie que des gens homosexuels faisaient des blagues au sujet des homosexuels et même lors de petites représentations théâtrales à l'occasion de soirées sociales.

[36] En contre-interrogatoire, le plaignant a reconnu que le revenu annuel de son conjoint, qu'il avait affirmé être d'environ 70 000 $ net, avait été plutôt approximativement de 40 000 $ brut pour les années 1995 et 1996 et moins élevé en 1997. Il estime qu'au cours de ces années sa situation financière et celle de son conjoint étaient bonnes. En contre-interrogatoire il a dû admettre que son conjoint avait fait cession de ses biens en décembre 1996 et qu'il en aurait été informé en mai 1997. Il raconte avoir été fort surpris car son conjoint ne lui avait jamais fait part de ses difficultés financières et frustré que son conjoint ait agi ainsi suite aux conseils reçus de son père et sans en discuter au préalable avec lui.

[37] Marc Genest affirme que, lorsque son conjoint est revenu d'un voyage en Floride en septembre 1997 pour visiter sa mère, il a constaté qu'il avait beaucoup maigri et éprouvait des difficultés à se déplacer. Il a alors soupçonné qu'il pouvait être atteint du sida. Il ne peut préciser à quel moment il a contracté la maladie et il n'en a jamais discuté avec lui.

[38] Marc Genest révèle qu'en décembre 1996 son conjoint lui a fait part qu'il avait été voir ailleurs. Le plaignant déclare avoir compris ce qu'il voulait dire et il n'a pas voulu en connaître davantage.

[39] Marc Genest prétend, à sa connaissance, qu'avant son hospitalisation en novembre 1997 son conjoint a consulté le médecin environ deux fois par année. Il ne lui connaissait pas de médecin personnel.

[40] Le témoin a été appelé à vérifier le sommaire des consultations médicales de son conjoint pour la période du 30 janvier 1996 au 18 janvier 1998 (Pièce I-2). Ce sommaire provient de la Régie de l'assurance-maladie du Québec et démontre qu'entre le 28 février 1997 et le 5 novembre 1997 le conjoint du plaignant a été l'objet de 21 actes médicaux. Marc Genest a déclaré que son conjoint ne l'a pas tenu au courant de ses visites chez le médecin.

(ii) Angello Galletto

[41] Angello Galletto a travaillé chez Bell Mobilité pendant trois ans à compter du 11 août 1997. Après avoir terminé une période de probation de trois mois, il a acquis le statut d'employé permanent lui permettant de bénéficier des avantages sociaux consentis par l'intimée à son personnel, notamment le régime d'assurance collective.

[42] Le témoin relate avoir assisté, avec une douzaine de collègues de travail, à une session d'information donnée par Katherine Daoust, conseillère au département des ressources humaines, pour leur expliquer entre autres les différentes couvertures d'assurance offertes par le régime d'assurance collective. Une fois les informations reçues, l'employé devait faire connaître le choix des couvertures d'assurance auxquelles il souhaitait adhérer.

[43] Le témoin homosexuel vivait avec un conjoint de même sexe en février 1996 après trois mois de fréquentation. Il soutient qu'au cours de la session d'information la possibilité d'une couverture d'assurance pour les conjoints de même sexe n'avait pas été abordée. Angello Galletto se souvient avoir communiqué avec Katherine Daoust pour savoir s'il pouvait inscrire son conjoint à titre de bénéficiaire de l'assurance-vie. Elle lui a répondu que ce n'était pas possible mais qu'on pouvait procéder en déclarant le nom du bénéficiaire et uniquement la première lettre du prénom du bénéficiaire. Il a décidé de ne pas adopter cette avenue d'autant plus que son conjoint détenait une assurance-vie avec le régime d'assurance collective chez son employeur.

[44] Le témoin déclare qu'il n'avait pas soulevé, lors de la session de formation, la question d'assurabilité de son conjoint parce qu'il s'agissait pour lui d'une affaire personnelle. En outre, il croit que dans ce temps-là l'orientation sexuelle n'était pas reconnue chez Bell Mobilité. C'était un sujet qui, selon lui, n'était pas abordé avec la direction. Des discussions pouvaient avoir lieu entre employés qui s'étaient liés d'amitié. Il était tout de même reconnu qu'un nombre de personnes à l'emploi de Bell Mobilité était homosexuelles.

(iii) Martin Pelletier

[45] Martin Pelletier a été le conjoint de Marc Genest de septembre 1999 à avril 2000. Lors de leur première rencontre le plaignant lui a raconté que son conjoint était décédé le 16 février 1998 et qu'auparavant son employeur lui avait refusé de souscrire une assurance sur la vie de son conjoint. Plus tard, le témoin a appris que le plaignant avait beaucoup de difficultés financières, suite au décès de son conjoint, et qu'il s'était retrouvé sans argent. Il n'avait pas été en mesure d'acquitter les frais funéraires reliés au décès de son conjoint et il avait dû quitter l'appartement luxueux qu'il occupait avec ce dernier. Marc Genest attribuait ses déboires financiers au fait que son employeur lui avait refusé l'opportunité de souscrire une assurance sur la vie de son conjoint dont il aurait été le bénéficiaire.

[46] Marc Genest lui a également fait part que, dans les mois qui ont suivi le décès de son conjoint, Bell Mobilité avait modifié le régime d'assurance collective afin de permettre à un employé de souscrire une assurance sur la vie de son conjoint de même sexe. Il lui a mentionné également avoir tenté d'obtenir, tant de la part de l'assureur que de son employeur, le contrat d'assurance collective mais qu'ils n'ont jamais répondu à sa demande.

[47] Le témoin déclare qu'il a entrepris les premières démarches qui ont conduit au dépôt de la plainte parce qu'il constatait qu'émotivement Marc Genest ne se sentait pas capable de le faire.

(iv) Gisèle Tétrault

[48] Gisèle Tétrault est la mère de Marc Genest. Elle raconte qu'au cours des six mois précédant le décès du conjoint de son fils celui-ci a commencé à éprouver des difficultés financières en raison de l'absence de revenus de son conjoint qui était malade et incapable de travailler. Elle a dû aider financièrement son fils en lui prêtant un montant de 2 500 $. Suite au décès du conjoint de son fils, ses ennuis financiers se sont alourdis et elle lui a prêté un montant de 5 500 $ et ces prêts ne lui ont pas été remboursés.

(v) Karine Mariasine

[49] Karine Mariasine était à l'emploi de Bell Mobilité en 1995 et 1996 à titre de superviseure au département de service à la clientèle. Elle se rappelle qu'au printemps 1995 Marc Genest est venu la rencontrer pour lui faire part des difficultés qu'il éprouvait à obtenir une couverture d'assurance sur la vie de son conjoint. Elle lui a dit qu'elle ne pouvait pas lui venir en aide. À cette époque, le témoin déclare qu'au département du service à la clientèle une bonne dizaine d'employés s'affichaient publiquement comme homosexuels.

(vi) Lorenzo Casanova

[50] Le témoin a débuté chez Bell Mobilité en même temps que Marc Genest. Il a travaillé avec le plaignant plus particulièrement au cours des années 1997 et 1998. Le témoin relate qu'il était au courant que, suite au décès de son conjoint, Marc Genest avait des problèmes avec le régime d'assurance collective.

[51] Le témoin raconte qu'au cours de sa période d'emploi chez l'intimée plusieurs employés étaient homosexuels et il y avait également des employés homosexuels dont le conjoint était à l'emploi de Bell Mobilité.

[52] Le témoin a déclaré se souvenir qu'en 1998 des séances d'information ont été données par des représentants des ressources humaines concernant le régime d'assurance collective et qu'il y a assisté.

B. Preuve de l'intimée

(i) Sophie Boucher

[53] Sophie Boucher a été embauchée chez Bell Mobilité en 1986. Elle a débuté comme commis pour être promue successivement au service à la clientèle, au service de la collection et finalement au service des télécommunications.

[54] Depuis son arrivée chez Bell Mobilité, elle s'est toujours affichée en tant qu'homosexuelle. En 1995, sa conjointe travaillait également chez Bell Mobilité depuis 1990. Elle avait été embauchée comme représentante au service à la clientèle pour devenir ensuite superviseure et finalement directrice.

[55] Elle soutient qu'en 1995 l'homosexualité chez les employés ne causait aucun problème parmi les dirigeants. Elle se souvient, à titre d'exemple, avoir confié à son patron sa volonté de mettre au monde un enfant et les démarches qu'elle avait entreprises. Elle se souvient également que plusieurs employés s'affichaient publiquement comme homosexuels.

[56] Sophie Boucher déclare qu'avant 1995 il existait un régime d'assurance collective chez Bell Mobilité qui décidait de l'adhésion des employés aux différentes catégories d'assurances. À compter de 1995, le nouveau régime d'assurance collective permettait aux employés d'exercer des options de diverses couvertures d'assurance. C'est la raison pour laquelle les représentants des ressources humaines ont tenu des sessions d'information pour expliquer aux employés les diverses couvertures d'assurance disponibles et les coûts s'y rattachant, tant pour l'employé que pour l'employeur.

[57] Le témoin déclare ne pas avoir porté d'intérêt pour la couverture d'assurance-vie du conjoint de même sexe parce que sa conjointe, également à l'emploi de Bell Mobilité, pouvait adhérer au régime d'assurance-vie.

(ii) Sylvie Sauvé

[58] Sylvie Sauvé a été embauchée chez Bell Mobilité en mars 1990 comme représentante en ligne. En 1994, elle a été promue superviseure et, en 1997, elle est devenue directrice au service à la clientèle.

[59] Le témoin a rencontré, en mai 1990, sa conjointe également à l'emploi de Bell Mobilité. Elles se sont toujours affichées publiquement comme gaies. Elle affirme que son orientation sexuelle ne lui a jamais causé d'embûche dans son cheminement de carrière. Elle relate que plusieurs employés s'affichaient publiquement comme homosexuels, notamment une de ses collègues gaies qui était directrice. Il arrivait que des employés homosexuels lui fassent des blagues sur son orientation sexuelle.

[60] Le témoin relate que lors de l'arrivée du nouveau régime d'assurance collective en 1995, elle ne s'est pas préoccupée de l'adhésion à l'assurance-vie pour sa conjointe vu qu'elle était aussi à l'emploi de Bell Mobilité.

[61] Elle raconte que le plaignant lui a parlé de la situation qu'il vivait relativement à une couverture d'assurance sur la vie de son conjoint et qu'elle lui a répondu qu'elle ne vivait pas cette situation car sa conjointe travaillait chez Bell Mobilité.

(iii) Geneviève Britt

[62] Geneviève Britt a été engagée en 1995 par Bell Mobilité au poste de directrice, formation et développement organisationnel. En 1996, elle a occupé le poste de directrice, relations avec les employés et, à la fin de 1997, celui de directrice des ressources humaines chez Bell Mobilité Cellulaires. En 1999, elle a quitté cet emploi pour occuper celui de directrice des ressources humaines chez Bell Express Vu.

[63] Elle a fait la connaissance du plaignant au printemps de 1998 alors qu'il s'est rendu la rencontrer parce qu'il éprouvait des difficultés suite au décès de son conjoint. Le plaignant lui avait confié que son partenaire était d'origine égyptienne et que sa famille acceptait mal leur relation, ce qui lui causait un certain stress. En plus du deuil qu'il vivait, il lui fait part qu'il avait des difficultés financières.

[64] Geneviève Britt a demandé au plaignant s'il avait souscrit une assurance sur la vie de son conjoint. Il a répond qu'il ignorait qu'il bénéficiait de cette opportunité et il semblait très étonné de l'apprendre.

[65] Le témoin déclare qu'elle lui a suggéré de recourir au programme d'aide aux employés. Comme il semblait épuisé, elle lui a conseillé de consulter un médecin. Geneviève Britt raconte qu'elle ne peut avoir rencontré le plaignant en 1999 puisqu'elle était à l'emploi de Bell Express Vu.

[66] Le témoin révèle que contrairement aux affirmations du témoin dans sa lettre du 29 avril 2002 adressée à la Commission, elle ne lui a pas donné d'information sur le régime d'assurance collective car, de par ses fonctions, elle n'a jamais eu à travailler dans ce domaine. Elle nie catégoriquement avoir dit au témoin qu'il aurait pu indiquer le prénom de son conjoint au féminin pour lui permettre de souscrire une assurance sur sa vie. Elle prétend qu'elle n'aurait jamais incité le plaignant à frauder un assureur.

[67] Le témoin soutient que chez Bell Mobilité on faisait preuve d'une grande ouverture d'esprit et qu'on ne faisait aucune différence entre l'employé homosexuel et hétérosexuel. Elle affirme que plusieurs employés, en 1995, s'affichaient publiquement au travail en tant qu'homosexuels.

[68] Le témoin déclare ne pas se souvenir d'avoir tenu une réunion d'information sur le régime d'assurance collective en 1998 au cours de laquelle le plaignant aurait pleuré.

[69] Le témoin raconte que suite à son embauche en 1995 elle avait été informée que le régime d'assurance collective était offert au conjoint de même sexe. Elle rapporte qu'en 1998 des rencontres ont eu lieu avec le personnel pour expliquer les modifications apportées au régime d'assurance collective.

(iv) Katherine Daoust

[70] Katherine Daoust est à l'emploi de Bell Mobilité depuis le 1er avril 1985. Elle a été adjointe à l'exécutif. Depuis septembre 1995, elle occupe le poste de directeur administratif des avantages sociaux.

[71] Elle était appelée à rencontrer les employés par petits groupes pour leur fournir des informations relatives aux avantages sociaux offerts par Bell Mobilité, notamment le régime d'assurance collective. Elle affirme qu'elle spécifiait que le régime d'assurance collective était disponible aux conjoints de même sexe ou de sexe différent et ce, pour autant qu'il était de notoriété publique que les conjoints faisaient vie commune et que cette vie commune existait depuis au moins 12 mois.

[72] À cet égard, elle admet avoir mentionné à Angello Galletto qu'il ne pouvait assurer son conjoint parce qu'il n'habitait pas avec lui depuis au moins 12 mois. Le témoin révèle qu'il y avait de nombreux employés qui faisaient part de leur homosexualité sans problème, tant chez les filles que chez les garçons.

[73] Elle affirme qu'à chaque rencontre qu'elle faisait avec des groupes d'employés elle se faisait un devoir de les informer parce qu'elle craignait que de nouveaux employés n'osent pas aborder cette question de l'assurabilité des conjoints de même sexe.

(v) Michel Côté

[74] Michel Côté a débuté à l'emploi de Bell Mobilité en 1988 pour un projet spécial au télémarketing. Il a été promu coordonnateur de télécommunication puis coordonnateur de l'administration. En 1996, il a occupé cette fonction à Toronto. En 2002, il a continué à remplir la même responsabilité chez Bell Express Vu.

[75] Le témoin déclare qu'il est gai. Il estime que l'orientation sexuelle des employés ne faisait pas l'objet de discussions chez les dirigeants de Bell Mobilité. Il affirme qu'il pouvait vivre son homosexualité en toute quiétude. À titre d'exemple, le témoin se souvient qu'à l'occasion de la période des Fêtes des spectacles étaient organisés au cours desquels l'homosexualité était fréquemment abordée, d'autant plus que les deux animateurs étaient gais. Ces spectacles étaient enregistrés et une vidéo était acheminée aux dirigeants de Bell Mobilité qui souhaitaient voir ces spectacles. Le contenu des spectacles auxquels le témoin a participé pendant six à sept ans était préalablement approuvé par le comité de gestion.

[76] Le témoin raconte qu'un comité formé d'un directeur et d'une dizaine d'employés avait été mis sur pied. L'objectif de ce comité était de sensibiliser les dirigeants aux divers problèmes que vivaient les employés au travail et de trouver des solutions. Le témoin affirme qu'à l'occasion d'une réunion de ce comité il a suggéré que les bénéfices d'assurances soient les mêmes, aussi bien pour un couple hétérosexuel que pour un couple homosexuel. Il prétend que sa suggestion a été retenue lors de la mise sur pied, en juin 1995, du régime d'assurance collective.

[77] Lors de l'entrée en vigueur de ce nouveau régime d'assurance collective, le témoin vivait seul mais il fréquentait quelqu'un de sexe masculin qui travaillait à Police Crédit à Ottawa. En 1996, cette personne était devenue son conjoint. Il a souscrit une assurance sur la vie de son conjoint ainsi qu'une assurance-décès et mutilation accidentels.

(vi) Lucie Laroche

[78] Lucie Laroche est à l'emploi de Bell Mobilité depuis le 29 septembre 1986. De janvier 1992 à novembre 1998 elle a occupé le poste d'administratrice des ressources humaines pour être affectée par la suite au service de la paie.

[79] Elle devait s'occuper de la gestion des différents programmes d'avantages sociaux tels le régime d'assurance, le régime de retraite, le programme d'aide aux employés, le régime d'achat d'actions.

[80] Lucie Laroche raconte que lorsqu'un employé obtenait son statut d'employé permanent il pouvait bénéficier des programmes d'avantages sociaux. Le service des ressources humaines disposait d'une trousse qui avait été préparée pour chaque employé permanent. Elle contenait une brochure explicative du régime d'assurance collective intitulée Avantages à la carte , accompagnée d'un formulaire de choix d'options d'assurance. Elle contenait également les informations sur les autres programmes d'avantages sociaux. Par la suite, les employés étaient invités, par petits groupes, pour une session d'information donnée par un représentant des ressources humaines bien au courant des programmes d'avantages sociaux. Lors de la rencontre, la trousse était remise à l'employé et l'information était transmise. Par la suite, l'employé devait décider à quelle couverture d'assurance il choisissait d'adhérer. S'il avait besoin d'éclaircissement sur les options d'assurance à exercer, il pouvait obtenir des renseignements de la part d'un administrateur aux ressources humaines. Puis, l'employé devait remplir le formulaire de choix d'options d'assurance et l'acheminer par courrier interne au service des ressources humaines. Enfin, un relevé de confirmation de couverture d'assurance émanant de l'assureur était transmis à l'employé par le service des ressources humaines.

[81] Le témoin révèle que la brochure Avantages à la carte identifiait les régimes d'assurance disponibles, leur contenu et les taux applicables. Elle contenait des explications sur chacun des régimes. Par exemple, cette brochure contenait des informations sur le régime d'assurance-vie de l'employé. Elle précisait que l'assurance de base sur la vie d'un employé devait être d'un minimum de 10 000 $. L'employé pouvait majorer le bénéfice de cette assurance de deux fois jusqu'à sept fois son salaire. Le témoin a fourni des explications sur le régime d'assurance-décès et mutilation accidentels (ADMA). Cette couverture d'assurance s'appliquait uniquement dans le cas de décès accidentel de l'employé. En pratique, en cas de décès accidentel, la couverture ADMA et la couverture d'assurance-vie trouvaient leur application mais ce n'est pas le cas suite à une mort naturelle. En cas de mutilation, un pourcentage de la couverture d'assurance s'appliquait. Ce pourcentage variait selon la gravité de la mutilation. La brochure contenait également des informations sur le régime d'assurance dentaire, le régime d'assurance-maladie, le régime d'assurance-invalidité à long terme.

[82] La brochure offrait également l'assurance-vie pour le conjoint par tranche de 25 000 $ et dont la prime était payable en entier par l'employé. Le témoin précise les conditions pour qu'une personne soit reconnue comme conjoint : soit d'être marié par mariage civil ou religieux ou être conjoint de fait. Pour être conjoint de fait on devait cohabiter avec une autre personne depuis une période d'au moins 12 mois et s'afficher publiquement comme couple. Elle soutient que les conjoints de même sexe étaient reconnus au même titre que les conjoints de fait hétérosexuels.

[83] Selon le témoin, la brochure indiquait également la possibilité de couverture ADMA pour le conjoint et pour les enfants de même qu'une couverture d'assurance-vie pour les enfants.

[84] Le témoin raconte qu'avant l'avènement du programme Avantages à la carte le régime d'assurance collective en vigueur n'offrait pas de choix d'options d'assurance aussi variés que le nouveau programme et l'opportunité d'adhérer aux options d'assurance en fonction des besoins particuliers de chaque employé.

[85] Le témoin souligne qu'en 1994 elle a fait partie d'un groupe de travail composé de représentants de Bell Mobilité et de consultants qui ont participé au développement et à la mise en place le 1er juin 1995 du programme Flex I avec la compagnie d'assurance Aetna Canada. En se référant au contrat d'assurance collective en vigueur en 1995 (Pièce P-2), le témoin a indiqué que toute demande de couverture d'assurance-vie pour l'employé ou son conjoint n'était pas sujette à une preuve d'assurabilité si elle était faite dans les 31 jours qui suivaient la date où l'employé devenait éligible au programme d'assurance collective. L'éligibilité était acquise à la date où l'employé obtenait sa permanence. Si la demande d'assurance était faite après l'expiration de ce délai, l'assureur exigeait une preuve d'assurabilité.

[86] Selon toujours la pièce P-2, page 7 ELIB, le témoin a expliqué les différentes options d'assurance-vie disponibles pour un employé. La première option est celle d'une assurance de base de 10 000 $ obligatoire ; la seconde option est une assurance représentant une fois le salaire annuel de l'employé jusqu'à une possibilité de sept fois le salaire annuel. En ce qui a trait à l'assurance-vie du conjoint (Pièce P-2, page 7, 2-DLIB2), on constate que l'employé peut opter pour une couverture d'assurance sur la vie de son conjoint variant entre 25 000 $ et 250 000 $. Toutefois, l'employé ne pouvait souscrire une assurance sur la vie de son conjoint pour un montant plus élevé que celui auquel il avait souscrit pour lui-même en assurance-vie.

[87] Par ailleurs, si la couverture d'assurance sur la vie du conjoint est supérieure à 25 000 $, une preuve d'assurabilité est requise. De plus, lors du renouvellement annuel de l'assurance-vie, toute augmentation de la couverture d'assurance-vie du conjoint est sujette à une preuve d'assurabilité.

[88] Enfin, à la page 9 de la pièce P-2, Lucie Laroche indique que toute réclamation de bénéfice d'assurance sur la vie doit être soumise à l'assureur dans les six mois du décès de l'assuré.

[89] Lucie Laroche précise que le choix d'options d'assurance exercé par l'employé est valide jusqu'à la date de renouvellement qui était le 1er juin 1996. Au cours du printemps, les employés reçoivent à nouveau une trousse contenant notamment la brochure explicative du programme d'assurance collective avec le formulaire de choix d'options. Des rencontres d'information ont lieu et les employés qui désirent apporter des modifications à leur choix d'assurance peuvent le faire en remplissant le formulaire de choix d'options. Ce formulaire est transmis par l'employé au service des ressources humaines qui l'achemine à l'assureur. Une fois les modifications acceptées, l'assureur émet un relevé de confirmation qui est envoyé au service des ressources humaines et transmis à l'employé. Le même processus se répète chaque année.

[90] Le témoin a été appelé à commenter le formulaire de choix d'options d'assurance rempli par Marc Genest le 28 août 1995 (Pièce P-4). Le document démontre que Bell Mobilité mettait à la disposition du plaignant un montant de 411,12 $ pour payer le coût de certains régimes d'assurance. On constate également que Marc Genest a choisi d'adhérer à l'assurance-maladie seulement pour lui-même et à l'assurance dentaire pour lui-même et son conjoint. En ce qui a trait à l'assurance-vie, Marc Genest a opté pour une couverture d'assurance-vie représentant deux fois son salaire annuel. Il n'a pas adhéré à l'assurance-vie du conjoint, ni à celle des enfants. Il a opté pour l'ADMA pour lui-même avec une couverture de cinq fois son salaire annuel et l'ADMA pour son conjoint avec une couverture de 200 000 $. Il a adhéré aussi à l'assurance-invalidité à long terme pour lui-même.

[91] Ce formulaire démontre également que le plaignant a désigné sa mère à titre de bénéficiaire de ses assurance-vie et ADMA et son conjoint comme personne à charge.

[92] Lucie Laroche révèle qu'au moment où Marc Genest a adhéré au régime d'assurance collective son salaire annuel était de 24 226,80 $ en août 1995. Par conséquent, comme il avait souscrit une assurance sur sa vie pour un montant représentant deux fois son salaire annuel, il disposait d'une assurance sur sa vie de 49 000 $. Si Marc Genest avait opté pour une assurance sur la vie de son conjoint, le montant de celle-ci aurait été de 25 000 $, selon la version du témoin. Elle explique que l'assurance-vie du conjoint était offerte par tranche de 25 000 $ et qu'un montant de 50 000 $ sur la vie du conjoint du plaignant aurait été supérieur au montant de sa propre assurance sur la vie, ce qui n'était pas accepté par l'assureur.

[93] Lucie Laroche relate qu'en 1995 elle était mariée depuis neuf ans et mère de deux enfants.

[94] Le témoin raconte qu'en 1998 le programme Flex I a été remplacé par le programme Flex II . Ce nouveau programme ne comportait pas de changements majeurs des couvertures d'assurance. On avait apporté des modifications pour améliorer la flexibilité du choix d'assurance.

[95] À l'arrivée de ce programme, Lucie Laroche a participé à la préparation du document appelé Avantages à la carte 2 remis aux employés lors des sessions d'information. De plus, elle a fourni la formation aux représentants des ressources humaines appelés à tenir les sessions d'information et elle en a fait quelques-unes elle-même.

[96] Le témoin rappelle que toutes les couvertures d'assurance telles que l'assurance-maladie, l'assurance dentaire, l'assurance-vie ou ADMA étaient offertes aussi bien aux conjoints de même sexe qu'à ceux de sexe opposé.

[97] Le témoin a été appelé à commenter le contenu d'une lettre adressée par le plaignant à la Commission le 26 septembre 2000 (Pièce I-1, onglet 8). On peut y lire au paragraphe a) :

« Le programme d'assurance collective en vigueur n'offrait aucune couverture pour l'assurance-vie pour les conjoints de même sexe, malgré le fait que cette même police acceptait les conjoints de même sexe pour tous les types de couvertures, auxquels j'ai enregistré mon conjoint d'ailleurs. »

[98] Puis, au paragraphe b), le plaignant soutient que :

« La police en vigueur obligeait le paiement par prélèvement directs sur les paies d'une prime de base à tous les employés couvrant entre autres, une protection d'assurance vie de base de 20 000 $ pour les conjoints de sexe opposés d'employés. »

[99] Lucie Laroche affirme que le contrat d'assurance n'exigeait aucunement le paiement par prélèvements directs sur les paies des employés pour une prime de base d'assurance. De plus, elle soutient qu'il n'y a jamais eu de couverture de base en assurance-vie pour le conjoint de même sexe ou de sexe opposé. Au surplus, le régime d'assurance collective ne mentionnait aucune assurance-vie de base de 20 000 $ pour le conjoint.

[100] Lucie Laroche expose que Bell Mobilité avait mis sur pied un programme d'aide aux employés (PAE) pour fournir des services d'aide ponctuelle aux employés qui vivaient des problèmes personnels, qui avaient besoin d'aide psychologique, financière ou légale. Le PAE disposait d'un service central téléphonique auquel l'employé se rapportait. Suite au problème soumis, les dispositions étaient prises pour référer l'employé à un consultant en mesure de lui venir en aide.

[101] Le témoin a été appelé à commenter la prétention du témoin à l'effet que lors d'une rencontre elle aurait barré d'un X la page de la brochure explicative de l'assurance-vie en affirmant qu'il n'avait pas droit à celle-ci pour son conjoint. Lucie Laroche nie cette prétention du témoin et demeure convaincue que toutes les couvertures d'assurance s'appliquaient au conjoint de même sexe.

[102] Lucie Laroche se souvient d'une conversation avec le plaignant, non pas pour lui apprendre le décès de son conjoint, mais quelques mois plus tard. Le plaignant lui avait alors fait part qu'il avait des difficultés financières et qu'il était attristé du décès de son conjoint.

[103] Le témoin déclare qu'elle n'a aucun souvenir d'une session d'information avec les employés en juin 1998 où elle aurait affirmé que Avantages à la carte 2 permettait dorénavant une couverture complète d'assurance pour les conjoints du même sexe. Elle est toutefois convaincue qu'elle n'aurait pas tenu un tel discours puisque le programme Avantages à la carte permettait déjà une couverture d'assurance pour les conjoints de même sexe depuis 1995 et que le programme Avantages à la carte 2 ne comportait aucun changement à cet égard.

[104] Lucie Laroche a affirmé, à l'aide du document faisant état de la progression du salaire annuel de Marc Genest (Pièce I-1, onglet 2), que ce dernier a obtenu le statut d'employé permanent à temps partiel le 28 juin 1995 et permanent à temps plein le 27 avril 1998.

[105] En contre-interrogatoire, le témoin a été appelé à commenter le fait qu'en 1995 la couverture d'assurance sur la vie des conjoints de même sexe existait mais qu'on ne la rendait pas publique. Le témoin affirme qu'en 1995, après avoir reçu la formation sur le programme d'assurance collective, elle a développé sa façon de faire après avoir donné la formation à d'autres employés qui devaient tenir les sessions de formation. Aussi, prétend-elle avoir donné, lors de sessions de formation et celles d'information aux employés, toutes les informations relatives à la possibilité d'assurance pour les conjoints de même sexe. Elle a affirmé que les informations ont été données lors de sessions de formation de petits groupes d'employés.

[106] Le témoin déclare se souvenir d'une rencontre avec deux employés dans un bureau. Elle ne peut affirmer que l'un d'eux était Marc Genest. Toutefois, elle se rappelle que l'un d'eux a posé des questions sur l'assurabilité des conjoints de même sexe. Ce genre de question l'avait frappée parce qu'elle ne l'avait pas souvent entendu lors des sessions d'information avec de petits groupes d'employés.

[107] À l'aide du document intitulé historique des absences de Marc Genest entre novembre 1997 et décembre 2000, Lucie Laroche constate que le plaignant s'est absenté du travail en invalidité court terme du 6 novembre 1997 au 19 décembre 1997, du 22 septembre 1998 au 19 octobre 1998, du 12 octobre 1999 au 8 février 2000 et, finalement, du 9 novembre 2000 au 4 décembre 2000. Au cours de ces périodes d'absence, le plaignant recevait 90 ou 100 pour cent de son salaire en vertu du régime d'assurance-invalidité court terme qui est entièrement à la charge de l'employeur. L'assurance-invalidité à long terme s'appliquait après 26 semaines d'absence en invalidité.

[108] Lucie Laroche a déposé la brochure explicative du programme d'assurance collective Flex I qui a été remise aux employés au printemps de 1995. Le document s'intitule Avantages à la carte (Pièce I-6). Ce programme est entré en vigueur le 29 juin 1995.

[109] Le témoin réfère à la page 2 du document où il est écrit :

« Pour Bell Mobilité, il est important que tous les employés bénéficient d'une protection financière de base en assurance-vie et en assurance-invalidité à long terme. Un niveau de protection minimum est donc obligatoire pour ces deux régimes. Dans le cas des autres régimes, vous êtes libre de n'opter pour aucune protection, si vous le désirez. »

[110] À la page 6 de ce même document, le témoin réfère à la notion de personnes à charge. On peut y lire :

« Personnes à charge - Les membres de votre famille peuvent bénéficier des régimes suivants : assurance-maladie, assurance dentaire, assurance-vie et assurance-décès et mutilation accidentels.

Les personnes à charge admissibles sont :

* votre conjoint, avec qui vous êtes légalement marié ou vivez en union libre depuis au moins 12 mois ;

* vos enfants à charge de moins de 21 ans, vos enfants à charge de moins de 25 ans s'ils étudient à temps plein ou vos enfants handicapés, quel que soit l'âge, s'ils dépendent entièrement de vous sur le plan financier. »

[111] À la page 18 du document, des informations sont fournies sur les options d'assurance-vie du conjoint. On précise :

« Avantages à la carte permet de bénéficier d'une assurance-vie pour votre conjoint d'un montant pouvant aller jusqu'à 250 000 $. Le prix de cette assurance dépend de l'âge, du sexe et du statut de fumeur ou de non fumeur de votre conjoint.

Si votre conjoint doit fournir une attestation de bonne santé, son assurance-vie n'entrera en vigueur que lorsque Aetna Canada aura approuvé le questionnaire sur l'état de santé. Dans l'intervalle, l'assurance-vie de Bell Mobilité dont vous disposez déjà pour votre conjoint sera maintenue. »

[112] À la page 19 on traite du renouvellement annuel en précisant :

« Si vous désirez accroître la protection d'assurance-vie de votre conjoint au moment de renouveler vos choix l'an prochain, votre conjoint devra remplir un questionnaire sur l'état de santé. »

[113] Le témoin précise que le document indique que la prime pour l'assurance sur la vie du conjoint doit être acquittée entièrement par l'employé.

[114] À la section de la brochure intitulée Modifications de vos choix le témoin cite (page 4) :

« Vous renouvellerez vos choix à Avantages à la carte à chaque printemps. Vous aurez ainsi l'occasion de faire le point, une fois par année, sur vos besoins en avantages sociaux et de vous assurer que votre couverture répond toujours à vos besoins.

Vous pouvez modifier vos choix dans le courant de l'année en cas de changement dans votre situation de famille : mariage, divorce, naissance ou adoption, décès d'un membre de la famille ou perte de la protection du conjoint. Le cas échéant, veuillez communiquer avec le représentant des Ressources humaines de votre région dans les 30 jours suivant le changement. »

[115] En 1998, le programme Flex II a remplacé le programme Flex I . Une brochure explicative Avantage à la carte 2 a de nouveau été préparée et remise aux employés (Pièce I-8).

[116] Le témoin déclare qu'on y retrouve la définition suivante du conjoint :

« - la personne avec laquelle vous êtes légalement marié ; - ou la personne avec laquelle vous vivez et que vous présentez publiquement comme votre conjoint. »

[117] De plus, la brochure décrit à la page 9, la démarche à suivre en cas d'invalidité de décès ou de mutilation par accident d'une personne assurée soit d'en aviser dans les plus brefs délais le service des avantages sociaux et lui soumettre une demande de règlement accompagnée des pièces justificatives dans les six mois de l'événement.

(vii) Patti Sommerfeld

[118] En 1995, elle occupait le poste de tarificatrice principale des risques médicaux à la société d'assurance-vie Aetna qui avait le contrat d'assurance collective des employés de Bell Mobilité.

[119] Le témoin révèle qu'en matière d'assurance-vie l'employé devait souscrire un montant minimum d'assurance-vie de 10 000 $. Il pouvait opter également pour une assurance-vie à un montant représentant une fois son salaire annuel jusqu'à six fois son salaire annuel arrondi au millier de dollars suivant. Ainsi, l'employé qui optait pour une assurance-vie représentant une fois son salaire et dont le revenu était de 24 000 $ voyait son montant d'assurance arrondi à 25 000 $.

[120] Le témoin relate que la demande d'assurance doit être formulée dans les 31 jours qui suivent l'admissibilité à l'assurance. À défaut, une attestation médicale est requise c'est-à-dire un questionnaire sur la santé préparé par l'assureur.

[121] En ce qui concerne les options d'assurance qu'un employé peut choisir sur la vie de son conjoint, le témoin révèle que le montant minimum est de 25 000 $. Il peut être augmenté par unité de 25 000 $ avec attestation médicale jusqu'à concurrence de 250 000 $.

[122] Le témoin précise qu'en cas de décès le bénéficiaire doit faire remplir par un médecin le formulaire de réclamation en raison du décès et obtenir l'original de la preuve de décès. Une réclamation accompagnant ces documents doit être adressée à l'assureur dans les six mois du décès. À défaut, la réclamation peut être refusée.

[123] Le témoin a précisé que si un adhérent a obtenu un résultat positif suite à un test visant le sida ou un trouble du système immunitaire, l'assurance sera refusée.

[124] Le témoin a eu à examiner la définition du conjoint au contrat d'assurance collective de 1995 qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

« On entend par conjoint(e), l'époux ou l'épouse uni dans le cadre d'une cérémonie de mariage religieuse ou civile ; sous réserve qu'une personne cohabitant avec l'employé(e) sera réputé le(la) conjoint(e) de l'employé(e) si cette personne :

- a été présentée publiquement comme le(la) conjoint(e) ;

- a cohabité avec l'employé(e) pendant une période continue d'au moins un an. »

[125] Le témoin déclare que cette définition de conjoint s'applique aux partenaires de même sexe. Elle ajoute qu'elle n'a jamais vu de régime d'assurance collective qui exclut les partenaires de même sexe d'une partie des protections disponibles aux personnes à charge.

[126] Pour terminer la preuve de l'intimée, une lettre a été déposée, (Pièce I-10), attestant que le contrat d'assurance-vie que le conjoint du plaignant détenait avec la Sun Life au montant de 10 000 $ a été annulé le 12 juin 1995 rétroactivement au 1er juillet 1994 en raison des primes impayées en juillet, octobre 1994 et janvier 1995.

III. LE DROIT

[127] L'article 7 de la Loi énonce que constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects de défavoriser un individu en cours d'emploi. De plus, l'article 3 de la Loi prévoit que les motifs de distinction illicites sont ceux qui sont fondés, notamment sur l'orientation sexuelle et l'état matrimonial.

[128] La jurisprudence enseigne qu'en matière de discrimination, il incombe au plaignant d'établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier une décision en faveur du plaignant, en l'absence de réplique de l'intimée.

IV. ANALYSE

[129] Le procureur du plaignant a reconnu qu'en juin 1995, le régime d'assurance collective pour les employés de Bell Mobilité prévoyait pour le conjoint de même sexe l'option d'assurance-vie tout comme celle de l'assurance-maladie, de l'assurance dentaire et de l'assurances-décès et mutilation accidentels. Il soutient plutôt que les représentants de l'intimée n'ont pas fourni au plaignant les informations pertinentes lui permettant de souscrire une assurance sur la vie de son conjoint et qu'ils ne lui ont pas permis de le faire.

[130] Dans son témoignage, Marc Genest a affirmé ne pas se souvenir qu'en 1995 des représentants du service des ressources humaines aient tenu des sessions d'information auprès des employés pour leur dispenser les renseignements sur le régime d'assurance collective. La prépondérance de la preuve est à l'effet contraire et ce, tant par le témoignage de Lucie Laroche que par les documents acheminés aux employés par Bob Ferchat, président du Conseil, président et chef de la direction, ainsi que Marc-André Malboeuf, administrateur, ressources humaines (Pièce P-11).

[131] Marc Genest a soutenu qu'après avoir pris connaissance de la brochure informative du régime d'assurance collective il a rencontré Lucie Laroche le 28 août 1995 pour obtenir des explications. Il affirme que lors de cette rencontre elle lui aurait mentionné qu'elle vivait avec un conjoint depuis quatre ans. Or, Lucie Laroche a catégoriquement nié cette affirmation en précisant qu'à ce moment elle avait un conjoint depuis neuf ans et elle était la mère de deux enfants.

[132] Marc Genest a prétendu que lors de cette rencontre Lucie Laroche lui a affirmé que l'option d'assurance sur la vie du conjoint ne s'appliquait pas au conjoint du même sexe. La prépondérance de la preuve n'a pas démontré le bien-fondé de cette prétention. En effet, la preuve a révélé que Lucie Laroche a collaboré avec une équipe de travail à la mise sur pied du nouveau régime d'assurance collective de sorte qu'elle en connaissait très bien le contenu. Elle a été appelée à dispenser de la formation aux représentants du service des ressources humaines qui ont tenu des séances d'information auprès des groupes d'employés. Elle a elle-même dirigé des sessions de formation pour les employés. Tant lors des cours de formation aux représentants du service des ressources humaines que lors des sessions d'information aux groupes d'employés, elle a affirmé avoir toujours mentionné que l'option d'assurance-vie s'appliquait au conjoint de même sexe.

[133] Je retiens le témoignage de Lucie Laroche plutôt que celui du plaignant lorsqu'elle nie lui avoir indiqué que le régime d'assurance collective ne permettait pas d'exercer l'option d'assurance sur la vie d'un conjoint de même sexe. De plus, je ne vois pas quel pouvait être l'intérêt de Lucie Laroche à cacher cette information au plaignant.

[134] Pour les motifs ci-avant énoncés, je n'accorde pas foi au témoignage du plaignant lorsqu'il affirme que, lors d'une session d'information tenue le 15 juin 1998, Lucie Laroche a annoncé que dorénavant le conjoint homosexuel était éligible à toutes les options d'assurance prévues au régime d'assurance collective. Cette prétention est d'autant peu plausible en retenant le témoignage de la représentante de l'assureur qui a affirmé n'avoir jamais vu de régime d'assurance collective qui exclut les partenaires de même sexe d'une partie des protections disponibles aux personnes à charge.

[135] Marc Genest, dans son témoignage, a soutenu qu'en 1995 il a fait part, lors de sa rencontre avec Lucie Laroche, qu'il était victime de discrimination vu qu'on lui refusait de souscrire une assurance sur la vie de son conjoint. De plus, dans sa plainte, il relate :

« Aussitôt après avoir reçu ces informations, j'ai véhément protesté et signalé qu'il s'agissait de discrimination flagrante. Toute démarche s'est avérée infructueuse et on m'a dit qu'il n'y avait rien à faire. »

[136] En contre-interrogatoire, il a admis ne pas avoir affirmé qu'il était victime de discrimination mais plutôt d'une situation qui n'était pas équitable. Il a reconnu de plus que, devant l'impossibilité d'obtenir une assurance sur la vie de son conjoint, il n'a pas osé insister trop fortement car il venait d'obtenir son statut d'employé permanent et il craignait de perdre son emploi. Cette explication peut sembler plausible. Toutefois, pourquoi n'est-il pas revenu à la charge lors du renouvellement de son régime d'assurance collective en 1996 et 1997 ? La crainte d'une perte d'emploi ne pouvait, à mon avis, être une raison valable. Pourtant, il n'a rien fait.

[137] Il a reconnu de plus qu'il n'était pas intéressé à exercer de recours car il croyait qu'il n'y avait rien à faire. C'est plutôt un ami qui a entrepris des démarches pour lui lesquelles ont conduit au dépôt d'une plainte le 4 novembre 2000.

[138] Marc Genest a soutenu qu'il tenait à souscrire une assurance sur la vie de son conjoint en plus de l'assurance-décès et mutilation accidentels pour obtenir une protection financière adéquate en cas de décès de ce dernier. Selon lui, son conjoint possédait une assurance-vie à ce moment de 50 000 $ dont il était le bénéficiaire. Toutefois, la preuve a démontré sans équivoque que cette assurance-vie était de 10 000 $.

[139] Marc Genest a affirmé qu'en 1997 son conjoint ne pouvait payer la prime de 800 $ pour son assurance-vie et que, moyennant qu'il devienne bénéficiaire de la police, son père a acquitté la prime. Toutefois, tel que le démontre la documentation fournie par l'assureur de son conjoint, Sun Life (Pièce I-10), le conjoint du plaignant n'avait pas acquitté les primes d'assurance dues en juillet, octobre 1994 et janvier 1995, de sorte que l'assurance a été annulée rétroactivement au 1er juillet 1994.

[140] Marc Genest a expliqué qu'il était important pour lui d'obtenir une assurance sur la vie de son conjoint parce que le couple avait un train de vie assez dispendieux. Ils occupaient un appartement de haute gamme et possédaient chacun un véhicule. Au cours des années 1995 et 1996 et jusqu'à l'automne 1997 la situation financière du couple, selon le plaignant, était bonne. Après avoir soutenu que le revenu de son conjoint était d'environ 70 000 $ net, il fut forcé d'admettre, en contre-interrogatoire, que pour les années 1995 et 1996 le revenu annuel de son conjoint était de l'ordre d'environ 40 000 $ brut et encore moins élevé en 1997 en raison de son absence pour cause de maladie. De plus, il a dû reconnaître que son conjoint avait fait cession de ses biens en 1996. Il prétend n'avoir jamais été informé par son conjoint des ennuis financiers qu'il rencontrait. Je ne puis me convaincre que le plaignant, qui a exprimé entretenir une relation très étroite avec son conjoint, n'ait pu être informé de ses problèmes financiers.

[141] Le plaignant a affirmé que l'information sur les options d'assurance pour le conjoint se faisait du bout des lèvres parce qu'en 1995 l'homosexualité n'était pas une situation reconnue et acceptée chez Bell Mobilité. La prépondérance de la preuve a plutôt démontré que les employés homosexuels étaient traités de la même façon que les employés hétérosexuels. Les employés s'affichaient publiquement comme homosexuels et, lors de soirées sociales organisées par les employés, on faisait des spectacles en blaguant sur le sujet de l'homosexualité. Des employés ont connu des cheminements de carrière fort intéressants chez Bell Mobilité et obtenu des postes cadre importants sans qu'il ne soit nullement tenu compte de leur orientation sexuelle. La prépondérance de la preuve ne permet pas de reconnaître la thèse du plaignant voulant que les représentants du service des ressources humaines n'aient pas informé les employés lors des sessions de formation de la possibilité d'assurer la vie d'un conjoint de même sexe.

[142] Le plaignant a affirmé, dans son témoignage, qu'entre 1995 et 1998 Bell Mobilité n'a fourni à ses employés aucune information relativement au régime d'assurance collective ni aucune session d'information pour leur expliquer les modifications au régime d'assurance. Cette affirmation n'est nullement corroborée par l'ensemble de la preuve sur ce point. De fait, lors du renouvellement annuel de l'assurance collective, les employés ont reçu une brochure explicative du régime d'assurance collective et ils ont été invités à apporter des modifications à leur régime d'assurance collective selon leurs besoins et leur situation qui auraient pu changer comparativement à l'année précédente. De plus des sessions d'information ont eu lieu pour tous les employés (Pièce I-7).

[143] La preuve a révélé qu'en 1996 Michel Côté, alors coordonnateur de l'administration chez Bell Mobilité et homosexuel, a souscrit une assurance sur la vie de son conjoint de même sexe.

[144] Marc Genest a affirmé avec conviction qu'il n'avait jamais envoyé de courriel à Julie Walbrecq. Toutefois, la preuve a démontré qu'il avait adressé un courriel à Julie Walbrecq le 11 septembre 2000 (Pièce I-1, onglet 7).

[145] Marc Genest fait référence, dans ce courriel, à une option d'assurance-vie de base au montant de 20 000 $ pour les conjoints de sexe opposé. Or, il est très clair, même pour une personne qui a peu de connaissance dans le domaine des assurances, à la page 18 de la brochure Avantages à la carte (Pièce I-6), qu'il n'existe aucune option d'assurance-vie de base pour les conjoints de même sexe ou de sexe opposé. La seule couverture de base en assurance-vie était de 10 000 $ et elle s'appliquait uniquement à l'employé.

[146] De plus, le plaignant a allégué dans sa plainte que la prime d'assurance-vie de base du conjoint devait être payée par prélèvement direct sur la paie. La preuve a démontré que cette prétention était erronée.

[147] Marc Genest a affirmé que, suite au décès de son conjoint, il en a informé Lucie Laroche qui s'est empressée de lui rappeler que son conjoint n'avait aucune couverture d'assurance-vie. De son côté, Lucie Laroche reconnaît avoir eu une conversation avec le plaignant, non pas suite au décès de son conjoint mais quelques mois plus tard, et elle nie lui avoir formulé une telle remarque. Je ne vois pas ce qui aurait pu motiver Lucie Laroche à agir de la sorte.

[148] Le procureur du plaignant affirme qu'il n'existait pas chez Bell Mobilité une politique informant clairement les employés de la possibilité d'obtenir une couverture d'assurance pour le conjoint de même sexe. Selon lui, l'information était transmise sur demande seulement. Si l'on transpose cette vision à la situation du plaignant, il aurait demandé une assurance-décès et mutilation accidentels pour son conjoint et une assurance dentaire et on l'aurait informé que ces options étaient reconnues et pourquoi n'aurait-on pas fourni la même information à la demande d'assurance-vie ? Je ne vois pas pourquoi on aurait agi différemment dans le cas de l'assurance-vie pour le conjoint de même sexe que dans les cas de l'assurance-décès et mutilation accidentels et de l'assurance dentaire.

[149] La prépondérance de la preuve m'amène à conclure qu'en juin 1995, au moment d'exercer son choix d'options d'assurance, tant pour lui-même que pour son conjoint, la brochure Avantages à la carte lui fournissait des renseignements très clairs lui permettant de comprendre qu'il lui était possible d'opter pour un régime d'assurance dentaire, un régime d'assurance-maladie, un régime d'assurance-décès et mutilation accidentels et un régime d'assurance-vie tant pour lui-même que pour son conjoint. De plus, les informations transmises par les représentantes du service des ressources humaines lui permettaient d'exercer des choix bien éclairés. En effet, il a opté pour le régime d'assurance dentaire à l'endroit de son conjoint car il croyait que les soins dentaires s'avéraient souvent nécessaires. Il n'a pas cru bon de choisir l'assurance-maladie pour son conjoint parce qu'il était convaincu que celui-ci était en bonne santé. Quant à l'assurance-décès et mutilation accidentels, Marc Genest s'est empressé d'y souscrire son conjoint pour un montant de 200 000 $ et ce, pour les motifs tout à fait justifiés qu'il a exprimés dans son témoignage. Concernant l'assurance-vie de son conjoint, je ne crois pas que l'intimée, par ses agissements, l'ait empêché ou lui ait refusé de l'obtenir. Je ne pense pas que Marc Genest, sachant que son conjoint disposait d'une assurance-vie au montant de 50 000 $ dont il était bénéficiaire, ait réellement eu l'intention de souscrire une assurance sur la vie de son conjoint.

V. CONCLUSION

[150] J'estime que Marc Genest n'a pas réussi à établir la preuve prima facie que Bell Mobilité a posé un acte discriminatoire à son endroit en le traitant de façon défavorable en emploi à cause de son orientation sexuelle et de son état matrimonial et ce, en lui refusant de se prévaloir d'une couverture d'assurance sur la vie de son conjoint.

[151] En conséquence, la plainte est rejetée.

Signée par


Roger Doyon

Le 4 juin 2004

OTTAWA (Ontario)

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T753/0303

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Marc Genest c Bell Mobilité

DATES ET LIEU

DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

les 8, 9, 10 et 11 décembre 2003

les 9 et 11 février 2004

DATE DE LA DÉCISION

DU TRIBUNAL :

le 4 juin 2004

ONT COMPARU :

Noël Saint-Pierre

Pour le plaignant

Johanne Cavé

Pour l'intimée

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