Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

ET CATHY MURPHY

les plaignantes

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

AGENCE DU REVENU DU CANADA

l'intimée

DÉCISION SUR REQUÊTE

2009 TCDP 31
2009/10/16

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

[ Émise oralement ]

[1] Le vendredi 29 mai 2009, les plaignantes ont signifié un nouveau document à l'intimée. Il s'agissait d'un addenda à un rapport d'expert que les plaignantes avaient déposé précédemment. Les deux documents avaient été préparés par M. Gary S. Katz, un comptable agréé, que les plaignantes ont l'intention d'appeler comme témoin expert pour l'affaire en l'espèce. L'audience devait commencer le jour ouvrable suivant la date de signification, soit le lundi 1er juin 2009.

[2] L'intimée s'est opposée à la présentation au Tribunal de ce rapport ou, plus précisément, à la présentation de certaines parties du rapport.

[3] Le Tribunal a donné pour directive, dans le cadre du processus de gestion de l'instance, que les plaignantes déposent tous leurs rapports d'experts au plus tard le 1er décembre 2008. Les plaignantes ont par la suite demandé une prorogation du délai au 12 décembre 2008 pour la présentation des rapports, que le Tribunal a accordée. Le premier rapport de M. Katz a été déposé à temps. L'intimée a ensuite reçu l'instruction de déposer ses rapports d'experts au plus tard le 16 janvier 2009, à la suite d'une prorogation. L'intimée a obtenu un rapport du cabinet comptable Deloitte, qui a aussi été déposé à temps.

[4] Le Tribunal n'a donné aucune directive au sujet du dépôt de rapports d'experts en réponse aux rapports de l'intimée. De plus, les plaignantes n'ont jamais demandé au Tribunal, pendant le processus précédant l'audience, l'autorisation de produire d'autres rapports, que ce soit sous la forme d'un addenda ou d'un rapport en réponse.

[5] Le paragraphe 1(5) des Règles de procédure du Tribunal prévoit qu'à moins que le membre instructeur n'accorde une prorogation ou un ajournement, tous les délais établis pour l'observation des Règles et toutes les dates fixées relativement à des audiences, à des requêtes ou à des conférences préparatoires sont impératifs.

[6] Par conséquent, les plaignantes en l'espèce ont clairement dépassé des délais établis par le Tribunal pour le dépôt de leurs rapports d'experts. Pour ce seul motif, le dépôt tardif du deuxième rapport d'expert des plaignantes ne devrait pas être permis ou, de façon plus précise, à la lumière de l'alinéa 9(3)e), l'expert ne devrait pas avoir le droit de témoigner au sujet des points qui ont été soulevés exclusivement dans le deuxième rapport.

[7] Cependant, même si ce n'était pas le cas, la demande d'autorisation des plaignantes de déposer le deuxième rapport après le délai prescrit serait tout de même rejetée, pour les motifs qui suivent.

[8] Dans son rapport initial, M. Katz a passé en revue la situation financière de la plaignante Cathy Murphy, ainsi que celle d'une autre personne dont la situation était semblable. M. Katz a donné son opinion au sujet de ce qu'aurait été la situation financière des deux personnes si elles avaient reçu leur paiement de parité salariale au cours des années de service visées par les paiements. M. Katz a ensuite comparé ces situations aux situations qui auraient existé si ces personnes avaient reçu leur paiement de parité salariale en 2000.

[9] M. Katz a présenté ses conclusions sous la forme de plusieurs scénarios possibles :

  1. la bénéficiaire n'a pas économisé les fonds supplémentaires qui lui ont été donnés, mais a plutôt dépensé la somme complète ;
  2. elle a économisé tous les fonds en les investissant dans des bons du Trésor portant intérêt ;
  3. elle a économisé tous les fonds en les investissant dans des bons du Trésor détenus dans son régime enregistré d'épargne-retraite (REER).

[10] Comme je l'ai mentionné plus tôt, le rapport d'expert de l'intimée a été préparé par le cabinet comptable Deloitte. La portée du mandat de Deloitte était de faire une comparaison semblable des situations, ainsi que d'examiner le premier rapport de M. Katz et de formuler des commentaires à ce sujet. Deloitte a fondé ses calculs sur les trois mêmes scénarios que M. Katz a présentés. Cependant, dans le rapport, Deloitte a présenté plusieurs observations au sujet des hypothèses de M. Katz, soit :

  1. statistiquement, les Canadiens économisent en moyenne 15 p. 100 de leur revenu net, donc il serait peu probable que les bénéficiaires aient investi 100 p. 100 des fonds supplémentaires qu'ils ont obtenu ;
  2. le rapport de M. Katz ne tient pas compte des répercussions de l'inflation ;
  3. le rapport de M. Katz ne tenait pas compte du montant que Mme Murphy pouvait réellement contribuer à son REER.

[11] Deloitte a tenu compte de ces facteurs dans son recalcule des scénarios de M. Katz, ainsi que dans le scénario additionnel que le cabinet a présenté, c'est-à-dire une situation où Mme Murphy aurait économisé seulement 15 p. 100 des fonds supplémentaires, montant duquel elle aurait retranché une portion pour contribuer à son REER, proportionnellement à ses habitudes de contribution au régime.

[12] Dans son rapport, Deloitte a présenté une observation supplémentaire au sujet du type d'investissement invoqué par M. Katz dans son rapport. Deloitte a laissé entendre qu'il était peu probable que Mme Murphy ait investi dans des bons du Trésor en raison du seuil d'investissement minimum de 10 000 $. Cependant, nonobstant cette dernière observation de Deloitte, le cabinet a tout de même effectué son analyse en fonction de l'hypothèse selon laquelle les bénéficiaires auraient investi dans des bons du Trésor, comme M. Katz l'avait proposé.

[13] Le deuxième rapport de M. Katz répondait directement aux recalculs des scénarios effectués par Deloitte. Par conséquent, il a recalculé ses scénarios afin de tenir compte de l'inflation. Il a aussi ajusté ses calculs pour tenir compte du montant que Mme Murphy pouvait contribuer à son REER. De plus, M. Katz a présenté une version modifiée de ses scénarios afin de refléter un taux d'épargne de 15 p. 100 (par opposition au taux de 100 p. 100). Il a utilisé à nouveau les bons du Trésor comme véhicule de placement.

[14] Il est intéressant de noter que l'intimée ne s'oppose pas au dépôt tardif de ces portions du deuxième rapport de M. Katz. L'intimée soutient que ces portions répondent aux questions et aux commentaires du rapport Deloitte. En effet, l'intimée fait valoir que M. Katz se corrige dans ces sections du rapport, bien que cet argument ne me convainc pas, du moins pas à cette étape-ci.

[15] Cependant, M. Katz a développé encore plus son deuxième rapport. Il a présenté un certain nombre d'autres scénarios. Compte tenu des commentaires de Deloitte au sujet de l'utilisation des taux des bons du Trésor dans ses calculs, il a effectué une autre analyse fondée sur les taux de rendement des fonds mutuels. Je note que Deloitte n'avait pas précisément mentionné les fonds mutuels dans son rapport, ni toute autre forme d'investissement. Les remarques de Deloitte se limitaient aux observations susmentionnées au sujet du caractère convenable des données dérivées des bons du Trésor.

[16] M. Katz a aussi proposé un autre scénario dans lequel Mme Murphy aurait pu utiliser les fonds supplémentaires pour rembourser une partie de son hypothèque, si elle avait reçu ces fonds dans les années visées. M. Katz a même élaboré ce qu'il a appelé une [traduction] nouvelle option hybride, dans laquelle une portion des fonds supplémentaires était investie dans des fonds mutuels, alors qu'une autre portion servait à rembourser une partie de l'hypothèque et que le reste de l'argent était dépensé.

[17] De plus, M. Katz a ajouté une section dans laquelle il établissait plusieurs facteurs additionnels, qui selon lui auraient pu augmenter le désavantage fiscal de Mme Murphy si elle avait décidé de demander les paiements de parité salariale dans les années visées.

[18] L'intimée s'oppose au dépôt de ces dernières parties du rapport. De nouvelles questions y sont soulevées qui, selon l'intimée, n'avaient pas été traitées dans le premier rapport de M. Katz ni dans le rapport de Deloitte. Les plaignantes soutiennent que tout ce que M. Katz présente dans son deuxième rapport est en réponse à l'analyse présentée par Deloitte. À mon avis, cependant, bien que ce soit le cas pour les premières parties du deuxième rapport de M. Katz (les parties au sujet desquelles l'intimée ne soulève pas d'objection), il n'en est pas de même pour les dernières parties du rapport. Il s'agit de nouveaux éléments de preuve.

[19] Les plaignantes soutiennent que de toute façon, même si le rapport présente de nouveaux éléments de preuve, l'intimée n'a pas prouvé que le dépôt tardif du rapport lui cause un préjudice. Là n'est pas la question. La signification et le dépôt du rapport, littéralement la veille de l'audience, sans demande d'autorisation présentée au préalable au Tribunal pour le dépôt tardif, est foncièrement injuste envers les autres parties et constitue un préjudice non seulement aux autres parties, mais à l'administration du processus du Tribunal aussi. Il suffit de tenir compte des trois jours et demi de retard au début de l'audience que le dépôt du second rapport a entraîné, en plus des pressions que cela pourra causer aux parties, qui devront agir avec encore plus de célérité pour respecter le temps prévu pour l'audience.

[20] Une partie qui demande l'autorisation du Tribunal de présenter des documents après que le délai prescrit est écoulé doit au moins être en mesure de démontrer qu'il y avait une justification valide pour ce dépôt tardif. En l'espèce, la seule justification offerte était que M. Katz a été très occupé pendant la récente période de production de déclarations de revenus. Il ne s'agit pas d'une justification valide, particulièrement compte tenu du fait que les plaignantes ont reçu le rapport Deloitte en janvier 2009.

[21] Pour tous ces motifs, j'accepte l'objection partielle de l'intimée au dépôt du deuxième rapport de M. Katz ou de l'addenda à son premier rapport. Les plaignantes ne pourront déposer que la portion non expurgée du rapport (telle qu'elle paraît dans la version que l'intimée à présentée au Tribunal). M. Katz pourra témoigner seulement au sujet des portions non expurgées de son deuxième rapport, ainsi qu'au sujet de son premier rapport en entier, s'il reçoit la qualité d'expert de la façon habituelle pour témoigner à l'audience.

Je certifie par la présente déclaration que ce qui précède est une représentation conforme et exacte de ma décision sur requête fournie aux parties le 5 juin 2009.

Signé par
Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)
Le 16 octobre 2009

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1288/1808

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Alliance de la Fonction publique du Canada et Cathy Murphy c. Agence du revenu du Canada

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 1 au 4 juin 2009

Ottawa (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION SUR REQUÊTE
DU TRIBUNAL :

Le 16 octobre 2009
(Décision orale rendue à l'audience le 5 juin 2009)

ONT COMPARU :

David Yazbeck

Pour les plaignantes

Daniel Poulin
Sheila Osborne-Brown

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Catherine A. Lawrence

Pour l'intimée

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