Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

MICHEL TREMBLAY

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(REPRÉSENTANT LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE,

LE CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA ET

LE BUREAU DE LA SÉCURITÉ DES TRANSPORTS DU CANADA)

l'intimé

DÉCISION SUR REQUÊTE
CONCERNANT LE TÉMOIGNAGE D'EXPERT

MEMBRE INSTRUCTEUR :

Athanasios D. Hadjis

2004 TCDP 15
2004/05/04

[1] Le plaignant allègue dans ses plaintes que les intimés ont exercé à son endroit une discrimination fondée sur sa déficience (sclérose en plaques et épilepsie). Il désire citer son médecin à comparaître comme témoin expert à l'audience. Il allègue que le témoignage du médecin est dans l'intérêt public et dans son propre intérêt. Le médecin a demandé des honoraires pour établir son rapport d'expert (600 $) et pour son témoignage (200 $ l'heure). Le plaignant est actuellement sans emploi et touche des prestations d'aide sociale en vertu du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées. Il prétend donc ne pas être capable de payer les honoraires que demande le médecin et ne pas être en mesure, de ce fait, de faire témoigner son expert.

[2] La Commission canadienne des droits de la personne a renvoyé les plaintes au Tribunal canadien des droits de la personne le 6 janvier 2004. À ce moment-là, la Commission a indiqué que, conformément à l'art. 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, elle était convaincue, compte tenu des circonstances relatives à [la plainte], que l'instruction [était] justifiée. Cependant, dans une lettre en date du 5 février 2004, la Commission canadienne des droits de la personne a informé les parties et le Tribunal qu'elle ne participerait pas à l'audition de ces plaintes, laissant au plaignant le soin de plaider sa cause sans l'aide d'un conseiller juridique. La Commission a fait savoir qu'elle n'assumerait pas les coûts liés au témoignage du médecin expert.

[3] Le plaignant a conséquemment présenté une requête visant à obtenir du Tribunal une ordonnance enjoignant au médecin de témoigner à titre de témoin expert. Il incomberait au Tribunal de payer ses honoraires, peut-on présumer. L'avocat de la Commission a laissé entendre à une récente conférence préparatoire que le Tribunal avait peut-être le pouvoir de citer de son propre chef un témoin expert. La Commission a fourni au Tribunal des copies de plusieurs jugements traitant de cette question. Pour leur part, les intimés ont fait valoir que le Tribunal ne peut citer un témoin que les parties elles-mêmes n'ont pas l'intention d'appeler, pas plus qu'il ne peut retenir les services d'un expert dont le témoignage aiderait manifestement la cause d'une seule des parties.

[4] Je me suis penché sur les textes faisant autorité qui ont été cités et j'en suis venu à la conclusion que la position des intimés est bien fondée. Tel qu'indiqué dans l'ouvrage du juge Sopinka intitulé The Law of Evidence in Canada, [J. Sopinka, S.N. Lederman, A.W. Bryant, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1999), à la p. 901], le juge de première instruction n'a pas le pouvoir, dans une affaire au civil, de citer un témoin qui n'a pas déjà été interrogé. Au criminel, le pouvoir du juge de citer un témoin non appelé par les parties et sans leur consentement est restreint, situation qui est justifiée du fait que la liberté de l'accusé est en jeu et que la procédure vise à ce que justice soit faite. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire est exercé rarement et avec beaucoup de circonspection afin de ne pas causer préjudice à l'accusé ou de ne pas usurper le rôle du conseil.

[5] L'avocat de la Commission a fait remarquer qu'on pourrait, en raison du caractère quasi constitutionnel de la législation sur les droits de la personne, prétendre que les principes applicables au droit criminel puissent s'étendre par analogie à la procédure du Tribunal. Cependant, même si c'était le cas, les faits entourant les présentes plaintes ne justifient pas l'exercice par le Tribunal d'un tel pouvoir discrétionnaire. Sans minimiser en aucune façon l'importance des allégations formulées par le plaignant dans ses plaintes, je ne peux pas dire que la liberté corporelle de quelqu'un soit en jeu en l'espèce, comme c'est le cas dans une instance criminelle.

[6] En outre, on constate que dans la plupart des cas où un tribunal a exercé pareil pouvoir discrétionnaire, le juge a cité des témoins qu'aucune des parties n'entendaient elles-mêmes appeler. En l'espèce, le plaignant souhaite en fait que son médecin vienne témoigner mais est confronté à l'obstacle d'avoir à lui verser des honoraires. Certes, les honoraires demandés sont très élevés pour quelqu'un qui, comme le plaignant, a des moyens financiers modestes. Cependant, il est loisible au plaignant de demander le remboursement de ces frais par les intimés à titre de dépenses entraînées par l'acte discriminatoire (alinéa 53(2) d) de la Loi). Bien sûr, cette indemnisation serait conditionnelle à ce que le Tribunal conclue que les plaintes sont fondées et que le plaignant a droit à cette mesure de redressement. Le plaignant a indiqué au Tribunal lors de la conférence préparatoire qu'il n'était pas disposé à courir le risque de ne pas être remboursé.

[7] De plus, même si on devait conclure qu'un tribunal des droits de la personne, en tant que maître de sa propre procédure, a le pouvoir de citer ses propres témoins, l'exercice d'un tel pouvoir de la manière proposée aiderait la cause d'une seule des parties - le plaignant. Cette situation créerait une injustice inacceptable pour les autres parties. Même s'il est évident que le plaignant, en tant que personne handicapée qui a de modestes moyens financiers, a beaucoup de difficulté à plaider sa cause sans l'aide d'un conseil, le fait demeure que la procédure du Tribunal doit demeurer neutre et fondamentalement accusatoire. Le Tribunal ne saurait être mêlé à la controverse juridique et aider une seule des parties à plaider sa cause, simplement parce que la Commission a décidé de ne plus participer. Malheureusement, il se peut que cette situation empêche la présentation d'éléments de preuve importants et que l'instruction de la plainte soit, de ce fait, incomplète. Qu'il en soit ainsi. Le Tribunal ne saurait en aucune circonstance permettre que sa procédure devienne inéquitable.

[8] Durant la conférence préparatoire, on a discuté du paragraphe 48.8 (2) de la Loi, qui précise que le président du Tribunal peut engager des experts pour aider et conseiller les membres. Je crois comprendre que le président du Tribunal n'a pas encore exercé jusqu'à maintenant le pouvoir énoncé dans cet article de la Loi. J'imagine que cette disposition pourrait s'appliquer dans des cas où des témoins experts cités par des parties présenteraient des éléments de preuve revêtant un caractère hautement technique ou causant peut-être de la confusion. Dans de tels cas, le Tribunal pourrait aux termes du paragraphe 48.8 (2) retenir les services d'autres experts et chercher à obtenir de plus amples précisions. Toutefois, ce n'est pas la situation dans laquelle le Tribunal se retrouve en l'espèce.

[9] Pour tous les motifs énoncés ci-dessus, je ne rendrai pas d'ordonnance enjoignant au médecin du plaignant de venir témoigner devant le Tribunal comme témoin expert. Le plaignant a toujours le loisir de citer lui-même son médecin comme témoin. Si le témoin doit témoigner à titre d'expert, le plaignant doit se conformer aux règles de procédure du Tribunal relatives aux témoignages d'experts. Le Tribunal délivrera un subpna pour assigner ce témoin à comparaître à l'audience, si le plaignant lui en fait la demande.

Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)

Le 4 mai 2004

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIERS DU TRIBUNAL :

T889/0904, T890/1004, T891/1104

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Michel Tremblay c. Procureur général du Canada (représentant la Commission de la fonction publique, le Conseil du trésor du Canada et le Bureau de la sécurité des transports du Canada)

DATE DE LA DÉCISION

DU TRIBUNAL :

le 4 mai 2004

ONT COMPARU :

Michel Tremblay

En son propre nom

Giacomo Vigna

Pour la Commission canadienne des droits de la

personne

Richard Casanova

Pour l'intimé

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