Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

FRANCINE LAURENDEAU

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

l'intimée

DÉCISION - DEMANDE D'AJOURNEMENT DE LA PARTIE INTIMÉE

2004 TCDP 11
2004/03/03

MEMBRE INSTRUCTEUR : Michel Doucet

I. Les faits

II. La demande d'ajournement

I. Les faits

[1] Le 21 janvier 2004, la Société Radio-Canada, l'intimée, a demandé l'ajournement des présentes procédures jusqu'à ce que la Cour fédérale du Canada ait pu rendre une décision disposant de la demande de contrôle judiciaire qu'elle avait formulée à l'encontre d'une décision sur une objection préliminaire rendue par le Tribunal le 9 décembre 2003.

[2] Les faits entourant la présente procédure sont les suivants. Francine Laurendeau (la plaignante), a été à l'emploi de la Société Radio-Canada (l' intimée) à compter de l'année 1973, d'abord à titre de réalisatrice et à compter de 1989, à titre de réalisatrice et d'animatrice à la chaîne culturelle de l'intimée.

[3] Le 12 juillet 2001, l'intimée met la plaignante à la retraite. Cette décision fut prise en vertu d'une politique appliquée chez l'intimée depuis 1978 et intitulée Politique des ressources humaines n°10.0, laquelle précise : Le moment de la retraite s'établit en fonction de l'âge et est fixé au dernier jour ouvrable du mois où l'employé(e) atteint 65 ans.

[4] En anticipation de cette mise à la retraite, la plaignante déposait le 6 juin 2001 une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) afin de contester la décision de l'intimée. Dans sa plainte, elle allègue que l'intimée a agi de façon discriminatoire envers [elle] en maintenant une politique de retraite obligatoire, en raison de [son] âge (65 ans), contrairement aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[5] Le 27 février 2003, la Commission demandait à la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne de désigner un membre pour instruire la plainte parce qu'elle est convaincue que, compte tenu des circonstances, l'instruction de celle-ci est justifiée.

[6] Le 1er avril 2003, le registraire du Tribunal informait les parties de leur droit en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi, de présenter au Tribunal des éléments de preuve et des observations juridiques à l'appui de leur position dans le présent dossier. En conformité avec les Règles de procédure provisoires du Tribunal, celui-ci demandait également aux parties de soumettre de brefs énoncés écrits dans le but d'énumérer les questions en litige, ainsi que la preuve qui sera soumise au Tribunal.

[7] Dans sa divulgation de la preuve déposée le 20 août 2003, la plaignante a énoncé les questions en litige comme suit :

  1. La SRC a-t-elle exercé un acte discriminatoire sur la base de l'âge en violation de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en mettant fin à l'emploi de Mme Laurendeau sur la seule et unique base qu'elle avait atteint l'âge de 65 ans?
  2. Subsidiairement et dans l'éventualité où le Tribunal en venait à la conclusion que l'acte discriminatoire de la SRC tombait sous l'exception de l'article 15(1)c), cet article de la Loi canadienne sur les droits de la personne est-il inconstitutionnel parce que contraire à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

[8] Le 27 août 2003, l'intimée faisait savoir au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) qu'elle entendait soulever une objection préliminaire et faire valoir que le Tribunal n'a pas la compétence pour répondre à la question soulevée par la plaignante à l'égard de la constitutionnalité de l'alinéa 15(1)c) de la Loi.

[9] Le 9 décembre 2003, après avoir entendu les parties, le Tribunal rend une décision rejetant l'objection préliminaire de l'intimée. Dans sa décision le Tribunal indique qu'il considère avoir la compétence pour poursuivre l'instruction de tous les aspects de l'affaire, y inclus la question quant à la constitutionnalité de l'alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne des droits de la personne eu égard à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[10] Le 7 janvier 2004, l'intimée obtient l'émission par la Cour fédérale du Canada, d'un avis de demande de contrôle judiciaire afin d'obtenir une révision de la décision rendue par le Tribunal.

[11] Lors d'une conférence téléphonique tenue le 21 janvier 2004, le Tribunal établit, entre autres, l'échéancier suivant relativement à la poursuite des procédures :

divulgation de la plaignante : au plus tard le 6 février 2004.

divulgation de l'intimée: au plus tard le 23 février 2004.

[12] À la demande de l'intimée, le Tribunal a accepté de repousser au 26 mars 2004, la divulgation de l'intimée.

[13] Compte tenu des disponibilités des parties et du Tribunal, les dates d'audition ont été fixées pour les 14 au 17 et les 21 et 22 septembre 2004.

II. La demande d'ajournement

[14] La demande de l'intimée vise à obtenir l'ajournement des procédures dans le présent dossier jusqu'à ce que la Cour fédérale ait disposé de la demande en révision judiciaire. Pour obtenir un tel ajournement, l'intimée doit démontrer que sa demande rencontre les trois critères établis dans les affaires Manitoba (Procureur général c. Metropolitan Stores Ltd.1 et dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (P.G.) 2 soit :

  1. À la première étape, l'intimée doit établir l'existence d'une question sérieuse à juger.
  2. À la deuxième étape, l'intimée doit convaincre le Tribunal qu'elle subira un préjudice irréparable en cas de refus du redressement. Le terme irréparable a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue.
  3. La troisième étape, celle de la prépondérance des inconvénients, consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse l'ajournement.

[15] En l'espèce, il ne fait aucun doute que l'intimée a rencontré le premier critère quant à l'existence d'une question sérieuse.

[16] Toutefois, je ne suis pas convaincu que l'intimée à rencontré le deuxième critère quant au préjudice irréparable. Le préjudice est irréparable s'il ne peut être remédié ou s'il ne peut pas être quantifié du point de vue monétaire.3

[17] Tel qu'indiqué par la Cour fédérale d'appel dans Nature Co. c. Sci-Tech Educational4, la preuve nécessaire pour établir un préjudice irréparable doit être catégorique et non pas conjecturale. Nous ne savons pas aujourd'hui si la Cour fédérale maintiendra la décision rendue par le Tribunal ou si elle la rejettera. À mon avis, la preuve qui m'est présentée ne me convainc pas que l'intimée a satisfait au fardeau qui est le sien d'établir qu'elle subira un préjudice irréparable si l'ajournement n'est pas accordé.

[18] La preuve de l'intimée sur la question de préjudice irréparable porte essentiellement sur les coûts et les efforts que les parties auront à encourir si l'ajournement n'est pas accordé. Ainsi, la Société Radio-Canada argumente que dans l'éventualité où la Cour fédérale devait lui donner raison dans sa requête en révision judiciaire, l'ensemble du temps et des sommes qu'elle aura investis dans la préparation du présent dossier auraient été utilisés et dépensés en vain. Elle poursuit en soumettant qu'il serait contraire aux intérêts de la justice de faire encourir aux parties de telles dépenses avant qu'une réponse définitive n'ait été obtenue de la Cour fédérale.

[19] Le Tribunal tient à préciser que même si du temps et de l'argent auront été gaspillés si la procédure suit son cours et qu'il est par la suite décidé que le Tribunal n'a pas compétence, il s'agit plus d'une question de désagrément que d'un préjudice irréparable.5 L'intimée n'a cité aucune jurisprudence pour appuyer ses prétentions à l'effet que les dépenses de temps et d'argent pour préparer une audition devant le Tribunal constituent un préjudice irréparable. Au contraire, il existe une jurisprudence constante qui affirme l'opposé.6

[20] Finalement, en ce qui concerne la prépondérance des inconvénients, le Tribunal peut tenir compte, à ce stade, de la considération des dépenses qui pourraient être gaspillées par les parties dans la préparation de l'audience si l'ajournement n'est pas accordé et qu'éventuellement la demande en révision judiciaire est acceptée. Le Tribunal se doit également de tenir compte de l'intérêt public qui est mieux servi par la résolution expéditive des plaintes reliées aux droits de la personne.7 En l'espèce, le Tribunal est d'avis que la considération de l'intérêt public l'emporte sur les considérations monétaires soulevées par les parties.

[21] La demande d'ajournement est en conséquence rejetée puisque l'intimée n'a pu satisfaire le Tribunal qu'elle a rencontré les critères du préjudice irréparable et de la prépondérance des inconvénients. Les parties sont donc enjointes de se conformer à l'échéancier établi lors de la conférence téléphonique du 21 janvier 2004.

[22] Le Tribunal est conscient que la présente demande pourrait être prématurée en raison du grand délai qui existe avant que l'audience ne débute. Il se peut fort bien que la Cour fédérale ait d'ici septembre 2004 rendu sa décision concernant la demande en révision judiciaire. Toutefois, en raison des longs délais déjà encourus dans cette affaire et de la difficulté que les parties ont eue à trouver des dates disponibles pour l'audience, le Tribunal considère préférable de trancher immédiatement la question de l'ajournement afin que tous sachent à quoi s'en tenir et qu'ils puissent procéder à préparer leur affaire en conséquence.

signé par

Michel Doucet

OTTAWA (Ontario)

Le 3 mars 2004

1 [1987] 1 R.C.S. 110.

2 [1994] 1 R.C.S. 312.

3 Territoires du Nord-Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada, [2001]A.C.F.. No 19, au par. 16.

4 [1992] A.C.F. No. 266, au par. 20 (C.A.F.).

5 ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Patented Medecine Prices Review Board), [1995] A.C.F.No. 1644, au par. 3.

6 Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1997] A.C.F.. No 207, aux par. 39 et 40 (1ère instance); Brocklebank c. Canada (minister de la Défense nationale), [1994] A.C.F.. No. 1496, au par. 10, (1ère instance); Territoires du Nord-Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada, supra, au par. 19, (C.F.A.).

7 Association canadienne des employés de téléphone et al. c. Bell Canada, T503/2098, le 4 mars 2002, Tribunal canadien des droits de la personne, au par. 21.

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T785/3503

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Francine Laurendeau c. Société Radio-Canada

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL:

Le 3 mars 2004

ONT COMPARU :

Mireille Bergeron

Pour la plaignante

Philippe Dufresne

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Robert Bonhomme

Pour l'intimée

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