Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

DENIS LACROIX

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

l'intimée

DÉCISION SUR REQUÊTE

2009 TCDP 35
2009/11/09

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

[1] La Gendarmerie royale du Canada (la GRC), l'intimée désignée en l'espèce, a déposé une requête visant à faire modifier l'intitulé de la plainte, à faire radier certaines parties de l'exposé des précisions du plaignant et à pouvoir modifier son propre exposé des précisions.

L'intitulé

[2] Dans sa requête, la GRC a soutenu que, n'ayant pas la personnalité juridique, elle ne pouvait pas poursuivre des tiers en justice ou être poursuivie par eux, et qu'elle ne pouvait donc pas agir à titre d'intimée dans la présente cause. Elle a ajouté que c'était le procureur général du Canada qui devrait être l'intimé désigné en l'espèce.

[3] Dans sa requête, l'intimée renvoie au paragraphe 23(1) de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et sur le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50 (la Loi), qui prévoit que les poursuites visant l'État peuvent être exercées contre le procureur général du Canada ou, lorsqu'elles visent un organisme mandataire de l'État, contre cet organisme si la législation fédérale le permet.

[4] Par le passé, le Tribunal a eu à étudier pareille question à plusieurs reprises. Les personnes prétendant avoir été victimes de discrimination de la part de la GRC désignent généralement celle ci comme intimée dans leur plainte, ce qui est compréhensible. Lorsque ces plaintes ont été renvoyées devant le Tribunal, celui ci s'est vu saisi de requêtes semblables à celle qui a été déposée en l'espèce, visant à faire modifier l'intitulé. À ma connaissance, ne disposant pas d'informations contraires, je crois pouvoir affirmer que le Tribunal a fait droit à toutes ces requêtes. Dans la décision Plante c. Canada (Gendarmerie royale), 2003 TCDP 28, au paragraphe 7, le Tribunal a conclu de l'ensemble de la jurisprudence qui avait été citée et des dispositions pertinentes de la Loi que la procédure de la plaignante dans cette affaire aurait dû en bonne et due forme être intentée contre le procureur général du Canada (représentant la Gendarmerie royale du Canada).

[5] Le Tribunal a suivi le même raisonnement dans la décision Guay c. Canada, 2004 TCDP 34. De même, des requêtes similaires ont été accueillies dans le cadre d'autres décisions rendues oralement et qui n'ont pas été publiées, comme Maillet c. Canada (Procureur général) (jugement final portant la référence 2005 TCDP 48) et Berberi c. Canada (Procureur général) (jugement final portant la référence 2009 TCDP 21).

[6] Le plaignant m'a enjoint d'[TRADUCTION] examiner très minutieusement les conclusions des décisions Plante et Guay et de ne pas y souscrire. En se fondant sur un certain nombre de textes faisant autorité, relatifs à la responsabilité des entités dénuées de personnalité juridique, il a prétendu que la GRC [TRADUCTION] avait suffisamment de personnalité juridique pour agir à titre d'intimée dans une plainte en matière de droits de la personne déposée par un membre de la GRC.

[7] Je ne suis pas convaincu par cet argument. Le paragraphe 23(1) de la Loi prévoit que les poursuites peuvent être exercées contre l'entité en cause quand celle ci est un organisme mandataire de l'État si la législation applicable le permet, et non simplement parce qu'elle a [TRADUCTION] suffisamment de personnalité juridique.

[8] Le plaignant a beaucoup insisté sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada, Administration du pipeline du Nord c. Perehinec, [1983] 2 R.C.S. 513. Cet arrêt se distingue clairement de l'espèce étant donné que la loi constitutive de l'intimée dans cette affaire (la Loi sur le pipeline du Nord, S.C. 1977-78, ch. 20) décrivait explicitement l'intimée, l'Administration du pipeline du Nord, comme étant un organisme mandataire de l'État. Par contre, l'article 3 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10, prévoit simplement qu'est maintenue pour le Canada une force de police [...] appelée Gendarmerie royale du Canada. La loi constitutive de la GRC ne décrit jamais ce service de police comme étant un organisme mandataire, pas plus qu'elle n'autorise que des poursuites soient intentées contre elles en son propre nom, au sens du paragraphe 23(1) de la Loi. En outre, il n'est pas clair que la Cour suprême du Canada ait seulement pris en considération le paragraphe 23(1) de la Loi ou toute disposition antérieure pertinente. De plus, la véritable question au cur de cet arrêt semble avoir été d'établir si l'Administration du pipeline du Nord pouvait conclure un contrat de travail en son nom propre, et non de savoir s'il était possible d'agir contre elle directement.

[9] Afin d'appuyer sa position, le plaignant m'a également renvoyé à la décision de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta de 1993 Rutherford c. Swanson, [1993] A.J. n° 36. Cette décision n'est pas particulièrement instructive, la question en litige ayant été de savoir si des membres de la GRC avaient droit à l'immunité accordée aux [TRADUCTION] agents de la Couronne à l'égard des sommations de produire des documents prévues par les Alberta Rules of Court (Règles de procédure judiciaire de l'Alberta). La Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a conclu que la GRC et ses membres [TRADUCTION] agissaient à titre d'agents de la Couronne. Elle n'a en aucune manière conclu que la GRC était un organisme au sens du paragraphe 23(1) de la Loi.

[10] Dans ses observations, le plaignant a également affirmé que la GRC était mentionnée dans la liste des organismes distincts, à l'annexe V de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11. Il est dans l'erreur. En fait, la GRC apparaît à l'annexe IV de cette loi, parmi les secteurs de l'administration publique centrale.

[11] Par conséquent, je ne suis pas convaincu par les observations du plaignant, et je fais droit à la requête de l'intimée en ce qui concerne la modification de l'intitulé. Le plaignant a demandé que, dans le cas où la requête serait accordée, l'intitulé soit modifié de la même manière qu'il l'a été dans les décisions Plante et Guay, autrement dit que l'intimé soit le Procureur général du Canada (représentant la Gendarmerie royale du Canada). Toutefois, je suis d'avis qu'une telle désignation irait à l'encontre de l'interprétation correcte du paragraphe 23(1) de la Loi, lequel prévoit que les poursuites visant l'État peuvent être exercées contre le procureur général du Canada. Le procureur général du Canada représente l'État, et non la GRC.

La requête en radiation de certaines précisions

[12] Le plaignant était un membre de la GRC avant de perdre son emploi en avril 2003. Dans la plainte en matière de droits de la personne que celui ci a déposée, les allégations sont pour ainsi dire réparties en deux groupes, le premier groupe ayant trait à la période qui s'est terminée aux environs du mois d'octobre 1999, quand le plaignant est parti en congé de maladie, et le second portant sur la période ayant suivi le mois d'août 2000. Le plaignant a repris la plupart de ces allégations dans son exposé des précisions. L'intimée souhaite que soient radiées les parties de l'exposé des précisions ayant trait à la première période (celles qu'il dit correspondre aux paragraphes 2 à 6, 38f) et 39e) de l'exposé des précisions du plaignant).

[13] Les faits ayant donné naissance à la présente plainte ont commencé en 1999, quand le plaignant a eu deux accidents d'automobile distincts (le premier en février et le second en août). Il a subi de nombreuses blessures dans ces accidents. Dans sa plainte en matière de droits de la personne, il a prétendu qu'à la suite du premier accident, on l'avait [TRADUCTION] traité différemment. Il a affirmé qu'après le second accident (en raison duquel il est parti en congé de maladie), la GRC ne lui avait pas offert d'accommodement et que des membres de la GRC haut placés dans la hiérarchie l'avaient harcelé en raison de sa déficience. Il a dressé une liste de quelques exemples de cette conduite, qu'il prétend avoir observée en septembre et en octobre 1999.

[14] Le plaignant a affirmé qu'à partir d'août 2000, la GRC avait refusé ses demandes d'accommodement en vue de son retour au travail. Il a prétendu qu'au lieu de l'accommoder convenablement, les employés de la GRC (y compris son gestionnaire de carrières et son superviseur) lui avaient répété à plusieurs reprises qu'il devait recommencer à exercer ses fonctions opérationnelles à temps plein sous peine de congédiement.

[15] Le 27 février 2004, le plaignant a déposé sa plainte en matière de droits de la personne. Le 23 octobre 2008, la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) a écrit une lettre aux parties, les avisant de sa décision à l'égard de la plainte. La CCDP a déclaré qu'en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP), elle n'avait décidé de faire enquête que sur [TRADUCTION] les allégations ayant trait au prétendu défaut d'accommoder le plaignant et à la cessation d'emploi découlant de faits survenus entre le mois d'août 2000 et le 2 avril 2003. Cette décision était fondée sur la conclusion de la CCDP selon laquelle [TRADUCTION] les allégations de harcèlement et de traitement défavorable sont fondées sur des faits anciens, le dernier remontant à octobre 1999. Dans la même lettre, la CCDP a également fait savoir aux parties qu'elle demanderait au président du Tribunal d'instruire la plainte parce qu'elle estimait qu'[TRADUCTION] un autre examen plus approfondi s'imposait.

[16] Comme je l'ai mentionné un peu plus tôt, dans son exposé des précisions, le plaignant a essentiellement repris tous les faits qu'il avait énumérés dans sa plainte en matière de droits de la personne. Par conséquent, dans sa requête, l'intimée souhaite obtenir que soit radiée de l'exposé des précisions du plaignant toute référence aux allégations sur lesquelles la CCDP a décidé de ne pas se pencher, comme cette dernière l'a affirmé dans sa lettre du 23 octobre 2008. L'intimée a souligné que la portée de l'instruction du Tribunal se limitait aux questions soulevées par la plainte au sujet desquelles la CCDP avait demandé la tenue d'une instruction. Quand la CCDP exerce son pouvoir discrétionnaire, en vertu de l'article 41 de la LCDP, de ne pas traiter certaines allégations soulevées dans une plainte, on ne peut considérer qu'elle a renvoyé ces allégations devant le Tribunal (Kowalski c. Ryder Integrated Logistics, 2009 TCDP 22, au paragraphe 10).

[17] Le plaignant a reconnu que la CCDP n'avait pas renvoyé les allégations de harcèlement devant le Tribunal, et il consent par conséquent à ce que le paragraphe 38f), dans lequel il prétend que le harcèlement est une question en litige en l'espèce, et le paragraphe 39e), dans lequel il demande que soit rendue une ordonnance de réparation pour préjudice moral au titre du prétendu harcèlement, soient radiés de son exposé des précisions.

[18] Toutefois, le plaignant a fait valoir qu'il ne devrait pas avoir à radier les [TRADUCTION] précisions factuelles datant de 1999, étant donné, comme il a affirmé, qu'elles formaient partie intégrante de [TRADUCTION] la trame de l'affaire. Il a prétendu que ces faits étaient pertinents dans le contexte de sa plainte selon laquelle la GRC ne lui a pas offert d'accommodement. Plus particulièrement, il a soutenu que les paragraphes 2 à 6 de son exposé des précisions faisaient référence à plusieurs commentaires méprisants de ses supérieurs au sujet de sa blessure à la tête et de son incapacité mentale, donnant ainsi une toile de fond essentielle pour comprendre la dévalorisation et les comportements stéréotypés associés à ce genre d'invalidité. Le plaignant a fait valoir qu'il s'agissait d'éléments à prendre en considération, au même titre ou avec encore plus d'attention que n'importe quelle considération légitime ayant trait aux difficultés opérationnelles, afin de saisir les raisons pour lesquelles l'intimée avait manqué à son obligation de l'accommoder.

[19] Le plaignant a également affirmé que les prétendus commentaires stéréotypés de ses superviseurs, formulés en 1999, ajoutent foi à son allégation voulant que le fait que la GRC ne lui ait pas offert un environnement de travail positif indique qu'elle a [TRADUCTION] manqué à son obligation de l'accommoder.

[20] Par conséquent, le plaignant a affirmé que bien qu'il ne puisse s'appuyer sur les commentaires formulés en 1999 pour fonder sa plainte de harcèlement, il devrait être autorisé à présenter des éléments de preuve relatifs à ces commentaires parce qu'ils sont étroitement liés à ses allégations relatives au défaut d'accommodement, et qu'ils sont par conséquent pertinents, sous réserve de l'importance que le Tribunal acceptera finalement de leur accorder.

[21] J'accepte l'observation du plaignant à cet égard et je conviens que ces allégations de fait sont potentiellement pertinentes aux fins de l'instruction. L'intimée pour sa part, n'a pas à ce jour, avant le début de l'audience, établi que ces allégations de fait intéressent si peu l'instruction qu'elles devraient être radiées de l'exposé des précisions du plaignant. Par conséquent, je refuse d'ordonner que soient radiés de l'exposé des précisions les paragraphes faisant référence à ces allégations de fait. Toutefois, si cette preuve est finalement présentée à l'audience, il appartiendra au membre ou aux membres chargés de l'instruction de déterminer l'importance à lui accorder, le cas échéant, en tenant compte de critères incluant les répercussions de l'usure du temps, considérant qu'il est question d'évènements survenus en 1999 (par analogie, voir la décision du Tribunal Uzoaba c. Canada (Service correctionnel), (1994) 26 C.H.R.R. D/361 (T.C.D.P.), confirmée par la décision Canada (Procureur général) c. Uzoaba, [1995] 2 C.F. 569 (1re inst.)).

[22] Par conséquent, le Tribunal ordonne que seuls les paragraphes 38f) et 39e) soient radiés de l'exposé des précisions du plaignant.

La modification de l'exposé des précisions de l'intimée

[23] L'intimée a demandé que soient radiés les paragraphes 3 et 27e) de son propre exposé des précisions. Le plaignant n'a présenté aucun commentaire ou observation à l'égard de cette requête.

[24] La requête de l'intimée est accueillie.

Ordonnance

  1. L'intitulé de la présente affaire est modifié de manière à ce que le procureur général du Canada soit l'intimé désigné.
  2. Le Tribunal ordonne que les paragraphes 38f) et 39e) soient radiés de l'exposé des précisions du plaignant.
  3. 3. Le Tribunal ordonne que les paragraphes 3 et 27e) soient radiés de l'exposé des précisions de l'intimée.

[25] Chaque partie devra signifier à l'autre partie et fournir au Tribunal la version modifiée de son exposé des précisions dans les sept jours suivant la présente décision.

Signée par

Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)

Le 9 novembre 2009

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1367/9708

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Denis Lacroix c. Gendarmerie royale du Canada

DATE DE LA DÉCISION SUR REQUÊTE
DU TRIBUNAL :

le 9 novembre 2009

ONT COMPARU :

Paul Champ

Pour le plaignant

(Aucune représentation)

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Susanne Pereira/Keitha J. Elvin-Jensen

Pour l'intimée

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