Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 10/95 Décision rendue le 9 juin 1995

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, Chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: MARIE-JEANNE RAPHAEL, MARTHE GILL, LOUISE PHILIPPE ET NELLIE CLEARY

les plaignantes - et -

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LE CONSEIL DES MONTAGNAIS DU LAC SAINT-JEAN

l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: Me Roger Doyon, Président Me Andrée Marier, Membre Me Grégoire Mputu-Bijimine, Membre

ONT COMPARU: Me François Lumbu, avocat de la Commission Me Pierre Lortie, avocat pour le Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean Robert Labbé, représentant des plaignantes.

DATES ET LIEUX DE L'AUDIENCE: Alma - 10, 11, 12 et 13 janvier 1994 24, 25, 26, 27 et 28 janvier 1994 18, 19 et 20 avril 1994 17, 18, 19 et 20 mai 1994 25, 26 et 27 mai 1994 Québec - 20, 21, 22 et 23 juin 1994 6, 7, 8, 9 et 10 septembre 1994 6, 7 et 8 décembre 1994.

INTRODUCTION

M. Keith Norton, Président du Comité du tribunal des droits de la personne, constituait le présent tribunal le 15 décembre 1993. Le tribunal avait pour mandat de procéder à l'audition des plaintes formulées auprès de la Commission canadienne des droits de la personne par Dame Marthe Gill (17 août 1987), Dame Nellie Cleary (2 novembre 1987), Dame Marie-Jeanne Raphaël (12 février 1987) et Dame Louise Philippe (16 février 1987) à l'encontre du Conseil des Montagnais du Lac St-Jean.

Ces plaintes ont été réunies conformément aux dispositions de l'article 40 (4) du chapitre H-6 des lois de 1985.

L'audition de ces plaintes s'est tenue à Alma les 10, 11, 12, 13, 24, 25, 26, 27 et 28 janvier 1994, les 18, 19 et 20 avril 1994 et les 17, 18, 19, 20, 25, 26 et 27 mai 1994 pour se poursuivre par la suite à Québec les 20, 21, 22 et 23 juin 1994, les 6, 7, 8, 9 et 10 septembre 1994 et les 6, 7 et 8 décembre 1994.

Au début de l'audition, les représentants des parties au litige ont convenu d'une preuve commune pour l'ensemble des plaintes et l'acte de constitution du tribunal fut déposé comme Pièce T-1.

Pour bien discerner la nature des plaintes formulées et faciliter leur compréhension, le tribunal estime opportun d'exposer l'historique de la Loi sur les Indiens sanctionnée le 28 juin 1985 et son suivi par l'intimé, le Conseil des Montagnais du Lac St-Jean. (Conseil de Bande)

HISTORIQUE

Lors de l'adoption de l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique de 1867, le pouvoir de légiférer en toutes matières sur les Indiens et les terres réservées pour les Indiens a été dévolu au Parlement du Canada.

Le chapitre XLII, des 13e et 14e Victoria de 1850, intitulé: Acte pour mieux protéger les terres et les propriétés des Sauvages dans le Bas Canada prévoyait la nomination d'un commissaire des terres des Sauvages pour le Bas Canada lequel était investi du pouvoir de concéder ou louer des terres à toute tribu ou peuplade de sauvages dans le Bas Canada.

Pour les fins de l'application de cette loi, les classes de personnes considérées comme sauvages étaient les suivantes: (art. VI)

Premièrement: Tous sauvages pur sang, réputés appartenir à la tribu ou peuplade particulière de sauvages intéressée dans ladite terre, et leurs descendants.

Deuxièmement: Toutes personnes mariées à des sauvages, et résidant parmi eux et les descendants desdites personnes.

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Troisièmement: Toutes personnes résidant parmi les sauvages, dont les parents des deux côtés étaient ou sont des sauvages de telle tribu ou peuplade, ou ont droit d'être considérés comme tels.

Quatrièmement: Toutes personnes adoptées dans leur enfance par des sauvages, et résidant dans le village ou sur les terres de telle tribu ou peuplade de sauvages, et leurs descendants.

L'article 6 du chapitre VI (32-33) Victoria 1869 vint préciser la définition du terme Sauvage. Il énonce ce qui suit:

La quinzième section de la trente-unième Victoria, chapitre quarante-deux, est amendée en y ajoutant le proviso suivant: <Mais toute femme Sauvage qui se mariera à un autre qu'un sauvage cessera d'être une Sauvage dans le sens du présent acte, et les enfants issus de ce mariage ne seront pas non plus considérés comme Sauvage dans le sens du présent acte; pourvu aussi que toute femme Sauvage qui se mariera à un autre sauvage d'une autre nation, tribu, ou peuplade cessera d'être membre de la nation, tribu ou peuplade à laquelle elle appartenait jusque là, et deviendra membre de la nation, tribu ou peuplade à laquelle appartient son mari; et les enfants issus de ce mariage seront membres de la tribu de leur père.>

Cette loi de 1869 reçut de nombreux amendements pour devenir la Loi sur les Indiens. C'est sous cette appellation qu'elle fut incorporée dans les statuts révisés du Canada de 1970 sous le chapitre I-6.

Les articles 11, 12, 13 et 14 de la Loi de 1970 reprennent substantiellement les énoncés des lois antérieures relativement au statut de la femme indienne.

Par ailleurs, l'homme indien qui mariait une femme non indienne voyait cette dernière acquérir le statut d'indienne et de membre de la bande à laquelle appartenait son mari tout comme les enfants nés de cette union. (art. 12)

Ces inégalités entre l'Indienne et l'Indien contenues dans la Loi sur les Indiens de 1970 ne pouvaient perdurer.

En avril 1978, le Conseil consultatif canadien de la situation de la femme et le groupe Indian Rights for Indian Women publiait: La femme indienne devant la Loi: une citoyenne mineure. Il s'agissait d'une étude démontrant que la Loi sur les Indiens était discriminatoire à l'endroit des Indiennes, leurs familles et leurs communautés.

A la même époque, Sandra Lovelace qui avait perdu son statut d'indienne en

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raison de son mariage avec un non indien s'adressait à la Commission des droits de l'homme des Nations-Unies. Elle alléguait que le Canada ne respectait pas le Pacte international relatif aux droits politiques et civils auquel il était partie depuis 1976.

En 1981, cette commission rendait une décision et déclarait que le Canada ne respectait par les dispositions de l'article 27 du Pacte garantissant les droits culturels en empêchant Sandra Lovelace de vivre dans sa communauté culturelle.

En décembre 1981, le Canada signait la convention des Nations-Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'endroit des femmes. Le Canada, par l'acceptation de cette entente, démontrait son intention d'amender la Loi sur les Indiens pour éliminer les dispositions discriminatoires qu'elle contenait.

D'autres mouvements féministes furent créés, particulièrement l'Association des Femmes Autochtones du Québec Inc. et l'Association des Montagnaises du Lac St-Jean laquelle avait comme mission de participer à des travaux de concertation sur l'identification des droits que tous les autochtones veulent se voir protégés et garantis. (Pièce P-20) Aussi, en février 1985, l'Association des Montagnaises du Lac St-Jean avait préparé un mémoire intitulé La réintégration de la Montagnaise destatuée - Ce qu'en pense les Montagnaises du Lac St-Jean.

Ce mémoire réflétait quatre (4) grands objectifs: (Pièce P-20)

  1. Le Statut: Les Montagnaises du Lac St-Jean destatuées demandaient leur inscription immédiate à la liste active de la bande avec le même numéro de bande qu'elles avaient déjà possédé et que leurs descendants soient inscrits également.
  2. La Reconnaissance: Les Montagnaises du Lac St-Jean désiraient être reconnues par le Conseil des Montagnais du Lac St-Jean et par leur monde.
  3. L'Accueil: Les Montagnaises du Lac St-Jean demandaient d'être accueillies comme des membres à part entière de leur communauté et d'être traitées avec dignité, respect, équité, justice, sans l'ombre de racisme, sexisme, ni préjugés.
  4. La Participation: Les Montagnaises du Lac St-Jean demandaient de jouir sur la réserve des mêmes libertés, devoirs et privilèges que la femme statuée.

Au cours de cette même période, soit le 28 février 1985, était déposé, en

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première lecture, le projet de Loi C-31 modifiant la Loi sur les Indiens.

Ce projet de loi visait particulièrement à permettre à la femme indienne destatuée de reprendre son statut d'indienne et de membre d'une bande.

Le 4 mars 1985, ce mémoire de l'Association des Montagnaises du Lac St-Jean fut soumis au Conseil des Montagnais du Lac St-Jean, réserve indienne de Mashteuiatsh (Pointe-Bleue). Ce mémoire fut accueilli avec enthousiasme par le chef de bande, Armand Noé Germain, si bien qu'un groupe de travail fut mis sur pied pour tenter de réaliser dans l'harmonie les attentes exposées au mémoire. (Pièce P-20)

Le 13 avril 1985 et le 18 avril 1985, le groupe de travail tenait ses premières réunions. A cette occasion, le chef de bande a exprimé l'avis que la nouvelle loi conduirait au retour de l'indienne restatuée sur la réserve ce qui nécessiterait probablement un moratoire d'un (1) an sur l'application de la Loi en ce qui avait trait à l'habitation, sauf quant aux-cas d'urgence. (Pièce P-20)

Le 24 mai 1985, le Conseil des Montagnais du Lac St-Jean décrétait, en assemblée régulière, l'adoption d'un moratoire sur l'application du projet de Loi C-31. Ce moratoire visait l'habitation, le droit de résidence et l'emploi. (Pièce I-5)

Le 27 mai 1985, Armand Noé Germain était réélu comme chef du Conseil des Montagnais du Lac St-Jean.

Le 28 juin 1985, la Loi modifiant la Loi sur les Indiens (Statut du Canada (1985) chapitre 27), recevait la sanction royale avec effet rétroactif au 17 avril 1985, soit à la même date que l'entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits de la personne. On devait, par la suite, y référer sous l'appellation de Loi C-31.

Par l'effet des alinéas 6 (1) et 11 (1) c) de cette loi, la femme qui avait perdu son statut d'indienne, communément connue sous le nom de C-31, pouvait reconquérir son statut d'indienne et de membre d'une bande.

A cette fin, elle devait soumettre une demande écrite au régistraire du Ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canada (MAINC) responsable de la tenue du registre des Indiens et des listes de bande.

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Les enfants nés de cette femme devenaient également indiens mais leur appartenance à une bande demeurait régie par l'alinéa 11 (2) de la loi qu'il convient de citer:

A compter du jour qui suit les deux ans le jour où la loi intitulée Loi modifiant la Loi sur les Indiens, déposée à la Chambre des Communes le 28 février 1985, a reçu la sanction royale ou de la date antérieure choisie en vertu de l'article 13.1, lorsque la bande n'a pas la responsabilité de la tenue de sa liste prévue à la présente loi, une personne a droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande tenue au Ministère pour cette dernière; a) Soit si elle a droit d'être inscrite en vertu des alinéas 6 (1) d) ou e) et qu'elle a cessé d'être un membre de la bande en raison des circonstances prévues à l'un de ces alinéas; b) soit si elle a droit d'être inscrite en vertu de l'alinéa 6 (1) f ) ou du paragraphe 6 (2) et qu'un de ses parents visés à l'une de ces dispositions a droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande ou s'il est décédé, avait ce droit à la date de son décès.

En définitive, la Loi C-31 accordait une période de deux ans à compter de son entrée en vigueur, soit jusqu'au 28 juin 1987, à un conseil de bande pour fixer ses règles d'appartenance.

Lors de son assemblée régulière tenue le 26 août 1985, l'intimé adoptait unanimement une résolution par laquelle il décidait de généraliser le moratoire existant dans tous les secteurs, secteurs offrant des services tels habitation, éducation, emploi, chasse et trappe; donc, le Conseil décide de maintenir le statu quo dans tous les services offerts à la population inscrite sur la liste de bande. (Pièce I-6)

Le 28 septembre 1985, le Conseil de Bande informait la population de sa décision de décréter un moratoire sur les services afin d'établir les critères d'appartenance et aussi mesurer l'impact que pourrait créer l'arrivée d'une population nouvelle sur la réserve et sur le territoire additionnel. (Pièce I-3)

Lors des élections tenues le 25 mai 1987, M. Aurélien Gill fut élu chef du Conseil de Bande des Montagnais du Lac St-Jean et le nouveau conseil de bande est entré en fonction le 11 juillet 1987.

Quelques mois plus tard, dans un document d'orientation (Pièce I-15), Le Conseil de Bande des Montagnais du Lac St-Jean annonçait que tous les services étaient dorénavant offerts aux membres de la bande mettant ainsi officiellement fin au moratoire.

La Loi C-31 n'était pas sans créer certains remous chez les communautés

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autochtones. Un nombre important de personnes visées par la Loi C-31 demeuraient à l'extérieur de la réserve et on craignait leur retour sur celle-ci avec leurs enfants et, par le fait même, l'arrivée massive des Blancs, ce qui occasionnerait la perte des terres, maisons et subventions. Mme Marthe Gill avait eu d'ailleurs l'occasion de le constater en assistant à deux réunions d'information que le Conseil de Bande avait tenues auprès des aînés au printemps de 1986. Elle s'était même permis d'écrire au Conseil de Bande le 15 avril 1986 pour exprimer son opinion sur la façon dont l'information était véhiculée. (Pièce P-1) Elle raconte: (Volume 2, pages 336 et 337)

C'était une crainte qui n'était pas fondée parce que les gens, je l'ai dit à maintes reprises aux organisations de la bande, écoutez, les gens qui ont des propriétés à Montréal, qui ont des fermes à Trois-Rivières, qui ont des fermes un peu partout, les gens partiront pas du jour au lendemain et iront pas vendre leurs vaches et leurs boeufs pour venir s'installer à Pointe-Bleue quand on sait que le chômage est élevé. C'était pas ça le but des femmes et leurs réclamations. Les femmes, c'était claire que celles qui étaient là, qu'on les respecte à part entière. Et celles qui devaient venir s'ajouter à nous autres c'était pour des raisons bien humaines. C'est qu'elles devenaient veuves dans le milieu urbain, elles décidaient de revenir sur la réserve pour trouver leurs frères et leurs soeurs, ou dans des centres d'accueil, d'être avec leurs parents plutôt que d'être avec des étrangers.

Ils ont eu peur et cette peur-là n'était pas fondée parce qu'au moment où on a commencé à demander de l'aide, nous étions à ma connaissance 11 femmes sur la réserve qui étaient des C-31. Je pense qu'aujourd'hui, si j'allais avancer un chiffre, je pense qu'on est pas plus qu'une vingtaine.

Alors, on n'a pas défoncé les murs comme ça et on est pas venu en grande portée et enlever la place des autres.

CODE D'APPARTENANCE

Comme la Loi C-31 permettait, dans les deux ans de son entrée en vigueur, à un Conseil de Bande de déterminer ses règles d'appartenance comme membre de sa bande, l'intimé a jugé approprié de mettre sur pied un comité appelé Comité du Code d'Appartenance.

Ce comité visait deux objectifs:

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  1. Informer les électeurs sur la réserve de Pointe-Bleue des modifications apportées par la Loi C-31 et plus particulièrement la détermination par la bande de ses propres règles d'appartenance.
  2. obtenir des électeurs leur opinion sur la mise sur pied d'un Code d'Appartenance qui admettrait les enfants des femmes C-31 ou les exclurait.

Ce Comité du Code d'Appartenance devait être formé de cinq (5) personnes élues parmi les membres de la communauté et cinq (5) personnes choisies par l'intimé.

Le 14 juin 1986, le Conseil de Bande, lors d'une réunion publique, a procédé au choix de cinq (5) personnes de la communauté comme membre de ce comité à l'exclusion des femmes C-31.

Suite à l'assemblée tenue le 14 juin 1986, il semble que, dans les mois qui ont suivi, certains membres du Comité du Code d'Appartenance aient procédé à une consultation auprès de la population.

Le 18 mai 1987, le Conseil de Bande tenait une assemblée publique pour informer la population des résultats de la consultation. (Pièce P-22)

Le 2 mars 1987, le Ministre des Affaires Indiennes et du Nord Canadien rappelait aux chefs de bande que: (Pièce P-24)

Si votre bande désire tenir elle-même sa liste de bande le 28 juin 1987 ou avant, vous devriez décider s'il est nécessaire de commencer immédiatement le processus afin d'atteindre cet objectif.

Il appert que, dans les jours qui ont suivi, un pamphlet a été distribué (Pièce P-22) à la population pour expliquer en quoi consistait la procédure à suivre pour décider ou refuser que la bande détermine les règles d'appartenance de ses effectifs et ce document invitait les électeurs à signer le registre de consentement.

Une pétition signée par 207 individus fut remise au Conseil de Bande le 6 avril 1987 afin qu'il extensionne le droit de se prononcer, non pas uniquement aux électeurs mais également aux membres de la bande demeurant en dehors de la réserve. Le Conseil de Bande n'a pas accepté cette pro- position.

Le 22 mai 1987, par sa résolution #1592, le Conseil de Bande émettait un avis à l'effet que les membres de la bande avaient majoritairement approuvé que la bande décide de l'appartenance à ses effectifs et d'en fixer les règles par écrit. Ces régles devaient être approuvées par la suite par la majorité des électeurs de la bande. (P-26)

A cette fin, deux (2) référendums se sont tenus successivement les 15, 16, 17 et 18 juin et les 23, 24, 25 et 26 juin 1986 et les électeurs ont

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majoritairement refusé d'adopter les règles d'appartenance à la bande.

Malgré les résultats de ces scrutins secrets, le Conseil de Bande a adopté, par sa résolution du 27 juin 1987, ses règles d'appartenance et il en a avisé le MAINC qui a refusé d'en reconnaître la légalité.

Par conséquent, les personnes visées par les dispositions des sous- paragraphes a) et b) du paragraphe (2) de l'article 11 de la Loi C-31 avaient le droit d'être inscrites sur la liste puisque l'intimé n'avait pas adopté de règles d'appartenance dans les deux (2) ans de la promulgation de la Loi C-31, soit avant le 28 juin 1987.

Ainsi les enfants de première génération de femmes C-31 devenaient par l'effet de la Loi C-31 membres de la bande au même titre que leur mère.

Le moratoire décrété par l'intimé et les événements entourant les actes qu'il a posés pour fixer ses règles d'appartenance sont à l'origine des plaintes formulées par les plaignantes contre l'intimé et fondées sur leur sexe et leur état matrimonial.

LA LOI

Les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne pertinentes aux litiges sont les suivantes:

Article 3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Article 5. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public:

a) d'en priver un individu;

b) de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture. 1976-77, ch. 33, art. 5.

Article 7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects:

  1. de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
  2. de le défavoriser en cours d'emploi. 1976-77, ch. 33, art. 7; 1980-81-82-83, ch. 143, art. 3.

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Article 10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale:

  1. de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;
  2. de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel. 1976-77, ch. 33, art. 10; 1980-81-82-83, ch. 143, art. 5.

Article 15. Ne constituent pas des actes discriminatoires:

g) le fait qu'un fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s'il a un motif justifiable de le faire.

Article 67. La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi. 1976-77, ch. 33, art. 63.

1- PREUVE DES PLAIGNANTES

Les plaignantes se doivent de démontrer à la satisfaction du tribunal qu'à première vue (prima facie), elles ont été victimes d'un acte discriminatoire, acte discriminatoire que la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Andrew c. Law Society of British Columbia (1989) 1 - R.C.S., page 143, a défini ainsi, page 174:

J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des avantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont rarement.

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Le tribunal analysera d'abord les faits mis en preuve pour chacun des volets des plaintes pour déterminer si la preuve prima facie d'un acte discriminatoire a été établie. En second lieu, il analysera si l'intimé a rencontré, dans les cas où il y aura lieu de le faire, le fardeau qui lui incombe de prouver que l'acte discriminatoire reproché reposait sur un motif justifié.

A) PLAINTE DE DAME MARTHE GILL

La plainte de Dame Marthe Gill a été déposée comme Pièce C-2 (1), et se détaille comme suit:

Le Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean discrimine contre moi en refusant de m'octroyer un permis de construction, ma candidature sur un comité et de me délivrer un permis de chasse en vertu de mon sexe et de mon état matrimonial et ce, en contravention des articles 5 et 6 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je suis propriétaire d'un terrain sur la Réserve et en avril 1985, j'ai fait une demande de permis de construction qui me fut refusée.

De même, lors d'une assemblée publique tenue le 14 juin 1986, ma candidature pour le Comité du Code d'Appartenance fut refusée par le conseiller Gilbert Courtois. Finalement, en octobre 1986, je me suis présentée au bureau du Conseil de Bande pour obtenir mon permis de chasse, comme par les années antérieures, et Line Bégin, secrétaire, refusa de m'octroyer un tel permis. Je crois que ces refus du Conseil de Bande sont basés sur le fait que je me suis mariée avant le 17 avril 1985 avec une personne qui n'était pas membre de la Bande. Or, les hommes, membres de la Bande qui, avant le 17 avril 1985, ont marié des non-membres ne se font pas refuser de permis de construction, ni leur candidature à ce comité d'appartenance ni un permis de chasse d'où ma plainte de discrimination fondée sur le sexe et l'état matrimonial.

Fait à Pointe-Bleue Québec le 17 août 1987

Marthe Gill Signature de la plaignante Témoin de la signature.

Cette plainte comporte trois (3) volets qui seront analysés successivement.

La plaignante est née le 25 avril 1931 sur la réserve indienne de Mashteuiatsh (Pointe-Bleue), d'un père indien et d'une mère blanche qui avait acquis son statut d'indienne de par son mariage à un indien.

Après avoir terminé ses études primaires sur la réserve, elle a complété des études secondaires chez les Ursulines à Roberval et à l'École Normale

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du Bon Conseil à Chicoutimi où elle a obtenu un diplôme d'enseignement et un baccalauréat en éducation de l'Université du Québec à Chicoutimi en 1960.

Depuis sa naissance, elle a toujours habité sur la réserve de Pointe-Bleue. D'abord chez ses parents; puis, le 31 octobre 1957, elle a épousé Benoît Dufour, un non-indien. Elle a continué de résider sur la réserve, demeurant successivement au 77 et au 176 Ouiatchouan dans un logement propriété de son père. Ce dernier logement lui fut cédé par ce dernier en 1990.

De par son mariage avec un Blanc, la plaignante a perdu son statut d'indienne et de membre de la bande. De plus, Pierre et Sandra, nés de ce mariage, n'avaient pas le statut d'indien et de membres de la bande. Elle a consacré 30 ans de sa vie à l'enseignement sur la réserve de Pointe-Bleue pour prendre sa retraite en 1986. Elle a oeuvré à promouvoir la culture amérindienne dans les programmes scolaires.

Elle a consacré beaucoup de temps et d'énergie à la défense des droits des femmes autochtones notamment à l'Association des Femmes Autochtones dès 1984. En 1985, elle fut élue au sein du Conseil consultatif de la situation de la femme pour un mandat de trois (3) ans.

1- Permis de construction

Le père de Dame Marthe Gill projetait depuis longtemps de partager entre ses trois (3) filles un lot qu'il possédait sur la réserve mais leur statut de non indienne l'empêchait de le faire.

Suite à l'adoption de la Loi C-31, la plaignante fit une demande d'inscription le 18 juillet 1985 et elle fut réinscrite le 13 novembre 1985 (Pièce C-31) sous le numéro de bande 3199.

Un travail au MAINC lui avait permis d'être informée de l'octroi probable par le MAINC de subventions à l'habitation aux femmes indiennes dites C-31.

Comme elle pouvait dorénavant posséder un terrain sur la réserve et qu'elle désirait construire une résidence, la plaignante adressait une demande de permis de construction de maison, le 16 décembre 1985, au comité sur l'Habitation du Conseil de Bande. (Pièce C-2(6))

Le 12 février 1986 1e Conseil de Bande, par l'intermédiaire de son agent à l'Habitation, répondait à Mme Gill comme suit: (Pièce C-2(7)).

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Madame

Pour faire suite à votre demande de permis de construction, nous tenons à vous informer que nous ne pourrons y donner suite pour l'instant.

Le Conseil de Bande a émis un moratoire pour tous les cas touchés par la Loi C-31 et aussi longtemps que le Code d'Appartenance ne sera pas déféré. Nous conservons votre demande en dossier et dès que nous pourrons y répondre, nous vous contacterons.

Danielle Paul Agente à l'habitation DP/ pour/Conseil des Montagnais.

Le 27 février 1987, M. Paul-Emile Gill cédait à Dame Marthe Gill, sa fille, la possession du lot 28-7-5 du rang A dans la réserve de Mashteuiatsh. Le 7 mai 1987, une demande d'enregistrement de cette cession au registre des terres de réserve était transmise au MAINC suivant la Loi sur les Indiens. La cession fut enregistrée le 27 avril 1987 sous le numéro 200708 (Pièce C-3). Le 28 août 1987, le MAINC émettait un certificat de possession dudit lot en faveur de Dame Marthe Gill (Pièce C-4) et elle en était informée par une lettre du MAINC datée du 7 octobre 1987. (Pièce C-4)

Il convient de souligner que le lot était desservi par tous les services d'infrastructure depuis plusieurs années.

Suite à la réponse obtenue de Mme Danielle Paul, la plaignante reconnaît qu'elle n'a pas fait de démarches subséquentes pour obtenir un permis de construction et ce, même après avoir obtenu son certificat de possession de terrain. Elle explique son attitude ainsi: (Volume 2, page 301-302).

Question: Une fois que vous avez eu votre certificat de possession, êtes-vous retournée au Conseil pour demander un nouveau permis?

Réponse: Non, parce que Mme Paul m'avait dit dans sa lettre que dès qu'il serait possible qu'elle reviendrait, qu'elle répondrait à ma demande. Alors moi, j'attendais toujours étant donné qu'on avait déjà fait une lettre, nous conservons votre demande en dossier et dès que nous pourrons nous vous contacterons.

Je pense quand t'as travaillé dans les bureaux, tu vas pas déranger les gens pour les mêmes choses. Alors je me suis dit la demande est faite, elle va y répondre.

Le Comité d'Habitation n'a jamais officiellement donné suite à la demande

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d'un permis de construction formulée par Mme Gill.

2- Permis de chasse

Résidante sur la réserve, la plaignante aimait se rendre, en compagnie de sa mère, au territoire de chasse de son père où il lui arrivait occasionnellement de chasser le petit gibier tel la perdrix.

Même si elle avait perdu son statut d'indienne, le Conseil de Bande lui accordait tout de même à chaque année un permis de chasse au petit gibier.

Ayant reconquis, par les effets de la Loi C-31, son statut d'indienne et de membre de la bande, elle exprime ainsi les sentiments qui l'animaient lorsqu'elle s'est présentée, en octobre 1986, aux bureaux du Conseil de Bande pour obtenir son permis de chasse: (Volume 1, page 145).

Disons que ce matin-là, je peux vous dire tout mon emballement. J'étais très heureuse de partir avec mon frère pour aller chercher mon permis de chasse parce qu'officiellement on avait eu nos numéros de bande et là je me suis dit enfin j'y vais par la grande porte, j'ai pas peur. Je ne me sentais pas le coeur serré ce matin-là de me présenter devant le Conseil de Bande, c'est-à-dire qu'à ce moment-là, je me souviens très bien, c'était le petit bureau des policiers en haut près de la résidence des étudiants.

Je suis arrivée le matin avec mon frère, Jean-Marie. J'étais une des premières; j'étais tellement contente de faire la démarche officiellement et que je pouvais le faire c'était reconnu.

Elle fut stupéfaite d'apprendre que son permis lui était refusé en raison du moratoire. Alors qu'elle n'était plus une indienne depuis son mariage avec un Blanc, on lui avait toujours accordé son permis, maintenant qu'elle avait reconquis son statut d'indienne, on le lui refusait. (Volume 1, page 148)

...quand même je vous dirais toute ma colère, j'étais très, très, très violente à ce moment-là parce que je me disais ce n'est pas possible. C'est encore une grosse blessure morale parce que t'es une Indienne.

Mme Gill fut très insultée de se voir refuser son permis de chasse et elle n'a jamais demandé de permis par la suite. (Volume 1, page 155)

...J'ai été tellement frustrée lorsque je suis allée que j'ai mis une barre à ça et j'ai dit plus jamais me mettre à genoux devant

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mes frères de sang pour demander un permis. Je n'irai plus jamais. C'est fini. Je n'y retournerai plus jamais. Même si j'ai pas de manger, je passerai dans les maisons pour quêter pour avoir du manger.

La plaignante s'est alors adressée au Ministère québécois des Loisirs, Chasse et Pêche et elle a obtenu son permis. Ainsi, elle a voulu démontrer qu'elle pouvait obtenir un permis de chasse sans s'adresser au Conseil de Bande.

3- Comité du Code d'Appartenance

Dans son initiative de mettre sur pied le Comité du Code d'Appartenance et d'élire parmi les membres de la communauté cinq (5) membres devant oeuvrer sur ce comité, l'intimé a décidé de la tenue d'une assemblée publique le 14 juin 1986.

Le 13 juin 1986, suivant la coutume établie, le Conseil de Bande a distribué à la population, par dépôt au casier postal et par affichage aux endroits publics, un avis de convocation à assister à une assemblée générale des membres de la Bande des Montagnais du Lac St-Jean devant se tenir le 14 juin 1986, à 13h30 à la salle communautaire de Mashteuiatsh en vue de former le Comité du Code d'Appartenance. Cet avis portait la date du 11 juin 1986. (Pièce P-4)

Par voie de communiqué radiophonique émis à deux (2) reprises par la radio communautaire, le 12 juin 1986, le Conseil de Bande avisait la population de la tenue de l'assemblée pour la formation du Comité du Code d'Appartenance et précisait que tous ceux et celles qui ont leur numéro de bande depuis (Souligné du tribunal) le 17 avril 1956 sont invités à venir assister à cette réunion... (Pièce P-9) Puis, le 13 juin 1986, un communiqué radiophonique, diffusé à deux (2) reprises, précisait ceux et celles qui ont le droit de vote, c'est ceux et celles qui ont leur numéro de bande avant (Souligné du tribunal) le 17 avril 1985. (Pièce P-9)

Il ressortait de ce dernier communiqué que les personnes visées par la Loi C-31 et inscrites au registre de la bande après le 17 avril 1985 n'auraient pas le droit de vote à cette assemblée.

L'exécutif de l'Association des Montagnaises du Lac St-Jean a immédiatement réagi à cette prise de position de l'intimé en transmettant, dans les heures qui ont suivi, une mise en demeure à tous les membres du Conseil de Bande. (Pièce P-3)

Cette mise en demeure avisait l'intimé que, suivant les dispositions de la Loi C-31 (article 1 1), les personnes ayant 18 ans révolus et inscrites sur la liste de bande avaient le droit de vote et on exigeait que le droit de vote soit accordé à ces personnes. Il fut cependant omis de mentionner que les personnes habiles à voter devaient également résider sur la

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réserve.

La plaignante s'est rendue à l'assemblée du 14 juin 1986 avec le dessein bien avoué d'être élue comme membre du Comité du Code d'Appartenance parce qu'elle estimait être en mesure de transmettre ses connaissances de la Loi C-31 aux membres de la Bande d'une manière objective afin de leur permettre de prendre la décision la mieux éclairée.

L'assemblée était présidée par M. Gilbert Courtois, membre du Conseil de Bande et chargé par ce dernier de la responsabilité de l'application de la Loi C-31, lequel était accompagné de M. Roger Valin, également membre du Conseil de Bande. M. Gilbert Courtois a avisé les personnes présentes que le Comité du Code d'Appartenance serait composé de 10 personnes, dont cinq (5) élues par l'assemblée et cinq (5) choisies par le Conseil de Bande. Malgré la mise en garde adressée à l'intimé par l'Association des Montagnaises du Lac St-Jean, M. Courtois a pris soin de préciser à l'assem- blée que, pour assurer la neutralité et l'objectivité des membres de ce comité, les personnes visées par la Loi C-31 et n'étant pas membres de la bande avant l'adoption de la Loi C-31 n'étaient pas éligibles comme membres du comité. De plus, elles ne pouvaient ni proposer, ni seconder la nomi- nation des membres de ce comité.

Une proposition visant la nomination de Dame Marthe Gill a été dûment formulée par Dame Jeanne Larouche, secondée par Dame Hélène Cleary. Avant qu'il n'y ait prise de vote sur cette proposition, MM. Courtois et Valin se sont consultés. M. Courtois a déclaré que la plaignante ne pouvait siéger sur ce comité parce qu'elle était une C-31.

Lors d'un entretien téléphonique le lendemain, M. Courtois a précisé qu'elle n'avait pas été acceptée au sein du comité en raison de son manque d'objectivité. Elle a exigé que les motifs lui soient soumis par écrit. (Volume 3, page 587)

Le 8 juillet 1986, l'intimé, par l'entremise de M. Gilbert Courtois, lui adressait la lettre suivante: (Pièce C-2, (8))

Madame Marthe Gill

Madame,

Le Conseil de Bande de Mashteuiatsh, suite à la nomination du Comité d'Appartenance du samedi 14 juin, confirme que vous n'étiez pas éligible à siéger sur cedit Comité en raison du moratoire décrété par la bande; cependant, vos commentaires sur le sujet seront recueillis au même titre que celui des membres de la bande lors de la consultation qui se tiendra dans les semaines suivantes.

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Bien à vous, Gilbert Courtois Conseiller responsable C-31 pour/Conseil des Montagnais GC/lp

c.c. Femmes autochtones.

En définitive, les cinq (5) personnes élues au Comité du Code d'Appartenance lors de cette assemblée du 14 juin 1986 n'étaient pas visées par la Loi C-31.

Il ressort de la preuve soumise que le refus par l'intimé de lui octroyer un permis de construction ainsi qu'un permis de chasse et le droit d'être élue comme membre du comité d'appartenance constituent prima facie des actes discriminatoires à l'endroit de la plaignante. Par l'effet du moratoire qu'il a décrété sur l'application, quant à lui, de la Loi C-31, l'intimé s'est refusé de reconnaître que Dame Marthe Gill était une indienne et membre de la bande des Montagnais du Lac St-Jean suivant la Loi C-31 et de lui fournir les services au même titre que les autres membres de la bande.

B) PLAINTE DE LOUISE PHILIPPE

La plainte de Mme Louise Philippe fut soumise à la Commission des droits de la personne le 16 février 1987 et elle se décrit comme suit: (Pièce C-29)

Le Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean discrimine contre moi en vertu de mon sexe et état matrimonial en refusant de m'octroyer une maison ou même de considérer ma demande et aussi en refusant ma candidature à un cours populaire de langue montagnaise qu'il dispense à la population sur la Réserve et ce, en contravention de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. J'ai fait une demande de maison le 31 janvier 1986 et le 12 février 1986, le Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean m'indiqua qu'il refusait de considérer les demandes des personnes touchées par la Loi C-31 amendant la Loi sur les Indiens. En réponse à ma deuxième lettre du 27 février 1986, le Conseil m'a écrit le 26 mars 1986 déclarant que j'avais perdu mon statut de membre de la Bande compte-tenu que j'avais marié avant le 17 avril 1985 un non-membre de la Bande. J'ai aussi écrit une troisième lettre au Conseil de Bande le 20 mai 1986 spécifiant que, selon le Ministère des Affaires Indiennes, je suis effectivement membre de la Bande. Le 30 mai 1986, le Conseil m'avisait par lettre qu'il maintenait la décision qu'il m'avait transmise antérieurement. En regard de ma demande d'inscription au cours populaire de langue montagnaise, le Conseil m'informait par lettre datée du 5 décembre 1986 que ma candidature était refusée à cause du moratoire émis par le Conseil de Bande à l'endroit des personnes touchées par la Loi C-

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31. Le 9 décembre 1986 j'ai écrit une lettre au Conseil de Bande appelant sur sa décision de me refuser mon inscription aux cours populaires de langue montagnaise et le Conseil n'a pas répondu à mon appel ni émit un accusé de réception à ma lettre recommandée. Je crois que ces refus sont basés sur le fait que je me suis mariée avant le 17 avril 1985 avec une personne non-membre de la Bande. Or, les hommes membres de la Bande ayant marié avant le 17 avril 1985 des femmes non-membres de la Bande ne se font pas refuser de telles demandes d'où ma plainte de discrimination basée sur le sexe et l'état matrimonial. Fait à Pointe-Bleue Québec le 16 février 1987.

Louise Philippe Nancy Basile Signature de la plaignante Témoin de la signature.

Amendement de la plainte

Au début de l'audition, le procureur de la Commission canadienne des droits de la personne a soumis au tribunal une requête visant à amender la plainte de Dame Louise Philippe pour y ajouter le volet suivant:

Plus particulièrement, le Conseil de Bande utilise depuis l'année 1986 jusqu'à maintenant des critères de sélection des candidats pour le programme d'habitation qui sont légalement discriminatoires. En effet, entre autres, aucun point n'est accordé pour le conjoint ou un enfant d'une femme montagnaise ayant retrouvé son statut d'Indienne et de membre de la Bande suite à l'adoption de la Loi C-31 en 1985.

Cette demande d'amendement fut contestée par le procureur de l'intimé. Le tribunal a permis l'amendement à la plainte au motif que l'amendement était relié à la prétention de la plaignante que l'intimé discrimine toujours à son endroit en raison de son sexe et de son état matrimonial et qu'au surplus l'intimé n'était pas pris par surprise et en mesure d'y apporter une défense pleine et entière.

Il fut en définitive convenu entre les parties que la plainte de Dame Louise Philippe inclurait l'ajout ci-avant mentionné.

Dame Louise Philippe est née le 5 décembre 1936 dans le rang C sur la Réserve de Pointe-Bleue. Son père, Philippe Philippe, d'origine indienne, avait épousé une femme blanche Emérilda Cayouette qui avait acquis son statut d'indienne et de membre de la bande de par son union maritale avec son père.

Après avoir terminé ses études primaires sur la Réserve de Pointe-Bleue, elle s'est rendue à Rivière-à-Pierre pour entreprendre ses études secondaires qu'elle dût interrompre après un (1) an pour prendre soin de la

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famille car sa mère était malade.

Plus tard, elle a suivi un cours de confection et de haute couture à Montréal pendant trois (3) ans pour revenir ensuite au chevet de sa mère malade tout en travaillant dans un pensionnat pour enfants indiens et au magasin de la Hudson Bay qui se trouvait sur la réserve de Pointe-Bleue et où elle fit la connaissance de son futur époux, M. Robert Labbé, également employé de cette entreprise.

En 1965, elle a quitté la réserve de Pointe-Bleue pour se rendre travailler dans une maison privée à Montréal où elle a épousé, le 31 décembre 1966, M. Robert Labbé.

Eu égard aux dispositions de la Loi sur les Indiens à cette époque, elle n'a pas perdu son statut d'indienne parce qu'elle avait marié un non- indien. Elle n'a donc pas perdu non plus son statut de membre de la bande et son numéro de bande, soit le 460, qu'elle avait alors acquis au moment de sa majorité car, auparavant, suivant la coutume, elle avait le même numéro de bande que celui de son père.

Il fut plus tard constaté que la plaignante n'avait jamais perdu son numéro de membre de bande parce que, fort probablement, le Conseil de Bande n'avait pas été informé de sa situation en raison de son mariage en dehors de la réserve.

La plaignante a vécu à Montréal et, suite à la perte de son emploi, elle a mis sur pied, en 1976, une résidence pour personnes âgées alors qu'elle s'est rendue vivre à Lachute. En 1980, elle revint habiter à Montréal avec ses deux (2) enfants, Marie-Pierre née en 1975 et Jean-Philippe né en 1977 et ce, jusqu'en août 1984, alors que la famille vint s'établir sur la Réserve de Pointe-Bleue au 79 A, Ouiatchouan.

Étant alors sans emploi, elle s'est impliquée au sein de l'Association des Montagnaises du Lac St-Jean. A compter de 1989 jusqu'au 15 mai 1993, elle a assumé successivement les fonctions d'assistante, puis de gérante d'un commerce de vente d'artisanat appelé MASHK. Puis, en juin 1993, elle fut embauchée comme gérante d'un commerce d'artisanat chez Robertson et elle a loué, depuis le 1er janvier 1993 de son patron, une maison sise au 223 Ouiatchouan. Suite à l'adoption de la Loi C-31, elle a demandé son inscription avec ses enfants, le 15 juillet 1985, et fut restatuée comme indienne et membre de la Bande des Montagnais du Lac St-Jean le 9 mai 1986. Cependant, elle a conservé le même numéro de bande qu'elle n'avait pas perdu lors de son mariage. (Pièce C-31)

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1- Refus de l'intimé d'accorder une résidence à la plaignante

Le 31 janvier 1986, la plaignante habitait une maison de deux (2) chambres à coucher qui ne convenait pas parce qu'elle avait une fille et un garçon qui devaient partager la même chambre. De plus, son fils asthmatique ne pouvait occuper régulièrement la chambre avec sa soeur qu'il dérangeait lorsqu'il était en état de crise. Pour ces raisons, elle s'est adressée au Conseil de Bande des Montagnais pour que lui soit octroyée une maison.

Le document se lisait comme suit: (Pièce C-33 (1))

Louise Philippe C.P. 215 79 a., rue Ouiatchouan Pointe-Bleue, Québec GOW 2HO

Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean 152, rue Ouiatchouan Pointe-Bleue, Québec GOW 2HO

Objet: Demande de maison unifamiliale

Messieurs,

En ma qualité de Montagnaise résidente à Pointe-Bleue et, étant inscrite sous le numéro 460 du registre de la bande des Montagnais du Lac Saint-Jean, je demande une maison au Conseil de Bande. Mon recours au Conseil de Bande pour l'obtention d'une maison trouve comme principales justifications les trois raisons suivantes:

  1. A cause d'un manque de logements disponibles, j'ai due héberger ma famille dans un camps d'été durant 1 1/2 mois au Domaine Philippe, et durant un autre l 1/2 mois en pension chez mon frère, Monsieur Réal Philippe, à l'été 1984.
  2. Depuis l'automne 1984, je loue un logement de 4 pièces, dont 2 chambres à coucher, un salon et une cuisine pour ma famille de 4 personnes.

Ce logement ne répond pas adéquatement aux besoins essentiels de ma famille à savoir:

  1. Je ne dispose que d'une petite chambre à coucher qui doit être partagée par ma fille de 10 ans et mon fils de 8 ans.
  2. L'exiguïté de leur chambre à coucher leur cause un stress qui les rend nerveux et agressifs. Car en plus d'être de sexes différents, ils ont une grande différence de caractère; donc, c'est souvent la bagarre à l'heure du

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coucher. Aussi, mon fils est un asthmatique chronique; il est donc continuellement sous médicamentation qui a comme effet secondaire de surexciter et l'on nous recommande par conséquent de lui aménager un refuge paisible et tranquille à cause de son asthme. Il doit aussi dormir dans un air très humidifié pour lui permettre de respirer conve- nablement, c'est à dire sans devoir continuellement combattre pour son souffle durant son sommeil. Hors, le bruit de l'humidificateur et la respiration haletante et souvent même râleuse de mon fils empêchent ma fille de dormir. Celle-ci se réfugie donc souvent sur le divan du salon pour terminer sa nuit, avec comme conséquence un sommeil perturbé qui la rend nerveuse, fatiguée et de mauvaise humeur à son lever.

3. Ma situation financière ne me permet pas pour le moment l'accès à la propriété sans aide; ceci dans un contexte d'un besoin pressant pour ma famille et, d'une non-disponibilité de logements adéquats à louer et de mon impossibilité sur le plan budgétaire de payer plus cher de loyer de toute façon.

Espérant le tout conforme, je demeure

Louise Philippe 86.01-31 No. de bande 460

Le 12 février 1986, Mme Louise Philippe recevait la réponse suivante: (Pièce C-33 (2))

Pointe-Bleue, le 12 février 1986

Madame Louise Philippe C.P. 215 79A, rue Ouiatchouan Pointe-Bleue, QC GOW 2HO

Madame,

Nous accusons réception de votre lettre en date du 31 janvier 1986, concernant une demande de maison.

Nous tenons à vous informer que nous ne pourrons la prendre en considération pour l'instant, car le Conseil de Bande a émis un moratoire pour tous les cas touchés par la loi C-31, tant et aussi longtemps que le code d'appartenance ne sera pas défini.

Nous conservons votre demande en dossier et dès que nous pourrons y donner suite, nous vous en informerons.

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Bien à vous,

Danielle Paul Agent à l'habitation pour/Conseil des Montagnais

DP/mg

En réponse à cette lettre, la plaignante réitérait à l'intimé, le 27 février 1986, sa demande d'octroi de maison au motif qu'elle n'avait jamais perdu son statut d'indienne et de membre de la bande. (Pièce C-33 (3))

L'intimé, le 26 mars 1986 lui rappelait que les dispositions de la loi en vigueur, avant la Loi C-31, étaient très claires: Une femme qui est membre d'une bande cesse d'en faire partie si elle épouse une personne qui n'en est pas membre. (Pièce C-33 (4))

Le Conseil des Montagnais du Lac St-Jean confirmait ainsi à la plaignante qu'elle avait légalement perdu ses droits même si tel n'était pas le cas techniquement et qu'elle ne pouvait revendiquer l'octroi d'une maison en raison du moratoire qu'il avait décrété.

Le 20 mai 1986, la plaignante revint à nouveau à la charge mais l'intimé l'avisait par écrit, le 30 mai 1986, qu'il maintenait sa position. (Pièce C-33 (5))

Depuis le 29 septembre 1986, elle possédait un terrain décrit comme étant la totalité du 3-8, rang B, dans la réserve indienne de Mashteuiatsh. (Pièce C-1 - obglet B - Document 12)

Mme Louise Philippe adressa une nouvelle demande le 29 janvier 1987 et elle subit le même refus de l'intimé le 13 février 1987 et toujours pour le même motif, soit le moratoire existant.

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2- Refus du Conseil des Montagnais du Lac St-Jean de permettre à Dame Louise Philippe de suivre un cours populaire de langue montagnaise dispensé sur la réserve

Le 7 octobre 1986, le Conseil de Bande des Montagnais du Lac St-Jean informait la population de la tenue d'une réunion, le 14 octobre 1986, à 19 h 30, à la salle communautaire.

Le but de cette rencontre était de transmettre de l'information suite au colloque sur la sauvegarde de la langue tenu en avril 1986 et de sensibiliser la population sur le travail effectué depuis ce colloque.

De plus, on profiterait de cette rencontre pour recevoir la pré-inscription des personnes intéressées à suivre un cours de langue en montagnais. (Pièce C-36)

Comme les enfants de la plaignante suivaient des cours de langue montagnaise à l'école, elle était intéressée à suivre ces cours pour pouvoir apprendre la langue et éventuellement échanger en cette langue avec ses enfants. (Volume 13, page 1976). Aussi, s'est-elle inscrite à ce cours lors de la réunion du 14 octobre 1986.

Le 5 décembre 1986, M. Clifford Moor, coordonnateur du développement de la langue pour le Conseil des Montagnais du Lac St-jean avisait la plaignante qu'elle ne pouvait être admise à suivre ce cours en raison du moratoire en vigueur (Pièce C-37). Ce cours, de la mi-janvier à la mi-avril 1987, (I- 38) a été dispensé. La plaignante a contesté cette prise de décision du Conseil de Bande des Montagnais du Lac St-Jean (Pièce C-38).

Toutefois, le 6 avril 1989, la plaignante était mise au courant d'un projet de l'intimé de dispenser un cours de langue montagnaise en septembre 1989, mais il ne s'est jamais concrétisé (Pièce C-39) en raison d'un manque de candidats. Des cours de langue montagnaise furent dispensés par le CEGEP de St-Fé1icien en 1991 et par l'Université du Québec à Chicoutimi en 1993.

Les faits révélés par la preuve, quant au refus de l'intimé d'accorder une résidence à la plaignante et de lui permettre de suivre un cours populaire de langue montagnaise dispensé sur la réserve, démontrent prima facie que l'intimé a posé à l'endroit de la plaignante des actes discriminatoires et ce, pour les mêmes motifs que ceux énoncés relativement à la plainte de Dame Marthe Gill.

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3- Le Conseil de Bande utilise, depuis l'année 1986 jusqu'à maintenant, des critères de sélection des candidats pour le programme d'habitation qui sont discriminatoires au motif qu'aucun point n'est accordé pour le conjoint ou un enfant d'une femme montagnaise ayant retrouvé son statut d'indienne et de membre de la bande suite à l'adoption de la Loi C-31

En 1976, le Conseil de Bande du Lac St-Jean s'était doté d'une politique relative à l'habitation et avait créé un comité de l'habitation composé de membres de la communauté.

Il avait également mis sur pied des programmes d'aide à l'habitation qui comportaient 4 formes. (Pièce C-44)

1. Programme d'habitation sociale (programme 56.1)

Logements construits par le Conseil de Bande soit sous forme de résidence unifamiliale ou d'immeubles à logements qui en assume le financement en partie par le biais de la contribution du MAINC et quant au reste par un emprunt qui lui est consenti par une institution bancaire. Le tout est coiffé d'une subvention a l'opération versée par la Société Canadienne d'Hypothèque et de Logement (S.C.H.L.) en vertu d'une entente avec le Conseil de Bande des Montagnais du Lac St-Jean (Pièce C-46). Le MAINC établit, à chaque année, le nombre d'unités d'habitation accordées au Conseil de Bande et la subvention consentie pour chaque unité est de 24 100 $. Le bénéficiaire de ce programme doit verser un loyer correspondant à 25 % du revenu annuel familial tout en respectant les coûts communs fixés pour l'opération.

Après 25 ans d'occupation, le bénéficiaire, qui était alors locataire, peut acquérir la propriété de la demeure s'il a respecté les obligations prévues à la convention d'habitation signée avec le Conseil de Bande des Montagnais du Lac St-Jean. (Pièce C-44)

2. Programme de la bande

Ce programme s'applique à la construction d'une maison neuve, au remplacement d'une maison existante ainsi qu'à l'acquisition d'une maison déjà construite.

Il s'adresse à celui qui dispose des moyens financiers lui permettant d'acquérir ou de construire une maison et qui peut bénéficier de l'aide d'une institution financière.

Il suppose que le candidat à ce programme possède un certificat de possession émis par le MAINC attestant qu'il dispose d'un terrain et qu'il soumette un plan de la maison à ériger. Il doit garantir une mise de fonds équivalente à 10% du coût du projet.

Avec l'aide de la contribution du MAINC, le Conseil des Montagnais du Lac

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St-Jean consent, en premier lieu, un prêt sans intérêt de 12 000 $ remboursable à raison de 50 $ par mois sur une période de 20 ans et, en second lieu, une subvention de 10 000 $ remboursable à raison de 2 000 $ par année. En cas de disposition de la maison au cours de la période de cinq (5) ans, le solde dû devient exigible.

Si un solde s'avère nécessaire pour construire la maison, le candidat doit démontrer qu'il est en mesure de l'assumer lui-même ou qu'il a l'appui d'une institution bancaire garanti par la S.C.H.L..

3. Programme de rénovation

Ce programme vise éventuellement à améliorer la qualité des maisons existantes afin d'accroître la durée de vie de l'ensemble des habitations de la communauté.

Il s'applique à des réparations majeures d'une maison telles la charpente, la plomberie, le chauffage, l'électricité etc ... L'applicant doit garantir une mise de fonds équivalente à 5% du coût du projet. La S.C.H.L. peut verser une subvention maximale de 5 000 $ remboursable à raison de 1 000 $ par année pendant 5 ans. En cas de disposition de la maison au cours de la période de remise, le solde dû devient exigible.

De plus, le Conseil de Bande des Montagnais du Lac Saint-Jean peut verser une subvention maximale de 6 000 $ remboursable sur 5 ans à raison de 1 250 $ l'an. En cas de disposition avant l'expiration de la période fixée pour le remboursement, le solde dû devient exigible.

Le candidat doit également être en mesure d'assumer un prêt, s'il y a lieu.

4. Programme de garantie de prêt

Ce programme s'adresse à celui qui, tout en disposant des moyens financiers pour construire ou rénover une maison, a besoin d'une aide financière pour réaliser le projet.

Il peut se voir consentir par le Conseil de Bande des Montagnais une garantie de prêt.

Face à l'ampleur des demandes de participation à ces divers programmes de la part de la communauté, le comité de l'habitation avait recommandé à l'intimé d'adopter des critères de sélection pour l'acceptation des candidats aux divers programmes, dans le cadre du programme d'aide à l'habitation sociale et du programme de bande. A chaque année, l'intimé adopte les critères de sélection des candidats après analyse des recommandations du comité d'habitation. Ces critères de sélection sont fondés sur la situation familiale et sur la situation du logement pour les membres de la communauté. Par l'application de ces critères, on obtient un nombre de points permettant le choix des candidats par priorité.

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Les critères de sélection contiennent trois (3) éléments à savoir: les critères généraux d'admissibilité, les critères quant aux personnes et les critères quant au logement. L'évaluation des critères quant aux personnes totalisent un maximum de 40 points et celle relative au logement pour un maximum de 60 points pour la personne demeurant sur la réserve.

La connaissance des critères généraux d'admissibilité et ceux relatifs aux personnes depuis 1985 jusqu'à 1993 s'avérant nécessaires pour l'analyse de certains éléments des plaintes.

1) Les critères généraux d'admissibilité

En 1985: L'un des critères généraux d'admissibilité veut que la personne qui formule une demande d'aide à l'habitation soit d'abord membre de la Bande des Montagnais du Lac Saint-Jean.

En 1986: Ce même critère d'admissibilité demeure en vigueur et y ajoutant: tout en respectant le moratoire émis par le Conseil.

En 1987: Le critère est modifié comme suit: Toute personne qui fait une demande d'aide à l'habitation doit être enregistrée sur la liste de bande de Mashteuiatsh avant le 17 avril 1985. (Souligné du tribunal)

En 1988: Le critère est à nouveau modifié pour se lire, jusqu'en 1993 inclusivement, comme suit: Toute personne qui fait une demande d'aide à l'habitation doit être enregistrée sur la liste de bande de Mashteuiatsh.

2) Critères quant aux personnes

En ce qui a trait aux critères quant aux personnes, de 1985 à 1993 ils sont demeurés les mêmes:

  1. Couple avec enfant(s) à charge;
  2. famille monoparentale avec enfant(s) à charge;
  3. couple sans enfant;
  4. personne seule.

Pour les fins d'application de ce critère, on applique, en 1985, le système de pointage suivant avec un maximum possible de 40 points:

1 adulte = 15 points 1 enfant = 5 points

En 1986, l'évaluation de ce critère est la même tout en précisant qu'aucun point n'est accordé si le conjoint ou la conjointe n'est pas enregistré(e) sur la liste de bande de Pointe-Bleue.

En 1987, tout en conservant le maximum possible de 40 points, le système

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d'évaluation est modifié ainsi:

Adulte = 10 points Enfant = 5 points

N.B. Lorsque le conjoint ou la conjointe n'est pas enregistré(e) sur la liste de bande de Mashteuiatsh, aucun point ne lui est accordé.

En 1988, le maximum possible demeure à 40 points. Cependant, le mode d'évaluation est de nouveau modifié.

Adulte = 15 points - maximum 30 points Enfant = 2 points - maximum 10 points

En 1989, le système d'évaluation est maintenu mais avec un ajout:

Supplément pour les familles: Un supplément est accordé de trois (3) points par enfant pour le premier et le deuxième et de 5 points par enfant à partir du troisième enfant.

En 1990, des amendements sont de nouveau apportés au système d'évaluation. Le maximum passe de 30 à 61 points et se répartit comme suit:

Adulte = 15 points - maximum 30 points Enfant = 1er et 2e = 5 points chacun 3e, 4e et 5e = 7 points chacun maximum 31

Le critère quant à la situation du logement est amendé pour la personne demeurant sur la réserve car l'évaluation passe de 60 à 50 points.

Ces critères amendés en 1990 sont demeurés inchangés en 1991, 1992 et 1993. Il fut toujours maintenu de ne pas accorder de points au conjoint ou conjointe non-membre de la bande.

Au cours de l'année, les personnes désirant se prévaloir des programmes d'aide à l'habitation doivent soumettre au comité d'habitation une demande écrite à l'aide d'un formulaire d'application contenant les informations pertinentes permettant d'appliquer les conditions d'admissibilité et les critères de sélection. Depuis 1989, le candidat doit spécifier pour quel programme s'adresse sa demande. La date limite d'application est annoncée par avis public dûment affiché. L'applicant reçoit, lors du dépôt de sa demande, les informations sur les différents critères de sélection. Le comité d'habitation analyse chacune des demandes pour en vérifier l'admissibilité et en faire la sélection suivant les critères établis et ce, à l'intérieur de chaque programme.

Une fois les conditions d'admissibilité rencontrées, le nombre de points obtenus en vertu des critères de sélection détermine la priorité des candidats se qualifiant à l'intérieur de chaque programme en tenant compte du nombre d'unités prévues suivant le budget obtenu.

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En cas d'égalité dans le pointage des candidats, le comité d'habitation fixe l'ordre de priorité suivant le nombre de demandes antérieures formulées par ces candidats et, si l'égalité persiste, suivant la date d'application de ces candidats.

La liste des personnes retenues pour chaque programme demeure en vigueur pour l'année pour le cas où les personnes choisies ne pourraient répondre à toutes les conditions d'un programme ou si des budgets supplémentaires étaient alloués.

Le comité d'habitation soumet à l'intimé la liste des candidatures retenues pour chacun des programmes et celui-ci l'approuve sans y apporter de modifications.

Le 21 janvier 1988, la plaignante tentait à nouveau d'obtenir de l'intimé l'octroi d'une maison (Pièce C-33 (9)) et, le 28 janvier 1988, l'intimé en accusait réception. (Pièce C-33 (10))

Le moratoire étant terminé, le Conseil des Montagnais du Lac St-jean avisait la plaignante, le 14 avril 1988, que sa demande n'était pas retenue parce qu'elle ne rencontrait pas les critères de sélection des candidats pour le programme de construction de maisons.

A chaque année par la suite et jusqu'en 1993 inclusivement, Mme Louise Philippe a formulé une demande d'aide à l'habitation essuyant constamment un refus toujours basé sur le fait que les critères de sélection ne lui permettaient pas d'obtenir suffisamment de points vu le nombre de candidats inscrits et d'unités d'habitation disponibles à chaque année. En 1993, elle demeurait au 13e rang sur la liste d'attente.

Le tribunal se doit d'analyser, dans un premier temps, si la preuve démontre à première vue que les critères de sélection établis par l'intimé depuis 1986 étaient discriminatoires au motif qu'aucun point n'était accordé pour un enfant (Souligné du tribunal) d'une femme montagnaise ayant retrouvé son statut d'indienne et de membre de la bande suite à l'adoption de la Loi C-31.

La Loi sur les Indiens (Loi C-31) prévoyait qu'un délai de deux (2) ans à compter de son adoption le 28 juin 1985 était accordé à un conseil de bande qui pouvait décider si les enfants de la femme C-31 restatuée deviendraient membres de la bande et, qu'à l'expiration de cette période, à défaut de règles d'appartenance fixées par un conseil de bande, les enfants de première génération de la femme indienne restatuée deviendraient membres de la bande par l'effet de la Loi.

Ainsi, jusqu'au 27 juin 1987, les enfants d'une femme montagnaise restatuée n'étaient pas membres de la bande des Montagnais du Lac St-Jean puisque cette dernière n'avait pas adopté de règles d'appartenance.

Au cours de cette période, l'intimé n'a pas commis d'acte discriminatoire à l'endroit de la plaignante puisque, de par l'effet de la loi, les enfants de la femme C-31 n'étaient pas membres de la bande. En outre, les

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dispositions de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la per- sonne stipulent:

"La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette Loi."

A compter de 1988, la preuve démontre, et plus particulièrement la pièce I- 24, que les critères de sélection accordent des points à l'enfant dont la mère est indienne et membre de la bande des Montagnais du Lac St-Jean sans aucune exception.

Comme aucune preuve n'établit que l'intimé n'a commis d'acte discriminatoire à l'endroit de la plaignante en n'accordant pas de point dans ses critères de sélection à un enfant d'une femme C-31, cette partie de la plainte doit être rejetée.

Dans un deuxième temps, il y a lieu d'examiner si la preuve démontre qu'à première vue les critères de sélection établis par l'intimé depuis 1986 étaient discriminatoires au motif qu'aucun point n'était accordé pour un conjoint (Souligné du tribunal) d'une femme montagnaise ayant retrouvé son statut d'indienne et de membre de la bande suite à l'adoption de la Loi C- 31.

Il a été démontré par une longue preuve testimoniale et documentaire (Pièce I-24) de quelle façon les critères de sélection ont été observés pour l'admissibilité des candidats aux programmes d'aide à l'habitation et ce, sans qu'il ne soit accordé de points au conjoint non-membre de la bande.

Les critères de sélection mentionnent que dans le calcul du pointage le conjoint ou la conjointe du candidat n'obtient pas de point s'il n'est pas membre de la bande.

Le Conseil de Bande impose une règle neutre en ce sens qu'elle s'applique à tout conjoint ou conjointe d'un membre de la bande et non pas uniquement au conjoint d'une femme C-31.

L'étude des critères de sélection et ses amendements au cours des ans démontrent qu'on augmente le nombre de points suivant le nombre d'enfants. Le but visé apparait clairement: soit de permettre aux familles nombreuses d'accéder prioritairement aux programmes d'habitation sociale de l'intimé et non pas de brimer la femme C-31 en n'accordant pas de point à son conjoint.

Le tribunal conclut que la plaignante n'a pas démontré que le Conseil de Bande a commis un acte discriminatoire lorsqu'il n'accorde pas de point au conjoint de la femme C-31 dans l'application de ses critères de sélection et il rejette ce volet de la plainte de Dame Louise Philippe.

C) PLAINTE DE MARIE-JEANNE RAPHAEL

Dame Marie-Jeanne Raphaël déposait, le 28 février 1987, auprès de la

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Commission des droits de la personne, une plainte qui se lit comme suit: (Pièce C-16)

Le Conseil des Montagnais du Lac St-Jean discrimine contre moi et mes enfants mineurs, Lucie, Roland, Nancy, Stéphane, Stéphanie et Candide Gagnon en exigeant que nous quittions le logement que nous habitions au 339, rue Mahikan, Pointe-Bleue (Québec), GOW 2H0, en refusant l'admission de ceux-ci à l'école de la Réserve et en exigeant que je paie pour leur transport scolaire à l'école secondaire de la ville voisine de la Réserve en vertu de mon sexe et de mon état matrimonial, et ce en contravention de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette exigence du Conseil de Bande de quitter mon logement me fut spécifiquement signifiée en personne par Madame Danielle Paul, agent à l'habitation pour le conseil des Montagnais dans les bureaux du Conseil de Bande en présence du propriétaire de mon logement, Monsieur Jean-Marc Raphaël dans l'avant-midi du 5 septembre 1986. Monsieur Raphaël qui est mon fils majeur avait un engagement à l'extérieur de la réserve pour tout l'hiver et il m'a cédé le droit d'occuper sa maison durant tout le temps de son absence. Le Conseil de Bande fondait l'autorité de son exigence dans le fait qu'il a endossé l'hypothèque de la maison de mon fils.

Le refus de l'admission de mes enfants mineurs Nancy, Stéphane, Stéphanie et Candide Gagnon à l'école de la Réserve me fut spécifiquement signifié verbalement par Monsieur Claude Pednault, directeur de l'école de la Réserve agissant au nom du Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean, le tout en présence de ma fille majeure, Cécile Gagnon, dans le bureau de direction de l'école de la Réserve dans l'avant-midi du lundi, 8 septembre 1986. A ce moment-là je résidais dans la maison de mon fils majeur, Jean- Marc Raphaël au 339, rue Mahikan, Pointe-Bleue (Québec), GOW 2H0.

Cette exigence du Conseil du paiement du transport scolaire pour mes enfants mineurs Lucie, Nancy et Roland Gagnon me fut spécifiquement signifiée par téléphone par monsieur Denis Gill, directeur de l'éducation pour le Conseil de Bande, lors d'une conversation téléphonique tenue avec moi le ou autour du 17 septembre 1986. A ce moment-là je résidais dans la maison de mon fils majeur, Jean-Marc Raphaël au 339, rue Mahikan, Pointe-Bleue (Québec), GOW 2HO.

Je crois que ces exigences et refus du Conseil de Bande à ce que je quitte mon logement sur la réserve que je paie le transport scolaire et de refuser mes enfants à l'école de la réserve sont basés sur le fait que je me suis mariée avant le 17 avril 1985 à une personne qui n'était pas membre de ma Bande. Or, les hommes, membre de la Bande qui avant le 17 avril 1985 ont marié des non- membres ne se font pas exiger de quitter leur logement sur la réserve, ou de payer le transport scolaire ou encore leurs enfants sont admis à l'école de la réserve par le Conseil de

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Bande d'où ma plainte de discrimination fondée sur le sexe et l'état matrimonial.

Fait à Pointe-Bleue Québec le 12 février 1987

Marie-Jeanne Raphaël Denis Gagnon Louise Philippe Signature de la plaignante Témoin de la signature

Si c'est le cas, lu au (à la) plaignante par Robert Labbé le 12 février 1987

Dès le début de l'audition de cette plainte, le procureur de l'intimé a soumis une requête en irrecevabilité sur deux (2) aspects de la plainte et basée sur l'autorité de la chose jugée.

Requête en irrecevabilité et décision

Le procureur de l'intimé a soutenu que les volets de la plainte de Dame Marie-Jeanne Raphaël quant au refus du Conseil des Montagnais du Lac St- Jean d'admettre à l'école de la Réserve de Pointe-Bleue ses enfants mineurs Lucie, Roland, Nancy, Stéphane, Stéphanie et Candide Gagnon et quant à son exigence que la plaignante assume elle-même le coût du transport scolaire de ses enfants pour fréquenter l'école secondaire en dehors de la Réserve de Pointe-Bleue étaient irrecevables puisqu'ils avaient fait l'objet d'une décision d'un Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Louise Courtois et Marie-Jeanne Raphaël et le Ministère des Affaires Indiennes et du Nord-Canada (C.T. 2-403) et que, par conséquent, il y avait déjà eu chose jugée.

Le tribunal a entendu l'argumentation de chacun des représentants des parties et étudié en délibéré la décision précitée. Pour les motifs exposés oralement et qui apparaissent aux pages 1550 à 1560 des notes sténographiques, qu'il n'y a pas lieu de reprendre en entier, le tribunal a accueilli, en application de la théorie de l'autorité de la chose jugée, la requête en irrecevabilité de l'intimé.

En conséquence, les deux (2) aspects de la plainte ci-avant décrits sont rejetés.

Le tribunal doit donc statuer sur la prétention de la plaignante qu'elle fut évincée par le Conseil des Montagnais du Lac St-Jean du logement de son fils qu'elle occupait sur la Réserve de Pointe-Bleue.

Dame Marie-Jeanne Raphaël est une indienne, née le 28 avril 1941, au Lac à Jim, où son père possédait un droit de chasse et de trappe sur un terrain. Elle a habité à cet endroit, sous la tente, pendant vingt (20) ans en compagnie de ses parents. Elle ne se rendait à la Réserve de Pointe-Bleue que pendant quelques mois au cours de la période estivale et séjournait

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sous la tente car ses parents n'y avaient point de résidence.

La vie constante en forêt l'a empêchée de fréquenter l'école. Avant son mariage, la plaignante avait eu deux (2) enfants nés d'un père indien soit Jean-Marc, né le 7 février 1959 et Jacob, né le 3 mars 1961. (Pièce C-18)

En 1961 ou 1962, elle a épousé M. Rosario Gagnon, un non indien et elle a perdu son statut d'indienne et de membre de la bande des Montagnais du Lac St-Jean comme le voulait alors la Loi sur les Indiens.

Suite à son mariage, elle a continué à vivre en forêt et, de son union avec M. Rosario Gagnon, elle a eu neuf (9) enfants. (Pièce C-18) Lorsque ses enfants ont commencé à fréquenter l'école, soit en 1966 approximativement, elle est revenue sur la Réserve de Pointe-Bleue. En 1979, elle obtenait son divorce d'avec son mari.

En 1982, elle est allée habiter dans un logement à Notre-Dame-de-la-Doré et, au cours de l'année 1983, elle s'est rendue vivre à St-Prime où elle a résidé successivement dans deux (2) logements.

Avec l'adoption de la Loi C-31, Dame Marie-Jeanne Raphaël a formulé une demande d'inscription le 19 septembre 1985 et elle fut réinscrite comme indienne et membre de la bande des Montagnais du Lac St-Jean le 10 octobre 1986. Ses enfants ont également obtenu leur statut d'indien. (C-31)

Au cours de l'été 1986, la plaignante fut avisée que la maison qu'elle occupait avait été vendue et qu'elle devrait quitter les lieux parce que des réparations s'imposaient.

A cette époque, son fils, Jean-Marc Raphaël, vivait avec sa femme et ses trois (3) enfants sur la Réserve de Pointe-Bleue dans une maison louée du Conseil des Montagnais du Lac St-Jean dans le cadre de son programme d'habitation appelé programme 56.1 et, au coût mensuel de 200 $. (Pièce C-23) En août 1986, Jean-Marc Raphaël se préparait à quitter sa demeure avec sa famille de septembre à avril pour se rendre faire la chasse sur la Réserve OBEDJIWAN où ses beaux-parents disposaient d'un territoire de chasse.

Comme sa mère était sans logis et qu'il désirait une présence à son domicile pendant son absence, Jean-Marc Raphaël a invité celle-ci a venir s'établir chez lui avec ses sept (7) enfants. Même si la maison ne disposait que de deux (2) chambres à coucher au sous-sol et deux (2) chambres au rez-de-chaussée, il appert qu'on pouvait s'accommoder de ces espaces pour y vivre même tous ensemble car les enfants pouvaient coucher par terre.

Elle devait conduire ses enfants depuis la réserve jusqu'à la route de St- Prime pour qu'ils empruntent le transport scolaire jusqu'à St-Félicien. La plaignante a aménagé chez son fils avec ses enfants qui devaient fréquenter l'école hors réserve parce qu'ils n'étaient pas membres de la bande. Au début de septembre 1986, son fils lui a remis le montant nécessaire au paiement du loyer. Elle s'est rendue au bureau de l'agent à l'Habitation,

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Mme Danielle Paul pour lui remettre l'argent.

Mme Danielle Paul a refusé de prendre le montant et lui a dit: (Volume 11, page 1635) Elle m'a dit que je n'avais pas le droit de rester là parce que c'est une maison pour les amérindiens.

Dans son témoignage, Mme Danielle Paul a prétendu ne pas se souvenir précisément de cette rencontre, mais qu'elle a dit à la plaignante qu'elle devait quitter le logement de son fils en raison du moratoire.

La plaignante en a informé son fils qui lui a suggéré de demeurer quand même chez lui et il est parti à la chasse. Elle est demeurée dans la maison pendant deux (2) mois jusqu'à ce qu'elle trouve un logement. Entre-temps, son fils était revenu de la chasse avec sa femme et ses enfants pour des raisons personnelles.

Par ailleurs, elle s'est adressée au chef du Conseil de Bande, Armand Noé Germain, avec lequel elle pouvait discuter puisqu'il parlait la langue montagnaise et celui-ci lui a dit: (Volume 11, page 1640)

On n'a même pas le droit de te donner même pas une tente parce que toutes les femmes qui ont marié des Blancs se font envoyer dehors. De te donner même pas une tente. Parce que les femmes qui ont marié des Blancs sortent de la réserve.

En octobre 1986, elle a loué, à raison d'un paiement mensuel de 250 $, sans compter le coût de l'électricité et du chauffage, une maison à St-Prime (Pièce C-19) facilitant ainsi le transport de ses enfants à l'école.

En septembre 1987, elle est allée vivre à St-Félicien dans un immeuble à logement à prix modique appelé Habitat Métis du Nord et géré par la Corporation Waskahegen. (Pièce C-22)

Finalement, en décembre 1989, elle est revenue sur la Réserve de Pointe- Bleue pour occuper un logement du Conseil de Bande des Montagnais du Lac St-Jean. (Pièce I-10)

Il a été établi de toute évidence que Dame Marie-Jeanne Raphaël a dû quitter la Réserve de Pointe-Bleue parce qu'elle était une femme C-31 visée par le moratoire et que l'intimé a refusé de lui permettre de vivre sur la Réserve de Pointe-Bleue alors qu'elle y avait droit.

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D) PLAINTE DE DAME NELLIE CLEARY

Le 2 novembre 1987, Dame Nellie Cleary déposait à la Commission canadienne des droits de la personne la plainte suivante: (Pièce C-1, Onglet D- Document 1)

Le Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean discrimine contre moi en me refusant la permission de construire une maison ou d'installer une remise sur un terrain m'appartenant sur la Réserve en vertu de mon sexe et de mon état matrimonial et ce, en contravention de l'article 6 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. J'ai fait une demande de construire le 19 janvier 1987 et ai reçu une lettre du 29 janvier 1987 dans laquelle le Conseil de Bande m'informait qu'il refusait de considérer ma demande. J'ai aussi fait la demande d'une permission pour installer une remise sur mon terrain en avril 1987 et cette demande fut refusée par lettre datée du 30 avril 1987 et signée par Jean-Claude Paul, contremaître du Conseil de Bande.

Le Conseil discrimine également contre moi en interdisant, et ce, par lettre datée du 27 mai 1987, que mon concubin non-indien puisse partager avec moi le logement que je loue du Conseil de Bande.

Le Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean discrimine aussi contre moi en refusant de continuer à m'employer en vertu de mon sexe et de mon état matrimonial et ce, en contravention de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. J'ai travail]é comme animatrice au Refuge (centre de toxicomanie de la Réserve) du 21 août 1985 au 4 juillet 1986 alors qu'on m'a avisée que je devais être mise à pied à cause d'un manque de fonds et qu'on me rappellerait. Or, je n'ai pas été rappelée et on a engagé à l'intérieur d'une période de deux semaines, une personne non-sujette à la Loi C-31 pour me remplacer et ce, de façon permanente. Je crois que ces refus du Conseil de Bande sont basés sur le fait que je me suis mariée avant le 17 avril 1985 avec une personne qui n'était pas membre de ma Bande. Or, les hommes, membres de la Bande qui, avant le 17 avril 1985, ont marié des non-membres, ne se font pas refuser des permis de construction ou d'installation, non plus d'emploi ou de cohabitation avec des concubines non-indiennes d'où ma plainte de discrimination fondée sur le sexe et l'état matrimonial.

Fait à Pointe-Bleue, Québec le 2e jour de novembre 1987

Nellie Cleary Louise Philippe Signature de la plaignante Témoin de la signature

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Dame Nellie Cleary a vu le jour le 3 avril 1929 sur la Réserve de Pointe- Bleue et elle est d'origine indienne. A l'âge de 15 ans, elle a quitté la réserve pour aller habiter avec ses parents à Jonquière.

En 1947, elle a épousé Fernand Gagnon avec lequel elle a vécu jusqu'en 1957. En raison de son mariage avec un Blanc, elle a perdu son statut d'indienne et de membre de la Bande des Montagnais du Lac St-Jean.

Elle a résidé successivement à Jonquière, Chicoutimi, Sept Iles, Baie-James et Larouche pour revenir sur la Réserve de Pointe-Bleue en 1985 où elle occupe un logement dans un immeuble de 31 logements, propriété du Conseil de Bande et appelé Domaine Kateri.

Suite à l'adoption de la Loi C-31, la plaignante fut inscrite au Registre des Indiens tenu par le MAINC comme indienne et membre de la Bande des Montagnais du Lac St-Jean le 26 novembre 1986. (Pièce C-31)

1- Refus du Conseil de Bande d'accorder un permis de construction d'une maison à la plaignante parce qu'elle était une femme C- 31

Le 19 novembre 1986, Mme Cleary a acquis de Jean-René Cleary, son frère, la totalité du lot 3-4-7 du rang A, réserve de Mashteuiatsh. (Pièce C-1 - Onglet D - Document 2)

Le 15 janvier 1987, la plaignante s'adressait à l'intimé comme suit: (Pièce P-6)

Pointe-Bleue, 15-1-87 Conseil Montagnais Pointe-Bleue

Monsieur,

Par la présente, je veux vous demander si je peut me bâtir sur mon terrain. Je sais que l'on a des fonts pour nous des C-31.

Merci de votre collaboration.

Bien à vous,

NELLIE CLEARY No. bande 3510 408, rue Amishk # 208 Pointe Bleue GOW 2HO Tél: 275-0564

La demande, telle que formulée, pouvait porter à confusion. En effet, s'agissait-il d'une simple demande de permis de construction ou d'une demande de permis de construction assortie d'une demande de subvention?

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L'intimé a opté pour la seconde interprétation et, sous la signature de Dame Danielle Paul, il lui adressait, le 29 janvier 1987, la réponse suivante: (Pièce C-1, Onglet D - Document 3)

Pointe-Bleue, le 29 janvier 1987

Madame Nellie Cleary 408, rue Amishk App. no. 208 Pointe-Bleue, GOW 2HO

Madame,

Nous accusons réception de votre lettre en date du 19 janvier 1987 concernant votre demande de construction selon les programmes d'aide pour les personnes touchées par la Loi C-31.

Nous tenons à vous préciser que le moratoire émis par le Conseil de Bande est en vigueur présentement, et ce tant et aussi longtemps que le Code d'Appartenance ne sera pas défini.

Cependant, nous conservons votre demande en dossier et dès que nous pourrons vous donner une réponse nous vous contacterons.

Bien à vous,

Danielle Paul Agent à l'Habitation pour/Conseil des Montagnais Pointe-Bleue.

Il ressort de cette lettre, qu'à toutes fins utiles, le service demandé par la plaignante lui était refusé en raison du moratoire.

Suite à ce refus, Dame Nellie Cleary a rencontré M. Réal Paul, responsable au secteur de l'habitation, pour obtenir la permission de construire une remise sur son terrain, permission qui lui fut accordée. (Volume 8, page 1188)

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Comme la volonté de la plaignante était tout autre, elle s'est empressée de débuter la construction d'une bâtisse qui revêtait les caractéristiques d'une maison ou d'un chalet plutôt que celle d'une remise puisqu'elle avait des dimensions de 20 pieds par 24 pieds.

Le 30 avril 1987, M. Jean-Claude Paul, responsable des travaux publics pour l'intimé, avisait la plaignante qu'elle ne pouvait obtenir un permis de construction d'un garage, d'une remise ou autres en raison du moratoire et qu'il y serait donné suite dès que possible. (Pièce C-43)

Cependant, Dame Nellie Cleary a complété la construction extérieure de la bâtisse sans toutefois procéder à la finition intérieure comme maison d'habitation car, le 21 mai 1987, M. Jean-Claude Paul l'avisait de cesser immédiatement les travaux en cours parce que, procédant à la construction d'une battisse estimée à un coût supérieur à 1 000 $, elle se devait d'obtenir un permis de construction et soumettre à l'intimé les plans de construction pour qu'il soit procédé à une évaluation complète des travaux à exécuter. (Pièce C-8)

Cette exigence découlait des dispositions des articles 3.2 et 3.3 du règlement 29 sur la construction adopté par l'intimé le 17 juin 1985 et dûment enregistré au MAINC le 25 novembre 1985 conformément au paragraphe 82 (2) de la Loi sur les Indiens.

Sur réception de cet avis, Dame Nellie Cleary n'a pas répondu aux exigences de l'intimé, ni après l'expiration du moratoire et, en 1992, elle a cédé son terrain à sa fille.

Les faits mis en preuve indiquent prima facie que l'intimé a agi d'une façon discriminatoire à l'endroit de la plaignante en refusant de lui fournir un service qu'il dispensait et qu'elle était bien fondée d'exiger.

2- Refus du Conseil de Bande de maintenir l'emploi de la plaignante au Centre-Dépannage Le Refuge parce qu'elle était une femme C-31

Au cours de l'année 1984, le Conseil des Montagnais du Lac St-Jean décidait de la création d'une politique de gestion autonome en matière de services communautaires. A cette fin, il constituait, le 20 mai 1985, la Commission des Services Communautaires avec laquelle intervenait un protocole d'entente. (Pièce P-28)

Les éléments pertinents de cette entente se décrivent comme suit:

Préambule

2. La Commission des Services Communautaires est constituée afin de permettre à la population de prendre en charge ses propres services communautaires, de regrouper, mettre en commun et coordonner les ressources humaines, physiques et financières des différents intervenants, tout en assurant une saine gestion du Centre des services communautaires.

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L'article V de ce protocole définit les pouvoirs généraux de la Commission:

En vertu du principe d'autonomie en matière de gestion des services communautaires et ayant reconnu la Commission comme étant l'organisme responsable de la gestion de l'équipement et de l'ensemble des activités reliées aux domaines de la santé, du socio-communautaire et des loisirs, le Conseil de Bande convient de doter cet organisme de tous les pouvoirs nécessaires afin qu'il puisse atteindre les buts pour lesquels il est constitué (Souligné du tribunal) et afin qu'il puisse assumer ses responsabilités.

Les paragraphes B) et C) de cet article V viennent préciser les pouvoirs de la Commission:

B) Établir ses propres politiques, procédures, méthodes et règles régissant l'utilisation des ressources humaines, financières, physiques ou matérielles sous sa responsabilité;

C) Gérer les ressources humaines affectées à l'opération du Centre des services communautaires ainsi qu'aux différents services, programmes ou projets y étant regroupés: recrutement, embauche, supervision, rémunération, évaluation, conditions de travail ...

La Commission des Services Communautaires, dans l'exercice des pouvoirs conférés par l'intimé, avait créé un service d'aide en toxicomanie appelé Centre-Dépannage Le Refuge afin de venir en aide aux membres de la communauté aux prises avec des problèmes de consommation de drogue ou d'alcool.

Mme Nellie Cleary avait postulé pour un poste d'animatrice au Refuge. Elle estimait être en mesure de remplir la fonction puisqu'elle était elle-même une alcoolique ayant cessé de consommer depuis 18 ans.

Après avoir obtenu une entrevue avec les membres du jury chargés du choix de la personne possédant les qualifications requises pour remplir la fonction, sa candidature fut retenue. Elle fut avisée le 22 août 1985. (Pièce C-9)

A cette même date, elle signait un contrat de service avec la Commission des Services Communautaires comme animatrice au Centre-Dépannage Le Refuge. (Pièce C-11) Ce contrat était d'une durée déterminée de 11 mois, soit du 26 août 1985 au 4 juillet 1986 et il pouvait être renouvelé du consentement des deux (2) parties et aux mêmes conditions. La rémunération était de 280 $ par semaine. Ce contrat stipulait également que l'une ou l'autre des parties pouvait y mettre fin sur préavis écrit d'au moins quinze (15)jours civils.

Bien que la plaignante ait rempli ses fonctions d'animatrice avec un très grand sens des responsabilités et de jugement (Pièce C-13), la Commission des Services Communautaires l'avisait, le 20 juin 1986, que son contrat ne serait pas renouvelé en raison des difficultés de financement du Centre-

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Dépannage Le Refuge. (Pièce C-13)

Toutefois, ce n'est que le 18 février 1987 que Dame Nellie Cleary écrivait à la Commission des Services Communautaires pour connaître les motifs de la perte de son emploi. (Pièce C-14)

Le 24 février 1987, la Commission des Services Communautaires informait la plaignante qu'elle avait dû mettre fin à son emploi pour des motifs d'ordre financiers aucunement reliés à la Loi C-31, ni au moratoire décrété par le Conseil de Bande. (Pièce C-15)

De plus, la Commission lui expliquait que le maintien d'emploi à temps partie] d'une autre animatrice reposait sur sa compétence de communication en langues montagnophobes, selon la politique en vigueur.

Il est opportun de rappeler que le 25 mai 1985, l'intimé avait imposé un moratoire sur l'application de la future Loi C-31 concernant les services d'habitation, le droit de résidence et d'emploi, moratoire qui fut extensionné à tous les services le 28 septembre 1985 suite à l'adoption de la Loi C-31 le 28 juin 1985.

Il est curieux de constater que la plaignante fut embauchée le 26 août 1985 par la Commission des Services Communautaires comme animatrice au Centre- Dépannage Le Refuge même si elle était directement concernée par le moratoire et, par surcroît, même si elle n'était pas inscrite comme indienne, ni membre de la bande des Montagnais du Lac St-Jean. Son inscription fut portée au Registre des Indiens le 26 novembre 1986. (Pièce C-31)

De plus, son contrat de travail prévoyait une période de probation de six (6) mois au cours de laquelle on pouvait y mettre fin si elle ne répondait pas aux exigences du poste. (Pièces C-9 et C-10) Il eut alors été facile pour l'intimé de mettre fin au contrat pendant cette période pour raison d'incompétence de la plaignante alors qu'on constate avoir procédé à l'embauche d'une C-31 non-réinscrite contrairement aux objectifs du moratoire, mais ce ne fut pas le cas.

Le contrat de travail était d'une durée déterminée. L'intimé n'avait aucune obligation de le reconduire à son expiration et les motifs du non- renouvellement sont justifiés.

Peut-on soutenir que le contrat de la plaignante ne fut pas renouvelé parce qu'elle était une femme C-31?

M. Edouard Robertson, directeur général de la Commission des Services Communautaires, dans la lettre du 24 février 1987 qu'il adressait à la plaignante pour lui fournir les explications pertinentes au non- renouvellement de son contrat, on peut lire: (Pièce C-15) Donc, votre départ n'est en rien relié à votre compétence ou aux effets du moratoire, mais bien parce que votre contrat prenait fin.

Le tribunal croit que les motifs fournis pour justifier le non-

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renouvellement du contrat de Dame Nellie Cleary ne reposent pas sur le fait qu'elle était une femme C-31.

Interrogée quant à l'allégation de sa plainte qu'elle était une femme C-31, Dame Nellie Cleary s'exprime ainsi: (Volume 9, page 1255)

Q. Alors, pourquoi pensez-vous que c'est parce que vous êtes une C-31, qu'on a mis fin a votre contrat de service? Pourquoi est-ce que vous pensez cela?

R. Je le sais pas, moi, les raisons, parce que j'ai toujours eu à coeur mon ouvrage. Pour moi, je le sais pas.

Dans la lettre qu'elle transmettait à la Commission des Services Communautaires le 18 février 1987 (Pièce C-14), elle écrit:

Si j'ai attendu aussi longtemps pour le demander = c'est que je pensais que c'était temporaire = mais ce n'est pas le cas = non plus la Loi C-31 parce qu' il y a en qui sont encore en place.

Elle affirme également que Dame Chantal Kurtness, à la fois directrice et animatrice au Centre-Dépannage Le Refuge était également une C-31 et qu'elle n'a pas perdu son emploi. (Volume 9, page 1255)

Puis elle ajoute dans son témoignage: (Volume 9, page 1281)

Q. Dans ce que vous dites dans votre correspondance à M. Edouard Robertson c'est: Je le sais bien que c'est pas la Loi C-31; Chantal est là. C'est ça que vous dites?

R. Bien, c'est ça que, moi c'est ça dans ma tête.

La plaignante corrobore ainsi que le refus du maintien de son emploi au Centre-Dépannage Le Refuge ne résultait pas du fait qu'elle soit une femme C-31 et il y a lieu de conclure qu'elle ne fut victime d'aucun acte discriminatoire quant à ce volet de sa plainte qui doit être rejeté.

Pour le cas où il s'avérerait nécessaire de déterminer qui du Conseil de Bande des Montagnais du Lac St-Jean ou de la Commission des Services Communautaires était l'employeur de Dame Nellie Cleary, le tribunal entend se prononcer sur ce point.

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Le contrat de travail de la plaignante était intervenu avec la Commission des Services Communautaires qui en avait fixé la durée, déterminé les conditions et la rémunération qu'elle devait verser. La prestation de travail était fournie à un organisme, Centre-Dépannage Le Refuge, géré par la Commission des Services Communautaires et la relation de subordination employeur-employé était établie avec elle. Enfin, comme le démontre le protocole d'entente (Pièce P-28), la Commission des Services Communautaires était un organisme indépendant du Conseil de Bande des Montagnais du Lac St-Jean et c'est à l'endroit de la Commission des Ser- vices Communautaires que la plainte de Dame Nellie Cleary, pour refus du maintien de son emploi au Centre-Dépannage Le Refuge, aurait dû être portée.

3- Refus du Conseil de Bande des Montagnais du Lac St-Jean de permettre à la plaignante que son concubin non-indien continue de partager avec elle un logement qu'elle occupait et propriété du Conseil de Bande parce qu'elle était une femme C- 31.

En 1985, Dame Nellie Cleary est venue s'établir sur la Réserve de Pointe- Bleue. Elle raconte qu'un ami non-indien séjournait sporadiquement à son logement durant des périodes variant de 15 jours, trois (3) semaines et même jusqu'à un (1) ou deux (2) mois. Elle explique ainsi le motif pour lequel son copain ne demeurait pas en permanence chez elle: (Volume 9, page 1207) ... Je restais pas avec tout le temps. Je pouvais pas, parce que j'étais sur le bien-être; ça fait qu'on était guetté. J'aurais perdu mon bien-être.

En juillet 1986, l'intimé informait ses membres par avis public de la décision suivante: (Pièce C-1 - Onglet D Document 5)

AVIS PUBLIC

Le Conseil de Bande lors de sa réunion du 08 juillet dernier, considérant la pénurie de logements sur la réserve, décidait d'informer ses locataires en ce qui a trait au droit de résidence dans les logements lui appartenant.

A cet effet, les locataires ont été informés qu'un non-membre de la Bande n'est pas autorisé d'occuper ou de résider dans un des logements du Conseil sans avoir obtenu l'autorisation de ce dernier.

En conséquence, nous comptons sur la collaboration de nos locataires pour s'assurer du respect de la décision prise.

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Danielle Paul Agent à l'habitation pour/Conseil des Montagnais Pointe-Bleue

DP/jl.

Puis, au cours de la même période, un avis a été transmis à tous les locataires (Souligné du tribunal) occupant un logement propriété du Conseil de Bande: (Pièce C-1 - Onglet D - Document 5)

AVIS A TOUS LES LOCATAIRES

Suite à la réunion du Conseil de Bande en date du 08 juillet 1986, nous désirons vous informer que le Conseil de Bande a constaté que des non-indiens demeurent dans les logements du Conseil sans avoir obtenu une autorisation à cet effet. Le Conseil de Bande désire informer ses locataires et les occupants de ces logements que les personnes autre qu'un membre de la Bande ne sont pas autorisées d'occuper ou de résider sur une réserve indienne.

En conséquence, les locataires ne respectant pas cette exigence seront sujet à des mesures concrètes.

Danielle Paul Agent à l'habitation pour/Conseil des Montagnais Pointe-Bleue

DP/lf

Sur réception de cet avis, la plaignante a prié son ami non-indien de cesser définitivement ses séjours chez elle et il n'est jamais revenu.

Il ressort de la preuve entendue que, tant l'avis public que l'avis écrit transmis à tous les locataires, font état que toutes les personnes (Souligné du tribunal) habitant un logement propriété du Conseil de Bande, ne peuvent résider avec une personne non-membre de la bande et non pas spécifiquement les femmes C-31, voire même que l'événement soit survenu au cours de la période du moratoire.

Si l'intimé avait recherché d'empêcher une femme C-31 de demeurer avec une personne non-membre de la bande dans l'un de ses logements, eu égard au moratoire, à plus forte raison il aurait dû, dès l'entrée en vigueur du moratoire, exiger que Dame Nellie Cleary quitte son logement puisqu'elle n'était pas membre de la bande. Suivant le programme d'habitation la condition première d'admissibilité à occuper un logement propriété du Conseil de Bande était: d'être enregistré et membre de la Bande des

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Montagnais du Lac Saint-Jean. (Pièce C-44)

Or, la plaignante a été réinscrite comme indienne et membre de la bande le 26 novembre 1986. En outre, si tel avait été la volonté de l'intimé, il l'aurait exprimé à la plaignante aussi vertement qu'il l'a fait, comme il le fut démontré dans les cas de Dame Marthe Gill et de Dame Marie-Jeanne Raphaël.

En conséquence, la plaignante n'a aucunement démontré que l'intimé a posé un acte discriminatoire à son endroit en lui interdisant d'occuper avec un non-indien l'un de ses logements. La plainte de Dame Nellie Cleary sur ce point est rejetée.

2- PREUVE DE L'INTIMÉ

Il est de jurisprudence reconnue que, dès que les faits mis en preuve révèlent prima facie que l'intimé a posé à l'endroit des plaignantes un acte discriminatoire, le fardeau de la preuve est renversé et il lui appartient de démontrer, qu'en sa qualité de fournisseur de services, il en a privé les plaignantes pour des motifs justifiés, conformément aux dispositions de l'article 15 g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

L'intimé soutient que les plaignantes n'ont pas été privées d'un service mais que la fourniture de services a été suspendue pendant la durée du moratoire pour être rétablie à la fin de ce dernier. Cette prétention ne saurait être retenue. Si la fourniture de services a été suspendue pendant un certain laps de temps, elle a eu sûrement pour effet d'en priver les plaignantes lorsqu'elles les ont demandés.

Le procureur de l'intimé prétend que la suspension des services par un moratoire, suite à l'adoption de la Loi C-31, était justifiée pour les raisons suivantes:

  1. Suite à l'adoption de la Loi C-31, le MAINC n'était pas en mesure de fournir les explications et l'information pour en faciliter sa compréhension et permettre d'en mesurer les impacts sur les activités, les projets et les programmes mis en place par le Conseil de Bande.
  2. On craignait que de nombreuses personnes demandent d'être restatuées comme indienne et membres de la bande, comme le permettait la Loi C- 31, et le retour en masse des indiennes restatuées avec leur famille et possiblement leur conjoint de race blanche.

Tel qu'en font foi les statistiques de la population de la Bande des Montagnais du Lac St-Jean à compter de 1983 à 1993, le retour en masse des personnes restatuées ne s'est pas produit.

En outre, comme l'a reconnu dans son témoignage M. Jacques Cleary, alors gérant du Conseil de Bande, ce dernier a pris panique devant les effets possibles de l'entrée en vigueur de la Loi C-31 en décrétant un moratoire

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avant même l'adoption de la Loi C-31. (Volume 15, page 2322)

Le Président: Mais, Monsieur Cleary, dans le fond, les craintes qui se manifestaient, est-ce que ce n'était pas des craintes d'une ruée de personnes qui reviendraient sur la réserve en utilisant leur droit d'être restatuée, et que ça a causé, pour le conseil de bande, une espèce d'état de panique? Est-ce que j'ai raison d'affirmer ça?

Le témoin: C'est possible, Monsieur le Président. C'est possible.

C) On ignorait si les enfants de ces femmes C-31 deviendraient membres de la bande tant qu'une décision ne serait pas prise par les membres de la bande quant au Code d'Appartenance.

Cette prétention est sans fondement puisque le Conseil de Bande était conscient qu'il bénéficiait d'une période de deux (2) ans pour décider de ses règles d'appartenance et, à défaut, quelles en seraient ces règles de par la Loi C-31.

D) On s'interrogeait également à savoir si le MAINC mettrait à la disposition des conseils de bande les argents nécessaires pour permettre aux nouveaux venus de bénéficier de tous les services que leur conféreraient leur statut d'indien et de membres de la bande, tel que l'éducation, les loisirs, le territoire de chasse et de trappe, l'habitation.

Pourtant, la preuve a clairement démontré que ces fonds étaient disponibles. (Pièce I-13)

De plus, l'appréhension de ne pas être éventuellement en mesure de répondre aux services requis par les nouveaux membres de la bande pour des motifs économiques n'autorisait pas l'intimé à refuser de fournir ses services aux plaignantes. Dans l'affaire P.G. du Québec c. Service de Taxi Nord Est (1978) Inc. (C.S. Montréal 500-27-007533-849), L'Honorable Juge Tannenbaum déclare:

"Je trouve inconcevable que de nos jours l'on puisse justifier un acte discriminatoire fondé sur la couleur pour des motifs monétaires ou économiques."

Le tribunal ne retient pas les arguments de l'intimé pour justifier son refus de fournir les services requis par les plaignantes. Même si une loi peut soulever des points d'interrogation, on ne doit pas y déroger. Même s'il est difficile d'en mesurer les conséquences, il y a lieu de s'y sous- crire et de remédier aux embûches qu'elle peut susciter au moment où elles

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se présenteront.

Les motifs soulevés par l'intimé pour priver les plaignantes d'un service auquel elles avaient droit reposaient sur des appréhensions, des suppositions et des interrogations qui ne le justifiait pas de poser des actes discriminatoires à l'endroit des plaignantes.

Le tribunal entend également se prononcer sur la légalité du moratoire décrété par le Conseil de Bande.

Dans son volume intitulé Vocabulaire Juridique, l'Association Henri Capitant définit le terme moratoire comme suit:

Mesure législative exceptionnelle et temporaire, collective et objective (délai de grâce) intéressant une catégorie spéciale de débiteurs (ex: mobilisés) ou des dettes (ex: loyers) qui a pour objet d'accorder un délai de paiement, une suspension de mesures d'exécution forcée, etc ... en raison de circonstances sociales graves rendant difficile l'exécution des obligations (crise économique, état de guerre) pour une durée fixée par la loi (moratoire légal) ou laissée à la détermination du juge (moratoire judiciaire). Voir, terme.

Pour le procureur de l'intimé, cette définition cadre exactement dans la façon d'agir du Conseil de Bande qui a adopté une mesure légale à caractère exceptionnel car la Loi C-31 comporte les éléments exceptionnels et des circonstances sociales graves, soit l'expectative de la venue en masse de nouveaux membres dans la communauté et les services à leur fournir lesquels nécessitaient une mesure suspensive d'exécution de services pour une durée déterminée qui s'est étendue de 1985-1987.

Toutefois, il convient de préciser un élément fondamental de cette définition. Le moratoire est d'abord une mesure législative. Est-ce que le Conseil de Bande des Montagnais du Lac Saint-Jean avait le pouvoir de décréter un moratoire?

Les pouvoirs d'un Conseil de Bande sont définis aux articles 81-83 et 85 de la Loi C-31 et ils ne permettent pas à un Conseil de Bande de suspendre à son égard l'application de cette loi, ce que reconnait le procureur de l'intimé tout en soutenant que cette approche est très restrictive.

Il invoque plutôt une vision plus élargie des pouvoirs d'un Conseil de Bande et à l'appui de sa prétention, il réfère à l'affaire l'Alliance de la fonction publique du Canada et Francis et als et le Conseil canadien des relations du travail (1982 - 2. S.C.R., page 72) où la Cour suprême du Canada devait déterminer si un Conseil de Bande indienne est un employeur au sens du Code canadien du travail. L'Honorable Juge Maryland s'exprime ainsi, page 78:

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Le Conseil de Bande a été créé par la Loi sur les Indiens. Il a reçu le pouvoir d'établir des statuts et doit employer du personnel pour en assurer l'application. De fait, le conseil embauche des employés qui travaillent pour lui et qu'il paie. Dans ces circonstances, pour les fins du Code, je suis d'avis qu'on peut valablement dire qu'un conseil est un employeur au sens de cette loi. Ma conclusion trouve appui dans le par. 27 (7) de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, ch. I-23, qui dispose que les mots écrits au singulier comprennent le pluriel. Le mot personne dans le Code comprend par conséquent personnes. Le Conseil de Bande est un groupe de personnes désigné auquel les dispositions de la Loi sur les Indiens attribuent un rôle particulier.

Puis, dans l'affaire, Telecom Leasing Canada (TLC) Ltd v Enoch Indien Band of Story Plain Indian Reserve No: 135 (1994) 1, C.N.L.R., page 206, la Cour, tout en admettant qu'un Conseil de Bande n'a pas de façon explicite dans la Loi sur les Indiens le pouvoir de contracter, lui a reconnu ce pouvoir de contracter.

Par conséquent, pour le procureur de l'intimé cette approche plus libérale des pouvoirs d'un Conseil de Bande permettait à l'intimé d'imposer un moratoire en vertu de la Loi sur les Indiens de sorte que: par l'application de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Loi canadienne sur les droits de la personne serait sans effet sur une mesure prise en vertu de la Loi sur les Indiens. (Volume 30, page 4612)

Le tribunal ne peut souscrire à cette vision, dite élargie des pouvoirs d'un Conseil de Bande, car l'accepter serait reconnaître que quiconque pourrait se soustraire au respect d'une loi sous prétexte qu'elle est susceptible de lui causer des ennuis ou des contraintes dans son application et il conclut que les dispositions de la Loi C-31 ne confé- raient pas à l'intimé le pouvoir de décréter un moratoire suspendant son application.

Ainsi, les dispositions de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne sauraient trouver leur application.

Cette conclusion s'appuie également sur la décision Courtois et Raphaël et le ministère des Affaires indiennes et du nord canadien (C.H.R.R., Volume 11, Décision 41, Paragraphe 1-119, Mai 1990) où le Tribunal des droits de la personne a conclu que le moratoire décrété par l'intimé était illégal.

Subsidiairement, l'intimé soutient qu'il y aurait eu acceptation pour le moins du moratoire du 24 mai 1985 puisque, lors d'une rencontre avec l'Association des Montagnaises du Lac Saint-Jean en avril 1985, il avait fait part de son intention de décréter un moratoire d'un an sur l'habitation, le droit de résidence et l'emploi. (Pièce P-20)

Rien dans la preuve, tant testimoniale que documentaire, ne démontre que

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l'Association des Montagnaises du Lac Saint-Jean ait accepté ce moratoire.

Subsidiairement, si tel avait été le cas, une telle acceptation ne saurait lier les plaignantes qui n'y avaient pas consenti. En outre, un tel consentement, s'il avait été donné par les plaignantes, les auraient privées du droit de recevoir des services de l'intimé, droit reconnu par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Une entente de cette nature serait illégale et sans effet puisqu'elle irait à l'encontre de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui est une loi d'ordre public.

Dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink (1982) 2, R.C.S. 145, à la page 158, le Juge Lamer dit:

De plus, puisqu'il s'agit (Le Human Rights Code) de droit public et de droit fondamental, personne ne peut, par contrat, à moins que la loi ne l'y autorise expressément, convenir d'en écarter l'application et se soustraire ainsi à son champ de protection.

Relativement à la plainte de Dame Marthe Gill, le tribunal doit se prononcer à savoir si le refus de l'intimé de permettre à la plaignante d'être élue au Comité du Code d'Appartenance constituait un acte discriminatoire au sens de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

L'intimé soutient qu'il n'a pas dérogé à cette disposition sous prétexte que le droit d'être élu et de siéger au Comité du Code d'Appartenance n'étaient pas des services qu'il se devait de fournir à Dame Marthe Gill.

Le tribunal ne peut partager cette prétention. L'article 10 de la Loi C-31 permettait, dans les deux (2) ans suivant son adoption, à un Conseil de Bande, de déterminer les règles d'appartenance de ses effectifs avec l'approbation de la majorité de ses électeurs.

Pour vérifier la possibilité de réaliser cet objectif, le Conseil de Bande a décidé de mettre sur pied un Comité du Code d'Appartenance composé de dix (10) personnes dont cinq (5) qu'il choisissait et cinq (5) élues parmi les membres de la communauté.

Une fois cette décision prise, il se devait de ne priver personne du droit qu'il avait lui-même établi aux membres de la communauté d'être éligibles à siéger sur ce comité.

Le Conseil de Bande, à l'intérieur du pouvoir discrétionnaire dont il dispose était-il bien fondé de refuser à la plaignante d'être élue sur ce comité?

Dans l'arrêt British Columbia Council of Human Rights c. École des sciences de la famille et de l'alimentation de l'Université de la Colombie Britannique et Janice Berg et Commission des droits de la personne, la Cour suprême (1993) 2, R.C.S., page 353), sous la plume de l'Honorable Juge en

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chef Lamer, dispose de la question: (Page 392)

Il existe un principe fondamental de droit administratif selon lequel le pouvoir discrétionnaire dont est investi un fonctionnaire ou un organisme administratif ne saurait être exercé que pour des motifs valables. De même, dans le présent contexte, bien que l'existence d'un pouvoir discrétionnaire puisse signifier que la personne investie de ce pouvoir n'est nullement tenue de fournir les services ou les installations à quiconque en fait la demande, elle est sûrement obligée de prendre sa décision de manière non discriminatoire.

L'intimé allègue que ce refus était basé, en premier lieu, sur la recherche d'objectivité des membres de ce comité, critère auquel la plaignante ne répondait pas. Il ne fait aucun doute que le critère d'objectivité recherché était illusoire dans le contexte qui prévalait à l'époque. Pour certains, il était logique que les enfants de 1re génération des femmes C- 31 restatuées deviennent membres de la bande au même titre que leur mère, alors que pour d'autres une telle approche était inacceptable.

Ce refus de permettre à la plaignante d'être élue au Comité du Code d'Appartenance pour le motif ci-avant exposé n'était pas justifié et constituait un acte discriminatoire fondé sur une distinction illicite à l'endroit de Dame Marthe Gill.

En second lieu, l'intimé prétend que ce refus était justifié par le moratoire. Pour les raisons déjà exposées sur la légalité du moratoire, l'intimé n'était également pas justifié et commettait un acte discriminatoire à l'endroit de la plaignante en lui refusant d'être élue au Comité du Code d'Appartenance.

3- DOMMAGES

A) Naissance du droit aux dommages

Le refus par l'intimé de fournir aux plaignantes des services auxquels elles avaient droit a-t-il eu comme conséquence de leur causer des dommages suivant la preuve soumise?

Si tel devait être le cas, le procureur de l'intimé soulève qu'il y a lieu de connaître à quel moment est né le droit à des dommages matériels particulièrement dans les cas de Dame Louise Philippe, Dame Marie-Jeanne Raphaël et Dame Nellie Cleary.

Lorsque ces personnes ont requis des services auprès du Conseil de Bande, la condition première d'admissibilité à ces services était celle d'être enregistrée comme indien et membre de la Bande des Montagnais du Lac St- Jean et elles ne l'étaient pas.

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Au moment où Mme Louise Philippe formule une demande d'aide à l'intimé dans le cadre de son programme d'habitation, elle n'est pas membre de la bande car elle fut réinscrite comme indienne le 9 mai 1986 malgré sa demande de réinscription au Registre des Indiens tenu par le MAINC le 15 juillet 1985. (Pièce C-31) Le procureur de l'intimé soutient que le droit à des dommages est né suite au refus de l'intimé de donner suite à la même demande de la plaignante le 27 février 1987. (Pièce C-33(3))

En ce qui a trait à Dame Marie-Jeanne Raphaël, elle fut invitée à quitter la réserve en septembre 1986 alors qu'elle avait formulé sa demande de réinscription le 19 septembre 1985 et qu'elle fut réinscrite le 10 octobre 1986, (Pièce C-31) soit la date de la naissance pour elle du droit à des dommages.

Quant à Dame Nellie Cleary, il n'y a pas lieu de discuter de ce point eu égard à la décision rendue sur le bien-fondé de sa plainte concernant la perte de son emploi au Centre-Dépannage Le Refuge et le refus du Conseil de Bande de lui permettre d'occuper un logement propriété de ce dernier avec un concubin non-indien.

L'article 2 de la Loi C-31 définit le terme indien et le terme membre d'une bande.

Indien: Personne qui, conformément à la présente loi, est inscrite à titre d'indien ou a droit de l'être.

Membre d'une bande: Personne dont le nom apparaît sur une liste de bande ou qui a droit à ce que son nom y figure.

De plus, en vertu des articles 5 (5) et 8 (5) de la Loi C-31, le nom d'une personne est inscrit comme indien ou membre d'une bande que si une demande est formulée à cet effet.

Il est exact qu'au moment où Dame Louise Philippe et Marie-Jeanne Raphaël ont requis des services de l'intimé, leur nom n'apparaissait pas comme indienne et membre de la bande aux registres tenus à cette fin par le MAINC.

Cependant, elles avaient le droit d'être inscrites et en avaient dûment fait la demande.

L'auteur Jack Woodward, dans un article intitulé NATIVE LAW s'exprime ainsi: (Page 17)

Registration is a means by which an individual can provide evidence of his or her status as an Indian. It is entitlement to registration, and not actual registration, however, from which the rights of status Indian flow. Indeed, actual registration is of no assistance to someone who is not entitled to it. The Indian Act even provides that is no requirement that the name of a person entitled actually be registered, unless there is an

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application to have it registered. Actual registration serves primarily to identify the individual as an Indian for purposes outside the Indian Act.

Le tribunal conclut que même si les plaignantes, au moment de la demande de services auprès de l'intimé, n'étaient pas encore inscrites comme indiennes et membres de la bande, elles avaient droit de bénéficier de ces services d'autant plus quelles pouvaient prouver que, de par leur origine, elles avaient droit d'être reconnues comme indienne sans que leur nom apparaisse au Registre des Indiens. De plus, elles avaient formulé, avec diligence, leur demande; pour Dame Louise Philippe le 15 juillet 1985 et le 19 septembre 1985 pour Dame Marie-Jeanne Raphaël, soit quelques semaines après que la Loi C-31 ait reçu la sanction royale, soit le 28 juin 1985. Elles ne doivent pas subir un préjudice en raison d'un délai de 11 mois entre la demande et l'inscription lequel ne saurait leur être imputable.

B) Droits aux dommages matériels réels

1- Plainte de Dame Marthe Gill

a) Dommages résultant du défaut d'octroi d'un permis de construction

L'intimé soutient que la nature des services requis par Dame Marthe Gill consistait uniquement dans une demande de permis de construction et non pas dans une demande d'admissibilité au programme d'aide à l'habitation sociale ou au programme de la bande.

La preuve démontre que la plaignante s'est adressée à l'intimé le 16 décembre 1985 pour obtenir l'autorisation de se construire une maison: (Pièce C-2 (6))

Pointe-Bleue, le 16 décembre 1985

Mme Danielle Paul Agent à l'Habitation Conseil des Montagnais 151, rue Ouiatchouan Pointe-Bleue (Québec) GOW 2HO

OBJET: Construction d'une maison

Madame,

En rapport avec l'objet ci-haut mentionné, je vous demande par la présente l'autorisation de me construire une maison à la Pointe- Bleue. (Souligné du tribunal)

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Depuis déjà 25 ans, j'aurais souhaité que ce désir devienne réalité, j'espère que l'année 1986 sera mon année chanceuse pour réaliser tous ces désirs.

Je vous remercie de la considération que vous donnerez à ma demande.

Bien à vous,

Marthe Gill 176, rue Ouiatchouan Pointe-Bleue (Québec) GOW 2HO

De plus, dans sa plainte, elle allègue que Le Conseil des Montagnais du Lac St-Jean discrimine contre moi en refusant de m'octroyer un permis de construction. (Souligné du tribunal). Il n'est alors absolument pas question d'une demande d'aide financière.

Dans son témoignage, elle réitère que son objectif, le 16 décembre 1985, était d'obtenir un permis de construction. (Volume 3, pages 415 et 416)

Membre Mputu-Bijimine: Excusez-moi d'intervenir. J'avais une question pour compléter parce que je ne voudrais pas la perdre.

Madame Gill, si en 1986, au moment où vous avez demandé le permis, vous l'aviez obtenu, est-ce que vous auriez procédé à la construction sur le lot?

Le témoin: Absolument, parce que là j'aurais été en mesure d'aller chercher une aide. C'est ce que j'envisageais. (Souligné du tribunal) Je me suis dit en ayant mon numéro, en ayant le permis de construction, j'ai la terre de mon père, à ce moment-là j'aurais fait les démarches parce que j'étais bien positionnée pour le faire. J'aurais fait les démarches pour..aller chercher les subventions qui étaient allouées à ce moment-là. (Souligné du tribunal)

Membre Mputu-Bijimine: Indépendant des subventions, juste la possibilité de construire sur le lot qui est votre terre qui vous a été cédée.

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Le témoin: Sûrement, parce que c'était mon désir d'avoir une habitation avant de terminer ma carrière.

Le tribunal conclut que Dame Marthe Gill avait formulé à l'intimé une demande de permis de construction qui lui fut refusée en raison du moratoire et que la recherche d'une aide financière était la seconde étape à la réalisation de son rêve d'acquérir sa propre résidence.

L'intimé soutient que ce refus n'a causé aucun préjudice à la plaignante puisque, même en l'absence du moratoire elle n'aurait pu se voir accorder le permis convoité; sa demande ne rencontrait pas les conditions de forme d'une demande de permis de construction en regard du règlement no 29 concernant la construction et notamment la preuve de possession d'un terrain. (Pièce C-41) Le tribunal rejette cet argument parce que le refus d'octroyer le permis de construction requis par la plaignante reposait uniquement sur le moratoire et aucun autre motif ne fut retenu. (Pièce C-2 (7))

Le procureur de l'intimé reproche à la plaignante d'avoir adressé une seule demande de permis de construction et, malgré la réponse de l'intimé, de ne pas avoir formulé de demande subséquente.

Il aurait été inutile de formuler une demande, tant en 1986 qu'en 1987, en raison du moratoire. Si l'intimé avait accordé le permis de construction à la plaignante en donnant suite à sa demande en décembre 1985, celle-ci aurait pu formuler une demande d'aide financière à l'intimé par l'entremise du programme de financement du MAINC spécialement disponible pour les femmes C-31 et obtenir une maison dans le cadre du programme d'habitation de l'intimé.

Le tribunal en arrive à cette conclusion pour les mêmes motifs que ceux ci-après exposés lors de l'analyse des dommages réclamés en raison du refus de l'intimé de permettre à Dame Louise Philippe d'obtenir une maison par son programme d'habitation sociale.

En conséquence, Dame Marthe Gill réclame à l'intimé les paiements de son loyer de janvier 1986 jusqu'à septembre 1990 à raison de 250 $ par mois.

La preuve démontre que la personne admise au programme d'habitation sociale de l'intimé doit verser un loyer mensuel correspondant à 25% du revenu familial. En appliquant cette condition, il a été démontré que, pour la période qui nous intéresse, la plaignante aurait dû verser à l'intimé un loyer mensuel de 350 $, soit un montant supérieur au montant de 250 $ qu'elle a versé en paiement de son loyer.

Le tribunal en conclut que la plaignante n'a pas subi de dommages matériels suite au refus de l'intimé de lui accorder le permis de construction demandé le 16 décembre 1985.

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b) Dommages moraux

La preuve a démontré que Dame Marthe Gill était demeurée profondément affectée de la perte de son statut d'indienne lors de son mariage avec un Blanc. Elle fut parmi les premières femmes autochtones à participer et oeuvrer dans les mouvements féministes pour sensibiliser les autorités sur la situation de la femme indienne et de la femme indienne destatuée et ses enfants.

Ses efforts ont été récompensés par l'adoption de la Loi C-31 le 28 juin 1985.

Afin de pouvoir exercer les droits qui lui conféreraient son statut d'indienne et de membre de la bande des Montagnais du Lac Saint-Jean, elle s'est empressée de formuler, dès le 28 juillet 1985, sa demande de réinscription. Le 16 décembre 1985, à peine un mois après son inscription au Registre des Indiens le 13 novembre 1985, elle formule une demande de permis de construction car elle peut maintenant entreprendre les démarches pour réaliser son rêve de posséder sa propre résidence.

L'intimé lui a refusé ce permis de construction de même que son permis de chasse et d'être élue au Comité du Code d'Appartenance en raison du moratoire.

Dame Marthe Gill en fut profondément humiliée, vexée et fâchée et elle s'exprime ainsi: (Volume 2, pages 387 à 391)

Q. Est-ce que je comprends que les faits et gestes que vous reprochez, vous avez parlé ce matin qu'il a des éléments qui relèvent du législateur, il y a des éléments qui relèvent de la population, il y a également des éléments qui relèvent du Conseil de Bande.

Les reproches que vous adressez, est-ce que vous les adressez au Conseil de Bande qui était là en 1986-1987, ou si vous les reprochez également au Conseil de Bande qui ont suivi?

R. Encore là je trouve que votre question est à deux tranchants. Qui j'accuse? J'accuse personne, moi. J'accuse que moi, pour les trois plaintes que j'ai faites, au temps où je les ai faites c'est les gens qui étaient là qui étaient touchés par ça qui aurait dû réagir.

Comme j'ai dit j'étais Indienne reconnue officiellement, mes plaintes ne sont pas contre Pierre, Jacques, Jean. C'est qu'on m'a fait mal, on m'a détruite par ces trois points, les trois plaintes que j'ai déposées.

Je ne peux pas vous dire autre chose, de dire est-ce que c'est contre lui, est-ce que c'est contre elle. C'est pas

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contre personne, c'est contre ceux qui mont détruit à ce moment-là, mais je ne peux pas mettre de noms. Je ne suis pas là pour accuser les gens. Je suis là tout simplement pour dire qu'est-ce que moi j'ai vécu en ce temps-là des trois plaintes que j'ai déposées.

Je pense que j'ai été assez claire. Je ne voudrais pas recommencer à exposer ces choses-là.

Q. Je crois comprendre que même si vous aviez un permis de chasse en 1988, si vous aviez un permis de construction en 1988, la possibilité de siéger sur un comité d'appartenance en 1988, je pense que pour vous le problème est entier à ce stade-ci.

R. Absolument. Il est total, le problème, parce que les pots qu'on a cassés en 1986 et les tapes qu'on m'a données en me refusant de faire de l'information à mes frères et soeurs, ça m'a détruit, ça. Ce sont des choses que tu ne peux pas réparer quand tu brises une personne. C'est pas comme quand tu brises ton auto. Ton auto, tu vas aller la faire réparer. Mais je ne suis pas une auto, moi. Je suis une personne humaine.

Q. Je comprends, madame Gill, que vous avez été affectée par ces événements-là, mais je peux comprendre aussi que déjà cette opération de destruction datait de très longtemps par l'effet de droits, par l'effet de comportement d'individus. C'est exact de dire ça?

R. C'est exact, maître Lortie, parce qu'à ce moment-là il y avait la Loi sur les Indiens qui était discriminatoire.

Mais quand tu redeviens, que tu considères que t'es légal à partir du moment où moi je suis reconnue par la Loi et que là on me donne ces tapes-là, ça c'est pas digérable.

Q. Mais je comprends que vous n'avez jamais digéré les anciennes dispositions de la Loi sur les Indiens. Exact?

R. C'est exact. C'était des ...

Q. Vous n'avez même pas digéré la Loi C-31. C'est vrai?

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R. C'est vrai. C'est des choses ... il y a beaucoup d'anomalies, et je le reconnais. Mais les questions au juste à savoir qui, c'est pas qui, moi. C'est les événements.

Q. Vous comprenez, madame Gill, que le Conseil de Bande ne peut pas être le gardien de tout ça.

R. Non, je ne reconnais pas ça, monsieur. Quand j'étais dans des postes et on me donnait une responsabilité, je la prenais entièrement ou je me reculais. Alors moi je me dis à ce moment-là il y avait des responsabilités.

Moi, c'était clair, c'était simple ce que je demandais. Je demandais pas des millions. Je demandais un permis de construire. C'était facile pour eux. J'avais l'em- placement. C'était facile pour eux de dire, Marthe, je peux peut-être pas te le donner aujourd'hui, mais je vais prendre l'information, et on va répondre à ta demande, au lieu de me dire non, il y a un moratoire.

Le permis de chasse, c'est la même chose. On ne me le donne pas parce qu'il y a un moratoire. Et pourquoi ne pas accepter ma candidature? C'était pas de l'argent que je demandais, moi. C'était des choses vraiment, mais on m'a détruite, on m'a brisée, on ne m'a pas donné la possibilité d'atteindre mes buts comme être humain, d'avoir ma propre maison un jour. J'aurais été fière de ça. Mais je n'ai pas pu le faire.

Le tribunal croit les propos de la plaignante sur les conséquences morales qui l'ont affectée suite au refus de l'intimé de lui accorder les services auxquels elle avait droit. Le tribunal fixe à 5 000 $ l'indemnité à laquelle Dame Marthe Gill a droit pour préjudice moral.

2- Plainte de Dame Louise Philippe

a) Dommages matériels suite au refus de l'intimé de lui octroyer une maison

Le 27 février 1986 et le 29 janvier 1987, la plaignante s'est adressée au Conseil des Montagnais pour obtenir une maison mais elle a subi un refus en raison du moratoire.

L'intimé prétend que l'acte discriminatoire qui lui est reproché n'a causé aucun dommage matériel à la plaignante parce que, même en l'absence du moratoire, elle n'aurait pu se qualifier dans le cadre de son programme d'habitation sociale puisqu'elle n'obtenait pas suffisamment de points suivant les critères de sélection pour la construction d'une maison.

La preuve a démontré que, suite à l'adoption de la Loi C-31, le MAINC

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disposait de budgets spéciaux devant être affectés uniquement aux femmes C- 31 (Pièce I-13) et visant aussi l'habitation. Ces budgets étaient disponibles aux conseils de bande qui en faisaient spécifiquement la demande pour les C-31.

M. Jacques Cleary, qui a assumé la fonction de gérant du Conseil de Bande des Montagnais du Lac St-Jean de 1975 à 1988, explique la position alors adoptée par l'intimé: (Volume 15, page 2292)

Alors ce qu'on a répondu à ce moment-là, on a dit: <Ecoutez, d'accord pour des enveloppes additionnelles, mais, en même temps que vous allez nous donner des enveloppes additionnelles, vous allez respecter le processus ou le projet qu'on a mis en place.>

On a dit: il y a trop de gens de concernés là-dedans. Donner des enveloppes aux nouveaux statués par rapport à ceux qui sont là depuis des années et qu'ils attendent une maison, c'est créer trop de problèmes.

On leur a dit: par contre, donnez-nous vos enveloppes et, si au lieu de faire 10 maisons, vous nous donnez 10 enveloppes pour des nouveaux statués, on parle de 20 maisons, et ça veut dire que dans 5 ans peut-être qu'on aura rencontré tous les besoins de tout le monde ou en tout cas on sera très proche parce qu'on aurait fait le double du programme en place.

Le MAINC refusait d'accepter cette approche du Conseil de Bande prétextant que les enveloppes visant les nouveaux statués devaient s'appliquer à eux seulement et elles ne furent pas versées à l'intimé.

Est-il raisonnable de croire que la plaignante aurait pu recevoir en 1986 une aide financière à l'habitation dans le cadre du programme d'habitation sociale de l'intimé si ce dernier avait fait au MAINC une demande de subvention par le biais des fonds budgétaires disponibles spécifiquement pour les femmes restatuées?

Mme Danielle Paul, agent à l'habitation, répond à cette interrogation: (Volume 18, pages 3103 et 3104)

Le Président: Ce que je tente de savoir, c'est ceci: Le ministère avait une enveloppe spéciale pour les C-31.

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Le témoin: Oui.

Le Président: Et est-ce que vous savez de quelle façon le ministère voulait que les argents soient distribués au C-31?

Le témoin: La seule chose que je sais, c'est que le ministère demandait qu'on présente des demandes spécifiques pour les C-31. Donc, considérant qu'on n'en a pas faite, je sais pas quelle enveloppe aurait pu être disponible.

Le Président: Quand vous dites <des demandes spécifiques> est-ce que vous voulez dire qu'il aurait fallu que le Conseil des Montagnais présente au ministère des demandes de subventions pour un nombre X de C-31?

Le témoin: Oui une demande pour chaque personne.

Le Président: Et vous ne savez pas de quelle façon ... ou, en d'autres termes, ce que ces C-31 auraient reçu?

Le témoin: A cette époque-là.

Le Président: Oui.

Le témoin: Non. La contribution d'une unité, par exemple, était la même que pour un programme régulier, quand on parle d'un budget d'habitation, parce que par la suite ...

Le Président: Est-ce que je dois comprendre que si le Conseil de Bande avait accepté de recevoir ces argents-là sans appliquer ses critères de remise, à ce moment-là, les C-31 auraient pu recevoir cette enveloppe-là sous forme de tant d'unités?

Le témoin: Oui.

La preuve révèle (Pièce I-30) qu'en 1985 une seule demande d'aide à l'habitation fut adressée à l'intimé par une femme restatuée en 1985, sept (7) demandes au même effet en 1986 et trois (3) demandes en 1987. De plus, il a été démontré (Pièce C-48) que les bandes autochtones de la région de Québec sont au nombre de 18. Pour les années 1986-1987, et 1987-1988, six (6) de ces bandes ont formulé des demandes d'aide à l'habitation à même le budget spécifique réservé aux C-31 et elles ont toutes obtenu des subventions pour unité d'habitation, soit en constructions ou rénovations. Le MAINC a accordé des subventions pour 34 unités en 1986 et pour 53 unités en 1987-1988.

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La bande de KANESATAKE a reçu 14 unités en 1986-1987 tandis que la bande de ODONAK a reçu 10 unités. (Pièce C-48)

En décembre 1987, le MAINC informait les conseils de bande de la Région de Québec des difficultés qu'il rencontrait relativement au financement des programmes C-31. (Pièce I-14)

Le 18 décembre 1987

A tous les Conseils de bande Région de Québec

La présente fait suite aux nombreuses questions qui nous sont posées concernant le financement des programmes pour les personnes visées par la Loi C-31.

Au moment où la loi a été promulguée en juin 1985, le Ministre du temps avait donné l'assurance que les Indiens déjà inscrits ne seraient nullement pénalisés par cette nouvelle mesure législative, puisqu'il avait obtenu le financement nécessaire à sa mise en oeuvre en se basant sur les informations disponibles à l'époque.

Or, après un peu plus d'un an d'expérience on réalise aujourd'hui qu'il était extrêment difficile, sinon impossible, de prévoir avec exactitude les coûts nécessaires à la mise en oeuvre de la nouvelle loi. En effet, le nombre d'inscriptions prévues a plus que doublé et vous comprendrez que le ministère n'a aucun contrôle sur ces demandes de réintégration puisqu'elles découlent de décisions purement personnelles.

Par conséquent, le financement prévu de même que la cédule de dépenses quinquennale adoptée ne peuvent maintenant répondre à tous les nouveaux besoins résultant de cet accroissement.

Le ministère fait actuellement un effort intensif en vue de résoudre ce problème, mais on ne croit pas qu'une décision gouvernementale pourra être prise avant quelques mois, étant donné que les ressources limitées dont nous disposons viennent ajouter à la complexité de cette question.

Votre représentant attitré du secteur Soutien aux bandes ou encore les directeurs des programmes concernés se feront un devoir de vous fournir toute information additionnelle ou même de rencontrer les principaux intéressés là où la situation le justifierait.

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Je vous prie d'agréer mes meilleurs sentiments.

Frank Vieni Directeur général Affaires indiennes et du Nord.

Pour l'exercice financier 1988-1989, le nombre d'unités accordé aux bandes de la région de Québec a été de 44 pour être par la suite à la hausse jusqu'à la dernière année financière connue, soit 1991-1992.

A compter de 1988, soit après l'expiration du moratoire, dès que les femmes restatuées ont obtenu le nombre de points suffisants et prévus aux critères de sélection pour se classer dans le nombre d'unités accordées dans le cadre du programme d'habitation sociale ou du programme de bande, l'intimé s'est adressé au MAINC pour obtenir des subventions à même le budget réservé aux femmes C-31 en adoptant le formulaire de demande exigé par le MAINC.

Cette façon de procéder semble avoir reçu l'assentiment pour le moins officieux du MAINC et elle a porté fruit puisque des subventions ont été consenties aux femmes restatuées de la Bande des Montagnais du Lac St-Jean, soit 1 unité en 1988-1989, 4 unités en 1989-1990, 9 unités en 1990-1991 et 5 unités en 1991-1992.

Considérant qu'en avril 1986 les budgets spécifiques aux femmes restatuées étaient disponibles auprès du MAINC; considérant le nombre minime des demandes d'aide en vertu de ses budgets formulées par les femmes restatuées de la Bande des Montagnais du Lac St-Jean; considérant que les bandes autochtones de la région de Québec qui ont formulé des demandes en ce sens ont obtenu des subventions pour des unités d'habitation aux femmes restatuées de leur bande; considérant qu'il est raisonnable de croire que si l'intimé avait adressé au MAINC une demande d'aide à l'habitation pour Dame Louise Philippe dans le cadre de son programme de financement spécifique aux femmes restatuées, le MAINC lui aurait donné suite, le tribunal conclut que la plaignante avait droit en 1986 d'être admise au programme d'habitation sociale de l'intimé sans être soumise aux critères de sélection.

La plaignante réclame à l'intimé les dommages qui lui furent occasionnés par suite du refus de l'intimé de lui permettre d'obtenir une maison et elle les détaille comme suit:

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  1. Coût du loyer du 12 février 1986 au 31 mai 1994 (Volume 14, page 2005) 28 625,00 $
  2. Électricité du 12 février 1986 au 31 mai 1994 (Volume 14, page 2006) 6 000,00 $
  3. Frais de déménagement 250,00 $
  4. Chauffage hiver 93-94 (Pièces P-46 et P-47) 515,71 $
  5. Subvention 24 100,00 $
  6. Plus-value de l'immeuble

Si le Conseil de Bande, dans un premier temps, avait demandé au MAINC de participer au programme de financement aux femmes restatuées, le montant de 24 100 $ versé par le MAINC aurait appartenu à l'intimé pour construire une maison qu'il aurait fournie à la plaignante. Elle ne peut donc pas re- vendiquer le paiement de ce montant auquel elle n'aurait pas eu droit.

Dans un deuxième temps, si l'intimé avait fourni une maison à la plaignante dans le cadre de son programme d'habitation sociale, elle n'aurait pu en acquérir la propriété qu'après 25 ans d'occupation. Elle ne peut donc exiger une indemnité de plus-value d'une maison dont elle n'est pas propriétaire. Au surplus, aucune preuve n'a été faite de la plus-value qu'acquiert au cours des ans une maison sur la Réserve de Pointe-Bleue.

Dans un troisième temps, si la plaignante avait été admise au programme d'habitation sociale du Conseil de Bande, elle aurait dû verser un loyer mensuel représentant 25 % du revenu annuel familial.

Il a été mis en preuve (Pièce I-36) ce qu'aurait été le coût du loyer à assumer par la plaignante en tenant compte de son revenu annuel si l'intimé lui avait fourni une maison par son programme d'habitation sociale pour la période du 12 février 1986 au 31 décembre 1993, en comparaison du loyer mensuel de 250 $ qu'elle a versé pour la même période.

En résidant dans une maison fournie par l'intimé, elle aurait réalisé une économie mensuelle de 70 $ à compter de février 1986, de 55 $ en 1987 et 50 $ en 1988, pour une économie totale de 2 100 $.

Toujours en tenant compte de son revenu annuel, la plaignante aurait dû verser à l'intimé un loyer mensuel plus élevé que son propre loyer de 70 $ en 1989 et de 75 $ pour les années subséquentes.

Le tribunal conclut que par son défaut de fournir une maison à la plaignante, l'intimé lui a causé des dommages matériels de l'ordre de 2 000 $.

b) Dommages pour refus de l'intimé de permettre à Dame Louise

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Philippe de suivre un cours de langue montagnaise

La preuve a révélé que l'intimé a agi de façon discriminatoire en privant la plaignante d'un service qu'il offrait aux membres de la communauté.

Le tribunal estime que l'intimé devrait accorder à Dame Louise Philippe la priorité pour suivre un cours de langue montagnaise dès qu'il offrira de nouveau ce service aux membres de la bande et aux mêmes conditions d'admissibilité que tout candidat inscrit à ce cours de langue.

c) Dommages moraux

Suite au refus de l'intimé de lui fournir une maison, la plaignante a vécu avec son mari, son fils et sa fille dans une demeure de deux (2) chambres à coucher. Ses enfants devaient partager la même chambre alors que son fils souffrait d'asthme.

Lorsqu'il était en état de crise, elle était perturbée parce qu'il dérangeait la famille. Ces inconvénients auraient pu être évités si le Conseil de Bande lui avait fourni une maison.

Face au refus de l'intimé de lui accorder une maison, elle s'exprime ainsi: (Volume 14, page 2039)

Je me suis sentie brimée puis déprimée. Ma santé physique ... C'est sûr que dans la maison on n'avait pas d'air, on se sentait toujours étouffé, puis les enfants, ils avaient pas ... personne de nous quatre on n'avait notre espace vital.

Pour la plaignante, le fait de vivre dans un espace aussi exigu a rendu sa vie de couple très difficile.

La vie dans la communauté a été ardue pour la plaignante pendant la période du moratoire: (Volume 14, page 2052) Finalement, je pense que durant le moratoire, on avait juste le droit de respirer l'air.

Dame Louise Philippe désirait apprendre sa langue maternelle par souci de culture personnelle et aussi pour partager avec ses enfants qui jouissaient de cette opportunité à l'école et elle souffre encore de ne pouvoir le faire.

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Le tribunal conclut que Dame Louise Philippe a subi un préjudice moral, directement relié aux actes discriminatoires de l'intimé à son endroit.

En conséquence, le tribunal évalue à 4 000 $ l'indemnité à laquelle a droit Dame Louise Philippe pour préjudice moral.

3- Plainte de Dame Marie-Jeanne Raphaël

a) Dommages matériels pour refus de l'intimé de permettre à Dame Marie-Jeanne Raphaël de demeurer sur la réserve dans la résidence de son fils

Comme elle fut obligée de quitter la résidence de son fils à la réquisition de l'intimé et en raison du moratoire, Dame Marie-Jeanne Raphaël exige de l'intimé le paiement du coût de son logement, l'é1ectricité et le chauffage, du ler octobre 1986 au 31 décembre 1989 de même que des frais de déménagement et d'installation de téléphone.

L'intimé soutient que la plaignante n'a droit à aucun dommage matériel puisqu'il n'était pas dans son intention de demeurer en permanence chez son fils, Jean-Marc, lorsqu'il lui fut demandé de cesser d'habiter avec lui.

Au soutien de sa prétention, le Conseil de Bande affirme que Jean-Marc Raphaël avait accueilli sa mère chez lui avec cinq (5) enfants parce que son épouse l'avait quitté pour retourner chez ses parents a OBEDJIWAN, ce qui avait pour effet de diminuer la prestation mensuelle d'aide sociale qu'il recevait. En gardant sa mère chez lui, elle aurait pu l'aider à rencontrer ses obligations.

En outre, même si la plaignante a été sommée par Dame Danielle Paul, agent à l'habitation pour l'intimé, de quitter la résidence de son fils, aucune véritable mesure d'expulsion ne fut prise contre elle.

Enfin, pour l'intimé, il n'est pas plausible de croire que puissent vivre dans une maison disposant de quatre (4) chambres à la fois la plaignante avec sept (7) enfants et son fils avec son épouse et trois (3) enfants.

La prépondérance de la preuve est à l'effet qu'à la fin de l'été 1986 la plaignante s'est retrouvée sans logement et que son fils l'a reçue chez lui, d'une part pour lui assurer un logis et, d'autre part parce qu'il s'apprêtait à quitter son domicile avec sa famille pour une période approximative de 6 à 8 mois pour aller faire la chasse, sa mère prenant soin de sa résidence. Donc, la plaignante pouvait demeurer chez son fils tout au moins au cours de la période de chasse et celui-ci l'accueillait gratuitement.

Quelques semaines après son départ pour la chasse, il a dû revenir avec sa famille pour des motifs personnels. Il raconte qu'il était prêt à garder sa mère avec les enfants qui l'accompagnaient et ce, malgré la demande de quitter de l'intimé.

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Bien qu'il puisse paraître inusité pour certains de demeurer 10 à 12 personnes dans une maison, Jean-Marc Raphaël qui avait grandi en résidant en compagnie de ses frères et soeurs, ses parents et ses grands-parents, n'y voyait rien d'anormal. (Volume 11, pages 1695-1696)

Q.: Alors, si on prend 5 frères et soeurs plus votre mère, ça fait 6 personnes, plus vous, vous étiez environ 10 et 11 personnes dans votre maison. Etes-vous d'accord avec moi que c'est pas une maison qui est faite pour 10 personnes? Dix personnes, ça peut être une situation temporaire, mais non pas une situation permanente?

R.: Tu vois ça à tous les jours à Pointe-Bleue 10 à 12 personnes.

Q.: Mais êtes-vous d'accord avec moi pour dire, monsieur Raphaël, que c'est pas une situation, entre guillemets, normale, habituelle, habituelle? Je veux dire par là pour vous avec votre mère habité dans la maison, c'était surtout pour faire le guet, mais c'est une situation qui était pas permanente?

R.: Elle était dehors. Je ne suis pas pour laisser ma mère dehors...

La plaignante elle-même a déclaré qu'elle pouvait facilement s'accommoder de demeurer avec ses enfants au sous-sol de la résidence de son fils et que celui-ci lui avait dit qu'elle pourrait toujours demeurer chez lui. La preuve démontre qu'il fait partie des moeurs autochtones que l'on partage sa résidence avec ses frères et soeurs, de même que ses parents et grands- parents.

La preuve démontre également que la plaignante désirait demeurer sur la Réserve de Pointe-Bleue. Lorsqu'elle a dû quitter son logement de St- Prime, elle est venue demeurer sur la Réserve de Pointe-Bleue avec l'intention bien arrêtée d'y demeurer. (Volume 12, pages 1763 à 1764)

Q. Est-ce qu'il est exact de dire, madame Raphaël, que la raison principale pour laquelle vous avez quitté, c'est à cause des réparations dans ce logement-là?

R. Parce qu'il a vendu la maison.

Q. Il l'a vendue. Est-ce qu'il y avait aussi une question de réparations qui était en ligne de compte?

R. C'est peut-être pour ça qu'ils m'ont fait sortir, pour la réparer.

Q. O.K. Mais est-ce que vous auriez pu continuer à être locataire à cet endroit-là?

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R. Non.

Q. Pourquoi?

R. Parce que je voulais toujours rester à Pointe-Bleue, dans ma communauté.

Q. Ah, O.K. Je comprends que vous ne vouliez plus demeurer à Saint-Prime.

R. J'ai jamais voulu rester ailleurs.

Q. Mais monsieur Simard, est-ce qu'il aurait accepté, monsieur Simard, que vous restiez encore dans le logement?

R. Non.

Q. Pourquoi?

R. Parce que déjà je voulais rester à ... déjà je voulais demeurer à Pointe-Bleue.

Après son départ forcé de la résidence de son fils, elle a multiplié ses demandes auprès de l'intimé pour être admise au programme d'habitation sociale et revenir habiter sur la réserve. (Pièces C-24-26) Son voeu fut exaucé par le Conseil de Bande le 11 avril 1989 (Pièce I-10) et elle est venue demeurer sur la réserve en décembre 1989 dans un logement de l'intimé.

Le tribunal conclut que Dame Marie-Jeanne Raphaël avait l'intention de demeurer en permanence chez son fils si elle n'avait pas été enjointe par l'intimé de quitter la résidence de celui-ci.

En conséquence, la plaignante est bien fondée de réclamer les déboursés qu'elle a dû encourir pour se loger avec sa famille depuis son départ de la résidence de son fils, Jean-Marc, en octobre 1986 jusqu'à son retour sur la réserve en décembre 1989 dans un logement de l'intimé, soit le coût du logement et les dépenses s'y rattachant. Les parties ont admis les déboursés suivant: (Volume 11, pages 1666 et 1667)

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  1. Électricité et chauffage, loyer St-Prime et St-Félicien (octobre 1986 à décembre 1989) 2 357,97 $
  2. Frais de déménagement 700,00 $
  3. Frais d'installation de téléphone 100,00 $
  4. Frais d'interurbains et de déplacements pour recherche de logement 250,00 $

total 3 407,97 $

De plus, la plaignante est bien fondée de réclamer le coût de son loyer pour cette période lequel se détaille comme suit: (Pièce C-22)

  1. 1er octobre 1986 au ler septembre 1987 2 750,00 $
  2. 1er septembre 1987 au 30 juin 1988 830,00 $
  3. 1er juillet 1988 au 30 juin 1989 1 152,00 $
  4. 1er juillet 1989 au 31 décembre 1989 642,00 $

total 5 374,00 $

Le tribunal conclut que l'intimé doit verser à Dame Marie-Jeanne Raphaël un montant de 8 781 97 $ pour les dommages qu'elle a subis par suite de son refus de lui permettre, en raison du moratoire, de continuer à résider dans la maison occupée par son fils Jean-Marc Raphaël, sur la Réserve de Pointe-Bleue.

b) Dommages moraux

La preuve a révélé que la plaignante a vécu suivant le mode de vie traditionnel des Montagnais. Elle a grandi en forêt sans y recevoir d'instruction. Cependant, elle a acquis les connaissances et l'expérience de la chasse et de la trappe et du mode de vie en forêt. Pour elle, vivre en forêt sous la tente et subvenir à sa subsistance du fruit de la chasse et de la trappe était son mode de vie normal qui s'est poursuivi même après son mariage et jusqu'à ce que ses enfants aient atteint l'âge scolaire. Alors, elle est revenue s'établir sur la réserve pour permettre l'éducation de ses enfants. Elle a continué de se rendre fréquemment en forêt en compagnie de ses enfants auxquels elle a enseigné l'art de la chasse et de la trappe de même que le mode de vie en forêt.

Comme la vie en forêt était d'une importance capitale pour elle et qu'elle en fut évincée par son départ de la réserve, elle exprime ainsi ses sentiments. (Volume 12, page 1722)

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Savez-vous comment je m'est sentie quand je m'ai fait sacrer dehors? C'est comme un objet qu'on jetait par terre. Il y avait aussi mes enfants. Pourtant, mes parents, mon père, puis ma mère m'ont jamais jetée dehors.

En raison de son manque d'instruction, elle s'est exprimée en langue montagnaise, elle a réussi quand même à expliquer, à l'aide d'une interprète, le mal et les inconvénients que lui a causé ce départ de la réserve. (Volume 12, pages 1726-1727)

Même si de temps en temps à Pointe-Bleue, quand j'y allais, c'est comme si je restais en cachette parce que je m'avais fait envoyer dehors. Mais j'allais quand même.

Après qu'ils m'avaient fait ça, j'ai monté souvent quand même en forêt avec mes parents. Mes parents, ils m'ont toujours accepté comme j'étais. Ils m'ont toujours aimé quand même ... Même si je restais à l'extérieur de la réserve mon coeur était pas là. C'était à Pointe-Bleue qu'était mon coeur, puis en forêt. Pourtant, je voulais pas que mes enfants arrêtent d'aller à l'école pourtant. C'est difficile de passer par où j'ai passé, surtout quand on a beaucoup d'enfants.

Le tribunal estime que la plaignante a droit à une indemnité pour préjudice moral qu'il fixe au montant de 3 500 $.

4- Plainte de Dame Nellie Cleary

a) Dommages matériels suite au refus de l'intimé de lui accorder une maison

La preuve a démontré que la plaignante s'était adressée au Conseil de Bande pour obtenir une subvention afin de construire une maison sur un terrain qu'elle possédait aux abords du Lac St-Jean et que sa demande fut refusée en raison du moratoire.

Pour les mêmes motifs que ceux exposés dans l'affaire de Dame Louise Philippe, le tribunal reconnaît que la plaignante aurait pu bénéficier du programme de financement disponible auprès du MAINC pour les femmes restatuées si l'intimé en avait fait la demande et obtenir de ce dernier une maison dans le cadre de son programme d'aide a l'habitation sociale.

Au moment de sa demande d'aide financière au Conseil de Bande, elle disposait d'un montant de 25 000 $ dont une partie, soit 5 000 $ à 6 000 $, a été consacrée à la construction non terminée d'une bâtisse appelée remise mais qui était en réalité un chalet en raison de sa dimension. Elle a dépensé ses économies pour recevoir ensuite des prestations du bien- être social.

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Si elle avait obtenu l'aide financière de l'intimé, elle prétend qu'elle aurait pu conserver ses économies. Elle réclame donc un montant de 20 000 $ à l'intimé.

La preuve a démontré que la plaignante a perdu son emploi au Centre- Dépannage Le Refuge le 4 juillet 1986. Le 8 juillet 1986, l'intimé avise les locataires de ses logements qu'un non-membre de la bande n'est pas autorisé à occuper sesdits logements.

Interrogée sur ce sujet, le plaignante déclare: (Volume 9, page 207) Je restais pas avec tout le temps. Je pouvais pas, parce que j'étais sur le bien-être. (Souligné du tribunal)

Par conséquent, avant sa demande d'aide financière pour la construction d'une maison le 15 janvier 1987 (Pièce C-1 Onglet D - Document 2), elle conservait ses économies et recevait déjà des prestations d'aide sociale. Il est donc raisonnable de croire que le refus de l'intimé de lui fournir une maison n'a pas obligé la plaignante à disposer de ses économies pour devenir admissible aux prestations de l'aide sociale.

Toutefois, lors de la formulation de sa demande, Dame Nellie Cleary habitait un logement du Conseil de Bande au coût mensuel de 120 $ et, si elle avait été admise au programme d'habitation sociale, il lui en aurait coûté 200 $ mensuellement.

Conséquemment, la plaignante n'a subi aucun dommage matériel suite au refus de l'intimé de donner suite à la demande de permis de construction qu'elle avait formulée le 15 janvier 1987.

b) Dommages moraux

Née sur la réserve de Pointe-Bleue, qu'elle a quittée à l'âge de 15 ans, Dame Nellie Cleary rêvait de venir terminer ses jours dans sa propre demeure près du lac. Elle s'exprime ainsi: (Volume 9, pages 1209, 1210 et 1211)

Le Président: Expliquez-moi, madame, quand vous dites <J'en rêvais tellement>, pourquoi vous en rêviez.

Le témoin: Eh, Monsieur le Président, sur le bord de l'eau, on a été élevé là, nous autres, puis j'ai toujours ... ça a toujours été un rêve pour moi. Vous savez bien que si j'avais ... ça a toujours été mon rêve. Même quand j'ai arrivé à Pointe-Bleue, il y avait un petit peu de racisme, on sait bien. Ils disaient: <C'est pas ta place, t'es pas Indienne>... du monde qui m'avaient vue élever qui me disaient ça. Ah, bien, j'ai dit: <Ecoutez.> J'ai dit: <Moi, je suis comme un vieux saumon; je remonte le courant, puis je suis venue mourir chez

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nous.> C'était mon chez-nous, Pointe-Bleue.

C'était l'intention, après que j'avais acheté ce terrain-là, c'était pour mon futur chez-moi. C'était pour ... je sais pas, sur le bord du lac, puis tout ça. Vous savez bien que j'ai toujours rêvé de ça. D'ailleurs, j'ai dit à Danielle l'autre jour, je lui ai demandé ... parce que là, je reste aux 31 Logements mais je reste par en arrière. J'ai dit: <Là, il faudrait bien qu'il y en aurait un autre qui verrait les arbres à ma place. Avant de mourir, j'aimerais voir le lac.> Je lui ai demandé un loyer en avant. Je l'attends. Je sais qu'elle va me le donner.

Le Président: Quand vous avez grandi, madame, vous avez dit que vous aviez grandi à Pointe-Bleue.

Le témoin: Oui.

Le Président: Est-ce que vous avez grandi avec la vue sur le lac...

Le témoin: Ah, oui. Oui.

Le Président: ... d'où vous avez résidé quand vous étiez jeune?

Le témoin: Oui. on avait juste le chemin à traverser, puis le lac, on le voyait bien... certain qu'on le voyait. Le lac, c'était... je me rappelle quand on était jeune puis qu'il y avait des grosses tempêtes; on s'en allait sur le bord du cran puis on regardait ça. Ca a toujours été notre vie, ma vie. J'ai toujours aimé ... Pour vous dire, après que j'eus fini de construire la remise, je m'en allais là avec ma soeur pour entendre tomber la pluie sur notre couverture de tôle. J'avais été élevée comme ça, moi. Il y a rien que je trouvais plus beau que ça.

Ah, oui, c'était réellement mon rêve. Ça fait que là, j'espère qu'au moins je vais voir le lac un peu, toujours.

Puis là, ma fille, elle va se faire construire sa petite maison ... c'est-à-dire elle va la finir pour se faire une petite maison. Puis là, j'ai mis une petite roulotte de voyage sur son terrain, puis après ça, je vais pouvoir y aller.

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La plaignante a été moralement affectée de ne pouvoir aller vivre près du lac où elle avait grandi et le tribunal conclut que la plaignante a droit à une indemnité de 3 000 $ pour préjudice moral.

c) Lettre d'excuse

Les plaignantes demandent qu'il soit ordonné à l'intimé de leur soumettre une lettre d'excuse eu égard à la discrimination dont elles furent victimes par l'effet du moratoire et que cette lettre d'excuse, tant en langue française qu'en langue montagnaise, soit acheminée dans tous les foyers de la réserve de Pointe-Bleue et affichée dans les lieux publics pendant une période de trente (30) jours.

La preuve a révélé que le Conseil de Bande, au moment où il a décidé de la mise en vigueur d'un moratoire sur la Loi C-31, n'a pas agi de mauvaise foi et avec une intention bien arrêtée, voire même malicieuse, de priver particulièrement les plaignantes des services qu'il offrait à ses membres.

Il a plutôt agi par crainte des répercussions de la Loi C-31 sur l'ensemble de la communauté et, à ses yeux, pour le meilleur intérêt de celle-ci.

M. Jacques Cleary a précisé, dans son témoignage, auquel il y a lieu d'accorder crédibilité: (Volume 15, page 2305)

Le témoin: Aussi on peut additionner une interprétation dans le sens que le moratoire aurait pu être vu comme un geste contre les nouveaux statués. Le Président: Exactement.

Le témoin: ... alors que --- en tout cas mon opinion personnelle --- si ça été le cas, ça été des cas isolés, je pense. Mais, de façon globale, pour moi, c'est pas un geste contre les nouveaux statués, c'est un geste qui a été posé dans le temps par rapport à une situation qui était pas facile déjà par rapport à de l'inconnu et on voulait savoir avant de faire quoi que ce soit. Moi, c'est mon interprétation du moratoire.

Il est ressorti de l'ensemble des témoignages que les plaignantes ont été blessées, outrées et humiliées par des faits et gestes des membres de la communauté et non pas uniquement des membres du Conseil de Bande alors en fonction.

Exiger de l'intimé une lettre d'excuse transmise à tous les membres de la communauté et affichée publiquement pour des événements survenus depuis 8 à 10 ans et alors que la paix règne maintenant sur la réserve de Pointe-Bleue relativement à cette controverse suscitée par l'adoption de la Loi C-31,

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n'aurait pas pour effet de réparer le préjudice que les plaignantes ont pu subir en raison du moratoire mais risquerait plutôt de raviver, parmi les membres de la communauté, cette controverse à l'endroit des femmes C-31 et ce, d'autant plus que les membres du Conseil de Bande, à l'exception d'un seul, ne sont plus en place.

Conséquemment, le tribunal rejette la demande d'une lettre d'excuse par l'intimé aux plaignantes.

d) Intérêts

Les plaignantes exigent, à bon droit, le paiement d'intérêts par l'intimé sur les indemnités que le tribunal pourrait lui ordonner de leur verser. Le calcul des intérêts, suivant la jurisprudence établie en la matière, doit commencer à courir le jour où débute le dommage subi par les plaignantes.

Compte tenu des nombreuses fluctuations du taux d'intérêt de la Banque du Canada depuis 1986, le tribunal fixe à 9 % l'an le taux d'intérêt à être payé sur les indemnités que l'intimé se verra ordonner de verser aux plaignantes.

CONCLUSION

CONSIDÉRANT LES FAITS MIS EN PREUVE A L'AUDITION, LE TRIBUNAL:

  1. ACCUEILLE la plainte de Marthe Gill;
  2. DÉCLARE qu'en refusant de fournir une maison, un permis de chasse et de permettre d'être élue membre du Comité du Code d'Appartenance à Dame Marthe Gill alors membre de la bande ayant épousé un non-membre de la bande avant le 17 avril 1985, le Conseil des Montagnais du Lac Saint- Jean a commis à son endroit des actes discriminatoires fondés sur un motif de distinction illicite en contravention des dispositions des articles 3 et 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;
  3. ORDONNE au Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean de verser à Dame Marthe Gill, à titre de dommages pour préjudice moral, une indemnité de 5 000 $ portant intérêts au taux de 9 % l'an depuis le 12 février 1986;
  4. ACCUEILLE en partie la plainte de Dame Louise Philippe;
  5. DÉCLARE qu'en refusant de fournir une maison et de permettre de suivre un cours de langue montagnaise à Dame Louise Philippe, alors membre de la bande ayant épousé un non-membre de la bande avant le 17 avril 1985, le Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean a commis à son endroit des actes discriminatoires basés sur le sexe et l'état matrimonial fondés sur un motif de distinction illicite en contravention des dispositions des articles 3 et 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;
  6. 70

  7. ORDONNE au Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean de verser à Dame Louise Philippe, à titre de dommages matériels, une indemnité de 2 100 $ portant intérêts au taux de 9 % l'an depuis le 12 février 1986;
  8. ORDONNE au Conseil des Montagnais du Lac St-Jean d'accorder a Dame Louise Philippe la priorité pour suivre un cours de langue montagnaise dès qu'il offrira à nouveau ce service aux membres de la bande et aux mêmes conditions d'admissibilité que tout candidat inscrit à ce cours de langue;
  9. ORDONNE au Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean de verser à Dame Louise Philippe, à titre de dommages pour préjudice moral, une indemnité de 4 000 $ portant intérêts au taux de 9 % l'an depuis le 12 février 1986;
  10. REJETTE la plainte de Dame Louise Philippe au motif que le Conseil de Bande des Montagnais du Lac Saint-Jean utilise, depuis 1986 jusqu'à maintenant, des critères de sélection des candidats pour le programme d'habitation qui sont discriminatoires au motif qu'aucun point n'est accordé pour le conjoint ou un enfant d'une femme montagnaise ayant retrouvé son statut d'indienne et de membre de la bande suite à l'adoption de la Loi C-31;
  11. ACCUEILLE en partie la plainte de Dame Marie-Jeanne Raphaël;
  12. DÉCLARE qu'en refusant de permettre d'habiter la résidence de son fils sur la réserve de Pointe-Bleue à Dame Marie-Jeanne Raphaël, alors membre de la bande ayant épousé un non-membre de la bande avant le 17 avril 1985, le Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean a commis à son endroit des actes discriminatoires fondés sur un motif de distinction illicite en contravention des dispositions des articles 3 et 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;
  13. ORDONNE au Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean de verser à Dame Marie-Jeanne Raphaël, à titre de dommages matériels, une indemnité de 8 781,97 $ portant intérêts au taux de 9 % l'an depuis le 1er octobre 1986;
  14. ORDONNE au Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean de verser à Dame Marie-Jeanne Raphaël, à titre de dommages pour préjudice moral, une indemnité de 3 500 $ portant intérêts au taux de 9 % l'an depuis le 1er octobre 1986;
  15. 71

  16. REJETTE la plainte de Dame Marie-Jeanne Raphaël au motif que le Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean a refusé l'admission de ses enfants à l'école de la réserve et exiger qu'elle assume le paiement de leur transport scolaire pour fréquenter l'école hors de la réserve;
  17. ACCUEILLE en partie la plainte de Dame Nellie Cleary;
  18. DÉCLARE qu'en refusant de fournir une maison à Dame Nellie Cleary, alors membre de la bande ayant épousé un non-membre de la bande avant le 17 avril 1985, le Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean a commis à son endroit des actes discriminatoires et fondés sur un motif de distinction illicite en contravention des dispositions des articles 3 et 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;
  19. DÉCLARE au Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean de verser à Dame Nellie Cleary, à titre de dommages pour préjudice moral, une indemnité de 3 000 $ portant intérêts au taux de 9 % l'an depuis le 29 janvier 1987;
  20. REJETTE la plainte de Dame Nellie Cleary au motif que le Conseil de Bande aurait refusé de maintenir son emploi au Centre-Dépannage Le Refuge et que son concubin continue de partager avec elle un logement qu'elle occupait et propriété du Conseil de Bande.

Signée à Ville de Saint-Georges, ce e jour de juin 1995

ME ROGER DOYON, Président

Signée à Montréal, ce e jour de juin 1995

ME ANDRÉE MARIER, Membre du Tribunal

Signée à Montréal, ce e jour de juin 1995

ME GRÉGOIRE MPUTU-BIJIMINE, Membre du Tribunal

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