Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

B. RICK MOORE

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SOCIéTé CANADIENNE DES POSTES

- et -

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

les intimés

DÉCISION

2007 TCDP 31
2007/07/25

MEMBRE INSTRUCTEUR : J. Grant Sinclair

I. INTRODUCTION

II. LA DÉCISION

III. LES FAITS

(i) 1981-1994

A. Fonctions modifiées temporaires / Restrictions pour DDP

(i) 1995-1998

(ii) Notes de service des Services de santé au travail

B. Prélude à l'affectation permanente de M. Moore au centre de tri primaire CL et au niveau PO4

(i) La soumission relative aux quarts de travail de 1999

(ii) Le protocole d'entente conclu en 1999 entre la SCP et le STTP

(iii) Le processus des soumissions relatives aux quarts de travail de 2000

C. Les griefs de M. Moore

D. Les soumissions relatives aux quarts de travail de 2000 et 2001 - Affectation de M. Moore au quart de nuit

E. M. Moore a-t-il établi une preuve prima facie de discrimination?

F. Preuve prima facie - alinéa 7a) de la LCDP

IV. CONCLUSION

A. Preuve prima facie - Alinéa 7b) de la LCDP

B. Preuve prima facie? - Restriction des droits de soumission de M. Moore, alinéa 7b) de la LCDP

V. RÉPARATION

A. La plainte fondée sur l'article 10 déposée par M. Moore

B. La responsabilité du STTP

I. INTRODUCTION

[1] Le plaignant en l'espèce est Brian Rick Moore. Celui-ci travaille pour la Société canadienne des postes (SCP), au Centre de traitement du courrier de Vancouver (CTCV).

[2] M. Moore a déposé une plainte, datée du 12 juillet 2001, contre la SCP, auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Il allègue que cette dernière a enfreint les articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). La déficience est le motif de discrimination illicite.

[3] À la requête de la SCP, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) a été ajouté comme intimé à la plainte.

[4] La plainte de M. Moore comporte deux volets. Premièrement, il allègue que la SCP a fait preuve de discrimination à son égard en l'affectant de façon permanente à la Section du tri manuel et en le reclassifiant du niveau PO5 au niveau PO4, à un taux de rémunération inférieur, et ce, à cause de sa déficience.

[5] Deuxièmement, M. Moore soutient qu'en 1999 la SCP a adopté une politique qui faisait une distinction défavorable entre les employés atteints d'une déficience partielle et permanente (DPP) et les autres employés en restreignant les choix de quarts de travail offerts aux employés atteints d'une DPP. En raison de cela, M. Moore a été affecté au quart de nuit (de minuit à 8 heures) en 2001 et 2002, ce qui lui a causé des difficultés physiques et affectives.

[6] M. Moore réclame des dommages-intérêts pour perte de salaire et autres avantages par suite de sa réaffectation et de sa reclassification, ainsi que pour les difficultés qu'il a subies parce qu'il était obligé d'effectuer le quart de nuit. Et, pour les deux éléments, il réclame des dommages-intérêts pour la perte du droit d'être exempt de toute discrimination.

II. LA DÉCISION

[7] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal a conclu que M. Moore n'a pas justifié le premier élément de sa revendication. Quant au second élément, le Tribunal conclut que la SCP s'est effectivement livrée à une pratique discriminatoire. Toutefois, M. Moore n'a pas établi que, n'eût été de la pratique discriminatoire, il avait assez d'ancienneté pour soumissionner avec succès le quart de jour ou celui de l'après-midi. Le Tribunal n'a donc pas accordé d'indemnité.

III. LES FAITS

(i) 1981-1994

[8] M. Moore est entré au service de la SCP en mai 1981, en tant que manutentionnaire du courrier. Son travail consistait à trier les colis et les sacs de courrier pour les déposer dans des conteneurs, à répartir le courrier et à transporter les conteneurs de courrier jusqu'aux points de chargement.

[9] En avril 1989, M. Moore s'est blessé au dos en soulevant un lourd sac de courrier. Il a été en congé pendant trois semaines environ et, quand il est revenu au travail, il a été affecté à des fonctions modifiées.

[10] Le retour au travail de M. Moore a été fondé sur une évaluation de l'aptitude physique au travail (EAPT) établie par son médecin, le Dr Taylor, en date du 7 novembre 1989. Dans cette EAPT, le Dr Taylor a mentionné que M. Moore était capable d'exécuter ses fonctions habituelles mais qu'il se pouvait que l'on doive rajuster de temps à autre sa charge de travail à cause de son problème de dos. Le 11 novembre 1989, M. Moore a repris ses fonctions complètes.

[11] En mai 1990, la SCP a reclassifié tous les postes de manutentionnaire de courrier de niveau PO2 en les transformant en postes de répartiteur de niveau PO5.

[12] En septembre 1992, M. Moore s'est de nouveau blessé au dos, pendant qu'il était à la maison. Il a été en congé jusqu'en novembre 1992, date à laquelle il est revenu au travail sous un régime de fonctions modifiées ne correspondant pas à ses fonctions de niveau PO5.

[13] Le Dr Taylor a rempli une autre EAPT pour M. Moore le 30 juin 1993. Dans cette évaluation, il a mentionné que M. Moore ne pouvait pas rester debout plus de 15 minutes, qu'il devait éviter toute flexion ou torsion du corps et qu'il ne pouvait pas soulever de charges de plus de 25 livres. Il a déclaré aussi que M. Moore était apte à revenir au travail à temps plein mais qu'il devait exercer des fonctions modifiées qui tenaient compte de ces restrictions.

[14] En août 1993, cherchant à mieux comprendre l'aptitude au travail de M. Moore, le médecin consultant de la SCP, le Dr Haakonson, a demandé au Dr Taylor des renseignements médicaux supplémentaires.

[15] Le Dr Taylor a fourni les renseignements demandés le 14 août 1993. Selon son évaluation, M. Moore avait des antécédents de problèmes au bas du dos et était enclin à se blesser. Il a aussi décrit ce qu'il considérait être les restrictions de travail de M. Moore.

[16] Ces renseignements ont été fournis au Dr Haakonson. Ce dernier a étudié l'évaluation médicale du Dr Taylor et a conclu qu'il fallait désigner M. Moore comme étant atteint d'une déficience partielle et permanente, avec les restrictions de travail suivantes :

  • position debout - pas plus de 30 minutes à la fois;
  • flexion et torsion - doit éviter de se pencher vers l'avant de façon répétée;
  • poids soulevés à partir de la taille - maximum de 55 livres;
  • poids soulevés à la hauteur de la tête - maximum de 55 livres;
  • charge portée - maximum de 55 livres.

Le 26 août 1993, il a informé le directeur, Opérations du centre, des restrictions imposées à M. Moore et a recommandé que ce dernier soit affecté à un travail permanent qui tient compte de ces restrictions. Il a également écrit à M. Moore pour l'informer de la désignation et des restrictions et lui dire aussi que l'on se servirait des restrictions précisées pour déterminer son poste.

A. Fonctions modifiées temporaires / Restrictions pour DDP

[17] Il existe à la SCP deux catégories d'employés victimes d'un accident de travail : ceux qui sont censés se rétablir dans un court laps de temps et que l'on affecte à des fonctions modifiées temporaires, et ceux qui ont été évalués comme étant atteints d'une déficience partielle et permanente (DPP) et que l'on affecte à des fonctions qui tiennent compte des restrictions pour DPP précisées.

[18] Les employés qui doivent être affectés à des fonctions modifiées temporaires sont tenus de présenter un billet de leur médecin. Si ce billet est suffisant, ils sont affectés par leur superviseur aux fonctions modifiées appropriées. Si la SCP a besoin de plus de renseignements, le superviseur demande que l'employé obtienne un billet plus détaillé, habituellement une EAPT indiquant la nature de sa lésion et donnant une estimation du temps pendant lequel il est tenu d'exécuter les fonctions modifiées.

[19] La plupart des fonctions modifiées temporaires sont d'une durée de deux à trois mois, mais elles peuvent être prolongées jusqu'à six mois. Dans un tel cas, une évaluation médicale supplémentaire est exigée.

[20] Si la nécessité d'exécuter des fonctions modifiées dure plus de six mois, l'affaire est soumise aux Services de santé au travail (SST) de la SCP. Le médecin consultant de la SCP demande des renseignements médicaux additionnels et les étudie. La prolongation peut être accordée ou l'employé peut être désigné comme atteint d'une DPP si les renseignements médicaux le justifient.

[21] Lorsqu'un employé est catégorisé comme étant atteint d'une DPP, le médecin consultant de la SCP fournit au directeur, Opérations du centre, un document sommaire exposant les restrictions pour DPP. Il transmet ce document au gestionnaire ou au superviseur de l'employé, de façon à ce que ce dernier soit affecté à des fonctions qui tiennent compte des restrictions.

[22] Les restrictions pour DPP sont permanentes, à moins de recevoir de nouveaux renseignements médicaux. Si un employé atteint d'une DPP produit de nouveaux renseignements médicaux, ces derniers sont remis au médecin consultant de la SCP, qui décide ensuite s'il convient de modifier ou de supprimer les restrictions. Dans l'affirmative, un nouveau sommaire est établi.

[23] En octobre 1993, M. Moore a rencontré son superviseur et son gestionnaire afin de discuter de son affectation à un poste de niveau PO5 dans les limites de ses restrictions pour DPP. Il a été affecté au fonctionnement de matériel motorisé (chariot élévateur à fourches), soit l'une des fonctions de niveau PO5 faisant partie des fonctions à exécuter par rotation. M. Moore devait faire fonctionner le chariot élévateur à fourches, à l'exclusion de toutes les autres fonctions de niveau PO5 exécutées par rotation.

[24] M. Moore a été affecté au chariot élévateur à fourches d'octobre 1993 jusqu'à décembre 1994. Cela, semble-t-il, a suscité beaucoup de ressentiment chez ses collègues de travail, qui estimaient qu'il bénéficiait d'un traitement spécial. Ils croyaient que s'il était suffisamment apte pour travailler au quai de répartition, il fallait qu'il exécute une plus grande part des fonctions de niveau PO5 à effectuer par rotation. Certains de ses collègues de travail en ont parlé à son gestionnaire et ont demandé que ce dernier soit affecté ailleurs.

[25] En décembre 1994, à cause de ces plaintes, le superviseur de M. Moore a demandé à ce dernier de cesser d'exécuter les fonctions relatives à l'utilisation des chariots élévateurs à fourches. Il a accepté de le faire de son plein gré afin d'atténuer les tensions et il a été affecté au centre du tri préliminaire destiné aux facteurs (TPF), qui fait partie de la Section du tri manuel.

(i) 1995-1998

[26] M. Moore a travaillé au centre du TPF pendant six semaines environ, mais il a estimé qu'on ne lui donnait pas l'occasion de se servir du matériel motorisé qui se trouvait à cet endroit. Il a donc demandé de retourner au quai de répartition.

[27] Le superviseur de M. Moore a accepté et celui-ci a réintégré le système de rotation de niveau PO5 au début de 1995, sous un régime de fonctions modifiées. La rotation des fonctions de niveau PO5, au quai de répartition, était la suivante :

Chariot élévateur - North : Chargement et déchargement des remorques (annexe)

Chariot élévateur - Well : Déchargement des camions et transport du courrier entre le quai de réception et le quai de répartition

Chariot élévateur - Rover : Transport et organisation des conteneurs de courrier sur le quai de répartition

Chariot Courrier aérien : Chargement et déchargement des remorques de courrier aérien en provenance et à destination de l'aéroport

Chariot Courrier urbain : Chargement des camions de 5 tonnes et organisation des monoteneurs et du courrier au rez-de-chaussée

Basculeur Courrier urbain : Dépôt des monoteneurs de courrier urbain dans la chute

Basculeur Courrier d'acheminement : Dépôt des monoteneurs de courrier d'acheminement sur la courroie transporteuse

Chariot à palettes de transport : Transport du courrier se trouvant au quai de répartition, principalement entre le rez-de-chaussée et les 3e et 4e étages, par ascenseur

Chariot à palettes 3e étage : Transport du courrier d'acheminement au 3e étage, et entre le 3e et le 2e étage, par ascenseur.

Chariot à palettes 4e étage : Transport des monoteneurs de courrier au 4e étage

Tri préliminaire pour facteurs : Tri manuel des sacs et des liasses de courrier se trouvant dans les monoteneurs

Nettoyage du quai : Essentiellement, tri du courrier interne, international et américain lourd en provenance de l'aéroport

Postes de relève : Relève pour tout employé absent (jour de congé ordinaire, congé de maladie, congé annuel, etc.)

La liste de rotation était établie au moins six semaines à l'avance, et chaque employé exécutait par rotation les fonctions qui y étaient indiquées.

[28] M. Moore a déclaré que le seul travail qu'il ne pouvait pas faire était le nettoyage du quai. Il a dit qu'il était capable d'effectuer les autres fonctions inscrites, en prenant parfois ses propres mesures d'adaptation, le cas échéant.

[29] Au quai de répartition, les employés avaient l'habitude d'échanger certaines fonctions. Habituellement, M. Moore était capable d'échanger avec un collègue de travail le travail de nettoyage du quai pour une autre tâche. S'il lui était impossible de le faire, ce qui arrivait à l'occasion, M. Moore en informait son surveillant, qui le dispensait de cette tâche.

[30] M. Moore a effectué les fonctions de rotation de niveau PO5 entre le début de l'année 1994 et le début du mois de juin 1998. Le 14 juin de cette année-là, il a pris un congé de maladie pour cause de douleurs au dos. Il a consulté le Dr Taylor le 24 juin 1998, et ce dernier a établi une autre EAPT. Le Dr Taylor a indiqué pour certaines activités (marcher, soulever, porter, etc.) des restrictions qui étaient essentiellement les mêmes que celles qui avaient été prescrites en août 1993. Il a déclaré que M. Moore pouvait retourner au travail le 29 juin, et reprendre ses fonctions de niveau PO5 deux ou trois mois plus tard.

[31] M. Moore est effectivement revenu au travail le 29 juin, mais il a été affecté à la Section du tri manuel, Tri primaire court et long (CL), l'un des emplois les plus sédentaires au CTCV. Il y est resté environ deux semaines et a ensuite pris cinq semaines de vacances; il est revenu au travail le 17 août 1998, et a repris ses fonctions de niveau PO5 ordinaires.

[32] Cependant, le 24 septembre 1998, il a pris de nouveau un congé de maladie à cause de douleurs au dos. Il est revenu au travail le 29 septembre et a travaillé pendant une heure environ au quai de répartition, mais il n'a pas pu continuer à cause de ses douleurs au dos. Il a été affecté une fois de plus au centre de tri primaire CL.

[33] À la demande de la SCP, M. Moore a obtenu une autre EAPT du Dr Taylor, le 6 octobre 1998. Dans cette évaluation, le Dr Taylor a mentionné que M. Moore ne devait pas se servir du chariot élévateur à fourches car les secousses aggraveraient ses douleurs au dos. Il a mentionné que M. Moore pourrait reprendre la rotation des fonctions de niveau PO5, en tenant compte de ses limites, dans un délai de 15 à 28 jours.

(ii) Notes de service des Services de santé au travail

[34] À la suite de l'EAPT du 24 juin 1998 du Dr Taylor, Sharon Harlos, l'infirmière chargée des services de santé au travail (SST), a envoyé une série de notes de service à divers surintendants entre les mois de juin et de novembre 1998. Dans sa note de service du 30 juin 1998, Mme Harlos a demandé si M. Moore était revenu au travail et on l'a informée que ce dernier était revenu le 29 juin 1998 et qu'il avait été affecté au centre de tri primaire CL.

[35] Le 22 juillet 1998, l'infirmière chargée des SST a demandé que l'on fasse le point sur la situation de M. Moore, et on lui a dit que ce dernier était en congé annuel pour un mois.

[36] Dans une note de service datée du 25 septembre 1998 et adressée à Mme Harlos, Andrew Langdon, surintendant de secteur, a dit que M. Moore avait été en congé du 14 au 25 juin, qu'il avait exécuté des fonctions modifiées au centre de tri primaire CL jusqu'au 13 juillet, date à laquelle il avait pris un congé annuel. Le 17 août 1998, il avait repris ses fonctions de niveau PO5.

[37] M. Langdon a signalé que M. Moore avait pris un congé de maladie le 24 septembre à cause de ses problèmes de dos et qu'il était toujours en congé le 25 septembre. Il a ajouté que M. Moore lui avait dit que s'il revenait, il allait avoir besoin d'un régime de travail modifié pendant un temps indéterminé. M. Langdon a suggéré aux SST que l'on demande à M. Moore d'obtenir une EAPT s'il n'était pas capable de revenir au travail. Et peut-être, vu l'état de M. Moore, la SCP devrait envisager de procéder à une réaffectation permanente.

[38] M. Langdon a également eu un entretien avec M. Moore au début d'octobre 1998, au sujet du fait de l'affecter de façon permanente à la Section du tri manuel, à cause de ses limites. M. Moore s'est souvenu de cet entretien. Il a déclaré que M. Langdon lui avait demandé si cela l'intéresserait d'être réaffecté à la Section du tri manuel et de devenir PO4. M. Moore lui avait répondu que non, mais que s'il changeait d'idée, il le lui ferait savoir.

[39] Le 2 novembre 1998, Mme Harlos a écrit à Martin M. Osborne, surintendant de secteur, pour demander si M. Moore exécutait toutes les fonctions que ses restrictions pour DPP lui permettaient d'accomplir. Sinon, il serait nécessaire de le réévaluer. M. Osborne a répondu que M. Moore n'avait pas repris ses fonctions de niveau PO5.

[40] Cet échange a mené à l'EAPT de M. Moore du 9 novembre 1998, dans laquelle le Dr Taylor a confirmé les restrictions qu'il avait recommandées antérieurement et a ajouté que M. Moore devait éviter de se servir du chariot élévateur à fourches et du chariot à palettes. Si c'était le cas, cela empêcherait M. Moore d'accomplir plus de la moitié des fonctions de niveau PO5.

[41] M. Moore a déclaré qu'à la fin de 1999 il se sentait toujours incapable de reprendre ses fonctions de niveau PO5. Il a continué de consulter le Dr Taylor pour ses problèmes de dos en 2002, 2003, 2004 et 2005. Il a déclaré aussi qu'en raison de ses vives douleurs au dos, le Dr Taylor l'avait envoyé voir un physiothérapeute, qui l'avait soigné entre le mois de décembre 2000 et l'année 2003. Durant cette période, il avait eu mal au dos même s'il accomplissait l'une des tâches les plus sédentaires au CTCV.

B. Prélude à l'affectation permanente de M. Moore au centre de tri primaire CL et au niveau PO4

[42] En 1998, Neil McClure était gestionnaire intérimaire, Contrôle de la production et rapports. Son travail consistait à veiller à ce que le CTCV respecte les engagements pris envers la clientèle sur le plan des livraisons. Ses nombreuses responsabilités englobaient les calendriers de travail, les congés annuels, les vacances, l'égalité des chances, l'ordonnancement, la santé et la sécurité, de même que les consultations avec le STTP en rapport avec ces questions.

[43] À cette époque, la SCP avait de la difficulté à respecter ses engagements envers la clientèle. Elle avait dû faire appel à des employés occasionnels et payé du temps supplémentaire pour traiter le courrier. En déambulant dans le centre, M. McClure avait constaté qu'à un moment donné il n'y avait que quatre ou cinq personnes qui travaillaient à la Section des colis urbains pendant le quart de jour, mais que le calendrier de travail indiquait 25 postes.

[44] Quand M. McClure a demandé pourquoi il y avait si peu de gens qui travaillaient, on lui a répondu qu'il y avait des employés qui avaient soumissionné un poste à la Section des colis urbains mais que ces derniers n'étaient pas en mesure d'effectuer les fonctions prévues. Ils avaient donc été affectés ailleurs, au centre de tri primaire CL, pour la plupart d'entre eux. Cela avait préoccupé M. McClure car la SCP dépensait beaucoup d'argent de plus en temps supplémentaire et en employés occasionnels afin de pouvoir respecter ses engagements envers la clientèle.

(i) La soumission relative aux quarts de travail de 1999

[45] La convention collective conclue entre la SCP et le STTP prévoyait que ce dernier pouvait demander que l'on organise, au sujet des quarts de travail, une soumission annuelle pour certains groupes d'employés du CTCV. Le processus de soumission a eu lieu entre les mois de septembre et de novembre pour des affectations débutant le deuxième dimanche de l'année civile suivante.

[46] La convention collective prévoyait également que la SCP et le STTP se consulteraient au sujet de changements apportés au régime de travail et au sujet d'autres questions. En août 1998, le STTP a demandé la tenue d'un processus de soumission pour les quarts de travail et a informé la SCP qu'il était prêt à tenir des consultations au sujet de ses propositions de dotation en personnel.

[47] M. McClure a tout d'abord fait état de ses préoccupations au sujet du déséquilibre de l'effectif, notamment dans le quart de jour, à la première séance de consultation tenue avec le STTP le 2 octobre 1998. Il a fait remarquer que le CTCV comptait 118 employés atteints d'une DPP. Parmi ces derniers, environ 43 p. 100 étaient affectés au quart du soir (de 16 heures à minuit).

[48] M. McClure a fait état de deux solutions de rechange auxquelles la SCP songeait. La première permettrait aux employés de présenter une soumission uniquement à l'égard des sections qui pouvaient les accueillir. L'autre répartirait les employés soumis à un régime de fonctions modifiées de manière égale, parmi les trois quarts de travail.

[49] Ce déséquilibre était imputable aux procédures de soumission en vigueur. Les employés soumissionnaient pour un centre de travail qui comportait des tâches difficiles. Ils le faisaient en sachant qu'ils n'étaient pas capables d'exécuter les fonctions prescrites et qu'il faudrait les installer ailleurs, par exemple, à la Section du tri manuel, où le travail est plus facile.

[50] Ils avaient acquis assez d'ancienneté dans ce centre de travail pour soumissionner avec succès le quart qu'ils privilégiaient, habituellement le quart no 2 ou no 3. Lorsque des mesures d'adaptation étaient prises à leur égard, ils intégraient leur poste en amenant avec eux leur soumission.

[51] Cela avait un double effet : trop d'employés dans un centre de travail particulier et pas assez dans un autre. Deuxièmement, cela créait une certaine animosité chez les employés physiquement aptes qui travaillaient dans le centre de travail où étaient affectés les employés bénéficiant de mesures d'adaptation et qui avaient plus d'ancienneté.

[52] À la séance de consultation suivante, tenue le 21 octobre 1998, le STTP a convenu que les employés atteints d'une DPP ne pouvaient pas soumissionner pour une section dans laquelle il était impossible de prendre pour eux des mesures d'adaptation. Mais le STTP a voulu revoir la situation pour chacun de ces employés. La SCP a convenu de remettre au STTP une liste des employés atteints d'une DPP qui montrerait pour quels centres ces derniers avaient soumissionné et dans lesquels ils bénéficiaient de mesures d'adaptation.

[53] La question des employés atteints d'une DPP et des soumissions relatives aux quarts de travail a de nouveau été l'objet d'une discussion à la séance de consultation du 28 octobre 1998. La SCP a indiqué qu'il y avait environ 120 employés atteints d'une DPP. Environ la moitié d'entre eux avaient soumissionné un poste pour lequel on ne pouvait prendre pour eux aucune mesure d'adaptation et ils avaient demandé qu'on les affecte à un autre secteur.

[54] Le 1er décembre 1998, la SCP a remis au STTP une liste des employés pour lesquels il était impossible de prendre des mesures d'adaptation dans le lieu de travail pour lequel ils avaient soumissionné. Le nom de M. Moore figurait sur cette liste, et celle-ci montrait que le résultat de sa soumission la plus récente était le quai de répartition et le quart de travail no 3 et que la mesure d'adaptation prise à son endroit était le centre de tri primaire CL et le quart de travail no 3.

[55] À la séance de consultation suivante, tenue le 7 décembre 1998, le STTP a demandé - et la SCP y a souscrit - que la dotation des employés atteints d'une DPP demeure la même pour 1999 parce que ces derniers n'avaient pas été suffisamment informés de la proposition de la SCP de modifier les procédures de soumission relatives aux quarts de travail. Cependant, pour la soumission relative aux quarts de travail de 2000, les employés atteints d'une DPP ne pourraient soumissionner que pour les secteurs dans lesquels il serait possible de prendre des mesures d'adaptation à leur endroit.

(ii) Le protocole d'entente conclu en 1999 entre la SCP et le STTP

[56] À la suite des consultations tenues en 1998, la SCP et le STTP ont conclu un protocole d'entente daté du 8 janvier 1999. Ce dernier comportait une série de procédures concernant la prise de mesures d'adaptation à l'égard des employés atteints d'une DPP, après application du paragraphe 54.02 de la convention collective.

[57] Aux termes du protocole d'entente, la SCP et le STTP devaient se consulter au sujet du placement approprié des employés atteints d'une DPP à un poste pour lequel il était possible de prendre à leur endroit des mesures d'adaptation. Les employés atteints d'une DPP seraient considérés comme reportés et comme faisant partie du calendrier de travail auquel ils étaient affectés et ils seraient affectés à n'importe quel poste vacant dans le cadre du calendrier de travail.

[58] Au moment de leur affectation, les employés atteints d'une DPP seraient à salaire bloqué dans le cadre de leur calendrier de travail. Cela signifiait que si l'on prenait des mesures d'adaptation à l'égard d'un employé atteint d'une DPP et qu'on l'affectait à un poste assorti d'un taux de rémunération inférieur, il conserverait son taux de rémunération antérieur jusqu'à ce que le taux applicable à son poste adapté atteigne le même niveau. Cette mesure avait pour but de garantir que les employés d'une DPP ne subiraient aucune perte de salaire à cause des mesures d'adaptation.

[59] Quant aux futures soumissions, les employés atteints d'une DPP ne soumissionneraient en fonction de leur ancienneté qu'à l'égard du calendrier de travail pour lequel ils bénéficiaient de mesures d'adaptation. Ces employés pourraient demander que l'on réévalue leur situation si leurs limites physiques venaient à changer.

[60] La prise de mesures d'adaptation à l'égard des employés atteints d'une déficience ou victimes d'un accident du travail était un problème avec lequel la SCP et le STTP étaient constamment aux prises. Seule la SCP pouvait décider à quel endroit un employé atteint d'une DPP pouvait bénéficier de mesures d'adaptation. Le STTP ne pouvait pas s'opposer à la décision; il pouvait uniquement présenter un grief s'il n'était pas d'accord.

[61] Le STTP voulait un processus qui lui permettrait de consulter la SCP et de prendre part aux décisions concernant les mesures d'adaptation prises à l'égard des employés atteints d'une DPP. Le protocole d'entente a permis au STTP de participer au processus de prise de mesures d'adaptation.

(iii) Le processus des soumissions relatives aux quarts de travail de 2000

[62] Le 29 septembre 1999, la SCP a écrit au STTP au sujet de sa proposition concernant les soumissions relatives aux quarts de travail de 2000. Les employés atteints d'une DPP qui avaient été affectés à un secteur particulier à la suite de la soumission de l'année précédente resteraient au même endroit, sauf si leur situation venaient à changer. Et c'était leur ancienneté qui déterminerait quel serait leur quart de travail. Tous les autres employés atteints d'une DPP ne soumissionneraient que pour un secteur dans lequel des mesures d'adaptation pouvaient être prises, et c'était l'ancienneté qui primerait.

[63] Un certain nombre de consultations ont été tenues à l'automne de 1999, et la dernière a eu lieu le 2 novembre 1999. À cette époque, la SCP avait remis au STTP une liste à jour des employés atteints d'une DPP et de leurs restrictions connexes, en rapport avec la soumission annuelle. La liste comptait 50 personnes et, pour chacune, elle indiquait les mesures qu'il fallait prendre à leur égard. M. Moore était inscrit comme faisant l'objet de mesures d'adaptation au sein du centre de tri primaire CL, et son salaire était bloqué.

[64] La SCP allait informer ces employés en leur envoyant une lettre qui indiquerait leur situation par rapport à leur DPP, leurs limites et les centres pour lesquels ils seraient autorisés à soumissionner.

[65] La nouvelle procédure de soumission relative aux quarts de travail pour 2000 a été annoncée aux employés par le STTP et par la SCP. Dans son bulletin du 3 novembre 1999, le STTP a annoncé que la SCP et lui avaient passé un temps considérable à se consulter, et qu'ils avaient examiné quelles mesures d'adaptation prendre à l'égard des employés atteints d'une déficience. Le STTP allait communiquer avec les employés atteints d'une DPP pour confirmer leur placement ou les restrictions imposées aux soumissions, en fonction de leurs limites.

[66] Agissant au nom de la SCP, M. McClure a envoyé une lettre datée du 12 novembre 1999 à tous les employés du CTCV pour décrire les changements apportés au processus de soumission concernant les quarts de travail pour 2000. Il a également envoyé une lettre aux différents employés atteints d'une DPP pour les aviser de leur situation.

[67] M. McClure a envoyé à M. Moore une lettre datée du 15 novembre 1999 dans laquelle il a informé ce dernier qu'il avait été affecté à titre permanent à la Section du tri manuel puisqu'il bénéficiait de mesures d'adaptation dans ce secteur. Les choix de quarts de travail que ce dernier avait faits étaient le centre de tri primaire et les quarts de travail no 1, no 2 ou no 3. M. McClure a également informé M. Moore que son taux de rémunération PO5 était bloqué jusqu'à ce que le taux PO5 atteigne le taux PO4.

[68] Quant à la raison pour laquelle M. Moore était réaffecté à titre permanent, M. McClure a dit que la SCP avait considéré que les limites dues à sa DPP l'empêchaient d'exécuter les fonctions de niveau PO5 au quai de répartition. En outre, M. Moore travaillait au centre de tri primaire CL depuis septembre 1998.

[69] Il est évident que le STTP n'a pas pris part à la décision d'affecter M. Moore au centre de tri primaire CL en septembre 1998. Il est évident aussi que même si le STTP a eu son mot à dire lors de la consultation concernant les mesures d'adaptation destinées aux employés atteints d'une DPP, il n'a pas décidé conjointement avec la SCP d'affecter à titre permanent M. Moore à la Section du tri manuel et de le reclassifier du niveau PO5 au niveau PO4.

C. Les griefs de M. Moore

[70] Après avoir reçu la lettre de M. McClure datée du 15 novembre 1999, M. Moore a communiqué avec le STTP et a rempli un formulaire de grief interne dans lequel il a soutenu que l'on avait enfreint les droits que lui conférait la convention collective. C'était parce qu'il était atteint d'une DPP que la SCP l'avait reclassifié du niveau PO5 au niveau PO4 sans son consentement, en l'affectant à titre permanent à la Section du tri manuel. Il a conclu son grief en disant ceci : [traduction] À ce moment-ci, je ne suis pas sûr de pouvoir réintégrer les fonctions modifiées que j'exerçais auparavant au quai de répartition, mais j'aimerais avoir le droit d'exercer mes choix plus tard.

[71] Le STTP a déposé un grief officiel daté du 5 janvier 2000, dans lequel il a indiqué que la SCP, dans sa lettre datée du 15 novembre 1999, avait reclassifié à tort M. Moore du niveau PO5 au niveau PO4 et qu'elle avait changé à tort son statut. Le redressement que sollicitait le STTP était que M. Moore conserve son statut de PO5 et soit rémunéré en tant que PO5.

[72] Dans la lettre qu'il a envoyée le 1er février 2000 à M. Moore, M. McClure a officiellement confirmé que ce dernier était réaffecté à titre permanent au centre de tri primaire CL et que son taux de rémunération serait bloqué jusqu'à ce qu'il atteigne le taux applicable au niveau PO4.

[73] Le STTP a déposé un second grief au nom de M. Moore, en date du 19 mai 2000. Dans ce grief, le STTP a allégué que la SCP avait réduit à tort le taux de rémunération de M. Moore du niveau PO5 au niveau PO4. La SCP se devait d'indemniser M. Moore de la totalité de la rémunération et des avantages perdus et de maintenir le taux de rémunération de M. Moore au niveau existant.

[74] Les griefs ont tous deux été retirés à la suite d'une entente de règlement conclue entre le STTP et la SCP : le grief du 5 janvier 2000, le 13 juin 2003, et le grief du 19 mai 2000, le 6 février 2001.

[75] Dans son formulaire de grief interne ainsi que dans les deux griefs du STTP, l'affectation de M. Moore au centre de tri primaire CL n'a jamais été contestée. M. Moore semblait satisfait de travailler au niveau PO4 et de toucher le taux de rémunération applicable au niveau PO5. Ce n'est que lorsque son taux de rémunération a été bloqué qu'il a commencé à s'inquiéter. Mais son inquiétude et celle du STTP avaient trait au changement de son taux de rémunération, et non à son affectation au centre de tri primaire CL.

[76] À l'époque, Ken Mooney était l'agent des griefs du STTP et il était chargé des griefs et des arbitrages. Selon M. Mooney, le STTP a retiré les griefs parce qu'il avait conclu que l'on n'y ferait pas droit en arbitrage.

[77] Selon certains éléments jurisprudentiels en matière d'arbitrage, lorsqu'un employé n'est pas capable d'accomplir les fonctions liées à un niveau de classification supérieur, l'employeur n'a pas à payer la rémunération liée à ce niveau de classification. M. Mooney a déclaré qu'il avait expressément parlé de ces décisions en matière d'arbitrage avec M. Moore. Quand le STTP a retiré les griefs de M. Moore en 2001 et en 2003, il s'était écoulé un certain nombre d'années depuis que M. Moore avait exécuté les fonctions de niveau PO5. En outre, M. Moore n'avait pas fourni de preuves médicales à jour montrant qu'il était apte à revenir travailler en tant que PO5.

D. Les soumissions relatives aux quarts de travail de 2000 et 2001 - Affectation de M. Moore au quart de nuit

[78] Le formulaire de soumission de M. Moore pour 2000 limitait son choix à la Section du tri manuel et aux quarts de travail no 1, no 2 ou no 3. Il avait toujours effectué le quart de travail no 3 à titre de PO5, ainsi qu'à partir du moment où l'employeur l'avait affecté au centre de tri primaire CL en septembre 1998.

[79] Pour la soumission relative aux quarts de travail de 2000, il y avait 292 postes disponibles au sein de la Section du tri manuel, répartis entre quatre centres/calendriers de travail : Tri primaire (Court/Long et Courrier surdimensionné, ou CL et CS), Machine à trier les grands objets plats, ou MTGOP, Tri préliminaire par itinéraire de facteur, ou TPIF, et Tri final urbain, ou TFU. Parmi ces quatre centres/calendriers, M. Moore ne pouvait soumissionner que pour 158 postes, soit 54 p. 100 de la totalité des postes. Les autres employés de la Section du tri manuel pouvaient soumissionner pour la totalité des postes. Malgré les limites, M. Moore a soumissionné avec succès pour le quart de travail qu'il préférait, celui de l'après-midi.

[80] En 2001, la SCP a scindé la Section du tri manuel en deux centres de travail : CL et CS (sauf pour le quart de travail no 2, où ces centres sont restés combinés). La soumission relative aux quarts de travail de M. Moore a donc été limitée au Tri primaire CL et aux quarts de travail no 1 et no 3, ainsi qu'au Tri manuel et au quart de travail no 2.

[81] Pour la soumission relative aux quarts de travail de 2001, la Section du tri manuel comportait 301 postes, mais le nombre de ceux auxquels M. Moore avait accès était de 119, soit 40 p. 100 de la totalité des postes. Cela était dû au fait que les centres CL et CS représentaient maintenant deux calendriers de travail distincts.

[82] M. Moore n'avait pas l'ancienneté requise pour accéder au quart de travail no 2 ou no 3 et, de ce fait, il a été refoulé du quart de travail no 3 au quart de travail no 1 (le quart de nuit) pour 2001.

[83] Pour M. Moore, les résultats de sa soumission de 2002 ont été les mêmes. En 2002, la Section du tri manuel comptait 278 postes. M. Moore n'avait accès qu'à 84 de ces postes, soit 30 p. 100 de la totalité des postes. Là encore, pour cette année-là, il s'est retrouvé affecté au quart de nuit.

[84] En 2003, la SCP a restructuré le CTCV. Un certain nombre de centres ont été combinés à celui du tri primaire CL, de sorte que le nombre de postes pour lesquels M. Moore pouvait soumissionner a augmenté. Cela lui a permis d'obtenir le quart de travail de son choix. C'est ainsi qu'en janvier 2003, M. Moore a réintégré le centre de tri primaire CL et le quart de travail no 3, où il se trouve aujourd'hui.

E. M. Moore a-t-il établi une preuve prima facie de discrimination?

[85] Dans une affaire relative aux droits de la personne soumise au présent Tribunal, le plaignant doit d'abord établir une preuve prima facie de discrimination. Une preuve prima facie est une preuve qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique raisonnable de la partie intimée. La réplique de la partie intimée ne devrait pas entrer en ligne de compte dans la décision portant sur le fait de savoir si la partie plaignante a établi une preuve prima facie de discrimination. (Voir Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) et O'Malley c. Simpson Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536; ainsi que Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 2004; Dhanjal c. Air Canada, (1997) 139 F.T.R. 37, au paragraphe 6.)

[86] Dans sa plainte, M. Moore allègue que la SCP a fait preuve de discrimination à son endroit en omettant de prendre en compte sa déficience. Je ne saurais trop insister sur le fait que le défaut de prendre une mesure d'adaptation n'est ni un motif de distinction illicite ni une pratique discriminatoire aux termes de la LCDP. En vertu de cette dernière, il n'existe pas de droit d'adaptation distinct.

[87] L'obligation d'adaptation ne prend naissance que dans le contexte du paragraphe 15(2) de la LCDP, et uniquement lorsqu'une partie intimée invoque un motif justifiable en se défendant contre une allégation de discrimination. Pour pouvoir établir une preuve prima facie, M. Moore doit se fonder sur quelque chose d'autre que le défaut de la SCP de prendre des mesures d'adaptation à son égard.

[88] Les allégations de discrimination de M. Moore contre la SCP sont les suivantes :

  1. la SCP a fait preuve de discrimination à son égard à cause de sa déficience en le réaffectant à titre permanent à la Section du tri manuel et en le reclassifiant du niveau PO5 au niveau PO4;
  2. la SCP a fait une distinction défavorable à son endroit en limitant, à cause de sa déficience, les choix qu'il pouvait faire dans le cadre des soumissions relatives aux quarts de travail.

Pour établir une preuve prima facie, M. Moore doit démontrer que sa réaffectation et sa reclassification contrevenaient à l'alinéa 7a) ou à l'alinéa 7b) de la LCDP.

F. Preuve prima facie - alinéa 7a) de la LCDP

[89] Pour ce qui est de l'alinéa 7a), il est manifeste que la SCP n'a pas refusé d'employer M. Moore. On pourrait faire valoir cependant que la SCP a refusé de continuer d'employer M. Moore en tant que PO5 en le reclassifiant au niveau PO4.

[90] Cependant, la SCP a maintenu le taux de rémunération de niveau PO5 de M. Moore entre les mois de septembre 1998 et de janvier 2000, même si ce dernier exécutait des fonctions de niveau PO4. Durant cette période, M. Moore n'a jamais demandé de réintégrer ses fonctions.

[91] Ce n'est qu'après le 15 novembre 1999, quand M. Moore a appris de M. McClure qu'il serait affecté à titre permanent à la Section du tri manuel et que sa rémunération serait bloquée, qu'il a soulevé une objection en déposant ses griefs.

[92] Ce faisant, M. Moore n'a jamais contesté les mesures d'adaptation. Comme il l'a lui-même reconnu dans son formulaire de grief interne daté de 1999, M. Moore n'était pas sûr de pouvoir réintégrer ses fonctions au quai de répartition. À ce moment-là, la SCP ne refusait pas de continuer d'employer M. Moore au niveau PO5. Ce dernier, à cette époque-là, n'était pas capable d'exécuter les fonctions de niveau PO5.

[93] Devant le Tribunal, M. Moore a déclaré que l'état de son dos s'était suffisamment amélioré pour qu'il puisse réintégrer ses fonctions de niveau PO5 en janvier 2000. Par coïncidence, c'est à ce moment-là qu'il a été officiellement réaffecté et reclassifié. Mais M. Moore n'a jamais demandé de réintégrer les fonctions de niveau PO5. Il n'a pas dit à son superviseur, ou à qui que ce soit d'autre à la SCP, qu'il était prêt à le faire. Il n'a pas non plus fourni de preuve médicale indiquant qu'il était capable de le faire.

[94] M. Moore a expliqué qu'il croyait que sa reclassification au niveau PO4 excluait la possibilité d'être en mesure de reprendre ses fonctions de niveau PO5. Mais M. Moore aurait pu prendre des mesures pour réintégrer ses fonctions de niveau PO5 s'il s'en sentait capable. La convention collective comporte des dispositions détaillées au sujet des mutations et, en fait, elle oblige un employé qui souhaite être muté à présenter à son supérieur immédiat une demande écrite faisant état de son souhait.

[95] M. Moore a indiqué également qu'il avait continué de consulter le Dr Taylor au sujet de ses problèmes de dos en 2002, 2003, 2004 et 2005. Et, à la recommandation de ce médecin, il a suivi une physiothérapie entre 2000 et 2003 à cause des vives douleurs qu'il ressentait au dos. Pendant ces années-là, jamais M. Moore n'a demandé au Dr Taylor une évaluation médicale qui lui aurait permis de réintégrer ses fonctions de niveau PO5.

IV. CONCLUSION

[96] Je conclus que lorsque la SCP a reclassifié M. Moore au niveau PO4 et qu'elle l'a réaffecté à la Section du tri manuel en janvier 2000, ce dernier n'était pas apte à ce moment-là à exécuter des fonctions de niveau PO5. Il ne ressort pas non plus de la preuve que ce dernier aurait pu effectuer du travail de niveau PO5 à un moment quelconque par la suite.

[97] Je souscris à la thèse énoncée dans les décisions arbitrales, à savoir que si un employé n'est pas capable d'exécuter les fonctions essentielles de son emploi, l'employeur est justifié de le reclassifier à un poste de niveau inférieur. (Voir Ontario English Catholic Teachers Association c. OPEIU, b1 LAC (4th) 109; Chamberlin c. 599273 Ontario Ltd., 11 C.H.R.R. D/110.)

[98] La SCP n'a pas refusé de continuer à employer M. Moore en le reclassifiant au niveau PO4. M. Moore n'a pas établi une preuve prima facie au sens de l'alinéa 7a) de la LCDP. Cet aspect de la plainte de M. Moore n'a pas été justifié.

A. Preuve prima facie - Alinéa 7b) de la LCDP

[99] La reclassification et la réaffectation de M. Moore donne-t-elle lieu à une preuve prima facie au sens de l'alinéa 7b) de la LCDP? Je ne crois pas. Réduire la rémunération d'un employé atteint d'une déficience pour qu'elle corresponde à la valeur du travail accompli ne constitue pas une distinction défavorable.

[100] En outre, comparativement aux employés physiquement aptes de niveau PO4 qui exécutaient des fonctions de niveau PO4, M. Moore touchait la même rémunération. Quant aux employés touchant la rémunération de niveau PO5, leur situation ne se comparait pas à celle de M. Moore. Ils exécutaient des fonctions de niveau PO5, ce qui n'était pas le cas de M. Moore.

[101] Pour ces raisons, M. Moore n'a pas établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l'alinéa 7b) de la LCDP à cause de sa reclassification.

B. Preuve prima facie? - Restriction des droits de soumission de M. Moore, alinéa 7b) de la LCDP

[102] En tant qu'employé atteint d'une DPP, M. Moore ne pouvait soumissionner que pour certains postes de la Section du tri manuel. Les employés physiquement aptes de cette Section n'étaient pas soumis à de telles restrictions. M. Moore l'était à cause de sa déficience. Cela suffit pour établir une preuve prima facie à l'égard de cet aspect de sa plainte.

[103] Il incombe donc à la SCP de démontrer que cette restriction équivalait à un motif justifiable et que les mesures destinées à répondre aux besoins de M. Moore constituaient une contrainte excessive, comme le prescrit le paragraphe 15(2) de la LCDP.

[104] La justification de la SCP était qu'elle avait de sérieuses difficultés à respecter les engagements qu'elle avait pris envers sa clientèle. Cela était dû au fait que des employés atteints d'une DPP soumissionnaient pour des centres de travail dont ils n'étaient pas capables d'exécuter les fonctions et qu'il fallait les affecter à un autre centre de travail. Cela créait un déséquilibre dans certaines sections du CTCV, et une pénurie d'employés dans d'autres. La SCP avait donc adopté la politique suivante : un employé ne pouvait soumissionner que pour un centre ou un calendrier de travail où il était possible de prendre des mesures d'adaptation à son endroit.

[105] Cependant, la SCP était tenue de démontrer que M. Moore était incapable d'effectuer le travail dans n'importe quel centre de travail de la Section du tri manuel, sauf celui du tri primaire CL. Il n'existe aucune preuve précise que lorsque la soumission relative aux quarts de travail de M. Moore a été limitée, la SCP avait évalué la capacité de ce dernier de travailler dans n'importe quel centre de travail de la Section du tri manuel autre que celui du tri primaire CL.

[106] Il semble plutôt que la décision a été prise en se fondant sur une preuve impressionniste, à savoir que M. Moore bénéficiait de mesures d'adaptation au centre du tri primaire CL depuis un certain nombre d'années. Il ne s'agit pas là d'une réplique suffisante à la preuve prima facie de M. Moore. Cela étant, je conclus que la SCP s'est livrée à une pratique discriminatoire.

V. RÉPARATION

[107] M. Moore a demandé la somme de 2 500 $ à titre d'indemnité pour la perte du droit d'être exempt de discrimination à cause des restrictions imposées à son droit de soumissionner pour les quarts de travail de 2001 et 2002; la somme de 2 500 $ pour l'insouciance avec laquelle la SCP l'a réaffecté et reclassifié et restreint ses droits de soumission, ainsi que la somme de 1 500 $ pour les difficultés physiques et affectives qu'il a subies après avoir été refoulé au quart de nuit en 2001 et en 2002.

[108] La LCDP n'habilite pas le Tribunal à accorder une indemnité pour la perte du droit d'être exempt de discrimination. Quant à la prétention du plaignant à propos de la conduite insouciante de la SCP, je conclus que cette dernière a pris la décision de le reclassifier et de le réaffecter dans le cadre de la stratégie opérationnelle générale qu'elle a adoptée parce qu'elle ne parvenait pas à respecter les engagements pris envers la clientèle. Cette mesure a été suivie de la politique de la SCP consistant à affecter les employés là où il était possible de prendre des mesures d'adaptation à leur endroit. Je ne conclus pas qu'en agissant de la sorte, la SCP a agi de manière insouciante.

[109] Quant à la prétention de M. Moore au sujet de difficultés physiques et affectives, le Tribunal peut reconnaître ce fait en accordant une indemnité pour les douleurs et les souffrances subies. M. Moore a déclaré qu'à cause du quart de nuit, il avait beaucoup de difficulté à dormir lorsqu'il ne travaillait pas. Il dit qu'il ne pouvait dormir que trois ou quatre heures à la fois. Le Dr Taylor a mentionné ce qui suit dans ses notes du 27 avril 2001 : [traduction] insomnie, travail de nuit permanent, d'où problèmes de sommeil et palpitations. Il a prescrit à M. Moore des médicaments qui l'aideraient à dormir.

[110] M. Moore a déclaré également que le quart de nuit affectait sa vie à la maison. Le travail le mettait de mauvaise humeur et le rendait agressif quand il était question d'affaires familiales. Bien des gens devenaient nerveux lorsqu'ils le côtoyaient à la maison. Il disait qu'il avait l'impression de vivre dans le brouillard la majeure partie du temps, sauf peut-être les fins de semaine, où il pouvait reprendre le sommeil qui lui manquait.

[111] J'admets que M. Moore a éprouvé quelques difficultés physiques et affectives parce qu'il était affecté au quart de nuit. Mais, pour recevoir une indemnité quelconque, M. Moore doit démontrer qu'il y avait une possibilité sérieuse que, n'eût été de la discrimination, il aurait obtenu le quart de travail no 3 (son premier choix) ou le quart de travail no 2 (son deuxième choix) (Sangha c. McKenzie Valley Land and Water Board, 2006 CHRT 9, au paragraphe 216; Brooks c. Canada, 2006 C.F. 1244, aux paragraphes 40 à 45).

[112] M. Moore n'a présenté aucune preuve indiquant que son ancienneté lui aurait permis d'obtenir autre chose que le quart de travail no 1. Pour cette raison, il ne convient pas d'accorder une indemnité pour souffrances et douleurs.

A. La plainte fondée sur l'article 10 déposée par M. Moore

[113] Dans sa plainte, M. Moore a allégué également une violation de l'article 10 de la LCDP. Mais il n'a fait état d'aucune preuve à l'appui de cette allégation, ni présenté des observations finales sur le sujet. Je présume qu'il a laissé tombé cette allégation. Sinon, elle n'a pas été justifiée.

B. La responsabilité du STTP

[114] Quant à une responsabilité quelconque du STTP à propos de la réaffectation et de la reclassification de M. Moore et de la limitation de sa soumission relative aux quarts de travail, il est vrai que le STTP a pris part aux consultations qui ont mené au protocole d'entente. Mais c'est la SCP qui avait le dernier mot au sujet du sort de M. Moore. Le rôle du STTP a consisté à tenir des consultations afin de s'assurer, dans la mesure du possible, que les employés atteints d'une DPP bénéficiaient de mesures d'adaptation convenables. Ce n'était pas le STTP qui prenait pas la décision finale.

[115] Je conclus que le STTP n'assume aucune responsabilité par suite de la plainte de M. Moore.

J. Grant Sinclair

OTTAWA (Ontario)
Le 25 juillet 2007

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T899/1904

INTITULÉ DE LA CAUSE :

B. Rick Moore c. Société canadiennes des postes et Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 8 au 11 août 2006

Les 30 octobre au 2 novembre 2006

Vancouver (Colombie-Britanique)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 25 juillet 2007

ONT COMPARU :

B. Rick Moore

Assisté par Kathy Roczkowskyj

Pour lui-même

Aucun représentant

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Zygmunt Machelack
Assisté de Bob Jasamanidse

Pour l'intimée, la Société canadienne des postes

Gina Tessaro

Assistée par Robert Mulvin

Pour l'intimé, le Syndicat des travailleurs et

travailleuses des postes

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.