Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 7/ 89 Décision rendue le 21 avril 1989

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S. R. C. 1985, CHAPITRE H- 6, VERSION MODIFIEE

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE : MARK ROSIN PLAIGNANT - et LES FORCES ARMEES CANADIENNES MISES EN CAUSE

TRIBUNAL : EMANUEL (MANNY) SONNENSCHEIN, C. R.

DECISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU : René Duval Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Bruce Russell et le major S. Gouin Avocats des mises en cause

DATES ET LIEU DES AUDIENCES : Du 9 au 14 janvier 1989 Saskatoon (Saskatchewan)

TRADUCTION > 2

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE, S. R. C. 1985 CHAPITRE H- 6, version modifiée TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE ENTRE MARK ROSIN, PLAIGNANT, ET LE MINISTERE DE LA DEFENSE NATIONALE (maintenant appelé FORCES ARMEES CANADIENNES), MIS EN CAUSE

DECISION :

Devant Emanuel (Manny) Sonnenschein, C. R.

ONT COMPARU : René Duval - avocat de la Commission canadienne des droits de la personne Bruce Russell et le major S. Gouin - avocats des mises en cause

DATES ET LIEU DES AUDIENCES : Du 9 janvier 1989 au 14 janvier 1989 à l’hôtel Ramada Renaissance de Saskatoon (Saskatchewan).

CONSTITUTION DU TRIBUNAL : Le présent tribunal a été constitué conformément aux dispositions du paragraphe 39 (1.1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il

> 3 était chargé d’enquêter sur la plainte déposée par Mark Rosin le 4 décembre 1984 et modifiée le 15 mai 1987 contre le ministère de la Défense nationale, maintenant désigné sous le nom de Forces armées canadiennes; comme le précise l’exposé de la plainte, cette dernière portait sur une présumée discrimination fondée sur une déficience, de la part d’un fournisseur de services et d’emploi.

OBJET DES AUDIENCES Les audiences visent- elles à définir les droits d’un individu ou d’un cadet, ou ceux de tous les individus, qu’ils soient cadets ou non? Ont- elles pour but de déterminer les droits et les devoirs des Forces armées canadiennes en ce qui concerne la protection à accorder aux personnes qui se placent sous leur responsabilité pour obtenir une formation de parachutistes ? Sont- elles destinées à établir si la vision binoculaire constitue une exigence professionnelle justifiée pour faire du parachutisme dans les Forces armées canadiennes ?

Nous croyons qu’il faut tenir compte de tous ces aspects de la question et d’autres encore (par exemple le fait que les droits généraux découlent généralement des droits plus restreints).

OBJET : On comprend souvent mal l’objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Certaines personnes pensent qu’elle vise simplement à les

> 4 harceler, alors que ce n’est absolument pas le cas. Le tribunal se rend bien compte que cette loi a pu, du moins en quelques rares occasions, donner cette impression, mais il estime que ni le plaignant ni les mises en cause ne devraient percevoir ainsi sa décision dans le cas présent.

Personne ne conteste que le plaignant, Mark Rosin, était un cadet qualifié et exemplaire. Par malheur, il a perdu un oeil à l’âge de sept ans. Il s’est heureusement ajusté vite et bien, comme l’ont souligné le plaignant lui- même, son père et le Dr Chisholm, et cela non plus ne fait aucun doute. Il a été choisi pour suivre de nombreux cours, à titre de cadet, et compte à son actif de nombreuses réalisations que beaucoup pourraient lui envier.

En ce qui concerne les faits qui nous occupent, il a été l’un des trois élèves retenus après des épreuves de sélection rigoureuses. M. Bellavance, un ancien responsable du cours de parchutisme à Edmonton, a confirmé qu’il était au courant de la vision monoculaire du plaignant. Nous avons aussi entendu un témoignage selon lequel Bruce Spence, qui était apparemment le commandant régional du corps de cadets, connaissant également la situation. Mark Rosin affirme qu’il en avait averti le responsable de la première partie du cours, et le tribunal ne met pas en doute son témoignage. L’officier en question ne s’en souvenait pas, mais nous pouvons imputer cette défaillance de mémoire au temps écoulé et à divers autres facteurs, dont peut- être un désir inconscient de ne pas faire savoir à ses supérieurs qu’il avait négligé d’appliquer certains règlements dont la plupart d’entre eux ne connaissaient même pas l’existence. Rien ne permet de croire que les Rosin, leur médecin de famille ou qui que ce soit d’autre aient participé à une conspiration du silence pour dissimuler la situation. Si tel était le cas, le tribunal

> 5 n’aurait même pas à se prononcer sur cette affaire. Nous pensons que les gens qui ont été mis au courant de la déficience de Mark Rosin étaient compétents et connaissaient le vol, le parachutisme et les risques présumés qui s’y rattachent. Ils ne voulaient certainement pas faire courir de risques à Mark Rosin ou à qui que ce soit d’autre. Aucun d’entre eux, pas plus que la famille Rosin, n’avait l’impression qu’il existait un risque. Nous nous permettons cependant de souligner que ce n’est pas à eux de trancher ici. Il paraît certain que M. Rosin n’a jamais voulu prendre de risques inutiles, et que sa famille ne l’a pas encouragé à en courir ou à en faire courir à d’autres.

De toute évidence, cette décision doit donc reposer sur les épaules du tribunal, dirigé par sa seule conscience, si toutefois elle relève bien de sa compétence.

Sans vouloir critiquer qui que ce soit, nous devons souligner que l’avocat des mises en cause, M. Russell, a été invité à expliquer ce que signifiait selon lui un témoignage fondé sur des impressions. Il aurait pu l’expliquer en détail; ce point se rapportait directement à l’affaire Etobicoke, (1982) 1 R. C. S. 202, qui va exactement à l’encontre de la position du plaignant.

Les avocats des mises en cause semblent fonder leur argumentation sur la perception qu’il pourrait leur suffire d’établir que le parachutisme est dangereux et que tout facteur de danger supplémentaire devient un risque. Il s’agit peut- être là d’un point de vue simpliste, mais il semble néanmoins

> 6 constituer l’assise même des témoignages présentés lors du contre- interrogatoire par bon nombre des principaux témoins des mises en cause.

Avant d’étudier plus à fond ces témoignages, il conviendrait peut- être de citer certaines dispositions tout à fait pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous nous rendons bien compte que les gens qui s’occupent de ces questions savent lire et qu’ils sont conscients que

la Loi a un objectif correcteur, mais nous tenons à rappeler que l’objet de la Loi est défini comme suit à l’article 2 (le soulignement est de nous) :

"2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience."

L’article 5 précise ce qu’est un acte discriminatoire : 5. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public : a) d’en priver un individu ; b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

L’article 7 porte sur la discrimination dans l’emploi : 7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects : a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu ; b) de le défavoriser en cours d’emploi.

> 7 A l’article 10, les lignes de conduite discriminatoires sont définies de la façon suivante :

"10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale : a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite ; b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel."

Les fonctions du tribunal sont énoncées au paragraphe 50( 1) de la Loi : 50( 1). Le tribunal, après avis conforme à la Commission, aux parties et, à son appréciation, à tout intéressé, examine l’objet de la plainte pour laquelle il a été constitué ; il donne à ceux- ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations.

Le tribunal dispose de pouvoirs très étendus en ce qui concerne les éléments qu’il peut admettre en preuve, comme le précise le paragraphe 50( 2) :

"50( 2). Pour la tenue de ses audiences, le tribunal a le pouvoir : a) d’assigner et de contraindre les témoins à comparaître, à déposer

verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire les pièces qu’il juge indispensables à l’examen complet de la plainte, au même titre qu’une cour supérieure d’archives ; b) de faire prêter serment ; c) de recevoir des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire.

La principale restriction relative à ces éléments de preuve est précisée au > 8 paragraphe 50( 3) :

"50( 3). Malgré l’alinéa (2) c), le tribunal ne peut admettre en preuve les éléments qui, dans le droit de la preuve, sont confidentiels devant les tribunaux judiciaires."

L’article 53 définit selon quels mécanismes le tribunal peut rejeter une plainte ou prendre une ordonnance ; il en sera question plus loin.

Nous avons souligné certains extraits de la Loi à l’intention des avocats chargés de la présente affaire et de tous ceux qui pourraient comparaître plus tard devant ce tribunal ou devant un tribunal semblable. Ils savent sans aucun doute que la Loi vise à corriger les pratiques discriminatoires, mais nous les soupçonnons d’avoir parfois tendance à l’oublier, dans leur empressement à défendre les droits de leur plaignant ou de leur mis en cause. Les avocats semblent souvent croire qu’ils comparaissent devant un tribunal judiciaire ; il est d’ailleurs arrivé qu’ils s’adressent au tribunal en l’appelant respectueusement, avec un zèle un peu intempestif, Votre Seigneurie ou Votre Honneur. Les interpellations de ce genre sont inappropriées, mais ne sont généralement pas relevées puisqu’il paraît s’agir de simples lapsus.

Les avocats ne semblent pas avoir compris que le tribunal a le droit d’admettre ou non les éléments de preuve énumérés au paragraphe 50( 2), à condition qu’ils ne soient pas visés par les restrictions applicables aux tribunaux judiciaires pour des raisons de privilège. Le tribunal doit donner à chaque partie tous les moyens voulus pour faire valoir sa cause ; d’après

> 9 nous, il n’est pas nécessairement lié sur ce point aux règles ordinaires relatives aux témoignages et à la preuve, bien qu’il doive normalement tenir compte de ces règles et de leurs effets escomptés. Nous avons souligné que, tant que l’affaire n’était pas classée, le tribunal pouvait recueillir de nouveaux éléments de preuve ; nous avons tenté de traiter les deux parties équitablement, entendant souvent des objections ou des arguments qui pouvaient sembler répétitifs ou peu pertinents, et que nous avions d’ailleurs demandé aux avocats de traiter autrement, et autorisant les parties à nous soumettre des éléments de preuve supplémentaires, dans des délais raisonnables, conformément à notre mandat.

TEMOIGNAGES D’EXPERTS

Nous avons constaté une grande confusion au sujet de ce qu’est un témoignage d’expert et de ce à quoi il devrait servir. Les tribunaux civils, y compris la Cour suprême, ont certes déjà traité de cette question, mais le tribunal a entendu tellement de témoignages de prétendus experts qu’il devient nécessaire, selon nous, de préciser clairement quel est le rôle de ces experts. Dans une cause entendue récemment par la Cour d’appel de la Saskatchewan, l’affaire Rieger c. Burgess (1988) 66 Saskatchewan Reports 1, il est question à la page 27 (paragraphe 85) de l’admissibilité de témoignages sur des sujets extérieurs au domaine de compétence d’un expert. La Cour souligne aussi au paragraphe 87, en page 27 :

(TRADUCTION)

Les experts sont appelés à témoigner pour fournir des renseignements devant permettre à la Cour ou au jury de comprendre les questions techniques ou scientifiques soulevées lors d’un procès. Ils sont aussi invités à faire part de leur opinion et de leurs

> 10 conclusions dans les cas où la cour ou le jury est incapable de faire les déductions nécessaires à partir des données techniques qui lui sont présentées.

Elle indique aussi au paragraphe 88 : (TRADUCTION) Le rôle de l’expert est limité par son domaine de compétence. Il est essentiel de montrer que le témoin possède les compétences nécessaires dans le domaine sur lequel on l’interroge, qu’il les ait acquises grâce à des études structurées ou à une expérience pratique. Dans l’affaire Rice c. Sockett (1912), 27 O. L. R. 410, l’expert est défini comme ceci :

L’étymologie du terme expert montre qu’il s’agit d’une personne qui a acquis des connaissances particulières dans le domaine sur lequel elle témoigne ; il importe peu que ces connaissances viennent de l’étude d’ouvrages scientifiques ou de l’observation pratique. Ainsi, un vieux chasseur qui a une longue expérience du maniement d’armes à feu peut être tout aussi qualifié pour témoigner de l’apparence d’un fusil qui vient de faire feu qu’un armurier ayant fait de longues études et possédant des compétences impressionnantes."

La Cour poursuit, à la page 89 : (TRADUCTION) L’exclusion des témoignages d’experts a été traitée dans R. c. Fisher, (1961) O. W. N. 94, affd. (1961) R. C. S., par le juge Aylesworth, aux pages 94- 95 :

Il va de soi qu’un expert ne peut donner son avis sur des questions exigeant des connaissances ou des compétences particulières que s’il est spécialiste de ces questions ; il ne peut être autorisé à se prononcer sur des questions qui ne relèvent pas de son domaine de compétence. Enfin, les témoignages d’opinion ne peuvent porter sur des sujets susceptibles d’être considérés comme relevant des connaissances générales. Ces règles,

tant ici qu’en Angleterre, semblent reposer sur le principe fondamental voulant que les témoignages d’experts soient admissibles seulement quand ils peuvent aider le jury dans ses délibérations et qu’ils ne puissent être exclus que quand le jury peut tirer lui- même ses conclusions sans l’aide d’experts. Dans ce dernier cas, les témoignages d’opinion sont superflus, et leur admission en preuve ne constituerait qu’un ajout inutile aux témoignages déjà présentés au jury.

> 11 Au paragraphe 90, en page 28, la Cour ajoute :

(traduction)

"Par conséquent, le sujet doit être relié d’assez près au domaine de compétence de l’expert, et l’opinion de ce dernier doit être utile au juge ou aux jurés chargés d’apprécier les faits."

Plus loin : (TRADUCTION) Il doit exister simultanément deux éléments pour justifier l’admission de témoignages d’experts :

  1. les témoignages doivent se rapporter à un sujet sur lequel des gens ordinaires sont difficilement capables de se faire une opinion éclairée sans le secours de personnes possédant des connaissances spécialisées ;
  2. les témoins cités comme experts doivent avoir acquis ces connaissances spécialisées grâce à des cours ou à une expérience antérieure qui leur ont permis de se familiariser avec le sujet sur lequel porte leur témoignage.

C’est cette attitude que la Cour suprême du Canada exprime dans Kelliher c. Smith (1931) R. C. S. 672, à la page 684.

La Cour note aussi la décision prise par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Preeper c. R. (1888) 15 R. C. S. 401, dans laquelle le juge en chef Ritchie affirme :

(traduction)

"(...) que le juge doit d’abord se demander si le témoin expert est qualifié pour témoigner ; il doit donc l’interroger à ce sujet si l’avocat qui s’oppose à l’admission du témoignage d’opinion n’a pas déjà prouvé que le témoin n’a pas compétence en la matière. Le juge chargé du procès doit se faire une opinion sur la capacité du témoin de témoigner à titre d’expert, en se fondant sur les éléments de preuve qui lui ont été soumis. Sa décision, bien qu’elle constitue une question de fait, peut être portée en appel."

Il convient de noter que, dans Preeper c. R., la Cour suprême du Canada se > 12 prononçait sur l’opinion d’un médecin au sujet de la distance à laquelle

avait d se trouver le meurtrier d’un homme tué par balle ; elle faisait remarquer, à la page 416, que :

(traduction)

"(...) de façon générale, il ne fait aucun doute que le jury ne doit entendre que les faits et qu’il doit tirer lui- même ses conclusions à partir de ces faits (...)"

Il s’agit là d’un énoncé général de la règle de common law sur les témoignages d’opinion, qui exige en gros que le témoin ne décrive que ce qu’il a vu et entendu. Les conclusions à tirer de sa perception des faits incombent au juge ou aux jurés. Les témoignages d’experts font cependant exception à cette règle.

Dans l’affaire Rieger (supra), la Cour indique à la page 28, au sujet de la procédure à suivre pour mettre en doute la compétence d’un expert à témoigner :

(traduction)

"Si l’avocat de la partie adverse désire contester l’admissibilité du témoignage d’un expert, il doit le faire immédiatement après que l’expert en question a cité ses titres et qualités, et avant qu’il ne témoigne sur l’objet du litige. Dans le cas d’une contestation de ce genre, il revient au juge seul de prendre une décision sur ce qui devient alors une question préliminaire, et l’avocat de la partie adverse peut contre- interroger le témoin au sujet de ses titres et qualités. Cependant, si aucune objection n’est soulevée avant que l’expert ne témoigne sur des questions de fond, tout contre- interrogatoire sur ses titres et qualités ne peut influer que sur le poids à accorder à son témoignage, et non sur la recevabilité de ce dernier. Il ne faut pas confondre cette situation avec le cas où un expert témoignerait sur des questions extérieures à son domaine de compétence. Il importerait peu alors que ses titres et qualités n’aient pas été contestés antérieurement. L’avocat qui ne soulève pas d’objections avant le témoignage n’est empêché d’en présenter plus tard que si le témoin reste dans le domaine de compétence qui lui a été reconnu."

> 13 La Cour poursuit, à la page 31 :

(traduction)

"Pour commencer, nous notons que les témoignages d’opinion de psychiatres fondés sur le oui- dire. posent depuis longtemps un problème aux tribunaux et aux avocats. Les témoins experts peuvent donner leur avis sur des questions liées à leur domaine de compétence, et cet avis peut être fondé sur le oui- dire. Comme le souligne le juge Dickson dans R. c. Abbey (1982), 43 N. R. 30 ; 138 D. L. R. (3e) 202 ; (1982) 2 R. C. S. 24, à la page 42, au sujet des témoignages d’opinion présentés par des psychiatres :

Un témoin expert, comme tout autre témoin, peut témoigner quant à l’exactitude des faits dont il a une expérience directe, mais ce n’est pas là l’objet principal de son témoignage. L’expert est là pour exprimer une opinion et cette opinion est le plus

souvent fondée sur un oui- dire. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les opinions de psychiatres.

Et il poursuit : Comme l’a dit le juge Fauteux dans l’arrêt Wilband c. La Reine, (1967) R. C. S. 14, à la p. 21 :

(TRADUCTION)

La valeur de l’opinion avancée par un psychiatre peut être amoindrie dans la mesure où elle fondée sur le oui- dire, mais cela touche sa valeur probante et non sa recevabilité en preuve ; en effet, cette opinion n’est pas une preuve de la véracité des informations, mais une preuve de l’idée faite à partir des ces informations."

Le tribunal ne veut pas dire que chaque mot des prétendus experts doit absolument être limité à leur domaine de compétence ; il ne souhaite d’ailleurs pas qu’il en soit ainsi. Il est certain que les tribunaux comme celui- ci doivent être un peu plus souples que d’autres instances, par exemple les tribunaux judiciaires, même s’ils doivent appliquer les mêmes règles au sujet de l’admissibilité des preuves qui leur sont soumises. Cependant, les tribunaux doivent tenir compte du fait que tout citoyen peut se présenter devant eux sans avocat. Lorsque des avocats sont présents, il pourrait néanmoins être bon, pour accélérer le processus, que ceux- ci donnent le nom

> 14 des experts qu’ils comptent appeler à témoigner, avec peut- être une feuille indiquant les antécédents de ces experts, comme s’ils avaient affaire à un juge ou à un jury, ainsi qu’un bref exposé des faits qu’ils espèrent faire connaître grâce à ces témoignages. Si un expert doit être appelé à discuter de faits observés, il serait également bon de le mentionner. De même, il pourrait être utile que l’avocat de la partie adverse précise s’il a l’intention de soumettre des articles à l’expert, ou peut- être de faire référence à des ouvrages savants. S’il compte soumettre des articles ou des extraits d’ouvrages, il devrait en faire faire une copie pour le président, une pour l’avocat de l’autre partie, une autre pour le plaignant, et une dernière destinée à être versée au dossier. Dans de nombreuses instances, il est acceptable que la partie qui présente un article ou un texte de jursiprudence en souligne les éléments sur lesquels elle compte attirer l’attention des autres parties. Cette façon de faire permet souvent à celles- ci de travailler plus efficacement et plus rapidement.

Nous espérons que cet exposé sera utile pour des tribunaux ultérieurs. ABSENCE D’OPPOSITION Il convient de noter que l’on a demandé à l’avocat, au cours des audiences, pourquoi il s’opposait à certains aspects des faits présentés et on nous a dit qu’il ne pourrait porter la question en appel s’il ne soulevait pas

d’objections tout de suite. Nous avons indiqué qu’il s’agissait là d’une interprétation erronée de la loi > 15 et avons souligné que dans l’affaire Rieger (supra), à la page 25, la Cour indique au paragraphe 75 :

(traduction)

" (...) il y avait eu erreur judiciaire parce que des éléments de preuve avaient été admis par erreur, même si aucune objection n’avait été soulevée au cours du procès au sujet de leur admissibilité."

La Cour affirme aussi dans le même paragraphe : (TRADUCTION) Dans l’affaire Mann c. Balaban (1970) R. C. S. 74 ; 8 D. L. R. (3e) 548, l’appel le plus récent soumis à la Cour suprême du Canada au sujet d’une décision d’un jury civil sur un sujet de ce genre, la Cour n’a pas tenu compte de la plupart des instances judiciaires précédentes (y compris de décisions de la Cour suprême elle- même) et en a décidé tout autrement. Bien que l’avocat de l’appelant ne se soit pas opposé au moment du procès, la Cour suprême a étudié les objections de ce dernier au sujet des directives données au jury par le juge de première instance, a relevé une erreur et a déterminé qu’il y avait eu préjudice sérieux ou erreur judiciaire ; elle a donc accueilli le pourvoi et accordé un nouveau procès. En revanche, étant donné que l’appelant n’avait soulevé ses objections qu’en cour d’appel, la Cour suprême l’a délibérément privé des dépens du premier procès.

La Cour poursuit : (TRADUCTION) Toutefois, même s’il n’est pas essentiel, afin que son client puisse interjeter appel pour ce motif, que l’avocat se soit opposé en temps voulu à un des aspects du procès, le silence de l’avocat peut avoir des répercussions dans un autre sens. En effet, lorsqu’elle devra décider si l’erreur commise au procès a entraîné un préjudice sérieux ou (une) erreur judiciaire, la cour d’appel en tiendra compte. Si l’avocat de l’appelant lors du procès de première instance estimait que le tort causé à son client n’était pas assez grave pour nécessiter une objection, la cour d’appel est moins susceptible d’être convaincue que l’erreur a véritablement influé sur le résultat du procès.

> 16 Encore une fois, nous espérons que ces points de droit seront utiles à des tribunaux ultérieurs.

LIEN ENTRE PLAIGNANT ET MISES EN CAUSE

Pour en revenir au cas qui nous occupe, nous tenons à préciser tout d’abord que, selon les preuves qui nous ont été soumises, l’existence d’un paiement

et d’un lien entre Rosin et les Forces armées canadiennes ne fait aucun doute. Le témoin Mitchell, dont le témoignage portait essentiellement sur les modalités de ce paiement, l’a d’ailleurs admis.

Il ne fait également aucun doute que M. Rosin a utilisé les installations de la base des Forces armées canadiennes à Edmonton. Les liens entre les Forces armées et les Cadets sont très étroits et sans équivoque, et l’enrôlement dans le corps de cadets semble accessible à toutes les personnes qui se qualifient, de la même façon qu’une loterie ou l’appartenance à n’importe quelle association.

Cependant, il est intéressant de noter comment la Cour suprême du Canada a interprété récemment l’article 2 de la Loi sur les droits de la personne dans l’affaire Robichaud c. le Conseil du Trésor du Canada (1987) 2. R. C. S. 84, qui porte sur une plainte pour harcèlement sexuel commis par un civil alors qu’il était au service du mis en cause. La cour note qu’ on n’a pas contesté que le harcèlement sexuel commis dans le cadre d’un emploi constitue de la discrimination fondée sur le sexe, puisqu’il n’a pas eu lieu dans le cadre de l’emploi. De toute évidence, le supérieur de l’appelante n’avait pas été

> 17 embauché pour se conduire de cette manière, et pourtant son comportement a clairement été attribué à son employeur, à la page 89.

Toujours à la page 89, le juge La Forest renvoie à l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons- Sears (1985) 2 R. C. S. 536 :

"(...) on doit interpréter la Loi de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui la sous- tendent. Il s’agit là d’une tâche qui devrait être abordée non pas parcimonieusement mais d’une manière qui tienne compte de la nature spéciale d’une telle loi dont le juge McIntyre a dit qu’elle n’est pas vraiment de nature constitutionnelle.

Le juge La Forest souligne plus loin, à la page 90 : (...) la nécessité de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits énoncés dans ladite loi, conformément à la Loi d’interprétation qui exige que les lois soient interprétées de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets.

Et il poursuit : Il vaut la peine de répéter que, de par son texte même, la Loi (à l’art. 2) vise à donner effet au principe de l’égalité des chances pour tous en supprimant les distinctions injustes. Son but premier n’est pas de punir ceux qui pratiquent la discrimination. A la page 547 de l’arrêt O’Malley, le juge McIntyre exprime la même idée en ces termes :

Le Code vise la suppression de la discrimination. C’est là l’évidence. Toutefois, sa façon principale de procéder consiste non pas à punir l’auteur de la discrimination, mais plutôt à offrir une voie de recours aux victimes de la

discrimination. C’est le résultat ou l’effet de la mesure dont on se plaint qui importe.

> 18 Le juge La Forest ajoute ensuite :

"(...) la Loi vise à remédier à des conditions socialement peu souhaitables, et ce, sans égard aux raisons de leur existence. (...) l’intention d’établir une distinction n’est pas un élément essentiel de la discrimination qui est généralement interdite dans les lois canadiennes sur les droits de la personne (à la page 547). Ces lois créent essentiellement de( s) voies de recours civiles (à la p. 549). Comme l’explique le juge McIntyre, exiger qu’il y ait intention aurait pour effet de rendre la Loi inapplicable. Voici ce qu’il affirme, à la p. 549 :

Adopter un point de vue plus étroit pour conclure que l’intention constitue un élément nécessaire de la discrimination en vertu du Code serait, me semble- t- il, élever une barrière pratiquement insurmontable pour le plaignant qui demande réparation. Il serait extrêmement difficile dans la plupart des cas de prouver le mobile et il serait facile de camoufler ce mobile en formulant des règles qui, tout en imposant des normes d’égalité, créeraient (...) des injustices et de la discrimination en traitant également ceux qui sont inégaux (...)

Nous estimons que les termes comme emploi et installations doivent être utilisés dans la mesure du possible de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation des objectifs de la Loi.

La Loi n’oblige pas expressément les Forces armées canadiennes à verser des salaires ; en fait, le terme salaires est peut- être tout à fait inutile puisque les salaires sont souvent versés par corollaire. Un salaire ou un emploi peut être lié à une utilisation pour atteindre des objectifs, et il est certain que l’un des objectifs des Forces armées semble être de recruter des cadets et d’éventuels soldats. Il est bien possible qu’en situation de crise, par exemple en temps de guerre, les Forces armées encourageraient des personnes qui n’auraient qu’un oeil ou une vision très limitée à apprendre à sauter en parachute parce que ce serait nécessaire pour faire la guerre.

> 19 Cela ne doit cependant pas entrer en ligne de compte ici, et il n’appartient pas au tribunal de décider si les Forces armées pourraient dans l’avenir adopter ou non des pratiques discriminatoires injustifiées ; nous ne devons nous prononcer aujourd’hui que sur la discrimination qu’elle aurait exercée dans le cas qui nous occupe.

Notre première conclusion est qu’il s’agit ici de l’utilisation d’une installation destinée au public, puisqu’elle est utilisée par les membres du grand public qui se qualifient par leurs compétences ou leurs réalisations ; les articles cités plus haut s’appliquent donc en

l’occurrence. SOMMES- NOUS EN PRESENCE DE DISCRIMINATION OU D’UNE EXIGENCE PROFESSIONNELLE JUSTIFIEE ?

Nous devons ensuite déterminer si les actes qui font l’objet de la plainte sont vraiment de nature discriminatoire.

M. Russell a fait valoir qu’on pouvait établir un parallèle entre le cas de M. Rosin et la plainte déposée par André Séguin et George Tuskovitch contre la G. R. C. La décision dans cette affaire a été rendue par le président Kevin W. Hope le 4 janvier 1989 (André Séguin et George Tuskovitch c. la Gendarmerie royale du Canada). A la page 39, le président Hope déclare que le risque pour le public est réel et important ; il affirme également plus loin qu’il faut établir un juste équilibre entre ce risque et la latitude dont jouit la G. R. C. pour choisir ses candidats individuellement selon les fonctions à remplir. Comme il est important que les membres de la G. R. C.

> 20 aient une bonne vue pour être en mesure de protéger le public, ce dont on ne saurait douter, nous pensons qu’il s’agit indiscutablement, d’après les faits présentés, d’une exigence professionnelle justifiée.

Dans l’affaire Mahon (voir Canadien Pacifique Limitée et Commission canadienne des droits de la personne et al (1987) 40 D. L. R. (4e) 586), qui porte sur le cas d’un diabétique insulinodépendant susceptible de réactions hypoglycémiques, bien qu’un diabétique stable puisse constituer un danger pour lui- même et pour les autres dans une occupation de ce genre, le juge Pratte affirme à la page 589 :

"Il existe toujours la possibilité, cependant, qu’un diabétique stable éprouve parfois de légères réactions hypoglycémiques ; il existe aussi la possibilité qu’un diabétique stable subisse soudainement une grave réaction neuroglycopénique."

Nous avons invité M. Russell à tirer de cet arrêt et d’autres du même genre la conclusion suivante : s’il y a une possibilité, ne serait- ce que minime, de danger, de risque ou de menace supplémentaire, il existe alors une restriction professionnelle, et non une pratique discriminatoire aux termes de la Loi. En toute honnêteté, M. Russell hésitait à conclure en ce sens.

Dans l’affaire Little c. St. John Shipbuilding (1980) 1 C. H. R. R. D/ 1 (Commission d’enquête du Nouveau- Brunswick), le plaignant, M. Charles Little, affirmait avoir été victime de discrimination en matière d’emploi, en raison de son âge, de la part de la St. John Shipbuilding and Dry Dock Co. Ltd. La mise en cause affirmait que, M. Little étant conducteur de grue, elle n’était coupable d’aucun acte discriminatoire contraire à la Loi, mais n’avait fait qu’appliquer

> 21 une exigence professionnelle justifiée. Au paragraphe 37 de la page 5, le tribunal pose la question suivante, qu’il a soulignée et à laquelle il attache de toute évidence une certaine importance :

(traduction)

"Est- il possible de mesurer l’âge fonctionnel ou biologique d’une personne assez précisément pour pouvoir déterminer, avec une exactitude raisonnable, s’il est capable de répondre aux exigences minimales liées à un emploi ?"

Le tribunal se demande ensuite, au paragraphe 40, s’il existe des tests médicaux permettant d’obtenir des données statistiques à ce sujet et remet d’ailleurs en question la pertinence de ces tests au paragraphe 41.

Bien que MM. Russell et Duval n’interprètent pas cette décision de la même manière, le tribunal constate que les experts appelés à témoigner, tant par le plaignant que par les mises en cause, sont d’accord pour dire qu’il leur est impossible de mesurer avec exactitude certains aspects de la perception de la profondeur par le plaignant et que le système de dépistage n’est pas satisfaisant. Les deux parties ont demandé des témoignages d’experts qui concordaient avec leur perception des faits ou de la loi, ou des deux. Nous y reviendrons plus loin. Nous notons cependant que le tribunal saisi de l’affaire Little (supra) indique clairement, au prargraphe 41 de sa décision :

(traduction)

"En décrétant que l’âge ne doit pas entrer en ligne de compte dans les politiques d’embauche des employeurs, les législateurs ont peut- être décidé indirectement que la société doit être prête à accepter le risque supplémentaire pouvant être lié à l’interdiction de toute discrimination en raison de l’âge. Les exemptions prévues au paragraphe 3( 5) doivent être appliquées avec circonspection, et seulement lorsque la Commission des droits de la personne le juge

> 22 justifié en toute objectivité. Nous notons que cette décision prévoit une décision d’un organisme impartial.

A la demande de M. Russell, nous avons aussi étudié la décision rendue dans l’affaire Bhinder et al c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1985) 23 D. L. R. (4e) 481 ; (1985) 2 R. C. S. 561. Cette cause porte sur la plainte déposée par un Sikh pour discrimination fondée sur la religion parce qu’on l’obligeait à porter un casque de sécurité ; la Cour suprême a décrété qu’il s’agissait là d’une exigence professionnelle justifiée. De toute évidence, on peut se demander si le risque allégué était important, M. Bhinder affirmant que son turban le protégeait autant qu’un casque de sécurité, ou presque. Le juge McIntyre note à la page 584 :

"(...) il a jugé que, si Bhinder n’avait pas à se conformer à la règle, celui- ci courrait un risque plus grand de subir des blessures -- quoique seulement légèrement plus grand -- que s’il s’y conformait.

Autrement dit, la règle serait justifiée, même s’il n’y avait qu’un risque minime. Nous pensons que l’élément clé de cette décision consiste à savoir si la règle est justifiée ou non pour des raisons de sécurité, même s’il n’existe qu’un risque minime.

M. Russell hésitait beaucoup, et c’est seulement sur nos instances qu’il a

fini par admettre que, même s’il n’existait qu’un risque minime, il fallait appliquer la règle et qu’il s’agissait d’une exigence et (d’une) qualification professionnelle réelle, et par conséquent d’une pratique

> 23 acceptable. Il convient de noter encore une fois que le juge McIntyre affirme à la page 587 :

"(...) je suis convaincu que, bien qu’il n’ait pas nécessairement la portée du terme qualification, le terme exigence utilisé à l’al. 14a) vise clairement la règle du casque de sécurité adoptée par le CN. Je suis donc d’avis que le critère de l’arrêt Etobicoke est applicable à l’espèce."

Et il poursuit : (...) la règle était une exigence professionnelle normale (...) Il a été reconnu que le CN avait adopté la règle pour des raisons d’affaires véritables, sans intention de porter atteinte aux principes de la Loi. Le tribunal a jugé que la règle était utile, qu’elle était raisonnable en ce qu’elle permettait d’accroître la sécurité en réduisant le risque de blessures et, plus particulièrement, que le risque que courait Bhinder en portant un turban plutôt qu’un casque de sécurité était accru, quoique très légèrement. La seule conclusion que l’on peut tirer des motifs de la décision, est que, sauf en ce qui concerne son application particulière à Bhinder, la règle du casque de sécurité est une exigence professionnelle normale. D’ailleurs il serait difficile, étant donné les faits, d’arriver à une autre conclusion.

D’autre part, nous devons également nous pencher sur la décision La Commission ontarienne des droits de la personne, Bruce Dunlop, Harold E. Hall et Vincent Gray (Intimés) Appelants c. La municipalité d’Etobicoke (Appelante) Intimée (1982) 1. R. C. S. 202, que l’on appelle souvent affaire Etobicoke et qui est citée dans de nombreuses autres causes comme critère d’interprétation de la Loi.

> 24 A la page 208, le juge McIntyre fait les observations suivantes, très utiles pour notre propos :

CRITERES SUBJECTIFS ET OBJECTIFS Lorsqu’un plaignant établit (...) qu’il est, de prime abord, victime de discrimination, en l’espèce que la retraite obligatoire à soixante ans est une condition de travail, il a droit à un redressement en l’absence de justification de la part de l’employeur. La seule justification que peut invoquer l’employeur en l’espèce est la preuve, dont le fardeau lui incombe, que la retraite obligatoire est une exigence professionnelle réelle de l’emploi en question. La preuve, à

mon avis, doit être faite conformément à la règle normale de la preuve en matière civile, c’est- à- dire suivant la prépondérance des probabilités.

La Cour doit examiner deux questions. En premier lieu, qu’est ce qu’une exigence professionnelle au sens du par. 4( 6) du Code et, en second lieu, l’employeur a- t- il démontré que les dispositions relatives à la retraite obligatoire qui font l’objet de la plainte peuvent être ainsi qualifiées ? (...) je ne vois aucune objection sérieuse à leur description de l’élément subjectif du critère qui doit être appliqué pour répondre à la première question. Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question d’une manière raisonnablement diligente, s re et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l’exercice de l’emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général. (Le soulignement est de nous.)

A la page 209, le juge McIntyre note que le vieillissement comporte des incertitudes et que l’employeur dispose de deux possibilités : il peut fixer l’âge de la retraite à 65 ans ou plus, ou encore, pour certains types d’emploi où la sécurité du public pourrait être menacée, par exemple pour les pilotes d’avion ou les policiers, il peut considérer que les risques

> 25 d’erreurs humaines imprévisibles liés au maintien de tous les employés en poste jusqu’à l’âge de 65 ans justifie l’application, à tous les employés, d’un âge de retraite obligatoire fixé arbitrairement. Dans cette affaire, heureusement, cela ne semblait pas justifié, et la Cour suprême a jugé (p. 210) que la Cour devait :

"pour décider si on a prouvé l’existence d’une exigence professionnelle réelle, se demander si la preuve fournie justifie la conclusion que les personnes qui ont atteint l’âge de la retraite obligatoire présentent un risque d’erreur humaine suffisant pour justifier la mise à la retraite prématurée dans l’intérêt de l’employé, de ses compagnons de travail et du public en général.

Le juge McIntyre poursuit, à la page 210 : L’employeur a fait valoir que le métier de pompier est un métier dangereux qui exige plus de force physique, de résistance et de vigilance que la plupart des autres métiers. Il a allégué que les risques et le danger présents exigent des hommes jeunes et en bonne forme physique, et qu’il est nécessaire d’obtenir un bon rendement de tous les membres d’une équipe de pompiers pour assurer la sécurité du public et celle des employés eux- mêmes. L’établissement arbitraire de l’âge de la retraite se justifie donc comme une mesure raisonnable qui permet d’assurer le

maintien d’un bon service de protection contre les incendies dans la municipalité et, en même temps, d’éviter les dangers susceptibles de découler du maintien en fonction de tous les employés jusqu’à l’âge de soixante- cinq ans.

Lorsqu’il a examiné la preuve, le professeur Dunlop a fait remarquer qu’elle était très (TRADUCTION) impressionniste. Il a estimé qu’il faut une preuve plus étoffée pour s’acquitter du fardeau de la preuve et il a souligné l’insuffisance des affirmations et des déclarations générales des témoins, dont certains avaient beaucoup d’expérience dans la lutte contre les incendies, que le métier de pompier est (TRADUCTION) une affaire de jeune homme. Il a fait remarquer l’absence de preuve scientifique à l’appui de la thèse de l’employeur et il a conclu de manière défavorable à l’employeur en disant :

(TRADUCTION)

Même si ce sont là de bonnes raisons de permettre à un pompier de prendre sa retraire à 60 ans, elles ne me semblent pas justifier la mise à la retraite obligatoire en l’absence de données scientifiques ou statistiques qui prouvent que, passé

> 26 l’âge de 60 ans, les pompiers deviennent moins efficaces et moins s rs.

Le juge McIntyre affirme aussi à la page 212 : Il serait imprudent de tenter de formuler une règle fixe concernant la nature et le caractère suffisant de la preuve requise pour justifier la retraite obligatoire avant l’âge de soixante- cinq ans en vertu des dispositions du par. 4( 6) du Code. En dernière analyse et toujours sous réserve du droit d’appel prévu à l’art. 14d du Code, le commissaire enquêteur doit être le juge en cette matière. (...) Un bon nombre de facteurs doivent être considérés et il semble essentiel que la preuve porte sur les aspects détaillés des tâches à accomplir, les conditions régnant sur les lieux de travail et l’effet de ces conditions sur les employés, en particulier sur ceux qui ont atteint ou qui atteindront bientôt l’âge qu’on veut prescrire pour la retraite. (...) Lorsqu’une limitation de la période d’emploi doit, pour être valide, reposer sur la preuve que l’extension de cette période après un certain âge fait naître un danger pour la sécurité publique, il paraît nécessaire que l’employeur, pour s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe, produise une preuve à ce sujet.

Il dit aussi : Je ne suis pas du tout certain de ce qu’on peut qualifier de preuve scientifique. Je ne dis absolument pas qu’une preuve scientifique sera nécessaire dans tous les cas. Il me semble cependant que, dans des cas comme celui en espèce, une preuve de nature statistique et médicale qui s’appuie sur l’observation et l’étude de la question du vieillissement, même si elle n’est pas absolument nécessaire dans tous les cas, sera certainement plus convaincante que le témoignage de personnes même très

expérimentées dans la lutte contre les incendies, portant que le travail de pompier est une affaire de jeune homme. L’examen que j’ai fait de la preuve m’amène à souscrire aux conclusions du commissaire enquêteur. Tout en étant persuadé que la preuve et les opinions entendues ont été soumises honnêtement, c’est avec raison, à mon avis, qu’on a dit qu’elles étaient impressionnistes et qu’elles n’étaient pas concluantes. La question de la suffisance et de la nature de la preuve en la matière a été analysée dans divers arrêts (...)

Le tribunal a demandé à plusieurs reprises à M. Russell ce que signifiait > 27 selon lui le terme impressionniste et n’a pas obtenu de réponse satisfaisante. Nous devons maintenant voir de plus près ce sur quoi portaient les prétendus témoignages d’experts et quels sont les principes de droit en cause ici.

Nous avons déjà défini ce qu’est un témoignage d’expert et les sujets sur lesquels les experts peuvent être autorisés à témoigner. Il faut aussi se demander ce que l’avocat de la partie adverse doit faire et quels doivent être les effets de son intervention dans un tribunal comme le nôtre. Nous devons donc déterminer ce qui se passerait si un présumé expert se faisait poser une question débordant son domaine de compétence, par exemple, si on pousse à l’absurde, ce qui arriverait si on demandait à un gynécologue de témoigner sur les aspects psychiatriques d’une affaire. Dans le cas qui nous occupe, nous avons entendu des ophtalmologistes qualifiés nous décrire les effets que certains facteurs peuvent avoir sur l’acuité visuelle. Nous pensons qu’ils ont tenté de répondre honnêtement aux questions posées, mais personne ne leur a demandé de préciser quelles étaient leurs connaissances dans ce domaine précis. Heureusement, rien d’important ne repose sur leurs réponses. Les experts appelés à témoigner devraient préciser pourquoi et comment ils en sont arrivés à telle ou telle conclusion, mais trop souvent, on ne le leur demande pas. Le seul fait qu’un expert ne précise pas les fondements de son opinion et qu’on ne lui pose pas de questions à ce sujet rend ses réponses contestables, aussi convaincantes qu’elles puissent être.

Le tribunal a été troublé en particulier par un élément du témoignage du Dr Green, qui a exprimé son avis sur les risques auxquels s’exposerait un

> 28 parachutiste qui ne verrait que d’un oeil ; il a énuméré cinq risques potentiels. En toute honnêteté, il a cependant précisé qu’il n’avait jamais sauté en parachute et qu’il n’avait aucune expérience de ce domaine. Par conséquent, même si nous aurions préféré que l’avocat lui demande d’expliquer davantage sa position, nous pensons que l’hypothèse qu’il a avancée lui avait été dictée par quelqu’un d’autre et qu’il l’avait acceptée de bonne foi.

Il convient de souligner que ses conclusions sur certains points de détail diffèrent de celles du capitaine Vida. Cependant, ce dernier ne sait à peu près rien des conséquences de la vision monoculaire pour un parachutiste.

Pour ce qui est du témoignage du capitaine Vida, nous reconnaissons certes

que ce dernier est un parachutiste chevronné. Ses conclusions ne se fondent toutefois que sur des impressions. A titre de responsable de la formation de parachutistes, il doit avoir conclu depuis longtemps qu’il est dangereux de se lancer ainsi dans les airs. Nous en convenons facilement, mais nous devons ajouter, pour nuancer cette opinion, qu’il est également dangereux de se promener en voiture, d’en conduire une ou de traverser une intersection achalandée. Il nous a donné son avis là- dessus, et nous devons souligner que ce témoin, tout comme les autres experts appelés à témoigner, semblait croire qu’il pouvait parler de risques sans fournir de statistiques ou d’autres données pour asseoir son témoignage. Le tribunal a été fort étonné que l’avocat des mises en cause affirme que son témoin connaissait tout des risques du métier et que nous devions absolument l’écouter, comme si son opinion était parole d’Evangile. Pourtant, quand le témoin a été interrogé, il a reconnu en toute honnêteté qu’il n’avait aucune compétence en matière

> 29 d’analyse statistique, qu’il n’avait jamais fait ce que font habituellement les experts en gestion des risques et qu’il n’avait aucune formation réelle dans ce domaine. Bien s r, cet homme assume des responsabilités liées aux questions de sécurité, mais il n’a aucune formation spécialisée ; il est certes très engageant et intelligent, mais il a semblé au tribunal qu’il s’était persuadé de certaines choses sans disposer des outils d’analyse nécessaires pour déterminer les risques dans ce cas particulier. Lorsque nous avons finalement vu des statistiques, nous cherchions peut- être une autre réponse, mais nous nous sommes rendu compte que cette occupation était beaucoup moins risquée qu’il avait bien voulu nous le laisser croire par ses anecdotes et son évaluation personnelle des risques. Nous croyons que les témoins invités à titre d’experts doivent avoir certaines compétences pour analyser de façon intelligente les données qu’ils nous présentent. Nous devons reconnaître que cet homme est un expert en ce qui concerne tous les aspects du parachutisme. Il a peut- être omis une ou deux étapes du saut en parachute, par exemple l’annonce de la hauteur de l’avion, mais il en a fourni des descriptions très vivantes ; nous avions presque l’impression d’être en avion avec lui, prêts à sauter. Enfin, on ne peut pas dire qu’il avait des compétences dans le domaine de la gestion des risques, bien qu’il ait de toute évidence étudié certains documents sur le sujet ; il ne comprenait pas très bien les questions de risques et les analyses statistiques. C’est sur ce point que M. Duval l’a contreinterrogé pour savoir exactement quels étaient ses titres de compétence.

De nombreux juges des tribunaux judiciaires estiment que des preuves non contestées fournies par une personne qualifiée doivent être acceptées et sont

> 30 concluantes. Nous croyons cependant que, dans le cas qui nous occupe, les experts appelés par les mises en cause n’étaient pas vraiment qualifiés pour expliquer correctement les risques présents. Ils ont fait part de leurs impressions, et nous devons avouer que, compte tenu de la décision Etobicoke, leur témoignage ne nous a pas convaincus.

Le tribunal ne voudrait pas laisser entendre que M. Bellavance disait la vérité et que les autres mentaient. Certes, M. Bellavance est celui qui avait le moins de raisons de tromper le tribunal ; il a fait lui- même du

parachutisme, il a été responsable des parachutistes à Edmonton et il connaît assez bien les capacités du plaignant. En fait, il a dit savoir que celui- ci n’avait qu’un oeil. Cependant, il ne s’est de toute évidence jamais posé de questions sur le fait que ce cadet ne répondait pas aux normes médicales en vigueur à ce moment- là. Nous pensons que, si le sousofficier MacNeil n’avait pas rapporté cette situation, le plaignant aurait fort bien pu poursuivre sa formation, terminer son cours et obtenir son certificat ; cette affaire ne nous aurait alors jamais été soumise. Nous tenons également à souligner que les officiers Johnson et Bewick ont exprimé leur sympathie pour le plaignant ; leur témoignage montre clairement qu’ils ne semblaient pas soupçonner que la vision monoculaire de ce dernier pouvait constituer un problème. Leur opinion sur le classement du jeune homme parmi ses camarades diffère de celle du sous- officier MacNeil, dont la bonne foi nous a paru douteuse dès le début. Nous ne pensons pas que Mark Rosin ait jamais été classé cinquième de son groupe ; de toute façon, le fait qu’il ait eu des résultats médiocres, bons ou excellents n’a rien à voir avec notre décision. Nous soupçonnons ici l’existence d’un conflit de personnalités. Cependant, le sous- officier

> 31 MacNeil n’a pas fait grand- chose dans cette affaire, si ce n’est qu’il a décelé un problème et cité le règlement, et qu’il a demandé à quelqu’un d’autre de renvoyer le plaignant dans son unité. Les officiers Bewick et Johnson n’avaient jamais vraiment porté attention à ce problème jusqu’à ce qu’il leur soit signalé et qu’ils aient à confirmer avec d’autres personnes qu’il existait effectivement un règlement à ce sujet.

M. Bellavance semblait dire qu’il avait vu d’autres personnes dans le même cas, dans les forces armées d’autres pays, à savoir un Américain, un Scandinave et, si nos souvenirs sont exacts, un Israélien. Il est intéressant de noter que le capitaine Vida, qui a pourtant sauté beaucoup plus souvent en parachute, dit n’avoir jamais rencontré de parachutistes borgnes. Il est également intéressant de souligner que l’avocat des mises en cause a laissé entendre que les observations de M. Bellavance sur d’autres parachutistes borgnes n’étaient que des anecdotes, alors que les témoignages présentés par les témoins des mises en cause étaient selon lui incontestables.

M. Bellavance ne s’est fait poser aucune question, en contre- interrogatoire, sur ces faits observés avec ses deux yeux et sur le fait que certains parachutistes se ferment les yeux pour sauter.

Le capitaine Vida a également laissé entendre que les parachutistes qui ont leurs deux yeux savent exactement quand ils se trouvent à 200 pieds du sol et quand ils doivent ouvrir leur équipement. Ce ne sont pas là ses termes exacts, mais quoi qu’il en soit, nous ne voyons pas sur quoi se fonde cette

> 32 assertion. Chaque parachutiste évalue à quel moment il doit ouvrir son équipement. De toute évidence, cette méthode fonctionne, puisque les statistiques présentées par le capitaine Vida montrent que très peu d’accidents ont nécessité que des parachutistes soient transportés hors du champ d’exercice.

On a laissé entendre que même un surhomme qui n’aurait qu’un oeil aurait de la difficulté à s’ajuster. Nous nous permettons de suggérer qu’il s’agit là d’une exagération. Nous ne voulons pas dire que le plaignant est un surhomme, mais il est de toute évidence très capable ; il a su s’adapter à toutes sortes de situations et il a une bonne vue. On ne nous a pas soumis de comparaison valable quant à l’acuité visuelle minimale jugée acceptable et aux autres critères dans ce domaine. En particulier, nous tenons à faire remarquer que certaines personnes qui auraient été considérées comme aveugles au sens de la loi si elles n’avaient pas porté de verres correcteurs ont été autorisées à suivre le cours et l’ont réussi ; il s’agit de personnes qui ont participé au cours Geritol et de personnes qui avaient une très faible vision, selon les témoignages de deux médecins, le Dr Jacques Roy et le Dr Green.

Les éléments de preuve qui nous ont été soumis montrent hors de tout doute que le plaignant s’est bien ajusté à sa déficience, qu’il est extrêmement habile et qu’il a une excellente perception visuelle. En outre, les témoignages présentés par les mises en cause semblent établir une équation entre acuité visuelle, perception de la profondeur et bonne vision générale avec deux yeux, laissant entendre que deux yeux valent mieux qu’un. Nous

> 33 ne pouvons certes contester cette maxime, mais nous nous permettons d’ajouter qu’un seul très bon oeil vaut sans aucun doute mieux que deux yeux extrêmement faibles. Nous pensons que les mises en cause sont parties du principe que leur évaluation initiale était juste et ont ensuite fondé toute leur argumentation sur ce point, plutôt que de se demander pourquoi elles n’avaient peut- être pas raison. L’un des principes de base de la vie militaire, par nécessité, c’est que les choses doivent se faire de manière ordonnée et que les règles édictées par les supérieurs doivent, dans presque tous les cas, être justifiées. Ce principe est habituellement applicable, mais peut- être pas dans ce cas. Nous pensons qu’il y a beaucoup de gens capables qui ne voient que d’un oeil, mais qui, en temps de guerre, pourraient être très utiles à leur pays ; il ne faut pas les rejeter car ils peuvent être une source d’inspiration et d’émulation pour d’autres personnes qui peuvent, sous d’autres rapports, être jugées plus chanceuses.

ARTICLE SUR LA VISION MONOCULAIRE

Le tribunal a reçu en preuve un article de l’American Journal of Ophthalmology (R- 3) traitant des difficultés que connaissent les conducteurs borgnes. Le Dr Chisholm, un ophtalmologiste de Saskatoon qui a une longue expérience de l’enseignement et qui a écrit de nombreux ouvrages, parallèlement à sa pratique d’ophtalmologie, a indiqué que cet article n’exprimait que le point de vue de ses auteurs. Il semble toutefois que l’avocat ait mal compris cette explication et ait cru qu’il s’agissait d’un article de recherche objectif. Nous avons demandé des copies de cet article pour référence et l’avons étudié attentivement pour voir comment il pouvait

> 34 s’appliquer au cas présent. Nous avons noté en particulier un autre article cité dans ce document et portant sur le rendement à l’atterrissage de pilotes

privés qui ne volent pas souvent, après la perte soudaine de leur vision binoculaire ( Landing Performance by Low- Time Private Pilots After the Sudden Loss of Binocular Vision -- Cyclops II) ; cet article contient certaines observations intéressantes, notamment :

(traduction)

"On n’a relevé aucune diminution de rendement au cours des atterrissages chez les pilotes qui ne voyaient que d’un oeil ; en fait, leur rendement s’est amélioré."

Les auteurs, rattachés au centre de recherche aéronautique de la NASA et à divers groupes de médecins et de chercheurs, affirment aussi :

(traduction)

"(...) certains hommes très expérimentés et très capables se sont vu refuser leur brevet de pilote pour des raisons médicales, simplement parce que leur vision binoculaire n’était pas bonne. La justification scientifique de cette pratique est maintenant sérieusement mise en doute."

Dans un article écrit par un des mêmes auteurs et portant sur l’incidence des problèmes visuels sur les conducteurs de la Pennsylvanie ( Significance of Visual Problems in Pennsylvania Drivers), on laisse entendre :

(traduction)

"En règle générale, une acuité visuelle légèrement réduite ne semble pas avoir de lien avec trois types précis de conduite inappropriée."

Les auteurs indiquent cependant en manière de conclusion : > 35

(TRADUCTION)

Il semble également que les conducteurs borgnes risquent davantage de commettre des erreurs de conduite du côté où ils ne voient pas.

Comme cet article porte sur la conduite automobile et n’établit aucun parallèle avec le parachutisme, qui soulève des questions fort différentes, il est loin selon nous de constituer une preuve concluante ; en outre, le groupe de contrôle constitué pour l’étude décrite semble très réduit. L’article traite surtout de l’acuité visuelle et semble inclure le cas de personnes ayant une acuité inférieure à 20/ 30, que les mises en cause acceptent pourtant sans objection dans les cours de parachutisme. Le même auteur, dans un article sur les aspects ophtalmologiques de la conduite automobile ( Ophthalmology in Driving), conclut :

(traduction)

"Les patients borgnes ont plus souvent des accidents aux intersections, du côté où ils ne voient pas (...) D’un point de vue pratique, il est nécessaire d’avoir un champ de vision d’au moins 140 degrés. Une personne borgne peut y arriver assez facilement, mais elle doit tourner la tête fréquemment pour compenser son handicap."

Il poursuit : (TRADUCTION) La perception du parallaxe et de la profondeur est nécessaire pour stationner ou reculer dans un garage, mais rien ne prouve que les tests que nous utilisons couramment pour mesurer la perception de la profondeur à faible permettent d’évaluer correctement la perception de la profondeur à distance

de conduite et de réduire les accidents d’automobile. Ces divers articles n’ont pas convaincu le tribunal qu’un parachutiste borgne court plus de risques qu’un autre. Premièrement, le parachutisme et la conduite automobile sont tout à fait différents. Deuxièmement, les auteurs

> 36 d’un des articles indiquent même que la vision monoculaire semble avantageuse, du moins dans certains cas, par exemple pour les atterrissages. Troisièmement, la vision elle- même peut être un facteur dans les accidents d’automobile ou les autres types d’accidents, mais elle comporte plusieurs aspects, par exemple la perception de la profondeur, l’acuité visuelle générale, la vision périphérique et ainsi de suite. Il semble régner une certaine confusion quant aux exigences à appliquer et à la définition d’une vision faible et d’une vision parfaite de 20/ 20 ou plus, mais d’un seul oeil. Quatrièmement, nous notons que certains des tests mentionnés dans les articles ont révélé que le rendement des pilotes à l’atterrissage, évalué en fonction du nombre de fois où ces pilotes n’atterrissaient pas exactement à l’endroit de la piste fixé à l’avance, n’était pas affecté, mais bien amélioré par la perte de leur vision binoculaire, que les pilotes borgnes pouvaient effectuer des atterrissages très précis à un endroit donné et que leurs capacités fonctionnelles n’étaient nullement amoindries par une perte soudaine de vision stéréoscopique. Il est important d’ajouter toutefois que les auteurs notent aussi qu’on n’a jamais étudié en profondeur les problèmes susceptibles de découler d’une vision périphérique réduite sur le côté où un pilote borgne ne voit pas. Il semble par ailleurs que la perception de la profondeur ne soit pas affectée sérieusement pas la vision monoculaire.

Après avoir relu attentivement ses propres notes et les transcriptions des audiences, le président du tribunal tient à faire remarquer que les témoins des Forces armées, les experts comme les autres, qui ont témoigné des dangers potentiels dans les cas de ce genre semblent avoir, du moins en partie, mal formulé leurs témoignages ou mal compris les éléments de la vision et ses

> 37 effets sur la vision monoculaire ou binoculaire. Nous concédons qu’il ne fait aucun doute que, à acuité visuelle égale, le champ visuel d’un borgne est environ 20 % plus restreint que celui d’une personne qui verrait des deux yeux.

Cependant, une personne comme Mark Rosin, qui ne voit que d’un oeil mais qui a une vision de 20/ 20 et plus, et qui semble doué d’une grande capacité d’adaptation, a probablement une meilleure vue que bien des participants au cours Geritol, destiné aux personnes âgées. Il est capable de compenser son manque de perception de la profondeur et ses autres problèmes d’acuité visuelle. Nous reconnaissons également sans réserve que, dans un nouvel environnement comme le parachutisme, que ce soit de jour ou de nuit, il n’aurait pas la même acuité visuelle qu’au sol ; toutefois, il en va de même autant pour un parachutiste borgne que pour un autre qui aurait ses deux yeux, et nous n’avons reçu aucune preuve du contraire.

Nous concluons donc, comme dans l’affaire Etobicoke (supra), que les éléments de preuve présentés par les témoins des mises en cause au sujet des risques supplémentaires que pouvait courir le plaignant étaient de nature impressionniste. Par conséquent, rien ne semble indiquer qu’il y ait exigence professionnelle justifiée qui légitimerait la position des mises en cause. Nous jugeons donc qu’il s’agit d’une pratique discriminatoire contre le plaignant, Mark Rosin, et contre toute autre personne borgne qui voudrait faire du parachutisme.

> 38 ORDONNANCE

Conformément aux dispositions des paragraphes 53( 2) et 53( 3) de la Loi, nous prenons l’ordonnance suivante :

Le plaignant sera inscrit dès que l’occasion se présentera à un programme comme celui qu’il suivait, de préférence le cours de cadet, ou à un cours semblable à sa convenance et à celle des mises en cause ; il devra être autorisé à suivre le cours au complet ou en partie. Nous ordonnons aussi que tout règlement ayant pour effet de rejeter un candidat simplement parce qu’il ne voit que d’un oeil soit modifié de manière à éviter que pareille situation ne se reproduise ; en particulier, les mises en cause devront immédiatement modifier tout règlement sur la vision ou sur les critères géographiques et professionnels qui empêcherait une personne borgne de suivre un cours de parachutisme, ou en suspendre l’application.

Bien que le plaignant n’ait pas demandé expressément une indemnisation, le tribunal lui accorde un montant de 1 500 $, conformément aux dispositions de l’alinéa 53( 3) b), pour pertes et préjudice moral.

Le plaignant recevra aussi des intérêts calculés conformément aux dispositions de la Loi sur l’intérêt, à partir du trentième (30e) jour suivant la date du présent jugement.

> 39 4. Nous ordonnons également aux mises en cause de défrayer le

plaignant de toutes les dépenses qu’il a engagées, notamment pour ses transports, ses repas et ses uniformes. En outre, en faisant une place au plaignant dans le cours de parachutisme, les mises en cause ne devront modifier d’aucune façon le nombre de personnes qui pourraient s’inscrire à ce cours, qu’elles viennent ou non de la même région géographique que le plaignant ; elles devront aussi faire des efforts justes et raisonnables pour permettre au plaignant de réussir toutes les épreuves auxquelles il sera soumis et pour ne plus exercer de discrimination contre lui.

OBSERVATIONS

Il pourrait être nécessaire d’adopter des mesures législatives destinées à modifier la procédure militaire pour l’étude des cas de ce genre. Il

serait fort étonnant qu’il n’existe aucune directive permettant d’accéler l’audition des faits et la résolution de tels cas. La lenteur du processus semble inacceptable dans notre monde moderne.

Nous souhaitons pour finir remercier les avocats de leurs soumissions fort bien documentées ; nous remercions également le greffier et le rapporteur de la cour pour les considérations qu’il nous ont communiquées dans des circonstances très particulières.

> 40 Fait à Saskatoon (Saskatchewan), le 22e jour du mois de mars 1989.

EMANUEL (MANNY) SONNENSCHEIN, C. R. Président du tribunal

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