Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 15/ 89 Décision rendue le 24 novembre 1989

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE, S. C. 1976- 1977, ch. 33, et ses modifications;

ET DANS L’AFFAIRE d’une audience tenue devant un tribunal des droits de la personne constitué conformément à l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

ENTRE : JOEL OLIVER PLAIGNANT et MINISTERE DE L’ENVIRONNEMENT (PARCS CANADA) INTIMÉ

TRIBUNAL HUGH L. FRASER Président

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU CHARLES T. HACKLAND Avocat du plaignant

YVONNE MILOSEVIC Avocate de l’intimé

RENÉ DUVAL Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

DATES ET LIEU DE L’AUDIENCE : Les 23, 24 et 25 janvier et le 2 février 1989 Ottawa (Ontario)

TRADUCTION >

LA PREUVE

Le plaignant, Joel Oliver, est âgé de trente- deux ans et est membre du Barreau de l’Ontario. Il habite à Ottawa. En 1978, il a obtenu un baccalauréat spécialisé en histoire de l’University of Waterloo.

Au début de 1978, il a soumis sa candidature à Parcs Canada, qui fait partie du ministère de l’Environnement, relativement à un emploi d’agent d’interprétation au parc historique national de Woodside situé à Kitchener (Ontario). Il s’agissait d’un emploi d’été qui devait commencer en mai 1978 et prendre fin en septembre 1978. M. Oliver a déclaré dans son témoignage qu’un agent d’interprétation doit être capable d’effectuer des recherches et de s’exprimer oralement; il doit s’occuper de l’animation, ce qui entraîne le port d’un costume d’époque, et décrire au public les éléments d’un lieu historique particulier; il doit également expliquer l’importance des objets historiques se trouvant sur le site et leur rapport avec l’évolution historique du Canada.

Le plaignant a réussi à obtenir l’emploi d’agent d’interprétation à la maison Woodside pour l’été 1978 et l’effectif complet des agents d’interprétation à cet endroit se composait de lui- même et de trois agents féminins. M. Oliver a déclaré dans son témoignage qu’avant son embauche par Parcs Canada, c’était principalement des femmes qui occupaient les postes d’agents d’interprétation parce que ceux- ci devaient exécuter un bon nombre de tâches domestiques dans le cadre des activités d’animation.

- 1 > M. Oliver a reçu, pour son travail à la maison Woodside, un uniforme de Parcs Canada et un costume d’époque. Il devait normalement porter le costume d’époque lorsque la venue d’un groupe de visiteurs était annoncée. Le travail du plaignant consistait également à conserver les artefacts et à accueillir les visiteurs, à s’assurer que ces derniers comprenaient les thèmes fondamentaux du site, à répondre à leurs questions et à leur expliquer l’importance historique de chacune des pièces de la maison. M. Oliver devait porter son costume d’époque qui était celui d’un gentilhomme de cette période. On lui avait également fourni un costume d’homme de peine afin qu’il le revête pour transporter du bois dans la cuisine et remplir la boîte à bois. Lorsqu’il portait son costume de gentilhomme, il se rendait au salon et jouait des airs d’époque au piano. Il passait également un certain temps dans la bibliothèque où les visiteurs qui entraient dans cette pièce le trouvaient assis à un bureau, en train d’écrire. M. Oliver devait également effectuer des travaux de recherche dans le cadre de son emploi d’été et, de temps à autre, il participait à divers projets de recherche.

Pendant l’été 1979, M. Oliver a travaillé encore une fois comme agent d’interprétation à la maison Woodside. Il n’est pas retourné aux études à l’automne, mais il est plutôt demeuré à Woodside où il a occupé le poste d’agent surveillant. Il a travaillé au parc historique national de Woodside jusqu’en septembre 1980 et il a alors commencé des études de maîtrise en histoire à l’University of Waterloo. Il est ensuite retourné à Woodside en mai 1981 où il a travaillé jusqu’en mars 1982; il occupait alors le poste de surveillant des agents d’interprétation et son emploi avait une durée déterminée.

- 2 >

Le 1er avril 1982, le plaignant a assumé les fonctions de commis administratif au parc historique national de Woodside et il a occupé ce poste jusqu’en juin 1982. De juillet 1982 à mars 1983, le plaignant a travaillé comme agent intérimaire des services d’accueil pour l’interprétation au parc historique national de la Villa- Bellevue, à Kingston (Ontario). Il s’agissait d’un emploi d’une durée de neuf mois qui est devenu disponible lorsque le titulaire a commencé à suivre des cours de français.

Une fois son contrat terminé à la Villa Bellevue, M. Oliver a essayé de se faire embaucher ailleurs par Parcs Canada. Il a participé à tous les concours pour lesquels il croyait posséder les compétences requises et il a également présenté une demande d’admission à la faculté de droit de l’université Queens. Il a été accepté comme étudiant en droit et a commencé ses cours en septembre 1983. Par la suite, il s’est adressé à Emploi Canada pour solliciter un emploi d’agent d’interprétation à la Villa Bellevue pendant l’été 1984.

Le plaignant a déclaré dans son témoignage qu’il s’était présenté d’avance et qu’on l’a alors informé qu’Emploi Canada effectuait une présélection des candidats à ce poste. Lorsqu’il a remis sa demande, il a parlé avec M. Miller qui rassemblait les demandes afin de les transmettre à la Villa Bellevue en vue de la sélection. Le plaignant a ajouté que, lorsqu’il a indiqué à M. Miller qu’il voulait poser sa candidature pour un emploi à la Villa Bellevue, ce dernier lui a répondu : (Traduction) Tu ne portes pas de robe, n’est- ce pas? et il a ri. M. Miller a ensuite examiné l’énoncé de qualités et a indiqué qu’il transmettrait la demande à la Villa Bellevue. Il n’était nullement question du sexe des candidats dans la description du poste d’agent d’interprétation ni dans l’énoncé de qualités.

- 3 > Le 23 janvier 1984, M. Oliver a reçu de M. Miller, conseiller en emploi pour le Centre d’emploi du Canada, une lettre l’informant que sa demande d’emploi avait été retournée, sa candidature ayant été rejetée. M. Oliver a également reçu une copie de la lettre d’explication de M. E. R. Friel, directeur de district de Parcs Canada. Le paragraphe crucial de cette lettre est ainsi formulé :

(traduction)

"En raison de la nature des emplois d’agents à la Villa Bellevue, en particulier dans la mesure où d’importantes activités d’interprétation comme les mises en scène et l’animation sont concernées, seules des candidates peuvent être retenues pour ce concours. Je vous ai indiqué cette exigence dans ma lettre, mais je constate que vous avez choisi un candidat, Joel Oliver, pour une entrevue. Je dois vous informer que je suis obligé d’écarter la candidature de M. Oliver pour ce concours parce qu’étant donné qu’il s’agit d’un homme, il serait incapable de remplir les fonctions d’interprétation prévues par le programme d’interprétation de la Villa Bellevue."

Dans cette même lettre, M. Friel à indiqué à M. Miller qu’il pouvait exister d’autres emplois à la Villa Bellevue pour lesquels M. Oliver ou toute autre personne du sexe masculin pourrait poser sa

candidature, par exemple, préposés aux services d’accueil pour l’interprétation ou jardiniers- interprètes. Dans son témoignage, le plaignant a déclaré que les préposés aux services d’accueil ont pour fonction d’indiquer aux chauffeurs d’autobus l’endroit où ils doivent

- 4 > garer leurs véhicules dans les terrains de stationnement, d’accompagner les visiteurs lorsqu’ils traversent la rue et de les diriger jusqu’au site historique. Les employés de cette catégorie touchaient un salaire inférieur à celui des agents d’interprétation. Après avoir appris qu’il ne travaillerait pas à la Villa Bellevue pendant l’été 1984, le plaignant s’est inscrit au Centre d’emploi du Canada et, aux environs du 12 mai, il a réussi à obtenir un emploi à un musée d’ébénisterie situé à l’extérieur de Kingston. Le salaire qu’il recevait à cet endroit était inférieur à celui qu’il aurait gagné à la Villa Bellevue où le taux horaire était de 10,65 $.

Il arrivait fréquemment que des étudiants étaient réengagés pour travailler à des lieux historiques pendant les étés suivants lorsque leur employeur était satisfait de leur travail. Le plaignant prévoyait donc qu’il pourrait travailler pendant d’autres étés à la Villa Bellevue, n’e t été de l’exigence voulant que seules des femmes puissent occuper les postes d’agent d’interprétation. M. Oliver n’a pas réussi à trouver un emploi pour l’été 1985; il a plutôt étudié le théâtre à l’université Queens et il a participé à une comédie musicale au théâtre d’été de Kingston.

Le 28 février 1984, M. Oliver a déposé une plainte devant la commission canadienne des droits de la personne. La Commission a rejeté sa plainte. M. Oliver a alors retenu les services d’un avocat qui a soumis l’affaire à la Cour d’appel fédérale; celle- ci a rendu, sur le fondement de l’article 28 de Loi sur la Cour fédérale, une ordonnance sur consentement qui a annulé la décision de la Commission canadienne des droits de la personne, étant entendu que cette dernière recommanderait la constitution d’un tribunal.

- 5 > Le plaignant était d’avis qu’il possédait toutes les compétences requises pour satisfaire aux exigences du poste pour lequel il avait posé sa candidature en 1984. Il a déclaré qu’il remplissait toutes les conditions de postes similaires offerts à d’autres sites. Il avait travaillé précédemment à la Villa Bellevue; il connaissait l’endroit et les thèmes d’interprétation qui y étaient utilisés; il était en outre tout à fait convaincu qu’il pouvait s’acquitter de toutes les fonctions de cet emploi aussi bien que n’importe quel autre candidat, homme ou femme.

Le plaignant a déclaré que le programme de la Villa Bellevue aurait pu être modifié de manière à permettre la présence d’un homme. Il a fait valoir qu’il aurait pu porter le costume d’un homme de cette époque. Il aurait pu jouer le rôle d’un invité, d’un visiteur, d’un collègue de John A. MacDonald, d’un client de celui- ci ou encore, d’un médecin rendant visite à la famille MacDonald. Le plaignant estimait que le programme d’animation à la Villa Bellevue avait été déterminé en

fonction du site lui- même et qu’il n’y avait aucune raison pour laquelle il n’aurait pas été aussi facile de prévoir dans ce programme la présence d’hommes que celle de femmes.

L’intimé, Parcs Canada, a opposé la défense de l’exigence professionnelle justifiée et a cité trois témoins pour prouver qu’il était justifié de réserver à des femmes seulement les emplois d’été d’agent d’interprétation à la Villa Bellevue. M. John Coleman, chef de la Section des services aux visiteurs de Parcs Canada, poste qui portait autrefois le nom de d’agent des services d’accueil pour l’interprétation, a déclaré que le principal intérêt de la Villa Bellevue était que John A. MacDonald y avait habité à une certaine époque.

- 6 > On a redonné à la Villa Bellevue l’aspect qu’elle avait de 1848 à 1849, même si on n’y trouve aucun des meubles authentiques ayant appartenu à MacDonald. M. Coleman a indiqué au tribunal que la Commission des lieux et monuments historiques a décidé en 1979 de restaurer la Villa Bellevue en s’appuyant sur deux thèmes principaux tournant autour de John A. MacDonald et de la Villa Bellevue en tant qu’édifice, ainsi que sur plusieurs thèmes accessoires découlant des thèmes principaux. Les thèmes accessoires portant sur MacDonald lui- même retraçaient son histoire politique et son histoire personnelle en insistant sur la période de Kingston, et sa vie avec son épouse Isabella et sa famille à Bellevue. Les thèmes tournant autour de la Villa Bellevue concernaient l’expression architecturale de la villa italienne, l’histoire de la villa pour la période allant du moment de sa construction, aux environs de 1839, jusqu’à la fin des années 1840, et l’entretien ménager à la Villa Bellevue pendant les années 1840.

M. Coleman a ensuite souligné les objectifs fixés pour le parc historique national de la Villa- Bellevue. Les plus importants étaient les suivants :

(traduction)

"atteindre des normes élevées en ce qui concerne tous les aspects de la préservation, de la restauration, de la gestion et de l’entretien, comme il convient à un monument au premier homme à exercer les fonctions de premier ministre du Canada, et poursuivre un programme d’animation de portée limitée (c’est- à- dire à l’aide d’agents et de costumes d’époque), à condition que sir John A. MacDonald et les membres de sa famille ne soient pas représentés en personne.

- 7 > Les démonstrations des métiers d’art de l’époque

continueront à se limiter à ceux qui reflètent la vie sociale des occupants de la Villa Bellevue à la fin des années 1840.

Le principal message didactique de la Villa Bellevue concernait la vie

domestique au sein de cette maison. M. Coleman a déclaré que l’exactitude constituait un élément absolument essentiel de ce message. Pour préparer le programme d’interprétation de la Villa Bellevue, les employés de Parcs Canada ont effectué des recherches, notamment en consultant les renseignements recueillis par des spécialistes et divers universitaires. Les renseignements nécessaires ont également été tirés des nombreux rapports qui avaient été préparés par le personnel de Parcs Canada avant la restauration et l’ouverture de la villa.

Le tribunal a été informé que la vie à la Villa Bellevue de 1848 à 1849 était plutôt simple en raison de la maladie dont souffrait l’épouse de MacDonald. En fait, celle- ci était invalide et elle ne quittait son lit et sa chambre qu’en de rares occasions. Les documents que les employés de Parcs Canada ont pu consulter indiquent que MacDonald employait des domestiques à sa maison, mais ils n’en précisent ni le nombre ni les tâches et, ce qui est plus important, ils n’indiquent pas leur sexe. Il ressort des lettres de MacDonald que de nombreux visiteurs se présentaient à la villa, notamment des médecins et le frère de son épouse qui, en compagnie d’autres membres de sa famille, rendait visite à Isabella MacDonald pendant sa maladie. M. Coleman a déclaré que, selon lui, MacDonald n’aurait pas pu se permettre d’engager un serviteur parce qu’il aurait d lui verser un salaire plus élevé et qu’il ne possédait pas le genre de maison nécessitant la présence d’un serviteur.

- 8 > M. Coleman a également ajouté que les tâches dont devaient s’acquitter les agents d’interprétation pendant l’été incluaient le port d’un costume, la participation à des sketches, l’exécution de pièces musicales, des démonstrations de métiers d’art de l’époque et des démonstrations culinaires et ce, en plus de s’occuper directement des visiteurs en leur qualité d’interprètes. Il a déclaré que les agents sont censés pouvoir remplir chacun de ces rôles. Ils ont été engagés pour faire des démonstrations culinaires, pour faire des travaux manuels, pour jouer des rôles simples dans des sketches, et l’horaire était organisé de manière à ce que chaque agent puisse exécuter chacune des tâches prévues par le programme. Les dialogues étaient brefs, les sketches durant cinq à six minutes. Ils étaient, en fait, écrits par M. Coleman et ils devaient être joués par deux ou trois personnes. Selon M. Coleman, il fallait engager des femmes comme agents d’interprétation à la Villa Bellevue parce que seules des femmes pouvaient s’acquitter de toutes les fonctions du programme des services du personnel. En raison des ressources restreintes, chaque agent devait pouvoir exécuter chacune des tâches. Le personnel se composait en tout d’un agent surveillant et de cinq agents d’interprétation.

Les autres témoins ont déclaré qu’il existe peu de preuves historiques valables permettant de déterminer le nombre de domestiques travaillant pour la famille MacDonald, le sexe de ces domestiques, le nombre de visiteurs que la famille MacDonald aurait reçus ou les dispositions particulières que John A. MacDonald pourrait avoir prises en ce qui concerne son épouse malade pendant ses absences.

- 9 -

> LE DROIT Le plaignant invoque les alinéas 7a), 8b)( ii), 10a) et 10b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ces alinéas sont libellés de la manière suivante :

"7. Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu,

directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

8. Constitue un acte discriminatoire le fait b) au sujet d’un emploi présent ou éventuel,

(ii) de procéder, oralement ou par écrit, à une enquête où il est fait, même implicitement, des restrictions, conditions ou préférences pour un motif de distinction illicite.

10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur, l’association d’employeurs ou l’association d’employés

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite, ou b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises

en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel

pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

- 10 > En l’espèce, le motif de distinction illicite est évidemment le sexe.

L’article 4 de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit que toute personne reconnue coupable de ces actes peut faire l’objet des ordonnances prévues aux articles 41 et 42.

L’intimé soutient qu’il n’a commis aucun des actes décrits par les articles 7, 8 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il invoque subsidiairement l’alinéa 14a) de la Loi dont voici le texte :

"14. Ne constituent pas des actes discriminatoires a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions,

conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées."

L’intimé demandé que la plainte soit rejetée sur le fondement du

paragraphe 41( 1). Dans de tels cas, le fardeau de la preuve incombe tout d’abord au plaignant. Celui- ci doit prouver, selon la balance des probabilités, que l’intimé a commis un ou plusieurs des actes dont il est question aux articles 7, 8 et 10. Si le plaignant réussit à le prouver, le tribunal doit déterminer si ces actes discriminatoires sont justifiés par l’alinéa 14a) parce qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées.

- 11 > Le critère à utiliser pour l’application comme moyen de défense de l’exigence professionnelle justifiée dont il est question à l’alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droit de la personne a été énoncé par le juge McIntyre dans l’arrêt La Commission ontarienne des droits de la personne c. La Municipalité d’Etobicoke, (1982), 3 C. H. R. R. D/ 781. Ce critère a été appliqué régulièrement depuis. Un passage fréquemment cité de la décision du juge McIntyre figure à la page D/ 783 :

"Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question d’une manière raisonnablement diligente, s re et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l’exercice de l’emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général."

Ce critère comporte deux éléments dont l’un est subjectif et l’autre objectif. La formulation dans l’arrêt Etobicoke des éléments subjectif et objectif du critère de l’exigence professionnelle justifiée reflète la nature de l’emploi en cause, c’est- à- dire pompier. L’avocate de l’intimé a signalé à juste titre au tribunal qu’il n’était pas question de considérations sécurité dans l’affaire

- 12 > Oliver ni dans de nombreuses autres affaires où la défense de l’exigence professionnelle justifiée est invoquée. Dans Caldwell c. Stuart et Catholic Schools of Vancouver Archdiocese (1984), 6 C. H. R. R. D/ 2643, la Cour a examiné si le congédiement d’une enseignante catholique travaillant dans une école catholique en raison de son mariage civil avec un divorcé violait les dispositions du Human Rights Code de la Colombie- Britanique (depuis remplacé par la Human Rights Act, S. B. C. 1984, ch. 22) relatives à la discrimination en matière d’emploi. Les intimés ont opposé la défense de l’exigence professionnelle justifiée à la réclamation de l’enseignante et la Cour a statué sur ce moyen de défense en se fondant sur le critère formulé dans l’arrêt Etobicoke. Comme l’indique le passage qui suit, la Cour

a reconnu que ce critère devait être revu de manière à refléter la nature différente de l’emploi en question dans l’arrêt Caldwell :

"Le critère utilisé dans l’arrêt Etobicoke a deux volets. Le premier est subjectif : l’exigence contestée est- elle imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère qu’elle est imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du Code? Il est tout à fait manifeste que cette condition est remplie, car on n’a jamais soutenu dans les présentes procédures que les motifs des autorités scolaires n’étaient pas honnêtes ou de bonne foi ou que l’exigence d’observance religieuse n’a pas été imposée uniquement pour promouvoir les objectifs de l’école. On n’a pas démontré ni même évoqué l’existence d’un motif inavoué. Toutefois, quant au second volet du critère, on a soutenu que,

- 13 > objectivement parlant, l’exigence d’observance

religieuse n’était pas raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace du travail d’enseignant. Il n’est pas question de facteurs économiques ou de considérations de sécurité. Cependant, le critère demeure essentiellement applicable et peut se formuler ainsi : Considérée objectivement, l’exigence que les professeurs catholiques se conforment à la religion est- elle raisonnablement nécessaire pour assurer la réalisation des objectifs que poursuit l’Église en maintenant une école catholique de caractère distinct dans le but de fournir une éducation catholique à ses élèves?"

La Cour suprême a statué que la condition objective du critère était également remplie et elle a rejeté la plainte de l’enseignante.

L’avocate de l’intimé a attiré l’attention du tribunal sur la décision rendue en avril 1987 par un tribunal des droits de la personne dans l’affaire Stanley et autres c. La Gendarmerie royale du Canada. Le tribunal est d’accord avec l’avocate de l’intimé pour dire que l’analyse du critère Etobicoke faite par le président Elliot est particulièrement utile en l’espèce. Dans l’affaire Stanley, le président Elliot a déclaré que l’essence du critère Etobicoke, pour s’inspirer des termes employés par le juge McIntyre, me semble être la suivante :

Afin d’établir des exigences professionnelles justifiées, l’employeur doit à la fois démontrer

- 14 > a) que l’exigence contestée est imposée honnêtement, de

bonne foi et avec la conviction sincère qu’elle est imposée en vue d’assurer la protection ou la promotion des intérêts que l’employeur peut logiquement chercher

à protéger ou à promouvoir, étant donné la nature de l’emploi en question, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux de la législation, et

b) que l’exigence contestée, considérée objectivement, est raisonnablement nécessaire pour protéger ou promouvoir les intérêts que le mis en cause peut logiquement chercher à protéger ou à promouvoir, étant donné la nature de l’emploi en question.

DISCRIMINATION A PREMIERE VUE Le plaignant doit prouver qu’il s’agit d’un cas prima facie de discrimination. Le plaignant invoque les alinéas 7a), 8b)( ii), 10a) et 10b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne dont le texte a été reproduit plus haut. Je conclus que le plaignant s’est acquitté de cette obligation et a fourni au tribunal la preuve d’une discrimination à première vue de la part de l’intimé à la suite de la violation par ce dernier des alinéas 7a), 8b)( ii), 10a) et 10b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le plaignant semblait être un candidat très compétent pour le poste d’agent d’interprétation à la Villa Bellevue. Sa candidature a été écartée parce que

- 15 > les postes d’agents d’interprétation ne devaient être occupés que par des femmes seulement et le plaignant n’a été informé de cette exigence qu’après avoir posé sa candidature.

Les témoins cités par l’intimé ont indiqué que d’autres personnes avaient postulé l’emploi d’agent d’interprétation à la Villa Bellevue et qu’il n’était pas certain que le plaignant aurait réussi à l’obtenir si sa candidature n’avait pas été écartée. Même si le tribunal reconnaît que le plaignant n’était pas le seul candidat pour ce poste, la preuve indique clairement que ses compétences étaient remarquables, qu’il avait déjà occupé un autre emploi à la Villa Bellevue, qu’il avait travaillé comme agent d’interprétation à un autre site historique et que les évaluations qui avaient été faites relativement à son rendement dans les autres emplois qu’il avait occupés étaient exceptionnelles. L’expérience et les connaissances du plaignant me portent à croire qu’il aurait réussi à obtenir l’emploi qu’il sollicitait, n’e t été de l’exigence que celui- ci soit réservé à des femmes seulement. Ayant ainsi conclu, le tribunal doit maintenant examiner la défense de l’exigence professionnelle justifiée qu’invoque l’intimé.

DÉFENSE DE L’EXIGENCE PROFESSIONNELLE JUSTIFIÉE

Il faut en tout premier lieu déterminer si l’exigence professionnelle de l’intimé a été imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction était imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du code.

- 16 -

>L’intimé a indiqué deux motifs pour lesquels il croyait que l’exigence ou la restriction imposée au plaignant était justifiée. Le premier est l’exactitude ou la fidélité historique, et le deuxième est le fonctionnement efficace, notamment la souplesse totale dans la distribution des tâches aux agents. Le tribunal reconnaît avec l’avocate de l’intimé que le désir de recréer ou d’illustrer l’histoire aussi exactement et aussi fidèlement que possible constitue un objectif légitime. John Coleman a déclaré au cours de son témoignage que (Traduction) L’exactitude est absolument essentielle. C’est pourquoi nous sommes ici en tant que professionnels. De nombreux travaux de recherche sont effectués pour permettre à Parcs Canada de restaurer et de préserver les sites historiques de la manière la plus fidèle possible. Les témoins ont été très convaincants sur ce point. Le tribunal est également persuadé que l’intimé avait, en outre, intérêt à ce que son entreprise fonctionne de manière efficace tout en étant soumise à certaines contraintes économiques. A cette fin, il était essentiel que les employés puissent faire preuve d’une certaine souplesse. Le tribunal considère, par conséquent, que l’intimé a satisfait au premier volet du critère formulé dans l’arrêt Etobicoke étant donné que Parcs Canada a imposé l’exigence contestée en croyant honnêtement que celle- ci était nécessaire pour assurer la fidélité historique et que cette exigence ne cachait pas des motifs inavoués ou étrangers.

Le tribunal n’est toutefois pas d’accord avec l’intimé qui soutient que, lorsqu’on examine objectivement l’exigence contestée, on doit conclure qu’elle est raisonnablement nécessaire pour assurer et préserver la fidélité historique.

- 17 > L’intimé a produit une lettre écrite par Gordon Fairweather lorsqu’il était président de la Commission canadienne des droits de la personne. Dans cette lettre datée du 21 février 1979, M. Fairweather répond à M. P. A. Thomson, directeur de la région de l’Atlantique pour Parcs Canada, Biens historiques, à Halifax (Nouvelle- Écosse), au sujet de sa demande de conseils sur la question de savoir si les concours pour les postes d’animateurs militaires (soldats) à la forteresse de Louisbourg ne devraient être ouverts qu’aux hommes. Cinq postes ont été dotés grâce au programme d’emplois d’été à Louisbourg. Il y avait 26 animateurs militaires (soldats), 23 animateurs civils (divers rôles), trois animateurs autochtones (dans le rôle de Micmacs), 14 guides et 13 réceptionnistes. La possibilité de réserver des postes à des hommes pour des motifs de fidélité historique n’a été soulevée qu’en ce qui concerne le premier groupe, c’est- à- dire celui des animateurs militaires. Dans la lettre qu’il a adressée à M. Thomson, M. Fairweather déclare :

(traduction)

"La Commission estime qu’en ce qui concerne le cas particulier de Louisbourg, l’exigence de fidélité historique pour les animateurs est à la fois pertinente et nécessaire. Même si votre question ne vise que les postes d’animateur militaire, nous croyons que l’exigence de la fidélité historique serait également raisonnable en ce qui concerne

les 26 autres postes d’animateurs qui sont appelés à jouer des rôles précis. A notre avis, il serait justifié en raison du besoin de fidélité historique de choisir les candidats pour ces postes en fonction d’éléments qui seraient autrement proscrits par la Loi canadienne sur les droits de la

- 18 > personne (et, d’ailleurs, par la Loi sur

l’emploi dans la fonction publique). Certains des personnages représentés sont apparemment des femmes qui vivaient à la forteresse et il ne fait aucun doute que ces rôles devraient être joués par des femmes. En outre, il semble que certains traits raciaux précis soient essentiels pour pouvoir incarner fidèlement au moins quelques- uns de ces personnages.

Faisant allusion à l’alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, Fairweather ajoute :

(traduction)

"La défense de motif justifiable n’exige pas l’approbation antérieure de la Commission appliquant la Loi ni que celle- ci ait prévu une exception et, compte tenu des faits dont vous nous avez fait part au sujet de la situation à Louisbourg, elle permettrait d’opposer une défense suffisante pour réfuter toute allégation de discrimination fondée sur le sexe qui pourrait être soulevée au moment du recrutement des animateurs. Même si la Commission pourrait, en vertu de l’article 22 de la Loi, adopter une ordonnance excluant ces postes de l’application des dispositions générales interdisant la discrimination fondée sur le sexe, une telle ordonnance nous semblerait inutilement exagérée compte tenu des faits, et elle pourrait amener le public à s’interroger sur la question de la fidélité historique qui, autrement, paraîtrait évidente.

- 19 > Il ajoute au paragraphe suivant :

(traduction)

"Vous pourriez souhaiter examiner, à cet égard, s’il est dans l’intérêt de l’image publique de Parcs Canada en tant qu’organisme offrant des chances d’embauche égales pour tous de continuer à faire paraître des annonces distinctes pour les animateurs militaires et les animateurs civils alors qu’une seule annonce pour ces deux postes vous permettrait de choisir en fonction du mérite, des candidats des deux sexes pour les 59 postes en tenant compte de l’exigence essentielle que les candidats doivent pouvoir incarner fidèlement les personnages choisis. En d’autres termes, nous vous annonçons que la meilleure façon de

chercher des candidats pour les postes d’animateurs à Louisbourg serait probablement d’agir comme le ferait une compagnie théâtrale à la recherche de comédiens."

Même si elle reconnaît que les propos de M. Fairweather se limitaient à la situation particulière de Louisbourg, l’avocate de l’intimé a laissé entendre qu’il ne serait pas erroné de conclure que M. Fairweather reconnaît en termes généraux dans sa lettre la légitimité et la rationnalité des restrictions fondées sur le sexe, imposées dans l’intérêt de la fidélité historique.

Le tribunal est tout à fait d’accord avec l’opinion émise en ce qui concerne le site de Louisbourg, étant donné qu’on possédait des renseignements précis sur les personnes qui habitaient à cet endroit et que la fidélité historique

- 20 > exigeait, par conséquent, que les rôles soient joués par des personnes du sexe approprié.

La fidélité historique dans la représentation de la Villa Bellevue pendant la période de 1848 à 1849 est tout aussi essentielle pour ce site qu’elle l’est pour celui de Louisbourg. Il y a toutefois un élément important qui a grandement influencé ma décision; il s’agit de l’absence de données historiques s res en ce qui concerne les personnes qui habitaient la maison de John A. MacDonald pendant la période où il a résidé à la Villa Bellevue. Christina Bates, l’historienne qui a témoigné pour l’intimé, a indiqué que seulement cinq des lettres personnelles de John A. MacDonald dont disposent les historiens concernent la période pendant laquelle il a habité à la Villa Bellevue.

Mme Bates a déclaré dans son témoignage que l’épouse de MacDonald était assez malade pendant la période en cause et qu’elle ne recevait pas un grand nombre de visiteurs en dehors des membres de sa famille, dont l’un était son frère qui a fait un séjour de trois semaines à la villa. On sait que John A. MacDonald était absent de la maison de 9 heures à 18 heures chaque jour et que plusieurs médecins s’y rendaient périodiquement pour administrer des soins à Isabella MacDonald. L’histoire ne dit pas combien de domestiques MacDonald avaient à son service, même s’il mentionne dans une de ses lettres que son épouse (Traduction) est occupée à diriger les domestiques, ce qui laisse supposer qu’il y a avait certainement plusieurs domestiques. Ce qui est plus important, nous ignorons si des serviteurs travaillaient à la maison de MacDonald à cette époque. Nous savons cependant qu’avant cette période, MacDonald a employé un serviteur lorsqu’il habitait dans une autre maison. L’historienne a présumé que MacDonald n’aurait pas engagé un serviteur à la Villa Bellevue parce que

- 21 > ses moyens financiers étaient plutôt limités et que les serviteurs touchaient des salaires supérieurs à ceux des servantes. Bates a également dit qu’elle en était venue à croire que

tous les domestiques étaient des femmes parce que les renseignements qu’elle possédait laissaient entendre que, dans les maisons de professionnels du Haut- Canada pendant cette période, neuf domestiques sur dix étaient des femmes.

En nous appuyant sur les renseignements que nous possédons, c’est- à- dire qu’Isabella MacDonald était très malade, que son époux était absent de la maison pendant de longues périodes, que celui- ci avait dans le passé engagé des serviteurs et qu’il était connu qu’il vivait au- dessus de ses moyens, nous pourrions également présumer que John A. MacDonald aurait pu avoir engagé un serviteur lorsqu’il habitait à la Villa Bellevue. De toute manière, toutes ces hypothèses ne servent à rien. L’élément essentiel est, comme l’a indiqué Christina Bates dans son témoignage, que les preuves historiques sont insuffisantes.

John Coleman, chef des services des visiteurs à Parcs Canada, a été cité comme témoin par l’intimé. Son témoignage a été très utile pour aider le tribunal à comprendre l’importance des thèmes et des objectifs sous- jacents à la reconstitution de la Villa Bellevue. M. Coleman a indiqué au tribunal que l’information que l’on voulait transmettre concernait le mode de vie des MacDonald à la Ville Bellevue, de 1848 à 1849. Il a dit :

(traduction)

"Nous savons qu’il devait y avoir des domestiques mais, malheureusement, les travaux de recherche ne nous indiquent pas qui ils étaient ni ce qu’ils faisaient. Il faut donc supposer

- 22 > qu’il y avait au moins un domestique, peut- être

deux, parce que la maison est assez grande et qu’il n’était pas facile de s’occuper d’une malade. Nous savons qu’au début, il y avait une infirmière. Nous ne savons pas quand elle est partie, mais il semble raisonnable de supposer qu’il y avait également une cuisinière et que l’autre domestique devait être une bonne. Nous savons que des visiteurs venaient à la maison. C’est ce qui ressort des lettres de MacDonald. Nous savons que le médecin y venait. Nous savons que le frère d’Isabella lui rendait visite. Nous savons que des membres de la famille rendaient visite à Isabella pendant sa maladie."

Lorsqu’on a demandé à M. Coleman quel devait être le sexe des domestiques, celui- ci a répondu (Traduction) probablement des femmes. Il a fondé son hypothèse sur le fait que les serviteurs touchaient un salaire plus élevé et que MacDonald n’avait pas les moyens d’engager un serviteur et n’en avait pas vraiment besoin.

M. Coleman a expliqué au tribunal que trois dialogues sont actuellement utilisés à la Villa Bellevue et que les sketches sont joués en partie dans la chambre. Un sketch a lieu dans la cuisine et fournit des renseignements sur les divers artefacts qui s’y trouvent. Un sketch a lieu dans la chambre d’amis et porte sur le ménage, et un autre sketch a lieu dans le salon. Même si la politique de Parcs Canada interdit que des agents incarnent MacDonald et les membres de

sa famille, il est question de ceux- ci dans les dialogues. Par exemple, l’élément à l’origine du dialogue ayant lieu dans le salon était, selon M. Coleman, l’embauche d’une nouvelle bonne par la cuisinière. Ce sketch fournissait également l’occasion de discuter de la maladie d’Isabelle ainsi que de divers meubles.

- 23 > M. Coleman a également déclaré qu’on lui avait demandé en mai 1983 de fournir la liste de tous les dialogues qui avaient été utilisés à la Villa Bellevue depuis environ 1975. Il a ajouté dans son témoignage que, depuis 1986, il avait récrit les dialogues des sketches, principalement parce qu’il n’aimait pas les dialogues précédents et les trouvait puérils et peu réalistes. M. Coleman a ajouté qu’il ne pouvait imaginer comment les situations dont il était question dans les dialogues initiaux auraient pu avoir lieu. Il a admis qu’il n’avait pas étudié les dialogues du point de vue de leur exactitude historique, mais lorsqu’il les a récrits, il avait pour principal objectif d’assurer leur fidélité historique tout en améliorant la présentation dramatique.

C’était M. Coleman qui avait décidé d’engager des femmes pour exécuter le programme estival et lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait pris la décision de n’engager que des femmes, il a répondu que seules des femmes pouvaient jouer tous les rôles du programme des services du personnel prévu pour l’été. Il a déclaré que les ressources étant limitées, il ne pouvait pas gaspiller celles- ci, et chacun devait être capable de s’acquitter de toutes les tâches, notamment le nettoyage de la villa et des artefacts avant l’ouverture de celle- ci au public, l’inventaire des artefacts au début et à la fin de chaque saison, la poursuite de projets de recherche sur certains sujets ainsi que d’autres fonctions associées à l’interprétation et à la mise en scène.

Les agents d’interprétation devaient travailler cinq jours par semaine, à raison de huit heures par jour. Pendant que les visiteurs se promenaient sur le site, les agents devaient effectuer certains travaux manuels afin

- 24 > d’être capables de répondre aux questions éventuelles du public à leur sujet. Cela fait partie de l’élément démonstration du programme qui se poursuit toute la journée. Lorsqu’on a demandé à M. Coleman si les agents devaient, à tour de rôle, effectuer chacune des tâches, il a répondu : (Traduction) Oui, afin de rendre le travail le plus intéressant possible pour les étudiants engagés, les tâches devaient être les plus variées possible.

Même si l’ordonnance sur les exigences professionnelles normales qui était en vigueur à l’époque à laquelle le plaignant a présenté sa demande n’existe plus, le tribunal a jugé utile, comme l’a fait l’avocate du plaignant, d’examiner en détail les exigences de l’emploi en tenant compte de la défense de l’exigence professionnelle justifiée. Le tribunal conclut que le plaignant possédait toutes les qualités requises pour l’emploi, notamment la capacité de participer

activement à un programme d’interprétation. L’emploi d’agent d’interprétation comporte de nombreux aspects; l’animation n’est qu’un de ces aspects bien qu’il soit important.

Le plaignant a indiqué dans son témoignage qu’il avait travaillé comme agent d’interprétation à la maison Woodside, un autre site historique de Parcs Canada, sans que cela pose de problèmes et sans que cela porte à croire qu’il y avait eu dérogation aux principes de la fidélité historique. Le tribunal reconnaît, comme l’a déclaré le plaignant, que celui- ci aurait pu, en s’acquittant de ses fonctions d’agent d’interprétation, participer aux sketches en incarnant un gentilhomme vêtu en costume d’époque, sans pour autant violer les thèmes actuels de la villa. Il est connu que John A. MacDonald recevait des visiteurs et le plaignant aurait pu incarner l’un de ceux- ci ou encore, un médecin. C’est un fait historique bien connu

- 25 > qu’Isabella MacDonald a été traitée par plusieurs médecins. Le tribunal est d’accord avec le plaignant pour dire qu’il aurait été possible de respecter l’histoire tout en faisant jouer le rôle d’un serviteur par un agent d’interprétation. La preuve indiquait que dix pour cent des domestiques étaient des serviteurs et même si la plupart des domestiques étaient des femmes, l’histoire révèle également qu’un serviteur a travaillé, à une certaine époque, pour John A. MacDonald avant que celui- ci emménage à la Villa Bellevue. Le tribunal ne peut pas retenir l’argument de l’intimé voulant que la fidélité historique empêche la présence de personnages masculins à la maison de MacDonald quand, du propre aveu de l’intimé, les éléments de preuve étayant un tel argument sont, au mieux, insuffisants.

Le tribunal estime qu’il n’est pas nécessaire que Parcs Canada modifie les thèmes de la Villa Bellevue afin de permettre la présence d’un agent d’interprétation masculin. M. Coleman a déclaré qu’il avait récrit les dialogues en fonction des thèmes. Quatre dialogues additionnels ont été créés. Il semble au tribunal qu’il serait tout à fait possible de créer un sketch permettant à un agent d’interprétation masculin de jouer un rôle compatible avec les renseignements historiques que nous possèdons sur les années MacDonald et les thèmes qui ont été choisis pour la Villa Bellevue.

Le tribunal croit qu’un homme ayant le talent de M. Coleman aurait pu imaginer un sketch qui, par exemple, prévoirait la présence d’un médecin rendant visite aux MacDonald. M. Coleman a déclaré dans son témoignage qu’il était important que toute l’histoire soit racontée, dans la mesure du possible, dans un sketch et il est possible d’imaginer un sketch dans lequel le médecin discute des activités de la maison avec l’une des personnes qui vient l’accueillir ou

- 26 > discuter avec lui de l’état de santé d’Isabella MacDonald. En ce qui concerne l’obligation de faire la démonstration d’un métier, un médecin aurait pu expliquer l’équipement médical existant en 1848 et 1849 ainsi que les médicaments maison qu’il aurait pu préparer pour Mme MacDonald avec l’aide des domestiques de la maison.

L’intimé beaucoup insisté sur la nécessité de faire alterner les agents pour qu’ils puissent jouer divers rôles, pour garder le travail intéressant et pour assurer divers quarts de travail. Malheureusement, le tribunal estime qu’il ne s’agit pas d’un motif suffisant pour justifier le refus d’engager un agent masculin. La preuve a indiqué que les agents devaient exécuter un certain nombre de tâches pendant le jour et que les représentations avaient principalement lieu pendant les week- ends. Le tribunal ne pense pas qu’on aurait d aller jusqu’à permettre à un agent d’interprétation masculin de jouer un rôle de domestique traditionnellement tenu par une femme, car la fidélité historique ne le permettrait pas. Toutefois, l’intimé a été incapable d’expliquer pourquoi, s’il avait engagé M. Oliver, il n’aurait pas pu incorporer un rôle masculin dans les représentations données les jours où M. Oliver travaillait et pourquoi il n’aurait pas été possible de laisser de côté ce rôle masculin les jours où M. Oliver ne travaillait pas. Compte tenu du fait que le médecin ne faisait pas partie de la famille et qu’il ne se rendait pas quotidiennement à la villa, il ne semble exister aucune raison pour laquelle ce personnage aurait d faire partie de chaque représentation. On peut dire la même chose en ce qui concerne le frère d’Isabella MacDonald. L’histoire indique que celui- ci a passé au moins trois semaines à la maison de MacDonald et le tribunal ne voit pas pourquoi il aurait été impossible de créer un sketch mettant en scène le frère d’Isabella MacDonald.

- 27 > Le tribunal estime, par conséquent, que l’intimé n’a pas rempli les conditions objectives du critère Etobicoke qui ont été davantage clarifiées dans les affaires Caldwell et Stanley étant donné qu’il ne l’a pas convaincu que l’exigence prévoyant que seuls des agents d’interprétation féminins pouvaient être engagés à la Villa Bellevue est raisonnablement nécessaire pour assurer la fidélité historique d’une manière économique et souple. Le tribunal accepte donc le principal argument de l’avocat du plaignant voulant qu’il est possible de prévoir le présence d’ un homme dans le thème actuel portant sur la vie domestique des MacDonald à la fin des années 1840.

SANCTIONS A. INDEMNISATION POUR PERTE DE REVENU

M. Oliver a indiqué dans son témoignage que s’il avait obtenu un emploi d’agent d’interprétation à la Villa Bellevue pendant l’été 1984, il aurait gagné 10,65 $ de l’heure, sans compter le salaire à temps et demi ou à temps double que lui aurait versé Parcs Canada lorsqu’il aurait travaillé les jours de congé. Il a calculé les revenus perdus sur une période de dix- sept semaines, à raison de quarante heures de travail par semaine à un taux horaire de 10,65 $ et il a déduit le montant qu’il a réussi à gagner grâce à son emploi au musée d’ébénisterie MacLachlan. Ses pertes nettes s’élevaient à 3 834,96 $ pour 1984. Le tribunal est convaincu que si M. Oliver avait obtenu l’emploi en 1984, il aurait vraisemblablement été réengagé en 1985. Par conséquent, une somme de 11 076,96 $ est accordée au plaignant pour sa perte de revenu pour les années 1984 et 1985.

- 28 >

Le tribunal a jugé que le plaignant était un témoin sincère et crédible et que tout portait à croire qu’il est un bon travailleur qui, sans faute de sa part, a été incapable de trouver un emploi pour l’été 1985. Par conséquent, le tribunal tiendra compte des revenus estimatifs soumis par M. Oliver pour 1985.

C’est pourquoi le tribunal ordonne qu’une somme de 11 076,96 $ soit versée au plaignant pour perte de salaire.

B. INDEMNITÉ POUR LE PRÉJUDICE SUBI PAR LE PLAIGNANT

Le paragraphe 41( 3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit :

"( 3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal, ayant conclu

a) que la personne a commis l’acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence, ou

b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l’acte discriminatoire,

peut ordonner à la personne de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars."

Ni le plaignant ni son avocat n’ont allégué la mauvaise foi et le tribunal est convaincu que l’intimé n’a pas commis l’acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence. Cependant, le

- 29 > plaignant et son avocat ont allégué que le plaignant

devrait recevoir une indemnité pour préjudice moral et atteinte à sa dignité. Le tribunal reconnaît comme l’a soutenu l’avocat de l’intimé que la manière regrettable dont la Commission canadienne des droits de la personne a traité cette affaire peut avoir exacerbé le sentiment de frustration et d’humiliation ressenti par M. Oliver. Malgré ce fait, le tribunal estime que même si le plaignant n’était certainement pas d’accord avec la politique de Parcs Canada, comme le prouve son dépôt d’une plainte, il n’aurait pas d être étonné de cette politique étant donné qu’il avait déjà travaillé pour Parcs Canada et que, de son propre aveu, il avait joué un rôle de pionnier en obtenant un poste d’agent d’interprétation à la maison Woodside. Par conséquent, le tribunal n’accordera pas l’indemnité dont il est question à l’alinéa 41( 3) b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

C. INTÉRETS

Suivant l’alinéa 41( 1) c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le tribunal est habilité à indemniser la victime des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte discriminatoire.

Le tribunal partage l’opinion que l’indemnisation décrite à l’alinéa 41( 2) c) permet le paiement d’un intérêt à la victime de l’acte discriminatoire. Voir Scott c. Foster Wheeler Ltd. (1986) C. H. R. R. D/ 3193; Cameron c. Nel- gor Castle Nursing Home (1984) 5 C. H. R. R. D/ 2170; Chapdelaine et Gravel c. Air Canada (1988) 9 C. H. R. R. D/ 4449 et la décision récente Leon Hinds c. La Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada. Compte tenu des circonstances de l’espèce, le tribunal

- 30 > estime que l’intérêt devrait commencer à courir le 23 février 1984,

date à laquelle la plainte a été déposée. L’intérêt sur les sommes accordées au plaignant courra au taux 10 % à compter de cette date jusqu’à la date de la publication de la présente décision.

D. ORDONNANCE

Le tribunal ordonne à l’intimé de cesser l’acte discriminatoire consistant à écarter les candidats masculins des postes d’agents d’interprétation au parc historique national de la Villa- Bellevue lorsqu’une telle mesure repose uniquement sur le sexe des candidats.

E. DÉPENS

M. Hackland a soutenu que l’intimé devrait payer les frais judiciaires de M. Oliver. Il ne fait aucun doute qu’il a été nécessaire pour M. Oliver de retenir les services d’un avocat de l’extérieur pour le représenter en espèce. M. Hackland a attiré l’attention du tribunal sur la décision prononcée par un tribunal canadien des droits de la personne le 11 octobre 1988 dans l’affaire Leon Hinds c. La Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, pour laquelle une action avait également été intentée devant la Cour fédérale contre la Commission canadienne des droits de la personne. M. Hackland n’a pas expressément demandé que les frais de son client soient payés; il a plutôt formulé une demande de paiement de ses dépenses. L’avocat du

- 31 > plaignant a également invoqué l’affaire Rosann Cashin c.

La Société Radio- Canada 8 C. H. R. R. D/ 591, dans laquelle le président du tribunal, Sidney Lederman, a déclaré au dernier paragraphe de la décision :

"Les avocats de Mme Cashin avaient demandé que la SRC assume les frais engagés par la plaignante, aussi bien au titre du pourvoi que des procédures inférieures, quel que soit le résultat. Tout en étant conscient que de telles procédures sont onéreuses, particulièrement

lorsque la personne juge nécessaire de recourir à ses propres avocats, nous ne voyons aucune raison, en supposant que nous en ayons le pouvoir, d’émettre une ordonnance contre la SRC, alors qu’elle a été exonérée. De toute façon, la présidente Ashley n’avait pas rendu d’ordonnance de dépens contre la SRC, et aucun appel incident n’a été interjeté à cet égard."

M. Hackland a soutenu que cet extrait de l’affaire Cashin n’a pas tranché la question de savoir s’il existait un droit d’ordonner le paiement de dépens. Il demande, par conséquent, au tribunal de rembourser au plaignant les frais judiciaires engagés pour la préparation et la présentation de l’affaire à l’audience.

L’avocate du ministère de l’Environnement a fait valoir que le tribunal n’était pas habilité à ordonner le paiement des frais judiciaires parce qu’il n’existait aucune disposition législative l’autorisant à le faire. Subsidiairement, Mme Milosevic a allégué que, si le tribunal concluait qu’il possédait la compétence requise, il devrait condamner la

- 32 > Commission des droits de la personne à les payer et non pas l’intimé,

c’est- à- dire le ministère de l’Environnement (Parcs Canada). Elle a signalé l’affaire Hinds au tribunal et en particulier, le dernier paragraphe dont voici le texte :

"Monsieur Duval, au nom de la CCDP, a fait valoir que le tribunal n’était pas habilité à accorder les dépens de toute façon; il s’y est donc opposé. Mme McCann, au nom de la CEIC, a soutenu que rien dans la conduite de la mise en cause ne justifiait le recours de M. Hinds à un avocat de l’extérieur. C’est au contraire la conduite de la CCDP qui a été le seul motif nécessitant cette dépense supplémentaire. A notre avis, ce n’est pas la CEIC qui est ici responsable des frais engagés pour retenir les services d’un avocat distinct. Il n’est donc pas utile de savoir si le tribunal a ou non compétence pour accorder les dépens. Toutefois, comme l’ont fait les tribunaux dans les affaires Potapczyk c. McBain (1984) 5 C. H. H. R D/ 2285, infirmée pour d’autres motifs en (1985) 6 C. H. R. R. D/ 3064 (C. A. F.), et Cashin c. Radio- Canada (1986) 7 C. H. R. R. D/ 3203, infirmée en (1987) 8 C. H. R. R. D/ 3699 (Tribunal d’appel), infirmée par la Cour d’appel fédérale le 13 mai 1988 (non publié), nous prions instamment la CCDP d’indemniser M. Hinds de ses frais judiciaires. Compte tenu de l’esprit de responsabilité dont Mme Mctavish a fait preuve relativement à ce dossier et de son efficacité, la CCDP, en toute équité, ne peut s’y soustraire."

- 33 > Le tribunal estime que, comme ce fut le cas dans l’affaire Hinds, c’est l’avocat du plaignant qui a assumé la plus grande

responsabilité de l’affaire et l’avocat de la CCDP n’a joué qu’un rôle secondaire. Le tribunal est d’avis que c’est grâce à la représentation par son propre avocat, M. Hackland, que M. Oliver a réussi à avoir gain de cause devant le présent tribunal. C’est M. Hackland qui a réussi à obtenir que M. Oliver comparaisse devant le présent tribunal.

Les mesures de la CCDP ont entraîné des délais et ont fait échouer les tentatives faites par M. Oliver pour faire examiner sa demande. Le tribunal croit sincèrement que c’est la CCDP et non le ministère de l’Environnement (Parcs Canada) qui est responsable des dépenses engagées pour retenir les services d’un avocat distinct. Par conséquent, l’intimé, le ministère de l’Environnement, ne devrait pas être condamné au paiement des frais. Le tribunal recommande instamment à la CCDP d’examiner la possibilité de rembourser à M. Oliver ses frais judiciaires.

Fait à Ottawa (Ontario), le vingt- quatrième jour d’octobre 1989. (Signé)

Hugh L. Fraser Président

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