Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 7/95 Décision rendue le 6 mars 1995

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. (1985), ch. H-6 (version modifiée) TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

DANIEL F. MACPHERSON le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE la Commission

- et -

MINISTERE DE LA DÉFENSE NATIONALE l'intimé

- et -

ASSOCIATION CANADIENNE DU DIABETE

l'intervenante

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : Roger Bilodeau - président

ONT COMPARU : Margaret-Rose Jamieson et Helen Beck, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Brian J. Saunders et Anne Turley, pour l'intimé

Peter Rogers, pour l'Association canadienne du diabète

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE : du 22 au 25 juin 1993, à Halifax (N.-É.) les 5 et 6 juillet 1993, à Ottawa (Ont.) les 2 et 3 décembre 1993, à Ottawa (Ont.)

TRADUCTION

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INTRODUCTION

La meilleure façon de décrire la présente espèce est de dire qu'elle se situe dans la lignée de l'affaire Gaetz. Un tribunal des droits de la personne a statué sur cette affaire en 1988, et sa décision a, par la suite, été confirmée par un tribunal d'appel en 1989. Comme c'était le cas dans cette affaire, le présent tribunal doit déterminer si le ministère de la Défense nationale - les Forces armées canadiennes (les FAC) a commis un acte discriminatoire en libérant Daniel Franklin MacPherson parce qu'il était diabétique.

Il existe de nombreux points communs entre la présente affaire et l'affaire Gaetz. De fait, les avocates de la Commission ont reconnu sans difficulté, dans leur argumentation, que l'issue de l'affaire dépendait de l'applicabilité et de l'incidence de l'arrêt Central Alberta Dairy Pool, lequel est postérieur à la décision du tribunal d'appel dans l'affaire Gaetz.

LA PLAINTE ET UN BREF RÉSUMÉ DES INCIDENTS CONNEXES

Le 1er décembre 1984, M. MacPherson a déposé, auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), une plainte contre les FAC, dans laquelle il soutenait que les FAC avaient fait preuve de discrimination fondée sur la déficience à son égard (il est diabétique) en contravention des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP).

La plainte a ensuite emprunté un sentier long et tortueux. Le 25 avril 1985, M. MacPherson a demandé à la Commission de suspendre son enquête jusqu'au règlement du grief déposé devant les FAC. Au mois de juillet de la même année, la Commission a informé M. MacPherson qu'elle commencerait l'enquête mais, en fait, l'enquête n'a débuté qu'au cours de l'année 1987. Il appert également de la preuve présentée devant le présent tribunal qu'à partir de 1987, pas moins de trois différents agents de la Commission ont été assignés à l'examen de cette plainte. Le rapport d'enquête a finalement été déposé au mois d'octobre 1988. Il y était recommandé de rejeter la plainte. La Commission, toutefois, a décidé de surseoir à toute décision jusqu'à l'issue définitive de l'affaire Gaetz.

La décision du tribunal d'appel, dans cette dernière affaire, a été rendue au mois de juillet 1989. Par la suite, la Cour suprême s'est prononcée sur l'affaire Central Alberta Dairy Pool au mois de septembre 1990. La Commission a alors décidé de donner suite à la plainte, et elle a constitué un tribunal au mois d'avril 1992.

L'audience du tribunal s'est tenue sur huit jours entre les mois de juin et de décembre 1993. Le tribunal a alors reçu une preuve et des pièces exhaustives et il a entendu douze témoins en tout, dont celui de l'intervenante, l'Association canadienne du diabète (l'ACD). A la suite de l'audience, les FAC et l'ACD ont présenté des observations écrites, et le tribunal a en outre reçu de la documentation et des observations supplémentaires de toutes les parties, au sujet des politiques appliquées par d'autres institutions ou organismes à l'égard de membres qui deviennent

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diabétiques. Les derniers documents sont parvenus au tribunal au mois de mai 1994.

LA DÉCISION

Pour parvenir à sa décision, le tribunal a examiné et analysé la preuve exhaustive présentée par toutes les parties, de même que la jurisprudence pertinente.

S'appuyant sur ces éléments, le tribunal en vient à la conclusion que la plainte de M. MacPherson ne peut être accueillie. Comme il en a déjà été fait mention, il existe de nombreux points communs entre la présente affaire et l'affaire Gaetz. Le tribunal estime que rien dans la preuve ne justifie de statuer, en l'espèce, différemment du tribunal des droits de la personne et du tribunal d'appel dans l'affaire Gaetz.

Le tribunal, en outre, est lié par les décisions récentes rendues par la Cour d'appel fédérale, lesquelles affirment clairement que l'arrêt Central Alberta Dairy Pool n'a pas eu pour effet d'établir un nouveau critère d'appréciation relativement au degré de risque applicable dans le contexte d'une défense reposant sur l'EPJ.

Par conséquent, la plainte est rejetée. Le tribunal fournira sous peu les motifs complets fondant sa décision.

Fait le 16 février 1995

ROGER BILODEAU Président D.T. 7/95 Décision rendue le 6 mars 1995

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, ch. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE : DANIEL F. MACPHERSON le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE la Commission

- et -

Ministère de la défense nationale l'intimé

- et -

Association canadienne du diabète l'intervenante

MOTIFS DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : Roger Bilodeau, président

ONT COMPARU : Margaret-Rose Jamieson et Helen Beck

Avocates de la Commission canadienne des droits de la personne

Brian J. Saunders et Anne Turley Avocats de l'intimé

Peter Rogers Avocat de l'Association canadienne du diabète

DATES ET LIEUX DE L'AUDIENCE : 22 juin 1993 - Halifax (Nouvelle-Écosse) 5 et 6 juillet 1993 - Ottawa (Ontario) 2 et 3 décembre 1993 - Ottawa (Ontario)

TRADUCTION

INTRODUCTION

[1] La présente plainte a été rejetée dans une décision rendue le 6 mars 1995. L'exposé complet des faits ainsi que les motifs écrits au soutien de cette décision ont été préparés séparément et sont fournis dans les pages suivantes.

[2] La présente décision fait suite à l'affaire Gaetz dans laquelle

la décision rendue par un tribunal 1 en novembre 1988 a ensuite été confirmée par un tribunal d'appel 2 en juillet 1989. Comme ce fut le cas dans l'affaire Gaetz, le présent tribunal doit déterminer si le ministère de la Défense nationale / les Forces armées canadiennes (FAC) ont commis un acte discriminatoire en libérant Daniel Franklin MacPherson

(MacPherson) pour le motif qu'il est diabétique.

[3] Par ailleurs, il devrait être possible de constater qu'il y a de nombreuses similitudes entre l'espèce et l'affaire Gaetz. En fait, les avocates de la Commission ont volontiers indiqué dans leurs commentaires finals que la décision qui sera rendue dans la présente affaire dépendra de l'applicabilité et de l'effet de l'arrêt Central Alberta Dairy Pool (1990) dans lequel la Cour suprême du Canada n'avait pas encore rendu sa décision lorsque le tribunal et le tribunal d'appel ont été saisis de l'affaire Gaetz.

LA PLAINTE

[4] Le 1er décembre 1984, MacPherson a déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) dans laquelle il alléguait que les FAC avaient exercé une discrimination à son

égard pour un motif de distinction illicite, la déficience (diabète), en violation des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

[5] Il a en outre allégué que les FAC l'ont libéré le 20 août 1984 pour des motifs d'ordre médical parce qu'elles le jugeaient inapte à exécuter ses fonctions et ne pouvaient pas lui trouver un autre emploi, conformément à une décision du Conseil médical de révision des carrières (CMRC) des FAC.

LES FAITS

[6] MacPherson s'est enrôlé dans les FAC le 10 mars 1978. Il a terminé son entraînement de base à Cornwallis, dans le délai prescrit de onze semaines. De juillet à novembre 1978, il a suivi des cours de

formation à la BFC Borden pour le métier qu'il avait choisi, technicien d'armes (Air) - code 571 (TEC A(A) 571). De janvier 1979 à la date de sa libération le 20 août 1984, il a été affecté à la BFC Shearwater.

1 Gaetz c. Canada (Forces armées canadiennes), [1988], décision du tribunal des droits de la personne, D.T. 14/88

2 [1989] Décision du tribunal d'appel des droits de la personne D.T. 9/89

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[7] Il a fait partie de ce groupe professionnel pendant toute la durée de son affectation, bien qu'il ait, à diverses reprises, passé d'un champ d'activités à un autre au sein de ce groupe, plus précisément l'arsenal, la zone d'explosifs, la section de l'armement des aéronefs à voilure tournante, la division des hélicoptères et, enfin, la section de l'escadron polyvalent VU-32 (aéronefs à voilure fixe).

[8] Il est notamment important pour la présente plainte d'évaluer le poste et le groupe professionnel de MacPherson dans les FAC en fonction de son état de santé et des conditions de travail dans les FAC. A cette fin, il est utile de rappeler les parties les plus pertinentes de la description de poste pour un TEC A(A) 571 :

[TRADUCTION]

1. Champ d'application

a. La présente description traite du groupe professionnel technicien d'armes (Air) de la Force régulière qui est le seul groupe du champ professionnel armes aériennes.

1) Opérations

Fait l'entretien de premier échelon des aéronefs [...] fait partie d'une équipe de démarrage [...] conduit des véhicules militaires et des tracteurs [...] prépare et transporte de l'armement (air), des

missiles, des canons, des charges et des dispositifs explosifs; charge et décharge de l'armement, des missiles, des pièces pyrotechniques et du matériel de détection aérolargable; exécute les tâches liées à l'utilisation du matériel air-sol, des champs de tir pour aéronefs et pour armes portatives; exécute les tâches liées à l'élimination et à la destruction des munitions explosives.

5) Défense nucléaire, biologique et chimique (Défense NBC) Exécute les tâches de la Défense NBC.

4. Conditions de travail a. Aspect physique. Le technicien exécute ses tâches dans les hangars et les ateliers, à bord des aéronefs, sur les pistes, les ponts d'envol, les aires d'armement et sur les champs de tir. Il est

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exposé à toutes les conditions climatiques et environnementales, souvent pendant de longues périodes [...] Il peut être appelé à travailler sur des échelles, des ponts qui tanguent ou dans des endroits où il a peu d'espace, et il doit prendre les plus grandes précautions en tout temps.

Affectations temporaires sur des navires

[9] Pendant son affectation à la BFC Shearwater, MacPherson a été affecté de manière temporaire à un navire (NCSM Huron) à deux reprises parce que ses fonctions étaient directement liées à l'utilisation des hélicoptères Sea King à bord de ce navire. La preuve indique qu'il devait être à bord du navire lorsqu'il devait accompagner les hélicoptères. Si les hélicoptères n'étaient pas utilisés, il demeurait à la BFC Shearwater.

[10] Son plus long voyage à bord de ce navire a duré deux mois, lors d'une période de service en Scandinavie. Il a effectué quelques autres sorties d'une durée d'une à deux semaines et il s'agissait alors principalement de tâches de surveillance.

Autres fonctions

[11] MacPherson a aussi participé à des exercices appelés évaluation des opérations, soit des exercices visant à vérifier que les membres de la base pourraient réagir correctement en cas de conflit armé. La durée habituelle de ces exercices était de trois ou quatre jours. A l'aide de divers scénarios, on simulait des situations de guerre allant d'une attaque par des troupes terrestres à une attaque aérienne par l'aviation ennemie.

[12] Pendant ces exercices, les quarts de travail de MacPherson étaient souvent plus longs que d'habitude (de 12 à 16 heures par jour), la plupart du temps sans préavis. De plus, il devait parfois sauter un repas ou manger plus tard.

[13] En fait, MacPherson a reconnu que l'une de ses principales fonctions comme TEC A(A) 571 lors de ces exercices consistait à assurer que les avions décollent à temps pour remplir leurs missions. En ce sens, son horaire de travail était en fait dicté par celui des avions.

[14] Enfin, MacPherson devait également faire partie de la force de défense de la base, encore une fois après un avis très court ou sans préavis.

Diagnostic de diabète sucré et événements subséquents

[15] Le 9 septembre 1982, MacPherson a été admis à l'hôpital (HFC Halifax) où l'on a diagnostiqué qu'il souffrait de diabète sucré. Ce même jour, sa catégorie médicale a été modifiée et est passée temporairement de

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G1 02 à G4 04 avec la cote A7 en ce qui concerne le vol. La cote médicale minimale pour son groupe professionnel (TEC A(A) 571) était G2 02.

[16] Après avoir obtenu son congé de l'hôpital, MacPherson a continué à exercer son métier pendant trois mois dans la section où il se trouvait avant son diagnostic, plus précisément la section de l'escadron polyvalent VU-32. Toutefois, il n'était pas autorisé à voler. La preuve indique également qu'il n'a pas chargé de bombes à bord des avions des FAC pendant cette période. Ses fonctions consistaient principalement à entretenir l'équipement utilisé pour le remorquage de cibles.

[17] Après ce bref séjour dans la section de l'escadron polyvalent VU-32, MacPherson a suivi des cours de formation d'instructeur à l'école de formation du HT 406 pour les TEC A(A) 571. Il a commencé ses fonctions d'instructeur en avril 1983, la première tâche qui lui a été assignée consistant à récrire divers documents pédagogiques.

[18] A l'époque où l'on a diagnostiqué qu'il souffrait de diabète insulino-dépendant, MacPherson a eu certaines difficultés à contrôler une partie du moins des symptômes (c.-à-d. le taux de glycémie, etc.), ce qui est tout à fait normal au début de la maladie. Pendant les mois qui ont suivi, il rencontrait régulièrement le personnel médical des FAC. Ce problème de contrôle a été mentionné dans quelques rapports médicaux des FAC après ces consultations.

[19] De plus, on a envoyé MacPherson au Dr Meng-Hee Tan (qui a été assigné par la Commission à titre de témoin expert lors de l'audition de la présente plainte) pour qu'il évalue son cas. Dans le rapport qu'il a adressé au personnel médical des FAC le 22 décembre 1983, le Dr Tan a conclu ce qui suit:

[TRADUCTION]

En résumé, [MacPherson] est un individu âgé de 29 ans qui souffre de diabète de type I depuis un peu plus d'un an. Son diabète n'est pas très bien contrôlé à l'heure actuelle; mais je pense qu'avec une diète appropriée, de l'exercice et l'administration d'insuline, il y a de très bonnes chances qu'il en arrive à bien contrôler son diabète et il devrait alors pouvoir continuer à occuper son poste actuel d'instructeur. Je crois comprendre que ce poste ne comporte pas l'usage d'armes.

Évaluations du rendement

[20] La Commission a déposé en preuve diverses évaluations du rendement de MacPherson dans les FAC.

[21] Ces rapports indiquent clairement que les supérieurs de MacPherson avaient beaucoup d'estime pour lui. Quelques courts extraits de ces évaluations le démontrent:

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[TRADUCTION]

[...] rendement supérieur, connaissances supérieures de son métier; manifestation d'un sang-froid peu commun; énormément d'initiative; comportement de très grande qualité, un excellent exemple pour ses pairs; excellent candidat pour une promotion, le meilleur technicien d'armes (air) de la base; l'un de deux soldats vraiment exceptionnels; son travail ne comportait aucune erreur; tout simplement, un technicien remarquable dont on devrait recommander immédiatement la promotion.

[22] Les évaluations du rendement visant la période pendant laquelle il a travaillé comme instructeur montrent qu'il a été classé diabétique de type I et que cela n'a eu aucune incidence sur son travail ou sur ses activités physiques.

Libération des FAC

[23] Après avoir examiné le dossier médical de MacPherson, y compris les recommandations pertinentes qui avaient été faites par le personnel médical et par le personnel non médical des FAC, le CMRC a décidé que sa catégorie médicale permanente serait G4 O3, étant donné qu'il souffrait de diabète.

[24] Cette décision du CMRC a, en fait, entraîné la libération de MacPherson parce que la cote médicale G4 O3 ne s'applique à aucun poste des FAC à moins que la personne n'obtienne une exemption ou une restriction, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. La catégorie médicale permanente attribuée à MacPherson a également amené le CMRC à refuser d'examiner la possibilité de le muter ou de le reclasser parce que sa cote était G4 O3.

[25] Bien que sa libération ait été fixée tout d'abord à mai 1984, MacPherson a présenté une demande de prolongation qui lui a été accordée. Il a également pris des congés de fin de service entre juillet et août 1984. Par conséquent, la date véritable de sa libération était le 20 août 1984.

TÉMOIGNAGES DES EXPERTS MÉDICAUX

[26] Le Dr Meng-Hee Tan a témoigné à titre d'expert médical pour la Commission. Par ailleurs, le capitaine Cora Fisher et le Dr Bernard Zinman ont agi au même titre pour les FAC.

[27] Le principal objectif de ces témoignages d'expert était de fournir une description élémentaire du diabète, de ses symptômes et de son traitement.

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Le Dr Meng-Hee Tan

[28] Le Dr Tan enseigne la médecine à l'Université Dalhousie et il est directeur du Nova Scotia Diabetes Centre au Camp Hill Medical Centre. Il est également membre de l'Association canadienne du diabète et il participe activement aux activités de la Section clinique et scientifique de cette association. Sur la scène internationale, il a été président du conseil régional pour l'Amérique du Nord (North American Regional Council) de la Fédération internationale du diabète ainsi que vice-président de la Fédération internationale du diabète.

[29] Jusqu'à maintenant, le Dr Tan a publié une centaine d'articles environ dans des revues de référence. Enfin, outre ses tâches d'enseignement à l'université, il reçoit régulièrement des patients en clinique.

[30] Compte tenu de ce qui précède, le Dr Tan a été reconnu comme un expert dans le traitement du diabète.

Le Dr Bernard Zinman

[31] Le Dr Zinman est endocrinologue et se spécialise dans le traitement du diabète; il enseigne à la Faculté de médecine de l'Université de Toronto. De plus :

  1. il fait partie du personnel de l'hôpital Mount Sinai à Toronto et il est directeur dans cet hôpital du Banting & Best Diabetes Centre Core Laboratory;
  2. il est directeur de l'unité de recherche clinique sur le diabète (Diabetes Clinical Research Unit). Cette unité participe à deux programmes majeurs. L'un est le traitement du diabète grâce, comme l'a signalé le Dr Tan, aux services d'une équipe de soins, dont font partie des éducateurs, des diététiciens ainsi que d'autres personnes ressources. L'autre unité fait de la recherche sur le diabète.

[32] De 1986 à 1988, le Dr Zinman a été président de la Section clinique et scientifique de l'Association canadienne du diabète. Plus récemment, il était le principal investigateur pour l'Université de Toronto dans le cadre du Diabetes Control and Complications Trial (DCCT) organisé par le National Institute of Health.

[33] Les recherches du Dr Zinman sont axées sur le diabète, principalement sur les complications qu'il entraîne et sur les différentes façons de les prévenir. Il a également effectué des recherches sur le diabète et l'exercice et, plus récemment, sur la santé des autochtones et le diabète.

[34] Le Tribunal a volontiers reconnu que le Dr Zinman était un expert dans le traitement du diabète. La Commission n'a formulé aucune objection.

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Le Dr Cora Fisher

[35] Le capitaine Cora Fisher est chef du service de médecine au Centre médical de la Défense nationale (CMDN) à Ottawa. A ce titre, elle est responsable des soins de tous les patients au service de médecine interne du CMDN. Elle est également coordonnatrice de la clinique pour diabétiques du CMDN.

[36] Le Tribunal a reconnu que le Dr Fisher était un expert en médecine interne générale, possédant des connaissances sur le diabète. Elle a également été reconnue expert en médecine militaire et elle a traité dans son témoignage des normes médicales applicables aux FAC.

[37] Enfin, le Dr Fisher avait été assignée à titre de témoin expert dans deux affaires antérieures, en particulier l'affaire Gaetz dont il est question au début de la présente décision. La Commission n'a pas contesté sa compétence à titre d'expert.

Description du diabète

[38] Le diabète est une affection chronique du métabolisme du corps humain. On peut également le définir comme une affection qui résulte d'une absence relative ou totale d'insuline dans le corps. Cette carence insulinique provoque divers désordres métaboliques, en particulier un taux élevé de glycémie. Dans certains cas, cela peut provoquer l'hyperglycémie.

[39] Le diabète influe sur l'utilisation des glucides, des protéines et des lipides dans le corps humain. De plus, il contribue à l'apparition de troubles dans diverses parties du corps: les yeux, les reins, le système nerveux, le coeur, la circulation cérébrale, la circulation sanguine dans les jambes, la peau, les gencives. On peut par conséquent le décrire comme une affection multi-systèmes.

[40] Il existe quatre grandes catégories de diabète, selon le mode de classification adopté. Il s'agit tout d'abord du diabète insulino-dépendant, souvent appelé diabète de type I (dont souffre MacPherson). La deuxième grande catégorie est le diabète non insulino-dépendant, ou diabète de type II. La troisième catégorie est le diabète gestationnel, qui se produit lorsqu'une femme qui ne souffre normalement pas de diabète développe cette affection pendant une grossesse. La dernière catégorie est un amalgame des autres types d'affections et comporte certains ou plusieurs des états afférents au diabète.

[41] En Amérique du Nord, environ 10 à 15 p. 100 des diabétiques souffrent du diabète de type I. Les diabétiques de type II représentent environ 80 à 85 p. 100 des diabétiques.

Le traitement du diabète

[42] L'élément essentiel d'un programme de traitement du diabète est la détermination de ses modalités qui prévoient la planification des repas

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(contenu et heure) et des activités physiques. Dans le cas d'un diabétique insulino-dépendant (type I) comme MacPherson, la planification des repas et l'activité physique ne suffiront pas pour réduire son taux de glycémie. Par conséquent, le programme de traitement doit aussi prévoir l'administration d'une médication, habituellement de l'insuline. Le dernier élément de tout programme de ce genre consiste à apprendre au patient comment traiter et contrôler son diabète.

[43] Habituellement, un tel programme de traitement est mis au point par une équipe de soins qui comprend un médecin, une infirmière monitrice et un diététicien. L'équipe travaille de concert avec le patient, qui est considéré comme un membre essentiel de l'équipe. Dans la détermination du programme de traitement, l'équipe et le patient visent un taux de glucose souhaitable (c.-à-d. le contrôle).

[44] Il est extrêmement important de noter que tout programme de traitement constitue, dans une certaine mesure, la recherche d'un équilibre, son principal objectif étant d'abaisser le taux de glycémie du patient sans toutefois provoquer l'hypoglycémie (faible taux de glycémie) qui est, évidemment, le contraire de l'hyperglycémie (taux élevé de glycémie). En outre, les injections d'insuline ont pour but de fournir cette hormone que produit normalement l'organisme.

[45] Comme la preuve médicale l'indique, la détermination des doses précises d'insuline et la planification des repas et des activités physiques constituent l'un des défis les plus importants pour un diabétique, en particulier aux premiers stades de la maladie. Dans un tel contexte, il devient rapidement évident que le mode de vie et les conditions de travail d'un diabétique peuvent avoir des répercussions sur le traitement du diabète et ses symptômes.

[46] Il est donc nécessaire d'examiner l'effet de l'insuline (prise comme médicament) sur un diabétique ainsi que la possibilité qu'il souffre d'hypoglycémie (légère, modérée ou grave). Les causes les plus fréquentes de l'hypoglycémie pour un diabétique de type I sont les suivantes: une dose insuffisante ou excessive d'insuline; l'injection d'un type d'insuline qui ne convient pas; trop d'exercice ou, enfin, une quantité insuffisante ou excessive de nourriture. Nous savons aussi que l'hypoglycémie peut être provoquée par une combinaison de ces facteurs.

[47] Il existe deux principaux groupes de symptômes. Dans un cas, le patient devient pâle et transpire, son rythme cardiaque est rapide et il a des palpitations. Il peut aussi avoir des tremblements et se sentir chancelant et angoissé ou affamé.

[48] Ce ne sont pas tous les patients qui souffrent de tous les symptômes. Les symptômes et leur gravité varieront d'un patient à un autre suivant leur taux d'hypoglycémie.

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[49] La deuxième catégorie de symptômes sont les troubles neurologiques glycopéniques. Il s'agit habituellement d'une hypoglycémie plus grave qui se produit lorsque le taux de glycémie est beaucoup plus faible que la normale. Dans ce cas, le patient se sent fatigué, irritable et peut avoir des sautes d'humeur. De plus, ses fonctions intellectuelles peuvent être altérées, il peut souffrir de troubles visuels et sensoriels, de confusion et avoir un comportement étrange.

[50] Le Dr Tan a aussi fait remarquer que le taux de glycémie de certains diabétiques est hypoglycémique par définition, c'est-à-dire qu'il est faible, et que ces patients ne ressentent aucun des symptômes normalement associés à l'hypoglycémie. On appelle cet état méconnaissance des signes associés à l'hypoglycémie. Ces patients ignorent que leur taux de glycémie a chuté considérablement. Les causes de cet état chez certains diabétiques sont encore inconnues.

[51] Pour revenir à l'hypoglycémie elle-même, le traitement consiste en général pour le patient à consommer du sucre sous la forme de comprimés de glucose ou de boissons, afin de faire monter son taux de glycémie. Dans les cas les plus graves, il est également possible d'injecter au patient une forte dose de glucose (sucre) par voie intraveineuse. Un autre aspect du traitement consiste à montrer au patient comment éviter une nouvelle crise d'hypoglycémie.

[52] Le Dr Tan a expliqué au Tribunal que des études ont démontré que ce ne sont pas tous les diabétiques de type I qui ont des réactions hypoglycémiques. Celles-ci dépendent principalement de l'équilibre entre, d'une part, la quantité d'insuline en circulation et, d'autre part, le taux de glucose. De plus, d'autres études indiquent qu'environ 55 à 60 p. 100 des diabétiques qui s'administrent de l'insuline ont de telles réactions, quoique bénignes, au moins une fois par année.

[53] Toutefois, des diabétiques de type I n'ont jamais de réactions hypoglycémiques. Certains de ces patients gardent habituellement leur taux de glycémie un peu plus élevé que la normale. La fréquence de l'hypoglycémie et sa gravité sont fonction du contrôle serré qu'une personne exerce sur son taux de glycémie.

[54] A cet égard, le Dr Zinman a ajouté qu'il demande assez souvent à des patients diabétiques dont l'état de santé est relativement normal de subir un test sanguin. Les résultats sont parfois étonnants parce qu'ils indiquent un taux de glycémie très faible. Ni le Dr Zinman ni les patients ne s'attendent à un tel résultat ce qui est fort inquiétant parce que cela indique une méconnaissance de la part des patients de leurs antécédents d'hypoglycémie et, notamment, parce que le prochain symptôme pourrait être la confusion, l'épilepsie ou le coma. Le Dr Zinman a donc fait ressortir que, parfois, même un professionnel expérimenté ne peut déceler l'hypoglycémie d'un patient diabétique.

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[55] Une grande partie du témoignage du Dr Zinman reposait sur les conclusions du DCCT. Le DCCT est l'une des études les plus approfondies et les plus récentes (1993) jamais effectuées sur le traitement du diabète. Les sujets de l'étude ont été divisés en deux groupes: dans un groupe, on a administré une dose normale d'insuline aux patients et dans l'autre, on leur en a administré une dose massive.

[56] L'une des principales conclusions du DCCT était que l'administration d'une dose massive d'insuline réduit considérablement les risques de complications à long terme qui sont normalement causées par le diabète (par exemple, la cécité). Toutefois, l'aspect négatif de ce traitement est qu'il accroît le risque d'hypoglycémie résultant d'un taux de glycémie peu élevé et qui côtoie parfois dangereusement le seuil d'hypoglycémie. Dans le jargon médical, on appelle [TRADUCTION] contrôle serré le fait de garder le taux de glycémie très bas et rapproché du seuil d'hypoglycémie.

[57] Voici un résumé des autres conclusions importantes que le DCCT a permis de tirer :

  1. 10 p. 100 de tous les diabétiques de type I ont une crise d'hypoglycémie grave au cours de la première année;
  2. environ 20 p. cent de ces diabétiques auront une telle crise dans les deux années qui suivent l'apparition de la maladie;
  3. environ 25 à 30 p. 100 de ces diabétiques auront eu au moins une réaction hypoglycémique grave au cours des trois années qui suivent l'apparition de la maladie;
  4. 43 p. 100 de toutes les réactions hypoglycémiques graves se produisent la nuit (entre minuit et 8 h), sans aucun signe précurseur, que le diabétique dorme ou non;
  5. 36 p. 100 de ces mêmes réactions se produisent le jour pendant que le diabétique est éveillé, encore une fois sans avertissement;
  6. enfin, 51 p. 100 de ces réactions se produisent lorsque le diabétique est éveillé et qu'il ne reconnaît pas alors les symptômes, même s'il est très probable qu'il se sente un peu confus ou transpire.

[58] Selon le Dr Zinman, le DCCT a confirmé qu'il existe certaines caractéristiques qui permettent de prédire si un diabétique aura une crise d'hypoglycémie mais que, de façon générale, il n'y a aucun moyen d'identifier ces personnes d'avance. Il semble que le meilleur indice est le fait que la personne a déjà eu au moins une crise; le moins que l'on puisse dire est qu'il s'agit d'une situation sans issue.

[59] De plus, le fait qu'un diabétique n'ait pas encore eu de réactions hypoglycémiques ne signifie pas qu'il n'en aura pas dans l'avenir.

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[60] Le Dr Zinman a également signalé que, dans un monde idéal, on pourrait identifier les diabétiques de type I qui sont susceptibles d'avoir des complications vu qu'environ la moitié seulement de ces diabétiques auront des complications graves (c.-à-d. une hypoglycémie grave). Les médecins et leurs patients pourraient surveiller plus attentivement le taux de glycémie. Malheureusement, les recherches effectuées jusqu'à maintenant, y compris le DCCT, indiquent qu'il n'y a absolument aucun moyen de distinguer ces diabétiques de type I (environ 50 p. 100) qui sont les plus susceptibles d'avoir une crise grave d'hypoglycémie.

[61] Lorsqu'on lui a demandé si le mode de vie et les conditions de travail d'un diabétique pourraient servir à prédire s'il souffrira d'hypoglycémie, le Dr Zinman a répondu que le DCCT n'avait pas abordé cette question. Toutefois, il a indiqué qu'il estimait, en tant que professionnel, qu'il existe un lien évident entre l'exercice, les heures de repas, la consommation d'éléments nutritifs et l'administration d'insuline. Il est donc important pour un diabétique d'avoir un contrôle sur son milieu, de pouvoir cesser de travailler aux moments appropriés, de prendre des collations, de pouvoir surveiller son taux de glycémie et, enfin, de pouvoir traiter l'hypoglycémie de la manière appropriée (si elle se produit). Il a avancé que certaines activités ou emplois dont les conditions sont régulières permettront à un diabétique de suivre plus facilement ces étapes. Par contre, un mode de vie ou des conditions de travail plus imprévisibles où la personne doit faire face à des situations d'urgence et soutenir des efforts prolongés ou ininterrompus, pourraient être plus dangereux.

[62] En contre-interrogatoire, le Dr Zinman a volontiers admis que de nombreux progrès ont été réalisés dans le traitement du diabète au cours des cinq dernières années, si bien que l'on pourrait dire que l'on doit moins craindre des réactions graves. Toutefois, il a souligné qu'il estimait que tous les progrès réalisés, qu'il s'agisse d'une meilleure autosurveillance, d'un contrôle intensif ou d'injections quotidiennes multiples, sont tous liés à un plus grand nombre de réactions hypoglycémiques.

[63] Le Dr Zinman a également insisté sur l'importance pour un diabétique de surveiller étroitement son taux de glycémie, en particulier s'il s'administre quotidiennement des injections multiples d'insuline. La surveillance permet souvent de découvrir l'hypoglycémie avant que des symptômes ne se manifestent. Selon le Dr Zinman, la surveillance est une très importante question de sécurité.

[64] Enfin, le Dr Zinman a volontiers admis qu'il n'avait aucune expérience ni formation militaires. De toute façon, on ne lui a pas demandé son opinion sur la capacité de MacPherson de servir dans les FAC et il n'aurait pas pu le faire.

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Le diabète de MacPherson

[65] Après qu'on eut diagnostiqué qu'il souffrait de diabète de type I, MacPherson a obtenu son congé de l'hôpital le 20 septembre 1982 et, par la suite, il s'est présenté hebdomadairement au service des patients externes pendant plusieurs mois.

[66] Les dossiers médicaux et la preuve indiquent qu'il n'a eu aucune réaction hypoglycémique pendant qu'il était dans les FAC. Toutefois, MacPherson a bel et bien eu, au moins à deux reprises, des réactions hypoglycémiques légères qu'il a décrites comme un picotement dans les mains et une sensation étrange qu'il ne pouvait expliquer adéquatement.

[67] MacPherson a contrôlé ces réactions en consommant du glucose sous la forme de friandises, de sucre ou de jus, qu'il apportait toujours avec lui. Suivant son témoignage, la situation redevenait normale en moins de dix minutes.

[68] MacPherson a également dit aux médecins des FAC qu'il avait eu à quelques reprises de la difficulté à se réveiller le matin. Son épouse avait alors dû lui donner une boisson quelconque contenant du sucrose.

[69] Par contre, MacPherson n'a jamais eu besoin de l'aide d'amis ou de collègues de travail pendant qu'il avait de telles réactions. Il a toujours été capable de les contrôler lui-même.

[70] A l'exception de l'évaluation faite par le Dr Tan de l'état de MacPherson, le Tribunal n'a pas entendu les témoignages des médecins traitants au sujet du diabète dont souffrait MacPherson. Toutefois, le Dr Fisher a été appelée à commenter les dossiers médicaux de MacPherson qui, il ne faut pas l'oublier, n'était pas l'un de ses patients. Elle a noté ce qui suit:

  1. un taux de glycémie qui était souvent très bas, particulièrement lors d'un incident qui est survenu le 9 décembre 1982, à 11 h, après une partie de hockey, et qui dénotait une hypoglycémie grave dont MacPherson était inconscient;
  2. les 23 et 31 décembre 1982, les médecins traitants ont conclu que son diabète était instable;
  3. l'absence de causes déclenchantes évidentes en ce qui concerne sa difficulté de contrôler sa glycémie, c'est-à-dire l'absence d'une autre maladie ou cause qui aurait pu provoquer ses taux faibles de glycémie. Selon le Dr Fisher, un tel diagnostic signifie que MacPherson avait probablement de la difficulté à contrôler son taux de glycémie;
  4. le fait qu'il a oublié au moins à deux reprises de s'administrer de l'insuline (la première fois, en janvier 1983 et la deuxième fois, en avril 1983, étant aussi hospitalisé en avril 1983) a suscité d'autres inquiétudes quant au contrôle et à la

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stabilité de son diabète, sans oublier toutefois que cela arrive à presque tous les diabétiques.

[71] En résumé, le Dr Fisher s'entendait avec le Dr Tan pour dire que MacPherson ne contrôlait pas bien son diabète pendant au moins la période de 1982 à 1983. Elle a aussi été frappée par la lettre du Dr Tan (citée ci-dessus) où ce dernier indiquait que MacPherson pouvait continuer à occuper le poste d'instructeur, tant et aussi longtemps qu'il n'était pas question d'utiliser des armes. Elle a considéré qu'il était très révélateur que le Dr Tan ait imposé une restriction professionnelle à MacPherson dans les FAC, en particulier parce que cette personne occupait un poste de TEC A(A) 571 qui comporte normalement la manipulation régulière de munitions.

[72] Lors du contre-interrogatoire, l'avocat des FAC a demandé à MacPherson ce qu'était le contrôle du diabète et ce que cela signifiait pour lui. MacPherson a répondu qu'il s'agissait de ne pas dépasser le taux de glycémie recommandé. Il a aussi reconnu les effets des divers éléments du mode de vie qui ont été mentionnés par les témoins experts en matière médicale, c'est-à-dire l'exercice, les repas et les injections d'insuline.

[73] De plus, MacPherson a reconnu que, pour contrôler le diabète, il était un peu plus important pour un diabétique d'avoir une vie régulière que ce n'est le cas pour une autre personne. Il a en outre admis qu'il pourrait avoir une réaction hypoglycémique s'il ratait ou retardait un repas.

[74] Quant à l'utilisation et au rangement de l'insuline, MacPherson était d'accord avec les directives sur l'emballage qui recommandent qu'elle soit gardée dans un réfrigérateur. A tout le moins, il a aussi reconnu qu'il faut éviter de l'exposer à la chaleur et aux rayons du soleil.

[75] Enfin, la preuve a indiqué que MacPherson avait été réadmis à l'hôpital en mars 1993 (par conséquent, après sa libération des FAC) à la suite d'une crise extrêmement grave d'hypoglycémie parce qu'il s'était injecté la mauvaise sorte d'insuline.

LES CATÉGORIES MÉDICALES DES FAC

[76] La question essentielle qu'il faut maintenant examiner est celle des catégories médicales des FAC. Dans cette partie, nous décrirons brièvement les principales catégories médicales et leur pertinence. Il sera ensuite nécessaire d'examiner quelles sont les cotes ou catégories attribuées aux diabétiques et pour quelles raisons. Enfin, nous examinerons brièvement la procédure du CMRC en ce qui concerne la situation de MacPherson.

[77] Le Tribunal a entendu le Dr Fisher sur ces questions. De plus, il a été invité à se reporter au manuel traitant des examens médicaux pour

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les Forces armées canadiennes (le Manuel). Le capitaine Dupont des FAC a aussi témoigné au sujet de la procédure du CMRC.

Le capitaine Michel Dupont

[78] Le capitaine Dupont (Dupont) est officier d'administration du personnel dans les FAC. A l'époque de l'audience, il était secrétaire du Conseil médical de révision des carrières des militaires du rang (CMRC), à Ottawa.

[79] Le CMRC est chargé de déterminer les profils de carrière des membres des FAC en fonction de divers facteurs et conditions médicales. Dupont est responsable de tous les documents qui sont présentés au Conseil et il doit s'assurer de leur exactitude.

[80] Bien que Dupont n'ait pas occupé ce poste à l'époque où le dossier de MacPherson a été soumis au CMRC, il l'a toutefois examiné afin de pouvoir témoigner à l'audience.

Objet des catégories médicales des FAC

[81] Le Dr Fisher a été invitée à décrire le processus suivi pour déterminer la catégorie médicale qui doit être attribuée aux membres des FAC. Elle a souligné qu'il s'agissait de porter un jugement, tant sur le plan médical que sur le plan militaire, ce qui nécessite une bonne compréhension des tâches militaires assignées à un membre des FAC.

[82] Selon elle, l'un des objectifs de l'attribution de catégories médicales est d'assurer que tous les membres des FAC soient traités de la même manière, peu importe quel médecin procède à l'examen ou la base des FAC à laquelle un individu est affecté.

[83] Un deuxième objectif est de communiquer des renseignements médicaux aux surveillants et gestionnaires de carrières des FAC qui doivent être mis au courant des restrictions médicales imposées à un membre, le cas échéant. Selon le Dr Fisher, toutes les forces militaires dans le monde ont, aux mêmes fins, un système équivalent de détermination de catégories.

Survol des catégories médicales des FAC

[84] Les FAC ont le même système de détermination des catégories médicales pour les candidats et pour le personnel en service. La catégorie médicale d'un membre ou d'un candidat comprend l'année de naissance et six facteurs. Les facteurs les plus pertinents pour l'espèce sont le facteur géographique (G) et le facteur professionnel (O) parce qu'ils sont les plus importants pour déterminer l'employabilité globale d'un membre. La catégorie médicale est établie selon les résultats de l'examen médical et de l'appréciation effectuée conformément au Manuel. Des cotes numériques sont ensuite attribuées pour chacun des facteurs.

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Le facteur géographique

[85] Le facteur géographique est évalué pour permettre aux FAC de déterminer l'endroit où un militaire est censé donner un bon rendement. Les principaux éléments considérés sont le climat, le logement, les conditions de vie et la disponibilité des soins médicaux.

[86] La cote G2 est attribuée à une personne qui souffre de troubles légers qui n'ont pas besoin d'être soignés régulièrement et qui ne l'empêchent pas de travailler sous quelque climat ou dans quelque environnement que ce soit.

[87] La cote G3 est attribuée à une personne dont l'état de santé demande à être suivi par un médecin plus souvent. Une telle personne a besoin de soins médicaux tous les trois mois environ, mais elle n'a pas nécessairement besoin des soins d'un médecin.

[88] La cote G4 est attribuée à la personne qui a un état de santé pouvant mener à des complications graves sans avertissement ou qui souffre d'une incapacité physique qui l'incommode légèrement, de façon continue.

[89] Selon le Dr Fisher, c'est à partir du moment où un membre se voit attribuer la cote G4 qu'il commence à avoir des problèmes d'employabilité parce qu'il lui faut alors soit une caserne, soit un climat tempéré soit la disponibilité des services d'un médecin. Dans le cas d'un diabétique, le facteur le plus important est la disponibilité des services d'un médecin ainsi que la présence des instruments de base, tels un laboratoire et des appareils de rayons X.

Le facteur professionnel

[90] Le facteur professionnel comporte une appréciation de l'effort et de la fatigue physiques de même que de l'activité intellectuelle et de la tension nerveuse qui sont liés au poste ou groupe professionnel d'un membre des FAC.

[91] La cote O2 est attribuée à la personne qui n'a aucune infirmité médicale, si ce n'est quelques points faibles qui ne l'empêchent pas d'accomplir un travail physique pénible et d'atteindre un niveau d'endurance acceptable lors d'un combat au front.

[92] La cote O3 est attribuée à la personne qui souffre d'une légère affection médicale ou psychologique l'empêchant d'accomplir un travail ardu ou de travailler sous tension pendant de longues périodes. Toutefois, elle peut accomplir la plupart des tâches en travaillant avec modération.

[93] Le Dr Fisher a ensuite indiqué que le facteur professionnel est censé tenir compte des exigences en termes de travail physique pénible et de la réaction au stress au sein d'un groupe professionnel ou d'un métier.

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[94] Le membre qui reçoit la cote O2 doit être capable d'accomplir un travail physique pénible dans un milieu de combat. Le membre auquel la cote O3 est attribuée peut faire à peu près n'importe quoi, mais seulement pendant des périodes courtes. En d'autres termes, il s'agit de membres qui ne peuvent accomplir la plupart des tâches qu'en travaillant avec modération.

[95] La personne à laquelle la cote O4 est attribuée souffre d'une incapacité plus grave qui l'empêche d'accomplir des travaux pénibles ou réagit mal au stress et ne peut travailler dans des conditions de combat, même si elle peut être très utile dans une base.

Le processus de détermination des catégories ou cotes

[96] Le Dr Fisher a ensuite commenté le processus qui permet de déterminer la catégorie qui doit être attribuée à un membre. Elle a expliqué que la tâche des médecins ne consiste pas en réalité à attribuer une cote numérique, mais plutôt à répondre à une série de questions au sujet des aptitudes du membre. Après avoir répondu à cette série de questions, ils doivent se reporter aux définitions du Manuel et se demander où, en vertu des définitions, une personne assujettie à de telles restrictions peut-elle être affectée?

[97] Les normes d'enrôlement pour les nouvelles recrues sont G2 O2. Les normes de divers groupes professionnels au sein de l'armée sont évaluées séparément et elles peuvent être plus élevées que les normes d'enrôlement.

[98] Lorsqu'un militaire en service souffre d'une affection qui limite ses possibilités d'emploi, il doit faire l'objet d'un reclassement approprié d'après les facteurs applicables dans son cas. Lorsque la cote devient inférieure à celle qui est prévue pour son métier, les restrictions qu'a la cote sur la carrière du militaire posent un problème d'ordre administratif et le cas doit être étudié par le CRMC. Dans certains cas, on examinera la possibilité de maintenir en fonction dans leur métier en raison de leur mérite individuel des hommes de métier expérimentés dont la cote a été réduite. Dans d'autres cas, des membres seront mutés dans un autre métier.

[99] Le Manuel indique les conditions de santé et les défauts physiques qui entraînent une cote inférieure aux normes minimales. On peut remédier à certaines de ces conditions ou elles peuvent se corriger seules; la cote peut être temporaire jusqu'à ce que les conditions se soient améliorées. Le Manuel fournit une liste des cotes proposées pour chaque état de santé, mais celles-ci peuvent dépendre de la gravité de cet état.

[100] L'une des causes énumérées dans le Manuel (p. 7-13, par. 18) qui permet d'imposer une restriction est le diabète et la cote suggérée dans ce cas est G5 et O3, O4 ou O5.

17 [101] En fait, le Dr Fisher a dit que cette directive est plus sévère que la plupart des cotes qui sont en réalité attribuées. Elle a ajouté que la plupart des diabétiques pourraient se voir attribuer une cote entre G5 et G3 et entre O3 et O5, selon la gravité de leur état.

[102] Le Dr Fisher a ensuite examiné les inquiétudes des FAC en ce qui concerne les diabétiques de type I. Elle a dit qu'elles craignent le plus une réaction aiguë, particulièrement l'hypoglycémie, parce qu'elles se soucient de la sécurité du membre ainsi que de celle des personnes qui travaillent avec lui. Elle a souligné que l'évanouissement d'un membre qui manipule des explosifs n'est pas un risque acceptable.

[103] Le Dr Fisher a dit qu'elle estimait que les diabétiques de type I sont inaptes au service sur terre parce que les FAC n'ont tout simplement pas sur le terrain les ressources nécessaires (du moins aux deux premiers niveaux de soutien médical) pour traiter un diabétique qui souffre d'un problème aigu. Même si elle a reconnu qu'un diabétique peut effectuer à peu près n'importe quelle tâche s'il est possible de prévoir d'avance son horaire et ses repas, elle estime que les heures de repas, lors d'exercices dans les champs, sont souvent irrégulières et que les tâches peuvent y être pénibles, longues et irrégulières, facteurs qui ne sont guère favorables à un diabétique.

[104] Quant à l'état de santé requis pour le service en mer, le Dr Fisher croit qu'il existe aussi un problème de ressources limitées. Il y a habituellement un médecin à bord des destroyers porte-hélicoptères, mais on n'y trouve aucun service de laboratoire.

[105] Le Dr Fisher a ensuite examiné la catégorie suivante, c'est-à- dire les postes isolés. Comme elle l'avait fait relativement au service en mer, le Dr Fisher a dit que, dans de tels postes, par exemple Alert, le personnel médical (qui ne comprend pas nécessairement un médecin) n'a ni la formation ni les laboratoires ni les appareils de rayons X qui pourraient être nécessaires lorsqu'une personne souffre d'une maladie grave.

[106] Le Dr Fisher a ajouté que, d'après son expérience, une restriction professionnelle et géographique est imposée à tous les diabétiques de type I. En fait, on examine le cas de chacun des membres qui souffrent d'une maladie grave pour déterminer s'ils satisfont aux conditions des catégories médicales et ce que leur maladie leur permet de faire. La restriction imposée ne dépendra que du rendement personnel du membre.

[107] Le Dr Fisher a en outre expliqué que, pendant toutes ses années de service dans les FAC, elle n'a jamais rencontré un diabétique de type I apte au service en mer ou sur terre. De plus, elle a affirmé catégoriquement qu'à sa connaissance, tous les diabétiques de type I

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reçoivent la cote G4 ou G5, selon qu'ils ont besoin ou non des soins de spécialistes.

[108] Selon le Dr Fisher, les FAC n'ont pas une politique générale d'exclusion des diabétiques. Les principaux facteurs qui déterminent la catégorie médicale qui est attribuée dans les FAC à un diabétique de type I sont les suivants :

  1. la possibilité de contrôler son diabète en suivant une diète ou en s'administrant de l'insuline et, le cas échéant, le degré de contrôle;
  2. la présence de réactions hypoglycémiques.

[109] Enfin, le Dr Fisher a dit être d'avis que, après examen du dossier médical, la catégorie médicale attribuée à MacPherson en 1983 était appropriée. Elle considérait que l'évaluation médicale de MacPherson et le diagnostic posé étaient compatibles avec les connaissances et les pratiques médicales suivies à l'époque au Canada (c.-à-d. en 1983-1984).

La procédure suivie par le CMRC

[110] Lorsque la cote médicale d'un membre en service est réduite temporairement, habituellement pour une période de six mois, le personnel médical des FAC doit formuler une recommandation quant à la catégorie médicale permanente. Ce processus est déclenché par un avis de changement de profil médical (le formulaire 2088) qui est préparé aux fins d'évaluation par le CMRC. Le formulaire 2088 est en réalité un document administratif distinct de tous les autres documents médicaux concernant la catégorie médicale d'un membre.

[111] Le Dr Fisher a ensuite expliqué que le formulaire 2088 renferme les renseignements essentiels suivants :

  1. le nom de la personne, son numéro de matricule et sa date de naissance;
  2. la catégorie médicale, y compris la cote temporaire du membre déterminée en fonction des facteurs géographiques et professionnels depuis sa maladie, de même que la catégorie permanente recommandée par le formulaire 2088.

[112] Dans le cas de MacPherson, la cote temporaire qui lui avait été attribuée auparavant pour le facteur G était G4 et la cote permanente qui était recommandée dans le formulaire 2088 était identique. Pour ce qui est du facteur O, la cote temporaire antérieure était O4 et la cote permanente recommandée était O3.

[113] Le formulaire 2088 renferme aussi un diagnostic codé préparé par divers médecins des FAC. Ce diagnostic est codé pour assurer la confidentialité de l'état de santé d'un membre compte tenu du fait que des membres du personnel non médical des FAC participent au processus administratif du CMRC.

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[114] Dupont a expliqué les facteurs que le CMRC prend en considération pour rendre une décision au sujet d'un membre dont le cas lui est soumis. Tout d'abord, il examine les restrictions imposées par les autorités médicales des FAC. Il ne s'occupe pas de la maladie elle-même, mais plutôt des restrictions imposées en raison de la maladie ou de l'état de santé du membre. Le CMRC cherche essentiellement à déterminer ce que la personne en cause peut faire ou ne pas faire.

[115] L'étape suivante consiste pour le CMRC à examiner l'emploi actuel du membre, ses exigences et le genre de fonctions dont il doit s'acquitter. Le CMRC examine ensuite la recommandation du gestionnaire des carrières ainsi que les pourcentages d'employabilité avant d'en arriver à une décision finale.

[116] Dans le cas de MacPherson, la cote médicale minimale pour son groupe professionnel TEC A(A) 571 était G2 O2. Dupont a ensuite indiqué que la cote médicale permanente recommandée pour MacPherson était G4 O3 et qu'on avait fixé à 15 p. 100 son niveau d'employabilité à son rang et à son poste.

[117] Dupont a expliqué que le niveau d'employabilité indique le nombre de postes qu'un membre en service peut occuper avec la restriction médicale qui lui a été imposée par les autorités médicales. Dans le cas de MacPherson, le niveau d'employabilité de 15 p. 100 s'appliquait aux postes de son rang et de son groupe professionnel ainsi qu'aux postes du rang suivant le plus élevé auquel il était admissible dans son groupe professionnel.

[118] Le Dr Fisher a ensuite expliqué que la décision du CMRC est individualisée et qu'elle dépend en grande partie des restrictions médicales imposées au membre ainsi que des exigences de son métier. Selon elle, il est indubitable que le niveau d'employabilité est un élément essentiel de sa décision. Elle a en outre ajouté qu'à mesure que les effectifs des FAC diminuent, ce qui est actuellement le cas, le niveau d'employabilité des membres en service doit être le plus élevé possible.

[119] Dupont a ensuite confirmé la recommandation du CMRC de libérer MacPherson. Cette recommandation, y compris les restrictions prescrites, est rédigée de la manière suivante (Pièce R-14, page 35) :

[TRADUCTION]

G4 - disponibilité des services d'un médecin, inapte au service en mer et sur terre, à des affectations dans des postes isolés sur le plan médical ainsi qu'au service dans les NU; O3 - inapte au travail sous tension pendant de longues périodes et aux tests obligatoires pour les groupes professionnels. Ces restrictions rendent le caporal MacPherson inapte au service dans son métier actuel et il ne peut être muté parce qu'il ne satisfait pas aux critères médicaux minimums de

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tout autre groupe professionnel. Par conséquent, le capital MacPherson ne peut être employé avantageusement en vertu de la politique concernant le service.

ROLE & STRUCTURE DES FAC

[120] Des officiers des FAC qui occupent les divers postes et ont les différentes responsabilités qui sont décrits plus loin ont témoigné au sujet de la structure des FAC et de leur rôle actuel. Ces officiers ont également témoigné, en leurs diverses qualités, au sujet des exigences et des tensions auxquelles est soumis un TEC A(A) 571 comme MacPherson.

Le major Hans Gartner

[121] Le major Gartner (Gartner) est ingénieur militaire dans les FAC. Depuis mai 1993, il est analyste des orientations technologiques à la Direction - Concepts des Forces.

[122] Le rôle de la Direction est d'aider le gouvernement canadien à comprendre la politique de ses forces armées. Elle met aussi en oeuvre des scénarios, effectue des recherches opérationnelles et fournit l'analyse d'options au ministre et au Chef de l'état-major. C'est également le personnel de la Direction qui rédige le plan de développement des FAC, c'est-à-dire qu'elle détermine l'équipement qu'il faut maintenir, le nombre des effectifs et les postes requis.

[123] En raison de son travail au sein de la direction décrite ci- dessus, Gartner connaît bien la structure et les rôles des Forces armées canadiennes.

[124] Selon Gartner, le seul objectif des FAC est d'être prêtes pour la guerre. C'est le but ultime de toutes les activités de formation et de planification dans les FAC. Après consultation du ministre de la Défense nationale, le gouverneur en conseil détermine où et quand les unités des FAC sont envoyées en service, que ce soit en temps de paix ou en temps de guerre. Jusqu'à maintenant, il y a eu plusieurs affectations de membres des FAC aux forces de paix des NU dans divers pays, un peu partout dans le monde. Gartner a dit que tous les membres des Forces armées doivent être prêts au combat et disponibles après un très court préavis pour être déployés dans divers endroits et sous divers climats.

[125] Gartner a également appris au Tribunal que des armes sont remises à chacun des membres de la force de défense des bases. Chaque BFC a une force de défense de la base. Divers membres d'une BFC doivent servir dans la force de défense de la base, y compris des membres faisant partie du groupe TEC A(A) 571, comme MacPherson. Les membres de la force de défense de la base sont tenus de s'entraîner pour apprendre à se servir de grenades, même s'ils n'ont pas à utiliser régulièrement des armes.

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[126] Les membres de la force de défense de la base reçoivent une formation élémentaire quant aux tactiques d'infanterie. L'entraînement est axé sur la sécurité de points vitaux, c'est-à-dire des sentinelles qui sont en service dans un bunker, un poste d'observation, qui procèdent à l'identification, à la capture de prisonniers ainsi qu'une sorte d'exercice de contrôle des émeutes. L'intensité et la durée de l'entraînement dépendent du commandant de la base.

[127] Se fondant sur son expérience personnelle comme commandant de peloton, Gartner a expliqué certaines des conditions auxquelles un membre de la force de défense de la base peut s'attendre pendant ces séances annuelles d'entraînement. Bien que les équipes se trouvant aux points vitaux doivent s'autosuffire pendant plusieurs jours, dans l'ensemble, elles peuvent se remplacer et se rendre aux cuisines pour y prendre des repas chauds. Toutefois, chacun des membres de l'équipe doit être prêt à être envoyé à un point vital et à y demeurer jusqu'à ce qu'on le remplace. Lorsqu'on leur donne un tel ordre, ces militaires n'ont pas le choix. Quant à l'exercice de contrôle des émeutes, Gartner a souligné la grande tension nerveuse qu'il suscite.

Le capitaine Karen Armour

[128] Le capitaine Armour (Armour) fait partie de la Direction - Planification des effectifs où elle est l'officier responsable des groupes professionnels des opérations aériennes, y compris les TEC A(A) 571, tels qu'ils existaient pendant l'affectation de MacPherson dans les FAC.

[129] Elle a déclaré dans son témoignage que sa direction comporte diverses sections. L'une des sections s'occupe de la réduction des effectifs. D'autres sections s'occupent de la répartition des tâches au sein des Forces canadiennes. Une autre est chargée de l'analyse des groupes professionnels, et détermine les exigences professionnelles en examinant la profession elle-même et les tâches, les habilités et les connaissances requises pour exercer un métier donné.

[130] La section d'Armour (DMP-3) contrôle les structures des groupes professionnels qui ont été déterminées par l'analyse de ces groupes. Elle s'occupe de tous les aspects des structures des groupes professionnels militaires. Armour est responsable de toutes les spécifications des groupes professionnels des opérations aériennes.

[131] Armour a expliqué que le personnel des FAC pouvait être soumis à un stress physique extrême. Par exemple, au cours des manoeuvres dans le champs, les membres sont parfois obligés d'effectuer leurs tâches sans pouvoir dormir ou sans avoir de nombreuses occasions de se reposer, la nourriture étant limitée, les rations réduites et l'eau, qu'ils peuvent normalement trouver de façon régulière, se faisant rare; ces manoeuvres comportent aussi beaucoup d'activités physiques telles la marche, les déplacements, l'escalade. Elle a également expliqué qu'il pouvait exister,

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au sein d'autres groupes professionnels, d'autres sortes de stress physique, par exemple, le mal des transports lorsqu'un membre est affecté à bord d'un navire.

[132] Elle a en outre mentionné le fait qu'un TEC A(A) 571 peut être obligé de travailler dans toutes sortes de conditions climatiques et environnementales. De plus, il devra certainement débarquer des charges explosives et des armes en plus de manipuler des munitions chargées, par exemple à l'intérieur ou près d'un CF-18. Ces munitions à bord de cet appareil doivent être chargées et déchargées peu importe les conditions atmosphériques.

[133] De plus, un TEC A(A) 571 comme MacPherson pourrait travailler à bord d'un navire pour s'occuper de l'armement d'un hélicoptère Sea King. Il peut également être appelé à transporter des armes et à travailler sur le pont mouvant d'un navire, où il peut également y avoir de la glace, tout dépendant de l'endroit où se trouve le navire.

L'adjudant-chef Thomas Gerald Hammond

[134] Au moment de l'audience, l'adjudant-chef Hammond (Hammond) était en poste au Quartier général de la Défense nationale à Ottawa. Depuis 1989, il occupe le poste de gestionnaire des carrières pour les groupes professionnels des systèmes d'armement (Air).

[135] En tant que gestionnaire des carrières, il s'occupe de tous les aspects de la gestion des carrières: de l'affectation du personnel aux demandes humanitaires de toutes sortes en passant par les promotions.

Auparavant, il a servi dans les Forces canadiennes stationnées en Europe.

[136] Hammond a déclaré que, d'après son expérience, les éléments les plus importants pour les TEC A(A) 571 sont l'efficacité et la sécurité. A son avis, les conditions d'un métier comme TEC A(A) 571 étaient probablement les plus difficiles qu'il avait vues dans sa carrière, en particulier parce que ces soldats doivent embarquer des munitions chargées à bord de chasseurs ou d'appareils similaires. Une fois que l'appareil est chargé et qu'il a décollé, les équipes de TEC A(A) 571 doivent ensuite réapprovisionner les dépôts d'armes et se préparer pour le prochain appareil qu'ils doivent armer.

[137] Hammond a ensuite indiqué lors de son témoignage qu'il avait parfois dû revêtir une tenue de combat nucléaire, biologique et chimique (NBC). Cette tenue couvre le corps en entier, y compris la cagoule qui recouvre la tête. Elle est attachée avec du ruban adhésif aux poignets et aux chevilles. La tenue recouvre l'individu jusqu'à ses bottes. Tout le corps est recouvert, sauf qu'il y a une fermeture éclair que le soldat est parfois autorisé à laisser ouverte après avoir enlevé sa cagoule. Toutefois, le masque à gaz et les gants de caoutchouc sont toujours prêts à être utilisés. Une ceinture permet également de transporter le matériel

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essentiel comme de l'atropine. L'atropine est un médicament que le soldat doit s'injecter lui-même s'il y a des signes de la présence de gaz neurotoxiques dans l'air. Elle doit être injectée directement à travers la tenue NBC qui est imprégnée de charbon.

[138] Hammond a en outre expliqué qu'en tant que TEC A(A) 571, il devait aussi s'entraîner en portant la tenue NBC complète. Chaque exercice individuel allait de quinze minutes à plus d'une heure. Hammond a lui-même déjà porté la tenue pendant plus de quatre heures, avec cagoule et masque à gaz. Les tenues NBC qui étaient alors utilisées ne permettaient pas de manger ou de boire quand le militaire portait le masque à gaz. Les soldats portaient la tenue de combat sous leur tenue NBC. La tenue complète était extrêmement inconfortable. Quelques mouvements ou exercices suffisaient pour que le soldat soit couvert de sueur. De plus, tous les membres du personnel vêtus des tenues NBC devaient néanmoins s'acquitter de leurs tâches normales.

[139] Hammond a ensuite ajouté que le mode de vie à bord d'un navire pour un TEC A(A) 571 est difficile en raison du tangage et du roulis du navire pendant qu'il doit s'acquitter de ses tâches régulières et, parfois, de tâches additionnelles. A titre d'exemple, il a indiqué que les TEC A(A) 571 qui ont participé à la guerre du Golfe à bord de navires travaillaient parfois jusqu'à seize heures par jour afin de préparer l'arrivée du navire dans la zone des combats.

[140] En tant que gestionnaire des carrières, Hammond a expliqué qu'il y a un nombre restreint de TEC A(A) 571 qui occupent le poste d'instructeurs, comme l'a fait MacPherson vers la fin de son affectation dans les FAC. Selon lui, il ne s'agit jamais d'affectations permanentes. Ce qui se produit habituellement, c'est que les membres de ce groupe professionnel qui possèdent une expérience spécifique sont formés pour devenir des instructeurs et exercent cette fonction pendant environ trois à quatre ans, ce qui permet d'avoir un contingent permanent d'instructeurs expérimentés. Toutefois, il n'en demeure pas moins qu'après quatre ans d'enseignement, l'individu est renvoyé dans le monde réel qu'est le service dans les FAC.

[141] Hammond a clairement indiqué qu'il ne pouvait pas, en tant que gestionnaire des carrières pour le groupe professionnel TEC A(A) 571, garantir à une personne exerçant ce métier des heures de travail régulières et la capacité de contrôler son milieu de travail. En sa qualité de gestionnaire des carrières, son rôle est de s'assurer que les membres du personnel sont affectés dans des bases. Une fois qu'ils ont ainsi été affectés à une base, c'est le commandant de la base qui détermine comment chaque membre de ce groupe professionnel doit être employé.

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L'adjudant Ron Western

[142] L'adjudant Western (Western) est en poste au Quartier général de la Défense nationale à la Direction - Maintenance et génie (Avions-écoles et chasseurs). Pendant toute sa carrière dans les FAC, il a toujours travaillé soit dans le groupe professionnel des techniciens d'armes (Air) ou dans celui des systèmes d'armement (Air) (TEC A(A) 571 et 572).

[143] A l'heure actuelle, il est gestionnaire du cycle de vie du matériel pour les supports de bombes et les dispositifs de largage des F-18, c'est-à-dire l'équipement de largage des F-18. Il supervise les coûts du cycle de vie et l'obtention de pièces de rechange pour l'armement des F-18.

[144] Western a également servi pendant la guerre du Golfe. A cette époque, il était officier responsable de l'entraînement dans les Forces canadiennes stationnées en Europe.

[145] Western a été invité à décrire les conditions de travail des TEC A(A) 571 qui ont servi pendant la guerre du Golfe, y compris les travaux préparatoires qui ont dû être effectués. Il a dit que les heures de travail étaient très longues, avant et pendant la guerre, pour charger les appareils lorsqu'ils partaient et revenaient. La durée des quarts dépendait du travail à effectuer. De toute façon, ils dépassaient habituellement la durée normale de huit heures.

[146] Avant la guerre elle-même, le travail consistait principalement à installer divers équipements afin de rendre les lieux d'atterrissage opérationnels, notamment en préparant les pistes d'atterrissage et en construisant des abris. Il y avait également des période de réchauffement et d'entraînement.

[147] D'autres tâches s'ajoutaient aux fonctions normales, par exemple, le remplissage de sacs de sable. Ces tâches additionnelles étaient effectuées après le quart normal de travail; habituellement, tous les membres du personnel, quel que soit leur rang, participaient par rotation à ces séances d'une durée de deux heures.

[148] Selon Western, un quart normal pendant la période qui a précédé la guerre durait environ de huit à dix heures. Une fois la guerre commencée, ou juste un peu avant son début, il a été soumis à un système de quarts de douze heures, par exemple de midi à minuit. Western dit qu'il n'a jamais eu la possibilité de changer ou de faire alterner les quarts, qu'il n'a eu aucun jour de congé et qu'il a travaillé douze heures par jour, sept jours par semaine. Il a ajouté qu'on lui avait parfois fait exécuter des tâches additionnelles après son quart de travail de douze heures, habituellement remplir des sacs de sable ou travailler à la cuisine.

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[149] Western a ensuite parlé de la tenue de guerre NBC, indiquant qu'il avait dû la revêtir aussi souvent que nécessaire, en particulier, pendant plusieurs états d'alerte durant la première partie de la guerre. De plus, des exercices d'entraînement ont eu lieu avant la guerre. Il a ajouté qu'il lui était impossible de boire ou de manger lorsqu'il portait le masque à gaz et que la cagoule était en place. En outre, personne n'était autorisé à enlever les gants, les bottes ou la tenue à l'extérieur d'un milieu contrôlé.

[150] Avant la guerre du Golfe, il a dû porter cette tenue pendant des périodes de trois à quatre heures lors d'exercices effectués en Europe. Il a dit que la tenue NBC était très inconfortable, rendait les mouvements difficiles et était parfois assez chaude. Elle était très lourde et, selon lui, personne n'aimait la revêtir.

[151] On a ensuite demandé à Western quelles étaient les heures de sommeil pour le personnel effectuant des quarts de douze heures. D'après lui, il s'agissait pour chacun de se reposer comme il le pouvait. Malheureusement, c'était souvent difficile pendant la première partie de la guerre en raison d'interruptions fréquentes par des raids aériens pendant les heures de sommeil.

[152] En ce qui concerne les heures de repas, Western a indiqué qu'elles étaient assez régulières. Normalement, il mangeait avant et après son quart, au camp principal. Pendant les quarts, il y avait une cantine mobile.

L'ACD ET SA POSITION A TITRE D'INTERVENANTE

[153] Monsieur Peter Rogers a été le seul témoin de l'Association canadienne du diabète (ACD). Il est membre du Conseil d'administration national, président du Conseil national de l'intervention, conseiller juridique du Nova Scotia Division Board of Directors, et membre du National Task Group on Public Health Care Policy.

[154] Monsieur Rogers a également parlé à de nombreuses reprises de la Section clinique et scientifique de l'ACD. Il a souligné que cette section est considérée comme un organisme indépendant en soi. Il a ajouté qu'un bon nombre des membres de la Section clinique et scientifique effectuent des recherches sur le diabète.

[155] Monsieur Rogers a ensuite souligné que le Conseil national de l'intervention de l'ACD relève de son Conseil d'administration national. Son témoignage a porté principalement sur les activités du Conseil national de l'intervention. Il a indiqué au Tribunal que ce conseil est essentiellement un comité permanent chargé de mettre en oeuvre les politiques du Conseil d'administration national en ce qui concerne l'intervention et les questions d'affaires publiques.

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[156] Les principales questions dont le Conseil national de l'intervention est saisi entrent dans deux catégories. Il s'agit dans le premier cas de recommander l'élimination des barrières qui empêchent les diabétiques d'avoir des chances égales en matière d'emploi et qui découlent de la discrimination exercée contre eux. Il s'agit dans le deuxième cas de recommander aux décideurs en matière de soins de santé publique les ressources appropriées pour réduire au minimum les barrières qui empêchent l'égalité des chances en matière d'emploi et qui découlent des coûts qu'entraîne le traitement de la maladie.

[157] Depuis des années, le Conseil national de l'intervention négocie avec divers organismes qui, de l'avis de l'ACD, ont une politique générale discriminatoire et traitent toutes les diabétiques de type I de la même manière sans tenir compte des situations individuelles, leur fait des recommandations et intervient dans des litiges. Parmi les organismes avec lesquels l'ACD a traité au fil des ans, notons le service des incendies de Toronto, Canadien Pacifique Limitée, Canadien National, les FAC, les autorités responsables de l'immatriculation des véhicules automobiles, le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé, organisme formé essentiellement des directeurs provinciaux et territoriaux de l'immatriculation des véhicules automobiles et, aussi, le comité de l'Association médicale canadienne chargé de préparer le Guide à l'usage des médecins pour déterminer l'aptitude à conduire un véhicule automobile.

[158] Le Conseil national de l'intervention de l'ACD concentre ses efforts sur les FAC pour faire disparaître les obstacles à l'égalité des chances en matière d'emploi qui résultent de ce qu'il croit être des politiques discriminatoires à l'égard des diabétiques de type I.

[159] En réponse à des questions du Tribunal, l'avocat de l'ACD a dit que, selon lui, tous les employeurs devraient être capables de prendre des mesures d'accommodement pour la plupart des diabétiques de type I, en particulier ceux dont le diabète est contrôlé. Il a en outre reconnu que l'un des facteurs pertinents à cet égard est le genre de milieu de travail, ainsi que le contrôle que l'employeur et l'employé peuvent avoir ou non sur les conditions de travail et sur le déroulement des événements.

POLITIQUES D'AUTRES EMPLOYEURS A L'ÉGARD D'EMPLOYÉS QUI DEVIENNENT DIABÉTIQUES

[160] Tant à l'audience qu'après celle-ci, le Tribunal a reçu de l'ACD, des FAC et de la Commission des arguments oraux et écrits sur les politiques d'autres employeurs ou organismes à l'égard d'employés qui deviennent diabétiques (type I) par opposition aux politiques d'admission des diabétiques.

[161] Par souci de commodité et de clarté, j'ai divisé ces politiques en deux groupes, soit a) les politiques d'organismes militaires et b) les

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politiques d'organismes non militaires. Dans le groupe a), nous avons les organismes suivants :

  1. les United States Air Force (forces aériennes des É.-U. ou USAF);
  2. les forces de défense israéliennes (FDI).

[162] Les organismes faisant partie du groupe b) sont les suivants : - la GRC; - le CN.

[163] De plus, on a invité le Tribunal à se reporter à divers documents ou articles qui expliquaient les politiques des organismes suivants. Ceux- ci feront également partie du groupe b) :

  1. CP Rail (CP);
  2. le service des incendies de Toronto;
  3. l'American Diabetes Association (ADA);
  4. la section clinique et scientifique de l'ADC (SCS-ACD);
  5. la présentation de l'ACD à la Commission canadienne des droits de la personne sur les restrictions imposées par les Forces canadiennes en cas de diabète (CDA Submission to Canadian Human Rights Commission on Canadian Forces Limitations Associated with Diabetes) (auteurs : Tan, Yale et Corry) (projet de politique de l'ACD);
  6. Examen du conducteur : Guide du médecin de l'Association médicale canadienne (AMC).

[164] J'examinerai tout d'abord les politiques des employeurs non militaires. Par souci de concision, je ne signalerai que les éléments les plus importants des politiques particulières faisant partie de ce groupe.

[165] La politique de la GRC renferme un système de cotation médicale qui ressemble énormément à celui des FAC. Les diabétiques de type I reçoivent une cote plus sévère que celle des diabétiques de type II, et des restrictions plus sévères leurs sont imposées, à moins que le taux de glycémie ne reste élevé et qu'il n'y ait eu aucun symptôme pendant une période de 24 mois.

[166] La SCS-ACD a présenté un énoncé de position sur le diabète et la conduite de véhicules commerciaux. Cet énoncé indique que, lorsqu'il existe des directives appropriées sur l'attestation médicale des conducteurs de véhicules commerciaux, aucune politique générale destinée à empêcher les diabétiques de type I d'exercer ce métier n'est nécessaire. Toutefois, certains des critères d'exclusion proposés sont les suivants :

  1. au cours des deux années précédentes, tout épisode d'hypoglycémie nécessitant l'intervention d'un tiers pour corriger la situation;
  2. l'apparition d'hypoglycémie en l'absence de signes précurseurs.

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[167] L'énoncé de politiques en matière d'emploi de l'ADA prévoit que tous les diabétiques (de type I ou II) devraient être admissibles à tous emplois pour lesquels ils ont les compétences requises. Cette politique recommande que l'on examine individuellement chaque candidat à un emploi et que l'on évite d'adopter des politiques générales. De plus, on y trouve le commentaire suivant (Pièce I-1, onglet 1) :

[TRADUCTION]

[...] [c]haque emploi et chaque individu souffrant de diabète devraient être examinés en tenant compte de facteurs tels le régime de traitement, [...] la présence de complications du diabète, et les exigences ou risques particuliers de l'emploi.

[168] Le CP a adopté une politique d'évaluation individualisée qui permet à tous les diabétiques de type I de pouvoir occuper au sein de cette organisation des postes où la sécurité constitue un élément essentiel. Suivant un article de septembre 1993 et qui a été présenté par l'ACD, cette politique semblerait analogue à celle du CN.

[169] La politique du CN est conçue pour éviter une exclusion générale de tous les diabétiques de type I. Elle comporte toutefois les lignes directrices suivantes (Pièce R-13) :

[TRADUCTION]

  1. [...] qu'il n'y ait eu, au cours des deux dernières années, aucun épisode hypoglycémique ayant demandé l'intervention d'une tierce personne; [...]
  2. le taux de glucose sanguin doit être testé pendant l'heure qui précède le début du travail et environ tous les quatre heures pendant les heures de travail; [...]
  3. un préavis de douze heures est essentiel avant qu'un quart de travail puisse débuter; - le travail ne devrait comporter aucun effort musculo- squelettique important et imprévisible; [...]
  4. l'affectation de ces individus dépend de l'état de santé de chacun et est assujettie à la décision finale des services médicaux du CN en consultation avec les Opérations et un spécialiste du diabète.

[170] Le projet de politique de l'ACD prévoit que les FAC devraient imposer aussi peu de restrictions que possible aux diabétiques. Toutefois, il comprend également ce qui suit en ce qui concerne les diabétiques de type I (Pièce HR-1, onglet 25, p. 169):

[TRADUCTION]

Quel que soit le contrôle que les diabétiques insulino-dépendants [type I] exercent sur leur maladie avant leur déploiement dans des forces militaires, de telles personnes pourraient avoir de la difficulté à continuer à exercer ce contrôle une fois le déploiement effectué. Par conséquent, la

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plupart des personnes souffrant de diabète insulino-dépendant devraient être assujetties à des restrictions professionnelles et géographiques dans leur emploi. La catégorie attribuée devrait toutefois varier d'un cas à un autre, selon l'état de santé de la personne en cause.

Il est possible de réduire les risques associés au diabète insulino-dépendant et à l'exécution de fonctions militaires exigeantes, en formulant des directives précises, destinées à éviter les risques de blessures pour la personne souffrant de diabète insulino-dépendant et pour d'autres personnes; par exemple, en prenant les mesures suivantes :

(i) exclure des tâches militaires exigeantes sur le plan physique les personnes souffrant de diabète insulino-dépendant qui ne peuvent reconnaître les signes précurseurs d'hypoglycémie ainsi que les complications découlant du diabète qui peuvent affecter leurs capacités d'occuper un certain poste; (ii) augmenter les valeurs cibles de la glycémie pendant les quarts de travail où la condition physique et la vigilance sont cruciales, et effectuer davantage de contrôles pendant les périodes irrégulières d'activités et de repas; (ii) organiser l'horaire de travail de manière à éliminer les conditions qui pourraient accroître les risques de réactions hypoglycémiques.

[171] Enfin, le projet de politique de l'ACD renferme des directives qui sont assez comparables à celles du CN.

[172] Le Dr Fisher a été invitée à comparer le projet de politique de l'ACD avec la politique du CN. Selon elle, la politique du CN est beaucoup plus rigoureuse que celle proposée par l'ACD. Elle est également plus détaillée, ce qui la rendrait considérablement plus facile à appliquer.

[173] Elle a admis que toutes les directives du CN étaient très importantes. En particulier, elle a été frappée par l'alinéa portant que le [TRADUCTION] travail ne devrait comporter aucun effort musculo- squelettique important et imprévisible.

Elle estime que le CN a ainsi limité considérablement le genre de postes qu'une personne peut occuper parce qu'il existe des postes où la charge de travail peut être programmée en ce qui concerne les efforts physiques requis et d'autres où il est impossible de le faire. Selon elle, le CN a tout simplement exclu les diabétiques de type I de certains postes où le travail ne peut être planifié assez longtemps à l'avance.

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[174] Le service des incendies de Toronto a adopté des critères d'évaluation individuelle pour les personnes qui souffrent de diabète. Il prend des mesures d'accommodement pour les diabétiques de type I une fois qu'il a évalué un individu en se fondant sur un ensemble de critères et qu'il est convaincu que le contrôle que celui-ci exerce sur sa maladie est stable.

[175] Nous examinerons maintenant le cas des autres forces militaires, soit les USAF et les FDI ainsi que leur position à l'égard des diabétiques de type I. Il faut tout de suite signaler qu'elles ont toutes les deux des politiques rigoureuses prévoyant qu'elles ne devraient pas garder des diabétiques de type I dans leurs effectifs.

[176] Voici un extrait du texte réglementaire pertinent des USAF (Pièce R-12) :

[TRADUCTION]

Les causes de rejet dans le cas des nominations, de l'enrôlement et de l'incorporation sont les suivantes :

[...] [le] diabète sucré [...] lorsqu'il est prouvé que l'administration de médicaments hypoglycémiques [...] ainsi qu'une diète sévère sont nécessaires pour le contrôler.

[177] Les extraits pertinents de la lettre que les FDI ont fait parvenir à l'avocate de la Commission portent ce qui suit :

[TRADUCTION]

Il existe depuis longtemps dans les FDI une politique concernant les diabétiques insulino-dépendants qui déclare ceux-ci totalement inaptes au combat. En fait, un simple diagnostic de D.I.D. indique une expulsion immédiate des forces militaires.

[178] Outre ce qui précède, le Dr Fisher a dit qu'à sa connaissance, les membres en service des USAF pour lesquels on diagnostique un diabète de type I sont assujettis à une procédure devant un CMRC comme c'est le cas dans les FAC. En ce qui concerne le service en vol, elle a dit que les USAF ne permettront aux diabétiques de voler que s'ils n'ont pas besoin de médicaments hypoglycémiques oraux, qu'il s'agisse de comprimés ou d'injections d'insuline.

[179] Elle a également ajouté qu'il existe dans les USAF une disposition de rappel sous les drapeaux de sorte qu'en cas de guerre, par exemple pendant la guerre du Golfe, elles auraient pu mobiliser des diabétiques, mais auraient considéré qu'ils ne pouvaient être déployés. Elles les auraient affectés dans des bases (sur le continent américain) afin de libérer d'autres personnes pour qu'elles puissent aller en Europe, mais elles ne les auraient pas déployés à l'extérieur des É.-U.

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[180] En réponse aux questions de l'avocat des FAC, Rogers (pour l'ACD) a reconnu que les USAF ont une sorte d'interdiction générale concernant les diabétiques de type I.

[181] Enfin, le Dr Fisher a souligné que les USAF ne gardent même pas les diabétiques non insulino-dépendants (type II) alors que les FAC l'ont déjà fait, en tenant compte du contrôle que l'individu exerçait sur sa maladie et de la stabilité de celle-ci.

LES REGLES DE DROIT APPLICABLES

[182] Comme c'est habituellement le cas dans ce genre de plainte, c'est au plaignant et à la Commission qu'il incombe de fournir une preuve de discrimination qui soit suffisante à première vue.

[183] L'alinéa 15a) de la LCDP fournit un moyen de défense lorsque l'acte discriminatoire découle d'exigences professionnelles justifiées (EPJ) :

15. Ne constituent pas des actes discriminatoires : a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées;

[184] Le fardeau de la preuve pour établir l'existence de ce moyen de défense incombe à l'intimée, les FAC, et la norme de preuve est celle applicable en matière civile, c'est-à-dire la prépondérance des probabilités.

[185] Les paragraphes qui suivent contiennent de brefs renvois à la plupart des décisions faisant autorité dans lesquelles les divers éléments du moyen de défense fondé sur une EPJ ont été analysés.

[186] L'arrêt La Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202 (l'arrêt Etobicoke), a établi qu'il est nécessaire de satisfaire à la fois à un critère subjectif et à un critère objectif. Le critère subjectif est ainsi décrit à la page 208 :

Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction [...] doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une

manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code.

[187] Le critère objectif a également été formulé à la page 208 :

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Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général.

[188] Quant au critère objectif, le juge Sopinka a écrit ce qui suit à la page 1309 de l'arrêt Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Saskatoon, [1989] 2 R.C.S. 1297 (l'arrêt Saskatoon) :

Ce critère oblige l'employeur à démontrer que l'exigence, même si elle ne se justifie pas nécessairement dans le cas de chaque individu, est raisonnablement justifié dans son application générale. [...] Dans les cas limités d'applicabilité de ce moyen de défense, ce ne sont pas les caractéristiques individuelles qui sont déterminantes, mais les caractéristiques générales appliquées de façon raisonnable.

[189] Pour qu'elle soit de bonne foi, il faut démontrer que la règle ou l'exigence vise un risque réel. Dans ses motifs dans l'arrêt Etobicoke, le juge McIntyre a également dit à la page 210 que, pour décider si on a prouvé l'existence d'une EPJ, le tribunal doit se demander :

[...] si la preuve fournie justifie la conclusion [...] [que la situation] présent[e] un risque d'erreur humaine suffisant [...]

[190] Dans l'arrêt Canadien Pacifique Limitée c. Canada, [1988] 1 C.F. 209 (C.A.F.) (généralement appelé arrêt Mahon), le juge Marceau a expliqué ces termes à la page 224 :

Toutefois, lorsque j'interprète cette phrase compte tenu du contexte, elle me semble viser la preuve qui doit démontrer suffisamment que le risque est réel et ne repose pas sur de simples conjectures. En d'autres termes, l'adjectif suffisant en question se rapporte au caractère réel du risque et non à son degré.

[191] De plus, l'analyse de l'EPJ doit porter sur la profession et non sur l'individu. Comme l'a dit le juge McIntyre à la page 588 de l'arrêt Bhinder c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1985] 2 R.C.S. 561 (l'arrêt Bhinder) :

La Loi parle d'exigence professionnelle. Cela doit s'entendre d'une exigence de la profession, non d'une exigence limitée à un individu. Elle doit s'appliquer à tous les membres du groupe d'employés concerné, car c'est une exigence d'application générale concernant la sécurité des employés. Les employés doivent se conformer à cette exigence pour occuper leur poste.

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De par sa nature même, elle n'est pas susceptible d'application individuelle.

Et il a ajouté à la page 589 :

Appliquer une exigence professionnelle normale à chaque individu avec des résultats variables, selon les différences personnelles, c'est la dépouiller de sa nature d'exigence professionnelle et faire perdre tout leur sens aux dispositions claires de [l'al. 15a)].

[192] De même, lorsqu'une règle établit une discrimination directe contre un groupe, il n'y a aucune obligation d'accommodement à l'égard des membres individuels de ce groupe. Voir l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, à la page 514 (l'arrêt Dairy Pool) :

Lorsque, à première vue, une règle établit une distinction fondée sur un motif de discrimination prohibé, sa justification devra reposer sur la validité de son application à tous les membres du groupe touché. En vertu du critère du motif justifiable, il ne peut en effet y avoir d'obligation d'accommodement à l'égard des membres individuels du groupe puisque, comme l'a fait observer le juge McIntyre, cela saperait le fondement même de ce moyen de défense. Ou bien on peut validement établir une règle qui généralise à l'égard des membres d'un groupe ou bien on ne le peut pas. Par leur nature même, les règles qui constituent une discrimination directe imposent un fardeau à tous ceux qui y sont assujettis. Si tant est qu'elles puissent être justifiées, c'est dans leur application générale qu'elles doivent l'être.

[193] Enfin, la question des tests individuels peut servir à déterminer l'existence d'une EPJ. Dans l'arrêt Saskatoon, le juge Sopinka a écrit aux pages 1313 et 1314 :

Quoiqu'il ne soit pas absolument nécessaire de faire subir des tests à chaque employé, il se peut que l'employeur ne parvienne pas à s'acquitter de l'obligation qui lui incombe de prouver le caractère raisonnable de l'exigence s'il ne fournit pas une réponse satisfaisante à la question de savoir pourquoi il ne lui a pas été possible de traiter individuellement les employés, notamment en administrant des tests à chacun d'eux. S'il existe une solution pratique autre que l'adoption d'une règle discriminatoire, on peut conclure que l'employeur a agi d'une manière déraisonnable en n'adoptant pas cette autre solution.

COMPARAISON ENTRE L'ESPECE ET L'AFFAIRE GAETZ

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[194] Comme nous l'avons dit plus haut dans la présente décision, la meilleure façon de décrire l'espèce est de dire qu'elle fait suite à l'affaire Gaetz dans laquelle les décisions ont été rendues en 1988 et 1989. Compte tenu des circonstances, et avant d'aller plus loin, je crois qu'il convient d'indiquer les principales similitudes et différences entre ces deux affaires.

[195] Les similitudes sont les suivantes :

  1. le CMRC a attribué une cote médicale permanente G4 O3 à Gaetz et à MacPherson (dans les deux cas, on avait diagnostiqué qu'ils souffraient de diabète de type I);
  2. le contre-interrogatoire n'a pas permis de saper ou de contredire le témoignage du Dr Fisher, l'un des témoins experts des FAC en matière médicale.

[196] Les principales différences qui existent entre les deux affaires sont les suivantes; tout d'abord, en ce qui concerne l'affaire Gaetz :

  1. Gaetz a été le seul témoin assigné par la Commission: aucun témoin ayant une formation médicale ni aucun expert n'a été assigné;
  2. les FAC ont fait comparaître cinq témoins, dont le Dr Fisher qui était le seul témoin expert en matière médicale; en fait, toutes les parties en cause ont reconnu sa qualité d'expert en médecine interne et sur le diabète;
  3. la Commission n'a présenté aucune contre-preuve.

[197] En ce qui concerne l'espèce :

  1. la Commission a fait comparaître un expert médical sur le traitement et le contrôle du diabète, le Dr Tan;
  2. la Commission a également assigné une infirmière spécialisée dans l'aide et l'éducation des patients diabétiques;
  3. les FAC ont assigné les Drs Zinman et Fisher comme témoins experts sur le traitement du diabète;
  4. l'Association canadienne du diabète (ACD) a obtenu le statut d'intervenante et a témoigné en cette qualité;
  5. il a été question devant le Tribunal d'une étude majeure et approfondie (le DCCT) portant sur le diabète, principalement lors du témoignage du Dr Zinman;
  6. le Tribunal a reçu en preuve les politiques d'autres forces militaires et d'employeurs non militaires à l'égard des diabétiques de type I;
  7. outre les arguments oraux de la Commission, du plaignant et des FAC, le Tribunal a reçu les arguments écrits des FAC et de l'intervenante, l'ACD.

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DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS DANS LES REGLES DE LOI APPLICABLES

[198] En contre-preuve, l'avocate de la Commission a dit que les faits ou les délais de l'espèce n'étaient pas nécessairement plus convaincants que ceux dans l'affaire Gaetz. De plus, la Commission a fait remarquer que le Tribunal d'appel avait appliqué dans l'affaire Gaetz les arrêts Mahon et Bhinder qui avaient été rendus tous les deux avant l'arrêt Dairy Pool. L'un des principaux arguments de la Commission était que l'espèce devait maintenant être examinée et tranchée à la lumière de l'arrêt Dairy Pool. La Commission estimait que c'était particulièrement important parce que, à son avis, l'arrêt Dairy Pool avait modifié, sinon infirmé, les arrêts Mahon et Bhinder.

[199] A mon avis, un arrêt récent de la Cour d'appel fédérale répond à cet argument de la Commission. Comme la décision de la Cour d'appel fédérale dans cet arrêt repose en très grande partie sur l'argument avancé par la Commission en ce qui concerne l'arrêt Dairy Pool, j'ai reproduit ci- dessous les parties les plus pertinentes de la décision majoritaire rendue dans cet arrêt récent de la Cour :

[par. 56] [...] la requérante prétend que l'arrêt Bhinder a effectivement été écarté pour ce qui est de sa conclusion selon laquelle un risque léger suffisait pour répondre au critère d'appréciation du risque d'erreur humaine suffisant établi dans l'arrêt Etobicoke et que l'arrêt Dairy Pool pose un nouveau critère, soit celui du risque substantiel. Je rejette cette prétention pour les motifs exposés ci-dessous.

[par. 57] Premièrement, l'extrait sur lequel s'appuie la requérante n'était pas nécessaire au prononcé de la décision dans l'affaire Dairy Pool. Quoi qu'il en soit, ce qu'on peut en tirer, dans le meilleur des cas, c'est que la majorité de la Cour a mal appliqué, dans l'arrêt Bhinder, le critère établi dans l'arrêt Etobicoke, étant donné les conclusions du tribunal portant que le défaut de M. Bhinder de porter un casque ne créait aucun risque de blessure pour ses compagnons de travail ou pour le public, qu'il comportait un risque négligeable de blessure pour lui-même et, que le fait d'exempter M. Bhinder de la politique de port du casque ne compromettrait pas la politique de sécurité de l'employeur. Deuxièmement, aux pages 516 et 517, le juge Wilson résume les résultats de son analyse de l'affaire Bhinder de la façon suivante :

Pour ces motifs, je suis d'avis que l'arrêt Bhinder est bien fondé lorsqu'il énonce que l'accommodement n'est pas un élément du critère de l'EPN et qu'une fois démontrée l'existence d'une EPN, l'employeur n'a pas d'obligation d'accommodement. En revanche, cet arrêt est mal fondé dans la mesure où il applique ce principe à un cas de

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discrimination indirecte. Il en résulte finalement que, lorsqu'une règle crée une discrimination directe, elle ne peut être justifiée que par une exception légale équivalente à une EPN, c'est-à-dire un moyen de défense qui envisage la règle dans sa totalité. (Je souligne au passage que les codes de droits de la personne au Canada contiennent tous une disposition d'exception fondée sur l'EPN.) Par contre, lorsqu'une règle crée une discrimination par suite d'un effet préjudiciable, il convient de confirmer la validité de cette règle dans son application générale et de se demander si l'employeur aurait pu composer avec l'employé lésé sans subir des contraintes excessives.

[par. 58] Si la prétention de la requérante était valable, on s'attendrait à ce que ce résumé fasse état du fait que l'arrêt Bhinder est aussi erroné du fait qu'il a appliqué le critère du risque suffisant. En fait, dans l'extrait que j'ai déjà cité, le juge Wilson affirme expressément qu'elle n'est pas en désaccord avec le critère établi dans l'arrêt Etobicoke. Son désaccord se limite, selon moi, uniquement à la façon dont la majorité a appliqué ce critère dans l'affaire Bhinder.

[par. 59] Enfin, il ne faut pas oublier de tenir compte des conséquences de l'obligation de démontrer l'existence d'un risque substantiel sur la norme de preuve établie dans l'arrêt Etobicoke. A mon avis, la substitution du terme substantiel au terme suffisant pourrait bien avoir pour effet d'assujettir la preuve de l'employeur, quant à l'existence d'une exigence professionnelle justifiée dans l'intérêt de la sécurité du public, à une probabilité plus élevée que par application du critère posé dans l'affaire Etobicoke.

[par. 60] Pour conclure, je résume :

  1. Ni l'arrêt Bhinder ni l'arrêt Mahon n'ont établi un nouveau critère d'appréciation du risque suffisant dans les situations touchant la sécurité publique.
  2. Le critère appliqué dans chaque cas était celui établi dans l'arrêt Etobicoke, qui demeure incontesté et entièrement valable.
  3. L'arrêt Dairy Pool n'a pas eu pour effet d'écarter les arrêts Bhinder ni Mahon en ce qui a trait au critère du risque suffisant qu'ils auraient établi.
  4. L'arrêt Dairy Pool n'a pas posé un nouveau critère, soit celui du risque substantiel, en remplacement du critère du risque suffisant énoncé dans l'arrêt Etobicoke.

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- Husband c. Canada (Forces armées canadiennes), [1994] 3 C.F. 188, aux p. 212 et 213 (C.A.F.) (l'arrêt Husband).

[200] Dans cette affaire, une demande d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été rejetée le 8 décembre 1994.

- Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (procureur général), [1994] C.S.C., action no 269

[201] L'état du droit, tel qu'il a été exposé dans l'arrêt Husband, a été suivi dans au moins un autre arrêt récent de la Cour d'appel fédérale. Une demande d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada a également été rejetée dans cette affaire.

- Robinson c. Canada (Forces armées canadiennes), [1994] 3 C.F. 228 (C.A.F.); [1994] C.S.C., action no 309

[202] Une décision d'un tribunal des droits de la personne où il était également question du risque suffisant et de l'EPJ comme moyen de défense dans les FAC confirme encore une fois l'état actuel du droit sur cette question. Les extraits pertinents de cette décision sont les suivants :

La Cour d'appel fédérale a nettement statué que l'arrêt Alberta Dairy Pool n'a pas substitué le nouveau critère du risque important [substantiel] au critère du risque suffisant établi dans l'arrêt Etobicoke. Les juges majoritaires, dans l'affaire Husband, n'étaient pas non plus d'accord avec l'affirmation du juge MacGuigan, dans l'affaire Air Canada c. Carson et autres, [1985] 1 C.F. 209 (C.A.), p. 232, selon laquelle le risque d'erreur humaine suffisant indique la reconnaissance d'un certain degré de risque acceptable plutôt que d'un risque minime.

Par conséquent, le tribunal doit comprendre que, dans l'état actuel du droit, les mots risque d'erreur humaine suffisant employés par le juge McIntyre dans l'arrêt Etobicoke, veulent dire (selon l'interprétation de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Mahon, précitée) que la preuve doit démontrer suffisamment que le risque est réel et qu'il ne repose pas sur de simples conjectures. Dans l'affaire Mahon, le juge Marceau a affirmé que l'adjectif suffisant en question se rapporte au caractère réel du risque et non à son degré. Toutefois, dans l'affaire Husband (p. 17), le juge en chef Isaac a qualifié cette affirmation de pas très heureuse car le terme suffisant renvoie à la notion de degré. Par conséquent, il ressort clairement de ces décisions qu'une augmentation minime du risque d'erreur humaine constitue un risque suffisant pour établir une EPJ. (Non souligné dans l'original.)

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- Clarke c. Canada (Forces armées canadiennes), [1994] Décision du tribunal des droits de la personne, D.T. 17/94, à la p. 10. (l'affaire Clarke)

[203] L'affaire Clarke nous rappelle aussi une autre politique dont il faut tenir compte lorsque l'on examine le concept de risque en ce qui concerne les FAC, soit la politique du soldat d'abord. On trouve également l'extrait suivant dans l'affaire Clarke :

En ce qui concerne les FAC, le risque doit être interprété à la lumière du principe du soldat d'abord, c'est-à-dire que la norme médicale en cause doit être examinée en tenant compte de l'exigence qui veut que tous les membres des FAC sont susceptibles de devoir affronter des conditions de combat dans des milieux très hostiles, lorsqu'ils en reçoivent l'ordre ou lorsque les circonstances l'exigent. Ce principe se reflète dans le paragraphe 33(1) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), c. N-5, qui prévoit que les membres de la force régulière sont en permanence soumis à l'obligation de service légitime. Cette politique du soldat d'abord a été énoncée par le juge en chef Isaac dans l'affaire St. Thomas, précitée, à la p. 8 :

A mon avis, l'examen de cette question doit faire entrer en ligne de compte un élément contextuel que le tribunal n'a pas suffisamment pris en considération, à savoir qu'en l'espèce un soldat est en cause. En sa qualité de membre des Forces canadiennes, M. St. Thomas était d'abord et avant tout un soldat. En tant que tel, il devait vivre et travailler dans des conditions inconnues dans la vie civile et être capable de fonctionner, à bref délai, dans des conditions de stress physique et émotionnel extrême et dans des endroits où des installations médicales n'étaient peut- être pas disponibles aux fins du traitement de sa maladie ou, si elles l'étaient, n'étaient peut-être pas adéquates. Tel est, me semble-t-il, le contexte dans lequel la conduite des Forces canadiennes devrait être évaluée en l'espèce.

- Clarke, précitée, à la p. 11.

[204] Par conséquent, il faut examiner la profession de MacPherson à la fois comme TEC A(A) 571 et comme membre des FAC. Il s'agissait du travail qu'on lui demandait d'exécuter.

ANALYSE ET APPLICATION DU DROIT

[205] Même si l'on peut considérer que les trois arrêts récents de la Cour d'appel fédérale (St.Thomas, Husband et Robinson) répondent

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complètement à la thèse de la Commission, j'aimerais ajouter les points suivants au soutien de ma décision.

[206] En l'espèce, comme ce fut le cas dans beaucoup d'autres affaires concernant les FAC, il s'agit de la réduction de la cote médicale d'un membre en service. L'administration d'un test individuel devient, par conséquent, une partie inhérente du processus, même si la loi ne l'exige pas rigoureusement pour établir l'existence d'une EPJ.

[207] Le processus en vertu duquel la cote médicale de MacPherson a été réduite et la décision de le libérer a été finalement prise, dépendait totalement de la preuve relative à son état de santé. La décision du CMRC de le libérer constituait essentiellement un examen administratif reposant sur une évaluation médicale antérieure. L'examen médical ne consistait pas simplement à poser un diagnostic de diabète de type I, mais il s'agissait d'en apprécier la gravité à l'époque et de porter un jugement, sur le plan militaire et médical, pour déterminer s'il était capable ou non d'exécuter adéquatement et efficacement son travail sans mettre en danger sa vie ou celle d'autres personnes.

[208] Par conséquent, le dossier indique que, pour en arriver à leur décision, les FAC et le CMRC avaient accès au dossier médical intégral de MacPherson. A mon avis, les FAC n'ont pas agi trop rapidement et sans tenir compte de la situation particulière de MacPherson. Après le diagnostic initial, on lui a fait remplir diverses fonctions temporaires. Il était également suivi régulièrement par des médecins des FAC ainsi que par un spécialiste indépendant.

[209] Comme l'a souligné le Dr Zinman dans son témoignage, une crise grave et soudaine d'hypoglycémie est toujours possible, peu importe comment se sent la personne. L'appréciation d'un tel risque nécessite une bonne dose de jugement sur le plan médical étant donné qu'il n'existe aucun test qui puisse permettre de quantifier un tel risque de façon fiable. Le fait que MacPherson n'ait jamais eu de crise grave pendant qu'il était dans l'armée ne pouvait constituer le seul facteur servant à évaluer les risques futurs.

[210] Les témoignages des experts médicaux établissent, à ma satisfaction, qu'il existait, en l'espèce, un risque réel que MacPherson ait une crise soudaine et grave d'hypoglycémie. La preuve relative à ses fonctions, à la fois comme TEC A(A) 571 et comme membre des FAC, démontre qu'une telle crise aurait pu se produire dans une situation où elle aurait non seulement pu l'empêcher d'exécuter son travail mais aussi mettre en danger sa vie, celle de ses collègues de travail et, éventuellement, celle de membres du public.

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[211] En fait, cette même question a également constitué un point central dans l'affaire Gaetz. Le Tribunal l'a décrite en utilisant les termes suivants :

M. Duval [l'avocat de la Commission dans l'affaire Gaetz] a admis que le mis en cause [les FAC] avait satisfait au critère subjectif et a plutôt examiné le critère objectif. Mentionnant un passage tiré du témoignage du docteur Fisher, à la page 345, M. Duval a plaidé qu'il n'y avait pas de doute que M. Gaetz pouvait exécuter ce travail de façon aussi efficace et économique que ses compagnons et a fait valoir que les Forces armées canadiennes croyaient surtout que le plaignant risquait de mettre en danger sa vie et la vie d'autres soldats lors du travail en groupe. (Non souligné dans l'original.)

A ce stade, le Tribunal a jugé que M. Duval avait résumé l'ensemble de la question en ce qui concerne le tribunal.

- Gaetz, précitée, note 1, aux p. 33 et 34.

[212] Compte tenu des circonstances de l'espèce, je suis convaincu que la restriction médicale imposée à MacPherson constituait une EPJ et que le facteur de risque réel en l'espèce était davantage qu'une simple possibilité. Comme dans l'affaire Gaetz, je suis convaincu que l'espèce est visée par les paramètres du critère énoncé dans les arrêts Etobicoke et Bhinder.

[213] De plus, je retiens l'argument des FAC suivant lequel il faut examiner les cas de ce genre à la lumière des connaissances et des ressources médicales qui étaient disponibles à l'époque où elles ont pris leur décision. Il est indubitable que des progrès médicaux ont été réalisés et que la communauté médicale a amélioré ses connaissances dans le traitement du diabète depuis les décisions prises par les FAC à l'égard de Gaetz et de MacPherson. Toutefois, le Tribunal ne peut examiner la présente affaire qu'à la lumière de ce qu'on savait pendant la période de 1982 à 1984.

[214] Mes derniers commentaires dans la présente partie portent sur les politiques d'autres employeurs, en particulier celles d'autres forces militaires. Même si ces politiques n'ont pas joué un rôle décisif en l'espèce, je remarque que les deux forces militaires étrangères en cause ont des règles rigoureuses qui les empêchent de garder des diabétiques dans leurs rangs.

[215] Quant aux politiques des autres employeurs ou organismes non militaires, elles fournissent une perspective et des principes directeurs intéressants. Toutefois, telles quelles, elles s'éloignent trop de la

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plupart sinon de toutes les sortes de tâches et fonctions que les membres des FAC doivent exécuter.

[216] En dernière analyse, ma décision en l'espèce est dictée en grande partie par la trilogie de décisions de la Cour fédérale dont il a été question plus haut. Par conséquent, j'estime être lié par les deux décisions rendues dans l'affaire Gaetz, particulièrement en raison des similitudes importantes qui existent entre les faits de l'affaire Gaetz et ceux de la présente espèce.

REMARQUES FINALES

[217] Vu le caractère quelque peu exceptionnel de la présente espèce parce qu'elle suit de très près l'affaire Gaetz, je me permets de faire remarquer qu'un problème majeur en l'espèce et dans d'autres cas analogues est la politique du soldat d'abord des FAC. Cette politique ne permet aucune exception ni aucune souplesse. Tant que le législateur n'aura pas modifié cette politique, il sera en réalité difficile pour les personnes souffrant d'une déficience telle le diabète de jouer quelque rôle que ce soit dans les FAC.

[218] Il se peut que le législateur doive envisager de modifier la Loi sur la défense nationale. Je crois que l'énoncé suivant me permet de faire une telle affirmation :

[TRADUCTION]

Mon examen du système médical militaire indique que plusieurs de ses aspects, bien qu'ils diffèrent des pratiques dominantes suivies en matière d'emploi, peuvent résister à un examen judiciaire et ont été acceptés par les tribunaux des droits de la personne. Par contre, de nombreux domaines nécessitent une réforme. (Non souligné dans l'original.)

- S.J. BLYTHE, Disabilities and the Canadian Forces Medical System, (1994) 33 Alta. L. Rev. 1, à la p. 42.

[219] Je signale en outre que l'avocat de la Commission dans l'affaire Gaetz avait exprimé l'espoir que la décision du Tribunal dans cette affaire règlerait la question de l'employabilité des diabétiques dans les FAC. Comme nous le savons tous, cela n'a pas été le cas.

[220] Compte tenu de la jurisprudence applicable dans ce domaine du droit, il semblerait que seul le législateur peut maintenant modifier les règles ou politiques qui pourraient permettre aux diabétiques d'occuper un poste ou un autre dans les FAC. D'autres dispositions des politiques des USAF et des FDI que je n'ai pas citées dans la présente décision ainsi, éventuellement, que celles d'autres employeurs et organismes non militaires, pourraient être utiles à cet égard.

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[221] Avant de terminer, je regrette sincèrement de n'avoir pu fournir ma décision et mes motifs plus tôt. J'aimerais remercier toutes les parties concernées pour leur patience.

[222] Enfin, je remercie le plaignant ainsi que les avocats de toutes les parties en cause pour leur aide dans la présente affaire. Elle a été fort utile.

Fait à Moncton (Nouveau-Brunswick), le 26 juin 1995.

(signature)

ROGER BILODEAU président

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