Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

SHIV CHOPRA

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MINISTÈRE DE LA SANTÉ NATIONALE
ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

l'intimé

DÉCISION SUR LE REDRESSEMENT

2004 TCDP 27
2004/08/17

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

TRADUCTION

I. HISTORIQUE

II. CADRE JURIDIQUE

III. REDRESSEMENTS DEMANDÉS PARLE Dr CHOPRA

A. Indemnisation des pertes salariales - Directeur intérimaire du BMHP

B. Indemnisation des pertes salariales - poste à durée indéterminée de directeur du BMHP

C. Indemnisation des pertes salariales au-delà du niveau EX-2

D. Indemnisation des pertes salariales - autre poste de niveau EX

E. Demande visant à nommer sans tarder le Dr Chopra à un poste de niveau EX

F. Majoration au titre de l'impôt à payer

G. Dommages-intérêts non pécuniaires

H. Intérêts

I. Affichage de la décision

IV. Maintien de la compétence

[1] La présente décision porte sur la question du redressement. Dans une décision rendue antérieurement dans cette affaire, j'ai jugé que l'intimé, le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social (Santé Canada), avait exercé une discrimination à l'endroit du plaignant, le Dr Shiv Chopra (Canada (Comm. des droits de la personne) c. Canada (ministère de la Santé nationale et du Bien-être social) (no 5) (2001), 40 C.H.R.R. D/396 (T.C.D.P.)). À la demande des parties, je n'ai abordé que la question de la responsabilité de l'intimé aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. J'ai conservé ma compétence pour entendre ultérieurement des témoignages et des arguments dans le cas où les parties seraient incapables de parvenir à une entente en ce qui concerne la question du redressement.

[2] Le 8 juillet 2002, le plaignant a informé le Tribunal que les parties n'avaient pu en venir à une entente et a demandé la tenue d'une audience sur la question du redressement.

I. HISTORIQUE

[3] Le Dr Chopra a déposé sa plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (Commission) le 16 septembre 1992. Il a allégué que Santé Canada avait exercé à son endroit une discrimination fondée sur la race, la couleur et l'origine nationale ou ethnique, compte tenu de la manière dont le poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits (BMHP) a été doté entre septembre 1990 et le printemps de 1992. En 1995, un tribunal présidé par Daniel Soberman a rejeté la plainte. En 1998, la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada a procédé à un contrôle et a annulé cette décision. La Cour a renvoyé la question au Tribunal afin qu'elle soit tranchée sur la foi du dossier existant et de la preuve statistique qui avait été exclue par le tribunal initial. En janvier 1999, la Cour d'appel fédérale a maintenu la décision de la Section de première instance. Les éléments de preuve supplémentaires m'ont été présentés lors d'audiences tenues entre mai 1999 et décembre 2000.

[4] Dans ma décision, j'ai indiqué que le Dr Chopra avait vu sa candidature au poste de directeur du BMHP être rejetée à la présélection parce qu'il ne possédait pas d' expérience récente en gestion . Au cours des deux années qui ont précédé le concours, le poste d'une durée indéterminée de directeur du BMHP est demeuré vacant. Le Dr Chopra avait demandé qu'on le nomme à ce poste à titre intérimaire, mais sa demande a été rejetée. Si on l'avait nommé, il aurait acquis l'expérience récente en gestion nécessaire pour que sa candidature soit retenue à la présélection. Au regard de la preuve présentée, j'ai conclu que le fait d'avoir refusé au Dr Chopra la possibilité d'occuper le poste à titre intérimaire était attribuable en partie à la discrimination dont il faisait l'objet en raison de son origine nationale ou ethnique.

[5] Toutefois, j'ai également fait remarquer que même si sa candidature avait été retenue pour le concours final, le Dr Chopra n'aurait pas nécessairement obtenu le poste. Cette question devait être tranchée ultérieurement, au moment de l'examen de la question du redressement.

II. CADRE JURIDIQUE

[6] Les pouvoirs de réparation du Tribunal sont énoncés à l'article 53 de la Loi. Les mesures de redressement prévues par cet article visent à empêcher de futurs actes discriminatoires et à indemniser les victimes. L'objectif de l'indemnisation est de remettre la victime dans la position où elle aurait été si le tort qui lui a été causé ne s'était pas produit (Canada (Procureur général) c. McAlpine (1989), 12 C.H.R.R. D/253, au par. 13 (C.A.F)).

[7] Le Dr Chopra demande d'être nommé sans tarder à un poste de niveau EX et d'être indemnisé des pertes salariales qu'il a subies de 1990 à ce jour. Afin d'établir s'il a droit à ces mesures de redressement, il doit démontrer que la conduite discriminatoire de l'intimé l'a empêché d'obtenir l'expérience récente en gestion nécessaire, qui l'aurait préparé à occuper le poste à titre intérimaire et qui aurait fait en sorte que sa candidature puisse être retenue à la présélection aux fins du concours final. Il s'agit d'un exercice qui est manifestement hypothétique. Le Tribunal doit tenter de faire un retour dans le temps et d'examiner ce qui se serait produit en l'absence de discrimination. Sur quelle norme pareille décision doit-elle être fondée?

[8] Les avocats de la Commission et du plaignant soutiennent tous deux qu'il suffit que le Tribunal conclue qu'il existait une possibilité sérieuse qu'un événement survienne. Par exemple, s'il existait une possibilité sérieuse que le Dr Chopra soit le candidat heureux à l'issue du concours final de 1992, en supposant que sa candidature ait été retenue, on pourrait conclure qu'on a refusé de lui accorder le poste en raison de l'acte discriminatoire. À l'appui de leur prétention, ils citent les motifs énoncés par le juge Marceau dans Canada (Procureur général) c. Morgan [1992] 2 C.F. 401 (C.A.F.). En l'occurrence, le plaignant avait tenté de s'enrôler dans les Forces canadiennes, mais sa demande avait été rejetée pour des motifs qui, en bout de ligne, ont été jugés discriminatoires. Les questions portées devant la Cour d'appel fédérale avaient trait au redressement auquel avait droit le plaignant. La Cour s'est penchée sur la question de l'approche à adopter pour déterminer la perte indemnisable. À cet égard, le juge Marceau a écrit ce qui suit aux pages 412 et 413 :

Il m'est difficile d'accepter la conclusion du tribunal d'appel entérinée par mon collègue qu'il suffisait d'examiner le résultat probable du processus de recrutement pour conclure qu'il s'agissait de la perte d'un emploi plutôt que de la perte d'une simple possibilité d'emploi. La Cour n'a pas à se pencher sur la preuve d'un fait antérieur qui, dans une cour civile, se fait par prépondérance des probabilités. La Cour n'a pas non plus à examiner le lien entre un résultat particulier et sa cause éventuelle. Il me semble qu'il ne faut pas confondre la preuve d'une perte véritable et de son lien avec l'acte discriminatoire avec la preuve de l'ampleur de la perte. Pour démontrer l'existence d'un préjudice donnant droit à l'indemnité, il n'était pas nécessaire de démontrer que, n'eût été de l'acte discriminatoire, le plaignant aurait certainement obtenu le poste. De plus, aux fins d'établir le préjudice, point n'est besoin de démontrer la probabilité de celui-ci. À mon avis, la preuve d'une possibilité, pourvu qu'elle soit sérieuse, suffit à démontrer l'existence du préjudice. Par contre, pour connaître l'ampleur du préjudice et les dommages-intérêts qu'il entraîne, il m'apparaît impossible de rejeter des éléments de preuve démontrant que, de toute manière, le poste aurait pu être refusé. La présence de cet élément d'incertitude empêcherait le tribunal d'accorder les dommages-intérêts qu'il accorderait en l'absence de celui-ci. L'indemnité fixée par le tribunal devrait être réduite en fonction du degré d'incertitude.

(c'est moi qui souligne)

[9] Dans l'affaire Morgan, les deux autres juges de la Cour d'appel fédérale n'ont pas adopté la même approche. Le juge MacGuigan, à la page 425 de son jugement dissident, a indiqué qu'un tribunal devrait examiner le résultat probable de l'ensemble du processus de sélection pour déterminer si un plaignant a droit à une indemnité dans le cas de la perte d'un emploi. Le juge Mahoney a choisi de ne pas se prononcer sur cette question. Il a fait remarquer que ses collègues et lui s'accordaient tous à dire qu'en tout état de cause, compte tenu des faits entourant l'affaire, le plaignant aurait certes été en mesure de s'enrôler, n'eût été de l'acte discriminatoire.

[10] Dans Canada (Procureur général) c. Uzoaba [1995] 2 C.F. 569 (C.F., 1re inst.), le juge Rothstein a mentionné explicitement et fait sien le critère énoncé par le juge Marceau dans Morgan. Dans Canada (Procureur général) c. Green [2000] 4 C.F. 629, au par. 142 (C.F. 1re inst.), le juge Lemieux a indiqué qu'il faisait sien le principe formulé dans Morgan selon lequel pour établir le préjudice, soit la perte d'un emploi ou d'une promotion, il n'est pas nécessaire de démontrer la probabilité - il suffit [au plaignant] de faire la preuve d'une possibilité, pourvu qu'elle soit sérieuse . Au paragraphe 151, la Cour explique que, pour certaines de ses conclusions, elle se fonde sur le critère de la possibilité sérieuse de l'arrêt Morgan . Dans Nkwazi c. SCC (2001), 39 C.H.R.R. D/237, le Tribunal canadien des droits de la personne a appliqué le critère de la possibilité sérieuse pour déterminer si la plaignante aurait réussi à obtenir un poste plus élevé si l'acte discriminatoire reproché ne l'avait pas empêchée de concourir.

[11] Au regard de ces précédents et des autres textes faisant autorité cités par les avocats, je suis convaincu qu'un plaignant qui demande réparation parce qu'on lui a refusé de façon discriminatoire l'accès à un poste plus élevé n'a qu'à fournir la preuve qu'il existait une sérieuse possibilité de réussite.

III. REDRESSEMENTS DEMANDÉS PAR LE DR CHOPRA

A. Indemnisation des pertes salariales - Directeur intérimaire du BMHP

[12] Dans ma décision antérieure, j'ai jugé que Santé Canada avait discriminé le Dr Chopra en le privant de la possibilité d'occuper à titre intérimaire le poste de directeur du BMHP. J'ai conclu que son origine nationale ou ethnique était l'un des facteurs qui avaient joué à cet égard, et que le motif invoqué par Santé Canada (manque d'expérience récente en gestion) pour expliquer pourquoi sa candidature n'avait pas été prise en compte était un prétexte.

[13] Santé Canada soutient que le Dr Chopra n'avait pas la compétence nécessaire pour occuper à titre intérimaire le poste de directeur du BMHP et que, par conséquent, il n'aurait jamais été choisi à cette fin, qu'il y ait eu ou non discrimination. Cependant, on ne saurait admettre cette prétention. Mme Claire Franklin a obtenu l'affectation, qui a par la suite été renouvelée, et ce, même après que le Comité d'appel de la Commission de la fonction publique eut jugé qu'elle n'était pas entièrement qualifiée pour occuper le poste à titre intérimaire. De toute évidence, Santé Canada ne se souciait pas outre mesure de la question à savoir si un candidat satisfaisait à toutes les conditions énoncées. Par conséquent, je suis convaincu, au regard de la preuve en l'espèce quant aux compétences du Dr Chopra à l'époque et du peu d'importance que Santé Canada accordait à l'aspect compétence, qu'il existait une possibilité sérieuse, que le Dr Chopra soit nommé à titre intérimaire directeur du BMHP, n'eût été des actes discriminatoires dont il a fait l'objet.

[14] Quelle aurait été la durée de son affectation intérimaire? Mme Franklin a obtenu trois nominations intérimaires au cours de la période de onze mois comprise entre le 20 octobre 1990 et le 20 septembre 1991. Entre le 20 septembre 1991 et le 13 février 1992, Mme Franklin n'était plus officiellement titulaire par intérim du poste, mais elle a continué officieusement d'exercer les fonctions s'y rattachant. Sa classification et son traitement ont été rajustés afin qu'ils correspondent à son affectation antérieure. Bien que Mme Franklin ait officiellement cessé d'occuper à titre intérimaire le poste de directeur du BMHP, je suis convaincu, au regard des conclusions de ma décision antérieure, que sa nomination intérimaire a, en fait, été maintenue tout au cours de cette période. La preuve révèle qu'il n'y a pas eu de titulaire intérimaire entre le 13 février 1992 et le 21 avril 1992. Le 21 avril 1992, la Commission de la fonction publique a confirmé la nomination pour une période indéterminée de Mme Franklin au poste de directeur du BMHP. Cette décision a fait l'objet d'un appel, mais la Cour fédérale a finalement décidé de ne pas faire obstacle à la nomination. Par conséquent, la période où le poste intérimaire a été occupé est d'environ seize mois (ou 68 semaines), allant du 20 octobre 1990 au 13 février 1992.

[15] Le 13 septembre 1990, le Dr Chopra a écrit au Dr Emmanuel Somers, directeur général de la Direction des médicaments, afin de proposer sa candidature au poste intérimaire. Le Dr Chopra a proposé que lui et les autres candidats assurent, par voie de rotation, l'intérim pendant un certain temps, après quoi on demanderait à la personne la plus efficace de continuer d'assumer les fonctions pendant une durée indéterminée. Dans les circonstances, cela aurait été une option raisonnable que le Dr Somers et le sous-ministre adjoint, le Dr Albert Liston, auraient pu retenir, n'eût été de la décision qu'ils avaient déjà prise de nommer Mme Franklin. La preuve révèle que les affectations intérimaires étaient habituellement pour des périodes ne dépassant pas quatre mois afin d'éviter d'avoir à tenir un concours en bonne et due forme. Les affectations intérimaires d'une durée de plus de quatre mois étaient considérées comme des nominations susceptibles d'appel, aux termes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33. En l'espèce, la nomination de Mme Franklin, bien que d'une durée limitée à quatre mois, a été renouvelée officiellement à deux reprises, avec le résultat qu'elle a occupé le poste durant 11 mois au total.

[16] Au moins trois personnes ont manifesté de l'intérêt à l'égard du poste intérimaire de directeur du BMHP : le Dr Chopra, Mme Franklin et le Dr Michele Brill-Edwards. Il conviendrait à mon avis de diviser par trois la période de 68 semaines, compte tenu du nombre de candidats intéressés. Je ne m'inquiète pas du fait que le résultat obtenu (22 b ou environ 5 a mois) dépasse la durée habituelle de quatre mois des affectations intérimaires. Comme je l'ai dit, Santé Canada, dans le cas de Mme Franklin, n'a pas eu de difficulté à renouveler les affectations et à prolonger ainsi leur durée.

[17] L'avocat de l'intimée a proposé que je fonde mes calculs sur une période de onze mois afin de tenir compte du fait qu'à compter du 20 septembre 1991, Mme Franklin n'agissait plus comme titulaire intérimaire du poste. Cependant, comme je l'ai indiqué ci-haut, le changement revêtait un caractère purement théorique. Dans la pratique, elle a continué d'exercer les mêmes fonctions qu'auparavant. La période de 68 semaines est plus réaliste.

[18] Comme ma conclusion à cet égard est basée sur l'hypothèse que les trois candidats étaient également intéressés à agir comme directeur intérimaire du BMHP, je ne vois aucune raison de ne pas ordonner que les dommages au chapitre des pertes salariales soient calculés à compter de la date de la première nomination intérimaire. Par conséquent, le Dr Chopra doit être indemnisé de toutes les pertes qu'il a subies en ce qui touche les salaires et les autres avantages sur une période de 22 2/3 semaines à compter du 20 octobre 1990, soit la date du début de la première affectation intérimaire.

B. Indemnisation des pertes salariales - poste à durée indéterminée de directeur du BMHP

[19] Le Dr Chopra demande d'être indemnisé des pertes salariales qu'il a subies relativement au poste à durée indéterminée de directeur du BMHP. Il affirme que s'il avait occupé à titre intérimaire le poste au cours des mois ayant précédé le concours final de 1992, il aurait acquis l'expérience récente en gestion nécessaire pour que sa candidature soit retenue à la présélection. Selon ses dires, il aurait existé, une fois l'étape de la présélection franchie, une possibilité sérieuse qu'il remporte le concours.

[20] Le guide de présélection établi en vue du concours énonçait certaines conditions minimales auxquelles un candidat devait satisfaire pour passer à l'étape suivante. Ces conditions avaient trait aux études du candidat, à son expérience, à sa connaissance des langues officielles et à ses antécédents de rendement. La fiche de présélection utilisée par le jury de sélection indique que seulement quatre des quatorze candidats dont la candidature a été examinée ont été jugés comme ayant les compétences voulues dans chacune de ces catégories; Mme Franklin et le Dr Brill-Edwards étaient du nombre. Le Dr Chopra a été exclu parce qu'il ne possédait pas d'expérience récente dans la gestion d'un organisme à vocation scientifique ou médicale doté de son propre budget et spécialisé dans un certain nombre de disciplines ou d'activités de programme. Cette lacune est signalée sur la fiche de présélection au moyen d'un X . Cependant, outre cette annotation, on trouve en regard du nom du Dr Chopra un point d'interrogation relativement à l'étendue de son expérience récente comme porte-parole officiel de Santé Canada ou d'autres organismes sur des questions de santé comportant de multiples facettes. Bien qu'aucun élément de preuve n'ait été produit pour expliquer pleinement la signification du point d'interrogation, il est évident que ce résultat n'est pas aussi concluant que les marques qu'on trouve ailleurs sur la fiche de présélection, comme celle confirmant que le Dr Chopra possédait les antécédents scolaires nécessaires.

[21] Parmi les quatre employés dont la candidature a été retenue au stade de la présélection, deux ont décidé de se retirer du processus d'évaluation tandis que les deux autres (Mme Franklin et le Dr Brill-Edwards) ont accédé à l'étape suivante. Un profil de sélection distinct a été adopté pour cette étape. Ce profil énonçait les qualités requises, telles qu'énumérées dans le guide de présélection, ainsi que plusieurs exigences nouvelles, notamment la connaissance des techniques de gestion, la connaissance de la conduite d'essais et de tests d'innocuité et d'efficacité des médicaments, la connaissance de la portée et de la nature des médicaments destinés à l'usage humain, et la connaissance du rôle du gouvernement en matière de protection de la santé, ainsi que des politiques, des programmes, des objectifs et des priorités connexes. De plus, le candidat devait être évalué en fonction de son aptitude à communiquer, à gérer un programme réglementaire et à évaluer, synthétiser et analyser des données scientifiques et médicales. Les compétences en leadership du candidat ainsi que ses aptitudes personnelles étaient également des éléments à maintenant prendre en compte.

[22] Le jury de sélection a conclu que Mme Franklin était la seule candidate ayant les qualités requises. Mme Franklin a témoigné devant le Tribunal au cours de la dernière série d'audiences portant sur le redressement. Elle a fourni des précisions quant aux compétences qu'elle possédait, estimait-elle, par rapport aux diverses exigences énoncées dans le guide de présélection et le profil de sélection établis relativement au poste de directeur du BMHP. Ainsi, de 1984 à 1990, elle a géré une division de la Direction de l'hygiène du milieu de Santé Canada qui était dotée d'un effectif d'environ 45 personnes et d'un budget de l'ordre de 10 millions de dollars. Elle a été la porte-parole officielle de Santé Canada devant de nombreux comités et a été interviewée par les médias. Elle a également décrit en détail les raisons pour lesquelles elle croyait posséder les connaissances exigées.

[23] Mme Franklin a décrit le processus d'évaluation suivi par le jury de sélection. Vingt-quatre heures avant son entrevue, elle s'est vu remettre un document d'une centaine de pages portant sur une question scientifique qui ne relevait pas du domaine des médicaments humains prescrits et dont aucun des candidats n'avait une connaissance intime. Elle a dû lire le document en soirée et assimiler l'information afin d'être en mesure de présenter un bref exposé et de répondre à des questions à l'entrevue. En outre, une heure avant de rencontrer le jury, elle a reçu un document à propos duquel elle a dû rédiger une note de breffage destinée à un fonctionnaire supérieur. Ce document traitait d'une question non reliée au domaine des médicaments humains prescrits. Mme Franklin se souvenait que son entrevue avait été longue et intensive. Son témoignage en ce qui touche le processus d'évaluation n'a pas été contesté.

[24] Lors des récentes audiences portant sur la question du redressement, le Dr Chopra a lui aussi témoigné. On lui a demandé ce qui se serait produit s'il avait pu acquérir de l'expérience à titre de directeur intérimaire du BMHP. Il a répondu qu'il avait toujours excellé dans les études qu'il avait entreprises dans de nombreuses disciplines. Il était une personne travailleuse; par exemple, il s'était mis à l'apprentissage du français bien avant que celui-ci devienne populaire ou nécessaire. Il a allégué que ses supérieurs ont reconnu son potentiel et qu'ils l'ont recommandé, par exemple, pour le Programme cours et affectations de perfectionnement et le Programme de gestion axée sur les objectifs (GAO). À son avis, il était plus compétent que Mme Franklin en ce qui concerne le volet Connaissances, car celles-ci s'inscrivaient dans des domaines scientifiques où il travaillait depuis des années, contrairement à sa collègue qui n'avait pas, selon lui, suffisamment de connaissances.

[25] On a fait remarquer au Dr Chopra que Mme Franklin avait accumulé environ treize années d'expérience en gestion avant sa nomination à titre intérimaire au poste de directeur du BMHP en 1990, qu'elle avait dans le passé récent été à la tête d'une équipe d'environ 45 employés et qu'elle possédait, par conséquent, une expérience beaucoup plus vaste que celle qu'il aurait pu acquérir pendant quelques mois grâce à des affectations rotatives à un poste intérimaire. Le Dr Chopra a répondu qu'à son avis, la composante gestion était faible par rapport au volet scientifique qui, lui, était beaucoup plus important. Par conséquent, il a prétendu qu'il aurait été plus compétent que Mme Franklin si on lui avait donné l'occasion de rivaliser avec elle. Cependant, le Dr Chopra n'a précisé à aucun moment comment il aurait satisfait à chacune des conditions requises énoncées dans le profil de sélection.

[26] Avait-il de l'expérience comme porte-parole de Santé Canada ou d'un organisme semblable au sujet de questions délicates liées à la santé? Connaissait-il le rôle que le gouvernement joue en matière de protection de la santé? Connaissait-il les techniques et les approches de gestion? Le Dr Chopra et la Commission sont apparemment d'avis qu'il va de soi en quelque sorte qu'il possédait, ou aurait posséder, les qualités nécessaires pour occuper le poste. Ses évaluations de rendement étaient entièrement satisfaisantes. Du fait qu'il travaillait au sein du Bureau, il devait avoir une bonne connaissance du domaine pertinent. En 1975, il a été détaché auprès du projet GAO; en 1977, il a participé à un programme de formation en gestion d'une durée de six semaines. Par conséquent, il devait connaître les techniques et les approches de gestion.

[27] Abstraction faite de ses affirmations personnelles selon lesquelles il était plus compétent que Mme Franklin, le Dr Chopra n'a présenté aucun élément de preuve particulier à l'appui de cette prétention. La Commission et le plaignant ont énergiquement soutenu qu'un tel exercice était totalement inutile. Ils ont affirmé qu'il n'était pas nécessaire de comparer les deux aspirants au poste, compte tenu du critère de la possibilité sérieuse énoncée dans l'arrêt Morgan. Le plaignant n'avait pas à prouver qu'il aurait certainement, voire probablement, été choisi pour le poste. S'il existait une possibilité sérieuse que le Dr Chopra obtienne le poste, sa perte réelle aura été établie et il ne restera qu'à démontrer l'étendue des dommages-intérêts et à déterminer l'indemnité monétaire pertinente.

[28] Le plaignant a prétendu que l'expérience qu'il aurait acquise en occupant de façon intérimaire le poste de directeur du BMHP aurait en soi créé une possibilité sérieuse qu'il gagne le concours. Dans son rapport annuel de 1992, la Commission de la fonction publique a évoqué, non sans une certaine inquiétude, une étude récente révélant que les employés ayant obtenu une nomination intérimaire étaient quatre fois plus susceptibles que les autres d'obtenir subséquemment une promotion. Dans son rapport annuel 2000-2001, la CFP réitère son inquiétude à l'égard du recours aux nominations intérimaires et au fait que les titulaires intérimaires jouissent d'un avantage lorsqu'ils posent leur candidature dans le cadre des concours tenus subséquemment afin de pourvoir les postes qu'ils ont occupés par intérim. Le rapport faisait référence à une étude portant sur 249 nominations faites au niveau EX au cours de deux périodes de trois mois en 1998 et 1999. L'étude a révélé que 77 (environ 93 %) des 83 candidats ayant occupé un poste à titre intérimaire ont par la suite été choisis comme titulaires du poste en question.

[29] L'intimé a présenté des preuves pour démontrer que les données que renferme cette dernière étude sont incomplètes. Par exemple, il est impossible de savoir si plus d'une personne a été nommée à titre intérimaire à ces 77 postes ou si les périodes examinées étaient de toute façon représentatives. L'auteure de l'étude, Madeleine Desroches, a indiqué dans son témoignage qu'elle avait choisi les périodes de manière aléatoire. Elle a également précisé qu'elle avait choisi les 83 candidats surtout en fonction de données qu'elle avait extraites de plusieurs formulaires établis dans le cadre des processus de nomination. Apparemment, l'employeur n'était aucunement obligé de préciser sur ces formulaires si le poste avait fait l'objet antérieurement de nominations intérimaires. Par conséquent, il est possible que Mme Desroches n'ait pu recenser tous les cas de nomination intérimaire avant la nomination pour une période indéterminée.

[30] Selon l'intimé, une telle analyse, si elle doit être réalisée, devrait porter sur Santé Canada. Des 25 employés nommés à titre intérimaire à un poste de niveau EX-1 pour une durée de quatre mois ou plus entre juillet 1990 et juillet 1993, seulement six ont par la suite été promus à des postes de niveau EX pour une durée indéterminée (environ 24 %). Des 10 employés nommés à titre intérimaire à un poste de niveau EX-2 pour une durée de quatre mois ou plus durant la même période, quatre ont été promus ultérieurement (40 %). Le pourcentage global serait de l'ordre de 29 %.

[31] À mon avis, les préoccupations soulevées par l'intimé à l'égard des données de la CFP ne sont pas significatives. Il est certes possible que l'employeur ait omis d'indiquer sur certains formulaires que le poste avait antérieurement été doté de façon intérimaire, mais le fait demeure que dans 93 % des cas où le formulaire renfermait suffisamment de renseignements, on a constaté que les candidats ayant obtenu une nomination intérimaire avaient par la suite été promus au poste. Ces données doivent certes avoir été suffisamment probantes puisque la CFP en a fait état dans son rapport annuel 2001-2002. Je ne puis non plus passer sous silence le fait que la CFP a mené avant son rapport de 1992 une autre étude énonçant une conclusion similaire : ceux qui sont nommés à un poste à titre intérimaire sont plus susceptibles que les autres d'obtenir par la suite une promotion. Aucun élément de preuve contredisant l'étude de 1992 de la CFP, qui coïncide avec le moment où le poste de directeur du BMHP a été pourvu, n'a été présenté. Même lorsqu'on examine les données de Santé Canada présentées par l'intimé, les pourcentages obtenus n'excluent pas une possibilité sérieuse que les personnes nommées à un poste à titre intérimaire obtiennent le poste qu'elles ont occupé.

[32] Ces constatations m'amènent à conclure que si le Dr Chopra avait occupé à titre intérimaire le poste de directeur du BMHP pendant un peu plus de cinq mois, il aurait existé une possibilité simple mais sérieuse qu'il soit le candidat heureux à l'issue du concours final visant à pourvoir le poste pour une durée indéterminée.

[33] Mais ce n'est pas tout. Il se peut que le Dr Chopra ait subi cette perte; toutefois, comme l'a fait remarquer le juge Marceau dans l'arrêt Morgan, on ne saurait, lorsqu'il s'agit de déterminer l'ampleur du préjudice subi par le Dr Chopra et d'évaluer les dommages-intérêts qu'il entraîne, faire abstraction des éléments de preuve quant à l'incertitude entourant son accession au poste. Les dommages-intérêts doivent être réduits en fonction du degré d'incertitude.

[34] J'ai déjà décrit de nombreux facteurs d'incertitude en l'espèce. Le processus de sélection était fort complexe et certaines épreuves avaient délibérément été conçues de façon à ne conférer aucun avantage aux personnes qui travaillaient déjà au Bureau des médicaments humains prescrits. En ce qui concerne le cas particulier du Dr Chopra, je n'ai été saisi d'aucun élément de preuve particulier permettant d'établir qu'il aurait satisfait aux critères énoncés dans le profil de sélection et, le cas échéant, jusqu'à quel point. Son expérience la plus récente en gestion aurait consisté strictement en une affectation intérimaire d'une durée d'un peu plus de cinq mois. Comme je l'ai indiqué ci-haut, le Dr Brill-Edwards et Mme Franklin auraient elles aussi acquis la même expérience. Cependant, la preuve a révélé que Mme Franklin avait des antécédents vastes et supplémentaires en gestion qui étaitent bien supérieurs à ceux dont le Dr Chopra possédait.

[35] Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, même si le Dr Brill-Edwards a vu sa candidature être retenue à la présélection, on n'a pas jugé qu'elle avait les qualités requises pour le poste. Le fait qu'un candidat soit retenu à la présélection n'implique pas nécessairement qu'il ait les qualités requises. Dans le cas du Dr Chopra, il faut aussi signaler la question du point d'interrogation inscrit sur sa fiche de présélection relativement à son expérience comme porte-parole officiel. Je suis conscient également du fait que cette affaire n'a pas trait à des emplois de nature générique. Il n'est pas contesté que chaque poste EX est unique et exige des compétences, des aptitudes, des connaissances et un bagage scolaire différents. L'accession à un poste EX n'a rien de simple ni d'automatique.

[36] Compte tenu de tous ces éléments, je suis convaincu qu'on devrait réduire les pertes salariales du plaignant des deux tiers (2/3) afin de tenir compte du niveau d'incertitude relativement élevé quant à son accession au poste à l'issue du concours final.

[37] Un autre élément doit aussi être pris en compte. Ainsi que l'a indiqué la Cour d'appel fédérale dans McAlpine (précité) (paragraphe 14), seulement la perte qui est raisonnablement prévisible est recouvrable. La victime de l'acte discriminatoire doit donc démontrer qu'elle a pris des mesures raisonnables pour atténuer sa perte (voir le par. 14 de l'arrêt Morgan); par exemple, en l'instance, le plaignant doit démontrer qu'il a pris des initiatives de nature à améliorer ses chances de réussir à accéder à un poste de niveau EX et poser sa candidature à de tels postes lorsque l'occasion se présentait.

[38] En 1997, le Dr Chopra a été nommé chef de la Division des médicaments antiparasitaires, endocriniens et du système nerveux central au Bureau des médicaments vétérinaires, poste qui lui a permis d'acquérir quatre mois d'expérience en gestion hiérarchique. Cependant, au cours des années qui ont suivi, il n'a participé à aucun concours en vue d'être promu à un poste de niveau EX. En 2002, le Dr Chopra s'est vu offrir la possibilité d'agir comme chef intérimaire de l'Équipe de l'innocuité microbiologique à la Division de l'innocuité pour les humains. Au cours de son témoignage, il a dit avoir refusé cette offre en guise de protestation, indiquant qu'une telle mesure de dotation aurait été inéquitable envers ses collègues. Cependant, dans sa lettre de refus, il invoque comme raison pour justifier son rejet de l'offre le fait que le poste ne représenterait pas pour lui de l'avancement. Comme il était un employé au niveau VM-4, le fait d'occuper à titre intérimaire le poste proposé de niveau REM-01 n'aurait pas été considéré comme une promotion. C'est peut-être vrai; toutefois, s'il avait accepté le poste, il aurait acquis une expérience supplémentaire cruciale en gestion hiérarchique. On a produit en l'espèce des éléments de preuve démontrant que des employés acceptent souvent de nouveaux postes même si ceux-ci ne représentent pas techniquement des promotions, dans le seul but d'acquérir de l'expérience en vue d'obtenir éventuellement de l'avancement.

[39] Somme toute, abstraction faite du concours de 1993 au Bureau des médicaments vétérinaires, auquel j'ai fait référence dans ma décision antérieure, aucun élément de preuve n'a été présenté pour établir que le Dr Chopra avait depuis postulé pour d'autres postes d'une durée indéterminée au niveau EX. Sa candidature a été éliminée à la présélection dans le cadre de deux concours visant à pourvoir des postes au niveau VM-5, et ce, à une date relativement récente (2002). Le Dr Chopra a peut-être estimé qu'il n'avait aucune chance de succès. Peut-être ressentait-il une certaine frustration à la suite de ses tentatives antérieures pour obtenir de l'avancement. Cependant, le fait demeure que le seul constat de discrimination en ce qui touche le Dr Chopra a trait à la dotation du poste de directeur intérimaire du BMHP en 1990. Dans ma décision antérieure en l'espèce, j'ai conclu que le Dr Chopra avait avant 1990 négligé de saisir plusieurs occasions d'avancement qui s'étaient présentées à lui. Il était peu disposé à chercher des promotions dans des secteurs qui ne correspondaient pas directement à son domaine de spécialisation, et ce, même si, dans le cas des employés EX, les aptitudes en gestion supérieure sont généralement plus importantes que les connaissances spécialisées dans une discipline scientifique particulière. J'ai conclu qu'il n'y avait pas eu de discrimination durant cette période de temps. La preuve a révélé que cette tendance persiste encore aujourd'hui. Je ne suis pas persuadé que le plaignant a pris toutes les mesures raisonnables pour minimiser ses dommages.

[40] Compte tenu de ces lacunes en ce qui touche l'obligation du Dr Chopra d'atténuer les dommages, je conclus que le droit du plaignant à un dédommagement devrait se limiter à une période de six ans à compter de la date où la CFP a confirmé la nomination de Mme Franklin au poste, soit le 21 avril 1992.

[41] En résumé, le plaignant a droit à une somme équivalant au tiers (1/3) de ses pertes au titre du salaire et des avantages au niveau EX-2 pendant une période de six ans allant du 21 avril 1992 au 20 avril 1998.

C. Indemnisation des pertes salariales au-delà du niveau EX-2

[42] Le Dr Chopra a demandé d'être indemnisé des pertes salariales se rattachant aux promotions qu'il aurait reçues après avoir obtenu le poste à durée indéterminée de directeur du BMHP en 1992. Selon lui, il aurait atteint le niveau EX-3 vers 1995, le niveau EX-4 avant 1998 et le niveau EX-5 avant 2001.

[43] À l'appui de sa demande, le Dr Chopra a invoqué le témoignage de M. John Samuel, D.Ph, qui a témoigné à titre d'expert en discrimination systémique et cheminement de carrière dans la fonction publique fédérale. M. Samuel a décrit les efforts qui ont été déployés depuis le début des années 90 afin de promouvoir la mobilité vers le haut des membres des minorités visibles au sein de la fonction publique, par suite desquels ces derniers ont peut-être été avantagés dans le processus d'avancement. De l'avis de M. Samuel, si le Dr Chopra avait pu accéder initialement à un poste de niveau EX, il aurait profité du fruit de ces efforts, ajoutant qu'il serait [TRADUCTION] fort probablement parvenu à gravir l'échelle EX, compte tenu [TRADUCTION] de ses compétences, de sa détermination et de sa ténacité .

[44] J'ai de la difficulté à accepter les conclusions de M. Samuel. D'abord, la façon dont il est parvenu à sa conclusion quant aux compétences, à la détermination et à la ténacité du Dr Chopra n'est pas claire. Il semble que, essentiellement, M. Samuel ait examiné le curriculum vitae du Dr Chopra et ait conclu qu'il était une personne hautement motivée dont les compétences étaient [TRADUCTION] nettement supérieures à celles qui sont requises pour le genre de postes qu'il a pu occuper dans la fonction publique . Selon M. Samuel, le cheminement de carrière d'autres employés de niveau EX indique que le plaignant aurait réussi à se hisser aux paliers de gestion les plus élevés. Cependant, l'analyse que fait M. Samuel du déroulement de la carrière des employés qui auraient été au même niveau (EX-2) que le Dr Chopra en 1992 était incomplète et non concluante. Son analyse n'a porté que sur quelques personnes. En outre, le contre-interrogatoire a révélé que plusieurs d'entre elles n'étaient pas de bons sujets de comparaison.

[45] M. Samuel a nommé une poignée de membres faisant partie de groupes des minorités visibles qui ont occupé des postes dans la haute fonction publique au cours de la dernière décennie. Cependant, peu d'entre eux, voire aucun, n'auraient été des égaux (EX-2) du Dr Chopra en 1992. Aucune comparaison n'a été faite entre la progression professionnelle des membres faisant partie des groupes des minorités visibles et celle des autres employés, afin d'appuyer la prétention voulant que le Dr Chopra aurait tiré profit de la politique du gouvernement consistant à favoriser l'avancement des membres de groupes minoritaires et qu'il aurait ainsi pu accéder à un poste de sous-ministre adjoint en 1998, comme le prétend M. Samuel. Par ailleurs, j'ai des doutes au sujet de l'objectivité de l'expert. Il a démontré des affinités avec le plaignant et sa cause et il a fait preuve d'une attitude hostile envers l'intimé. Ainsi, il a déclaré à un moment donné qu'il n'avait pas confiance même dans les données les plus élémentaires sur l'emploi et la progression professionnelle produites par Santé Canada, car à son avis [TRADUCTION] l'évaluation culturelle [de Santé Canada] n'est pas favorable et le ministère [TRADUCTION] n'est pas très bien disposé à l'égard des personnes de certaines origines .

[46] Toutefois, abstraction faite de l'objectivité du témoignage de l'expert, je ne suis simplement pas convaincu qu'un refus de promouvoir le Dr Chopra à un poste de niveau EX-3 ou supérieur constituait une possibilité sérieuse. N'oublions pas que la conduite discriminatoire de l'intimé était liée au fait que celui-ci n'a pas nommé le Dr Chopra au poste de directeur intérimaire de la BMHP en 1990. La conclusion selon laquelle il aurait existé même une possibilité sérieuse que le Dr Chopra accède aux échelons supérieurs de la haute fonction publique simplement parce qu'il aurait occupé à titre intérimaire le poste de directeur pendant un peu plus de cinq mois, est beaucoup trop lointaine et hypothétique, particulièrement lorsqu'on tient compte également des préoccupations en matière d'atténuation des pertes dont nous avons fait état ci-haut, ainsi que de la nature particulière de chaque poste EX. Nul ne peut présumer qu'il obtiendra automatiquement de l'avancement au sein de la hiérarchie des EX dans le cours normal de sa carrière. La demande du plaignant relative à l'indemnisation de ses pertes salariales au-delà du niveau EX-2 est rejetée.

D. Indemnisation des pertes salariales - autre poste de niveau EX

[47] J'ai déjà conclu qu'il existait un niveau important d'incertitude en ce qui touche la probabilité que le plaignant ait pu réussir à obtenir le poste de directeur de la BMHP à la suite du concours tenu en 1992. Cependant, le plaignant a fait valoir que même s'il avait échoué à ce moment-là, l'expérience récente en gestion qu'il aurait acquise en occupant ce poste à titre intérimaire lui aurait permis d'être nommé à un autre poste de niveau EX ultérieurement dans sa carrière.

[48] Je ne suis pas persuadé que les choses se seraient déroulées ainsi. Comme je l'ai déjà mentionné, le processus de nomination aux échelons supérieurs diffère de celui qui existe aux échelons inférieurs. Les qualités requises pour chaque poste sont particulières et la concurrence pour accéder à des postes de niveau EX semble très féroce. M. Samuel a reconnu lors de son témoignage, par exemple, que des milliers de personnes ont postulé les centaines de postes de niveau EX qu'il a analysés dans le cadre de ses travaux de recherche antérieurs.

[49] Le simple fait que le Dr Chopra aurait acquis une expérience en gestion de cinq à six mois, n'eût été de l'acte discriminatoire, ne crée pas pour autant une possibilité sérieuse qu'il soit nommé à un poste EX plus tard dans sa carrière. Il y a lieu d'établir une nette distinction par rapport à ma conclusion concernant le concours tenu en 1992 en vue de doter le poste EX-2 de directeur du BMHP. Dans ce cas-là, l'expérience qu'il aurait acquise en occupant à titre intérimaire ce poste particulier m'a amené à conclure qu'il existait une possibilité simple mais sérieuse qu'il soit le candidat heureux. Je ne puis tirer la même conclusion en ce qui touche n'importe quel autre poste EX qui a été doté au cours des douze dernières années, d'autant plus qu'aucun autre élément de preuve n'a été produit pour démontrer que le Dr Chopra aurait été plus compétent pour occuper un poste de niveau EX particulier s'il avait acquis une expérience récente en gestion en remplissant à titre intérimaire les fonctions de directeur du BMHP. En fait, le plaignant a réussi à acquérir une expérience récente en gestion cinq années plus tard, en 1997, lorsqu'il a été chef intérimaire d'une division. Néanmoins, cela ne lui a pas pour autant permis d'être nommé à un poste de niveau EX pour une période indéterminée au cours des années qui ont suivi.

[50] Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que le simple fait d'occuper à titre intérimaire le titre de directeur du BMHP pendant un peu plus de cinq mois en 1990-1991 aurait créé une possibilité sérieuse que le plaignant puisse être nommé ultérieurement, pour une période indéterminée, à un autre poste de niveau EX.

E. Demande visant à nommer sans tarder le Dr Chopra à un poste de niveau EX

[51] Outre sa demande d'indemnisation de ses pertes salariales, le plaignant prie le Tribunal de rendre une ordonnance visant à le nommer sans tarder à un poste de niveau EX. Bien que j'aie conclu que, n'eût été de l'acte discriminatoire, il existait une possibilité simple mais sérieuse qu'il obtienne le poste de directeur du BMHP à l'issue du concours tenu en 1992, j'ai également réduit le montant du dédommagement afin de tenir compte, d'une part, du niveau d'incertitude élevé qui existait quant à ses chances d'obtenir le poste et, d'autre part, des lacunes en ce qui touche à son obligation d'atténuer ses pertes, comme le veut le critère énoncé dans l'arrêt Morgan. Par conséquent, je suis convaincu qu'il a été entièrement dédommagé des pertes qu'il a subies du fait qu'il n'a pas été promu. Dans les circonstances, il n'y a pas lieu d'ordonner que le Dr Chopra soit maintenant nommé à un poste de niveau EX.

F. Majoration au titre de l'impôt à payer

[52] Le versement au Dr Chopra d'une somme forfaitaire pour compenser les pertes salariales qu'il a subies pendant plusieurs années risque d'entraîner une augmentation soudaine de son fardeau fiscal. Par conséquent, j'ordonne à l'intimé de verser au Dr Chopra une somme supplémentaire suffisante pour compenser tout l'impôt supplémentaire qu'il pourrait avoir à payer en raison de l'indemnité.

G. Dommages-intérêts non pécuniaires

[53] En l'espèce, l'acte discriminatoire est survenu en 1990, soit avant l'adoption des modifications apportées à la Loi en 1998 par suite de l'adoption du projet de loi S-5. Aux termes de l'ancienne version de la Loi (paragraphe 53(3)), une victime pouvait obtenir une indemnité maximale de 5 000 $ à titre de dommages-intérêts non pécuniaires. La nouvelle version de la Loi permet d'accorder une indemnité pouvant atteindre 20 000 $ pour préjudice moral (al. 53(2)e)) et une somme additionnelle pouvant atteindre 20 000 $ si le Tribunal en vient à la conclusion que l'acte reproché a été délibéré ou inconsidéré (par. 53(3)).

[54] Le Dr Chopra prétend avoir droit à une indemnisation aux termes des nouvelles dispositions de la Loi. Dans Nkwazi (précitée), le Tribunal a affirmé (par. 257 à 270) que ces dispositions n'ont pas d'effet rétroactif et ne sauraient, par conséquent, être appliquées dans des cas où la conduite discriminatoire est survenue avant l'entrée en vigueur des modifications à la Loi. L'avocat du plaignant a respectueusement fait valoir que cette interprétation est erronée. J'ai soigneusement examiné la décision Nkwazi et les textes de référence cités par l'avocat du plaignant, mais ses arguments ne m'ont pas convaincu. Je souscris plutôt aux conclusions énoncées par le Tribunal dans Nkwazi. La demande de dommages-intérêts non pécuniaires du Dr Chopra demeure donc assujettie à l'ancienne version de la Loi.

[55] Dans son témoignage, le Dr Chopra a expliqué que son incapacité d'accéder à un poste de niveau EX avait entraîné des répercussions psychologiques et avait été une source d'embarras. Il a parlé de la gêne qu'il ressentait au travail et du fait que des collègues le fuyaient, en raison principalement de la publicité entourant son cas. Cependant, je suis conscient du fait qu'une partie de cette publicité est attribuable à des questions qui ne sont pas liées à la présente plainte.

[56] En ce qui touche l'indemnité à accorder à ce chapitre, il ne faut pas oublier que la somme maximale (5 000 $) ne doit être accordée que dans le pire des cas (Premakumar c. Air Canada (2002), C.H.R.R. D/63, au par. 107 (TCDP); Desormeaux c. Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton 2003 TCDP 2 au par. 128). Au regard de l'ensemble des circonstances entourant cette affaire, j'ordonne à l'intimé de verser au plaignant une somme de 3 500 $ à titre d'indemnité spéciale aux termes du par. 53(3) de l'ancienne version de la Loi.

H. Intérêts

[57] Le plaignant et la Commission ont soutenu que le calcul des intérêts devrait être fondé sur les taux établis conformément à la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. C-43, étant donné que l'acte discriminatoire a eu lieu en Ontario, province où réside d'ailleurs le Dr Chopra. Selon eux, les taux applicables aux obligations d'épargne du Canada (OEC) sont conservateurs et ne permettraient pas d'indemniser de façon satisfaisante le plaignant de ses pertes. Je ne suis pas persuadé de cela. Aucun élément de preuve n'a été présenté pour démontrer en quoi les taux applicables aux OEC ou d'autres taux fixés par la Banque du Canada ne permettraient pas de dédommager entièrement le plaignant des pertes qu'il a subies. Est-ce que, par exemple, ces taux ont été inférieurs au taux d'inflation au cours de la période visée? On a fait valoir que cette procédure avait été ponctuée de longs retards et qu'aucun de ces retards n'était imputable au plaignant. C'est peut-être le cas, mais l'intimé n'est pas lui non plus responsable de cette situation, à mon avis. Les délais s'expliquent en grande partie par le fait que cette affaire a suivi un parcours sinueux - du Tribunal à la Cour fédérale puis à nouveau au Tribunal.

[58] Le Tribunal a adopté dans ses récentes décisions le taux d'escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle), et je ne vois aucune raison de ne pas faire de même en l'espèce (voir Bushey c. Sharma 2003 TCDP 21 au par. 147; Groupe d'aide et d'information sur le harcèlement sexuel au travail de la province de Québec Inc. c. Barbe 2003 TCDP 24, au par. 77; Boudreault c. Great Circle Marine Services Inc. 2004 TCDP 21, au par. 117).

[59] Je ne suis pas persuadé non plus que le plaignant a droit à des intérêts composés, ainsi qu'il le voudrait. Le versement d'intérêts composés est justifié si, et seulement si, compte tenu des éléments de preuve et des circonstances entourant l'affaire, cette mesure s'impose pour compenser les pertes subies (voir Morgan (précitée), à la page 420). Abstraction faite de la longue période qui s'est écoulée entre la date de la plainte (16 septembre 1992) et celle de ma décision (13 août 2001), je ne vois en l'espèce aucune circonstance qui distingue cette affaire des autres plaintes dont le Tribunal est habituellement saisi. J'ai déjà expliqué que personne n'est responsable des retards. Je ne suis pas convaincu que les retards ont créé des circonstances spéciales faisant en sorte que le plaignant ne serait pas entièrement indemnisé par suite du versement d'intérêts simples.

[60] Toutes les indemnités accordées par la présente décision donnent donc droit à des intérêts simples, qui doivent être calculés sur une base annuelle en appliquant un taux équivalant au taux d'escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle). Les intérêts à l'égard des pertes salariales doivent être calculés en fonction des dates où les salaires auraient été versés, conformément aux conclusions énoncées dans la présente décision.

[61] En ce qui concerne l'indemnité accordée à titre de dommages-intérêts non pécuniaires, il faut remonter jusqu'au 20 octobre 1990 aux fins du calcul des intérêts. Cependant, le montant des intérêts ne doit en aucun cas dépasser le maximum permis de 5 000 $ (Canada (Procureur général) c. Hébert (1995), C.H.R.R. D/375, au par. 23 (C.F., 1re inst.)).

I. Affichage de la décision

[62] Le plaignant a demandé que le Tribunal rende une ordonnance exigeant que cette décision soit affichée dans les locaux de Santé Canada et diffusée à l'échelle du pays, par voie de courrier électronique, à tous les employés du ministère. Une telle mesure s'inscrirait, a-t-on soutenu, dans le cadre de l'objectif éducatif de la législation sur les droits de la personne. L'intimé s'est opposé à cette demande.

[63] Je ne pense pas qu'une telle ordonnance soit nécessaire. Je ne vois pas comment un envoi massif par courrier électronique et la publication à grande échelle d'une décision énonçant les détails du dédommagement auquel l'intimé a droit pourrait contribuer de façon importante à promouvoir les droits de la personne. Il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit en l'occurrence d'un cas de discrimination individuelle. Je n'ai fait aucun constat de discrimination systémique. En outre, cette affaire a fait l'objet d'une vaste couverture dans les médias du pays au moment où ma décision antérieure a été rendue publique, et le plaignant n'a pas demandé d'affichage avant la diffusion. En tout état de cause, cette décision, à l'instar de toutes les décisions antérieures, est et demeurera accessible au public par le biais d'Internet. L'adresse du site Web du Tribunal est www.chrt-tcdp.gc.ca.

IV. Maintien de la compétence

[64] Je conserve ma compétence en l'espèce pour le cas où les parties ne seraient pas en mesure de s'entendre sur l'évaluation quantitative ou l'application d'une des mesures de redressement ordonnées par la présente.

Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)
Le 17 août 2004

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T492/0098

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Shiv Chopra c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social

DATE ET LIEU

DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)
Les 3, 4, 5, 15 et 16 septembre 2003
Le 11 décembre 2003
Les 25, 26 et 29 mars 2004
Les 1 et 2 avril 2004

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 17 août 2004

ONT COMPARU :

David Yazbeck

Pour le plaignant

Peter Engelmann

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

David Migicovsky

Pour l'intimé

Référence : D.T. 10/01

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