Tribunal canadien des droits de la personne

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DT 1/ 89 Décision rendue le 4 janvier 1989

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (S. C. 1976- 77, c. 33, version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE ANDRÉ SÉGUIN GEORGE TUSKOVICH Plaignants - et LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA Mise en cause

DÉCISION DEVANT: KEVIN W. HOPE

ONT COMPARU: GEORGE HUNTER et CAROL BROWN Avocats des plaignants et de la Commission canadienne des droits de la personne

DONALD RENNIE ET ALAIN PRÉFONTAINE Avocats de la mise en cause

DATES ET LIEUX DES AUDIENCES: du 19 au 23 septembre 1988 du 25 au 27 octobre 1988 à Ottawa (Ontario)

> DÉCISION

Le présent tribunal a été nommé en vertu du paragraphe 39( 1.1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) pour instruire les plaintes de Sylvain Lafontaine, en date du 21 mai 1985, et d’André Séguin, en date du 6 juin 1985, ainsi que les deux plaintes de George Tuskovich, datées du 21 juin 1985, aux termes des articles 7, 8 et 10 de la LCDP, contre la Gendarmerie royale du Canada (GRC). L’audience s’est tenue à Ottawa du 19 au 23 septembre 1988 et du 25 au 27 octobre 1988.

M. Lafontaine ne s’est pas présenté devant le tribunal pour établir le bien- fondé de sa plainte en discrimination. Celle- ci a donc été rejetée le 20 septembre 1988.

La mise en cause a reconnu le bien- fondé apparent des plaintes déposées par les deux autres plaignants, qui ont tous deux comparu devant le tribunal

pour présenter leur preuve. LES FAITS On a refusé à M. Séguin et à M. Tuskovich la possibilité de présenter leur candidature au poste de gendarme spécial, garde stationnaire, à la GRC, parce que leur acuité visuelle, sans correction, ne répondait pas aux normes minimales de la GRC. Tous deux ont allégué qu’ils avaient subi une discrimination fondée sur la déficience physique, en contravention de la LCDP.

Les normes minimales de la GRC relatives à l’acuité visuelle sans aide (correction) pour les gendarmes spéciaux, gardes stationnaires, et pour les membres réguliers, sont les suivantes:

a) 20/ 60 pour chaque oeil; ou b) 20/ 40 pour un oeil et 20/ 100 pour l’autre.

L’acuité visuelle de M. Séguin s’établissait à 20/ 80 pour l’oeil droit et 20/ 200 pour l’oeil gauche. Quant à M. Tuskovich, il avait une acuité de 20/ 400 pour chaque oeil, sans correction. Tous deux avaient une vision corrigée de 20/ 20 pour chaque oeil.

Dans son témoignage, M. Séguin a déclaré qu’il avait suivi pendant deux ans un cours d’administration juridique sanctionné par un diplôme où il avait obtenu de très bons résultats. Il était en excellente santé au moment où il a pressenti la GRC. Il faisait de la boxe et avait travaillé comme gardien de sécurité privé et agent des douanes pendant ses études collégiales. Depuis son rejet par la GRC, il s’est inscrit à l’université où il suit des cours en criminologie et en philosophie. Son ambition, a- t- il affirmé, a toujours été d’entrer à la GRC et je ne doute- pas que, n’eût été de son acuité visuelle insuffisante, il aurait été un excellent candidat. Le refus de la GRC a provoqué chez lui de la colère et de l’embarras.

> - 2 M. Tuskovich possède un certificat de pédagogie et un baccalauréat ès arts. Il a d’abord enseigné, puis a travaillé dans le domaine de l’assurance- vie pendant de nombreuses années avant de devenir gardien de sécurité dans le secteur privé. Pour les besoins de son travail comme gardien de sécurité, il avait reçu une formation minimale, mais savait utiliser un pistolet. Devant le refus de la GRC, M. Tuskovich a ressenti de la colère et de la déception. Il est depuis retourné au secteur de l’assurance- vie.

M. Séguin et M. Tuskovich sont tous deux conscients qu’il y avait davantage de candidats que de postes disponibles et que le fait de posséder une acuité visuelle suffisante sans correction n’aurait pas nécessairement garanti leur admission au Programme des gendarmes spéciaux de la GRC.

Après la déposition des plaignants, la mise en cause a amorcé sa propre preuve en affirmant que ses normes minimales d’acuité visuelle sans correction constituaient une exigence professionnelle justifiée, selon les termes du paragraphe 14( a) de la LCDP, qui se lit comme suit:

"14. Ne constituent pas des actes discriminatoires a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent

d’exigences professionnelles justifiées;" M. Moffatt

Le Sous- commissaire Moffatt a témoigné au nom de la mise en cause. Il est responsable de l’administration à l’intérieur de la GRC, y compris de l’administration du personnel, et relève directement du Commissaire, lequel est le premier responsable de l’application de la loi au pays. M. Moffatt a une vaste expérience acquise dans divers services de la GRC au cours de sa carrière, longue de 37 ans. Il a notamment travaillé dans le domaine de la formation et de l’établissement des normes applicables aux recrues.

M. Moffatt nous a appris qu’il existait quatre catégories d’employés à la GRC:

  1. les membres réguliers;
  2. les gendarmes spéciaux;
  3. les membres civils; et
  4. les employés de la fonction publique.

> - 3 Jusqu’à récemment, les gendarmes spéciaux appartenaient à la catégorie des membres réguliers. La deuxième catégorie a dû être créée en raison de certains problèmes administratifs. Les troisième et quatrième catégories regroupent les personnes embauchées pour exécuter des fonctions scientifiques, techniques et administratives qui ne demandent pas le statut d’agent de la paix.

Les plaignants, s’ils avaient été admis à la GRC, se seraient joints à la deuxième catégorie. Tout comme les membres réguliers, les gendarmes spéciaux sont des agents de la paix qui, normalement, exercent leurs fonctions en uniforme.

Les gendarmes spéciaux et les membres réguliers doivent prêter le serment d’allégeance et peuvent être affectés n’importe où au Canada, selon les besoins de la GRC. Les membres de ces deux catégories doivent pouvoir exécuter toutes les fonctions qui sont dévolues aux agents de la paix partout au Canada. Alors que les gendarmes spéciaux sont moins souvent mutés d’un point à l’autre du pays, ils restent sujets à la même obligation de service illimitée que les membres réguliers et peuvent être appelés à remplir n’importe quel rôle d’agent de la paix au sein de la GRC, selon ce que les circonstances exigent.

M. Moffatt a également déclaré dans son témoignage que les gendarmes spéciaux sont souvent promus au rang de membre régulier, généralement lorsque leur rendement le justifie. Une fois promu, le gendarme spécial reçoit une formation supplémentaire avant d’être déployé en tant que membre régulier.

Il a indiqué que les gardes stationnaires de la GRC, même si on leur attribue d’autres fonctions, peuvent être appelés à fournir une assistance à titre d’agent de la paix pour surveiller certaines manifestations sur la Colline parlementaire, pour assurer la sécurité dans un aéroport lorsqu’il y a menace particulière et pour protéger des personnalités importantes. Il n’est pas rare que les gendarmes spéciaux soient appelés à remplir des fonctions autres que celles qu’ils assument généralement.

Maintenant, les gendarmes spéciaux sont le plus souvent affectés à la

sécurité des aéroports, à la protection des personnalités importantes, à la Colline parlementaire et à la protection des ambassades. Comme on le sait, les activités terroristes augmentent. Ce sont eux qui forment la première ligne de défense dans ces positions.

> - 4 M. Moffatt a fait l’historique des normes visuelles de la GRC. Au départ, la Gendarmerie royale ne possédait pas ses propres services de santé. Elle comptait donc sur les Forces armées pour l’établissement des normes. En 1966, la GRC a révisé ces normes une première fois, et elle l’a fait de nouveau en 1982, lorsqu’a été créé le poste de directeur des services de santé. Le titulaire en place a alors effectué une étude approfondie des normes en vigueur dans les autres corps de police du Canada. Il s’est rendu compte que celles de la GRC comptaient parmi les moins sévères. Il a également constaté que les normes de la GRC correspondaient aux recommandations contenues dans une étude de l’Association canadienne d’ophtalmogie, exécutée pour l’Association canadienne des chefs de police, organisme auquel la GRC appartient.

La GRC n’a effectué aucune étude particulière, de nature scientifique ou médicale, pour déterminer quelles devaient être les normes d’acuité visuelle minimales applicables aux gardiens stationnaires ou aux membres ordinaires. Au départ, elle s’est appuyée sur les renseignements obtenus des forces armées, puis sur des études américaines et, enfin, sur celles de l’Association canadienne d’ophtalmogie.

Par ailleurs, M. Moffatt a également fait état dans son témoignage de 13 plaintes déposées auprès de la Commission canadienne des droits de la personne entre 1979 et 1988. il s’agissait chaque fois de personnes à qui la GRC avait refusé un poste, faute de conformité à ses normes d’acuité visuelle. Dans chacune de ces affaires, la Commission avait accepté la position de la GRC, selon laquelle les normes (il s’agit des mêmes ici) constituaient une exigence professionnelle justifiée. Dans aucun des cas la Commission n’a eu recours à une audience pour rendre la décision. En présentant ces éléments de preuve, la mise en cause ne cherchait pas à montrer quelles devaient être les normes ou a prouver qu’elles constituaient une exigence professionnelle justifiée, mais plutôt à faire comprendre qu’elle était de bonne foi en maintenant les mêmes normes et en les appliquant aux plaignants en l’espèce. Plusieurs documents concernant ces plaintes passées et les décisions de la Commission ont été déposés comme pièces à conviction.

La mise en cause a d’autre part signalé au tribunal les normes adoptées par l’Office des normes générales du Canada pour les gardiens de sécurité en uniforme (cette norme a été publiée par l’Office en 1987). A la page 3, paragraphe 3.2.3, on lit ce qui suit:

> - 5 (traduction)

"Acuité visuelle - la vision doit être égale ou supérieure à 20/ 60 pour chacun des deux yeux, sans lunettes ni lentilles..."

Ce document avait été soumis pour examen à la Commission canadienne des droits de la personne, au cas où il contreviendrait à la LCDP. Le 13 fèvrier

1988, la Commission avait fait parvenir au Conseil canadien des normes une lettre signée de M. R. G. L. Fairweather. Celui- ci n’y faisait aucune mention de la norme relative à l’acuité visuelle mentionnée ci- dessus. Comme l’a souligné M. Moffatt, cette norme était plus sévère que celle de la GRC (qui autorise également 20/ 40 pour un oeil et 20/ 100 pour l’autre).

M. Moffatt a par ailleurs expliqué que la GRC tient des profils médicaux réunissant les normes applicables à divers postes. Ces profils servent à guider les personnes responsables de la dotation. On peut y déroger lorsque les circonstances l’imposent. En principe, ces normes ne s’appliquent toutefois qu’aux membres déjà en place. L’expérience, les connaissances et les capacités sont alors prises également en considération pour l’attribution des postes. Ce profil n’a pas été conçu pour s’appliquer aux recrues qui entrent dans la Gendarmerie royale. M. Moffatt a affirmé dans son témoignage qu’à sa connaissance, les normes d’acuité visuelle de la GRC n’ont jamais fait l’objet d’une dérogation lorsqu’il s’agissait de recruter des nouveaux candidats pour remplir les fonctions de gardes stationnaires.

Les membres déjà en place dans la GRC doivent subir des examens médicaux réguliers, notamment des examens de la vue. Lorsqu’une personne ne répond pas aux normes, c’est un conseil médical d’examen qui fait des recommandations à l’officier responsable du service en question. On décide à ce moment- là s’il est possible d’attribuer à cette personne un poste, qui lui convient, à défaut de quoi elle peut recevoir son congé de la GRC.

M. Moffatt a reconnu que les normes de la GRC sont plus souples pour les agents qui ont déjà acquis une expérience. L’organisme, un peu paternaliste, hésite à renvoyer l’un de ses membres parce qu’il ne répond plus à certaines normes médicales au moment d’un réexamen, à moins que la chose ne soit absolument nécessaire.

M. Moffatt a affirmé dans son témoignage que les agents de la GRC courent le risque d’être blessés ou même tués dans l’exercice de leurs fonctions. Tant le public que leurs collègues comptent sur eux, et les situations dangereuses sont souvent impossibles à prévoir.

> - 6 A ce propos, M. Moffatt a raconté un incident survenu à Verdon (Manitoba). Un gendarme spécial de la GRC avait perdu ses lunettes au cours d’une fusillade. Mais, même sans lunettes, il avait pu tirer pour se défendre, blessant l’un des agresseurs, et aider un de ses collègues blessé. IL avait ensuite poursuivi les malfaiteurs en voiture jusqu’à ce que son véhicule tombe en panne à cause des impacts de balles.

Lors du contre- interrogatoire, M. Moffatt a nuancé son témoignage concernant les normes d’acuité visuelle imposées aux gendarmes spéciaux. Certains sont embauchés pour remplir des fonctions autres que celles d’agent de la paix. Par exemple, les membres de l’orchestre de la GRC et les mécaniciens peuvent être recrutés à titre de gendarmes spéciaux, mais on n’exige pas d’eux qu’ils répondent aux mêmes normes d’acuité visuelle que les gardes stationnaires ou les gardiens de sécurité des aéroports, qui sont embauchés à titre d’agents de la paix et doivent répondre aux normes applicables aux membres réguliers.

Lors du contre- interrogatoire, la Commission a également déposé une lettre d’un certain Dr Liddy qui a examiné en 1979 les exigences de la GRC en

matière de vision. Cette lettre, datée du 23 mai 1979, indique que les normes de la GRC sont raisonnables (à l’admission), sans que, toutefois (traduction) cela signifie que la situation des membres du personnel déjà formés doive être compromise si leur acuité visuelle descend au- dessous de ces niveaux. M. Moffatt a reconnu que, dans le cas de membres déjà en place, certains facteurs comme l’expérience et les connaissances doivent entrer en ligne de compte. Il n’a toutefois pas déclaré que les normes de vision imposées ont ou devraient faire l’objet de dérogations pour certains membres nouveaux ou anciens de la force. A cet égard, son témoignage a confirmé ce qu’il avait déclaré auparavant au sujet des mécanismes en place pour régler le cas des personnes qui, à un moment ou l’autre, ne répondent plus aux normes médicales.

M. Murray La mise en cause a ensuite appelé comme témoin le Commissaire adjoint Murray, qui est directeur de la Police de protection pour l’ensemble du Canada. Il s’agit du volet protection de la GRC.

M. Murray a expliqué la façon dont son service évalue les menaces et déploie les membres de son personnel dans divers postes de protection, notamment auprès de la personne du Premier ministre, sur la colline du Parlement, à la Cour suprême du Canada, dans certains aéroports ainsi qu’auprès des ambassades étrangères et des dignitaires. Les gendarmes spéciaux sont couramment affectés à ces postes de protection.

> - 7 Dans son témoignage, M. Murray a expliqué que la protection des ambassades et des diplomates étrangers avait été réévaluée, à la suite des attaques terroristes contre les diplomates turcs et l’ambassade de Turquie. Dans ce dernier cas, un garde stationnaire employé par un organisme privé avait été tué par balle. C’était en 1982. Depuis cette date, les gardes du secteur privé ont été remplacés par des gendarmes spéciaux de la GRC, chaque fois que l’on a jugé qu’il existait une réelle menace d’agression.

On compte actuellement 96 postes, lesquels sont protégés par 750 à 800 gendarmes spéciaux de la GRC. Quatre cents autres agents sont déployés dans les aéroports du Canada. Les milieux ou travaillent les gardes stationnaires varient considérablement: des guérites blindées aux patrouilles à pied, en passant par les aéroports et la Colline parlementaire.

Les gendarmes- spéciaux, gardes stationnaires, sont armés de revolvers normaux de la GRC et, dans les postes à haut risque, de mitraillettes.

Les gendarmes spéciaux et les membres réguliers qui travaillent aux services de protection sont informés ensemble avant chaque période de travail. Ceux qui agissent comme gardes stationnaires sont généralement déplacés d’un poste à l’autre toutes les deux heures, par roulement, afin de rompre la monotonie. L’effectif de sécurité est considéré comme un réservoir à la GRC. Aussi, les fonctions d’un agent de police spécial peuvent- elles changer de temps à autre, selon les circonstances.

Les gardes stationnaires sont les yeux et les oreilles de la GRC; c’est là leur fonction première. D’après M. Murray, il est important qu’ils aient une bonne vue, car ils sont chargés d’observer ce qui se passe et de sonner l’alarme en cas d’attaque. Les terroristes qui veulent prendre une position d’assaut, dit- il, procèdent généralement par surprise, comme ils

l’ont fait dans le cas de l’ambassade de Turquie. Ils peuvent utiliser des grenades cataplexiantes, des grenades fumigènes, dés gaz lacrymogènes et des tactiques de diversion -- n’importe quoi, en fait, pour atteindre leurs objectifs. La seconde fonction du garde stationnaire est de constituer la première ligne de défense en cas d’attaque.

M. Murray a expliqué que les agents de police courent le risque d’être agressés lors d’un incident. Ils peuvent alors perdre leurs lunettes. La même chose peut arriver aux gardes stationnaires qui patrouillent à pied ou remplissent d’autres fonctions.

> - 8 En 1986, la GRC a procédé à une étude des services de protection dans six autres pays, y compris les États- Unis et le Royaume- Uni. Tous avaient recours à des agents de police entièrement formés, par opposition à des gendarmes spéciaux. Au Canada, on a actuellement tendance à faire appel à des membres à part entière pour l’exercice des fonctions de protection. Aussi, les gardes stationnaires sont- ils souvent promus au niveau de membres réguliers. On commence également à utiliser du matériel de surveillance de haut niveau technique. En effet, les incidents terroristes survenus récemment, poussent les responsables à améliorer les méthodes de sécurité.

Au cours du contre- interrogatoire, M. Murray a indiqué que les gardes stationnaires travaillent souvent seuls et qu’ils doivent être vigilants et capables de supporter l’ennui. Au moment de l’embauche, certaines caractéristiques, comme la vigilance, ne sont pas prises en compte dans la sélection; elles sont toutefois stimulées au cours de la formation. La GRC cherche a recruter des gendarmes spéciaux qui satisfont aux mêmes normes que les membres réguliers, afin de s’assurer qu’ils rempliront leurs fonctions correctement et qu’ils pourront, éventuellement, être promus au niveau de membre à part entière.

M. Murray a affirmé qu’aucune personne possédant une acuité visuelle inférieure sans correction ne serait embauchée, même si elle pouvait donner un rendement satisfaisant par ailleurs. Chacun doit pouvoir donner un rendement satisfaisant, même s’il a perdu ses lunettes, a- t- il indiqué.

M. Murray a confirmé le témoignage de M. Moffatt, à savoir que le membre déjà en place qui ne répond plus aux normes médicales ne sera pas nécessairement mis à la rue. Sans pouvoir citer de cas particuliers, il a déclaré que le rendement au travail prenant alors une plus grande importance et que le gendarme spécial pouvait être affecté à des fonctions autres où il travaillerait en toute sécurité. Le poste de gestionnaire du parc automobile et divers autres postes administratifs en sont des exemples.

M. McCauley Le Commissaire adjoint McCauley est actuellement responsable de la formation de tous les membres de la GRC. Il a exposé en détail la formation dispensée aux nouvelles recrues à Regina (Saskatchewan).

> - 9 Les membres réguliers suivent un cours de 26 semaines portant sur toute une gamme de sujets liés aux fonctions générales du travail de police. La

formation des gendarmes spéciaux est moins complète; elle est conçue pour répondre aux besoins particuliers de leurs fonctions. Ceux- ci reçoivent également une formation générale un peu plus limitée. Ils suivent donc un cours moins long que celui des membres réguliers. Dans les cours qui sont les mêmes pour les deux groupes, les gendarmes spéciaux doivent atteindre le même niveau de compétence que les membres réguliers.

Étant donne que les gardes stationnaires sont les yeux et les oreilles de la force, de même que sa première ligne de défense en cas d’attaque, leur formation comprend des cours sur les explosifs, les gaz, les vestes protectrices, les mitraillettes et les tactiques terroristes. La GRC dispense également un programme de formation modifiée destinée à recycler les gendarmes spéciaux en vue de l’exercice de fonctions supplémentaires ou d’une promotion au rang de membre réguliers.

M. McCauley a ajouté que les gendarmes spéciaux, gardes stationnaires, recevaient une formation plus poussée que les membres réguliers dans le maniement des armes à feu. Tous les trois mois, ils doivent se qualifier à nouveau. Les gendarmes spéciaux reçoivent en outre une formation poussée en techniques d’auto- défense.

M. McCauley a déclaré qu’il était impossible de donner une définition limitée des fonctions d’un gendarme spécial. A partir du moment où une personne devient agent de la paix et endosse un uniforme, le public perçoit cette personne comme un agent de police, et il est virtuellement impossible de faire en sorte que ses fonctions soient limitées.

M. McCauley a raconté un incident récent survenu en Alberta. Un gendarme spécial, en patrouille dans un aéroport, ayant découvert une voiture volée, a engagé une action. Il a été tué par balle.

La mise en cause a déposé deux bandes vidéo de courte durée, à titre de pièces à conviction. La première, élaborée expressément pour cette audience, montre diverses techniques d’auto- défense, notamment la manière d’attaquer un agresseur aux yeux. Quant à l’autre bande, il s’agit d’un document de portée générale que l’on montre aux éventuelles recrues. Il y est question de la formation que ces futurs agents recevront.

> - 10 Si la mise en cause a déposé ces bandes vidéo, ce n’était pas pour prouver la validité des normes de la GRC en matière de vision, mais bien pour faire comprendre à quels risques l’organisme cherche à faire face en maintenant des exigences élevées en matière d’acuité visuelle sans correction, et notamment le risque de perte des lunettes correctrices en cas de confrontation physique.

La Commission a soulevé une objection à propos de ces éléments de preuve, à savoir qu’ils ne concernaient qu’un seul aspect de la formation de la GRC et qu’ils risquaient d’être provocateurs.

Le présent tribunal a visionné les bandes vidéo. Elles ne m’ont toutefois pas été très utiles. En conséquence, elles ont très peu pèse dans ma décision.

Au cours du contre- interrogatoire, M. McCauley a affirmé qu’à sa connaissance, aucun garde stationnaire de la GRC n’avait jamais utilisé une mitraillette ou un revolver de service dans l’exécution de ses fonctions. Il

ne connaissait pas non plus de cas de gardes stationnaires dont les lunettes ou les lentilles de contact avaient été délogées ou embuées pendant le travail. Il a affirmé ne pas connaître d’études menées expressément par la GRC, ou en son nom, sur ce sujet. Les responsabilités de M. McCauley concernent la formation, et non pas les opérations.

M. McCauley a également déclaré que les futurs policiers ne portent pas de lunettes lorsqu’ils suivent leurs cours d’autodéfense. Les lunettes de protection servent uniquement pour le maniement des armes à feu.

Chacun de ces trois officiers de la GRC a présenté son témoignage d’une façon concise, professionnelle et courtoise. Tous trois m’ont paru extrêmement crédibles et je n’ai aucune raison de mettre leurs témoignages en doute.

La mise en cause a déposé devant le tribunal plusieurs déclarations sous serment faites par des agents de la GRC qui ont été en mission dans divers pays du monde occidental. Chacun de ces documents contient des renseignements recueillis auprès des autorités de police de ces pays sur les sujets suivants: A qui les services de protection sont- ils confiés ? Ces personnes doivent- elles répondre à des normes d’acuité visuelle sans correction ? Et quelles sont ces normes ?

> - 11 La Commission s’est opposée à ces éléments de preuve, soutenant qu’il s’agissait de oui- dire, ne pouvant par ailleurs faire l’objet d’un contre- interrogatoire. Sur les instructions du présent tribunal, l’avocat de la Commission a par la suite procédé à un contre- interrogatoire de chacun des déposants, en communiquant avec lui par téléphone dans le pays où il était affecté. Les transcriptions ont été déposées auprès du présent tribunal.

En résumé, ces déclarations sous serment font état du fait que tous les corps de police qui assurent des services de protection (par exemple les services secrets aux États- Unis) imposent des normes minimales d’acuité visuelle. Lors du contre- interrogatoire, il a été démontré que les divers agents de la GRC ne s’étaient pas simplement fiés à leurs connaissances personnelles, mais qu’ils avaient obtenu ces renseignements en en faisant la demande. Aucun d’entre eux ne savait par quels moyens les corps policiers avaient fixé leurs normes particulières.

J’aimerais souligner ici que ces documents ont été accueillis non pas en tant que preuve du bien- fondé des normes d’acuité visuelle de la GRC, mais plutôt parce qu’ils permettent de constater que d’autres corps de police du monde occidental jugent également nécessaire d’imposer des normes minimales d’acuité visuelle sans correction aux agents de police qui remplissent des fonctions analogues à celles des gardes stationnaires de la GRC.

Dr MacInnis Le Dr MacInnis, ophtalmologiste domicilié à Ottawa, a été appelé par la mise en cause comme premier témoin médical, afin de donner une opinion d’expert sur la validité, en tant qu’exigence professionnelle, des normes de la GRC en matière d’acuité visuelle sans correction. Le témoin possède des connaissances étendues dans sa spécialité. Il enseigne actuellement à l’Université d’Ottawa et donne des conférences, à titre de professeur invité, dans plusieurs autres universités. Il a à son crédit des recherches et des travaux cliniques considérables, il est membre de nombreuses associations et

comités professionnels et il a comparu devant la Commission canadienne des transports en tant qu’expert sur les normes visuelles pour les chemins de fer. Le Dr MacInnis est une autorité canadienne reconnue en matière de vision industrielle, et sa compétence n’a pas été remise en cause par la Commission. En fait, la Commission a elle- même déjà retenu les services d’expert du Dr MacInnis, à propos des normes d’acuité visuelle de la GRC lorsqu’elle instruisait d’autres plaintes.

> - 12 Selon l’opinion du Dr MacInnis, opinion qu’il a exprimée dans un mémoire écrit aussi bien que dans son témoignage verbal, la norme d’acuité visuelle de la GRC est de niveau raisonnable et constitue une exigence professionnelle justifiée.

Le Dr MacInnis a expliqué la signification de l’échelle Snellen, qui permet de mesurer l’acuité visuelle centrale. Il a également parlé d’autres aspects de la vision, y compris la vision périphérique, la vision des couleurs et l’acuité visuelle dynamique. Il a déclaré que l’échelle Snellen utilisée par la GRC pour mesurer l’acuité constitue le critère internationalement reconnu en médecine industrielle et clinique.

Il a également fait la description de certaines déficiences de la vision, ou erreurs de réfraction, ainsi que les moyens de correction disponibles, à savoir les lunettes, les lentilles de contact et les opérations chirurgicales. De l’avis du Dr MacInnis, ces moyens de correction ne conviennent pas aux agents de police, et il est donc nécessaire de leur imposer une norme minimale d’acuité visuelle sans correction. Il a déclaré être au courant de la formation et des fonctions des gardes stationnaires de la GRC et a parlé en détail de leurs responsabilités. D’après lui, les fonctions des gendarmes spéciaux, gardes stationnaires, sont analogues à celles des autres membres qui exercent des fonctions policières générales, la grande différence résidant dans la fréquence avec laquelle les uns et les autres sont appelés à exercer ces fonctions.

Abordant d’abord la question des lunettes, le Dr MacInnis a expliqué qu’elles ont tendance à tomber lorsqu’il y a violence. L’agent de police se retrouve alors réduit à sa seule acuité visuelle non corrigée.

Il a ensuite été question d’une étude de Good et Augsberger, deux optométristes de l’Ohio (une copie de cette étude a été déposée en même temps que l’opinion écrite du Dr MacInnis) qui ont examiné la question des normes d’acuité visuelle sans correction des agents de police. Ce travail comprenait deux séries de test, portant respectivement sur:

a) l’incidence de la perte des lunettes (la nécessité d’imposer une norme de vision non corrigée); et b) la détermination du niveau de la norme.

L’enquête, qui portait sur 292 agents, a permis de déterminer que 52 p. 100 d’entre eux avaient perdu leurs lunettes dans l’exercice de leurs fonctions et que 67 p. 100 avaient dû les retirer en raison de la pluie, de la neige ou du brouillard.

> - 13 -

Se fondant sur ces renseignements, le Dr MacInnis croit nécessaire d’imposer aux agents de police une norme d’acuité visuelle sans correction, y compris aux agents qui exercent des fonctions de garde stationnaire.

En ce qui concerne les lentilles de contact, le Dr MacInnis est d’avis qu’elles sont également inappropriées pour les agents de police qui ne possèdent pas une acuité visuelle d’un niveau satisfaisant sans correction. Son avis se fonde sur les risques de délogement, d’interruption permanente et d’interruption temporaire causés par les conditions climatiques, la poussière ou d’autres irritants.

L’étude de Good et Augsberger menée auprès de 108 agents de police porteurs de lentilles de contact montre que 46 p. 100 d’entre eux avaient eu les yeux suffisamment irrités pour être obligés de retirer leurs verres pendant le travail, que 9,6 p. 100 avaient perdu une lentille dans l’exercice de leurs fonctions et que 32,9 p. 100 s’étaient trouvés incapables de les porter en travaillant à cause de l’irritation.

Le Dr MacInnis a également parlé de certaines études menées dans la population en général d’après lesquelles 40 p. 100 des personnes qui portent des lentilles de contact cessent un jour ou l’autre de les utiliser. Encore fois, le Dr MacInnis a affirmé que les lentilles de contact n’étaient acceptables pour les agents de police que si ceux- ci possédaient une acuité visuelle minimale sans correction.

Le Dr MacInnis a ensuite abordé la question de la correction par chirurgie et de ses inconvénients. Après une intervention, l’acuité visuelle devient variables. La chirurgie entraîne en effet une augmentation du facteur d’éblouissement et rend l’oeil plus vulnérable aux blessures.

En résumé, le Dr MacInnis s’est dit d’avis qu’aucun des moyens de correction actuellement disponibles ne justifierait que la GRC abandonne ou assouplisse sa norme minimale d’acuité visuelle sans correction. Le témoin s’est ensuite prononcé sur le caractère raisonnable des normes de la GRC.

Il s’est pour cela reporté à la seconde partie de l’étude de Good et Augsberger, qui décrit une expérience sur la détermination de l’ampleur de la menace que présente un agresseur. D’après leurs constatations, la majorité des décharges d’armes à feu dont il était question dans les réponses des interrogés avaient eu lieu à une distance approximative de 20 pieds. Ils ont donc soumis 50 personnes à une épreuve: ils leur ont présenté deux cibles placées à 20 pieds de distance, l’une

> - 14 portant une arme et l’autre pas. Ils ont ensuite brouillé la vue des sujets, de manière à fixer leur acuité visuelle à divers niveaux, après quoi ils ont vérifié les résultats. En posant comme hypothèse qu’un sujet aurait une bonne réaction dans 50 p. 100 des cas simplement en se contentant de deviner, ils ont établi le niveau acceptable de réactions correctes à 75 p. 100. Leurs constatations ont montré qu’il fallait pour cela une vision se situant juste au- dessous de 20/ 40. En d’autres termes, au- dessous de ce niveau d’acuité visuelle, l’incapacité de distinguer entre l’ami et l’ennemi devient inacceptable.

Se fondant sur ces données et sur son expérience professionnelle, le Dr MacInnis a déclaré que les niveaux de 20/ 40 et de 20/ 60 (c’est- à- dire la norme combinée sans correction de la GRC) permettent d’assurer la sécurité du

public, de l’agent de police et de ses collègues. En fermant les yeux partiellement, a- t- il souligné, on peut temporairement améliorer un peu son acuité visuelle, mais une personne dont l’acuité visuelle est inférieure à 20/ 60 présente un réel danger lorsqu’elle manie une arme à feu.

Le Dr MacInnis a donc conclu que les normes de la GRC en matière d’acuité visuelle non corrigée sont raisonnables pour ce qui est de permettre d’assurer la sécurité du public, tout en reconnaissant qu’une norme idéale reste peut- être impossible à déterminer sur le plan scientifique. C’est pourquoi la norme actuelle comporte une part d’arbitraire: il s’agit d’être raisonnable en se fondant sur les données scientifiques disponibles.

En ce qui concerne les autres tests de la vision, d’après le Dr MacInnis, ils ne sont pas suffisamment normalisés pour être parfaitement fiables.

Le Dr MacInnis a reconnu, lors du contre- interrogatoire, que le port de lunettes protectrices pouvait assurer une certaine sécurité. Toutefois, il n’a pas établi de lien avec la question de la perte des lunettes ni le fait que leur utilisation modifierait son opinion quant à la nécessité d’établir des normes de vision sans correction.

Il a également reconnu qu’une personne ayant une vue de 20/ 20 à l’échelle de Snellen, pourrait vraisemblablement être incapable d’exécuter ses fonctions à cause d’autres défaillances visuelles. Pour cette raison, une bonne vision des couleurs et une bonne vision périphérique pourraient également constituer des exigences professionnelles. Tout en estimant que les normes de la GRC pouvaient être insuffisantes sur le plan des autres

> - 15 aspects de la qualité visuelle, le Dr MacInnis s’est dit d’avis que cela ne changeait rien au caractère nécessaire et raisonnable des normes de la GRC en matière d’acuité visuelle sans correction.

Dr Sheedy Le Dr Sheedy, domicilié en Californie, a été appelé par la mise en cause à titre de témoin expert en matière d’optométrie. Titulaire d’un doctorat en optique physiologique -- l’étude scientifique de la vision, il est spécialisé en vision binoculaire et en vision du travail. Dans ce dernier domaine, il possède une expérience étendue en recherche, en travail clinique et en enseignement. Il a de nombreuses publications à son crédit et a comparu plusieurs fois en tant que témoin expert devant les tribunaux, notamment lors d’une contestation des normes visuelles sans correction de la police de Columbus (Ohio). Il a participé à l’établissement des normes visuelles applicables aux agents de police des États- Unis.

La Commission n’a pas remis en question la capacité du Dr Sheedy de témoigner comme expert. Celui- ci est manifestement l’un des premiers spécialistes de la vision professionnelle pour la police.

De l’avis du Dr Sheedy, les normes d’acuité visuelle sans correction de la GRC constituent une exigence professionnelle raisonnable et valide. Il a ensuite parlé du phénomène de la vision en détail, déclarant notamment que la capacité de voir nettement à distance se dégrade avec l’âge.

Les tests Snellen sont largement utilisés pour mesurer l’acuité

visuelle, parce que c’est la tradition et parce que l’échelle est reconnue internationalement. Le Dr Sheedy recommande les épreuves Snellen pour mesurer la vision environnementale, car l’échelle est celle qui permet le mieux d’établir des critères.

Le Dr Sheedy a décrit divers types d’erreurs de réfraction, ainsi que les méthodes de correction disponibles, notamment les lunettes, les lentilles de contact et la chirurgie.

Le Dr Sheedy a déclaré qu’à son avis il était raisonnable de comparer les gendarmes spéciaux, gardes stationnaires, aux agents de police ordinaires, pour ce qui concerne les normes de vision en tant qu’exigence professionnelle. Dans son examen de la question, il s’est intéressé particulièrement aux gardes stationnaires afin de mieux connaître leurs besoins en matière de vision. Il a conclu que ces besoins étaient très semblables à ceux des agents de police ordinaires qu’il connaissait. Il a affirmé que la faculté d’observation constitue un facteur primordial dans la formation et l’exécution des fonctions du gardien stationnaires

> - 16 Il est certain que le Dr Sheedy avait soigneusement étudié la fonction et les tâches des gardes stationnaires avant de déposer. Il connaissait les normes visuelles de la GRC, la description des fonctions des gardes stationnaires, la nature de la formation qu’ils doivent recevoir et les emplacements et conditions dans lesquels ils doivent travailler.

Le Dr Sheedy a passé en revue diverses études et expériences que lui- même ou d’autres avaient menées sur les normes d’acuité visuelle applicables à la police. En conclusion, a- t- il déclaré, une acuité visuelle d’environ 20/ 40 est nécessaire pour correctement identifier les cibles dans une situation critique typique.

D’après lui, une norme d’acuité visuelle sans correction représente une exigence professionnelle valable parce que l’agent de police, qu’il soit garde stationnaire ou autre, ne peut pas se permettre d’être en position de faiblesse ou dans l’incapacité d’agir chaque fois que ses lunettes tombent ou qu’elles sont inutilisables en raison des conditions climatiques. On risque alors, a- t- il souligné, que les gardes stationnaires soient en position de faiblesse précisément au moment où ils doivent agir. Bien que les situations de crise ne se produisent que rarement, il est important que le garde stationnaire soit capable de fournir un rendement à ce moment précis. De l’avis du Dr Sheedy, même si les occurrences où le garde stationnaire doit donner un rendement particulier sont peu nombreuses, cela ne signifie nullement que sa capacité soit moins importante. C’est la raison pour laquelle les normes minimales d’acuité visuelle non corrigées sont indispensables.

Le Dr Sheedy a ensuite parlé des lentilles de contact. On peut les perdre, beaucoup cessent de les utiliser, et certaines matières, comme la fumée, affectent le sujet. Par ailleurs, il a confirmé les raisons que le Dr McInnis avait avancées pour démontrer que les corrections chirurgicales n’étaient pas acceptables.

Le Dr Sheedy a cité à l’appui de ses opinions diverses études menées par lui et par d’autres chercheurs aux États- Unis. Le Dr Sheedy recommande une acuité visuelle minimale sans correction de 20/ 40 pour les gardes stationnaires. C’est là la norme que l’American Optometric Association a acceptée pour les agents de police. A son avis, la norme de la GRC établie à 20/ 60 (si l’on combine la vision des deux yeux) n’est pas assez sévère.

Le Dr Sheedy a confirmé que les autres aspects de la vision, y compris la vision périphérique et la vision des couleurs, sont également essentiels à l’exécution des fonctions des gardes stationnaires de la GRC.

> - 17 En résumé, le Dr Sheedy estime que les normes de la GRC constituent une exigence professionnelle valide, mais en fait, qu’elles devraient être plus sévères.

Lors du contre- interrogatoire, le Dr Sheedy a déclaré qu’il avait examiné deux facteurs essentiels: la fréquence des occurrences et le caractère critique du rendement. A son avis, si le rendement est capital, la fréquence des occurrences perd de son importance. Pour cette raison, et se fondant sur son étude des fonctions du garde stationnaire, il conclut que les besoins des gardiens et des agents de police ordinaires sont essentiellement les mêmes. Le Dr Sheedy n’a pas effectué de recherche sur les gardes stationnaires de la GRC en particulier. Toutefois, estime- t- il, les travaux concernant les policiers ordinaires s’appliquent également aux gardes stationnaires et peuvent servir à se former un opinion.

En ce qui concerne l’éventualité- où un garde stationnaire expérimenté connaîtrait une baisse de son acuité visuelle qui porterait celle- ci au- dessous des normes, le Dr Sheedy est d’avis que chaque cas devrait être étudié par un comité compétent. Il a reconnu qu’une certaine souplesse pouvait être indiquée si la personne en question possède d’autres points forts qui compensent ses limites physiques et, par conséquent, réduisent le risque.

Dans un rapport rédigé antérieurement et adopté par l’American Optometric Association, le Dr Sheedy avait émis l’opinion qu’un service de police pourrait songer à déroger à la norme d’acuité visuelle sans correction, pour les bons porteurs de lentilles de contact. Depuis que de nouvelles données ont été publiées sur l’usage des lentilles de contact et les difficultés que les agents de police qui les portent rencontrent, son opinion a changé. Il n’est plus en faveur d’une dérogation aux normes pour les porteurs de lentilles de contact. En fait, quelles que soient les normes sans correction, le port des lentilles de contact présente des difficultés relatives à une éventuelle perte des lentilles ou à l’introduction d’une particule de matière dans l’oeil. Même un porteur dont la vision sans correction est suffisante pourrait alors être handicapé temporairement. Ceci laisse entendre qu’il vaudrait peut- être mieux que la GRC, loin de réduire ou de supprimer ses normes actuelles, interdise le port des lentilles de contact par ses policiers.

> - 18 Dr Cupples

Le Dr Cupples, appelé par la Commission pour témoigner à titre d’expert, est professeur adjoint d’ophtamologie à l’Université de Georgetown et professeur adjoint de chirurgie à la Uniform Services University of Health Sciences de Washington (D. C.) (la faculté de médecine de l’armée américaine).

Il a obtenu son agrégation en ophtalmologie au Naval Hospital de San Diego (Californie) au cours de la guerre du Vietnam. Il a alors traité de nombreuses blessures oculaires survenues lors de cette guerre. Le Dr Cupples qui a passé 21 ans dans les Forces armées américaines, a participe à l’établissement des normes visuelles pour les aviateurs navals et les opérateurs de sous- marins. Il est l’auteur de nombreuses publications traitant surtout- des traumatismes oculaires, mais pas des normes d’acuité visuelles.

La mise en cause ne s’est aucunement opposée à ce qu’il soit admis à titre de témoin expert pour fournir une opinion sur la validité des normes d’acuité visuelle sans correction de la GRC comme exigence professionnelle applicable aux gardes stationnaires.

Le Dr Cupples a commencé par déclarer que les fonctions des gardes stationnaires de la GRC étaient analogues à celles des membres du personnel de l’U. S. Marine Corps affectés dans les ambassades américaines dans le monde. Il a déclaré que ces Marines doivent répondre à une norme d’acuité visuelle sans correction beaucoup moins sévère, à savoir 20/ 400. Le U. S. Marine Corps autorise le port des lunettes, mais non pas des lentilles de contact.

Lors du contre- interrogatoire, le Dr Cupples a reconnu que d’après la convention de Vienne, le pays hâte est responsable au premier chef de la protection des ambassades étrangères et que le râle des membres du Marine Corps au Canada se résumait à exercer une protection à l’intérieur de l’ambassade américaine. Comme nous l’avons vu dans les déclarations sous serment déposées par la GRC, c’est le Service secret américain et non pas le Marine Corps qui protège les ambassades étrangères aux États- Unis. Le Dr Cupples ne semblait pas sûr du rôle exact des membres du Marine Corps, et je me dois d’accepter les éléments de preuve présentés par la GRC a ce sujet. Ainsi donc, par comparaison, les fonctions des gardes stationnaires de la GRC et leurs normes d’acuité visuelle sans correction sont équivalentes, d’après ce que je constate, à celles qui s’appliquent aux membres du Service secret des États- Unis et non pas aux U. S. Marines.

> - 19 Le Dr Cupples a décrit comme suit la façon dont devrait se faire l’établissement d’une bonne norme d’acuité visuelle pour les gardes stationnaires de la GRC. Son approche serait à trois volets:

  1. analyser tous les aspects du travail, de façon à connaître la dimension visuelle des tâches à accomplir;
  2. mener diverses expériences pour définir les normes oculaires minimales nécessaires pour exécuter les fonctions;
  3. soupeser les réactions en retour après l’entrée en vigueur des normes afin d’apporter des modifications au besoin.

D’après lui, l’analyse des tâches est importante afin que les normes soient suffisamment sévères pour ne pas entraîner de danger, sans être tellement rigides qu’elles engendrent des discriminations. La seconde étape, celle de l’expérience, revêt aussi une grande importance, car bien des idées préconçues pourraient être erronées.

Dans l’établissement de normes visuelles, le Dr Cupples tiendrait également compte d’autres facteurs visuels, comme la vision périphérique. Il se peut qu’une personne ayant une acuité visuelle suffisante ne soit pas en mesure de donner un bon rendement en raison d’autres déficiences. Le Dr Cupples a reconnu que les normes visuelles de la GRC tiennent compte de facteurs autres que l’acuité visuelle, mais à son avis, les échelles utilisées pour mesurer les autres aspects de la vision ne sont pas adéquatement définies. L’opinion du Dr Cupples à ce sujet est peut- être exacte, mais le fait est que les autres normes de vision ne sont pas en question ici, pas plus que la valeur des autres méthodes de mesure. Il nous incombe seulement de déterminer si les normes d’acuité visuelle sans correction de la GRC constituent une exigence professionnelle justifiée.

Le Dr Cupples a émis l’avis que l’échelle Snellen n’était peut- être pas la meilleure méthode pour vérifier l’acuité visuelle. D’après lui, elle est simple et peu dispendieuse, mais néglige certains facteurs de la perception visuelle. Toutefois, lors du contre- interrogatoire, le Dr Cupples a reconnu que les forces armées des États- Unis continuaient à se fier au test Snellen, qu’il ne connaissait aucune autre force de police qui l’ait abandonné et qu’il n’est pas déraisonnable pour un organisme de se servir du test Snellen pour mesurer l’acuité visuelle.

> - 20 Se fondant sur son expérience auprès du U. S. Marine Corps, le Dr Cupples s’est dit d’avis que les lunettes constituent une forme de correction appropriée pour les gardes stationnaires. Il ne recommande pas les lentilles de contact, sauf lorsqu’il est possible d’obtenir des soins ophtalmologiques de bonne qualité, ce qui n’est pas un problème à Ottawa.

Quant à moi, je déduis des éléments de preuve entendus que les lentilles de contact peuvent être acceptées uniquement si les lunettes le sont également, en raison du risque d’irritation et d’interruption d’usage, car le porteur doit alors utiliser des lunettes comme correction d’appoint. La question importante est donc de savoir si la possibilité de recourir aux lunettes rend inutile la norme d’acuité visuelle sans correction. Manifestement, les forces armées américaines ont répondu à cette question par l’affirmative, puisque, d’après le témoignage du Dr Cupples, elles acceptent les recrues qui portent des lunettes et dont le niveau d’acuité visuelle sans correction est très faible.

Le Dr Cupples a affirmé qu’à sa connaissance, les membres des forces armées n’ont pas connu de problème de délogement de lunettes. On ne nous a présenté ni études ni données de recherche sur la perte des lunettes dans les forces armées des États- Unis. Étant donné la similitude entre les fonctions des gardes stationnaires et celles des policiers ordinaires, par opposition aux membres du U. S. Marine Corps, je dois accorder la préférence à la preuve de la mise en cause à ce sujet. Lors du contre- interrogatoire, le Dr Cupples a effectivement reconnu que la perte des lunettes n’est pas le fruit de l’imagination ni une utopie, mais qu’elle peut très bien se produire.

Le Dr Cupples a déclaré que les lunettes protectrices faisaient actuellement l’objet d’études en vue de leur utilisation dans les forces armées et qu’elles pourraient bien être recommandées aux corps de police.

Le Dr Cupples a également déclaré que le FBI et les Texas Rangers l’avait consulté au sujet de leurs normes de vision. Dans les deux cas, il a recommandé des normes analogues à celles utilisées dans les forces armées américaines.

Se fondant sur sa supposition voulant que les fonctions des membres du Marine Corps affectés à la garde des ambassades soient très semblables à celles des gardes stationnaires de la GRC, le Dr Cupples s’est dit d’avis que ces derniers pourraient exécuter leurs fonctions de façon efficace et sécuritaire même si les normes relatives à l’acuité visuelle sans correction étaient moins sévères -- à savoir les mêmes que dans les forces armées américaines.

> - 21 Le Dr Cupples a déclaré qu’il y aurait lieu de prévoir un mécanisme permettant de déroger aux normes afin de savoir comment un candidat bien qualifié sous les autres rapports, mais qui ne répondrait à une norme en particulier, pourrait exécuter le travail.

Le U. S. Marine Corps suppose qu’un membre qui perdrait ses lunettes serait en mesure de fonctionner avec une vision non corrigée de 20/ 400. Dans ces conditions toutefois, l’on ne pourrait s’attendre à un rendement supérieur, a- t- il reconnu. Le Dr Cupples a dit ignorer si les membres du Marine Corps subissaient le test du choix entre tirer et ne pas tirer, sans lunettes. Il a admis ne pas avoir de connaissances d’expert sur les fonctions des agents de police et ne pas savoir si la lecture d’une plaque minéralogique ou l’identification des traits d’un visage pouvaient revêtir un caractère critique dans l’exécution de leurs fonctions. Il a reconnu que les membres du U. S. Marine Corps n’étaient pas des agents de la paix.

D’après le Dr Cupples, il est possible d’enduire les lunettes d’une pellicule anti- buée. Toutefois, les gouttelettes de pluie sur les verres peuvent nuire à la vision a un point tel qu’il vaut souvent mieux les retirer.

Le Dr Cupples a reconnu qu’une norme minimale d’acuité visuelle constitue une exigence professionnelle justifiée pour l’exécution des fonctions policières et que la question était de savoir où tirer la ligne. A cette fin, il importait, a- t- il déclaré, de tenir compte du risque encourus Pour mesurer le risque, il faut définir les tâches particulières que les membres du groupe en question devront exécuter. Il vaut peut- être mieux ne pas parler d’une norme bonne ou mauvaise, mais plutôt d’une fourchette acceptable, a- t- il convenu.

Il a déclaré avoir des réserves quant aux méthodes expérimentales utilisées par le Dr Sheedy et d’autres personnes auxquelles s’était fiée la mise en cause. Le Dr Sheedy, a- t- il souligné, a mené l’une de ses expériences sur lui- même plutôt que sur un échantillon d’agents de police pris au hasard. En ce qui concerne les études sur le délogement des lunettes, selon lui, la recherche aurait dû être poussée un peu plus loin. Il aurait fallu se demander si la perte des lunettes avait empêché les sujets de fonctionner.

> - 22 A la question de savoir si le U. S. Marine Corps avait élaboré ses normes oculaires en se fondant sur des expériences bien conçues, comme celles qu’il préconisait, il a reconnu que non. Il n’était au courant d’aucune force de police du monde occidental qui ait effectué de telles expériences. Il a déclaré que les travaux du Dr Sheedy constituaient un pas dans la bonne direction mais qu’ils n’étaient pas suffisament poussés. Une recherche expérimentale plus avancée aboutirait peut- être à une norme plus basse ou plus élevée ou même à la même norme. Sans la tenue des expériences qu’il préconise, il ne peut se prononcer sur la norme idéale pour la GRC et ne peut qu’établir une comparaison entre la norme actuelle et celle des forces armées américaines. Le Dr Cupples ne croit pas que les normes de la GRC soient nécessairement mauvaises, mais il pense que les expériences sur lesquelles on s’est fondé pour les établir (tout comme celles des forces armées américaines et des autres organismes de police) sont insuffisantes.

Dr Webster Le Dr Webster a été appelé par la Commission pour témoigner en tant qu’expert en conception d’expériences. Il est professeur de psychiatrie, de psychologie et de criminologie à l’Université de Toronto et chef du département de psychologie au Clarke Institute of Psychiatry, à Toronto. Le Dr Webster a une formation en psychologie expérimentale et passe environ un tiers de son temps à faire du travail de recherche. Sa compétence en matière de conception d’expériences n’a pas été contestée par la mise en cause. Il a effectué des recherchés dans le domaine de la perception visuelle; toutefois, la vision en soi (l’ophtalmologie ou l’optométrie) n’entre pas dans son champ de connaissances spécialisées.

Il a examiné les descriptions de fonctions et le manuel de formation des gardes stationnaires de la GRC. Toutefois, il n’a pris connaissance d’aucune étude ni document sur les détails du travail. Avant d’établir des normes, a- t- il indiqué, il faut d’abord procéder à une analyse des tâches à accomplir. A sa connaissance, aucune étude n’avait été faite pour déterminer ce que les gardes stationnaires font effectivement, quels sont les facteurs de risque en cause et quel est le niveau de vision nécessaire. Il a par ailleurs remis en question la validité de la norme Snellen. D’après lui, plusieurs autres facteurs peuvent mériter d’être mesurés, et, dans l’établissement d’une norme quelle qu’elle soit, il faut se mettre dans le contexte même du travail en question.

Le Dr Webster a déclaré que la satisfaction d’une norme visuelle ou auditive peut dépendre de facteurs liés au milieu et de facteurs psychologiques. Il arrive souvent qu’on commette une erreur en concentrant son attention sur un facteur qui est facile à mesurer, alors qu’on en ignore d’autres qui peuvent être tout aussi importants. Il existe un danger à se fier aux méthodes traditionnelles de mesure.

> - 23 - Le Dr Webster a décrit les étapes qu’il suivrait pour l’établissement de normes à des fins de sélection. Premièrement, il procéderait à une analyse détaillée des tâches, en observant les personnes qui exécutent le travail dans la réalité. Deuxièmement, il rassemblerait une batterie de tests conçue pour éliminer les personnes incapables d’exécuter les tâches dans le monde réel. A son avis, ces épreuves seraient assez faciles à concevoir. Par exemple, si le travail exigeait de pouvoir fonctionner sous pression, il concevrait une expérience destinée à stresser la personne et à mesurer son rendement. Il a souligné que cette méthode par l’analyse des tâches permet d’embaucher des personnes qui sont déjà douées pour l’exécution des fonctions en cause.

D’après lui, il serait également bon d’embaucher à l’essai des personnes qui ne répondent pas aux normes en vigueur, afin de voir comment elles se débrouillent -- il s’agirait de relâcher les normes à titre expérimental.

Le Dr Webster a fait valoir que l’échelle Snellen de l’acuité s’attache à l’aspect sensoriel de la vision, et non pas à l’ensemble du processus de perception. Il importe non seulement de repérer les choses, mais aussi d’interpréter ce que l’on voit et de bien réagir. A son avis, le test Snellen a l’avantage d’être facile à appliquer, mais il a pour inconvénient de ne procurer que des données limitées. Il a parlé d’une étude récente menée aux États- Unis sur le vieillissement des conducteurs de voiture. Cette étude aboutit apparemment à la conclusion qu’il y aurait lieu de compléter les tests d’acuité visuelle Snellen par d’autres épreuves concernant des facteurs relatifs à l’exécution de la tâche.

Le Dr Webster a reconnu que l’acuité visuelle constituait un volet important de la perception visuelle, soit le mécanisme entier allant du stimulus à la réaction. Il a également reconnu que même si une batterie d’épreuves vaut mieux qu’une seule, le fait de mesurer l’acuité visuelle n’a rien de déraisonnable.

Il n’a pas contesté la nécessité de maintenir une norme minimale d’acuité visuelle sans correction. Il s’est déclaré incapable de préciser ce que cette norme devrait être ou encore quelles épreuves seraient les plus appropriées pour l’établir. Son témoignage a porté principalement sur les méthodes à utiliser pour ce faire.

> - 24 - Il ne connaît aucune force de police en Amérique du Nord qui ait abandonné la méthode Snellen pour mesurer l’acuité. Un jour viendra, a- t- il néanmoins déclaré, où ces méthodes seront remplacées. Les épreuves Snellen ne sont pas parfaites, et les autres tests en cours d’élaboration s’avéreront peut- être aussi insuffisants. Il n’y a pas de vérité établie sur les épreuves a appliquer, et personne ne peut affirmer que les tests Snellen soient inadéquats. Le Dr Webster a également reconnu que les tests Snellen ne sont pas les seuls à être utilisés pour la sélection des futurs membres de la GRC.

Bref, le Dr Webster n’a pas remis en question la nécessité ni le caractère raisonnable des normes d’acuité visuelle sans correction de la GRC. D’après son témoignage, il y aurait lieu p également de mesurer d’autres éléments. De plus, il estime essentiel d’établir les normes en se fondant sur une analyse complète des tâches à accomplir.

LE DROIT (a) Sur quels critères devons- nous nous fonder pour déterminer si nous sommes en présence d’une exigence professionnelle justifiée, aux termes de l’article 14 (à supposer que nous admettions qu’il y a apparemment eu discrimination) ?

(b) Quelles sont les preuves nécessaires pour satisfaire à ces critères et quel doit en être le niveau ?

(a) CRITERES En matière de droit, la, principale autorité à ce sujet est la décision du Juge McIntyre dans l’affaire de la Commission ontarienne des droits de la personne et al c. la municipalité d’Etobicoke, [1982] 1 R. C. S., p. 202. C’est un critère double qui a été adopté. Le premier élément, ou critère subjectif, concerne la question du bien- fondé, tandis que le second, ou critère objectif, a trait à la nécessité de l’exigence professionnelle (page 208).

Pour répondre au critère subjectif (celui de la bonne foi), une exigence professionnelle, telle la norme d’acuité visuelle minimale de la GRC,

(traduction)

"... doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question d’une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du Code." (Page 208)

> - 25 Pour répondre au deuxième critère (objectif), celui qui impose une exigence professionnelle doit démontrer qu’elle répond aux conditions suivantes:

(traduction)

"Elle doit en outre se rapporter objectivement à l’exercice de l’emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général." (Page 208)

Ce double critère et, en particulier, son second volet (objectif) a fait l’objet de diverses interprétations dans la jurisprudence qui a suivi. Je me propose d’en traiter ici, puisque les avocats des parties ont préconisé des positions différentes. (Interprétations du. critère objectif Etobicoke).

Premièrement, les avocats de la Commission soutiennent que l’approche adoptée par le Juge MacGuigan, dans l’affaire Air Canada et Carson (1985) 18 D. L. R. (4e) 72 (C. A. F.) est celle qu’il faut suivre. Monsieur le Juge MacGuigan a effectué une analyse complète des divers textes faisant autorité sur ce sujet, y compris une série de textes américains. Il a comparé ces opinions avec la décision Etobicoke. D’après lui, dans les cas où il y a risque public, ce risque doit être évalué en fonction des solutions de rechange dont dispose l’employeur pour effectuer sa sélection sur une base individuelle plutôt que collective. Il présume qu’il est acceptable de faire courir un certain risque au public. Reste donc à savoir à quel niveau peut se situer ce risque.

A la page 88, le Juge MacGuigan interprète les paroles du Juge McIntyre dans l’affaire Etobicoke, et défend la notion du risque acceptable

(traduction)

"Néanmoins, le fait qu’il ait lui- même présenté le litige en affirmant qu’il s’agissait de déterminer s’il existait un risque d’erreur humaines suffisant, indique la reconnaissance d’un certain degré de risque qui correspond davantage à la notion de risque acceptable qu’à celle de risque minime.

A la page 90, il parle de la nécessité d’ équilibrer ou de soupeser le risque, puis compare l’approche américaine avec le second volet du critère Etobicoke concernant l’exigence professionnelle justifiée, comme suit:

> - 26 "Dans Etobicoke, la Cour a établi que les deux facteurs inversement proportionnels que sont le degré de risque et la possibilité de recourir à des solutions de rechange détermine ce qui constitue une exigence professionnelle normale, examinée objectivement, et elle conclut qu’il fallait trouver un équilibre entre ces deux facteurs en tenant compte des circonstances.

... Le second volet exige que l’employeur prouve qu’il a des motifs raisonnables de croire que toutes ou pratiquement toutes les personnes faisant partie de la catégorie en cause seraient incapables de remplir efficacement et sans danger les fonctions de leur poste, ou qu’il serait impossible ou peu pratique d’examiner chaque cas individuellement pour sauvegarder la sécurité du public...

A la page 93, le Juge MacGuigan conclut en établissant un rapport entre son interprétation du volet objectif du critère et le but de la LCDP tel qu’énoncé à l’article 2 de cette Loi. Il déclare de qui suit:

(traduction)

"... Le Parlement a pris une décision fondamentale en donnant préférence aux droits des individus sur les valeurs sociales concurrentes. Cette préférence n’est pas absolue. En fait, elle est restreinte dans le présent contexte par le droit d’un employeur d’établir l’existence d’une exigence professionnelle normale. Cependant, les tribunaux doivent absolument faire en sorte que l’existence d’exceptions beaucoup trop larges ne vienne porter atteinte à l’intention première du Parlement de permettre que les personnes soient jugées principalement au mérite plutôt qu’en tant que membres d’un groupe. Cela exige une interprétation restrictive des exceptions."

Bref, d’après cette décision, le simple fait d’établir que le défaut de respecter les limites fixées par l’employeur entraînerait un risque pour le public ne suffit pas pour établir une défense en s’appuyant sur l’exigence professionnelle normale. Il faut pousser plus loin, et souspeser ce risque, de façon à déterminer s’il est acceptable dans les circonstances, d’après les critères évoqués plus haut.

Or, le critère objectif est interprété de façon différente dans une décision plus récente de la Cour d’appel fédérale, lors de l’affaire Canadian Pacific Limited c. Mahon et al (1988) 1 F. C. 209. Le Juge Pratte a accepté la constatation de fait du tribunal selon laquelle M. Mahon, diabétique stable, courait un risque réel mais peu probable de défaillance dans son travail d’entretien des voies, mais que le danger que lui- même, ses compagnons de travail et le public couraient n’était ni hypothétique ni fantaisiste. (Page 214)

> - 27 Le tribunal s’était employé à mesurer ou à peser le niveau d’acceptabilité de ce risque d’une manière compatible avec la décision

Carson. la page 219, la Cour cite la décision du tribunal:

"Le simple fait qu’il y ait risque pour la sécurité ne devrait pas entraîner le refus d’un emploi à un requérant handicapé. Toute activité humaine comporte des risques ... On ne peut prétendre qu’une légère augmentation du risque que représente l’embauche d’une personne frappée d’incapacité devrait être considérée inacceptable par un employeur."

Et à la page 220:

"La société doit accepter quelques risques accrus en échange des avantages qu’elle retire du fait que l’on accorde aux handicapés une chance réelle d’atteindre à l’égalité..."

La Cour a arrêté que le tribunal avait fait erreur. Elle s’est appuyée sur l’affaire Bhinder et al c. les Chemins de fer nationaux du Canada et al (1985] 2 R. C. S. p. 561 pour interpréter et étayer la décision Etobicoke, comme suit (le Juge Pratte, à la page 221):

"Il ressort de ces décisions, à mon sens, qu’à plus forte raison, l’exigence reliée au travail qui, selon la preuve, est raisonnablement nécessaire pour éliminer le danger réel de préjudice grave au grand public doit être considérée comme une exigence professionnelle normale.

La décision contestée se fonde, me semble- t- il, sur l’idée généreuse que les employeurs et le public ont le devoir d’accepter et de courir certains risques de subir des blessures afin de permettre aux personnes handicapées de trouver du travail. A mon avis, la loi n’impose un tel devoir à personne (soulignements ajoutés)

Le Juge Marceau est du même avis. Il déclare à la page 223:

"Il se peut qu’un jour le Parlement demande au public de sacrifier, dans une certaine mesure, sa sécurité physique pour permettre aux handicapés de jouir des mêmes possibilités d’emploi que les non- handicapés. Je ne crois cependant pas que l’on puisse déceler une telle politique dans le libellé actuel de la loi."

> - 28 A la page 224, il interprète l’expression risque suffisant employée dans la décision Etobicoke, comme suit:

"... lorsque j’interprète cette phrase compte tenu du contexte, elle me semble viser la preuve qui doit démontrer suffisamment que le risque est réel et ne repose pas sur de simples conjectures. En d’autres termes, l’adjectif suffisant en question se rapporte au caractère réel du risque et non à son degré." (soulignements ajoutés)

Pour résumer, la décision Mahon entre en conflit avec la décision antérieure prise dans l’affaire Carson, puisqu’un employeur qui établit une exigence professionnelle justifiée doit dorénavant démontrer uniquement que le défaut de respecter sa norme entraînerait un risque réel pour le salarié ou pour le public; il n’existe donc aucun niveau acceptable de risque qui permettrait d’annuler une défense fondée sur l’exigence professionnelle justifiée.

La Commission a soutenu que la décision Mahon était erronée et que je devais respecter l’interprétation Carson du critère objectif. M. Hunter a laissé entendre que dans l’affaire Mahon, la Cour avait erré dans son application de la décision Bhinder, puisque cette dernière concernait un cas où la sécurité du public n’était pas en cause. En effet, le risque en question résultant du défaut de porter un casque était un risque pour l’employé lui- même et non pas pour les autres. M. Hunter a soutenu que cette affaire portait principalement sur une question d’intention et sur le devoir pour l’employeur de faire des aménagements pour satisfaire ses employés.

Peut- être ne pouvons- nous pas établir de distinction entre les affaires qui concernent la sécurité du public et celles qui touchent la sécurité des particuliers. Si nous revenons au critère objectif initial établi dans la décision Etobicoke, à la page 208, nous constatons que le Juge McIntyre y parle d’exécution ( ... ) du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général (soulignement ajouté). Le critère initial lui- même ne comportait pas la distinction.

> - 29 - Même si j’étais d’accord avec M. Hunter, je reste lié par le droit dans son état actuel. Je me dois donc de respecter l’interprétation la plus récente du critère objectif, c’est- à- dire celle de Mahon. Si je ne le faisais pas, cela équivaudrait à suivre exactement le même raisonnement que le tribunal dont la décision a été cassée par la Cour d’appel fédérale dans- l’arrêté Mahon.

(b) PREUVES REQUISES Dans les cas comme celui qui nous occupe, l’employeur doit prouver l’existence d’une exigence professionnelle justifiée Il conformément à la règle normale de la preuve en matière civile, c’est- à- dire suivant la prépondérance des probabilités (Etobicoke, p. 208).

Il n’existe aucune règle fixe quant à la nature et au caractère suffisant de la preuve requise pour justifier une exigence professionnelle réelle. Voici ce que déclare le Juge McIntyre (Etobicoke, p. 212):

"Il serait imprudent de tenter de formuler une règle fixe concernant la nature et le caractère suffisant de la preuve requise... En dernière analyse, et toujours sous réserve du droit d’appel..., le commissaire enquêteur doit être le juge en cette matière."

Il poursuit en affirmant qu’une preuve relative à la nature des fonctions à exécuter est essentielle et qu’elle doit être liée aux restrictions imposées par l’employeur.

La preuve scientique doit avoir le pas sur la preuve impressionniste. A la page 212 de la décision Etobicoke, le Juge McIntyre affirme ce qui suit:

"Je ne suis pas du tout certain de ce qu’on peut qualifier de preuve scientifique. Je ne dis absolument pas qu’une preuve scientifique sera nécessaire dans tous les cas. Il me semble cependant que, dans des cas comme celui en l’espèce, une preuve de nature statistique et médicale qui s’appuie sur l’observation et l’étude ... même si elle n’est pas absolument nécessaire dans tous les cas, sera certainement plus convaincante..."

>-

- 30 La preuve scientifique est certes préférable, mais, sur le plan pratique, il peut être difficile d’obtenir des statistiques fondées sur l’observation ou des données empiriques lorsqu’il est question de la sécurité du public. Ce problème a été traité par la Commission d’enquête dans l’affaire Little c. Saint John Ship Building and Drydock Co. Ltd. (1980), 1 C. H. R. R., 1 à la page 5:

(traduction)

"Ces statistiques, toutefois, ne deviennent souvent disponibles que lorsqu’il y a eu défaillance dans l’exécution des fonctions. Faire l’expérience de telles défaillances simplement pour recueillir des données statistiques n’est évidemment pas admissible, lorsque le travail en question. peut compromettre la sécurité du public. Il est donc impossible d’exiger de telles statistiques pour la démonstration de l’existence d’une exigence professionnelle réelle."

Bien que cet empêchement ne puisse servir d’excuse à l’employeur qui ne fournit pas de preuve scientifique, il doit quand même être pris en compte lorsque l’on se demande si la défense fondée sur l’obligation professionnelle réelle s’appuie elle- même sur une preuve scientifique suffisante.

APPLICATION DE LA LOI

Puisque la mise en cause a admis qu’il y avait apparence de discrimination dans le cas d’André Séguin et de George Tuskovich, c’est à elle qu’il revient d’établir, suivant la prépondérance des probabilités, l’existence d’une exigence professionnelle réelle, au sens du paragraphe 14( a) de la LCDP.

a) CRITERE SUBJECTIF

D’après la preuve, les normes d’acuité visuelle sans correction de la GRC, bien qu’elles aient été revues et corrigées de temps à autre, sont en vigueur depuis de nombreuses années. La GRC a mené il y a quelque temps une étude sur les normes d’acuité visuelle sans correction des autres forces de police canadiennes, afin de déterminer si la sienne était raisonnable. cette enquête a révélé que les normes de la GRC étaient du même ordre que les autres et, en fait, plus basses que beaucoup. Ce fait ne nous apporte rien quant à savoir ce que les normes devraient être, mais il a une incidence certaine sur la question de la bonne foi.

> - 31 Toujours d’après la preuve, treize plaintes ont déjà été déposées contre la GRC à propos de ses normes d’acuité visuelle. Ces plaintes ont fait l’objet d’enquêtes par la Commission, sans qu’aucune n’ait abouti à une décision. Même si les conclusions de la Commission n’influent pas sur l’issue des plaintes dont le présent tribunal est saisi, du moins pour ce qui concerne le critère objectif, elles permettent de constater que la GRC a continué d’appliquer ses normes d’acuité visuelle dans la conviction que celles- ci étaient acceptables aux yeux de la Commission.

Le fait qu’une bonne part des plaintes antérieures concernaient des candidats au poste de membre régulier plutôt qu’à celui de garde stationnaire est sans conséquence puisque la GRC estime que les normes doivent être les mêmes pour les deux groupes, en raison du caractère analogue de leurs

fonctions et de l’ obligation illimitée de servir (c’est- à- dire la règle selon laquelle tous les membres de la GRC peuvent être appelés à servir à n’importe quel titre à l’intérieur de l’organisme).

Parmi les plaintes antérieures, deux concernaient des situations uniques, qui nous ont été exposées brièvement:

  1. un ancien membre de la GRC, s’étant porté candidat en vue de réintégrer l’organisme, n’avait pu répondre aux normes d’acuité visuelle.
  2. un candidat qui avait amorcé sa formation à la GRC avait été remercié lorsqu’on avait découvert qu’il ne répondait pas aux normes d’acuité visuelle sans correction.

Dans les deux cas, la GRC avait refusé de déroger à ses normes. C’est là une indication que celles- ci sont prises au sérieux et appliquées d’une façon uniforme.

Il n’a été fait état d’aucune exception ou dérogation de la part de la GRC en ce qui concerne l’application des normes d’acuité visuelle sans correction aux recrues au poste de garde stationnaire. La détérioration des capacités physiques avec l’âge est un phénomène naturel, et il nous a été démontré que la GRC possède un mécanisme administratif visant à régler le cas des membres déjà en place qui ne réussissent pas à un examen physique en cours de carrière. M. Moffatt nous a expliqué que la GRC était un organisme paternaliste qui cherchait à replacer ses employés au sein de sa propre structure, plutôt que de les renvoyer. Chaque cas est étudié individuellement, et de nombreux facteurs peuvent entrer en ligne de compte.

> - 32 A mon avis, il s’agit là d’une attitude pratique et raisonnable, que l’on ne peut en toute bonne foi comparer à une dérogation aux normes qui aurait lieu avant l’embauche. Cette pratique n’a donc aucun effet sur la justification de l’exigence professionnelle dont il est question ici.

D’ailleurs, logiquement, le fait que les capacités physiques se détériorent naturellement avec l’âge vient appuyer la position de la GRC, qui maintient jalousement ses exigences élevées à l’égard des nouvelles recrues. Vraisemblablement, si l’on faisait des exceptions aux normes d’admission, les difficultés qui accompagnent le vieillissement seraient plus nombreuses.

Par ailleurs, le tribunal a été saisi d’un ensemble de déclarations faites sous serment à l’étranger, où il est question des normes d’acuité visuelle sans correction appliquées dans d’autres pays. par des services de police qui embauchent des gardes stationnaires. Ces documents prouvent que ces autres organismes estiment également nécessaire d’appliquer une norme d’acuité visuelle sans correction pour assurer la bonne exécution des fonctions des gardes stationnaires. Ces éléments plaident en faveur d’une justification des normes de la GRC.

Bien que ces déclarations sous serment contiennent des éléments de ouï- dire, je n’ai aucune raison de douter de la véracité des renseignements qu’elles contiennent. De toute façon, leur exclusion n’aurait rien changé à ma décision.

En conclusion, je ne vois aucun élément de preuve, quel qu’il soit,

indiquant de la mauvaise foi ou des objectifs inavoués dans l’application par la GRC de ses normes d’acuité visuelle sans correction. Il ne fait aucun doute pour moi que la Gendarmerie royale maintient ses normes uniquement dans le but réel d’assurer la sécurité et la protection du public.

Ainsi donc, la mise en cause a rempli le critère subjectif de la bonne foi.

b) CRITERE OBJECTIF

La norme minimale d’acuité visuelle sans correction de la GRC est- elle liée de façon objective à l’exécution des fonctions du garde stationnaire ? Cette norme est- elle raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution de ces fonctions sans mettre la sécurité du public en danger ?

> - 33 Peut- être vaudrait- il mieux poser la question à l’envers sans norme minimale d’acuité visuelle sans correction, le public courrait- il un risque plus grand?

Ayant entendu et examiné tous les éléments de preuve, je conclus qu’il y aurait risque accru pour le public et que ce risque est réel, et non pas fondé sur des suppositions ou des conjectures.

Au départ, la Commission et ses témoins experts ont soutenu qu’on avait guère procédé à l’analyse des tâches qui sont dévolues aux gardes stationnaires. Sans une telle analyse, a- t- on affirme, il est impossible d’établir le lien nécessaire entre la norme imposée et l’exécution des fonctions.

Je reconnais qu’il est nécessaire de procéder à une analyse des tâches. Il faut savoir quelles sont les fonctions à remplir pour évaluer si les normes sont raisonnablement nécessaires pour l’exécution de ces fonctions.

Je suis toutefois en désaccord avec la Commission lorsqu’elle affirme que cela n’a pas été fait. Dans sa preuve, la mise en cause a apporté de multiples détails sur le recrutement# la formation et le travail des gardes stationnaires. Il est tout a fait évident que les témoins experts de la GRC possèdent une connaissance approfondie des fonctions et du déroulement journalier du travail des gardes stationnaires. Je ne crois pas que nous puissions passer outre aux opinions de ces experts, pour cause d’absence d’une analyse de tâches.

La Commission affirme qu’aucun effort n’a été fait pour établir une distinction entre le travail des membres réguliers et celui des gardes stationnaires (gendarmes spéciaux). Ici encore, la preuve démontre l’inverse. Les témoins de la mise en cause étaient bien renseignés sur les fonctions et responsabilités des gardes stationnaires, ils les ont comparées à celles des membres réguliers et ont donné leurs opinions en conséquence.

Les paramètres des fonctions des gardes stationnaires ne sont pas aussi étroits que l’a laissé entendre la Commission. Nous avons vu que les recrues de la GRC, y compris les gendarmes spéciaux, assument une responsabilité illimitée et qu’ils peuvent être déplacés d’une fonction à une autre, au besoin. En d’autres termes, le gendarme spécial, garde stationnaire, ne joue pas un rôle entièrement spécialisé. De surcroît, on nous a démontré qu’il existait à la GRC une tendance à promouvoir les > - 34 gendarmes spéciaux au rang de membre régulier, ce qui réduit la nécessité d’établir une distinction entre les deux catégories au moment du recrutement. D’ailleurs, nous avons vu que, sans sortir de ses fonctions propres, le garde stationnaire est sujet à des mutations fréquentes (destinées à rompre la monotone et que ses responsabilités peuvent aller de la sécurité des aéroports à la patrouille des ambassades, en passant par la station dans une guérite blindée. Aucun de ces éléments de preuve n’a été réfuté. Tout ceci démontre que le titulaire s’acquitte d’une vaste gamme de fonctions qui exigent de nombreuses compétences, lesquelles ne sont pas essentiellement différentes de celles exigées des membres réguliers.

La principale distinction à faire entre les fonctions courantes des gardes stationnaires et celles des membres réguliers réside dans la fréquence des situations dangereuses. Nous avons vu que les gardes stationnaires de la GRC n’ont jamais fait feu dans une situation de danger. A mon avis, cela ne change rien aux fonctions ou aux tâches pour lesquelles le garde stationnaire doit être préparé et qu’il doit être en mesure d’exécuter. Nous avons entendu un témoignage concernant un garde stationnaire qui a été tué par balle à l’aéroport de Calgary, alors qu’il avait pris une voiture volée en chasse. Le fait que les gardes stationnaires peuvent devoir faire face à des situations qui menacent leur vie n’est pas le simple fruit de l’imagination ou de la conjecture.

Non seulement ils sont les yeux et les oreilles de la GRC, mais ils se trouvent sur la première ligne de défense en cas d’attaque. Les gardes stationnaires sont entraînés pour réagir dans des situations extrêmes qui, nous l’espérons, ne surviennent que rarement. Cela ne signifie pas que leurs capacités de réagir et de fournir un rendement soient moins importantes que celles des membres réguliers, qui sont plus souvent appelés à mettre leurs compétences à contribution.

Étant donné que les situations extrêmes sont rares, il est difficile de recueillir des données sur celles- ci. C’est pourquoi nous devons nous fier aux études qui concernent les agents de police ordinaires. Il ne faut pas croire pour cela que la preuve présentée par la mise en cause soit fondée sur des impressions ou qu’elle ne soit pas scientifique. Au contraire, les témoins experts de la mise en cause fondent leurs dépositions sur des données tirées de diverses études qui, d’après eux, pouvaient s’appliquer aux fonctions des gardes stationnaires de la GRC. Les compétences d’expert des témoins de la mise en cause n’ont pas été contestées, tous deux étant reconnus comme des autorités de premier plan dans leurs domaines respectifs.

> - 35 Les témoins de la Commission ont présenté des témoignages susceptibles d’atténuer la valeur des opinions des experts de la mise en cause. A cette fin, ils ont remis en question les recherches expérimentales menées et présentées en preuve par ces experts. Même si les méthodes employées lors des expériences et des recherches méritent peut- être d’être améliorées, on ne peut affirmer qu’elles soient inutiles ou sans valeur. Ni non plus qu’elles ne sont pas scientifiques ou qu’elles reposent sur des impressions. Aucun élément de preuve ne nous a été présenté qui tende à démontrer que les normes d’acuité visuelle sans correction employées par la GRC sont erronées. Le Dr Cupples et le Dr Webster ont tous deux reconnu que, même si des expériences plus poussées et plus raffinées étaient menées, les résultats pourraient en être exactement les mêmes. De plus, le Dr Cupples a admis qu’il ne connaissait aucune autre force de police (y compris les U. S. Marines) qui ait eu recours à des expériences de type supérieur, comme celles qu’il préconisait.

La Commission a également soulevé la question de savoir si les tests d’acuité Snellen constituaient un moyen approprié de mesurer la vision par rapport aux fonctions du garde stationnaire. on a avancé, et je souscris à cette affirmation, que l’échelle Snellen ne permet de mesurer qu’une seule composante de la vision. Les autres, comme la perception de la distance, la perception des contrastes et la vision périphérique, qui risquent d’être tout aussi importantes, ne sont pas visées par le test en question. Toutefois, tous les témoins experts qui étaient d’accord pour dire que l’acuité visuelle centrale reste un facteur important que l’on ne pourrait ignorer même si des épreuves plus perfectionnées étaient effectuées pour mesurer ce type de vision, et les autres. Tous ont reconnu que l’acuité visuelle sans correction constitue une exigence professionnelle normale, même si elle n’est pas la seule. Il n’a pas été démontré qu’un autre organisme quelconque ait abandonné le test Snellen.

Il a été démontré que la GRC vérifiait d’autres aspects de la vision, en même temps que l’acuité selon l’échelle Snellen. Toutefois, on a affirmé que les normes de la GRC à cet égard manquaient de précision. C’est là un problème général que la GRC n’est pas la seule à connaître dans l’évaluation de la vision. D’après la preuve, on hésite généralement à renoncer au test Snellen de l’acuité, parce que les autres méthodes sont difficiles à uniformiser. Faute d’uniformité, les candidats pourraient subir des injustices, et le public courir des risques accrus. Bien que des progrès aient été enregistrés dans le domaine de la mesure de la vision, nous n’en sommes pas encore au stade où les épreuves traditionnellement utilisées par la GRC et d’autres organismes puissent être abandonnées.

> - 36 - Comme dernier argument, la Commission a soutenu que les normes d’acuité visuelle de la GRC avaient été établies avant que ne soit effectuée une analyse suffisante des fonctions, et que de telles normes ne peuvent être réexaminées et justifiées après le fait. Par conséquent, selon la Commission, le critère objectif ne pouvait être rempli. Premièrement, la preuve démontre qu’au départ les normes ont été fixées en fonction de renseignements obtenus des Forces armées et qu’elles ont été revues et révisées depuis lors. Rien n’indique qu’elles ont été établies en faisant abstraction du travail a* exécuter. Deuxièmement, je n’accepte pas que des normes comme celles- là ne puissent être justifiées adéquatement par des moyens scientifiques après le fait. Définir le critère objectif de cette façon aboutirait à un résultat absurde, à savoir que toute norme établie sans étude préalable adéquate pourrait être rejetée en dépit d’une preuve scientifique subséquente démontrant qu’elle constitue en fait une norme raisonnable. Le critère objectif exige qu’un lien ou un rapport soit établi entre les normes minimales d’acuité visuelle sans correction et l’exécution du travail en toute sécurité. Il n’est pas assez précis pour que l’on puisse dire quand les études ou les analyses scientifiques qui confirment ce rapport doivent avoir été menées.

On a proposé le recours à des méthodes correctives (lunettes, lentilles de contact et chirurgie) en tant que solution de rechange susceptible de justifier plus de laxisme dans l’établissement des normes. Toutefois, les témoignages des experts, qui se fondaient sur des recherches scientifiques, nous ont appris que chacune de ces méthodes comporte des inconvénients:

a) Chirurgie - les résultats a long terme en sont imprévisibles; elle peut entraîner un accroissement de l’éblouissement; elle accroit le risque de blessure aux yeux par suite d’un traumatisme. Le Dr Cupples, témoin de la commission, a reconnu que la chirurgie comme forme de correction chez les agents de police était inacceptable.

b) Lentilles de contact - des études ont démontré qu’elles peuvent être délogées et que la fumée ou la poussière peuvent irriter les yeux du porteur; il existe un facteur important et imprévisible d’interruption de l’usage, qui amené les sujets à retourner à l’usage des lunettes. Le Dr Cupples a exprimé certaines préoccupations en ce qui concerne le recours aux lentilles de contact. Il ne les recommande d’ailleurs pas pour les membres des Forces armées américaines.

> - 37 c) Lunettes - elles peuvent être délogées par contact physique; elles peuvent être rendues inefficaces en raison des conditions climatiques (pluie et buée).

Des études ont démontré qu’en fait, aussi bien les agents de police qui portent des lentilles de contact que ceux qui portent des lunettes rencontrent des problèmes. Même s’il est vrai que les gardes stationnaires se trouvent dans des situations critiques moins souvent que les policiers ordinaires, c’est justement là, lorsqu’une crise se présente, que le délogement ou l’exposition à certaines substances comme les gaz lacrymogènes et la fumée peuvent se produire. C’est pourquoi, toute distinction fondée sur la fréquence de l’occurrence est inacceptable.

Nous avons entendu parler, dans l’un des témoignages, d’un agent de police qui avait perdu ses lunettes sur la scène d’une fusillade, au Manitoba. Il a été en mesure d’exécuter ses fonctions de façon efficace, même sans lunettes. Si son acuité visuelle sans correction avait été insuffisante, on peut supposer qu’il se serait trouvé en situation de faiblesse, ce qui aurait entraîné un danger pour lui- même et pour ceux qui l’entouraient. C’est là une preuve que le risque de délogement est réel et non pas hypothétique ou fantaisiste. C’est également la preuve que les normes minimales sans correction sont nécessaires pour assurer une exécution des fonctions policières en toute sécurité, lorsqu’un agent perd ses lunettes. Même si cet incident particulier concerne un agent de police ordinaire, je suis convaincu que la même chose pourrait arriver à un garde stationnaire.

Il a également été question dans la preuve du recours aux lunettes de sécurité. L’argument invoqué était que l’utilisation de lunettes comportant certaines caractéristiques de sécurité pourrait présenter des avantages pour les gardes stationnaires, avantages qui compenseraient les inconvénients évoqués plus haut. Des études sont en cours sur cette question. Toutefois, il n’a pas été démontré qu’un seul corps policier fasse généralement l’usage de ces lunettes. En tout cas, rien n’indique qu’un organisme de police pourrait modifier ses normes d’acuité visuelle sans correction, même en adoptant une politique d’utilisation des lunettes de sécurité.

Pour ce qui touche les gardes stationnaires de la GRC, l’utilisation de lunettes de sécurité ne changerait pas les problèmes sous- jacents associés aux lunettes -- délogement, pluie, buée, etc.. L’agent qui perd ses lunettes, que ce soient des lunettes de sécurité ou des lunettes ordinaires, doit être capable de fonctionner sans elles.

> - 38 Il convient de souligner ici que le rôle des gardes stationnaires de la GRC est important. Même si le déroulement de leurs activités quotidiennes n’en laisse rien voir, ils doivent être prêts à faire face efficacement à d’éventuelles attaques terroristes. Or, les terroristes planifient leurs agressions et sont prêts à prendre tous les moyens nécessaires pour atteindre leurs buts. C’est la raison pour laquelle les gardes stationnaires reçoivent une formation supplémentaire pour apprendre à utiliser les armes. Même s’il leur arrive rarement d’avoir à utiliser des armes mortelles, c’est le caractère critique de leurs fonctions, et non pas la fréquence des occurrences dangereuses, qui doit être pris en compte lorsqu’on évalue la nécessité d’imposer une norme visuelle. Nous avons vu que les attaques terroristes au Canada constituent maintenant un risque réel, et non pas un danger qui relève de l’hypothèse ou de la conjecture. Témoin les incidents d’Air India et de l’ambassade de Turquie.

L’acuité visuelle sans correction exigée des gardes stationnaires doit se situer à l’intérieur d’une fourchette raisonnable, c’est- à- dire que, selon toutes probabilités, les sujets dont la vue serait inférieure à la norme présenteraient, dans l’exercice de leurs fonctions, un risque pour le public. Il a été démontré par le truchement du témoignage des experts, que j’accepte, que les normes de la GRC se situent dans cette fourchette. Le Dr Cupples, témoin de la Commission, a reconnu que la norme parfaite pouvait bien ne pas exister et qu’il ne pouvait remettre en question les normes actuelles de la GRC ni en proposer de meilleures.

Le Dr Cupples a comparé le U. S. Marine Corps aux gardes stationnaires de la GRC. Le U. S. Marine Corps applique une norme très laxiste d’acuité visuelle sans correction, mais ses épreuves de vision à d’autres égards sont plus rigoureuses. Même s’il est vrai que les recrues de la GRC pourraient subir des épreuves plus serrées quant aux autres aspects de leur vision, cela ne compromet en rien la validité de sa norme actuelle en matière d’acuité visuelle. Si, par exemple, la GRC ne vérifiait pas si ses recrues souffrent de déficiences auditives, cela ne changerait rien à la question de savoir si ses normes d’acuité visuelle sans correction constituent une exigence professionnelle normale. La même chose s’applique aux autres aspects de la vision. En effet, ils ne sont pas liés à la nécessité d’exiger une acuité visuelle sans correction. Et c’est là la question qui nous occupe.

> - 39 Passons maintenant aux normes laxistes en matière d’acuité visuelle du U. S. Marine Corps. Nous avons vu que le rôle de ces hommes est très différent de celui des gardes stationnaires de la GRC et que le corps de police comparable (c’est- à- dire celui qui s’occupe de la garde des ambassades étrangères aux États- Unis) est en réalité le Service secret des États- Unis. Cet organisme applique des normes analogues à celles de la GRC -- et non pas à celles du U. S. Marine Corps -- en matière d’acuité visuelle. Les normes du U. S. Marine Corps n’ont rien à voir avec la question qui nous occupe. Bref, compte tenu de la preuve, il ne fait aucun doute dans mon esprit que:

  1. il est nécessaire d’imposer aux gardes stationnaires de la GRC des normes d’acuité visuelle sans correction et que, sans elles, les risques seraient accrus;
  2. il existe une corrélation (ou une relation) nette entre les normes en question et la capacité des gardes stationnaires de s’acquitter de leur fonction ultime (même si elle n’est pas fréquente) en toute sécurité et sans risque pour les gens et les biens qu’ils ont à protéger; et
  3. les normes particulières d’acuité visuelle sans correction imposées par la GRC a cette fin sont raisonnables et compatibles avec la corrélation évoquée en b) ci- dessus.

J’en conclus donc que le critère objectif dont parle le Juge McIntyre dans l’arrêté Etobicoke a été rempli.

Même si je faisais erreur en donnant l’interprétation la plus restreinte du critère objectif Etobicoke, comme le préconise la décision Mahon, ma conclusion ne serait pas différente. Lorsque je pèse, d’une part, la suffisance du risque ainsi que le suggère la décision antérieure concernant l’affaire Carson et, d’autre part, les solutions de rechange dont la GRC disposait pour traiter les candidats individuellement plutôt que collectivement à des fins de sélection, je constate que les normes de la GRC sont justifiées.

Premièrement, le risque pour le public est réel et important. Le rôle des gardes stationnaires est capital. Il est vital que cette fonction soit assumée d’une façon compétente et sans compromis. En effet, les conséquences d’un rendement inférieur à la norme dans l’éventualité, rare mais certaine, d’une attaque terroriste sur une position gardée pourraient être tragiques. A mon avis, il n’est ni justifié ni acceptable au Canada que nous courrions le risque qu’entraînerait un rendement inférieur à la norme.

> - 40 Ce risque réel et important doit être mesuré (selon la décision Carson) en fonction des capacités qu’a la GRC de sélectionner individuellement les candidats quant à leur possibilité de rendement au travail.

Je le répète, le rôle des gardes stationnaires de la GRC est singulier en de sens que ces personnes pourraient s’acquitter de façon satisfaisante de leurs fonctions courantes, et même peut- être faire toute une carrière, sans jamais se trouver dans une situation de crise, pour laquelle ils ont été embauchés et formés. D’éventuelles données statistiques concernant le rendement au travail des gardes stationnaires après leur entrée en fonctions, comme celles préconisées par le Dr Cupples et le Dr Webster, pourraient nous induire en erreur. De surcroît, les risques que les expériences nécessaires à la collecte de ces données supposeraient seraient inacceptables. Des épreuves de simulation ne produiraient pas nécessairement des résultats exacts ou objectivement normalisés. Je ne suis pas convaincu que le recours à des tests de simulation pour procéder à une sélection individuelle permettrait de protéger le public aussi bien que les épreuves actuellement utilisées par la GRC. Le fait de faire subir aux personnes qui n’atteindraient pas la norme minimale d’acuité visuelle des épreuves visant les autres aspects de leur vision comporte de nombreuses difficultés, comme cela a déjà été dit. De plus, rien ne permettrait de croire de façon certaine que des résultats supérieurs obtenus aux autres tests visuels compenseraient un résultat au- dessous de la norme à l’échelle Snellen. Nous nous trouverions donc devant la même situation d’incertitude en ce qui concerne la performance réelle du candidat en situation de crise.

Pour résumer, j’estime que les solutions de rechange dont l’employeur dispose ici ne sont pas satisfaisantes. Le risque n’est as uniquement réel, mais important. C’est pourquoi je conclus que, même si nous adoptions l’interprétation du critère objectif préconisé dans la décision Carson, la mise en cause répondrait encore à ce critère.

En conclusion, la mise en cause a établi, selon la prépondérance des probabilités, en s’appuyant sur des éléments de preuve scientifiques, que les normes d’acuité visuelle sans correction qu’elle impose à ses éventuels gardes stationnaires constituent une exigence professionnelle normale au sens du paragraphe 14( a) de la LCDP.

> - 41 Il m’a été demandé de traiter de deux questions supplémentaires:

a) les dépens; et b) la procédure

a) LES DÉPENS Bien qu’à mon avis la position- de la Commission soit faible, il n’est pas de ma compétence d’attribuer les dépens. Le défaut d’une telle compétence, je me dois de le supposer, est intentionnel et non accidentel. Plutôt que de chercher à contourner l’intention du législateur, je lui laisse l’initiative d’apporter des modifications à la Loi s’il le juge à propos.

b) LA PROCÉDURE La mise en cause a soutenu que la Commission avait la possibilité de séparer sa cause en deux en faisant d’abord valoir brièvement le bien- fondé de l’affaire pour ensuite attendre qu’elle même, la mise en cause, ait présenté sa défense relative à l’exigence professionnelle normale avant de répondre. On a soutenu qu’il faudrait autoriser la Commission à réfuter la preuve seulement après que la mise en cause a présenté sa défense.

L’avocat de la Commission a soutenu que, sans procédure d’enquête préalable, il est impossible de savoir d’avance quels arguments la mise en cause fera valoir. Je souscris à cette idée, mais ce raisonnement a deux tranchants. Aucune des deux parties n’a l’avantage de l’enquête préalable. Aussi, ai- je beaucoup de sympathie pour les mis en cause qui sont forcés de réfuter des arguments qui leur sont largement inconnus.

Ici encore, ce sont des modifications législatives qu’il faudrait, plutôt que des directives de ma part. Il m’apparait ironique qu’une loi à laquelle on a incorporé un minimum de règles procédurières, dans le but de faciliter le règlement rapide et souple des différends, puisse en fait aboutir à des incertitudes, des retards et d’interminables discussions de procédure.

J’aimerais remercier les avocats de la qualité de leurs communications et de leurs présentations.

Les plaintes d’André Séguin et de George Tuskovich sont rejetées. FAIT à Lloydminster (Saskatchewan/ Alberta), ce 16e jour de décembre 1988.

KEVIN W. HOPE, Président

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