Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

DETRA BERBERI

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

l'intimé

DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : J. Grant Sinclair

2009 TCDP 21
2009/07/27

I. INTRODUCTION

II. DÉCISION

I. INTRODUCTION

[1] Detra Berberi est la plaignante en l'espèce. Elle travaille pour le gouvernement fédéral depuis 23 ans. Elle occupe actuellement le poste de commis aux finances/à l'administration (CR-04) auprès de Développement des ressources humaines Canada (DRHC), à ses bureaux régionaux situés au 4900, rue Yonge, à Toronto.

[2] À la fin des années 90, Mme Berberi a été impliquée dans deux accidents de voiture, le premier en 1998 et le second en 1999. En conséquence, Mme Berberi a subi des blessures au cou et souffre de douleurs dans le bas du dos ainsi que de fibromyalgie. Depuis 1998, elle est également atteinte de dépression, autre séquelle de l'accident. Mme Berberi n'a été hospitalisée à la suite de ni l'un ni l'autre accident, mais elle travaille par intermittence depuis 1999.

[3] Elle est retournée travailler à temps plein pour DRHC en octobre 2004, étant temporairement affectée, pendant trois mois, aux bureaux régionaux de DRHC situés au 4900, rue Yonge, à Toronto.

[4] Depuis les accidents de voiture, Mme Berberi appréhende beaucoup de conduire sur les grandes autoroutes, ce qui serait nécessaire si elle voulait se rendre en voiture de son domicile de Mississauga à son lieu de travail situé au 4900, rue Yonge. Au lieu de cela, elle emprunte les autobus GO, et son aller au travail et son trajet de retour lui prennent en tout plus de trois heures chaque jour.

[5] En décembre 2004, Mme Berberi a demandé sa mutation à titre de commis aux finances/à l'administration (CR-04) au détachement de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de Milton, en Ontario. Elle a posé sa candidature pour ce poste parce qu'elle croyait que cela lui permettrait d'avoir un emploi stable tout en travaillant près de chez elle. Cela lui éviterait les longs trajets quotidiens en autobus ou la conduite sur une grande autoroute.

[6] Pendant qu'elle attendait une réponse de la GRC, un poste à durée déterminée est devenu vacant au ministère de la Justice, à ses bureaux de Bramalea. Mme Berberi a obtenu le poste et a travaillé là de janvier 2005 à mars 2006. Les bureaux de Brampton étaient situés très près de son domicile.

[7] En mars 2005, elle a reçu un courrier électronique du caporal Mark duPuy de la GRC, lui demandant de se présenter à une entrevue. C'est ce qu'elle a fait, et peu de temps après, on lui a fait savoir qu'elle était arrivée en tête du classement et qu'elle était la candidate retenue. Le caporal duPuy lui a demandé de remplir les documents nécessaires pour obtenir la cote de sécurité très secret, qui était exigée pour le poste. Mme Berberi a rempli les formulaires en question, a envoyé des photos et s'est rendue aux bureaux de la GRC afin de faire prendre ses empreintes digitales.

[8] En mai 2005, le caporal duPuy a envoyé un courrier électronique à Mme Berberi l'informant qu'un nouvel officier, le sergent d'état-major Mabee, avait été muté aux bureaux de Milton et désirait la voir. Quand Mme Berberi a rencontré le sergent-chef Mabee plus tard au mois de mai, celui-ci lui a dit qu'il n'était pas certain qu'elle soit la personne indiquée et qu'on puisse se fier à elle pour le poste, considérant son absentéisme au travail après ses accidents de voiture. Il s'inquiétait de ce que les problèmes médicaux de Mme Berberi puissent faire en sorte qu'elle s'absente de nouveau du travail pendant de longues périodes.

[9] Après cette rencontre, Mme Berberi n'a plus eu de nouvelles de la GRC, jusqu'à ce que, le 1er décembre 2005, en réponse à une demande d'information concernant sa candidature, elle reçoive un courrier électronique de Diane Mallett, agente de dotation aux bureaux de la GRC de la région du Centre, auquel était jointe une lettre datée du 10 août 2005.

[10] Dans cette lettre, Mme Mallett informait Mme Berberi qu'on n'avait pas donné suite à sa demande parce que d'autres employés [traduction] touchés s'étaient manifestés et qu'on leur avait par conséquent accordé la priorité. On ne lui a pas expliqué pourquoi elle n'avait pas reçu cette lettre plus tôt.

[11] Mme Berberi a déclaré que cette lettre l'avait anéantie et beaucoup déprimée. Elle pensait avoir surmonté tous les obstacles l'empêchant de recommencer à travailler à temps plein et elle souhaitait remettre sa carrière sur les rails au service de la GRC, en travaillant près de chez elle.

[12] Mme Berberi ne s'est pas fait soigner pour la dépression dont elle affirme avoir souffert. Après avoir reçu la lettre en question, elle a continué de travailler pour le ministère de la Justice, et ce, jusqu'en mars 2006. Pendant cette période, elle n'a pris que très peu de congés de maladie, voire aucun.

[13] En mars 2006, son emploi auprès du ministère de la Justice a pris fin et elle est retournée travailler dans les bureaux de DRHC situés rue Dundas. Pendant l'été, Mme Berberi a appris que certains changements avaient lieu au sein de l'organisation. En vertu de l'Entente sur le développement du marché du travail conclue entre le Canada et l'Ontario, le poste de Mme Berberi serait transféré soit aux bureaux du gouvernement de l'Ontario, soit aux bureaux de DRCH situés au 4900, rue Yonge, et ce, à partir du 2 janvier 2007. Ces deux emplacements se trouvaient à environ cinq minutes l'un de l'autre, et le fait de devoir travailler là impliquait pour Mme Berberi d'effectuer un trajet quotidien de plus de trois heures.

[14] Mme Berberi a éprouvé beaucoup d'inquiétude et d'anxiété à l'idée du long trajet quotidien et des modifications susceptibles d'influer négativement sur son salaire et ses prestations de pension si elle allait travailler pour le gouvernement de l'Ontario.

[15] Pendant que tout cela avait couru, Mme Berberi a déposé une plainte concernant les droits de la personne contre la GRC auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) le 7 août 2006. Dans sa plainte, elle a fait valoir que la GRC lui avait refusé le poste de CR-04 en raison de sa déficience et de son absentéisme passé, ce qui contrevient à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

[16] Le 11 décembre 2006, Mme Berberi a consulté son médecin de famille, le docteur Min K. Yang. Celui-ci lui a rédigé une lettre datée du même jour, adressée [traduction] À qui de droit. Dans sa lettre, le docteur Yang a déclaré :

[traduction]

Mme Berberi m'a récemment consulté au sujet des symptômes d'anxiété, d'insomnie et de stress émotionnel dont elle souffre et qui sont liés à sa mutation prochaine à North York, du fait des longs trajets qu'elle aura à effectuer quotidiennement à travers la ville. Par le passé, Mme Berberi a été impliquée dans des accidents de voiture, en conséquence de quoi elle a souffert de douleurs chroniques et de fibromyalgie à partir de 1998, des conditions qui se sont manifestées par intermittence jusqu'en 2004. Mme Berberi n'est retournée travailler pour DRHC qu'en octobre 2004. Bien que ses douleurs chroniques soient beaucoup moins intenses depuis quelques années, elle continue de ressentir de l'anxiété et de la nervosité quand elle conduit sur l'autoroute. Dans son état de santé, il lui serait néfaste de devoir parcourir de longs trajets sur une base quotidienne. Cela serait même susceptible de provoquer une rechute. Veuillez accorder une attention particulière à toute redéfinition de son emploi et réaffectation en un autre lieu de travail.

[17] Mme Berberi a déclaré que la lettre visait à informer DRHC qu'elle souffrait d'anxiété et d'autres problèmes médicaux ainsi qu'à appuyer son souhait d'être mutée dans des bureaux plus proches de chez elle.

[18] Le 29 décembre 2006, Mme Berberi travaillait dans les bureaux de DRHC de la rue Dundas quand elle a eu un accès d'anxiété et une crise de panique, à la suite de quoi elle a perdu connaissance. Elle a été conduite à l'hôpital, dont elle est sortie très peu de temps après.

[19] Mme Berberi est partie en congé de maladie le 29 décembre 2006. Le 2 janvier 2007, elle a consulté le docteur Yang, qui lui a remis une note affirmant qu'elle [traduction] n'est pas en mesure de retourner travailler du fait de l'anxiété et de la dépression dont elle est atteinte, et ce, jusqu'à nouvel ordre.

[20] Le 21 juin 2007, le docteur Yang a écrit une nouvelle note affirmant que Mme Berberi [traduction] continue de souffrir de dépression chronique. Elle est en attente de soins psychiatriques. On ne peut fixer de date de retour au travail. Mme Berberi a déclaré que ces notes visaient à prévenir DRHC qu'elle n'était pas capable de travailler et à expliquer pourquoi.

[21] Quand elle a arrêté de travailler, Mme Berberi a fait une demande de prestations d'invalidité de longue durée à la Sun Life. Tout au long de l'année 2007, elle a reçu des paiements bimensuels sous forme de dépôts directs sur son compte bancaire. Elle a cru qu'il s'agissait de la prestation d'invalidité de longue durée de la Sun Life. Toutefois, en février 2008, elle a reçu du gouvernement de l'Ontario un feuillet T4, État de la rémunération pour 2007, d'un montant de 41 474,83 $.

[22] Avant cela, Mme Berberi avait prévenu le gouvernement de l'Ontario par courrier électronique qu'elle ne se présenterait pas au travail le 2 janvier 2007. Ce n'est que quand elle a reçu le feuillet T4 qu'elle a appris que les paiements qu'elle recevait venaient du gouvernement de l'Ontario et non de la Sun Life. Le gouvernement de l'Ontario a mis fin à ces paiements au début du mois de février 2008 et la Sun Life a alors commencé à verser à Mme Berberi des prestations d'invalidité, y compris leur paiement rétroactif à février 2008.

[23] La prochaine preuve médicale est une lettre de la docteure Zofia Aleksiejuk, datée du 13 novembre 2008. La docteure Aleksiejuk est la psychiatre de Mme Berberi; cette dernière a commencé à la consulter en octobre 2007. Cette lettre était adressée [traduction] À qui de droit et confirmait que Mme Berberi serait prête à retourner au travail de manière progressive à partir du 15 décembre 2008.

[24] Mme Berberi devait commencer à travailler quatre matinées par semaine et ensuite ajouter une demi-journée chaque semaine ou toutes les deux semaines si elle le supportait. La docteure Aleksiejuk recommandait également que Mme Berberi n'effectue pas de trajets supérieurs à 45 minutes pour se rendre au travail. Mme Berberi est retournée travailler le 14 avril 2009 aux bureaux de DRHC situés au 4900, rue Yonge.

[25] À l'audience, Mme Berberi a présenté une lettre de la docteure Aleksiejuk datée du 28 mai 2009. Le Tribunal a admis cette lettre en preuve, sous réserve du poids à lui accorder. Dans sa lettre, la docteure Aleksiejuk affirme que Mme Berberi est sa patiente depuis le 4 octobre 2007 et qu'elle souffre de trouble panique et de trouble dépressif majeur.

[26] La lettre de la docteure Aleksiejuk rappelait que Mme Berberi avait déjà travaillé aux bureaux du 4900, rue Yonge, à l'occasion d'une affectation de trois mois, et qu'elle n'avait pas pu supporter les longs trajets quotidiens. La raison principale pour laquelle Mme Berberi avait cherché à obtenir une réaffectation à la GRC était que les bureaux de la GRC se trouvaient à dix minutes de son domicile et qu'elle ne perdrait pas son ancienneté ou d'années de service ouvrant droit à pension, étant donné qu'il s'agissait au fond d'une simple mutation d'un organisme fédéral à un autre.

[27] La docteure Aleksiejuk a rappelé aussi que le 29 décembre 2006, Mme Berberi avait eu un accès d'anxiété et une crise de panique au travail. La docteure Aleksiejuk a écrit que Mme Berberi avait été complètement dépassée à l'idée que la possibilité d'être embauchée par la GRC lui échappe pour des raisons discriminatoires et qu'elle doive commencer à travailler pour le gouvernement provincial à partir du 2 janvier 2007, ce qui impliquait un trajet quotidien de plus de trois heures.

[28] Mme Berberi a affirmé avoir souffert sur les plans émotionnel et social. Son sommeil ainsi que sa concentration en ont été perturbés. Le fait de ne pas avoir obtenu l'emploi à la GRC avait affecté sa confiance en elle et elle n'avait pu se résoudre à poser sa candidature à d'autres emplois.

[29] La docteure Aleksiejuk a ajouté que Mme Berberi avait l'impression que si la GRC l'avait embauchée au printemps 2005, elle n'aurait pas eu à déposer une plainte et n'aurait pas eu à être mutée au gouvernement provincial. Elle aurait été en poste à la GRC et il est possible qu'elle aurait déjà eu une promotion.

II. DÉCISION

[30] Le 25 mai 2009, l'avocat de la GRC a écrit une lettre à Mme Berberi et au Tribunal dans laquelle il reconnaissait que la décision de la GRC de ne pas embaucher Mme Berberi avait été en partie fondée sur la perception que Mme Berberi était atteinte d'une déficience. L'avocat de la GRC a alors proposé que l'audition de la plainte porte uniquement sur la question des réparations qu'il convient d'accorder.

[31] Mme Berberi a demandé à se voir attribuer un poste permanent à la GRC, proposant les trois lieux de travail qu'elle privilégiait, soit Explorer Drive à Mississauga, Milton ou l'aéroport.

[32] Lors de l'audience, la GRC a offert à Mme Berberi un poste à durée indéterminée de commis aux finances/à l'administration (CR-04) au détachement de la GRC de Milton, qui comptait parmi les lieux de travail qu'elle privilégiait. La seule condition était que Mme Berberi obtienne une cote de sécurité très secret. La GRC a également proposé d'effectuer une évaluation de la capacité fonctionnelle de Mme Berberi et de faire les adaptations nécessaires afin qu'elle puisse remplir ses fonctions avec succès.

[33] Mme Berberi a accepté cette offre et a convenu que cela correspondait à la réparation qu'elle avait demandée, soit un poste permanent à la GRC. Les parties ont convenu qu'il était inutile que le Tribunal rende une ordonnance.

[34] Mme Berberi fait valoir que si elle avait obtenu le premier poste à la GRC, elle aurait gagné un salaire annuel de 44 946 $. Elle demande à être indemnisée pour les pertes de salaire subies en 2007, en 2008 et pendant une partie de 2009. Pour 2007, elle demande 3 000 $, montant qui selon elle représente la différence entre le salaire que lui aurait versé la GRC et la somme de 41 474 $ que lui a versée le gouvernement de l'Ontario.

[35] Pour 2008, elle réclame 14 000 $, soit la différence entre le salaire que lui aurait versé la GRC et les 30 000 $ qu'elle a reçus de la Sun Life. De la même manière, elle demande entre 4 000 et 5 000 $ pour une partie de 2009. Mme Berberi demande également que dans cette indemnisation on tienne compte des montants des cotisations de retraite, au RPC et à l'assurance-emploi qu'elle aurait versées si elle avait travaillé pour la GRC.

[36] Mme Berberi prétend que les catalyseurs de sa demande d'indemnisation pour les pertes de salaire qu'elle a subies pendant les années 2007, 2008 et une partie de 2009 ont été l'accès d'anxiété et la crise de panique qu'elle a eus le 29 décembre 2006, à la suite de quoi elle a été mise en arrêt de travail jusqu'au 14 avril 2009. Elle attribue cette situation au fait que la GRC ne lui a pas accordé la réaffectation qu'elle demandait, agissant ainsi de manière discriminatoire.

[37] Je suis d'avis que cette affirmation n'est pas plausible, et ce, pour un certain nombre de raisons. Premièrement, la crise de panique est survenue plus d'un an après que Mme Berberi eut appris qu'elle n'obtiendrait pas le poste à la GRC. Deuxièmement, la crise de panique est survenue seulement quatre jours avant la date à laquelle elle était censée commencer à travailler pour le gouvernement de l'Ontario, à un emplacement qui impliquait une fois encore qu'elle effectue un trajet quotidien de trois heures.

[38] Troisièmement, Mme Berberi n'a pas cherché à obtenir quelque soin médical que ce soit après avoir appris qu'elle n'obtiendrait pas le poste à la GRC, même si elle a déclaré qu'elle avait été anéantie et qu'elle avait sombré dans la dépression. En fait, elle était satisfaite de continuer à travailler pour le ministère de la Justice entre le 1er décembre 2005 et mars 2006, et ensuite pour DRHC, les bureaux étant, dans les deux cas, commodément situés près de chez elle.

[39] Quatrièmement, elle ne demande pas à être indemnisée pour les pertes de salaire subies pendant l'année 2006. Cinquièmement, elle n'a pas déposé sa plainte en matière de droits de la personne avant août 2006, presque neuf mois après avoir reçu la lettre de refus de la GRC.

[40] Je pense que la principale source de préoccupation de Mme Berberi résidait dans le fait qu'elle serait bientôt contrainte d'effectuer de nouveau de longs trajets quotidiennement. Ce n'est qu'après avoir appris que sa mutation était imminente qu'elle a commencé à éprouver de l'anxiété, ce qui a culminé le 29 décembre 2006, quelques jours seulement avant la date prévue.

[41] Cela ressort clairement de la preuve médicale. Dans sa lettre datée du 11 décembre 2006, le docteur Yang a écrit que Mme Berberi souffre de [traduction] symptômes d'anxiété, d'insomnie et de stress émotionnel [...] liés à sa mutation prochaine à North York, du fait des longs trajets qu'elle aura à effectuer quotidiennement à travers la ville. Il a demandé qu'on accorde une attention particulière à la définition de ses tâches et à son lieu de travail. Il n'a aucunement fait référence aux effets ou aux conséquences que la lettre de refus reçue le 1er décembre 2005 avait eus sur Mme Berberi.

[42] La lettre datée du 13 novembre 2008 de la docteure Aleksiejuk ne fait aucunement état de la crise de panique que Mme Berberi a eue le 29 décembre 2006. Cette lettre visait à donner la date de retour au travail prévue de Mme Berberi et à appuyer un retour au travail progressif ainsi qu'une affectation en un lieu situé à moins de 45 minutes du domicile de celle-ci.

[43] En ce qui concerne la lettre datée du 28 mai 2009 de la docteure Aleksiejuk, je ne lui accorde que très peu de poids, si ce n'est aucun. Elle a été écrite seulement quelques jours avant le début de l'audience, et selon moi, elle visait davantage à appuyer la cause de Mme Berberi qu'à fournir une opinion médicale objective.

[44] Le seul avis médical donné par la docteure Aleksiejuk était que Mme Bereberi souffrait de trouble panique et de trouble dépressif majeur. Autrement, la docteure Aleksiejuk ne fait que répéter ce que Mme Berberi lui a dit. Soit que la principale raison pour laquelle Mme Berberi a postulé auprès de la GRC était que les bureaux de la GRC étaient situés à dix minutes de chez elle. Qu'elle ne pouvait se faire à l'idée de commencer un nouvel emploi au gouvernement provincial, lequel exigeait qu'elle effectue de longs trajets quotidiennement. Que si la GRC l'avait embauchée, elle n'aurait pas eu à déposer de plainte en matière de droits de la personne et n'aurait pas été mutée au gouvernement de l'Ontario. Que si elle obtenait un emploi à la GRC et travaillait à l'un des trois bureaux situés à proximité de son domicile, elle pourrait travailler à temps plein et n'aurait pas à effectuer de trop longs trajets quotidiennement.

[45] Je pense que le départ en congé de maladie prolongé de Mme Berberi, le 29 décembre 2006, a été causé par sa mutation au gouvernement provincial ainsi que par l'anxiété et l'inquiétude qu'elle éprouvait à la perspective d'effectuer un trajet quotidien de trois heures. Il n'a pas découlé du fait que la GRC lui avait refusé l'affectation qu'elle avait demandée. Par conséquent, je rejette sa demande d'être indemnisée pour les pertes de salaire et autres pertes indirectes qu'elle a subies.

[46] Mme Berberi demande une indemnité de 12 000 à 15 000 $ au titre du préjudice moral qu'elle affirme avoir subi en conséquence de l'acte discriminatoire. Il s'agit clairement de la limite maximale qu'il est possible accorder à titre d'indemnité pour préjudice moral. Dans le passé, le Tribunal a accordé des indemnités de ce montant seulement en dédommagement des actes discriminatoires les plus odieux.

[47] En vue de déterminer le montant adéquat des indemnités pour préjudice moral, la GRC a renvoyé à deux décisions du Tribunal, Richard Warman c. Kyburz, 2003 TCDP 18, et Woiden et al. c. Dan Lynn, (2002), 43 C.H.R.R. D/296.

[48] Dans la décision Warman, le plaignant a soutenu que l'intimé avait fait diffuser des messages haineux sur son site Internet. Le Tribunal a conclu que l'intimé avait contrevenu à l'article 13 de la LCDP et il a accordé au plaignant la somme de 15 000 $ au titre du préjudice moral qu'il avait subi. Ce faisant, le Tribunal a souligné le fait que l'intimé avait à maintes reprises décrit M. Warman en des termes extrêmement négatifs, qu'il avait tenté d'interférer quant au travail de M. Warman en essayant de le faire renvoyer et, ce qui était encore plus préoccupant, qu'il avait formulé des menaces de mort à l'endroit du plaignant.

[49] Il ressortait clairement des déclarations du plaignant que ces évènements l'avaient secoué. Il a décrit les craintes qu'il avait éprouvées pour sa sécurité ainsi que celle de ses proches et les répercussions que cela avait eu sur sa vie de tous les jours. Le Tribunal a également accordé 15 000 $ au plaignant à titre d'indemnité spéciale pour la conduite délibérée et inconsidérée de l'intimé.

[50] L'affaire Woiden portait sur le harcèlement sexuel dont quatre employées avaient fait l'objet de la part de leur supérieur. L'intimé était le gestionnaire responsable sur le lieu de travail; il avait fait un certain nombre d'avances sexuelles aux plaignantes et les avait insultées en usant des termes les plus dégradants et ignobles qui soient. Il lui arrivait aussi de formuler des commentaires négatifs sur l'apparence des plaignantes et il avait essayé de nombreuses fois de regarder sous leurs vêtements. Il lui est arrivé une fois de saisir ses parties génitales et d'ouvrir partiellement la fermeture éclair de son pantalon. Sa conduite a incité trois des plaignantes à quitter le lieu de travail.

[51] Le Tribunal a accordé 8 000 $ à trois des plaignantes et 6 000 $ à la quatrième pour le préjudice moral qu'elles avaient subi. Toutefois, les plaignantes s'étaient déjà entendues avec leur employeur au sujet du montant de l'indemnité pour le préjudice moral qu'elles avaient subi. Le Tribunal a tenu compte de cet élément afin d'éviter d'accorder aux plaignantes une somme excédant le maximum prévu par la LCDP.

[52] Dans l'affaire Woiden, le Tribunal a également accordé à chaque plaignante 10 000 $ à titre d'indemnité spéciale pour la conduite délibérée et inconsidérée de l'intimé.

[53] Mme Berberi a déclaré qu'elle s'était sentie anéantie et déprimée quand elle a reçu la lettre de refus le 1er décembre 2005. Elle n'a formulé aucun autre argument ou ne s'est réclamé d'aucun autre fait susceptible d'appuyer sa demande d'une indemnité comprise entre 12 000 et 15 000 $.

[54] Il ne fait aucun doute que Mme Berberi a ressenti un choc en apprenant que sa demande avait été refusée, la nouvelle étant arrivée très tard, au mois de décembre 2005, après qu'on lui eut dit qu'elle s'était classée première au concours et qu'il ne lui restait plus qu'à faire traiter sa demande de cote de sécurité très secret.

[55] En l'espèce, à la lumière des décisions Warman et Woiden, il ne convient certainement pas d'accorder une somme qui s'approcherait du maximum prévu à titre d'indemnité pour préjudice moral. Un montant bien moins élevé serait indiqué. En tenant compte des déclarations de Mme Berberi au sujet des répercussions qu'a eues sur elle le refus de la GRC de lui offrir l'affectation, et du fait qu'elle a continué à travailler dans les bureaux de Brampton entre le 1er décembre 2005 et mars 2006, lesquels bureaux se trouvaient à une distance acceptable de chez elle, je lui accorde la somme de 4 000 $ à titre d'indemnité pour le préjudice moral qu'elle a subi.

[56] Mme Berberi prétend également qu'en refusant sa demande, la GRC a commis un acte discriminatoire délibéré et inconsidéré. Elle réclame des indemnités de 12 000 à 15 000 $. Il est vrai que le sergent d'état-major Mabee était préoccupé par son absentéisme passé et s'inquiétait du fait que ses problèmes de dos pourraient se traduire par d'autres périodes prolongées d'absentéisme. Cet élément relève toutefois de la question de la responsabilité, que la GRC a admise. Cela ne suffit pas à démontrer que la GRC a agi de manière délibérée ou inconsidérée.

[57] Mme Berberi a contesté le fait que l'affectation en question aurait dû être accordée à un employé [traduction] touché, qui s'était manifesté et à qui on avait accordé la priorité (comme Diane Mallett l'avait écrit dans sa lettre). Que cela soit juste ou non, je ne vois pas comment on pourrait qualifier cette conduite de délibérée ou d'inconsidérée de la part de la GRC. La demande n'est pas fondée et je la rejette.

[58] Mme Berberi demande également à être remboursée des débours qu'elle estime s'élever à environ 1 000 $. Elle a mentionné des frais de photocopie et les coûts associés aux lettres des médecins. Elle n'a fourni aucun reçu justificatif. Je ne peux lui accorder aucun dédommagement à cet égard.

[59] En ce qui a trait à la question des frais juridiques, Mme Berberi a présenté une lettre du cabinet d'avocats Rueter Scargall Bennett datée du 11 novembre 2008, faisant référence à la [traduction] plainte en matière de droits de la personne contre la GRC et demandant le paiement d'un compte de 614,25 $. La lettre ne précise en rien la nature des services juridiques en cause ou les dates auxquelles ces services ont été fournis. En l'absence de telles informations, je ne peux ordonner à la GRC de rembourser à Mme Berberi les frais en question.

[60] L'avocat de Mme Berberi, Me Robert Kostynuik, a présenté une copie papier d'un document informatique daté du 1er juin 2009 décrivant les services juridiques offerts à Mme Berberi par son cabinet ainsi que le décompte des heures passées à travailler sur le dossier de celle-ci entre le 8 mai et le 2 juin 2009.

[61] Selon ce relevé, Me Kostyniuk a consacré 13 heures à se préparer en vue de l'audience et à y assister, et un jeune avocat de son cabinet a passé 9,1 heures à faire du travail de préparation. Me Kostyniuk a souligné qu'il avait une connaissance limitée de la LCDP, et comme il l'a expliqué, il a passé une partie du temps consacré au dossier à s'informer et à mettre ses connaissances de la LCDP à jour.

[62] Me Kostynuik a été admis au barreau en 1968. Son taux horaire s'élève à 450 $. Le taux horaire de l'avocat qui l'a assisté, lequel a été admis au barreau en 2008, est de 175 $. Me Kostyniuk a déclaré que si le Tribunal accordait à la plaignante une indemnité substantielle et totale, ses frais juridiques s'élevaient à 9 232,13 $, TPS incluse.

[63] Si le Tribunal accorde à la plaignante une indemnité partielle pour ses frais juridiques, il affirme que son taux horaire est de 275 $ et celui de l'avocat qui l'assiste de 125 $, ce qui donne un total de 5 814 $, TPS incluse.

[64] Pour déterminer le montant adéquat de l'indemnité pour frais juridiques à accorder à la plaignante, j'ai examiné les éléments suivants. Me Kostnykuik a reconnu qu'il n'avait pas une grande expérience des plaintes déposées en vertu de la LCDP et qu'il s'agissait pour lui d'une occasion d'apprendre. Il a dû consacrer du temps à se familiariser avec la LCDP et la jurisprudence connexe.

[65] La GRC a admis sa responsabilité relativement à l'acte discriminatoire et a ainsi considérablement réduit la durée prévue pour l'audience. En ce qui concerne les réparations, Mme Berberi n'a vu qu'une partie de ses demandes aboutir. Lors de l'audience, la GRC a accepté d'offrir à Mme Berberi un poste de CR-04 à Milton, un des emplacements pour lequel elle avait indiqué une préférence. À part cela, parmi toutes les réparations qu'elle a demandées, le Tribunal ne lui a accordé qu'un montant de 4 000 $ à titre d'indemnité pour le préjudice moral qu'elle avait subi, un montant considérablement inférieur à la somme de 12 000 à 15 000 $ qu'elle réclamait.

[66] Par ailleurs, je conviens avec Me Kostyniuk que l'audience s'est déroulée de manière plus efficace et concise que s'il n'avait pas représenté Mme Berberi. À la lumière de tous ces éléments, j'accorde à Mme Berberi la somme de 5 814 $ au titre de ses frais juridiques.

[67] Par conséquent, la GRC devra verser à Mme Berberi la somme de 4 000 $ au titre du préjudice moral qu'elle a subi, plus les intérêts calculés conformément au paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne, et 5 814 $ pour ses frais juridiques.

[68] Finalement, à la demande de la GRC, j'ordonne que l'intitulé de la présente cause soit modifié et que l'on remplace la Gendarmerie royale du Canada par le procureur général du Canada.

J. Grant Sinclair

OTTAWA (Ontario)
Le 27 juillet 2009

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1311/4108

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Detra Berberi c. Procureur général du Canada

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 1er et 2 juin 2009

Toronto (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 27 juillet 2009

ONT COMPARU :

Robert Kostyniuk

Pour la plaignante

Aucune représentation

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Shelley C. Quinn

Pour l'intimé

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