Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE JACQUELINE BROWN

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

l'intimée

MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LES MESURES DE REDRESSEMENT

MEMBRE INSTRUCTEUR : M Paul Groarke

2004 TCDP 24

2004/07/16

[TRADUCTION]

I. PRÉJUDICE MORAL

II. CONDUITE DÉLIBÉRÉE ET INCONSIDÉRÉE

III. ORDONNANCE SUR L'INDEMNITÉ ACCORDÉE

IV. AUTRES QUESTIONS

[1] La présente décision porte sur les mesures de redressement. À mon avis, l'obligation du Tribunal de procéder de façon expéditive , pour reprendre les mots employés dans la Loi, s'applique également à la question du redressement. Par conséquent, j'ai informé les parties que je réglerais le plus grand nombre possible de questions en suspens avant de me pencher sur celle des frais.

[2] La plaignante demande d'être indemnisée sous deux chefs. D'abord, elle réclame une indemnité de vingt mille dollars, soit l'indemnité maximale pouvant être accordée en cas de préjudice moral aux termes de l'alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ensuite, elle exige une indemnité du même montant en vertu du paragraphe 53(3), qui permet au Tribunal d'accorder des dommages-intérêts supplémentaires s'il en vient à la conclusion que l'acte a été délibéré ou inconsidéré . En outre, la plaignante demande que le Tribunal lui accorde des intérêts sur l'indemnité et ordonne que les frais qu'elle a engagés relativement à l'audience lui soient remboursés.

I. Préjudice moral

[3] Il ne fait aucun doute que la plaignante a souffert émotionnellement des injustices dont elle a été victime dans le processus de promotion. L'expérience l'a ébranlée. Son amour-propre en a pris pour son rhume. Je suis persuadé qu'elle a droit à une indemnité substantielle au titre du préjudice moral.

[4] Il y a eu un débat sur la raison d'être d'une telle indemnité. L'avocat de la plaignante a fait valoir que l'indemnité pour préjudice moral ne se voulait pas [TRADUCTION] simplement une compensation monétaire pour la douleur et la souffrance infligées à la victime . Cette indemnité vise également à montrer que la société condamne de telles pratiques.

[5] Je ne suis pas convaincu. La législation sur les droits de la personne revêt un caractère réparateur plutôt que punitif. L'indemnité a pour objet de remettre la partie plaignante dans la situation où elle aurait été n'eût été de l'acte discriminatoire. Lorsqu'il s'agit de déterminer le montant d'une indemnité, on devrait se fonder sur les expériences vécues par la partie plaignante plutôt que sur la conduite de la partie intimée.

[6] À mon avis, Me Gordon devrait invoquer à l'appui de son argument le paragraphe 53(3), qui prévoit un chef d'indemnité distinct dans les cas où l'acte discriminatoire a été délibéré ou inconsidéré. La règle générale voulant que la législation revête un caractère réparateur semble souffrir d'une exception. On peut présumer que cette disposition se veut une mesure dissuasive et vise à décourager ceux qui font délibérément de la discrimination.

[7] En ce qui concerne le paragraphe 53(2), la situation est différente. En règle générale, la nature de la conduite de l'intimée n'est pertinente du point de vue de la détermination de l'indemnité pour préjudice moral que lorsqu'il existe un lien causal entre la conduite de la partie intimée et l'état émotionnel de la partie plaignante. Si la conduite de la GRC a eu pour effet d'accroître le degré de stress et de frustration de la plaignante, je conviens qu'il y a lieu de tenir compte de cet élément dans la détermination de l'indemnité au titre du préjudice moral. C'est le cas en l'espèce.

[8] La plaignante soutient que la conduite de la GRC a aggravé inutilement sa souffrance. Dans une certaine mesure, je comprends ce point de vue. En l'espèce, l'attitude de la Gendarmerie a été pour le moins intransigeante. La GRC a laissé la situation perdurer indûment, ce qui a aggravé sa souffrance. Cet élément doit être pris en compte dans le contexte de l'indemnisation. La GRC a omis de corriger la situation. S'il y a un message à lui transmettre, c'est celui-là.

[9] J'ai déjà souligné qu'il y avait eu de l'entêtement de part et d'autre. Il est évident, par exemple, que la caporale Brown n'était pas disposée à rentrer au travail sans un aveu qu'elle avait été victime d'injustice. Cette attitude n'était pas totalement raisonnable. J'admets également que la Gendarmerie a fait des tentatives sincères et bien intentionnées pour résoudre la situation. Fait ironique, elle a accordé à la plaignante un congé médical pour lui permettre de surmonter les problèmes psychologiques causés par l'affaire.

[10] D'autres facteurs ont joué. Je ne suis pas en mesure de régler la querelle plutôt acrimonieuse entre les parties quant à l'étendue de la condition psychologiques antérieure de la plaignante. Il existe néanmoins de nombreux facteurs indépendants de la volonté de la Gendarmerie qui ont contribué à l'état émotionnel et mental de la plaignante. Son père était mourant; elle était en proie à des migraines et on a laissé entendre qu'elle était confrontée à des difficultés dans son ménage. Par ailleurs, elle a refusé de prendre des médicaments, apparemment pour des raisons médicales, et a rejeté les ouvertures que l'intimée lui a faites. Ce sont aussi des éléments qui entrent en ligne de compte dans la détermination du niveau d'indemnisation approprié.

II. Conduite délibérée et inconsidérée

[11] La plaignante exige également des dommages-intérêts exemplaires aux termes du paragraphe 53(3) en raison de la conduite délibérée et inconsidérée de l'intimée. Mon collègue Me Hadjis a accordé des dommages-intérêts en vertu de ce paragraphe dans un certain nombre d'affaires de harcèlement. Aussi la plaignante m'a-t-elle présenté des copies des décisions qu'il a rendues dans Woiden c. Lynn 2002 TCDP 6, Bushey c. Sharma, 2003 TCDP 21 et Groupe d'aide et d'information c. Jean Barbe, 2003 TCDP 24.

[12] Je ne vois pas vraiment en quoi ces décisions sont pertinentes à l'affaire dont je suis saisi. Dans chacun de ces cas-là, l'intimé a agi de façon humiliante et nettement blessante. Dans Woiden, par exemple, l'intimée traitait régulièrement ses employées de maudites putains , une situation qui ne s'apparente nullement à celle qui nous occupe.

[13] La Gendarmerie a peut-être fait preuve de discrimination à l'endroit de la plaignante, mais elle est demeurée bien en deçà des normes habituelles de conduite. L'Unité de gestion des carrières était en proie à d'énormes pressions qui émanaient de partout, mais elle s'est comportée de façon professionnelle. Elle ne s'est nullement comporté de façon offensante, contrairement à ce qui a manifestement été le cas dans les affaires citées par la plaignante. Je ne suis pas d'avis qu'il faille tenir compte des commentaires émis par le sergent Kalin.

[14] Le paragraphe 53(3) ne s'applique pas seulement à des cas de harcèlement. Il faut cependant plus que l'entêtement. À mon avis, la disposition invoquée prévoit une indemnisation dans les cas où il existait chez la partie intimée une intention, voire une volonté, de discrimination à l'endroit de la partie plaignante. L'intention de la loi s'applique notamment aux cas de conduite inconsidérée. Sous ce rapport, ces cas qui relèvent du paragraphe 53(3) diffèrent des plaintes habituelles de discrimination, qui n'exigent pas de preuve d'intention.

[15] La plaignante a fait valoir que la norme est moins élevée dans un cas de conduite inconsidérée que dans un cas de conduite délibérée. Elle s'est appuyée sur la définition du Dictionary of Canadian Law.

[TRADUCTION]

Inconsidéré : Se dit d'une personne qui, bien que consciente des conséquences qui pourraient résulter d'une façon d'agir ou d'une situation, décide de courir un risque qui est déraisonnable, compte tenu de sa nature et de son étendue.

Cette définition s'appliquerait uniquement dans la mesure où la partie intimée était consciente de l'état psychologique précaire dans lequel se trouvait la plaignante, et a manifesté le comportement reproché en sachant qu'elle risquait de pousser l'autre à la dépression. Les faits de l'espèce ne corroborent tout simplement pas pareille allégation.

[16] Je ne vois pas ici les indices d'une conduite inconsidérée. Les mots que la commission d'enquête emploie dans Cameron v. Nel-Gor Castle Nursing Home (1984), 5 C.H.R.R. D/2170 pour décrire les actes répréhensibles commis ne s'appliquent guère aux actes qui ont été posés dans le cas qui nous occupe et que l'on ne saurait qualifier de téméraires, d'insouciants ou de gratuits. La Gendarmerie a peut-être eu ses torts, mais elle n'a pas commis d'écarts de conduite et s'est comportée de façon professionnelle. À mon avis, il ne serait pas juste de dire qu'elle a agi de façon inconsidérée.

III. ORDONNANCE SUR L'INDEMNITÉ ACCORDÉE

[17] Eu égard à toutes ces considérations, le Tribunal ordonne à l'intimée de verser à la plaignante une somme de dix mille (10 000) dollars à titre d'indemnité pour préjudice moral. La plaignante a droit à des intérêts simples sur cette somme, qui doivent être calculés sur une base annuelle en se fondant sur le taux applicable aux obligations d'épargne du Canada. La période ouvrant droit à des intérêts est comprise entre le 14 mars 2000 et la date du paiement. Le Tribunal enjoint l'intimée de verser cette somme à la plaignante dans les quatre semaines suivant la date de la présente décision.

IV. AUTRES QUESTIONS

[18] La plaignante demande également qu'une copie de ma décision portant sur la responsabilité soit versée à son dossier d'employée. L'intimée ne s'étant pas opposée à cette demande, je lui ordonne de verser une copie de la décision en question, de même que la présente décision, au dossier de la caporale Brown. Il n'y a pas de raison d'étendre la portée de cette ordonnance aux décisions futures.

[19] Par ailleurs, une nouvelle question a surgi en ce qui concerne la mutation que j'ai ordonnée dans ma décision traitant de la responsabilité. Je crois comprendre que la plaignante a demandé un congé d'études. L'intimée a réagi en déposant un avis de requête visant à dessaisir le Tribunal de l'affaire. Le fond de l'affaire est décrit dans la documentation déposée par l'intimée.

[20] Je ne dispose pas de suffisamment de preuves pour régler la controverse entre les parties. Cela n'a pas d'importance. Dans les faits, les deux parties ont convenu que la Gendarmerie s'était conformée, sur le fond, à mon ordonnance. Je suis persuadé que la Gendarmerie a satisfait, voire outrepassé, ses obligations en ce qui touche l'octroi d'une mutation. Par conséquent, la présente décision peut être interprétée comme le constat formel que le Tribunal n'a pas compétence pour se pencher plus avant sur le litige.

[21] L'avocat de la plaignante a présenté au Tribunal des copies de certaines lettres échangées entre les parties à ce sujet. La lettre de l'avocat au Tribunal laisse entendre que la requête n'est pas nécessaire et témoigne simplement du désir de l'intimée [TRADUCTION] de dépeindre la plaignante comme une personne déraisonnable alors que le membre instructeur doit trancher la question des dommages-intérêts . Par conséquent, la plaignante allègue que la requête équivaut à un abus de procédure et demande qu'on l'indemnise des frais y afférents. La question des frais devra être tranchée ultérieurement. Toutefois, je puis fournir à la plaignante l'assurance que la requête de l'intimée n'a aucunement influencé ma décision en ce qui touche le montant des dommages-intérêts.

[22] La seule question qui demeure en litige est celle concernant les frais. L'intimée a soulevé une question préliminaire, à savoir si le Tribunal a compétence pour adjuger des frais aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cet élément exige une plus ample réflexion.

M. Paul Groarke

OTTAWA (Ontario)

Le 16 juillet 2004

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T769/1903

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Jacqueline Brown c. Gendarmerie royale du Canada

DATE ET LIEU

DE L'AUDIENCE :

Les 17 et 18 juin 2004

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE LA DÉCISION

DU TRIBUNAL :

Le 16 juillet 2004

ONT COMPARU :

Charles Gordon

Pour la plaignante

Keitha Richardson

Référence : 2004 TCDP 5

Le 4 février 2004

Pour l'intimée

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