Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE BRUNO BOUDREAULT

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

GREAT CIRCLE MARINE SERVICES INC.

l'intimée

MOTIFS DE LA DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : Roger Doyon

2004 TCDP 21

2004/06/30

I. INTRODUCTION

II. LA PREUVE

A. Preuve du plaignant

(i) Bruno Boudreault

B. Preuve de l'intimée

(i) Robert Bélanger

(ii) Andrée Viger

(iii) Édouard Nadeau

(iv) Georges Tousignant

(v) Marcel Éthier

III. LE DROIT

IV. ANALYSE

A. La preuve prima facie de discrimination

B. Exigence professionnelle justifiée

C. La norme a-t-elle été adoptée dans un but qui est rationnellement lié à la fonction exercée ?

D. La norme a-t-elle été adoptée de bonne foi ?

V. MESURES DE REDRESSEMENT

A. La réintégration dans les fonctions

B. Les dommages-intérêts pour pertes pécuniaires

C. Dépenses

(i) Achat de vêtements

(ii) Honoraires d'avocat

(iii) Le préjudice moral

(iv) Indemnité pour acte délibéré et inconsidéré

(v) Intérêts

I. INTRODUCTION

[1] Bruno Boudreault allègue avoir été victime de discrimination fondée sur sa déficience (problème au genou gauche) alors que Great Circle Marine Services inc., l'intimée, a mis fin à son emploi parce que sa condition physique ne lui permettait pas de rencontrer les exigences reliées aux fonctions de timonier et débardeur ; le plaignant prétend que l'intimée n'a pas respecté les dispositions de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi ).

[2] Bruno Boudreault allègue également que l'intimée pratique une politique d'embauche discriminatoire contrairement à l'article 10 de la Loi, lorsqu'elle exige que tous les membres d'équipage sur un navire, sans exception, présentent une condition physique adéquate dont l'évaluation est laissée au jugement du capitaine du navire.

II. LA PREUVE

A. Preuve du plaignant

(i) Bruno Boudreault

[3] Bruno Boudreault est un résidant de l'Île-aux-Coudres. En 1998, il a travaillé comme journalier au chantier maritime du Groupe Océan à l'Île-aux-Coudres. En juillet 1998, il a subi une intervention chirurgicale au genou gauche. Au printemps de 1999, il a été embauché par les Croisières A.M.L. à titre de journalier assigné à la préparation des bateaux pour la saison touristique. Puis, il a travaillé comme préposé à la maintenance et animateur en loisirs à l'Hôtel Cap-aux-Pierres situé à l'Île-aux-Coudres jusqu'en septembre 1999. En mars 2000, il a obtenu un emploi de matelot et timonier sur le navire de croisière le Cavalier Maxime, propriété de Croisières A.M.L.

[4] Au cours de l'hiver 2001, à la suggestion d'un ami, il a communiqué avec Andrée Viger qui travaillait, suivant ses informations, pour Logistec Navigation afin de solliciter un emploi de matelot sur un navire qui devait voyager au cours de l'été dans le Grand Nord. Andrée Viger lui a demandé de lui transmettre son curriculum vitae (c.v.) et un certificat d'examen médical. Il lui a transmis son c.v. et son attestation de cours de formation d'urgence en mer (F.U.M.).

[5] Le plaignant raconte que le 13 février 2001, il s'est rendu rencontrer le Dr Marcel Éthier à l'Île-aux-Coudres qui était désigné par Transports Canada pour procéder aux évaluations médicales. Le docteur Éthier a procédé à un examen médical. Le plaignant affirme qu'il a fait part au médecin de l'intervention subie au genou gauche. Le Dr Éthier a délivré le certificat médical requis (Pièce P-11) que le plaignant a transmis à Andrée Viger.

[6] Andrée Viger a communiqué de nouveau avec le plaignant pour lui souligner que, s'il pouvait détenir un brevet d'homme de quart à la passerelle ou timonier, il augmenterait d'autant ses chances d'embauche. Le plaignant a obtenu son brevet de timonier le 9 mai 2001 (Pièce P-14). Sur réception de ce document, Andrée Viger l'a informé qu'il avait obtenu un emploi comme timonier débardeur et que Édouard Nadeau, mandaté comme gestionnaire du personnel, communiquerait avec lui pour lui faire part des modalités d'emploi.

[7] Le témoin raconte avoir reçu un appel d'Édouard Nadeau pour confirmer son embauche comme timonier débardeur. Édouard Nadeau lui a demandé s'il s'y connaissait dans les travaux de débardage. Il déclare avoir répondu qu'il avait vu des débardeurs faire le travail mais qu'il n'avait aucune expérience en la matière. Édouard Nadeau lui a demandé de se présenter à bord du navire Umiavut au port de Valleyfield le 16 juin 2001 et qu'il le rencontrerait personnellement sur place. À la demande du plaignant, Édouard Nadeau a consenti à ce qu'il reporte son arrivée au lendemain, dimanche, 17 juin 2001. Le témoin se souvient qu'à son arrivée il a rencontré Édouard Nadeau pour signer son contrat de travail (Pièce P-I). Ce dernier lui a fait visiter le navire. Il lui a remis son carnet de marin pour qu'il soit transmis au capitaine selon les normes en vigueur.

[8] Le témoin déclare ne pas avoir été informé du travail qu'il aurait à effectuer lors de l'arrêt du navire dans les ports. Le chef d'équipage lui avait toutefois mentionné qu'il était possible qu'il soit affecté à la conduite d'un remorqueur.

[9] Le témoin se souvient, qu'à la demande du premier maître, il a débuté son travail de surveillance de 20 h 00 à minuit. Il effectuait un quart de travail de quatre heures et une période de repos de huit heures suivi d'un quart de travail de quatre heures. Le mardi ou mercredi, il était couché, suite à son quart de travail qui s'était terminé à 8 h 00, lorsqu'il fut réveillé par le premier maître qui lui fit part qu'il devait se présenter au bureau du capitaine.

[10] Il s'est rendu au bureau du capitaine Robert Bélanger où il a fait la connaissance de ce dernier et d'Andrée Viger qui était également présente à la rencontre. Le capitaine lui a fait part qu'il avait été porté à sa connaissance qu'il plaçait de la glace sur son genou et qu'il craignait qu'il ait subi un accident sur le bateau. Le témoin a informé le capitaine que tel n'était pas le cas mais qu'il avait subi une intervention chirurgicale au genou en 1998 et qu'il lui arrivait de mettre de la glace sur son genou lorsqu'il sentait des raideurs mais que cette situation ne l'empêchait pas de faire son travail.

[11] Comme sa condition physique semblait inquiéter le capitaine Bélanger, le témoin déclare lui avoir offert de communiquer avec son médecin orthopédiste dont il lui a remis le numéro de téléphone. Il lui a également offert de se soumettre à un examen médical d'un médecin orthopédiste de son choix. Le capitaine Bélanger lui a fait part qu'il étudierait la situation et qu'il lui reparlerait au cours de la journée. Environ une demi-heure après son retour à sa cabine, il fut de nouveau convoqué au bureau du capitaine Bélanger.

[12] En arrivant dans le bureau, il a demandé si on avait communiqué avec son médecin orthopédiste. Andrée Viger lui a répondu qu'elle avait deux options : soit de communiquer avec son médecin et de le maintenir en emploi, soit de ne pas communiquer avec son médecin et de mettre fin à son emploi. Le témoin déclare qu'il a suggéré de quitter le navire pour se rendre au bureau de son médecin à Québec et de ramener son dossier médical. Cette suggestion ne fut pas retenue. Le capitaine Bélanger lui a dit qu'il devait mettre fin à son emploi parce que l'état de son genou ne permettait pas qu'il prenne le risque de maintenir ses services pour un voyage dans le Nord. À la demande du plaignant, le capitaine Bélanger lui a remis une lettre attestant la terminaison de son emploi en raison de problèmes à son genou gauche (Pièce P-2).

[13] Bruno Boudreault a quitté immédiatement le navire pour regagner son domicile. Il s'est arrêté à Québec. Le lendemain, par l'intermédiaire de sa procureure, il a transmis une mise en demeure à Logistec Navigation l'enjoignant de le réintégrer dans son emploi (Pièce P-3) avant le départ du bateau prévu pour la fin de juin 2001. Cependant, comme cette mise en demeure ne visait pas l'employeur désigné au contrat, une seconde mise en demeure a été adressée à l'employeur intimé, le 19 juillet 2001 contestant le bien-fondé du congédiement et exigeant la réintégration dans l'emploi.

[14] Le plaignant relate qu'à sa connaissance le navire a quitté le port de Valleyfield le 26 ou le 27 juin 2001. Il déclare avoir communiqué avec Andrée Viger pour la convaincre de lui permettre de réintégrer son emploi. Il lui a transmis par fax, le 26 juin 2001, un rapport de son orthopédiste (Pièce P-4) indiquant qu'en date du 14 juin 1999 il était apte à reprendre le travail suite à une intervention chirurgicale au genou gauche en juillet 1998 (Pièce P-4). Andrée Viger lui a fait part que quelqu'un d'autre avait été embauché et qu'elle ne pouvait rien faire pour lui. Le plaignant a également produit une lettre de l'orthopédiste qui l'a traité (Pièce P-6), datée du 4 octobre 2001, qui confirme que l'état de santé de son genou n'entraînait pas de restrictions fonctionnelles à toute forme de travail.

[15] L'intimée a transmis au plaignant un premier relevé d'emploi daté du 29 juin 2001 sans commentaire à la section Observations (Pièce P-1). Le 16 juillet 2001, l'intimée émettait un second relevé d'emploi où il mentionne à la section Observations : Selon le capitaine, inapte au travail pour des raisons médicales et de sécurité.

[16] Le témoin raconte qu'après avoir regagné son domicile il était très ébranlé par la perte de son emploi. Aussi, pendant quelques semaines il n'a pas fait de démarches pour se trouver un emploi. Il s'est, par la suite, rendu au bureau de l'assurance-chômage et au bureau du syndicat des marins pour trouver un emploi mais sans succès. Il a également sollicité un emploi au chantier maritime du Groupe Océan et sur les navires de la Garde côtière. Puis, il fut réembauché le 31 juillet 2001 comme matelot timonier sur le navire Écho des Mers jusqu'au 12 octobre 2001. Du 13 mai 2002 au 21 septembre 2003, il a obtenu un emploi de premier officier sur le navire Famille Dufour II et il a repris le même travail en 2003.

[17] Le témoin ajoute qu'en janvier 2003 il a suivi un cours pour le simulateur radar. Il entend suivre un cours en radiotéléphonie lui permettant de se soumettre à l'examen visant l'obtention de son brevet de capitaine en eaux secondaires.

B. Preuve de l'intimée

(i) Robert Bélanger

[18] Le témoin a débuté sa carrière maritime comme matelot en 1975. À compter de 1980, il a gravi les différents échelons de fonction d'officier pour obtenir, en 1995, le brevet de capitaine de long cours. Comme officier de pont, il a eu l'occasion de naviguer fréquemment dans les régions arctiques du Canada particulièrement sur le navire Lucien Paquin. Les activités de ce navire étaient concentrées dans le transport de marchandises de toutes sortes destinées aux postes et villages dans les régions de l'Arctique. Il procédait également au transport de marchandises d'un village à l'autre et au retour de marchandises vers le sud, notamment à Montréal.

[19] En 2001, Transport Nanuk a retenu ses services comme capitaine sur le navire Umiavut dont la mission était la même que celle du navire Lucien Paquin. L'équipage du Umiavut se composait de personnel affecté au département de navigation. Il s'agit du capitaine qui doit superviser l'entité complète de l'activité maritime. Il doit s'assurer que la Loi sur la marine marchande du Canada et les règlements de Transports Canada sont respectés, notamment quant à la sécurité des membres d'équipage, la sécurité du navire lui-même et celle de tout ce qui est transporté à bord du navire. Il doit être en mesure de prendre les dispositions requises en cas d'urgences telles que l'incendie ou une situation exigeant l'abandon du navire. Il maintient une liaison constante avec le propriétaire pour le tenir au courant de la progression du navire. Puis, il y a le chef officier chargé des activités spécifiquement reliées à la cargaison. S'ajoutent trois officiers de navigation qui assument la responsabilité reliée à la progression du navire sur l'eau. Ils exécutent des quarts de veille de huit heures par jour divisés en période de quatre heures de travail à partir d'un horaire débutant à minuit. Le département de navigation comprend également trois timoniers. Chacun est affecté à un officier et travaille avec ce dernier.

[20] Le timonier est affecté à la gouverne du navire vers une direction spécifique à partir des directives reçues de l'officier de navigation. Lorsque les conditions le permettent, le système de pilote automatique est mis en fonction. Dès lors, le timonier est assigné à des activités de vigie pour s'assurer que la progression du navire est sécuritaire.

[21] Le personnel à bord du Umiavut comprenait également cinq journaliers matelots et un chef matelot. L'équipage comprenait également le personnel du département de mécanique, soit le chef mécanicien et deux mécaniciens. Il se complétait par le personnel du département alimentaire, soit le chef cuisinier et un cuisinier.

[22] La livraison de marchandises dans le Nord du Québec débute au moment de la libération des glaces, généralement entre le premier et le 15 juillet, pour se terminer avec le retour des glaces au début de novembre. Le capitaine Bélanger précise l'importance du respect des dates prévues de livraison.

[23] En plus du transport de marchandises, le navire qui se rend dans le Nord du Québec doit fournir également les services de débardage parce que les lieux de destination n'offrent pas d'aménagements portuaires.

[24] Le capitaine Bélanger a décrit les différentes opérations de déchargement des marchandises. Une fois arrivé à un endroit de livraison, le navire est ancré de façon sécuritaire le plus près possible de la jetée. À l'aide de grues sur le navire, le matériel de transit, soit deux remorqueurs et deux chalands, sont mis à l'eau. Puis, des tracteurs et du matériel de déchargement qui serviront à la manutention des marchandises sur la jetée sont placés sur les chalands. Les remorqueurs tirent les chalands sur la jetée et les équipements de manutention y sont déchargés. Par la suite, les remorqueurs et les chalands reviennent au navire afin de procéder aux opérations de déchargement des marchandises. Une fois ces opérations terminées, il peut arriver que des marchandises soient amenées au navire pour être acheminées vers une autre destination ou bien les équipements sont ramenés à bord du navire, de même que les chalands et les remorqueurs, et le navire se dirige vers un autre point de livraison.

[25] Les opérations de débardage sont confiées aux membres d'équipage à l'exception des officiers, mécaniciens et cuisiniers. Pour les fins de manutention des marchandises à décharger, le capitaine Bélanger a expliqué que des élingues manipulées par les membres d'équipage sont placées autour des marchandises et rattachées à la grue pour la sortie du navire et le dépôt sur les chalands.

[26] Il y a le contremaître de terre (beachmaster). Il n'est pas attitré à la navigation. Pendant que le navire voyage en mer, il voit à l'entretien de tous les équipements servant au déchargement des marchandises et prépare le déroulement des opérations de déchargement à l'arrivée du navire au lieu de livraison. Lors du déchargement, il se rend sur la jetée pour s'assurer de la bonne marche des opérations de déchargement. Il est accompagné d'un opérateur de tracteur et tous deux conduisent les tracteurs. Un matelot se rend sur la jetée où il assume la fonction de vérificateur. Il voit à l'aspect administratif de la livraison des marchandises avec les gens concernés.

[27] Les remorqueurs sont opérés par un capitaine remorqueur. En raison de ses connaissances maritimes, cette responsabilité est généralement celle du timonier. En plus de gouverner le remorqueur, il lui incombe, avec l'aide d'un matelot, de manipuler les arrimages servant à tirer les chalands vers la jetée.

[28] Sur le navire, on retrouve un opérateur de grue et un chef officier signaleur de grue qui doit s'assurer que le chargement des chalands se fait en toute sécurité et selon les besoins convenus avec le contremaître de terre. Dans la cale du navire, un opérateur de camion à fourchettes et deux matelots manipulent les marchandises pour le déchargement.

[29] Le capitaine Bélanger a témoigné à l'effet que les membres d'équipage doivent être en mesure de répondre aux urgences sur le navire, soit la situation d'incendie à bord du navire et la situation ultime d'abandon du navire. Le potentiel d'incendie se situe dans la salle des machines où l'on retrouve des quantités de pétrole. La moindre fuite peut générer un incendie. Il se retrouve également du côté des marchandises à bord du navire. Les membres d'équipage doivent être toujours prêts à fournir un effort commun pour combattre les incendies en suivant les procédures de Transports Canada qui prévoient les tâches qui doivent être dévolues au membre d'équipage en pareille circonstance. Les officiers assument des tâches de supervision et les matelots, incluant les timoniers, doivent combattre l'incendie. L'obligation d'abandon du navire est susceptible de se produire en cas d'incendie ou de collision avec les glaces ou un autre navire ce qui nécessite la mise à l'eau des embarcations de sauvetage.

[30] Suite à son embauche, le capitaine Bélanger est monté à bord du navire Umiavut à Trois-Rivières et il a fait le transit jusqu'au port de Valleyfield où il est arrivé le 17 juin 2001. Normalement, le navire devait prendre la mer immédiatement dès le chargement complété. Au cours de la journée, les membres d'équipage ont commencé à monter à bord du navire. Édouard Nadeau de la firme Great Circle Marine Services inc., qui agissait comme fournisseur du personnel à bord du Umiavut à l'exception du capitaine et du chef mécanicien, était à bord pour l'accueil du personnel. Les opérations de chargement ont débuté le lundi 18 juin 2001 pour se terminer normalement le vendredi suivant.

[31] Le capitaine Bélanger relate que le voyage était initialement prévu en eaux canadiennes mais, comme il devait se rendre à Thule au Groenland, il est devenu un voyage de long cours international. Or, pour le personnel à bord du navire, la réglementation de Transports Canada est différente qu'il s'agisse d'un voyage en eaux canadiennes ou d'un voyage de long cours international. À titre d'exemple, le témoin souligne que la réglementation de Transports Canada exige que chaque membre d'équipage fournisse un certificat médical conforme à ses normes et ait réussi le cours de formation d'urgence en mer (F.U.M.). Quant au plaignant, il devait détenir un certificat d'homme de quart à la passerelle. Pour un voyage en eaux secondaires, la réglementation n'exige pas de certificat médical pour le matelot.

[32] Le témoin reconnaît que Bruno Boudreault répondait à toutes les exigences requises par Transports Canada pour accomplir les tâches de timonier pour un voyage de long cours international. De plus, le travail à accomplir par le plaignant lors des opérations de déchargement des marchandises n'avait pas été déterminé mais il estime qu'il aurait occupé le poste de capitaine de remorqueur.

[33] Il se souvient que le mardi 19 juin 2001 un membre d'équipage l'a informé qu'il avait vu le plaignant placer de la glace sur son genou. Il a profité de la visite d'Andrée Viger le lendemain 20 juin 2001 pour lui faire part de la situation. Il a dit à cette dernière (page 303 des notes sténographiques) :

« J'aimerais ça qu'on puisse rencontrer la personne concernée. De cette manière là, un, je ne serais pas seul à me faire un jugement puis, deux, bien vous seriez aussi au fait de poser des questions si nécessaire. »

[34] Le témoin a fait venir le plaignant à son bureau et il lui a fait part des informations qu'il avait reçues. Il prétend que le plaignant a reconnu qu'il mettait de la glace sur son genou parce qu'il ressentait des douleurs à la fin de sa journée de travail. Il ne peut fournir plus de précision sur le contenu de cette discussion qui a duré 15 à 20 minutes à part le fait que le plaignant aurait déclaré que son malaise au genou résultait d'une situation survenue antérieurement. Le témoin dit qu'il l'a remercié des explications fournies et que l'entrevue s'est terminée sur cette note.

[35] Après discussion avec Andrée Viger, le capitaine Bélanger a pris la décision de mettre fin à l'emploi de Bruno Boudreault parce qu'il a jugé que le genou du plaignant ne pourrait guérir avec la charge de travail qui lui serait attribuée à bord du navire lequel exige une assiduité constante. Il précise qu'il avait l'obligation d'assurer sur le navire, tant la sécurité des membres d'équipage que celle du plaignant lui-même, et qu'il aurait été irresponsable de sa part de maintenir l'emploi du plaignant.

[36] En conséquence, le capitaine Bélanger raconte qu'il a fait venir à nouveau le plaignant à son bureau pour lui faire part de sa terminaison immédiate d'emploi. Il lui a dit (page 309 des notes sténographiques) :

«... considérant la situation de son genou que moi je considérais que c'était un degré de difficulté qui commençait après deux jours de travail, je considérais ça comme quand même pas sécuritaire pour lui-même et pour le reste de l'équipage d'avoir à l'obliger à suivre l'aventure dans l'Arctique pour une saison complète. »

[37] Le témoin reconnaît que la possibilité de soumettre le plaignant à un examen médical a été considérée mais qu'elle n'a pas été retenue. Il explique qu'il ne lui était pas nécessaire d'obtenir un avis médical pour lui faire part de ce qu'il savait déjà, soit que le plaignant ressentait des douleurs au genou. Il a jugé qu'il était imprudent de permettre à une personne qui éprouve des douleurs au genou de partir dans les régions arctiques. Par ailleurs, à la demande du plaignant, il a accepté de lui remettre une lettre de fin d'emploi (Pièce P-2). Il se souvient que le plaignant a été remplacé par un matelot qui possédait un certificat d'homme de quart à la passerelle et qu'un matelot additionnel a été embauché et est monté à bord du navire à Québec.

[38] Interrogé à savoir s'il avait envisagé des mesures d'accommodement qui auraient permis au plaignant de maintenir son emploi, le capitaine Bélanger, sans répondre directement à la question, a d'abord soutenu que les facilités d'hébergement à bord du navire ne permettaient pas l'embauche de personnel additionnel pour pallier aux absences possibles du plaignant. En second lieu, la continuité du travail lors des opérations de déchargement ne permettait pas le remplacement de personnel pour éviter une perte possible d'efficacité et un retard dans les délais de livraison à respecter.

(ii) Andrée Viger

[39] Andrée Viger était, en 2001, coordonnatrice, ressources humaines chez Transport Nanuk. Elle s'occupait de l'embauche des employés de bureau de même que celle du personnel naviguant à bord du navire Aivik et de celle du capitaine et du chef mécanicien sur le navire Umiavut loué par Transport Nanuk. Comme l'intimée devait procéder à l'embauche du personnel naviguant pour le navire Umiavut, elle a fait appel à l'intimée. Elle a fourni à Édouard Nadeau, représentant de l'intimée, de l'aide en lui transmettant des c.v. de personnel marin. Elle prévoyait qu'Édouard Nadeau éprouve des difficultés à trouver des membres d'équipage en mesure de cumuler les tâches de timonier et débardeur.

[40] Au printemps 2001, Andrée Viger se souvient que Bruno Boudreault a communiqué avec elle par téléphone pour solliciter un emploi comme matelot. Elle lui a demandé de lui faire parvenir son c.v. Sur réception de ce document, elle a communiqué avec lui pour savoir s'il détenait un certificat d'homme de quart à la passerelle. Le plaignant lui a répondu qu'il ne l'avait pas mais qu'il pouvait passer l'examen afin de l'obtenir car il disposait des pré-requis à cette fin. Après avoir obtenu son certificat d'homme de quart à la passerelle, le plaignant en a informé le témoin qui lui a demandé de lui transmettre le document par télécopie. Elle a, par la suite, avisé verbalement le plaignant qu'elle avait transmis les renseignements à Édouard Nadeau qui communiquerait probablement avec lui pour lui offrir un emploi.

[41] Le témoin relate que le 20 juin 2001 elle s'est rendue au port de Valleyfield pour rencontrer le capitaine Bélanger qui était à bord du navire Umiavut. Lors de cette visite, le capitaine Bélanger lui a fait part que le plaignant mettait de la glace sur son genou, qu'il souhaitait qu'elle assiste à une rencontre avec ce dernier et elle a accepté.

[42] À l'arrivée du plaignant dans son bureau, le capitaine Bélanger lui a mentionné qu'il avait été porté à son attention qu'il mettait de la glace sur son genou gauche. Le plaignant a admis ce fait et raconté qu'il avait subi une opération au genou gauche, qu'il n'était pas complètement guéri mais qu'il était en bonne voie de guérison. Il aurait ajouté qu'il faisait de l'arthrite dans le genou et que la glace calmait la douleur. Le capitaine l'a prié de se retirer et a dit qu'il lui ferait connaître sa décision.

[43] Après avoir analysé le tout, le témoin révèle que le capitaine a décidé qu'en fonction de la sécurité il ne pourrait garder à l'emploi une personne qui n'a pas toute sa capacité physique. Le capitaine Bélanger a rappelé le plaignant à son bureau pour lui annoncer que pour sa sécurité personnelle et celle des membres de l'équipage il devait le remercier de ses services.

[44] Le témoin se souvient que le plaignant soutenait qu'il pouvait faire son travail. De plus, le plaignant a suggéré d'appeler son médecin et de prendre les mesures pour fournir son dossier médical. Le témoin déclare ne pas avoir retenu ces suggestions sous prétexte que le 20 juin 2001 était un mercredi et, le navire devant quitter le vendredi 22 juin 2001, elle n'avait pas le temps de communiquer avec le médecin traitant du plaignant. Comme il insistait pour fournir son dossier médical, Andrée Viger lui a mentionné de lui faire parvenir et elle a reçu du témoin le 26 juin 2001, par télécopie, copie d'une lettre de l'orthopédiste François Marquis.

[45] Interrogé sur la possibilité de soumettre le plaignant à un examen médical d'un orthopédiste, le témoin soutient qu'il lui était impossible dans un délai de deux jours d'obtenir un rendez-vous après du Groupe Santé Médicis, firme d'experts médicaux avec qui elle faisait affaires depuis plusieurs années.

[46] Lorsque le plaignant a constaté que la décision du capitaine Bélanger était irrévocable, il lui a demandé une lettre attestant sa fin d'emploi (Pièce I-2) et le témoin l'a transmise par télécopie à Édouard Nadeau.

[47] Pour remédier au départ de Bruno Boudreault, le témoin se souvient que le matelot Dave Cossette a été promu timonier et son poste a été comblé par l'embauche d'un matelot.

[48] Le témoin a mentionné que le navire Umiavut devait quitter le port de Valleyfield le 22 juin 2001. Toutefois, la majorité des matelots à bord ne disposait pas du certificat médical requis par Transports Canada devenu obligatoire parce que le navire devait faire un voyage de long cours en eaux internationales. Le témoin révèle qu'elle a pris les dispositions pour qu'un médecin désigné par Transports Canada se rende à bord du navire le dimanche 24 juin 2001 afin de faire subir les examens médicaux et délivrer les certificats médicaux requis.

[49] Le témoin révèle que le navire Umiavut a quitté le port de Valleyfield mardi le 26 juin 2001 pour son premier voyage dans le Grand Nord. Il est revenu le 28 août 2001. Au cours de ce voyage, Dave Cossette, remplaçant du plaignant, a reçu une rémunération de 17 320,07 $ dont 10 296,74 $ comme timonier et 7 023,33 $ comme débardeur. Lors du second voyage du 3 septembre 2001 au 4 novembre 2001, le timonier Stéphane Lavoie qui a remplacé Dave Cossette a reçu une rémunération de 17 358,35 $ soit 9 524,01 $ comme timonier et 7 834,34 $ comme débardeur.

[50] Lors de la prise de décision de remercier le plaignant de ses services, le témoin raconte que la possibilité de restreindre le travail du plaignant comme timonier et débardeur n'a pas été envisagée parce que le plaignant avait été embauché pour accomplir à la fois les tâches de timonier et débardeur. De plus, une restriction des tâches aurait nécessité le paiement d'heures de travail en temps supplémentaire.

(iii) Édouard Nadeau

[51] Édouard Nadeau est le président de l'intimée, Great Circle Marine Services inc. Il s'agit d'une entreprise qui fournit le personnel appelé à travailler sur les navires. En 2001, l'intimée a signé une entente avec Transport Umialarik pour la gestion d'équipage sur le navire Umiavut à l'exception du capitaine et du chef mécanicien. La représentante de Umialarik, Andrée Viger, a fait part au témoin du personnel requis à bord du navire. Elle lui a transmis le c.v. de Bruno Boudreault, le certificat médical et le brevet d'homme de quart à la passerelle.

[52] Il a communiqué avec le plaignant pour lui offrir un emploi de timonier débardeur sur le navire Umiavut. Comme il ne s'y connaissait pas dans le travail de débardeur, le témoin a demandé au plaignant s'il s'y connaissait dans ce genre de travail. Ce dernier l'a avisé qu'il n'avait jamais fait ce genre de travail mais que, selon la description que ses amis lui en avaient faite, il prétendait être en mesure de remplir la fonction. Édouard Nadeau a mentionné au plaignant d'amener avec lui des vêtements chauds sans lui préciser ceux qu'il lui fournissait et qui apparaissaient au contrat individuel de travail signé à bord du navire.

[53] Le témoin a fourni le personnel requis à sa cliente. Il reconnaît que certains membres d'équipage, tout comme le plaignant, en étaient à leur première expérience de travail sur un navire voyageant dans les régions arctiques.

[54] Le témoin raconte qu'avec sa permission le plaignant s'est présenté à bord du navire le 17 juin 2001 au port de Valleyfield. Il lui a fait signer le contrat de travail (Pièce P-1). Après avoir complété l'embauche de l'ensemble du personnel, le témoin a quitté le navire le 19 juin 2001 pour retourner à Shédiac (Nouveau-Brunswick), lieu de sa résidence et du siège social de l'intimée.

[55] Édouard Nadeau raconte que le 20 ou le 21 juin 2001, il a été informé par Andrée Viger que le capitaine Bélanger avait remercié le plaignant de ses services pour des raisons de sécurité et elle lui a transmis la lettre du capitaine (Pièce P-2). Il révèle ne pas avoir contesté la décision du capitaine pour la raison suivante (page 389 des notes sténographiques) :

« Je n'ai pas protesté à la fin de l'emploi de monsieur Boudreault. J'ai 15 ans d'expérience dans le métier comme marin, comme officier et puis la décision du capitaine, c'est la décision finale. Ca fait qu'il n'y avait pas de discussions à avoir avec ça. »

[56] Des démarches ont été entreprises pour remplacer le plaignant. Un matelot déjà à bord du navire, qui n'avait jamais voyagé dans le Nord, détenait un brevet d'homme de quart à la passerelle et il fut promu timonier. Le témoin a, par la suite, embauché un autre matelot qui est monté à bord du navire à Québec.

[57] Après être retourné à son domicile, Édouard Nadeau a reçu une communication téléphonique du plaignant pour l'aviser de son renvoi parce qu'il mettait de la glace sur son genou. Il a dit au plaignant qu'il se soumettait à la décision du capitaine du navire et qu'il tenterait de lui trouver un autre emploi. Il a tenté de le faire mais sans succès. Toutefois, suite à la mise en demeure qu'il a reçue du plaignant (Pièce P-5) il a cessé les recherches d'emploi. Il a reconnu qu'il était difficile de trouver un matelot disposant d'un brevet d'homme de quart à la passerelle ou timonier.

(iv) Georges Tousignant

[58] Georges Tousignant était, en 2001, directeur des opérations pour Transport Nanuk depuis 1994. Il assume la responsabilité des opérations reliées au navire soit l'approvisionnement du navire, le transport des marchandises, les opérations de maintenance et d'entretien du navire. Après avoir complété des études à l'École de Marine, il a obtenu un premier certificat d'officier en 1978. Il a travaillé à compter de 1979 comme officier de navigation sur des navires de type cargo. Il a navigué principalement sur les Grands Lacs et dans l'Arctique canadien. Il a obtenu en 1992 un brevet de capitaine de long cours.

[59] Le témoin explique qu'en 2001 le navire Umiavut se rendait dans le Nord québécois à deux reprises au cours de la période de navigation pour y livrer des marchandises placées dans des conteneurs ou caisses de bois ou encore en ballots comme des matériaux de construction ainsi que des équipements roulants tels que des camions.

[60] Georges Tousignant a expliqué que la saison de navigation s'étend généralement du début juillet jusqu'à la mi-novembre.

[61] Il a raconté que la navire Umiavut est arrivé au port de Valleyfield le 17 juin 2001. Le chargement devait s'effectuer au cours de la semaine pour permettre au navire de partir le vendredi 22 juin 2001 pour un voyage de long cours international car il devait faire un arrêt à Thule au Groenland. Toutefois, comme tout le personnel à bord du navire devait avoir subi un examen médical selon les exigences de Transports Canada et comme des matelots n'avaient pas de certificat médical, le départ a été retardé au 26 juin 2001 pour leur permettre de se soumettre à un examen médical par un médecin désigné par Transports Canada. Un médecin s'est présenté à bord du navire le 24 juin 2001 pour soumettre des matelots à cet examen et délivrer les certificats médicaux.

[62] Le témoin raconte qu'il était sur le navire et qu'il s'est soumis lui-même à l'examen médical qui a duré environ 15 minutes. Le médecin a procédé à la prise de la pression sanguine et à un examen sommaire de l'ouïe et de la vue. Enfin, le témoin a répondu à un questionnaire.

[63] Le témoin a expliqué que le navire Umiavut pouvait transporter un chargement de 3 000 tonnes et que les frais de transport et de livraison étaient d'environ 200 $ la tonne. Il a expliqué que les coûts d'opération du navire en attente à quai sont de l'ordre de 15 000 $ par jour et, lorsqu'il navigue, de 18 000 $ à 19 000 $ par jour. Il a mentionné que lorsque le navire subit un retard attribuable au client, le transporteur absorbe les coûts occasionnés par le retard.

[64] Georges Tousignant a reconnu que, même si le transporteur met tout en uvre pour respecter les délais de livraison, des retards se produisent fréquemment notamment en raison des difficultés rencontrées au cours de la navigation.

[65] Georges Tousignant a mentionné que lors des opérations de déchargement des marchandises, les membres d'équipage sont assignés aux opérations de débardage. Sur le navire Umiavut l'équipe de débardage comprend environ dix membres d'équipage. Il soutient que l'absence d'un débardeur amène une perte de productivité de 10 % dans les opérations de débardage.

[66] Advenant qu'un membre d'équipage ne soit plus en mesure de faire son travail de débardeur, le témoin révèle qu'il est retourné chez lui et remplacé par un autre. Il admet que le voyage pourrait se poursuivre sans le remplacer mais il pense qu'il n'est pas préférable d'agir ainsi parce que, si un autre membre d'équipage devenait incapable de faire le travail, la productivité en serait d'autant plus affectée.

[67] Le témoin a expliqué les tâches de timonier. Celui-ci est affecté à la conduite du navire dans un lieu de travail appelé la timonerie . Il reçoit ses instructions, quant à la gouverne du navire, de la part de l'officier de navigation ou du capitaine. Auparavant, il gouvernait le navire à l'aide d'une roue d'où l'appellation homme de roue . Avec l'avènement de la technologie, ce travail a été diminué par l'utilisation d'un pilote automatique. Le timonier est affecté à la veille. Il fait le guet pour signaler à l'officier de navigation tout obstacle ou situation de nature à entraver la navigation. Son horaire journalier de travail est de huit heures, soit quatre heures de travail et huit heures de repos, en alternance.

[68] Le témoin relate qu'on retrouve, dans la timonerie, des sièges à l'usage exclusif du capitaine. Un siège est également fourni, sur demande, au pilote spécialisé qui monte à bord du navire pour y demeurer pendant plusieurs heures consécutives. Le témoin a mentionné qu'il ne voit pas pour quelle raison un siège pourrait être mis à la disposition du timonier. Pour lui, la coutume établie et reconnue veut que le timonier demeure debout pour faire son travail, sauf pendant sa pause repos de 15 minutes au cours de son quart de travail.

(v) Marcel Éthier

[69] Marcel Éthier est un médecin désigné par Transports Canada pour émettre le certificat d'examen médical en vertu des règlements de l'organisme. Il exerce sa profession à l'Île-aux-Coudres. Référant au dossier médical, il déclare avoir rencontré Bruno Boudreault en 1997 comme médecin traitant. Puis, il a revu le plaignant le 13 février 2001 pour un examen requis par Transports Canada.

[70] Le docteur Éthier raconte qu'il a procédé à un examen médical complet avec la tension artérielle, les pulsations, le poids et la glycémie. Il a aussi fait un examen physique général de la tête, des poumons, du cur, de l'abdomen, des extrémités et tout était normal. Il constate que son dossier ne comporte pas de mention relative à un problème de genou chez le plaignant.

III. LE DROIT

[71] Bruno Boudreault a formulé une plainte à l'endroit de l'intimée lui reprochant d'avoir violé les dispositions de l'article 7 de la Loi. Aux termes de cet article, constitue un acte discriminatoire le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu ou de le défavoriser en cours d'emploi. L'acte discriminatoire doit être fondé sur un motif de distinction illicite. L'article 3 de la Loi précise que la déficience est un motif de distinction illicite. Il a de plus allégué que l'intimée n'a pas respecté les dispositions de l'article 10 de la Loi en ce qu'il a commis un acte discriminatoire en exigeant que tous les membres d'équipage sur un navire, sans exception, présentent une condition physique adéquate dont l'évaluation est sujette à l'appréciation du capitaine du navire.

Enfin, l'alinéa 15 (1) a) de la Loi énonce que :

« Ne constituent pas des actes discriminatoires les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées. »

L'alinéa 15 (2) de la Loi précise que :

« Les faits prévus à l'alinéa (1) a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable au sens de l'alinéa (1) g), s'il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité. »

[72] En 1999, la Cour fédérale a rendu deux importantes décisions qui sont appelées Meiorin 1et Grismer .2 Dans ces deux arrêts, la Cour suprême établit les règles à suivre dans le traitement des plaintes relatives aux droits de la personne. En premier lieu, il appartient à la partie plaignante d'établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie de discrimination doit reposer sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée.

[73] Une fois qu'une preuve prima facie de discrimination a été établie, il appartient à la partie intimée de prouver que, selon la prépondérance des probabilités, la norme ou la politique contestée était justifiée. Pour ce faire, elle doit démontrer :

  1. qu'elle a adopté la norme dans un but qui est rationnellement lié à la fonction exercée. Il y a lieu d'analyser si la norme a été adoptée dans le but d'assurer l'exécution de la fonction de manière sûre et efficace ;
  2. qu'elle a adopté la norme en question de bonne foi et en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser le but légitime relié à l'exécution des fonctions ;
  3. que la norme contestée est raisonnablement nécessaire pour atteindre le but poursuivi, soit l'exécution des fonctions de manière sûre et efficace.

[74] Pour démontrer que la norme est raisonnablement nécessaire, la partie intimée doit prouver qu'elle ne peut composer avec les besoins particuliers d'un employé ayant les mêmes caractéristiques que la partie plaignante sans subir une contrainte excessive.

IV. ANALYSE

A. La preuve prima facie de discrimination

[75] Il ressort de la preuve que Bruno Boudreault a été embauché par l'intimée pour la période du 15 juin 2001 au 31 octobre 2001 pour exercer les fonctions de timonier et débardeur à bord du navire Umiavut qui devait effectuer le transport et la livraison de marchandises dans différents postes et villages à l'occasion de deux voyages dans le Grand Nord. Le capitaine du navire était Robert Bélanger.

[76] Le plaignant avait été requis de se présenter à bord du navire ancré au port de Valleyfield le 17 juin 2001. Comme ses fonctions de timonier s'exerceraient lorsque le navire serait en mer et celles de débardeur au moment du déchargement des marchandises, il fut assigné à la surveillance du navire. Il faisait des périodes de guet de quatre heures interrompues par une période de repos de huit heures.

[77] Le mercredi 20 juin 2001, peu de temps après son quart de surveillance terminé à 8 h 00, il fut convoqué au bureau du capitaine qui désirait vérifier l'information reçue à l'effet qu'il avait placé de la glace sur son genou gauche. Le plaignant a confirmé l'information. Il a expliqué qu'il avait subi une opération au genou gauche en 1998, qu'il lui arrivait de ressentir une raideur ou douleur au genou qu'il calmait avec de la glace. Selon la version d'Andrée Viger, le plaignant aurait mentionné souffrir d'arthrite, ce que celui-ci nie. Toutefois, contrairement à l'affirmation de la procureure de l'intimée, tant le plaignant que le capitaine et Andrée Viger n'ont mentionné qu'il avait été question d'enflure au genou gauche.

[78] Après avoir obtenu ces informations, le capitaine a demandé au plaignant de regagner sa cabine et a dit qu'il lui ferait part de sa décision au cours de la journée. Le capitaine a discuté avec Andrée Viger pour ensuite rappeler le plaignant au bureau environ une demi-heure plus tard.

[79] Le capitaine a informé Bruno Boudreault qu'il avait pris la décision de le remercier de ses services à cause de problèmes au genou gauche. Il a jugé que la déficience observée chez le plaignant ne lui permettrait pas d'accomplir le travail de timonier et de débardeur lors des voyages à effectuer en raison de la lourdeur des fonctions à exercer. En outre, le capitaine a jugé que les problèmes au genou du plaignant étaient susceptibles de mettre en péril sa santé et sa sécurité et celle des membres de l'équipage.

[80] À mon avis, le plaignant a réussi à faire la preuve prima facie d'une distinction fondée sur une déficience réelle ou perçue dans la façon dont il a été traité par le capitaine. Je crois également que les problèmes au genou du plaignant peuvent constituer une déficience et un acte discriminatoire fondé sur un motif de distinction illicite au sens de l'article 7 de la Loi. De plus, il ne fait aucun doute que cette distinction a eu pour effet d'empêcher le plaignant de maintenir son emploi pour l'intimée.

[81] Je crois également que le plaignant a démontré prima facie que l'intimée a violé les dispositions de l'article 10 de la Loi en laissant au seul jugement du capitaine l'évaluation de la condition physique d'un employé. L'intimée devrait se référer à l'expertise d'un personnel médical en mesure de l'éclairer sur la condition physique requise du personnel marin en tenant compte des fonctions qu'il sera appelé à accomplir. Toutefois, comme l'employeur du capitaine Bélanger n'est pas partie à la plainte de Bruno Boudreault, le Tribunal ne discutera pas des mesures à envisager pour remédier à cette situation.

B. Exigence professionnelle justifiée

[82] Une fois la preuve prima facie de discrimination reconnue, il y a lieu de rechercher si la discrimination découle d'une exigence professionnelle justifiée selon la méthode suggérée par la jurisprudence de la Cour suprême.

C. La norme a-t-elle été adoptée dans un but qui est rationnellement lié à la fonction exercée ?

[83] Afin de démontrer l'existence d'une exigence professionnelle justifiée, il incombe à l'intimée de prouver que le fait d'exiger une condition physique adéquate de la part du personnel marin, tel que le timonier ou débardeur, a un lien rationnel avec les fonctions qu'il occupe. L'analyse à cette étape ne porte pas sur la validité de la norme en cause mais plutôt sur la validité de son objet plus général 3. Il m'apparaît que l'objet général de la norme en l'espèce est d'assurer l'exécution sûre et efficace du travail. En conséquence, je crois que la condition physique adéquate est rationnellement liée aux fonctions exercées par le personnel marin tel que le timonier et le débardeur.

D. La norme a-t-elle été adoptée de bonne foi ?

[84] À ce stade, l'intimée a le fardeau de démontrer que la norme exigeant une condition physique adéquate a été adoptée de bonne foi et avec la croyance sincère qu'elle était nécessaire pour atteindre un objectif légitime relié à l'emploi. Cependant, si l'exigence d'une condition physique adéquate n'est pas jugée raisonnablement nécessaire ou est motivée par des motifs discriminatoires, elle sera considérée comme injustifiée.

[85] L'intimée n'a soumis aucune preuve définissant la condition physique adéquate qu'elle exigeait du personnel embauché à bord du navire. La procureure de l'intimée a soumis dans sa liste d'autorités le Règlement sur l'armement en équipage du navire (Règlement) en vigueur à compter d'octobre 2003, soit postérieurement à l'origine de la présente affaire et elle a attiré l'attention du tribunal à la section 8 dudit règlement qui traite des examens médicaux des navigants dont je discuterai plus tard. La procureure de l'intimée a affirmé que cette section 8 dudit règlement n'avait pas été modifiée en octobre 2001 et qu'elle s'appliquait à la présente affaire. Quant au capitaine Bélanger, il n'a pas éclairé non plus le tribunal sur la définition de cette norme ; il s'est contenté de préciser uniquement les objectifs poursuivis par l'exigence de la condition physique adéquate pour les membres d'équipage.

[86] La preuve a révélé que tant Andrée Viger qu'Édouard Nadeau n'ont jamais informé Bruno Boudreault, lors des discussions téléphoniques précédant son embauche, de l'importance d'une condition physique adéquate pour exercer les fonctions de timonier et débardeur.

[87] Ils se sont contentés du certificat médical émis par le Dr Éthier ce qui m'amène à discuter de la nécessité des examens médicaux des navigants. Lorsqu'ils sont requis, les examens médicaux des navigants sont administrés par un médecin qui a une connaissance du travail des navigants et qui est désigné par le ministre. Le personnel navigant occupant les fonctions de capitaine, officier et timonier, doit obligatoirement détenir un certificat médical délivré pas un médecin désigné.

[88] De plus, tout le personnel naviguant à bord d'un navire qui effectue un voyage de long cours doit également détenir ce certificat médical. Ce ne sera toutefois pas le cas si le navire effectue un voyage en eaux secondaires alors que le certificat médical n'est pas exigé pour les matelots.

[89] L'article 66 de la section 8 dudit règlement traite de la nature de l'examen qui doit être réalisé par le médecin désigné. On peut y lire :

« 66 (1) Le médecin qui fait subir l'examen médical aux termes de la présente section doit déterminer si le navigant n'est pas atteint :

a) d'une incapacité qui pourrait causer une perte de conscience soudaine et qui ne peut être contrôlée à l'aide de médicaments ;

b) de troubles de nature à l'empêcher de réagir efficacement, durant son quart, en cas d'urgence ;

c) de troubles de nature à poser un risque pour la sécurité des autres personnes, compte tenu des conditions de vie confinées à bord ;

d) d'un problème de santé qui risque de nécessiter des soins médicaux urgents et qui ne peut être contrôlé à l'aide de médicaments ;

e) d'un trouble psychiatrique non traité.

(2) Le médecin qui fait subir l'examen médical aux termes de la présente section doit d'assurer que le navigant :

a) a une force musculaire suffisante pour transporter des poids de 22 kg ;

b) est physiquement capable de porter un appareil respiratoire et de l'équipement de sauvetage ;

c) a la qualité de vision et d'ouïe ainsi que la souplesse et la force physique nécessaires pour accomplir les fonctions de lutte contre les incendies, de secourisme et d'abandon de navire, en cas d'urgence. »

[90] Il ressort clairement du témoignage du médecin désigné, le Dr Éthier, que l'examen du plaignant, le 13 février 2001, n'a pas été administré de façon approfondie pour lui permettre de répondre aux exigences de l'alinéa 66 dudit règlement et le certificat médical émis n'y répond pas non plus. Le Dr Éthier a mentionné qu'il avait soumis le plaignant à un examen sommaire et général.

[91] La preuve a démontré qu'au moment de l'embauche du plaignant le 17 juin 2001 comme timonier débardeur à bord du navire Umiavut, le voyage alors prévu devait s'effectuer en eaux secondaires. Le Règlement n'imposait pas le certificat médical aux matelots. Il est en preuve que plusieurs matelots embauchés ne détenaient pas le certificat médical et l'intimée ne l'avait aucunement exigé. Ce n'est que lorsque le type de voyage est devenu de long cours que le certificat médical a été demandé aux matelots non pas par souci d'une vérification ne serait-ce que sommaire de la condition physique des matelots mais seulement parce que le Règlement le commandait.

[92] À partir de quelles données suffisamment sérieuses et convaincantes, le capitaine Bélanger a-t-il tiré la conclusion que Bruno Boudreault n'était pas dans une condition physique adéquate pour répondre aux exigences des fonctions de timonier et de débardeur ? Il y a lieu de souligner ici que les fonctions de débardeur qu'aurait eu à exercer le plaignant n'ont pas été déterminées. La preuve révèle qu'il est probable qu'il aurait alors agi comme conducteur de remorqueur, soit capitaine de remorqueur.

[93] La première information détenue par le capitaine Bélanger est celle que le plaignant a placé de la glace sur son genou. Rien n'indique que le plaignant n'a pas été en mesure, au cours des jours précédents, de remplir la fonction de surveillant à laquelle il a été assigné et qui, incidemment, est inhérente aux fonctions de timonier. La seconde information reçue par le capitaine Bélanger est celle provenant du plaignant qui lui raconte l'opération subie à son genou gauche trois ans auparavant et qu'il éprouve une certaine raideur au genou gauche et parfois une douleur justifiant de placer de la glace. Il obtient l'assurance du plaignant qu'il est en mesure de faire son travail.

[94] Ces renseignements à eux seuls guideront le capitaine Bélanger dans sa décision de mettre fin à l'emploi du plaignant. Pourquoi ne pas avoir retenu la suggestion du plaignant de communiquer avec son médecin orthopédiste ou de se rendre à l'hôpital pour ramener son dossier médical ? La réponse d'Andrée Viger est celle que le temps manquait puisqu'on était le mercredi et que le navire devait quitter le port le vendredi. Dans les faits, le navire a pris la mer le mardi suivant. La preuve a également révélé que le plaignant a suggéré de se soumettre à un examen médical par un médecin au choix de l'intimée. Il convient de se rappeler que la preuve est à l'effet que les marins détenant un brevet d'homme de quart à la passerelle étaient une denrée très rare. Néanmoins, cette suggestion du plaignant n'est pas non plus retenue par Andrée Viger sous prétexte d'un manque de temps. Andrée Viger explique qu'elle faisait affaires avec une firme d'experts médicaux depuis plusieurs années. Ainsi, sa prétention à l'effet qu'il lui aurait été impossible d'obtenir un rendez-vous à l'intérieur d'un délai de deux jours me laisse fort sceptique. Pourtant, il lui fut cependant possible d'obtenir les services d'un médecin qui s'est présenté à bord du navire le dimanche 24 juin 2002 pour faire subir un examen médical aux matelots ne disposant pas du certificat médical requis.

[95] Les renseignements dont disposait le capitaine Bélanger ne justifiaient pas à eux seuls son verdict sur la condition physique du plaignant. En outre, le contenu du certificat médical du plaignant, même si le capitaine Bélanger en avait pris connaissance, ne l'aurait pas conduit vers une décision mieux éclairée. Pour bien juger que les problèmes au genou du plaignant créaient chez lui une condition physique inadéquate pour lui permettre d'exercer les fonctions de timonier et débardeur d'une façon sécuritaire et efficace, il aurait dû obtenir une expertise médicale qui réponde aux exigences de l'article 66 du Règlement.

[96] Une fois la norme d'une condition physique adéquate adoptée, on se devait d'en aviser formellement de son existence et de son importance tout candidat avant son embauche, ce qui n'a pas été fait. De plus, même si on s'était déclaré satisfait du certificat médical du médecin désigné par Transports Canada pour vérifier la condition physique d'un candidat, la preuve a démontré que ce certificat n'était pas une condition première d'embauche pour tout le personnel marin. Enfin, si la condition physique adéquate était essentielle, une expertise médicale approfondie répondant aux exigences de l'article 66 (1) du Règlement aurait dû être obligatoire pour s'assurer que la norme était rencontrée.

[97] J'arrive à la conclusion que la norme de condition physique adéquate adoptée à l'endroit du personnel n'était pas raisonnablement nécessaire et ne constituait pas une exigence professionnelle justifiée. L'intimée a donc commis un acte discriminatoire en remerciant le plaignant de ses services en raison de sa condition physique inadéquate, soit des problèmes à son genou gauche.

[98] En conséquence, la plainte de Bruno Boudreault est accueillie.

V. MESURES DE REDRESSEMENT

A. La réintégration dans les fonctions

[99] Ayant tiré la conclusion que la plainte est bien fondée, le Tribunal se doit de replacer le plaignant dans la même situation que celle qui aurait prévalu n'eût été de l'acte discriminatoire, soit son congédiement le 20 juin 2001.

[100] La preuve a démontré que le plaignant a été embauché en vertu d'un contrat de travail à durée déterminée soit du 15 juin 2001 au 31 octobre 2001. En conséquence, même si le plaignant affirme que l'intimée lui aurait fait part de la possibilité d'un nouveau contrat de travail, je ne crois pas que la réintégration soit bien fondée.

B. Les dommages-intérêts pour pertes pécuniaires

[101] Bruno Boudreault réclame le salaire perdu suite à son congédiement. La preuve a révélé que lors du premier voyage effectué par le navire, soit du 26 juin 2001 au 28 août 2001, le travail du plaignant a été accompli par un autre timonier et débardeur qui a reçu une rémunération de 17 320,07 $. Lors de son argumentation, la procureure de l'intimée a soutenu qu'un montant de 447,09 $ devrait être déduit de ce montant, soit le montant versé par l'intimée au plaignant pour le travail qu'il a effectué du 17 juin 2001 au 20 juin 2001. Elle soutient que le remplaçant du plaignant était également au travail du 17 juin au 20 juin 2001 et qu'il a reçu le même montant que le plaignant. Cependant, rien dans la preuve n'indique que le remplaçant du plaignant était au travail au cours de cette période. J'en arrive à la conclusion que la perte monétaire subie par le plaignant du 21 juin 2001 au 28 août 2001 a été de 17 320,07 $.

[102] Pour le deuxième voyage du navire, les parties s'entendent à l'effet que la perte monétaire du plaignant a été de 17 358,35 $ En définitive, la perte de revenu du plaignant pour la durée du contrat de travail a été de 34 678,42 $. Toutefois, à compter du 31 juillet 2001 jusqu'au 12 octobre 2001 il a réalisé un revenu de 5 616,00 $ de sorte que sa perte réelle de revenu a été de 29 062,42 $.

[103] J'ordonne donc à l'intimée de verser au plaignant un montant de 29 062,42 $. Comme ce montant forfaitaire accordé au plaignant aura possiblement comme conséquence de lui imposer une responsabilité fiscale accrue qui aurait pour effet de le pénaliser sans aucune justification, j'ordonne à l'intimée de verser au plaignant une somme additionnelle suffisante pour couvrir les obligations fiscales supplémentaires qui pourraient lui être imposées suite à la réception du paiement ordonné et ce, en tenant compte de ses autres revenus et des retenues obligatoires qui s'y rattachent.

[104] Le plaignant a également réclamé les pertes de revenu en assurance-emploi qu'il a subies en raison de son congédiement. Il explique cette réclamation pécuniaire du fait qu'en travaillant pour l'intimée il aurait réalisé des revenus beaucoup plus élevés au cours de la durée de son contrat de travail que ceux qu'il a obtenus d'un autre travail. En conséquence les prestations d'assurance-emploi ont été beaucoup moins élevées que celles qu'il aurait reçues s'il était demeuré à l'emploi de l'intimée. Toutefois, le plaignant n'a pas été en mesure de quantifier le montant des prestations d'assurance-emploi qu'il a perdu de sorte que cette perte de revenus ne peut être retenue.

[105] Le plaignant a également réclamé un montant de 7 000 $ au motif que son congédiement l'a empêché d'accumuler les heures de travail comme timonier de manière à devenir éventuellement éligible pour obtenir un brevet de pilote de long cours. Le plaignant a reconnu que le montant réclamé était tout à fait arbitraire sans aucune donnée pour en établir le bien-fondé. Rien dans la preuve n'indique que le plaignant a fait les efforts, suite à son congédiement, pour continuer son cheminement afin de répondre éventuellement aux conditions d'obtention d'un brevet de pilote de long cours. Par conséquent, la preuve ne justifie pas d'accorder le montant réclamé pour perte d'avancement de carrière.

C. Dépenses

(i) Achat de vêtements

[106] La preuve révèle que lors d'une conversation téléphonique Édouard Nadeau a avisé le plaignant que, comme il devait se rendre dans le Grand Nord, il lui serait nécessaire de se procurer des vêtements adéquats. Le plaignant s'est procuré des sous-vêtements hypothermiques, un sac de couchage, des survêtements et des bottes d'hiver qui lui ont coûté un montant de 700 $.

[107] J'ordonne à l'intimée de payer ce montant de 700 $ au plaignant.

(ii) Honoraires d'avocat

[108] Le plaignant, suite à la perte de son emploi, a retenu les services d'une procureure qu'il a mandatée pour le représenter dans le cheminement de son dossier depuis le dépôt de la plainte à la Commission canadienne des droits de la personne jusqu'à la fin de l'audition devant le Tribunal.

[109] La procureure du plaignant a soumis au Tribunal une note d'honoraires au montant de 6 377,46 $. La procureure de l'intimée reconnaît que les honoraires réclamés sont directement reliés à la plainte à l'exception d'un montant de 360 $. La procureure de l'intimée a raison sur ce point puisque ce montant de 360 $ est relié à une réclamation civile exercée par le plaignant contre l'intimée.

[110] Le plaignant demande au Tribunal d'ordonner à l'intimée de l'indemniser pour un montant de 6 377,46 $ afin de payer les honoraires de son avocate mais j'estime que le montant de 6 017,46 $ devrait plutôt être considéré.

[111] Les dispositions de l'article 53 (1) de la Loi confèrent au Tribunal le pouvoir d'accorder au plaignant la totalité ou la fraction des pertes de salaires et des dépenses entraînées par l'acte discriminatoire.

[112] L'analyse des affaires Stevenson 4 et Nkwazi5 m'amène à conclure que les honoraires d'avocat réclamés par le plaignant font partie des dépenses entraînées par l'acte discriminatoire. En conséquence, j'ordonne à l'intimée de payer au plaignant les honoraires de son avocate au montant de 6 017,46 $.

(iii) Le préjudice moral

[113] En vertu des dispositions de l'article 53 (2) e) de la Loi, le Tribunal peut ordonner à l'intimée d'indemniser la victime jusqu'à concurrence d'un montant de 20 000 $ en raison du préjudice moral que lui a causé l'acte discriminatoire.

[114] La preuve a révélé que le plaignant a été bouleversé d'apprendre d'une manière soudaine la perte de son emploi. Il a perdu l'espoir qu'il nourrissait de poursuivre sa carrière de timonier et éventuellement d'obtenir son brevet de capitaine de long cours. Cette perte subite d'emploi a affecté son moral. Compte tenu de ces faits, j'ordonne à l'intimée de payer au plaignant, au titre de préjudice moral, un montant de 3 000 $.

(iv) Indemnité pour acte délibéré et inconsidéré

[115] En se référant au paragraphe 53 (3) de la Loi, le plaignant a requis du Tribunal d'ordonner à l'intimée de lui verser une indemnité de 20 000 $ en raison du fait que l'acte discriminatoire dont il a été victime a été posé de manière délibérée et inconsidérée.

[116] Rien dans la preuve ne démontre le bien-fondé de cette demande qui est rejetée.

(v) Intérêts

[117] J'ordonne à l'intimée de payer au plaignant un intérêt simple sur tous les montants précédemment accordés. Cet intérêt simple devra être calculé sur une base annuelle selon un taux équivalent au taux d'escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle).

[118] Les intérêts sur les montants à payer pour le préjudice moral et les dépenses commenceront à courir à compter de la date du congédiement jusqu'à la date du dernier versement. Il en sera de même sur le montant à verser sur les pertes salariales. Cependant, le calcul des intérêts devra tenir compte des dates de versement du salaire au plaignant.

Signée par


Roger Doyon

OTTAWA (Ontario)

Le 30 juin 2004

1 Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3

2 Colombie-Britannique (Superintendant of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868

2

3 Meiorin, supra, par. 59

4 Le Procureur général du Canada c. Stevenson et le C.C.D.P. 2003 CFP1 341

5 Beryl Nkwazi c. Service correctionnel Canada Décision 3 T.C.D.P. 2001-03-29

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T818/6803

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Bruno Boudreault c. Great Circle

Marine Service inc.

DATE ET LIEU

DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

Les 17, 18, 19 et 20 février 2004

DATE DE LA DÉCISION

DU TRIBUNAL :

Le 30 juin 2004

ONT COMPARU :

Kathleen Dufour

Pour le plaignant

Alain R. Pilotte et

Isabelle Pillet

Pour l'intimée

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