Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 6 / 89 LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

(S. C. 1976- 1977, c. 33, version modifiée) TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE ENTRE :

BRIAN MOSSOP Plaignant - et LE SECRÉTARIAT D’ÉTAT LE CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA LE SYNDICAT CANADIEN DES EMPLOYÉS PROFESSIONNELS ET TECHNIQUES

Intimés - et LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission TRIBUNAL : M. ELIZABETH ATCHESON

DÉCISION DU TRIBUNAL ONT COMPARU : JAMES HENDRY ET Avocats de la Commission canadienne des ANNE TROTIER droits de la personne

ROBERT COUSINEAU Avocat du Secrétariat d’État et du Conseil du Trésor

MICHEL ROY Avocat du Syndicat canadien des employés professionnels et techniques

DATE ET LIEU Le 5 octobre 1987 DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)

TRADUCTION > 2

1. INTRODUCTION

1.1 Le 14 ao t 1985, M. Brian Mossop (le Plaignant) a déposé une

plainte aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la

personne (la Loi, alors S. C. 1976- 1977, c. 33, version modifiée, à présent S. R. C. 1985, c. H- 6) à l’encontre du Secrétariat d’État du Canada (le SÉ) et alléguant que le SÉ avait commis un acte discriminatoire pour un motif de distinction illicite fondé sur la situation de famille, en matière d’emploi, en vertu des paragraphes 7( b) et 10( b) de la Loi.

1.2 Le 19 ao t 1985, le Plaignant a déposé une deuxième plainte aux termes de la Loi contre le Syndicat canadien des employés professionnels et techniques (SCEPT), alléguant que le SCEPT avait commis un acte discriminatoire pour un motif de distinction illicite fondé sur la situation de famille, en matière d’emploi, en vertu de l’alinéa 9( 1)( c)( ii) et du paragraphe 10( b) de la Loi. (La plainte se référait effectivement à l’alinéa 9( c)( ii), et l’on prend pour acquis qu’il s’agit d’une erreur typographique).

1.3 Le 12 mai 1987, le président du Comité du tribunal des droits de la personne me désignait comme tribunal des droits de la personne (le Tribunal) selon la Loi pour instruire chacune de ces plaintes. Les avocats du Plaignant et du SÉ ont accepté que les plaintes soient entendues ensemble. L’audience s’est déroulée le 5 octobre 1987. En début d’audience, les parties convenaient et le Tribunal acceptait de modifier la plainte déposée contre le SÉ pour inclure le Conseil du Trésor du Canada (le Conseil du Trésor); le Conseil du Trésor devenait donc une partie dans cette affaire.

1.4 Le Tribunal déclare par la présente quels sont les motifs sur lesquels s’appuie sa décision, et rend sa décision relativement à chaque plainte.

> 3 2. CIRCONSTANCES SUR LESQUELLES LES PLAINTES SONT FONDÉES

2.1 Les plaintes sont fondées sur des événements qui se sont

produits en mai et juin 1985. A cette époque et au moment de l’audience, le Plaignant était employé par le Conseil du Trésor au bureau de la Direction des traductions du SÉ, situé à Toronto (Ontario). A titre d’employé, il était visé par une convention relative au Groupe des traducteurs, interprètes et terminologues établie entre le Conseil du Trésor et le SCEPT; cette convention était déposée lors de l’audience comme Pièce no HR- 3 (la Convention collective).

2.2 La Convention collective prenait effet le 7 janvier 1982 et devait, selon son propre libellé, prendre fin le 18 septembre 1983. Un témoignage a été donné à l’effet que la durée de la Convention collective avait été prorogée jusqu’à la signature d’une nouvelle convention en ao t 1985. Le SÉ assurait l’administration de la Convention collective en regard du Plaignant.

2.3 Le 3 juin 1985, le Plaignant a participé aux funérailles du père de l’homme qu’a décrit le Plaignant comme étant son

amant. Le 4 juin 1985, le Plaignant a soumis une demande écrite à son chef de section (transcription, p. 10) pour obtenir un congé de décès, en date du 3 juin 1985, selon la Convention collective. Il déclarait dans sa demande de congé (Pièce no HR- 4) que le défunt était le père de mon amant (un homme) de 10 années, avec lequel je cohabite (traduction).

2.4 Les dispositions applicables de la Convention collective relativement aux congés de décès prévoient ce qui suit :

ARTICLE 19 CONGÉ SPÉCIAL

... Congé de deuil 19.02 Aux fins de l’application de la présente clause, la proche famille comprend le père, la mère, le frère, la soeur, le conjoint (y compris le conjoint de droit commun demeurant avec l’employé), l’enfant propre de l’employé (y compris l’enfant du conjoint de droit commun) ou l’enfant en tutelle de l’employé, le beau- père, la belle- mère et tout parent demeurant en permanence au foyer de l’employé ou

> 4 avec qui l’employé demeure en permanence.

a) Lorsqu’un membre de sa proche famille décède, l’employé a droit à un congé de deuil d’une durée maximum de quatre (4) jours civils consécutifs qui ne peut s’étendre au- delà du lendemain des obsèques. Au cours d’une telle période, il bénéficie d’un congé spécial payé qui s’applique aux jours qui pour lui sont normalement des jours ouvrables. En plus, il peut bénéficier d’un maximum de trois (3) jours de congé spécial payé pour voyager à destination ou en provenance du lieu des obsèques.

b) Dans des circonstances spéciales et à la demande de l’employé, le congé de deuil peut s’étendre au- delà du jour qui suit celui des obsèques, mais tous les jours accordés doivent être consécutifs et leur nombre ne doit pas être supérieur à celui qui est prévu ci- dessus et

doit comprendre le jour des obsèques.

c) L’employé a droit à un congé spécial payé, d’une durée maximale d’une journée, en cas de décès d’un grand- parent, d’un gendre, d’une bru, d’un beau- frère ou d’une belle- soeur ou d’un petit- enfant.

d) Les parties reconnaissent que les circonstances qui occasionnent la demande de congé dans un cas de deuil se fondent sur des circonstances individuelles. Sur demande, le sous- chef d’un ministère peut, après avoir examiné les circonstances particulières en cause, accorder un congé payé plus long que celui dont il est question aux paragraphes 19.02 a) et c).

2.01 Aux fins de l’application de la présente convention, ...

> 5 s) on dit qu’il existe des liens de

conjoint de droit commun lorsque, pendant une période continue d’au moins une année, un employé a cohabité avec une personne du sexe opposé, l’a présentée publiquement comme son conjoint, et vit et a l’intention de continuer à vivre avec cette personne comme si elle était son conjoint.

2.5 La demande du Plaignant en vue d’obtenir un congé de décès a été subséquemment refusée. Le SÉ lui a offert un congé spécial d’une journée (probablement selon le paragraphe 20.11 de la Convention collective), offre rejetée par le Plaignant.

2.6 Le 10 juin 1985, le Plaignant a soumis une demande afin d’obtenir un congé de vacances d’un jour pour la journée du 3 juin 1985. Sa demande de congé déclarait ce qui suit : La présente demande est soumise en attendant le règlement d’un grief et d’une plainte soumise à la CCDP (Commission canadienne des droits de la personne) relativement au rejet d’une demande visant à obtenir un congé de deuil d’une journée (traduction). Cette demande a été accordée par le SÉ.

2.7 La Convention collective prévoit une procédure de règlement des griefs (article 28). Le Plaignant a procédé à la présentation d’un grief (Pièce no HR- 6) où il déclarait, entre autres :

(traduction) Le 3 juin 1985 j’étais présent aux obsèques du père de mon amant (un homme), avec lequel j’ai cohabité pendant une période continue de neuf années, que j’ai présenté publiquement comme mon amant, et avec lequel j’ai l’intention de continuer à vivre. Ma relation est donc identique à celle qui est décrite à l’alinéa 2.01( s) de la Convention collective, à cette exception près que mon amant n’est pas une personne du sexe opposé. Pour cette raison, on m’a refusé un congé de décès d’une journée que j’avais demandé le 4 juin.

Le Plaignant a demandé ce congé de décès d’une journée, ainsi qu’un crédit pour un congé de vacances d’une journée.

> 6 2.8 Conformément aux exigences de la Convention collective, ce

grief a été approuvé par le SCEPT. Le SCEPT a représenté le Plaignant lors d’une audience de grief tenue à Ottawa (Ontario) le 25 juillet 1985. Le Plaignant a participé à l’audience et a soumis une représentation (Pièce no HR- 9). Les dépenses du Plaignant ont été défrayées par le SCEPT.

2.9 Dans une lettre en date du 7 ao t 1985, M. Marc Rochon sous- secrétaire d’État adjoint, SÉ) avisait le Plaignant que son grief était rejeté puisque le refus d’accorder un congé de décès était conforme aux dispositions de la Convention collective (Pièce no HR- 8).

2.10 Tel que mentionné aux paragraphes 1.1 et 1.2, le Plaignant a déposé des plaintes aux termes de la Loi. Pour ce qui est des deux plaintes (Pièces no HR- 1 relativement au Conseil du Trésor et au SÉ, et no HR- 2, relativement au SCEPT), le Plaignant a déclaré, en se reportant au refus du SÉ d’accorder le congé de décès demandé selon le paragraphe 19.02 de la Convention collective, que la Convention collective commettait un acte discriminatoire à son endroit, contrairement aux dispositions de la Loi, pour un motif de distinction illicite fondé sur sa situation de famille.

2.11 Le Plaignant a témoigné que le SCEPT avait complètement appuyé (transcription, p. 24) son point de vue relativement à la présentation du grief et au dépôt des plaintes. M. Michel Dubois, président du Groupe des traducteurs, interprètes et terminologues et membre de la direction du SCEPT, a témoigné relativement à certaines positions prises au nom du Groupe des traducteurs, interprètes et terminologues au cours des pourparlers auprès du Conseil du Trésor ayant précédé la signature de la Convention collective le 7 janvier 1982. Les amendements en question proposés par le Groupe des traducteurs, interprètes et terminologues ont été déposés en preuve (Pièce no S- 1).

2.12 M. Dubois a confirmé qu’au cours des séances de négociations (et pendant les séances subséquentes), le Groupe des traducteurs, interprètes et terminologues avait notamment proposé un amendement à l’alinéa 2.01( s) de la Convention collective qui aurait rayé l’expression du sexe opposé de la définition d’un conjoint de droit commun. M. Dubois a déclaré que la position officielle du SCEPT relativement à l’objet de ces plaintes se lit comme suit (transcription, pp. 55- 56).

La position officielle du Syndicat, c’est que quel que soit le sexe de la personne, la définition de conjoint devrait être la même. Donc pour nous,

> 7 il est important que les expressions personne du sexe opposé etc. soient supprimées de la convention et que en fait, la définition actuelle d’un conjoint de droit commun reconnue dans les diverses provinces soit appliquée autant au couple homosexuel- masculin et féminin -qu’au couple hétérosexuel.

2.13 Le Plaignant a explicitement témoigné sur la façon dont sa vie était reliée à celle de son amant. Ils se connaissaient depuis 1974, et, au moment de l’audience, cohabitaient depuis 1976 dans une maison en co- propriété entretenue par les deux hommes. Il a été clairement démontré qu’ils partagent l’évolution quotidienne de leurs vies. Ils entretiennent une relation sexuelle. Leurs familles et amis savent qu’ils sont amants. Chacun a désigné l’autre comme bénéficiaire de son testament. Le Plaignant a déclaré son intention de poursuivre sa relation dans un avenir prévisible.

2.14 Le Plaignant a décrit quelle était pour lui la signification du refus d’un congé de décès (transcription, p. 16) :

(traduction)

... encore une fois, on me traite différemment parce que je suis gai. Et toute personne gaie, moi- même y compris, a l’expérience de constamment faire l’objet d’un traitement différent; plus précisément, on se fait traiter comme si nos sentiments ou nos rapports n’avaient aucune valeur. Le fait d’obtenir une journée de congé signifie quelque chose parce que c’est officiel, d’une certaine façon, ça veut dire qu’on nous reconnaît comme membres de la société.

>-

8 3. DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI

3.1 En guise d’introduction, il faut noter que toutes les références statutaires à la Loi, quant à la présente décision, s’appliquent au libellé de la Loi lorsque se sont produits les événements sur lesquels sont fondées les plaintes. Les dispositions invoquées dans la présente décision n’ont pas été substantiellement modifiées depuis lors, bien que la numérotation interne des dispositions ait été modifiée par suite de la refonte des Statuts Révisés du Canada 1985, laquelle entrait en vigueur le 12 décembre 1988.

3.2 La Loi prévoit que certains actes discriminatoires peuvent faire l’objet d’une plainte et prescrit que toute personne reconnue comme commettant ou ayant commis tels actes peut faire l’objet d’une ordonnance, aux termes de la Loi (article 4). Le Plaignant a déposé une plainte contre le SÉ (le Conseil du Trésor venant s’ajouter par la suite) et le SCEPT, et chaque plainte alléguait deux actes discriminatoires.

3.3 Le Plaignant a allégué que le Conseil du Trésor et le SÉ avaient commis un acte discriminatoire selon le paragraphe 7( b), qui se lit comme suit :

7. Constitue un acte discriminatoire le fait ...

(b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

Le Plaignant a allégué que le SCEPT avait commis un acte discriminatoire selon l’alinéa 9( 1)( c)( ii), qui se lit comme suit :

9.( 1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’association d’employés ...

(c) d’établir, à l’endroit d’un adhérant ou d’un individu à l’égard de qui elle a des obligations aux termes d’une convention collective, que celui- ci fasse ou non partie de l’association, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles ...

> 9 (ii) de limiter ses chances d’emploi ou d’avancement, ou, d’une façon générale, de nuire à sa

situation pour un motif de distinction illicite.

Le Plaignant a allégué que le Conseil du Trésor, le SÉ et le SCEPT ont chacun commis un acte discriminatoire selon le paragraphe 10( b), qui se lit comme suit :

10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur, l’association d’employeurs ou l’association d’employés ...

(b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

3.4 La Loi prescrit les motifs de distinction illicite suivants (paragraphe 3( 1)) : ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience. Le Plaignant a mentionné le motif de distinction illicite fondé sur la situation de famille dans les deux plaintes. La situation de famille venait s’ajouter à la Loi par voie des S. C. 1980- 1981- 1982- 1983, c. 143 et les dispositions pertinentes s’appliquaient le 1er juillet 1983.

3.5 La situation de famille n’est pas définie par la Loi; d’autre part, la Commission n’a pas, sur demande, émis une ordonnance aux termes du paragraphe 22( 2) de la Loi pour préciser les limites et les modalités de l’application de la présente loi ... dans un cas ou une série de cas donnés ...

3.6 On doit noter que la Loi définit au paragraphe 9( 3) l’expression association d’employés. On n’a pas abordé, au cours de l’audience du SCEPT ou de toute autre partie, la question de savoir si le SCEPT est visé par cette définition.

> 10 Le Tribunal déclare que le SCEPT est une association d’employés aux fins de la Loi.

3.7 L’article 41 prévoit que le Tribunal doit décider si chaque plainte est fondée. Une plainte non fondée doit être rejetée. Si le Tribunal juge une plainte fondée, il peut alors émettre une ordonnance aux termes des paragraphes 41( 2)

et (3) de la Loi. > 11

4. SIGNIFICATION DE L’EXPRESSION SITUATION DE FAMILLE

4.1 Lors de l’audience, ni M. Cousineau, l’avocat du Conseil du

Trésor et du SÉ, ni M. Roy, l’avocat du SCEPT, n’ont contesté la preuve apportée par le Plaignant relativement aux dispositions pertinentes de la Convention collective ou ce qui s’était passé en réponse à la demande faite par le Plaignant en vue d’obtenir un congé de décès selon le paragraphe 19.02 de la Convention collective. Aucun des intimés n’a présenté une défense. Dans l’ensemble, la preuve et les arguments ont porté sur la question fondamentale de savoir si le refus d’accorder un congé de décès, conformément à la Convention collective, se fondait sur la situation de famille, soit le motif de distinction illicite allégué par le Plaignant. La question directement en litige a été la signification de l’expression situation de famille telle qu’utilisée par la Loi.

4.2 Les arguments du Plaignant relativement à la signification du terme famille reposaient sur sa position à l’effet que les couples homosexuels peuvent constituer une famille. M. Hendry, avocat de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a soutenu l’argument et déposé une preuve pour démontrer que la relation établie entre le Plaignant et son amant était une relation de famille, et que la Convention collective n’accordait pas le même traitement à toutes les familles (transcription, p. 60). M. Cousineau a soutenu que l’amant du Plaignant était visé par la définition d’ époux de droit commun donnée au paragraphe 2.01( s) de la Convention collective, à l’exception que l’amant n’était pas une personne du sexe opposé et que conséquemment le refus d’accorder un congé de décès se fondait non pas sur la nature de la relation existant entre le Plaignant et son amant, mais plutôt sur l’orientation sexuelle du Plaignant (transcription, p. 105). M. Roy n’a présenté aucun argument quant à la signification de situation de famille, sauf une déclaration à l’effet que cette expression appuyait la position du Plaignant (transcription, p. 7).

4.3 M. Cousineau a constaté, à bon droit, que l’orientation sexuelle ne constituait pas un motif de distinction illicite selon la Loi au moment du dépôt des plaintes (et celle- ci n’a d’ailleurs pas été ajoutée jusqu’à présent). Selon lui, le fait de se baser sur un motif de distinction illicite fondé sur la situation de famille, dans la présente affaire, constituerait un subterfuge afin d’incorporer l’orientation sexuelle dans la Loi comme motif de distinction illicite (transcription, pp. 105- 106). M. Cousineau n’a cependant pas remis en question la compétence du Tribunal pour interpréter en première instance l’expression situation de famille. Le Tribunal constate la décision prise dans l’affaire Canadian

>-

12 Pacific Air Lines, Limited c. Bryan Williams ([ 1982] 1 C. F. 214 (C. A. F.)); le juge en chef Thurlow, à la page 215, déclare qu’un tribunal est habilité à se prononcer afin de déterminer si les agissements dont il s’agit constituaient un acte discriminatoire et, dans l’affirmative, s’il y avait discrimination.

Témoignage du Dr. Margrit Eichler 4.4 Lors de l’audience, l’avocat de la Commission a présenté le

Dr. Margrit Eichler comme témoin et a demandé qu’on reconnaisse celle- ci comme témoin expert dans le domaine de la sociologie et des politiques familiales. Comme en fait foi son fort long curriculum vitae (Pièce no HR- 10), le Dr. Eichler détient un doctorat en sociologie. Au moment de l’audience, elle était professeur attitré au département de sociologie du Ontario Institute for Studies and Education, tout en étant simultanément affectée au département de théorie de l’éducation et au département de sociologie de l’Université de Toronto. Elle a reçu de nombreuses subventions pour la recherche et le développement, a rédigé plusieurs mémoires à caractère scientifique et a beaucoup publié. Le Dr. Eichler a déclaré que les questions familiales sont l’un des trois principaux domaines de son travail depuis 1975. Au moment de l’audience, le Dr. Eichler était l’auteur du seul manuel canadien portant sur les familles - Canadian Families Today, Recent Changes and Their Policy Consequences - que l’on utilise couramment dans les universités canadiennes. Le Dr. Eichler a fourni des services de consultation, dans ses domaines de compétence, et sa clientèle comprend entre autres l’Institut C. D. Howe, Statistique Canada, Condition féminine Canada, le Conseil consultatif canadien de la situation de la femme, le Conseil économique du Canada, et Santé et Bien- être Canada. Compte tenu de ses compétences et du fait que les autres parties n’ont soulevé aucune objection, le Tribunal a reconnu le Dr. Eichler comme témoin expert dans le domaine de la sociologie et des politiques familiales.

4.5 Le Dr. Eichler a déclaré que le terme famille ne possède pas une seule définition polyvalente au Canada, bien qu’il existe certaines définitions normalisées utiles à certaines fins (transcription, pp. 34- 35). De plus, le Dr. Eichler a exprimé l’opinion que ce mot n’est pas aussi clair qu’on pourrait le penser (transcription, pp. 41- 43). M. Hendry a plus précisément interrogé le Dr. Eichler au sujet des avantages sociaux reliés à un emploi, de la façon suivante (transcription, pp. 35- 36, j’ai souligné) :

(traduction) > 13

Q. Eh bien, vous possédez une expérience fort considérable des politiques relatives aux familles; existe- t- il une approche sociologique

traitant de la question de l’appartenance familiale quant aux politiques reliées aux avantages sociaux découlant d’un emploi?

R. J’examinerais les relations familiales plutôt que de juger à l’avance quel type de structure formelle constitue une différence; j’envisagerais les divers aspects des interactions familiales pour déterminer si ces dernières démontrent qu’une relation quelconque est une relation à caractère familial.

Elle déclarait par la suite préférer l’expression relation familiale à relation à caractère familial, parce que cette dernière implique qu’une relation à caractère familial diffère d’une relation familiale. Le Dr. Eichler a fait remarquer que le langage utilisé pour décrire la famille évolue, tout comme la famille elle- même (transcription, pp. 38- 39).

4.6 Le Dr. Eichler a fait ressortir l’importance d’envisager les relations telles qu’elles existent (traduction) (transcription, p. 36). A titre comparatif, le Dr. Eichler soulignait les problèmes qui peuvent se produire lorsqu’il s’agit de déterminer l’origine ethnique d’un enfant dont les parents naturels ou les beaux- parents peuvent être d’origines ethniques différentes et même parler des langues différentes que celle employée par leurs enfants. Le Dr. Eichler ajoutait que Statistique Canada a adopté une définition de l’origine ethnique qui repose sur un certain nombre de facteurs, y compris les suivants : les antécédents de la mère et du père, la langue parlée au foyer et l’identification propre de l’enfant (transcription, pp. 43- 44).

4.7 De l’avis du Dr. Eichler, l’absence d’une définition normalisée entraîne une absence d’unanimité relativement à la définition du mot famille (transcription, p. 46) :

(traduction)

Certaines couches importantes de la population acceptent les relations homosexuelles comme étant des relations familiales, des relations de couple; certains couples homosexuels, masculins

> 14 et féminins, ont des enfants, et sont acceptés à titre de familles, mais pas par tout le monde. D’autres familles correspondent aux définitions et ne sont pas acceptées par tout le monde. Puis il y a les familles dont la composition semble traditionnelle, mais où l’on retrouve des cas d’inceste, de

mauvais traitements infligés à l’épouse ... donc, aucune unanimité à ce sujet, aucun consensus clairement établi. Je crois pouvoir être en mesure de vous donner un aperçu de la gamme d’attitudes que l’on retrouve, et une couche de la population est d’avis que les unions homosexuelles sont comparables aux autres relations de couple.

4.8 On a demandé au Dr. Eichler de donner son avis à propos de la relation entretenue par le Plaignant et son amant; elle opinait qu’il s’agissait d’une relation familiale pour les raisons suivantes (transcription, p. 38) :

(traduction)

D’après ce que je crois comprendre, il s’agit d’une relation établie depuis un certain temps, qui doit en principe se poursuivre. Ce n’est donc pas une relation que l’on peut définir en fonction de sa durée. Il y a cohabitation, il y a union économique à plusieurs égards, démontrée par le fait que la maison est une copropriété, que l’assurance- vie - les parties impli quées, les deux partenaires sont bénéficiaires - il y a mise en commun des finances, c’est une relation sexuelle, il y a partage des tâches domestiques et une relation d’ordre émotif, soit un aspect très important des relations familiales.

Le Dr. Eichler a confirmé ne pas avoir dressé une liste de facteurs- types à titre comparatif pour déterminer si une relation donnée est une relation familiale, puisqu’aucun élément précis n’est toujours présent dans une relation familiale (transcription, pp. 50- 51).

> 15 Arguments de la Commission 4.9 M. Hendry a caractérisé le témoignage du Dr. Eichler comme

établissant une approche fonctionnelle que pourrait adopter le Tribunal (transcription, pp. 65- 66); il a résumé son témoignage comme suit :

(traduction)

Elle a déclaré qu’à son avis il existait une relation familiale entre M. Mossop et M. [Popert]. J’avais suggéré l’expression relation à caractère familial et elle a dit préférer l’expression relation

familiale parce qu’il ne s’agit pas tout simplement d’un rapport à caractère familial, mais bien d’une famille. Il n’y a pas d’artifice. Il ne s’agit pas d’une comparaison avec un autre type de famille. C’est bel et bien une relation familiale en elle même ...

Dans son contre- interrogatoire, M. Cousineau avait demandé quelle serait donc l’objet d’une famille en l’absence d’un élément mieux défini. Et elle ajoutait qu’il y avait la praticabilité. Voilà peut- être le fondement de son témoignage - une question de praticabilité, une question de la fonction de la famille; lorsque telle fonction est présente, alors les besoins d’exécuter ces fonctions doivent être reconnus.

4.10 M. Hendry a déclaré qu’au moment de l’audience, la question de savoir si une famille homosexuelle est visée ou non par la définition de situation de famille n’avait pas été déterminée par un tribunal ou une cour de justice du Canada (transcription, pp. 66- 67). Il citait donc un certain nombre de causes, lesquelles, selon lui, établissaient : 1) les principes généraux d’interprétation applicables aux lois s’attaquant à la discrimination; et 2) l’acceptation antérieure par les tribunaux et cours de justice d’une approche fonctionnelle pour l’interprétation et l’application des expressions juridiques.

4.11 M. Hendry a invoqué quatre décisions de la Cour suprême du Canada, dont trois se rapportaient à la Loi. La première affaire est celle de Bhinder c. C. N. R., [1985] 2 S. R. C. 561.

> 16 Bhinder, un Sikh, avait refusé d’obtempérer à une condition d’emploi que tous les employés portent un casque de sécurité en un lieu particulier de travail, parce que sa religion lui interdit de porter autre chose sur la tête qu’un turban. Après avoir refusé un autre travail, M. Bhinder a été congédié et il a déposé une plainte aux termes de la Loi que le C. N. R. avait commis un acte discriminatoire.

4.12 La Cour devait se prononcer sur deux points : premièrement, est- ce que les articles 7 et 10 de la Loi interdisent les conséquences préjudiciables et la discrimination non intentionnelle, et, deuxièmement, est- ce qu’une obligation d’accommodement fait partie d’une exigence professionnelle normale?

4.13 La Cour a décidé à l’unanimité que la Loi interdit les conséquences préjudiciables et la discrimination non intentionnelle. Dans l’affaire Bhinder, la Cour a emprunté

son propre raisonnement utilisé dans un autre jugement rendu concurremment qui envisageait la même question par rapport au Code ontarien des droits de la personne, soit l’affaire de la Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons- Sears Ltd.; [1985] 2 S. R. C. 536 (Bhinder, p. 586, le juge McIntyre, et aux pp. 566- 567, le juge en chef Dickson).

4.14 Dans l’affaire O’Malley (et donc tel qu’adopté dans l’affaire Bhinder), le point de départ pour l’interprétation du Code ontarien des droits de la personne était son préambule (l’article 2 de la Loi, dont la citation suivra, est analogue au préambule). Le juge McIntyre déclarait (pp. 546- 547) :

(traduction)

Nous y trouvons un énoncé de la politique générale du Code et c’est cette politique qui doit s’appliquer. Ce n’est pas, à mon avis, une bonne solution que d’affirmer que, selon les règles d’interprétation bien établies, on ne peut prêter au Code un sens plus large que le sens le plus étroit que peuvent avoir les termes qui y sont employés. Les règles d’interprétation acceptées sont suffisamment souples pour permettre à la Cour de reconnaître, en interprétant un code des droits de la personne, la nature et l’objet spéciaux de ce texte législatif (voir le juge Lamer dans Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R. C. S. 145, aux pp.

> 17 157 et 158), et de lui donner une interprétation qui permettra de promouvoir ses fins générales. Une loi de ce genre est d’une nature spéciale. Elle n’est pas vraiment de nature constitutionnelle, mais elle est certainement d’une nature qui sort de l’ordinaire. Il appartient aux tribunaux d’en rechercher l’objet et de le mettre en application. Le Code vise la suppression de la discrimination. C’est là l’évidence. Toutefois, sa façon principale de procéder consiste non pas à punir l’auteur de la discrimination, mais plutôt à offrir une voie de recours aux victimes de la discrimination. C’est le résultat ou l’effet de la mesure dont on se plaint qui importe. Si elle crée effective ment de la discrimination, si elle a pour effet d’imposer à une personne ou à un groupe de personnes des

obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres membres de la société, elle est discriminatoire.

4.15 Le deuxième point en litige dans l’affaire Bhinder (soit l’exigence professionnelle normale) n’est pas invoqué dans les plaintes déposées devant ce Tribunal. Il pourrait cependant être utile de souligner que la Cour a été du même avis que le tribunal devant lequel l’affaire avait été initialement entendue, soit qu’ il fallait donner une interprétation libérale aux dispositions interdisant la discrimination et une interprétation étroite aux exceptions. (Bhinder, p. 589, le juge McIntyre).

4.16 Dans l’affaire Action Travail des femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, (1987), 76 N. R. 161, la Cour a évalué si la Loi lui donnait la compétence d’imposer à un employeur la mise en oeuvre d’un contingentement pour l’embauche d’un certain nombre de femmes pour remplir des emplois manuels. La Cour a refusé d’appliquer une interprétation grammaticale stricte à la Loi. Une des raisons sous- tendant ce refus a été l’avis du Tribunal qu’il ne pouvait envisager exclusivement la disposition en question parce que, ce faisant, il délaisserait l’objet principal de la Loi tel que déclaré à l’article 2 de la Loi. Le juge en chef Dickson déclarait (pp. 182- 183) :

(traduction) > 18

La législation sur les droits de la personne vise notamment à favoriser l’essor des droits individuels d’importance vitale, lesquels sont susceptibles d’être mis à exécution, en dernière analyse, devant une cour de justice. Je reconnais qu’en interprétant la Loi, les termes qu’elle utilise doivent recevoir leur sens ordinaire, mais il est tout aussi important de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits qui y sont énoncés. On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façons à les minimiser ou à diminuer leur effet. Bien que cela puisse sembler banal, il peut être sage de se rappeler ce guide qu’offre la Loi d’interprétation fédérale lorsqu’elle précise que les textes de loi sont censés être réparateurs et doivent ainsi s’interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets. Voir l’article 11 de la Loi d’interprétation, S. R. C. 1970, chap. I-

23 et ses modifications. Comme E. A. Driedger l’a écrit à la p. 87 de Construction of Statutes (2nd ed. 1983) :

[Traduction]

De nos jours, un seul principe ou méthode prévaut pour l’interprétation d’une loi : les mots doivent être interprétés selon le contexte, dans leur acception logique courante en conformité avec l’esprit et l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Les objets de la Loi sembleraient tout à fait évidents, compte tenu des termes puissants de l’art. 2. Pour que tous puissent avoir des chances égales d’ épanouissement, la Loi cherche à interdire les considérations fondées notamment sur le sexe. C’est l’acte discriminatoire lui- même que l’on veut prévenir.

> 19 4.17 Dans l’affaire Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor) [1987]

2 S. R. C. 84, le Tribunal s’est penché sur la question de savoir si les employeurs sont responsables, aux termes de la Loi, pour les actes discriminatoires commis par leurs employés. Le Tribunal a fait ressortir l’objet principal de la Loi, lequel consiste à remédier à des conditions socialement peu souhaitables, et ce, sans égard aux raisons de leur existence (p. 90). Compte tenu de la nature des actes discriminatoires commis dans le cadre d’un emploi, seul l’employeur est en mesure de corriger telle condition en fournissant un milieu de travail sain (page 94). Il s’ensuit que l’employé doit être tenu responsable selon la Loi, sinon l’objet principal de la Loi serait contrecarré.

4.18 M. Hendry a cité cinq causes qui, selon lui, appuient l’emploi d’une approche fonctionnelle à la définition de l’expression situation de famille.

4.19 La première affaire est celle de Bailey c. Le Ministre du Revenu national (1981), 1 C. H. R. R. D/ 193. Le Tribunal s’est penché sur un certain nombre de plaintes faites en vertu de la Loi et découlant de l’administration et de l’application des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada). Les faits relatifs à la plainte pertinente sont résumés dans l’introduction à la décision rapportée :

(traduction)

Dame Roberta Agnes Bailey, la première, a déposé une plainte alléguant qu’elle avait invoqué son statut de personne mariée à sieur William Carson en

produisant sa déclaration d’impôt sur le revenu pour 1977, pour réclamer l’exemption prévue à l’article 109 (1)( a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (ci- après appelée la L. I. R.), S. C. 1970- 1971- 1972, c. 63 et modifications, et que l’exemption lui avait été refusée par le Ministre du Revenu national parce qu’elle n’était pas mariée à William Carson. C’est- à dire que William Carson n’était pas considéré comme son conjoint au sens que donne à cette expression l’article 109( 1)( a) de la L. I. R. L’exemption de personne mariée ne peut être réclamée que par une personne mariée dont le conjoint était à sa charge. Dame Bailey et Sieur Carson avaient vécu en

> 20 concubinage quelque cinq ans et il avait été à sa charge en 1977.

Le tribunal a fait remarquer qu’il était plus difficile de définir l’ état matrimonial que la plupart des motifs de distinction illicite - dont la plupart sont immuables - mais le tribunal décidait que la plainte était correctement articulée (p. D/ 195), ce qui laissait entendre que les époux de fait avaient à première vue droit de se prévaloir de la protection accordée par la Loi. Cette plainte a été rejetée (p. D/ 222) pour des motifs n’ayant rien à voir avec la définition de l’ état matrimonial.

4.20 La deuxième affaire est celle de Air Canada c. Bain (1982), 3 C. H. R. R. D/ 682 (C. A. F.). Bain avait allégué qu’Air Canada avait commis un acte discriminatoire contraire à la Loi en refusant d’accorder à deux adultes qui n’avaient aucun lien de parenté le tarif réduit dont bénéficiaient les couples mariés voyageant ensemble. Cette cause a été citée, non pas parce que la décision s’applique, mais en raison d’une observation faite par le juge Pratte (p. D/ 684) :

(traduction)

Ce ne sont pas seulement les personnes mariées voyageant ensemble qui peuvent bénéficier de ce tarif, mais aussi les personnes qui, bien que non mariées, vivent ensemble de façon plus ou moins permanente, constituant ainsi une famille de fait.

4.21 Le troisième cas se fondait sur The Manitoba Human Rights Act (présentement appelé The Human Rights Code, C. C. S. M., c. H175); cette loi interdit les actes discriminatoires fondés sur la situation de famille et, au moment où se sont produits les événements donnant lieu à cette affaire, elle définissait

l’expression situation de famille. Dans l’affaire Moxon et al. c. Samax Investments Ltd. et al. (1985), 5 C. H. R. R. D/ 2835, un Conseil d’adjudication a décidé que l’intimé avait commis un acte discriminatoire à l’encontre des plaignants, dont chacun avait des enfants, en refusant de leur louer des appartements. Il peut être utile de souligner les dispositions de The Manitoba Human Rights Act, lesquelles faisaient l’objet du litige (p. D/ 2838) :

(traduction)

L’article [pertinent] interdit le refus d’un logement à personne quelconque à moins qu’il existe une cause

> 21 raisonnable pour tel refus ou acte discriminatoire. Le paragraphe 4( 2) prévoit que la situation de famille ne constitue pas une cause raisonnable. La Loi définit l’expression statut de famille à l’alinéa 1( d. 1) comme étant :

Aux fins de la présente Loi, l’expression situation de famille comprend la situation d’une personne non mariée ou d’un parent, celle d’une veuve ou d’un veuf ou encore d’une personne divorcée ou séparée, ou la situation des enfants, personnes à charge ou membres de la famille d’une personne; ...

4.22 Pour en arriver à la décision que la situation de famille comprend la situation d’une personne ayant des enfants (et jugeant ainsi la plainte fondée, sur les faits), le Conseil d’arbitrage a fait remarquer, en citant intégralement l’extrait pertinent (p. D/ 2839) :

(traduction)

Le professeur Walter Tarnopolsky a examiné ce concept dans son volume intitulé Discrimination and the Law in Canada, à la page 295 :

Aucune autre juridiction n’établit une définition quelconque de l’expression marital status, tout comme le Québec ne définit pas l’expression état civil, et que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne définit pas non plus les termes employés, c’est- à- dire marital status et situation de famille, ni ne tente

d’aplanir les différences qu’il pourrait y avoir entre ces deux expressions.

Les références faites aux dictionnaires appuient les définitions précédentes et démontrent également qu’il est beaucoup moins difficile de tenter de définir l’expression marital status que les expressions family > 22 status ou situation de famille. Il s’ensuit que le Oxford English Dictionary et le Webster’s Third International Dictionary proposent des définitions très semblables du terme marital. Le premier définit ce mot comme du mariage ou concernant le mariage; matrimonial, conjugal, et le deuxième comme du mariage ou concernant le mariage ou l’état de vie mariée : conjugal. Pour ce qui est du mot famille, toutefois, on reconnaît en droit commun qu’il a plusieurs significations, et qu’il sert à désigner des relations diverses, qu’il peut avoir plusieurs sens selon le contexte, ou bien s r que sa significa tion peut dépendre de la loi dans laquelle il est employé. D’autre part, on peut affirmer que tous les experts s’entendent sur le point suivant : bien que l’on doive lui donner un sens plus restreint dans certains cas, le mot désigne toujours la relation qui découle des liens du mariage, de la consanguinité ou de l’adoption légale, y compris bien entendu la relation an cestrale, lorsqu’elle est légitime, il légitime ou adoptive, de même que les relations entre époux, frères et soeurs, beaux- frères et belles- soeurs, oncles ou tantes et neveux et nièces, cousins, etc.

En tenant compte des commentaires précédents, il me semble que la Loi veuille donner une application large à l’expression family status. Il semblerait, selon le libellé de la définition, qu’on envisage au moins deux types de family status. A cet égard, il faut également noter que la définition n’est pas exhaustive, puisque son libellé prévoit que cette expression comprenne certaines

catégories. Conséquemment, le concept de family status pourrait effectivement être plus vaste que les deux catégories comprises dans la définition proprement dite.

> 23 La première des deux catégories figure au libellé de la définition jusqu’au mot separated inclusivement. Il me semble que cette partie de la définition s’oriente vers la situation ou l’état civil de catégories de personnes ou de relations échappant peut- être à l’expression marital status, par exemple les parents seuls, les personnes séparées, divorcées, les veufs, les veuves et les rapports non maritaux, à la fois hétérosexuels et homosexuels. La deuxième partie de la définition semble révéler une idée plus vaste de family status en déclarant que cela comprend l’état des enfants, des personnes à charge ou des membres de la famille d’une personne. Cette partie de la définition semble envisager une discrimination en fonction de la relation d’une personne avec un individu donné, que cette relation se fonde sur la consanguinité, le mariage ou sur un autre type de relation.

4.23 Les deux dernières causes mentionnées par M. Hendry se référaient à des lois autres que la Loi ou les lois provinciales analogues. L’une de celles- ci portait sur l’interprétation du mot enfant dans une loi relative au droit de la famille (Re Macdonald and Macdonald (1979), 24 O. R. (2d) 84 (Ont. Co. Ct.)). Dans l’autre, il fallait déterminer si un foyer collectif pour personnes handicapées devait être autorisé dans un secteur dont le zonage, selon le règlement municipal, était prévu pour les maisons unifamiliales ou bifamiliales (Charlottetown c. Charlottetown Association for Residential Services (1979), 9 M. P. L. R. 91 (P. E. I. S. Ct.)). Il s’avère encore une fois utile de citer un long extrait de la décision en la matière (le juge McQuaid, p. 100) :

(traduction)

Ayant donc reconnu que la maison est utilisée exclusivement à des fins résidentielles, reste à déterminer si cette maison est occupée ou non par une famille tout au plus. Est- ce que l’on peut catégoriser correctement ces sept résidents caractéristiques comme

constituant une famille? > 24

La définition des termes est l’une des caractéristiques essentielles d’un règlement correctement rédigé. Malheureusement, le règlement municipal ne définit pas le mot famille comme il l’est dans de nombreux règlements de zonage que j’ai pu consulter dans d’autres villes et cités. L’absence d’une définition rend encore plus difficile toute interprétation correcte. Comme on l’a fait remarquer en Cour d’appel de la Colombie Britannique dans l’affaire N. Amer. Life c. Gold, [1917] 2 W. W. R. 613, 24 B. C. R. 50, 34 D. L. R. 735 (C. A.), le mot famille est un terme fort élastique, possédant diverses significations en diverses circonstances; on doit l’envisager par rapport à un sujet précis. Dans la cause Dodge c. Boston & Providence Railroad Corpn. (1891), 154 Mass. 299, la Cour avait déclaré ce qui suit :

(traduction)

"Le mot famille a plusieurs significations. Sa signification principale décrit l’ensemble collectif de personnes vivant dans une maison sous la direction d’une personne. Sa signification secondaire décrit les personnes qui sont de la même lignée ou qui descendent d’un ancêtre commun. A moins que le contexte n’indique une intention différente, le mot famille est usuellement interprété selon sa signification principale. [J’ai souligné].

En commentant cette règle, le juge en chef Harvey du tribunal d’appel de la Cour suprême de l’Alberta dans l’affaire Re Ramsay, (1939) I. W. W. R. 725, faisait remarquer qu’elle semblait être raisonnable et mériter qu’on l’adopte (traduction). Je suis également prêt à adopter cette règle et en l’absence de toute disposition qui y soit précisément contraire dans le

>-

25 règlement actuellement à l’étude, je suis d’avis que l’on doive adopter la signification principale du mot. Si la Ville avait voulu retenir la signification secondaire, elle aurait pu définir le mot famille comme étant un groupe de deux personnes ou plus vivant ensemble et reliées par les liens de la consanguinité, du mariage ou de l’adoption légale.

Argumentation du Conseil du Trésor et du SÉ 4.24 M. Cousineau a invoqué certains principes (en plus de

l’avertissement cité au paragraphe 4.2) qui devaient guider le Tribunal, bien que, règle générale, il n’ait pas cité une jurisprudence quelconque pour établir tels principes.

4.25 Le premier principe était que le Tribunal devait se limiter à la signification ordinaire du mot famille. Il s’est appuyé sur l’approche adoptée par la Cour du Banc de la Reine de Saskatchewan dans l’affaire Re Board of Governors at the University of Saskatchewan et al and the Saskatchewan Human Rights Commission (1976), 66 D. L. R. (3d) 561. Un employé de l’Université avait été démis de certaines de ses fonctions après avoir fait connaître son appui pour les droits des gais. L’employé avait allégué qu’un acte discriminatoire fondé sur le motif illicite du sexe avait été commis selon la législa tion applicable, et l’Université avait demandé au Tribunal une ordonnance interdisant à la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan de procéder à une enquête. Bien que M. Cousineau n’ait pas cité cette cause, il semble avoir employé l’extrait suivant (le juge Johnson, p. 564) :

(traduction)

Bien qu’il soit permissible d’utiliser les dictionnaires pour aider à préciser les significations ordinaires des mots, il peut s’avérer inutile de consulter ceux- ci si leur signification est limpide, puisque ces mots auraient généralement été compris le jour après l’entrée en vigueur de la loi. Dans le Fair Employment Practices Act, une disposition interdisant la discrimination dans le cadre d’un emploi à l’encontre d’une personne quelconque en fonction du sexe serait généralement interprétée comme voulant dire que cette personne est un homme ou

> 26 une femme, et non pas son orientation sexuelle, ses prédispositions sexuelles

ou son activité sexuelle. En d’autres mots, on donnerait généralement et usuellement au mot sexe utilisé à l’article 3 la signification de genre de l’employé( e) ou de l’éventuel( le) employé( e), et non pas celle des activités ou prédispositions sexuelles de cette personne. Notons que l’article en question interdit les actes discriminatoires pour motif illicite de race, de religion, de sexe, etc., et non pas en raison de son activité sexuelle, de ses prédispositions sexuelles ou de son orientation sexuelle.

4.26 M. Cousineau a soutenu l’argument que le Tribunal ne devait pas interpréter de la façon la plus étroite possible l’expression situation de famille, telle qu’on la retrouve dans la Loi, sans toutefois y donner la plus vaste interprétation possible. Le Tribunal devait être guidé par l’esprit de la Loi et le Tribunal ne devait pas considérer une approche sociologique à cette signification, mais bien une signification ordinaire proprement dite (transcription, p. 109).

4.27 Relativement à la signification ordinaire de l’expression situation de famille, M. Cousineau a déclaré ce qui suit (pp. 106- 107) :

(Traduction)

La famille, envisagée dans le contexte de notre vie quotidienne et dans celui de la convention collective, sous- tend certaines valeurs traditionnelles et un dénominateur commun, et c’est ce qui ressort du témoignage du Dr. Eichler; les enfants semblent constituer un de ces dénominateurs communs. Dans l’ensemble de son témoignage, dans tout ce qu’elle a dit au sujet de la famille, elle s’est toujours référée aux enfants -les enfants de couples divorcés, les enfants de mères célibataires - ce qui revient toujours, c’est la notion des enfants.

Je crois que cela ne soit pas très surprenant parce qu’à notre esprit,

> 27 donc pour le grand public, les enfants sont un dénominateur commun fort important. Il n’est pas nécessaire de faire valoir l’argument qu’il n’y aura pas d’enfants dans le type de relation existant entre M. Mossop et son amant.

De l’avis de M. Cousineau, la relation qui existe entre le plaignant et son amant n’est pas visée par la signification ordinaire du mot famille.

4.28 M. Cousineau est d’avis qu’une reconnaissance des conjoints de fait est acceptable parce que la loi reconnaît ce type de rapport. A son avis, il s’ensuit qu’il existe une relation légale entre un conjoint de fait et les membres de la famille de l’autre conjoint de fait; par exemple, un conjoint de fait peut légalement avoir un beau- père, puisque la loi reconnaît les conjoints de fait (transcription, pp. 107- 108). Puisque les couples homosexuels ne sont pas reconnus par la loi, un membre d’un couple homosexuel ne saurait être apparenté de cette façon à la famille de son compagnon.

Arguments du Plaignant 4.29 Le Plaignant, un traducteur professionnel, a fait valoir que

l’on doit faire attention aux définitions des mots proposés par les dictionnaires, et ce, pour trois raisons. Premièrement, les définitions données par les

> 28 dictionnaires se fondent sur l’usage d’un mot à un moment donné. Pour cette raison, un dictionnaire ne tient pas compte des significations courantes.

4.30 Deuxièmement, on doit prendre en considération le rapport dynamique qui existe entre un mot et son utilisation courante (transcription, pp. 111- 112) :

(traduction)

La signification des mots dans le langage (n’est) pas sans rapport avec ce qui se passe dans la vie quotidienne; il ne s’agit pas d’un domaine tout à fait distinct caractérisé par la confusion de la vie quotidienne et par une clarté absolue lorsqu’il s’agit de langage. Les gens utilisent les mots de diverses façons. Le mot famille n’a pas une acception unique dans la langue anglaise. Non seulement les faits sociologiques de divers types de rapports quotidiens sont- ils différents, mais le terme famille lui- même a des significations variées.

4.31 Enfin, le Plaignant a fait remarquer que les témoignages n’avaient pas porté (soit lors de l’interrogatoire ou du contre- interrogatoire du Dr. Eichler) sur la question de savoir si les couples hétérosexuels de fait (ou, pourrait ajouter le Tribunal, également, les couples hétérosexuels mariés) sont jugés comme étant des familles. De l’avis du

Plaignant, on prenait généralement pour acquis que les couples hétérosexuels sont des familles, et que ce type d’ opinion courante ... constitue un préjugé en faveur des hétérosexuels (transcription, pp. 114) (traduction).

Dossier parlementaire 4.32 Tel qu’en fait mention le paragraphe 3.4, la situation de

famille venait s’ajouter dans la Loi à titre de motif de distinction illicite en date du 1er juillet 1983. Cette modification a été incluse dans la première série d’importantes modifications apportées à la Loi après son adoption. L’avocat de la Commission a fait remarquer qu’on avait proposé cette modification pour niveler une différence entre la version originale anglaise de la Loi - laquelle comprenait seulement l’expression marital status - et la version française - laquelle ne comprenait que l’expression situation de famille.

> 29 4.33 Après la deuxième lecture sans discussion, le Bill C- 131, qui

contenait les amendements à la Loi, était renvoyé au Comité permanent de la justice et des questions juridiques (le Comité) pour fins d’examen (Débats de la Chambre des communes, Volume XIX, 1982, page 21743). L’honorable Mark MacGuigan, alors ministre de la Justice, avait comparu devant le Comité, tout comme M. Gordon Fairweather, alors Président selon la Loi.

4.34 Le Ministre avait alors précisé qu’afin d’harmoniser les versions française et anglaise de la Loi, l’état matrimonial et la situation de famille allaient devenir des motifs de distinction illicite (Procès- verbaux et témoignages du Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, fascicule no 114, le 20 décembre 1982, à la page 114: 10). Les membres du Comité avaient posé des questions au Ministre relativement au nouveau motif que représentait la situation de famille, et ils déclaraient ce qui suit (Procès- verbal, p. 114: 17) :

(traduction)

... il s’agit ici d’interdire toute discrimination fondée sur les relations entre les personnes par suite d’un mariage, de la consanguinité ou de l’adoption légale. Cela inclut les relations ancestrales, qu’elles soient légitimes, illégitimes ou adoptives, de même que les relations entre les con joints, les enfants, les liens par alliance, les oncles ou les tantes, les neveux ou les nièces, les cousins, etc. Il incombera à la Commission, aux tribunaux qu’elle nommera et en dernier ressort, aux tribunaux, d’établir dans chacun des cas la signification de ces notions.

Tout simplement, cela signifie que vous ne pouvez pas être coupable par association et que l’on ne peut pas refuser un emploi à quelqu’un parce que quelqu’un d’autre de sa famille a une faiblesse quelconque. On ne peut donc pas invoquer cela pour refuser un emploi à quelqu’un. Chaque personne doit être jugée sur ses propres mérites et compétences, et non pas sur sa situation de famille.

> 30 4.35 On a demandé au Ministre si la notion de situation de

famille recouvre les alliances non traditionnelles comme les unions libres (Procès- verbal, fascicule no 115, le 21 décembre 1982, p. 115: 71). Le Ministre avait fait remarquer que le motif de l’état matrimonial s’appliquait aux unions libres (en invoquant présumément l’affaire Bailey, au paragraphe 4.19 précédent, où cette conclusion peut ne pas avoir influé sur la décision finale dans cette affaire). Les questions se sont poursuivies ainsi (Procès verbal, p. 115: 71) :

(traduction)

M. Hnatyshyn : Qu’en est- il des personnes qui vivent ensemble et qui partagent leurs obligations financières et autres? Sont- elles incluses dans la catégorie de la situation de famille?

M. MacGuigan : C’est ce que je voulais dire plus tôt. Ce genre d’arrangement n’est pas inclus dans la situation de famille pour autant que nous puissions en juger par les décisions des tribunaux.

M. Hnatyshyn : Il pourrait s’agir de deux veuves, de deux frères ou de deux amis qui vivent ensemble. M. MacGuigan : Ce ne sont pas des liens dus à la consanguinité ou à l’adoption légale. Je ne vois pas de liens familiaux dans ces cas.

M. Hnatyshyn : Avez- vous envisagé d’inclure cette définition dans le projet de loi?

M. MacGuigan : De famille? Je ne sais pas si c’est nécessaire. Lorsqu’on parle de famille, on entend ce genre de liens

habituellement. La raison pour laquelle j’ai dit que les enfants illégitimes sont inclus est qu’ils ont des liens par le sang. Lorsqu’il s’agit seulement de liens occasionnels qui ne sont pas dus à la consanguinité ou à l’adoption

> 31 légale, je ne pense pas qu’on puisse parler de liens familiaux.

M. Hnatyshyn : Vous verriez un inconvénient à inclure ces cas dans le projet de loi?

M. MacGuigan : Je ne vois aucun inconvénient à le faire dans un article comme celui- ci qui est de portée générale. L’idée se trouve déjà dans le projet de loi, plus particulièrement dans le texte français. En anglais, nous n’avons fait qu’ajouter la phrase qui se trouvait déjà en français.

En français, il n’était pas question de l’ état matrimonial. Cette situation n’a donné lieu à aucun problème d’interprétation. Ces termes sont définis dans les directives de la Commission. Il en a été de même pour les autres motifs de distinction illicite. Habituellement, ces concepts ne sont pas définis strictement dans la loi.

... M. Hnatyshyn : ... J’essaie simplement de comprendre pourquoi le ministre, s’il est tout à fait certain de l’acceptation de ce terme, ne veut pas le faire définir clairement dans le projet de loi de sorte que cela ne prête à aucune équivoque. Il me semble que l’on pourrait ainsi minimiser les conflits et clarifier la situation plutôt que de s’en remettre à une interprétation judiciaire de termes mal définis ou imprécis.

Vous parlez d’état matrimonial et de situation de famille. Je crois qu’il est facile de définir l’état matrimonial. Dans le contexte du

droit commun, je pense que la situation de famille prêterait à interprétation et dépendrait

> 32 beaucoup de la cour et des tribunaux.

Ce n’est probablement qu’une question de rhétorique. Je ne comprends toutefois pas pourquoi l’on hésite à préciser davantage les termes pour que les tribunaux sachent à quoi s’en tenir.

M. MacGuigan : Si je ne veux pas inclure de telles définitions, monsieur le président, c’est parce que cela ne correspond pas à l’esprit du projet de loi. Ces termes sont interprétés par la Commission canadienne des droits de la personne. Nous pensons qu’elle est à même de les interpréter et d’émettre des règlements pertinents.

Il est vrai bien s r qu’un tribunal peut toujours se prononcer sur la validité d’une telle définition, mais dans la plupart des cas, l’action de la Commission est acceptée. Nous estimons de façon générale que c’est la meilleure façon de procéder.

4.36 On a interrogé le Ministre afin de savoir pourquoi le gouvernement du Canada avait choisi de ne pas donner suite aux recommandations de la Commission et d’ajouter les croyances politiques et l’orientation sexuelle comme motifs de distinction illicite; le Ministre a mentionné des considérations relatives à la sécurité nationale et on se demande s’il existe un consensus social justifié, nécessaire à l’inclusion de ces motifs (Procès- verbal, pp. 114: 19- 20). M. Fairweather a fait remarquer que relativement à l’opinion du Ministre voulant qu’un consensus social pourrait bien ne pas exister, la Commission a constaté le contraire (Procès- verbal, p. 115: 45).

Jurisprudence pertinente supplémentaire 4.37 Les juridictions provinciales et territoriales suivantes

interdisent également la discrimination fondée sur le motif illicite de la situation de famille : le Manitoba, l’Ontario et les Territoires du Nord- Ouest. Au Québec, l’expression état civil est employée et celle- ci peut

> 33 parfois s’avérer analogue à l’expression situation de famille. La loi manitobaine (voir le paragraphe 4.21) donne une acception plus générale à cette expression que la loi ontarienne; il s’agit des seules juridictions ayant tenté d’arrêter une définition. Le Code des droits de l’Homme, 1981 (S. O. 1981, c. 53, version modifiée) définit l’expression family status ( situation de famille) de la façon suivante (alinéa 9( 1)( d)) : the status of being in a parent and child relationship; (( traduction) l’état qui caractérise le rapport parent- enfant). Résultat, les causes s’appuyant sur le motif de distinction illicite fondé sur la situation de famille, selon la loi ontarienne, ne peuvent servir à trancher les questions dont est saisi le Tribunal.

4.38 Il semble que des plaintes semblables à celles dont est saisi le Tribunal n’ont fait l’objet d’aucune décision aux termes du Code des droits de la personne du Manitoba, ou de sa version antérieure, bien qu’une telle possibilité ait été mentionnée. Dans l’affaire Vogel c. Le gouvernement du Manitoba (1983), 4 C. H. R. R. D/ 1654, un Conseil d’arbitrage se penchait sur une allégation à l’effet que le gouvernement avait exercé contre M. Vogel une discrimination fondée sur le sexe et l’état matrimonial en lui refusant, pour son partenaire homosexuel, la protection du régime dentaire à laquelle les autres employés avaient droit pour leur partenaire hétérosexuel. Le Conseil décidait (p. D/ 1657) que le mot sexe se rapporte au genre et non pas à une préférence sexuelle, et que l’ état matrimonial se rapporte aux relations hétérosexuelles. Le Conseil émettait le commentaire suivant (à la page D/ 1658) :

(traduction)

... j’ai demandé, pendant les argumentations des avocats, si le motif de la situation de famille pourrait s’appliquer à cette affaire. L’avocat de la Commission n’a pas invoqué la situation de famille et j’y fais allusion brièvement afin de déclarer que je ne pense pas que le type de relation existant entre M. Vogel et M. North en soit un qui ait été reconnu par les tribunaux comme créant un type quelconque de situation de famille.

... > 34

Le fait de décider que la Loi sur les droits de la personne du Manitoba s’applique à l’homosexualité ou à l’orientation sexuelle équivaudrait à légiférer dans un domaine non visé par le législateur. A mon avis, un conseil d’arbitrage n’a pas le pouvoir de légiférer ainsi.

Conséquemment, la plainte a été rejetée. 4.39 Dans l’affaire Thistle c. The Inuvik Housing Association

(1986), 8 C. H. R. R. D/ 3930, un agent responsable des pratiques équitables a décidé que le conjoint de fait du Plaignant était membre de la famille du Plaignant (p. D/ 3931), et a retenu la plainte à l’effet que la Inuvik Housing Association avait commis un acte discriminatoire contrairement aux dispositions de la Fair Practices Act des Territoires du Nord- Ouest (R. S. N. W. T. 1974, c. F2, version modifiée) en refusant de verser une allocation de logement à Thistle parce que sa conjointe de fait en recevait une.

4.40 Le Tribunal a eu l’occasion d’examiner une décision, rendue en 1988, par un autre tribunal constitué selon la Loi, laquelle porte entre autres sur la signification de l’expression situation de famille. Dans l’affaire Schaap et al. c. Canada (Ministère de la Défense nationale) (1988), 9 C. H. R. R. D/ 4890, un tribunal s’était penché sur la question de savoir si l’un des plaignants, M. Schaap, avait fait l’objet d’une discrimination fondée sur l’état matrimonial lorsqu’on lui avait refusé l’accès aux résidences réservées aux couples mariés parce qu’il vivait en union de fait. Le deuxième plaignant, M. Lagacé, vivait également en union de fait avec une femme qui avait un fils d’un premier mariage, et les trois personnes vivaient ensemble. On lui avait également refusé accès aux résidences réservées aux couples mariés et sa plainte se fondait sur l’état matrimonial et la situation de famille. L’avocat du ministère de la Défense nationale (MDN) avait avancé l’argument que les deux motifs de distinction illicite constituant l’objet de ces plaintes ne sauraient être élargis de façon à protéger les unions de fait. Le tribunal concluait qu’il était approprié d’écouter les témoignages avant de se prononcer sur l’étendue de la compétence du tribunal.

4.41 Les règlements établis par le MDN se lisaient comme suit (pp. D/ 4895- 4896) :

(traduction)

> 35

Cette politique figure dans les Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (O. R. F. C.) adoptés en application de

la Loi sur la Défense nationale S. R., c. 184. L’article 1.075 stipule ce qui suit :

"Aux fins des volumes I et III des ORFC, un officier ou homme est considéré comme étant marié pourvu qu’un mariage ait été célébré..."

L’article 28.06 qui traite du droit d’occuper les logements des militaires mariés se lit comme suit :

"Sous réserve des dispositions du paragraphe (2) du présent article, un officier ou homme et sa famille ont droit d’occuper un logement de militaire marié lorsque :

a) le logement est disponible; b) l’officier ou homme est marié, ou est célibataire mais a un enfant par le sang, le mariage ou l’adoption à sa charge déclaré comme personne à charge aux fins de l’impôt sur le revenu, à condition que l’épouse ou l’enfant à charge, selon le cas, demeure ordinaire ment avec l’officier ou homme; ... Dans l’article 209.80 des ORFC et dans l’article 28- 3 des OAFC, le terme famille est défini aux fins de l’octroi des logements : il s’entend des personnes à charge de l’occupant, lesquelles sont son épouse légale ou une personne apparentée par le sang, le mariage ou l’adoption qui réside ordinairement avec lui et pour laquelle il est admissible à un dégrèvement personnel aux termes de

> 36 la Loi de l’impôt sur le revenu, ainsi que certaines autres personnes qui n’intéressent pas la présente affaire.

4.42 Le tribunal a évalué quels étaient les principes pertinents d’interprétation des lois, et concluait (pp. D/ 4898- 4899) :

(traduction)

Pour l’interprétation des expressions situation de famille et état matrimonial, j’accepte les principes de l’interprétation des lois selon lesquels on doit reconnaître la nature et l’objet particuliers des lois relatives aux droits de la personne, pour en cerner l’objet et y donner effet. Je ne crois toutefois pas que cela m’autorise à étendre le sens des mots et à outrepasser leur signification ordinaire et naturelle. Il n’est pas de mon ressort de légiférer dans les domaines que le Parlement a laissés imprécis. La Loi relative aux droits de la personne que je dois appliquer interdit certaines dis criminations, mais non pas toutes.

4.43 Pour en arriver à sa décision relativement à la signification de l’expression situation de famille, le Tribunal a considéré ce qui suit :

° les définitions comprises dans les codes manitobain et ontarien contre la discrimination;

° la cause manitobaine de Monk c. C. D. E. Holdings Ltd. (1983), 4 C. H. R. R. D/ 1381, où il a été décidé que la plaignante avait été licenciée pour motif illicite fondé sur la situation de famille parce que son mari possédait des intérêts dans l’entreprise qui l’employait et que son mari et d’autres partenaires étaient impliqués dans un différend avec l’intimé;

° l’affaire manitobaine de Moxon et al. c. Samax Investments Ltd. et al. (voir le paragraphe 4.21 ci dessus);

> 37 ° la cause entendue dans les Territoires du Nord- Ouest

de Fast c. Hanvold Expediting B. C. Ltd., où le tribunal avait décidé que les rapports entre un père et son fils étaient compris au sens du mot famille; et,

° deux définitions données par des dictionnaires. 4.44 Le tribunal a souligné que le Parlement a décidé de ne pas

définir l’ état matrimonial ou la situation de famille dans la loi, comme il l’a fait dans d’autres lois, notamment dans le domaine des pensions de retraite (p. D/ 4909). Le tribunal faisait également remarquer qu’ il n’existe pas de recours constant et largement

accepté de ces termes qui englobent la relation de droit commun (p. D/ 4909). Le tribunal concluait, pour ce qui est de la situation de famille (p. D/ 4910) :

(traduction)

La signification naturelle et ordinaire de l’expression situation de famille devrait je pense englober la relation qui découle des liens du mariage, de la consanguinité, de l’adoption légale, y compris, pour reprendre les termes du professeur Tarnopolsky, les relations ancestrales, qu’elles soient légitimes, illégitimes ou d’adoption, ainsi que les relations entre époux, frères et soeurs, beaux- frères et belles- soeurs, oncles ou tantes et neveux ou nièces, cousins, etc. Je n’ai trouvé aucun texte faisant autorité qui permettrait d’élargir le sens du mot famille au- delà du type de relations décrites ci- dessus. Je conclus donc que la plainte de Paul Lagacé alléguant le motif illicite de la situation de famille est également non fondée.

4.45 La décision du tribunal a été interjetée en appel auprès de la Cour d’appel fédérale, laquelle rendait sa décision le 20 décembre 1988 (non publiée). En conclusion, l’appel a été accueilli (le juge Marceau étant dissident), la décision du tribunal mise de côté et l’affaire renvoyée au tribunal parce que la discrimination qui s’était produite, selon le tribunal, était fondée sur l’état matrimonial. Le

> 38 tribunal ne s’est pas prononcé sur le motif de la situation de famille. L’approche utilisée par le tribunal quant au problème de la définition, cependant, s’applique à la présente décision. De l’avis de la plupart des juges, selon la décision prise dans l’affaire Cashin c. La Société Radio- Canada et al., 86 N. F. 24, p. 30 C. S. C.), l’état matrimonial signifie l’état d’une personne mariée ou non mariée (le juge Hugessen, page 4). Le juge Marceau, en désaccord, était d’avis que cet état (et donc la protection selon la loi) ne peut se fonder que sur la condition positive de la personne mariée, et non pas sur la condition d’une personne non mariée (page 4). La majorité des juges s’est ensuite penchée sur la question de savoir si une pratique discriminatoire avait eu lieu en comparant la politique du MDN et les objets visés par la Loi. Pour ce qui est de la première, le juge Hugessen déclarait ce qui suit (pp. 5 et 6) :

(traduction)

Lorsque les employés doivent travailler dans des endroits éloignés ou très loin de leur lieu d’origine, ou lorsque les employés doivent fréquemment changer d’emplacement, il est évident qu’un employeur a intérêt à fournir tel logement. Je suis d’avis qu’il est aussi évident qu’un employeur ne s’intéresse aux rapports marqués par un haut degré de permanence et de stabilité...

Est- ce que l’intérêt d’un employeur... va jusqu’à exiger qu’il y ait un lien de mariage? Je ne pense pas. Après tout, le mariage est une question d’état, alors que l’intérêt d’un employeur se limite à ce qui est tout simplement une situation de fait...

Le point déterminant de ces caractéristiques (soit la permanence et la stabilité) doit se fonder sur des facteurs qui démontrent effectivement leur existence...

Le juge Hugessen a fait remarquer qu’ il n’est pas très difficile de mettre au point (p. 6) des points déter minants basés sur les faits. Pour ce qui est de la

> 39 politique de la Loi, il concluait qu’on ne saurait affirmer que la Loi favorise un état quelconque et que les décisions doivent être prises en fonction de des valeurs ou des qualités individuelles et non pas des stéréotypes de groupe (page 5). Il faisait remarquer que le règlement établi par le MDN reflète et perpétue un stéréotype, savoir que qu’ une relation entre un homme et une femme a une valeur sociale moindre si elle ne correspond pas à la condition du mariage (p. 6).

Décision du Tribunal 4.46 De l’avis du Tribunal, l’interprétation que l’on donne à

l’expression situation de famille, que l’on retrouve dans la Loi, doit reposer sur les principes généraux d’interprétation des codes des droits de la personne, et par la Loi en particulier, tels qu’énoncés par la Cour suprême du Canada dans les causes O’Malley, Bhinder, Action Travail des Femmes et Robichaud. Il ne s’agit pas tout simplement d’un exercice mécanique puisque les principes d’interprétation sont eux- mêmes exprimés de façon générale.

4.47 Dans sa décision relative à l’affaire Action Travail des Femmes (p. 182), la Cour a adopté une approche générale à l’interprétation des lois énoncée par E. A. Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e édition, 1983). Driedger a prévu les étapes suivantes (p. 105) :

> 40 (traduction)

  1. On doit interpréter la Loi toute entière selon son contexte (pour en vérifier le libellé), déterminer l’objet de la Loi (donc la fin visée) et vérifier quel est l’esprit de la Loi (soit le rapport qui existe entre les dispositions de celle ci).
  2. Le libellé des dispositions précises s’appliquant à la cause en instance doit alors s’interpréter selon le contexte dans son acception logique courante, en conformité avec l’esprit et l’objet de la loi et l’intention du législateur; si le libellé est clair et sans ambiguïté, s’il s’harmonise avec l’intention, l’objet, l’esprit et le contexte de la Loi, le processus est achevé.
  3. Si le libellé est apparemment obscur ou ambigu, alors une signification s’harmonisant de la meilleure façon possible avec l’intention du législateur et avec l’esprit et l’objet de la Loi doit lui être donnée, en autant que les mots puissent raisonnablement avoir ce sens.
  4. Si, nonobstant le fait que le libellé soit clair et sans ambiguïté lorsqu’interprété dans son acception logique courante, il y a manque d’harmonie dans la Loi, dans les lois applicables ou dans la législation générale, on peut donner au libellé une signification hors de l’ordinaire qui puisse harmoniser la Loi, en autant que les mots puissent raisonnablement avoir ce sens.

> 41 5. Si l’obscurité, l’ambiguïté ou

le manque d’harmonie ne peuvent être objectivement clarifiés eu égard à l’intention du législateur, ou à l’esprit et l’objet de la Loi, on peut alors choisir la signification qui semble être la plus raisonnable.

Cette approche reconnaît le rapport dynamique qui existe entre des mots précis et leur contexte. En principe, ce qui réglemente le rapport de force dynamique est l’exigence à l’effet qu’il existe une harmonie entre les mots et leur contexte. L’approche de Driedger a été citée en détail pour appuyer les observations du juge McIntyre dans l’affaire O’Malley, à l’effet que les règles d’interprétation acceptées sont suffisamment souples pour permettre à la Cour de reconnaître, en interprétant un code des droits de la personne, la nature et l’objet spéciaux de ce texte législatif (voir le paragraphe 4.14; j’ai souligné).

4.48 Une des questions fondamentales de l’interprétation des lois est le degré auquel on doit se limiter au libellé du texte législatif, et quand, et jusqu’à quel point, on peut instruire des sujets dépassant la lettre de la loi. Driedger (p. 146) explique la loi de façon succincte :

(traduction)

Ce que l’on appelle l’intention du législateur est contenu dans le libellé de la Loi; elle y est présente, comme tous peuvent le constater. L’esprit de la Loi et l’agencement entre ses diverses dispositions sont également présents dans le libellé de la Loi. Cependant, l’objet de la Loi n’est pas présent, à moins d’avoir été énoncé dans un préambule ou dans une disposition de fond; on doit procéder par déduction.

4.49 Le Cour suprême du Canada a déclaré sans ambages son avis relativement au contexte général des codes des droits de la personne, de l’objet de tels codes, et de ce qui en découle. En fonction de leur vaste objet afférent aux droits individuels d’importance vitale (Action Travail des Femmes, p. 182), les codes sont des lois ayant une nature spéciale (O’Malley, p. 546). La Cour a souligné que les objets principaux de la loi ne sont pas obscurs, mais sont très évidents à l’article 2 de la Loi; elle a souligné, aux termes de l’article 2, que l’objet consiste à

> 42

donner des chances égales d’épanouissement à chaque personne. (Action Travail des Femmes, p. 192). L’article 2 se lit comme suit :

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

4.50 Dans l’affaire O’Malley, la Cour a rejeté l’idée que l’on ne peut prêter au Code un sens plus large que le sens le plus étroit que peuvent avoir les termes qui y sont employés (p. 546). Dans l’affaire Action Travail des Femmes, déjà précitée, le juge en chef Dickson déclarait (p. 192, c’est moi qui souligne) :

(traduction)

Je reconnais qu’en interprétant la Loi, les termes qu’elle utilise doivent recevoir leur sens ordinaire, mais il est tout aussi important de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits qui y sont énoncés. On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façons à les minimiser ou à diminuer leur effet.

4.51 Tout comme la Cour suprême du Canada adopte une approche intentionnelle pour l’interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés, laquelle est évidemment un élément de la Constitution du Canada, de la même façon la Cour suprême du Canada, selon l’avis du Tribunal, adopte une approche intentionnelle pour l’interprétation des codes des droits de la personne, en fonction de leur nature spéciale.

> 43 4.52 Le Tribunal constate que les causes où la Cour suprême du

Canada a énoncé tels principes ne portaient pas sur l’interprétation d’un motif de distinction illicite. Selon l’avis du tribunal, la Cour suprême n’a pas laissé entendre dans ses décisions que tels principes d’interprétation

pourraient varier selon le type de problème d’interprétation en cause. Effectivement, la confiance manifestée par la Cour suprême en énonçant et en réalisant les principaux objets de la Loi laisse croire que la Cour a énoncé un principe d’interprétation à caractère véritablement général.

4.53 Un autre commentaire doit être émis relativement à la fonction de l’intention du législateur. Il existe une règle générale bien établie à l’effet que les débats ou les documents déposés au Parlement ne sont pas admissibles pour démontrer quelle est l’intention du législateur (Driedger, p. 156). Une exception possible à cette règle, cependant, peut être que tels documents sont admissibles pour démontrer le vice ou défaut que la disposition devait combattre (Driedger, p. 156).

4.54 En ce qui nous concerne, le dossier parlementaire indique clairement la raison pour laquelle l’expression family status a été explicitement ajoutée à la version anglaise de la Loi. Selon une interprétation limitée, il s’est peut- être agi de mettre fin à une incongruité entre la version française de la Loi, laquelle employait l’expression situation de famille (terme également non défini), et la version anglaise, laquelle utilisait l’expression marital status. Dans une perspective plus vaste, on a pu vouloir assurer l’interdiction des actes discriminatoires de types décrits par l’ancien ministre de la Justice - sans plus (voir les paragraphes 4.34- 4.35).

4.55 Même si l’on adoptait une interprétation plus générale, celle- ci aurait peu d’utilité pour déterminer le sens voulu de situation de famille. Les propos tenus par le Ministre devant le Comité permanent de la Justice et des questions juridiques laissent clairement entendre que le Ministre était d’avis que l’expression family status (situation de famille) devait faire l’objet d’une interprétation de la Commission (si la Commission choisissait d’émettre des directives en vertu de la Loi, ce qui n’a pas été fait dans ce cas- ci) ou bien des tribunaux. Le Ministre n’a pas laissé entendre que son interprétation de l’expression devait être perçue comme excluant toutes les autres, et le Ministre a effectivement mentionné la signification habituelle de l’expression situation de famille. M. Hnatyshyn a décrit l’expression situation de famille comme étant des termes mal définis ou imprécis.

> 44 4.56 Dans l’ensemble, le Ministre exprimait une opinion sur ce

que devrait ou pourrait signifier cette expression, par opposition à ce qu’elle signifiait effectivement. Le dossier parlementaire en lui- même n’établit pas la signification de cette expression. A tout événement, le tribunal ne peut retenir l’opinion du Ministre comme déterminant la volonté du Parlement relativement à la signification de l’expression situation de famille, parce que le fait d’agir ainsi porterait atteinte au principe que

l’intention doit se retrouver dans la Loi envisagée dans son contexte intégral. Il se pourrait bien que le défaut à corriger était d’élargir les dispositions de la Loi pour y inclure les personnes victimes d’une discrimination fondée sur les types de relations énoncés par le Ministre, mais il faut toujours déterminer, en lisant attentivement la Loi, si d’autres types de relations que celles énoncées par le Ministre peuvent être visées par l’expression situation de famille.

4.57 M. Cousineau était d’avis que la signification du mot famille est généralement comprise, reprenant une expression tirée de l’affaire Re Board of Governors at the University of Saskatchewan et al. (voir le paragraphe 4.25). Il a mentionné certaines valeurs traditionnelles et s’est appuyé sur le témoignage du Dr. Eichler, lequel démontrait à son avis que la présence d’enfants constitue un facteur commun pour toutes les familles. M. Cousineau semblait de plus supposer que les enfants doivent provenir naturellement de l’union d’adultes de sexe opposé, puisqu’il déclarait qu’il n’y aura pas d’enfants issus de la relation entre le Plaignant et son amant (transcription, pp. 106- 107).

4.58 Le Tribunal conclut respectueusement que cet avocat n’a pas bien compris le témoignage présenté par le Dr. Eichler, qui déclarait que son expérience ne lui permettait pas de retenir un seul élément commun à toutes les familles. Son témoignage permet d’inférer très nettement que les couples (soit hétérosexuels ou homosexuels) envisagés en eux- mêmes peuvent constituer des familles, et que les couples homosexuels, avec leurs enfants, peuvent également constituer des familles. Résultat, l’avocat se retrouve avec les arguments juridiques que la définition de la famille est généralement comprise et correspond à certaines valeurs traditionnelles.

4.59 Le Tribunal observe qu’aucune preuve n’a été fournie au nom du Conseil du Trésor et du SÉ pour appuyer l’argument voulant que la définition du mot famille soit généralement comprise. De plus, le Tribunal envisage avec prudence un tel critère proposé. Ce dernier repose sur l’idée que l’opinion publique doit être prise en

> 45 considération et mesurée. Tel que le mentionnait le Plaignant, les idées courantes peuvent bien refléter un biais ou des préjugés, et il existe effectivement au Canada un biais ou des préjugés à l’encontre des homosexuels. Cette situation est aussi apparente quant à une série de questions (partiellement citées au paragraphe 4.7) adressées au Dr. Eichler par M. Cousineau; en voici la citation intégrale, parce que ces questions et réponses illustrent bien le problème (transcription, pp. 45- 47) :

(traduction)

Q. Seriez- vous prête à déclarer en ce moment que l’orientation sexuelle, ou des hommes vivant ensemble ou des femmes vivant ensemble sont plus ou moins acceptés comme constituant une famille, ou formant une relation familiale, ou bien non?

R. Par qui? Q. Par la société. R. J’essaie de vous dire qu’il n’y

a aucun consensus... Je pense cependant pouvoir présenter un aperçu de la gamme des attitudes, et une couche de la population est d’avis que les unions homosexuelles sont comparables aux autres relations de couple.

Q. Une couche serait donc de cet avis?

R. Oui. Q. D’accord. Mais seriez- vous

prête à dire que l’ensemble de la société canadienne est de cet avis?

R. Je ne connais aucune étude en ce sens. Je crois également que cela n’aurait aucun rapport parce que...

> 46 Q. Ça pourrait s’appliquer à ma

cause. Mais vous n’êtes pas en mesure de répondre à la question?

R. Eh bien, je pourrais discuter avec vous parce que je crois qu’il s’agit d’une argumentation très faible...

> 47 4.60 On peut illustrer la difficulté inhérente de cette approche

en se référant aux arguments mêmes de l’avocat. Si l’on convenait avec M. Cousineau, pour poursuivre son argument, que seuls les parents et les enfants peuvent constituer une

famille, est- il généralement compris que les parents doivent être les parents naturels des enfants, ou bien une famille pourrait- elle comprendre des enfants légalement adoptés, ou des enfants dont les parents n’en sont que les gardiens (et ne sont pas apparentés par consanguinité ou par adoption)? Les possibilités inhérentes du mot famille sont nombreuses et fort complexes. Ce fait a été reconnu par nombre d’analyses juridiques (prises à part et en plus de la sociologie ou des politiques publiques), et on a spécialement insisté sur une référence au contexte dans lequel ce mot est employé (voir la citation du professeur Tarnopolsky dans l’affaire Moxon, également citée par le tribunal dans les affaires Schaap, et Charlottetown c. Charlottetown Association for Residential Services). Le Tribunal est d’avis que l’on doit rejeter le critère du sens général, abstraction faite de ses connotations majoritaires, parce qu’on ne saurait déterminer celui- ci avec un degré quelconque de confiance.

4.61 M. Cousineau a observé qu’il existe au Canada des lois reconnaissant les conjoints de fait de sexe différent, bien qu’aucune loi ne reconnaisse les conjoints homosexuels. Il semblait vouloir soutenir l’argument qu’une telle reconnaissance pourrait être interprétée comme constituant une reconnaissance à caractère général, pour toutes fins juridiques, des conjoints de fait du sexe opposé, ce qui établirait donc, aux yeux de la Loi, leur relation avec les parents de leur conjoint (voir le paragraphe 4.28). Le Tribunal est d’avis que ce raisonnement était fautif du point de vue juridique. Les législations comportent des différences significatives quant à leur objet et à leur portée. Même si certaines lois reconnaissent la relation présente entre conjoints de fait et les parents de l’autre conjoint (les relations avec les beaux- parents), il ne s’ensuit pas que les relations avec les beaux- parents des conjoints de fait de sexe différent soient juridiquement constituées à tous égards et que les couples homosexuels ne puissent avoir des relations avec des beaux- parents, puisque les couples homosexuels ne sont pas reconnus par les textes législatifs. De plus, la pertinence des lois reconnaissant les unions de fait entre personnes de sexe opposé, dans le cadre de la présente audience, ne saurait être prise pour acquis par le Tribunal.

4.62 Le Tribunal est d’avis que le critère du degré ( threshold), tel que déclaré par Driedger, consiste à

> 48 savoir si l’expression employée par la Loi est claire et sans ambiguïté.

4.63 Le Tribunal conclut que l’expression situation de famille, telle qu’utilisée dans la Loi, n’est pas claire et sans ambiguïté. Bien que les définitions proposées par les dictionnaires du mot famille soient raisonnablement constantes en ce qu’elles ont une portée générale, toutes ces définitions s’appliquent à des relations qui sont

définies de nombreuses façons et peuvent comprendre : le sang (ou la consanguinité), le lien de parenté (que l’on peut ou non définir précisément comme étant la consanguinité), le mariage ou l’adoption; et enfin par des liens créés en fonction d’autres facteurs tels qu’une amitié naturelle, des intérêts ou buts communs, ou encore des dispositions prises relativement à la tenue de maison. Le Tribunal ne désire pas amoindrir les caractéristiques indéniablement communes de ces définitions, en reconnaissant les différences d’expression (pour reprendre l’excellent argument du professeur Tarnopolsky, tel que cité dans les affaires Moxon et Schaap); le Tribunal veut cependant insister sur la diversité des relations qui sont généralement visées par cette expression, diversité retrouvée dans les définitions qu’en donnent les dictionnaires.

4.64 Le Tribunal se reporte aux mots attentivement soupesés de l’ancien professeur Tarnopolsky, cités dans l’affaire Moxon (voir le paragraphe 4.22), alors qu’il faisait remarquer que le mot famille a toujours compris certaines relations, tout en reconnaissant qu’il s’agit d’un mot très difficile à définir.

4.65 Dans son témoignage, le Dr. Eichler déclarait que cette expression ne possède pas une seule définition polyvalente. Il semble que l’on puisse établir en ce sens une similitude entre la sociologie et le droit. Les définitions données de la situation de famille dans les deux codes des droits de la personne - soit celui du Manitoba, dans une version maintenant abrogée, et celui de l’Ontario - ces définitions donc diffèrent nettement et illustrent le problème précis. La première définition était générale, alors que la seconde est étroite.

4.66 Abstraction faite de sa position à l’effet qu’une seule définition n’existe pas, le Dr. Eichler n’était pas d’avis que l’on doive adopter une seule définition. Quelle que soit la façon dont on envisage son approche fonctionnelle (par exemple, M. Cousineau exprimait des préoccupations quant à son application pratique), on doit établir une distinction entre l’identification qu’elle fait des

> 49 difficultés rattachées à l’application de cette expression et la solution qu’elle propose à telles difficultés.

4.67 Relativement à l’application des principes d’interpretation, la tâche du Tribunal consiste à choisir une signification que l’expression situation de famille peut raisonnablement avoir, signification qui s’harmonise de la meilleure façon possible avec la volonté du Parlement, l’objet de la Loi et l’intention générale de la Loi. Le Tribunal rejette l’opinion qu’il doit choisir une signification limitative ou globale. On fera appel à la Loi en plusieurs circonstances diverses et l’expression situation de famille a une certaine portée inhérente

puisque l’on ne saurait prétendre qu’elle décrit une caractéristique immuable, à l’exception possible de la consanguinité, et cela n’est pas très s r. La question que doit alors trancher le Tribunal n’est pas de déterminer quelle est la signification raisonnable, mais plutôt quelle est une signification raisonnable, qui s’harmonise de la meilleure façon possible avec la Loi.

4.68 Le Tribunal garde à l’esprit l’approche adoptée par la Cour suprême du Canada quant au contexte et à l’objet de la Loi, tel qu’expliqué aux paragraphes 4.49 et 4.50. Le Tribunal, en donnant à l’expression situation de famille une signification raisonnable, laquelle n’est ni la plus étroite signification de l’expression, ni une limitation des droits accordés par la Loi, est d’avis qu’à première vue on ne saurait empêcher les homosexuels ayant une relation d’invoquer ce motif de distinction illicite.

4.69 On doit se rappeler que le fait d’interdire à une personne quelconque d’alléguer un motif illicite de distinction prohibe tout examen ultérieur de la question selon la Loi, et cela pourrait entraîner de graves conséquences pour les individus. Le Tribunal est d’avis que le fait d’adopter une telle approche à la définition ne favoriserait ni ne réaliserait l’objet spécial de la Loi, tel qu’énoncé à l’article 2.

4.70 Il est extrêmement difficile d’interpréter la signification du mot raisonnable alors qu’il est tout à fait impossible de cerner l’expression caractère raisonnable. L’approche fondée sur l’utilisation des dictionnaires reflète elle- même le fond du problème, à savoir, que la définition des familles peut reposer sur certaines relations formelles, tout comme sur des relations fondées sur d’autres facteurs (que les dictionnaires ont difficulté à exprimer). Cela signifie en pratique que le Tribunal partage l’opinion du Plaignant à l’effet que les termes ne doivent pas se limiter à leur acception traditionnelle, mais doivent

> 50 plutôt être mesurés dans le monde d’aujourd’hui, en fonction d’une compréhension de la vie courante et de la façon dont la langue reflète cette réalité. Le témoignage du Dr. Eichler, ainsi que celui du Plaignant, ont été fort utiles pour en arriver à ces conclusions. Ce processus ne doit comprendre aucun jugement de valeur, puisqu’il pourrait sembler pencher en faveur d’une conception idéalisée plutôt que réelle du monde. Le Tribunal constate la conclusion à laquelle en était arrivé le juge Hugessen dans l’affaire Schaap, à savoir que la Loi ne favorise pas certains types d’états plutôt que d’autres, et que la Loi a pour objet de corriger les stéréotypes collectifs. Pour toutes ces raisons, le Tribunal est d’avis qu’on peut raisonnablement conclure que les couples homosexuels peuvent constituer une famille.

4.71 Ce Tribunal est d’avis qu’une décision contraire, selon

l’expression du juge en chef Dickson dans l’affaire Action Travail des Femmes au sujet des droits des personnes selon la Loi, pourrait diminuer leur effet.

> 51 5. EST- CE QUE LES INTIMÉS ONT COMMIS DES ACTES DISCRIMINATOIRES?

5.1 Il ressort clairement du résumé (donné au chapitre 2 de la présente décision) des circonstances sur lesquelles se fondent les plaintes que les faits de l’affaire n’ont pas été contestés. Aucun des intimés n’a tenté de présenter une défense en regard des plaintes. Le SCEPT a expliqué sa position. L’avocat du Conseil du Trésor et du SÉ a présenté des arguments de droit.

5.2 Deux questions principales découlent des faits et des plaintes. Est- ce que, de part et d’autre, le Conseil du Trésor et le SCEPT ont commis un acte discriminatoire aux termes de la Loi en paraphant la convention collective du 2 janvier 1982, laquelle, aux fins du congé de deuil, exclut de la définition de famille immédiate une personne du même sexe que l’employé qui, à l’exception du sexe, serait autrement visée par la définition de conjoint de droit commun? Est- ce que le SÉ a commis un acte discriminatoire selon la Loi en rejetant la demande d’un congé de décès soumise par le Plaignant?

> 52 Convention collective 5.3 Le Tribunal constate que les plaintes sont fondées sur les

paragraphes 7( b) et 10( b), pour ce qui est du Conseil du Trésor et du SÉ, et sur l’alinéa 9( 1)( c)( ii) et le paragraphe 10( b), pour ce qui est du SCEPT. Le Tribunal en vient à la conclusion que, quant aux clauses de la Convention collective, il est préférable de chercher à savoir si le Conseil du Trésor et le SCEPT ont contrevenu au paragraphe 10( b). La Convention collective est sans aucun doute le type de convention visée par le paragraphe 10( b). Cette approche reconnaît qu’en réalité, les négociations et l’agrément d’une convention collective sont le fruit d’un effort conjoint et qu’à titre de signataires de la Convention collective, les deux parties sont juridiquement liées par le produit final de tel effort (que cela soit ou non, comme l’a fait remarquer le SCEPT, moralement acceptable à l’une ou l’autre partie). Le Tribunal croit qu’il n’est pas utile de tenter de déterminer (en se basant sur un témoignage incomplet dans cette affaire, tout au moins du point de vue du Conseil du Trésor), si les positions des parties à la table des négociations lors des négociations ont constitué des actes discriminatoires selon le paragraphe 7( b) et l’alinéa 9( 1)( c)( ii) de la Loi. Le fait demeure que les deux

parties, pour quelque raison que ce soit, ont choisi de parapher la Convention collective plutôt que de donner suite à d’autres possibilités.

5.4 Cette approche s’accorde avec les principes adoptés par la Cour suprême du Canada dans les causes O’Malley et Bhinder, voulant que les intentions de ceux qui ont supposément commis des actes discriminatoires ne sont pas pertinentes. De plus, selon un point de vue plus technique, on peut se demander si les événements se produisant avant la signature d’une convention collective peuvent constituer un acte discriminatoire relativement à un employé, aux termes du paragraphe 7( b), ou une personne, aux termes de l’alinéa 9( 1)( c)( ii), puisqu’une décision finale n’a pas été prise. En dernier lieu, on pourrait argumenter que si l’adoption d’une convention collective est jugée un acte discriminatoire aux termes du paragraphe 10( b), il s’ensuit alors automatiquement que les parties ont également contrevenu au paragraphe 7( b) et à l’alinéa 9( 1)( c)( ii), parce qu’elles ont accepté les clauses de la convention collective.

5.5 Il se peut que, dans certaines juridictions et certaines causes, la question ait été de savoir si une disposition contenue dans un code des droits de la personne peut s’appliquer à une disposition d’une convention collective

> 53 (et, au besoin, prévaloir sur cette dernière). Compte tenu de l’effet conjoint du paragraphe 10( b) et de l’article 41 de la Loi, l’application de la Loi à la Convention collective semble ne faire aucun doute, abstraction faite des arrêts mentionnés par l’avocat de la Commission, Mme Trotier, lesquels accordent la primauté au Code des droits de la personne (Commission ontarienne des droits de la personne c. Borough of Etobicoke, [1982] 1 S. R. C. 202 et Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 S. R. C. 150).

5.6 Le congé que désirait obtenir le Plaignant était un congé de deuil, soit un type de congé spécial prévu par l’article 19 de la convention collective, qui a été cité plus haut. Le Tribunal est d’avis qu’un congé de deuil est une chance d’emploi, selon le sens que donne à cette expression le paragraphe 10( b) de la Loi. Il semble que tels congés aient été conçus pour desservir les besoins précis des membres d’une famille à un moment difficile. Des témoignages ont été entendus quant aux raisons pour lesquelles le Plaignant désirait participer aux obsèques du père de son amant. Le Tribunal rejette d’emblée qu’il doit chercher à connaître quels objectifs étaient recherchés par le Plaignant en sollicitant un congé, sauf peut- être le fait de s’assurer, dans la présente affaire, que la plainte est justifiée. Tels objectifs peuvent varier énormément d’un employé à l’autre, d’une famille à l’autre. Le Tribunal constate que dans l’affaire Schaap, la Cour d’appel fédérale avait adopté l’attitude que, compte tenu

de l’objet de l’avantage recherché dans cette affaire (relatif au logement), l’état formel des parties n’était pas aussi pertinent que de savoir si des personnes ayant d’autres types de relations possédaient les mêmes caractéristiques fonctionnelles que l’employeur devait reconnaître.

5.7 Un congé de décès est par définition offert à un employé lorsque les membres de sa famille immédiate décèdent; cette expression comprend non seulement les personnes avec lesquelles l’employé a ce que l’on peut appeler une relation directe (p. ex. par le sang, le mariage, la tutelle ou une résidence permanente partagée), mais aussi certaines personnes avec lesquelles un employé a un lien indirect par le biais de son conjoint, qu’il s’agisse d’un mariage ou d’une union libre. Seules les unions libres possédant les caractéristiques suivantes sont comprises :

° la personne avec laquelle l’employé a une relation doit être du sexe opposé;

> 54 ° l’employé doit alors vivre avec

cette personne; ° la relation doit s’être

poursuivie depuis au moins une année avant le moment du décès;

° l’employé doit avoir présenté publiquement cette personne comme étant son conjoint; et,

° l’employé doit continuer à vivre avec cette personne comme conjoint.

5.8 La définition présente de famille immédiate aux paragraphes 19.02 et 2.01( s) pourrait être décrite, selon la terminologie du Dr Eichler, comme étant fondée sur l’identification de certaines relations familiales que les parties ont convenu de reconnaître, par rapport à quelque définition générale de famille. Elle comprend le conjoint de fait et les enfants qui ne sont pas les enfants de l’employé (mais plutôt ceux d’un conjoint de fait ou des enfants adoptifs) et elle exclut les parents autres que ceux qui ont été nommés, à moins que ceux- ci ne partagent la résidence permanente de l’employé. Il s’ensuit que la définition présente incorpore déjà une approche fonctionnelle au type de relations pour lequel un congé de décès est approprié. En reprenant à nouveau la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Schaap, la définition se fonde en partie sur des relations juridiques formelles, et en partie sur des relations définies par des considérations de faits tels que la stabilité, la permanence, et le partage d’une résidence. Remarquons

qu’elle exclut une personne du même sexe qui, à l’exception de son genre, serait autrement incluse à titre de conjoint de fait, et elle exclut également les personnes apparentées à cette personne qui seraient autrement incluses.

5.9 La définition d’une famille immédiate inclut certaines relations de famille, et en exclut d’autres. La Convention collective accorde donc un traitement différent à certains types de relations de famille par rapport à d’autres. Plus précisément, cette convention refuse les avantages d’un congé de deuil à un employé ayant une relation permanente et publique avec une personne de même sexe. Ayant conclu que les personnes de même sexe peuvent à première vue avoir le statut d’une famille selon la Loi, et ayant conclu que la famille du Plaignant reçoit un traitement différent aux termes de la Loi que d’autres familles, y compris mais sans limiter la généralité de ce qui précède aux familles dont

> 55 les caractéristiques ressemblent beaucoup à celles du Plaignant, ce Tribunal en arrive à la conclusion que la Convention collective a privé le Plaignant d’une chance d’emploi, savoir, un congé de deuil, pour un motif de distinction illicite, et il s’ensuit que le Conseil du Trésor et le SCEPT ont commis un acte discriminatoire selon le paragraphe 10( b) de la Loi. Les plaintes déposées à l’encontre du Conseil du Trésor et du SCEPT selon le paragraphe 10( b) de la Loi sont donc jugées fondées. Refus d’accorder un congé selon la Convention collective

5.10 Il reste à déterminer si le SÉ, à titre d’administrateur de la Convention collective par rapport au Plaignant, a commis un acte discriminatoire selon le paragraphe 7( b) de la Loi en refusant d’accorder au Plaignant un congé de décès, (doublement au niveau de la direction et en réponse aux griefs soumis par le Plaignant).

5.11 Le Tribunal est d’avis que le SÉ a effectivement, dans le cadre de l’emploi du Plaignant, défavorisé un employé... pour un motif de distinction illicite. Le SÉ a cependant agi en conformité avec l’article 19 de la convention collective, lequel est apparemment extrêmement limpide. En ce qui touche les faits pertinents, un refus de congé était inévitable, à moins que le SÉ n’ait choisi de passer outre à la Convention collective. Le SÉ n’a pris aucune mesure, en plus du refus d’accorder un congé de décès, dépassant le résultat inévitable de l’application de l’article 19 (bien que la chose ne soit pas pertinente, le SÉ a effectivement accordé au Plaignant une journée de congé spécial).

5.12 Le Tribunal est d’avis que le refus du SÉ d’accorder un congé de décès est si directement rattaché à la Convention collective, laquelle, de l’avis du Tribunal, contrevient au paragraphe 10( b) de la Loi, que la plainte déposée à l’encontre du SÉ doit être rejetée.

>-

56 6. ORDONNANCE DU TRIBUNAL En conformité avec les pouvoirs que lui confère la Loi, en fonction de sa décision à l’effet que le Conseil du Trésor et le SCEPT ont commis un acte discriminatoire aux termes du paragraphe 10( b) de la Loi, le Tribunal ordonne par la présente ce qui suit :

  1. Que le Conseil du Trésor désigne, ou fasse désigner, le jour du 3 juin 1985, pris par M. Mossop comme journée de congé de vacances, comme étant une journée de congé de deuil.
  2. Que le Conseil du Trésor accorde, ou fasse accorder, à M. Mossop une journée de congé de vacances, à moins que M. Mossop ne soit pas employé par le Conseil du Trésor à la date à laquelle est émise la présente ordonnance ou par la suite, en quel cas M. Mossop recevra un paiement au lieu d’une journée de congé de vacances, à un taux salarial correspondant au sien en date du 3 juin 1985.
  3. Que le Conseil du Trésor verse à M. Mossop un paiement compensatoire au montant de deux cent cinquante dollars (250 $) pour atteinte à ses sentiments et à son amour- propre.
  4. Que le Syndicat canadien des employés professionnels et techniques verse à M. Mossop un paiement compensatoire au montant de deux cent cinquante dollars (250 $) pour atteinte à ses sentiments et à son amour propre.
  5. Que le Conseil du Trésor et le Syndicat canadien des employés professionnels et techniques cessent d’appliquer les paragraphes 19.02 et 2.01( s) de

> 57 la Convention collective, laquelle prenait effet le 7

janvier 1982, ou les dispositions applicables d’un document subséquent, dans la mesure où ceux- ci ne permettent pas un congé de deuil dans des situations où une personne du même sexe que l’employé visé par la Convention collective serait autrement visée par la définition de conjoint de droit commun, expression comprise dans la définition de famille immédiate d’un employé, à l’exception du sexe de ladite personne.

6. Que le Conseil du Trésor et le Syndicat canadien des employés professionnels et techniques amende la Convention collective qui prenait effet le 7 janvier 1982, ou les dispositions applicables d’un document subséquent, pour faire en sorte qu’une personne du même sexe qu’un employé, autrement visée par la définition de conjoint de droit commun de cet employé, à l’exception du sexe de ladite personne, soit incluse dans la définition de conjoint de droit commun et, par là, dans la définition de famille immédiate aux fins complètes de la ou des disposition( s) relative( s) aux congés de deuil, ou tel autre amendement susceptible de produire le résultat voulu.

DATÉ ce 5e jour d’avril 1989. M. Elizabeth Atcheson

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