Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

MICHELINE MONTREUIL

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

FORCES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : Pierre Deschamps 2009 TCDP 28
2009/09/08

Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal canadien
des droits de la personne

I. Introduction

II. La plainte

III. La position des parties

IV. Les questions en litige

V. Le cadre juridique

VI. Les éléments contextuels

A. La vie personnelle de Micheline Montreuil

(i) Le site internet de Micheline Montreuil

(ii) L'événement du Collège Garneau

a) Les faits de l'affidavit

b) Le rapport du Dr. Serge Côté

B. Les exigences militaires

(i) Le processus d'évaluation des demandes

(ii) Le principe de l'universalité du service

(iii) Le profil médical

a) Les normes médicales communes à l'enrôlement

b) Le système du profil médical

(iv) Les restrictions médicales à l'emploi

(v) Les groupes professionnels militaires (GPM)

(vi) L'Énoncé de taches communes

(vii) Le profil médical de Micheline Montreuil

a) Le profil médical de Pierre Montreuil en 1995

b) Le profil médical de Micheline Montreuil en 1999

c) Le profil médical de Micheline Montreuil en 2001

C. Les consultations médicales et les rapports médicaux

(i) L'implication du Dr. Martine Lehoux

(ii) L'implication du Dr. Serge Côté

a) Le rapport du 25 octobre 1999

b) Le rapport du 20 décembre 1999

c) Le rapport du 24 novembre 2001

(iii) L'implication du Dr. Rolland Tremblay

a) Les consultations et la correspondance

b) Les rapports médicaux

1. Le rapport du 26 octobre 1999

2. Le rapport du 15 mars 2000

3. La demande de renseignements du 22 novembre

D. L'historique militaire de Pierre/Micheline Montreuil

(i) La demande d'enrôlement de 1974

(ii) La demande d'enrôlement de 1987

(iii) La demande d'enrôlement de 1995

(iv) La demande d'enrôlement de 1999

VII. Les éléments litigieux

A. La crédibilité des témoins

(i) Les témoins factuels

a) Micheline Montreuil

b) Les témoins de Micheline Montreuil

c) Les témoins des Forces canadiennes

(ii) Les témoins experts

a) Le Dr. Pierre Assalian

b) Le Dr. Beltrami

c) Le Dr. Richard Karmel

d) M. Daniel Hébert

B. Les notions de transgenre et de transsexuel

(i) La personne transgenre et la mouvance transgenre

a) Les témoignages

1. Le témoignage de Micheline Montreuil

2. Le témoignage du Dr. Assalian

3. Le témoignage du Dr. Beltrami

b) La littérature scientifique

(ii) La personne transsexuelle et sa prise en charge

a) La littérature scientifique

b) Les témoignages

1. Le témoignage du Dr. Dufour

2. Le témoignage du Dr. Watson

3. Le témoignage du Dr. Assalian

4. Le témoignage du Dr. Tremblay

5. Le témoignage du Dr. Beltrami

C. L'évaluation psychiatrique de Micheline Montreuil

(i) Les experts en présence et leurs rapports

a) Le Dr. Pierre Assalian

1. Le mandat du Dr. Assalian

2. Les rapports du Dr. Assalian

(1) Le premier rapport

(2) Le second rapport

(3) Le troisième rapport

(4) Le quatrième rapport

b) Le Dr. Richard Karmel

c) Le Dr. Édouard Beltrami

1. Le mandat du Dr. Beltrami

2. Les rapports du Dr. Beltrami

(1) Le premier rapport

(a) Le dossier médical du Dr. Lehoux

(b) Le dossier médical et les rapports du Dr. Côté

(c) Le dossier médical et les rapports du Dr. Tremblay

(d) Les lettres du Dr. Collins

(e) La lettre du Dr. Wright

(2) Le second rapport

(3) Le troisième rapport

(ii) Le trouble de l'identité du genre

a) Le trouble de l'identité du genre et le DSM-IV

1. Les cinq axes

2. Les critères cliniques

(1) Les troubles de l'identité sexuelle chez l'adulte F64.9 (302.85)

(2) Les troubles de l'identité sexuelle non spécifié F64.9 (302.6)

b) Le trouble de l'identité du genre et Micheline Montreuil

1. La position de Micheline Montreuil

2. L'évaluation du Dr. Assalian

3. L'évaluation du Dr. Beltrami

(iii) Le trouble de la personnalité

a) Le trouble de la personnalité et le DSM-IV

1. Le trouble de la personnalité limite

2. La personnalité histrionique

3. La personnalité narcissique

b) Le trouble de la personnalité et le test MMPI

1. L'évaluation du Dr. Karmel

2. L'évaluation du Dr. Beltrami

c) Le trouble de la personnalité et Micheline Montreuil

1. L'évaluation du Dr. Assalian

2. L'évaluation du Dr. Beltrami

D. L'évaluation médicale de Micheline Montreuil par les Forces canadiennes

(i) L'évaluation des adjoints au médecin

a) L'adjoint au médecin Dumais

b) L'adjoint au médecin Leroux

(ii) L'évaluation par les officiers médicaux au recrutement

a) L'évaluation par le Dr. Collins

b) L'évaluation par le Docteur Newnham

c) L'évaluation par le Dr. K.M. Wright

(iii) L'évaluation par le psychiatre des Forces canadiennes

(iv) L'évaluation par le Dr. Georgantopoulos et DMEDPOL

(v) L'évaluation par le Directeur - Politique de santé (DMEDPOL)

E. Les méprises et les décisions des Forces canadiennes

(i) Les méprises

a) La méprise sur la condition médicale

b) La méprise sur l'hormonothérapie

c) La méprise sur le changement de sexe

d) La méprise sur l'équipe de soins

e) La méprise sur les médecins

(ii) Les décisions

a) Le refus d'une rencontre face à face

b) Le refus de recourir à une expertise indépendante externe

c) Le diagnostic erroné

d) Le rejet des opinions médicales

e) L'imposition de limitations médicales à l'emploi

f) La fermeture du dossier d'enrôlement de 1995

VIII. Conclusion générale

IX. Remarques finales

X. Les redressements

XI. Dispositif et ordonnance

I. IntroduCtion

[1] Le Tribunal est saisi d'une plainte dans laquelle Micheline Montreuil allègue que les Forces canadiennes ont agi de façon discriminatoire à son égard en raison de son sexe et d'une perception de déficience contrairement aux articles 3 et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, c. H-6.

[2] L'audition de la présente plainte s'est déroulée sur plusieurs mois, soit du mois d'octobre 2006 au mois de décembre 2007. La présente affaire fut prise en délibéré le 21 décembre 2007. Le 9 février 2008, le mandat du membre instructeur est venu à échéance. Le mandat du membre instructeur fut prolongé par le président du Tribunal dans trois des quatre affaires dont il était alors saisi. Il ne fut pas prolongé dans la présente affaire. Il appert que la décision du président du Tribunal de ne pas prolonger le mandat du membre instructeur dans le présent dossier fit l'objet d'une demande de contrôle judiciaire de la part de l'intimée.

[3] Le 23 décembre 2008, Madame le juge Hansen de la Cour fédérale accueillait la demande de contrôle judiciaire. Dans une décision datée du 7 janvier 2009, Madame le juge Hansen faisait état de ses motifs. Dans sa décision motivée, Madame le juge Hansen conclut que la décision du président du Tribunal était déraisonnable à plusieurs égards. Elle souligne notamment qu'en l'espèce, le président du Tribunal avait négligé de tenir compte des intérêts des parties à l'instance. Le dossier fut donc renvoyé au président du Tribunal pour qu'il reconsidère sa décision. Le 19 février 2009, le membre instructeur vit son mandat prolongé jusqu'au 19 août 2009 afin qu'il puisse rendre une décision dans le présent dossier.

[4] Il importe de souligner que le membre ayant instruit la plainte en la présente instance ne fut jamais informé par le Tribunal de l'existence d'une procédure de contrôle judicaire devant la Cour fédérale. Toutefois, par précaution, le membre instructeur conserva à son bureau tous les documents produits dans le cadre de l'audition de la présente affaire - pièces produites, notes sténographiques, de même que ses notes personnelles prises lors de l'audience. La présente décision est donc rendue sur la base d'un dossier complet, soit les pièces produites à l'audience, les notes sténographiques et les notes d'audience du membre instructeur.

[5] L'audition de la présente affaire a duré 97 jours. Plusieurs décisions intérimaires furent rendues en cours d'instance. Plus de 20 000 pages de notes sténographiques furent produites. Quinze témoins factuels furent entendus ainsi que quatre témoins experts.

[6] Les témoins factuels furent : Me Micheline Montreuil, la plaignante, M. Daniel Trudel, Madame Hélène Trudel, Monsieur André Gravel, des connaissances de Micheline Montreuil, le Dr. Serge Côté, psychiatre, le Dr. Rolland Tremblay, endocrinologue, le Major Pierre Labonté, anciennement Capitaine Labonté, officier de sélection du personnel, le Colonel Ronald Fletcher, l'adjudant Jean-Marc Dumais, adjoint au médecin, le Dr. Darlene Newnham, officier médical au recrutement, le Dr. D.B. Collins, officier médical au recrutement, le Dr. Randy Boddam, psychiatre au sein des Forces canadiennes, le Dr. Diane Watson, psychiatre, le Dr. Christiane Dufour, psychologue, Monsieur Josh Pankhurst, commis au Département de la défense nationale

[7] Les témoins experts furent : le Dr. Pierre Assalian, psychiatre, le Dr. Edouard Beltrami, psychiatre, le Dr. Richard Karmel, psychologue, Monsieur Daniel Hébert, actuaire.

[8] En l'espèce, la plaignante s'est représentée elle-même. L'intimée était représentée par le Procureur général du Canada. La Commission canadienne des droits de la personne, (ci-après la Commission) pour sa part, participa activement à tout le processus d'audition de la plainte.

II. La plainte

[9] Dans le formulaire de plainte daté du 17 décembre 2002, Micheline Montreuil indique qu'en juin 1999, il a fait une demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes. La plainte indique que Micheline Montreuil avait déjà, dans le passé, fait deux demandes d'enrôlement dans les Forces canadiennes, soit en avril 1974 et en juin 1997.

[10] En ce qui concerne la première demande d'enrôlement, Micheline Montreuil indique, dans sa plainte, qu'il n'a pu commencer son cours d'officier. En ce qui concerne la seconde demande d'enrôlement, Micheline Montreuil indique qu'il a demandé volontairement à quitter les Forces canadiennes pour deux raisons : d'une part, en raison d'un conflit avec son employeur d'alors, le Collège François-Xavier Garneau, il avait pris trop de retard dans sa formation et son entraînement ; d'autre part, en raison du fait qu'il était en voie de commencer un processus de changement de sexe, il ne voulait pas que cet état vienne perturber le déroulement normal de son entraînement et sa carrière au sein des Forces canadiennes.

[11] La plainte de Micheline Montreuil indique qu'il a fait une nouvelle demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes en juin 1999. Dans le cadre du processus d'enrôlement, Micheline Montreuil indique dans sa plainte qu'il a subi deux examens médicaux, passer une entrevue au terme de laquelle il fut recommandé que Micheline Montreuil poursuive le processus de recrutement en vue d'un retour dans les Forces canadiennes.

[12] La plainte indique qu'entre le 13 et le 25 octobre 1999, six experts dans leur domaine professionnel respectif, incluant le Dr. Serge Côté, psychiatre, soumettent par écrit leurs avis professionnels à son sujet. En outre, elle indique que le 26 octobre 1999, le Dr. Roland Tremblay, endocrinologue, donne son opinion médicale professionnelle concernant le changement de sexe de Micheline Montreuil aux Forces canadiennes.

[13] Il appert de la plainte que, par la suite, le Lieutenant Commander Collins, officier médical au recrutement de la base de Borden pose, dans une lettre datée du 10 décembre 1999, un certain nombre de questions relatives à la transformation physique partielle de Micheline Montreuil. Par lettre datée du 20 décembre 1999, le Dr. Côté, psychiatre donne une deuxième opinion médicale professionnelle concernant le changement de sexe de Micheline Montreuil aux Forces canadiennes et recommande que Micheline Montreuil soit engagé en tant que femme dans les Forces canadiennes malgré sa transformation partielle, le Dr. Côté étant d'avis que la transformation incomplète est un élément positif pour Micheline Montreuil.

[14] Dans sa plainte, Micheline Montreuil indique qu'il a fait parvenir la lettre du Dr. Côté au Lieutenant Commander Collins. Dans une lettre adressée à la même occasion au Lieutenant Commander Collins, Micheline Montreuil indique qu'il est une personne normale et sensée, qu'il n'a pas l'intention d'avoir la moindre chirurgie au cours des prochaines années, qu'il n'aura plus besoin d'hormones et qu'il désire rencontrer le psychiatre des Forces canadiennes et d'autres membres des Forces canadiennes afin que ceux-ci puissent l'examiner en personne, pour qu'il puisse répondre en personne à leurs questions et pour que leurs opinions soient fondées sur des faits et non pas sur des suppositions ou des supputations.

[15] La plainte indique que le 9 mars 2000, le Lieutenant Commander Collins, dans une lettre adressée à Micheline Montreuil, pose une question très précise relative à la transformation physique de Micheline Montreuil, à savoir que son médecin confirme qu'aucun traitement additionnel concernant la question de son identité sexuelle n'est requis. Dans sa réponse au Lieutenant Commander Collins, Micheline Montreuil réitère à celui-ci qu'il cessera tout traitement hormonal d'ici deux mois dans le but de retourner dans les Forces canadiennes. Par ailleurs, il est indiqué dans la plainte que le 15 mars 2000, le Dr. Roland Tremblay, endocrinologue, donne son opinion médicale concernant le changement de sexe de Micheline Montreuil aux Forces canadiennes en précisant que sans hormonothérapie, le cheminement de la personne transsexuelle est compromis ou tout simplement interrompu.

[16] Selon la plainte, le 17 mai 2000, le Lieutenant Commander Collins demande au psychiatre de Micheline Montreuil de poser un diagnostic professionnel pour 30 ans concernant son besoin de psychothérapie et d'appui médical touchant son identité sexuelle. La plainte indique que le 22 novembre 2001, le Dr. Roland Tremblay donne une troisième fois son opinion médicale professionnelle concernant le changement de sexe de Micheline Montreuil et recommande qu'il soit engagé en tant que femme dans les Forces canadiennes. La plainte indique également que le 24 novembre 2001, le Dr. Serge Côté, psychiatre, donne une troisième fois son opinion médicale professionnelle concernant le changement de sexe et recommande que Micheline Montreuil soit engagé en tant que femme dans les Forces canadiennes.

[17] Il appert de la plainte que le 7 janvier 2002, le Lieutenant Général Couture, par lettre adressée à Micheline Montreuil, précise à celui-ci les modalités d'application des normes médicales communes à l'enrôlement en indiquant le rôle des facteurs G (géographique) et O (occupationnel) dans la sélection des candidats, précise qu'une demande d'enrôlement au sein des Forces canadiennes doit rencontrer les normes médicales communes à l'enrôlement qui sont les facteurs G2 et O2 et que la seule façon pour Micheline Montreuil de se voir attribuer un profil médical G2 est de démontrer qu'il n'y a aucun suivi ou aucun traitement en cours, ou futur, relié à sa condition médicale déjà diagnostiquée. Le Lieutenant Général Couture précise dans sa lettre, selon la plainte, que l'hormonothérapie est un traitement en cours qui justifie au minimum l'attribution d'un profil G3. Selon la plainte, l'hormonothérapie aurait été arrêtée depuis le mois de février 2001.

[18] La plainte indique que le 7 mars 2002, Micheline Montreuil demande au Lieutenant de vaisseau A. Dieryckx d'entamer une procédure de révision de sa situation médicale et que, par lettre datée du 23 avril 2002, Micheline Montreuil demande au Dr. Newnham, officier médical au recrutement, de réviser sa condition médicale.

[19] Selon la plainte, par lettre datée du 25 avril 2002, le Lieutenant de vaisseau Wright, officier médical au recrutement, informe Micheline Montreuil que le Directeur - Politique de santé (DMEDPOL) maintient les mêmes restrictions médicales même si tout traitement hormonal est arrêté depuis plus d'un an, même s'il n'y a plus de suivi médical depuis plus d'un an et même s'il a soumis de nouveaux rapports médicaux datés du mois de novembre 2001.

[20] La plainte indique, par ailleurs, que par lettre datée du 15 mai 2002, Micheline Montreuil demande au Lieutenant de vaisseau Wright de réviser sa situation médicale à la lumière de tous les changements qui se sont produits dans sa situation médicale personnelle. Selon la plainte, par lettre datée du 30 juillet 2002, le Lieutenant de vaisseau Wright informe Micheline Montreuil que les restrictions relatives au traitement hormonal ont été levées par le Directeur - Politique de santé (DMEDPOL) mais que ce dernier a imposé à Micheline Montreuil une nouvelle limitation médicale qui indique que Micheline Montreuil souffre d'un trouble de l'identité du genre constituant une condition chronique et que cette limitation médicale l'empêche de retourner dans les Forces canadiennes.

[21] Micheline Montreuil soutient dans sa plainte que la lettre datée du 17 mai 2000 du Lieutenant Commander D. B Collins, ainsi que la lettre datée du 30 juillet 2002 du Lieutenant de vaisseau Wright constituent des actes discriminatoires. Plus spécifiquement, dans sa plainte, Micheline Montreuil cible deux éléments :

  1. Comment le Lieutenant Commander Collins, dans sa lettre du 17 mai 2000, peut-il demander au psychiatre de Micheline Montreuil de poser un diagnostic professionnel pour 30 ans concernant son besoin de psychothérapie et d'appui médical touchant son identité sexuelle alors qu'aucun psychiatre ne peut garantir 30 ans de bons et loyaux services?
  2. Comment le Lieutenant de vaisseau Wright, dans as lettre du 30 juillet 2002, peut-il déclarer que Micheline Montreuil souffre d'un trouble de l'identité de genre qui constitue une condition chronique alors que toutes les expertises sont à l'effet contraire?

[22] En outre, Micheline Montreuil soutient que les décisions du Directeur - Politiques de santé (DMEDPOL) sont des actes discriminatoires car elles vont à l'encontre d'opinions professionnelles établies par trois médecins différents qui ont examiné Micheline Montreuil à plusieurs reprises, que ces opinions n'ont pas été contredites par aucun médecin des Forces canadiennes qui l'auraient examiné, les Forces canadiennes ayant toujours refusé de le faire examiner par un médecin des Forces canadiennes et qu'il est inutile pour Micheline Montreuil de faire parvenir de nouveaux rapports d'expertise médicale puisqu'il est évident, suivant la plainte, qu'à la lecture de la lettre du 30 juillet 2002, le Directeur - Politique de santé (DMEDPOL) ne lui donnera jamais une classification G2O2.

III. La position des parties

[23] Les positions prises par les parties dans le présent dossier sont, pour le moins, diamétralement opposées. La plaignante, Micheline Montreuil, soutient que le présent dossier porte essentiellement sur une question de discrimination, ce que soutient la Commission. L'intimée, pour sa part, soutient que la question en l'espèce en est essentiellement une de nature médicale, que la condition médicale de Micheline Montreuil est au cur du présent litige. Ainsi, alors que Micheline Montreuil place le débat au niveau social ou sociologique, l'intimée le place sur le terrain médical.

[24] En l'espèce, Micheline Montreuil qui, biologiquement est un homme, se dit transgenre. Il se décrit comme une personne qui a un corps qui contient des attributs des deux sexes, entre autres, à titre d'exemple, une paire de seins et un pénis. Il prétend vivre entre les deux sexes, donc entre homme et femme et affirme qu'il désire joindre les Forces canadienne dans cet état.

[25] Micheline estime être victime de discrimination en raison de son genre ou de son sexe. Pour Micheline Montreuil, le point central du litige est la discrimination dont il fut victime dans le processus d'enrôlement. Micheline Montreuil soutient que sa demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes fut refusée essentiellement parce qu'il se dit transgenre, donc pour une question de discrimination basée sur le sexe et non pour des raisons médicales. Selon lui, les raisons médicales ne servent qu'à couvrir la discrimination et constituent en fait un prétexte pour ne pas l'enrôler.

[26] Micheline Montreuil ne se considère atteint d'aucune pathologie psychiatrique, tel un trouble de l'identité du genre ou un trouble de la personnalité limite qui l'empêcherait de servir dans les Forces canadiennes. En outre, il est d'avis qu'il ne présente aucune condition médicale qui l'empêcherait d'exécuter les tâches communes spécifiques aux Forces canadiennes et applicables à tout militaire.

[27] Micheline Montreuil soutient, par ailleurs, que les transformations auxquelles il s'est soumis, soit une augmentation du volume de ses seins par la prise d'hormones féminines et l'épilation au laser, n'avaient qu'un but esthétique et ne s'inscrivaient nullement dans un quelconque désir de changer de sexe. En outre, il insiste sur le fait qu'il s'agit de thérapies volontaires qui ne sont liées à aucune pathologie et qui sont simplement de nature esthétique, que son choix de vivre entre les deux sexes, tout en privilégiant le sexe féminin, résulte d'un choix volontaire et de nature sociale.

[28] Selon Micheline Montreuil, il existe au sein des Forces canadiennes une politique anti-transgenre. Il s'appuie sur le fait que si l'on dit que les gens qui ont des troubles mentaux ont des restrictions à l'emploi, à plus forte raison on n'enrôlera pas quelqu'un qui a un trouble mental. Selon Micheline Montreuil, en voulant absolument lui donner une catégorie de trouble mental, soit la dysphorie du genre, on lui signifie qu'on ne peut l'engager.

[29] Micheline Montreuil est d'avis que, dans les Forces canadiennes, on cache l'aspect transgenre ou la discrimination sous un aspect médical. En fait, selon Micheline Montreuil, lorsqu'on y regarde de plus près, il est faux de dire que les Forces canadiennes n'ont pas de politique concernant les transgenres. En fait, il y en a une et elle consiste à exclure des emplois les transgenres en disant qu'ils présentent un trouble mental. Selon Micheline Montreuil, l'intimée lui a sciemment accordé une catégorie G5 pour être certaine qu'il ne pourrait s'enrôler dans les Forces canadiennes.

[30] La Commission canadiennes des droits de la personne partage la position de Micheline Montreuil. Cela dit, pour la Commission, la question fondamentale n'est pas le fait que Micheline Montreuil est transgenre ou transsexuelle, mais s'il était capable de faire le travail pour lequel il a appliqué au sein des Forces canadiennes.

[31] L'intimée, en revanche, soutient que le refus d'enrôler Micheline Montreuil repose sur sa condition médicale qui fait en sorte qu'il n'a pas satisfait aux normes médicales communes à l'enrôlement et n'est nullement de nature discriminatoire. La position de l'intimée est clairement exprimée dans une lettre que le lieutenant-général Couture écrit au directeur régional du Québec de la Commission canadienne des droits de la personne le 17 décembre 2003.

[32] Dans sa lettre, le lieutenant général Couture écrit que l'intimée était justifiée de rejeter la demande d'enrôlement de Micheline Montreuil parce qu'il ne rencontrait pas les normes médicales communes exigées à l'enrôlement. Selon le lieutenant général Couture, la décision de l'intimée n'est pas motivée par des préjugés contre les transsexuelles ou les personnes en transition mais parce que Micheline Montreuil avait une condition médicale diagnostiquée au moment de sa demande d'enrôlement. Le lieutenant-général Couture souligne que l'intimée a donné à Micheline Montreuil plusieurs occasions de démontrer qu'il rencontrait les normes médicales communes à l'enrôlement mais qu'il n'a jamais fourni cette assurance. Pour les Forces canadiennes, la condition médicale de Micheline Montreuil est au cur de présent litige.

IV. Les questions en litige

[33] Dans sa plainte, Micheline Montreuil identifie deux questions qu'il estime devoir être tranchées par le Tribunal :

  1. Comment le Lieutenant Commander Collins, dans sa lettre du 17 mai 2000, peut-il demander au psychiatre de Micheline Montreuil de poser un diagnostic professionnel pour 30 ans concernant son besoin de psychothérapie et d'appui médical touchant son identité sexuelle alors qu'aucun psychiatre ne peut garantir 30 ans de bons et loyaux services?
  2. Comment le Lieutenant de vaisseau Wright, dans as lettre du 30 juillet 2002, peut-il déclarer que Micheline Montreuil souffre d'un trouble de l'identité de genre qui constitue une condition chronique alors que toutes les expertises sont à l'effet contraire?

[34] À ces deux questions, il importe pour le Tribunal de considérer une autre question qui, de l'avis de l'intimée, constitue le nexus du présent dossier :

(3) Est-ce que les Forces canadiennes étaient justifiées d'imposer une condition médicale à l'enrôlement de Micheline Montreuil dans les Forces canadiennes?

[35] Du reste, il appert que ces questions se trouvent, pour l'essentiel, dans les questions posées aux experts en la présente instance, soit au Dr. Assalian :

  1. On the basis of the documentation provided by Micheline Montreuil, was the Canadian Forces justified to assign a medical employment limitation in reason of Gender identity disorder?
  2. (2) On the basis of the interview of Montreuil held on May 18, 2006, and Montreuil's MMPI-2 psychological assessment report of Dr. Richard Karmel, Ph.D., Psychologist, should Montreuil be assigned a medial employment limitation by reason of Gender Identity disorder?

et au Dr. Beltrami :

  1. Est-ce que les informations de nature médicale fournies par Me Montreuil et en particulier les rapports des docteurs Lehoux, Tremblay et Côté pouvaient permettre aux Forces canadiennes de conclure que Me Montreuil souffre d'une condition médicale pouvant compromettre son travail au sein des Forces canadiennes?
  2. Est-ce qu'une personne peut confirmer qu'elle ne nécessiterait pas de soutien médical ou psychothérapeutique pendant les 30 prochaines années?

[36] Par ailleurs, dans le cadre de sa plaidoirie, la procureur(e) de la Commission a formulé ainsi la question essentielle que devait trancher le Tribunal :

Est-ce que la situation des personnes transsexuelles, transgenres, en transition ou entre les deux a joué un rôle dans la décision des Forces canadiennes lorsqu'elles ont refusé d'engager Micheline Montreuil?

[37] La réponse à ces questions requiert notamment que l'on examine la vie personnelle de Micheline Montreuil, son historique militaire, les notions de transgenre et de transsexuel et leur lien avec la mouvance TTT, les diverses expertises produites dans le présent dossier quant à l'existence ou non chez Micheline Montreuil d'un trouble de l'identité du genre et d'un trouble de la personnalité, les différentes évaluations faites par les membres de l'intimée en rapport avec le dossier d'enrôlement de Micheline Montreuil. Mais, au préalable, il importe de définir le cadre juridique à l'intérieur duquel tous ces éléments doivent être analysés.

V. Le cadre juridique

[38] Dans sa plainte, Micheline Montreuil allègue avoir été l'objet de discrimination en vertu des articles 3 et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, précitée. Ces articles se lisent comme suit :

3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu ;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

[39] Dans le cadre du présent dossier, ces dispositions doivent être mises en relation avec certains paragraphes de l'article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, précité, et l'article 33 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, c. N-5.

Loi canadienne sur les droits de la personne

15 (1) a) Ne constituent pas des actes discriminatoires a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées.

15 (2) Les faits prévus à l'alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable au sens de l'article (1)g), s'il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

15 (9) Le paragraphe (2) s'applique sous réserve de l'obligation de service imposée aux membres des Forces canadiennes, c'est-à-dire celle d'accomplir en permanence et en toutes circonstances les fonctions auxquelles ils peuvent être tenus.

Loi sur la défense nationale

33. (1) La force régulière, ses unités et autres éléments, ainsi que tous ses officiers et militaires du rang, sont en permanence soumis à l'obligation de service légitime.

[40] L'obligation de service légitime est plus amplement décrite dans les documents portant sur le principe de l'universalité du service qui s'applique à tout militaire en exercice ainsi qu'à toute personne qui postule un poste au sein des Forces canadiennes.

[41] En matière de discrimination, il n'est pas nécessaire qu'un élément identifié comme potentiellement discriminatoire soit le seul élément ou le motif prépondérant d'une décision. Il suffit que la discrimination ait été l'un des éléments qui ont motivé la décision (Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1991) 14 C.H.R.R. D/12, par. 7 (C.A.F.)).

[42] Cela dit, il est clair qu'en société, la discrimination s'exercera souvent de façon subtile. En effet, rares sont les cas où l'on peut démontrer par une preuve directe qu'une personne a été victime de discrimination (Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (no 1), (1988) 9 C.H.R.R. D/5029, par. 38474 (T.C.D.P.)). Ainsi, tel qu'établi par la jurisprudence, un tribunal devra tenir compte de toutes les circonstances afin de déterminer s'il existe de subtiles odeurs de discrimination. Il pourra s'appuyer en cela sur une preuve circonstancielle.

[43] Enfin, il est bien établi en jurisprudence que l'intention de discriminer à l'égard d'une personne n'est pas nécessaire pour qu'il y ait un constat de discrimination (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, par. 28, par. 14).

[44] En matière de discrimination à l'égard des personnes transsexuelles, depuis l'arrêt rendu par ce Tribunal dans Kavanagh c. Canada (Procureur général), (2001) 41 C.H.R.R. D/119 (C.H.R.T.) il ne fait plus de doute qu'une discrimination fondée sur le transsexualisme constitue une discrimination fondée sur le sexe ou le genre, de même qu'une discrimination fondée sur une déficience. Cette position est adoptée par plusieurs autres tribunaux (Ferris v. Office and Technical Employees Union, Local 15, (1999) 36 C.H.R.R. D/329 (B.C.H.R.T.), Mamela v. Vancouver Lesbian Connection, (1999) 36 C.H.R.R. D/318 (B.C.H.R.T.), Sheridan v. Sanctuary Investments Ltd, (1999) 33 C.H.R.R. D/467).

[45] En matière de preuve, par ailleurs, il est un principe bien établi par la jurisprudence qu'il incombe au plaignant de faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire (preuve prima facie) qu'il y a eu discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire ou preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l'absence de réplique de l'intimé. Cela dit, comme dans toute instance civile, le fardeau de faire la preuve de telles allégations incombe au plaignant (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, précité, par. 28).

[46] Une fois que l'existence d'une preuve prima facie de discrimination a été établie, il revient à la partie intimée de fournir une explication raisonnable de la conduite qui serait par ailleurs discriminatoire. Si une telle explication est présentée, le plaignant doit démontrer que celle-ci ne constitue qu'un prétexte et que la conduite de l'intimé était effectivement empreinte de discrimination (Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (no 1), précité).

[47] En ce qui concerne la preuve prima facie qui doit être présentée en l'espèce, Micheline Montreuil a indiqué en plaidoirie que tout se résumait à ce qui suit: Les Forces canadiennes ont refusé la plaignante parce qu'il (sic) s'est identifié comme une personne transgenre et/ou comme une personne en transition et parce qu'il n'aurait pas fourni une assurance qu'elle n'aurait pas besoin d'aucuns soins médicaux dans les 30 prochaines années. Ceci constitue la preuve prima facie de discrimination fondée sur le sexe et une perception de déficience contrairement à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En outre, Micheline Montreuil indique que les Forces canadiennes n'ont pas établi qu'enrôler Micheline Montreuil leur causerait une contrainte excessive, tel qu'établi par l'article 15(2) de la Loi et la jurisprudence de la Cour suprême du Canada.

[48] Quant à l'intimée, elle soutient que c'est la question de la crédibilité de Micheline Montreuil qui est au cur de la preuve prima facie et qu'à ce chapitre, la position mise de l'avant par Micheline Montreuil n'est pas crédible et qu'il n'a pas satisfait au critère de la preuve prima facie, à savoir qu'en l'espèce, on ne peut prêter foi aux allégations faites par Micheline Montreuil.

[49] En matière d'embauche, deux décisions ont défini les critères qui doivent guider les tribunaux dans la détermination de l'existence ou non d'une preuve prima facie de discrimination. Dans Shakes c. Rex Pak Ltd ((1981) 3 C.H.R.R. D/1001, par. 8918), il fut établi que le plaignant devait prouver qu'il avait les compétences voulues pour l'emploi qu'il postule, qu'il n'a pas été embauché et qu'une personne qui n'était pas plus compétente, mais qui ne présentait pas le trait distinctif à l'origine de la plainte en matière de droits de la personne a obtenu le poste.

[50] Par ailleurs, dans Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne (1983) 4 C.H.R.R. D/1616, par. 8918 (T.C.D.P.), il fut établi en ce qui a trait à une personne qui a les compétences requises mais n'est pas embauchée et l'employeur continue de chercher un candidat compétent, que le plaignant devait démonter qu'il appartient à l'un des groupes désignés dans la Loi, qu'il a posé sa candidature à un poste pour lequel il était compétent et que l'employeur désirait combler, que même s'il était compétent, le plaignant a vu sa candidature rejetée et que, par la suite, l'employeur a continué à chercher des candidats possédant les compétences du plaignant.

[51] La jurisprudence subséquente aux décisions Shakes et Israeli est venue préciser la portée de ces décisions et des critères qui y sont élaborés. Selon cette jurisprudence, aucune des deux séries de critères ne devrait être appliquée de manière rigide et arbitraire dans une affaire d'embauche et que le tribunal se devait de tenir compte des circonstances particulières de chaque espèce pour déterminer s'il convenait d'appliquer, en tout ou en partie, l'une ou l'autre série de critères (Montreuil c. Banque nationale du Canada, (2004) T.C.D.P 7).

[52] Appliquant les critères élaborés dans Israeli, M. Hadjis écrit dans Montreuil c. Banque nationale du Canada, précité, qu'une fois qu'un plaignant a établi qu'il avait les compétences voulues pour occuper le poste convoité, et dans l'hypothèse où l'existence d'une preuve prima facie a été établie à tous autres égards (nous soulignons), il incombe à l'employeur de démontrer dans son explication que le plaignant était surqualifié pour le poste et que, par conséquent, le refus de l'embaucher était justifié.

[53] En rapport avec le présent litige, le Tribunal a pris connaissance de deux décisions de ce Tribunal dans des affaires impliquant le plaignant. La première, Montreuil c. Banque nationale du Canada, précité, concerne une plainte déposée par Micheline Montreuil qui allègue que l'intimée, la Banque nationale du Canada, a refusé de l'employer parce qu'elle est une personne transsexuelle (sic). Dans cette décision, il n'était pas contesté qu'à titre de personne transgendériste (sic) au stade préopératoire, Micheline Montreuil appartenait à un groupe contre lequel il est interdit d'exercer une discrimination fondée sur le sexe suivant les termes de l'article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ainsi, dans Montreuil c. Banque nationale du Canada, M. Hadjis a déterminé, à la lumière de la preuve qui était devant lui, que les critères de l'arrêt Israeli avaient été satisfaits et qu'une preuve prima facie avait été établie. Il a considéré, en dernière analyse, que les explications fournies par l'intimée comme raisons de ne pas embaucher Micheline Montreuil témoignaient d'un comportement discriminatoire de la part de celle-ci.

[54] Le Tribunal note que, dans la décision de M. Hadjis, il est dit que Micheline Montreuil prétend, dans son formulaire de plainte, qu'elle est une personne transsexuelle (sic) qui s'habille en femme et qu'elle était, à l'époque (1998), dans une période de transition (sic) pour devenir une femme (sic). Par la suite, M. Hadjis réfère à Micheline Montreuil comme une personne transgendériste. Le Tribunal note également que la condition de personne transsexuelle ou personne transgendériste de Micheline Montreuil ne fit l'objet d'aucun débat dans cette instance, les parties ayant, semble-t-il, reconnu que Micheline Montreuil était une personne transsexuelle ou transgenre.

[55] En ce qui concerne cette décision, plus important encore est le fait que la crédibilité de Micheline Montreuil ne fut pas mise en cause, ce qui n'est pas le cas en la présente instance où la crédibilité même de Micheline Montreuil et des allégations qu'il formule à l'encontre de l'intimée ont une importance capitale dans la détermination de l'issue du litige.

[56] La seconde décision de ce Tribunal relative à Micheline Montreuil est celle de Montreuil c. Comité des griefs des Forces canadiennes (2007 T.C.D.P 53). Cette décision fut ultérieurement confirmée par la Cour fédérale (Canada (Procureur général) c. Montreuil, 2009 CF 60). Dans cette seconde affaire Montreuil, le Tribunal a conclu qu'il existait en l'espèce une subtile odeur de discrimination dans la décision de l'intimé de ne pas offrir un poste d'agent de griefs à Micheline Montreuil.

[57] Dans la décision rendue par M. Doucet dans cette affaire, il est dit que lorsque Micheline Montreuil parle de discrimination basée sur le sexe, il fait référence à certaines caractéristiques reliées à l'identité du genre ou l'apparence qui font en sorte qu'elle ne se trouve pas, selon ses propres mots, dans une situation qu'on pourrait qualifier d'usuelle. Entre ce que Micheline Montreuil décrit être un homme normal ou une femme normale, se situe la mouvance transsexuelle ou transgenre. Selon la décision, Micheline Montreuil dira qu'entre les travestis et les transsexuels, il y a les personnes transgenres, c'est-à-dire des personnes qui, comme elle, ont choisi de vivre la totalité du temps dans les vêtements de l'autre sexe. Les personnes de ce groupe peuvent également opter, suivant la décision, pour certaines opérations chirurgicales mineures pour changer certaines parties de leur apparence, mais elles n'iront pas jusqu'à une transformation chirurgicale complète.

[58] Le Tribunal note, que dans cette instance, la condition particulière de Micheline Montreuil n'était pas un objet en litige, l'intimé ayant reconnu qu'une distinction fondée sur le fait d'être transgenre est réputée être fondée sur le sexe. Le Tribunal a pris pour un fait avéré la description que Micheline Montreuil faisait d'elle-même, à savoir qu'il était transgenre. Il appert, par ailleurs, de la décision de M. Doucet que la crédibilité de Micheline Montreuil n'ait pas été en cause. Il est va tout autrement en la présente instance.

VI. Les éléments contextuels

[59] Avant d'aborder les éléments qui sont au cur du présence litige, tels que l'existence possible chez Micheline Montreuil d'un trouble de l'identité sexuelle, ainsi que d'un trouble de la personnalité limite, les questions de savoir si Micheline Montreuil rencontrait les normes médicales communes à l'enrôlement et si les limitations médicales à l'emploi imposées à Micheline Montreuil étaient justifiées, de même que l'exigence d'une garantie de 30 ans, il importe d'analyser les éléments contextuels pertinents pour la bonne compréhension du présent dossier. Ces éléments ont trait à la vie personnelle de Micheline Montreuil, aux exigences militaires en matière d'enrôlement, ainsi qu'à l'histoire militaire de Micheline Montreuil.

A. La vie personnelle de Micheline Montreuil

[60] Micheline Montreuil fut, à la naissance, inscrit aux registres de l'État civil du Québec sous le nom de Joseph Yves Pierre Papineau Montreuil. En novembre 2002, la Cour d'appel du Québec faisait droit à une requête en demande de changement de nom présentée par Micheline Montreuil. La Cour autorisait alors l'ajout du prénom Micheline aux autres prénoms inscrits à son certificat de naissance (Montreuil c. Directeur de l'État civil, [2002] R.J.Q. 2911 (C.A.)).

[61] Dans son témoignage, Micheline Montreuil indique qu'il avait entrepris des procédures de changement de nom en octobre 1997 mais qu'antérieurement, soit depuis 1986, il utilisait déjà le prénom Micheline. Il reconnaît que ce fait ne fut pas porté à l'attention des Forces canadiennes dans le cadre de sa demande d'enrôlement dans les Forces, déposée en 1995. Micheline Montreuil indique également dans son témoignage qu'en 1997, il se considérait en partie une personne transgenre et qu'il est devenu officiellement transgenre à partie du 13 mai 1998.

[62] Micheline Montreuil expliquera dans son témoignage que la raison pour laquelle il a entrepris une procédure de changement de nom en 1997 visant l'ajout du prénom Micheline à ses prénoms existants était de lui permettre de pouvoir avoir le prénom de Micheline sur son permis de conduire, pour que son permis de conduire soit conforme avec ses cartes de crédit et ainsi faciliter ses déplacements en tant que Micheline Montreuil à l'étranger. Micheline Montreuil indique également dans son témoignage qu'il voyage en femme depuis 1994 et qu'il a prononcé des conférences aux Etats-Unis en tant que transgenre en 1997 notamment alors qu'il était membre de la Force de réserve. Micheline Montreuil indique dans son témoignage que ce fait ne fut jamais porté à l'attention des Forces canadiennes, celles-ci ne lui ayant jamais posé la question.

[63] Le cheminement identitaire de Micheline Montreuil est amplement relaté dans le site Internet créé, suivant la preuve, par Micheline Montreuil vers la fin de 2001 ou le début de 2002. Les informations contenues dans le site internet n'étaient donc pas connues des Forces canadiennes au moment où celles-ci ont eu à statuer sur la demande d'enrôlement de Micheline Montreuil. La preuve révèle, par ailleurs, que le Dr. Assalian et son équipe ont consulté le site internet de Micheline Montreuil après leur entrevue du 18 mai 2006 avec cette dernière.

(i) Le site internet de Micheline Montreuil

[64] Le site internet de Micheline Montreuil comporte plusieurs sections. Bien que le site internet de Micheline Montreuil ait été créé, selon la preuve, après que la demande d'enrôlement de Micheline Montreuil ait été rejetée par les Forces canadiennes, les informations contenues dans le site demeurent pertinentes pour le présent dossier dans la mesure où Micheline Montreuil lui-même y décrit son cheminement.

[65] Micheline Montreuil indiquera dans son témoignage que le cheminement qui apparaît sur son site internet n'est pas le cheminement d'une travestie, qui elle ne sortira jamais en tant que tel en public de façon régulière ou qui ne travaillera jamais en femme, qui ne prendra jamais de manière un peu plus permanente une identité de femme, et n'est pas le cheminement d'une personne transsexuelle parce que le cheminement d'une transsexuelle est plus rapide et plus violent. Selon lui, son site reflète le cheminement d'une transgenre.

[66] Le site de Micheline Montreuil comporte notamment une section intitulée Micheline la transgenre. Dans la section Micheline la transgenre, on retrouve les titres suivants : pourquoi suis-je devenue transgenre?, comment suis-je devenue une transgenre? De travestie à transsexuelle.

[67] Dans la section Micheline la transgenre, Micheline Montreuil indique qu'il a une double personnalité. A la question, pourquoi suis-je devenue une transgenre?, Micheline Montreuil répond que c'est probablement la seule question à laquelle il n'y a pas de réponse logique ou certaine. Il poursuit en précisant que la seule réponse qui lui vient à l'esprit est qu'il sentait au fond de lui qu'il désirait vivre de manière différente et que l'apparence qu'il avait n'était pas celle qu'il aimerait avoir. Ainsi, il indique sur son site internet que, autant une personne peut préférer vivre en ville, autant une autre peut désirer vivre à la campagne, autant une personne peut désirer avoir des enfants, autant une autre ne pas en avoir, de la même manière un homme peut préférer vivre en homme et un autre peut préférer vivre en femme.

[68] Sur son site internet, Micheline Montreuil décrit également comment il est devenu transgenre. Il indique, à cet égard, qu'à l'âge de 13 ans, il a mis son premier soutien-gorge, son premier jupon et son premier costume de bain long par curiosité, qu'à l'âge de 16 ans, par curiosité, il s'est habillé complètement en femme, soit en mettant un soutien-gorge, une petite culotte, des bas de nylon, une robe et des souliers à talons hauts, qu'à l'âge de 23 ans, il a fait son premier maquillage et sa première sortie à l'extérieur, qu'à l'âge de 25 ans, il est sorti habillé en femme à quelques reprises, que de 25 ans à 34 ans, il est encore sorti en femme à quelques reprises pour améliorer sa confiance et son aisance, toujours dans l'anonymat, qu'à l'âge de 34 ans, il s'est demandé s'il ne voulait pas vivre en femme plutôt qu'en homme parce qu'il lui semblait qu'il partageait plus de points communs avec les femmes qu'avec les hommes. Micheline Montreuil affirme qu'il se sent bien lorsqu'il est habillé en femme, qu'il se sent plus confortable, davantage lui habillé en femme plutôt qu'en homme.

[69] Micheline Montreuil explique sur son site internet qu'en 1986, il a décidé que s'il voulait dans le futur de manière plus permanente vivre en femme, travailler en femme, sortir habillé en femme, voyager habillé en femme et finalement s'intégrer le plus possible dans le monde des femmes, il serait logique de choisir un prénom traditionnellement féminin pour s'identifier en tant que femme. Il s'est, à cette époque, procurer des cartes d'identité, d'abonnement, de crédit au nom de Micheline Montreuil et a également ouvert un compte de téléphone, d'électricité, de banque et de cablo-diffusion au nom de Micheline Montreuil. Micheline Montreuil précise sur son site qu'en 1992, à l'âge de 40 ans, il a commencé à sortir ouvertement habillé en femme au Québec, qu'en 1993, il a commencé à voyager habillé en femme au Canada et aux Etats-Unis. Micheline Montreuil se considère, somme toute, hétérosexuelle. Il a, par ailleurs, affirmé dans son témoignage qu'il se situe entre les deux mouvances, l'homme traditionnel et la femme traditionnelle.

[70] Dans la sous-section De travestie à transsexuelle, Micheline Montreuil explique son cheminement identitaire. Il indique qu'il a été travesti de 13 ans à 14 ans et qu'il est maintenant une transgenre ou une transsexuelle depuis l'âge de 43 ans. À cet égard, Micheline Montreuil indique que de 43 ans à 45 ans, il est une transgenre connue qui a une identité de femme, que de 45 ans à aujourd'hui, il a pris des hormones pour faire grossir les seins, qu'il s'est soumis à des traitements au laser, qu'il est une transgenre maintenant reconnue qui vit de façon permanente en femme et qu'en conséquence, il peut dire qu'il est une transsexuelle non opérée. Micheline Montreuil ajoute qu'il est satisfait de son corps actuel et qu'il n'a pas l'intention d'y apporter le moindre changement dans un avenir prévisible. Il revendique être la première transgenre connue au Québec et qu'il lui revient d'ouvrir les portes.

[71] Enfin, le site internet de Micheline Montreuil comporte une importante section sur le changement de sexe. Dans cette section, Micheline Montreuil décrit les différentes étapes du processus changement de sexe. Il y décrit également le statut d'une personne en transition.

[72] Selon le site internet, l'expression personne en transition s'applique à toute personne dont l'anatomie sexuelle et l'identité sexuelle ne sont pas identiques ou compatibles entre elles et qui vise à rendre compatible son anatomie sexuelle avec son identité sexuelle.

[73] Par ailleurs, dans cette section de son site internet, Micheline Montreuil affirme être une transgenre mais souligne que certaines personnes préfèrent la décrire comme étant un transsexuel, une transsexuelle, un travesti, une travestie, un ou une shemale, un ou une fétichiste, un travesti hormoné ou une travestie hormonée, que certains diront qu'il est dans un processus de transsexualisme, qu'il est un cas de transsexualité, qu'il est en transition ou qu'il est une transsexuelle avant l'opération ou non opérée. Il s'y décrit lui-même comme une personne en transition qui désire vivre comme une femme. Il indique qu'à tous les jours, il s'habille et se maquille comme toute femme conventionnelle - porte une robe, un soutien-gorge, des bas culottes ou des collants, des souliers à talons hauts et qu'il se sent bien avec les vêtements qu'il porte.

[74] Le Tribunal retient, de l'analyse du contenu du site internet de Micheline Montreuil, que Micheline Montreuil est une personne de sexe masculin, qui s'identifie notamment comme une personne transgenre, une personne transsexuelle non opérée, une personne en transition qui a subi certains changements morphologiques, qui se présente sous des apparences typiquement féminines.

(ii) L'événement du Collège Garneau

[75] La preuve révèle que le 4 décembre 1997, est survenu un événement qui allait bouleverser la vie de Pierre Montreuil. Ce jour-là, les autorités du Collège François-Xavier Garneau demandèrent à Pierre Montreuil de démissionner du Collège après que certaines personnes l'aient aperçu habillé en femme dans un centre d'achats. A la suite de cette démission forcée, Pierre Montreuil déposa un grief contre le Collège. Dans son grief, Pierre Montreuil allègue qu'au moment où il a signé sa lettre de démission, il n'était pas en mesure de donner un consentement libre et éclairé. Les faits entourant sa démission du Collège Garneau sont relatés dans deux documents mis en preuve par l'intimée, soit une requête en révision judiciaire de la décision de l'arbitre rejetant son grief, présentée par son Syndicat, et un affidavit circonstancié du 21 juin 2000, signé par Micheline Montreuil et produit au soutien de la requête.

[76] Les faits relatés sous serment par Pierre Montreuil dans son affidavit circonstancié ne peuvent évidemment pas être pris en considération pour apprécier si la décision des médecins des Forces canadiennes d'attribuer une limitation médicale à l'emploi à Micheline Montreuil était justifiée ou non. Toutefois, les faits relatés sous serment par Pierre Montreuil peuvent être pris en considération par le Tribunal pour évaluer si, au moment de l'épisode du Collège Garneau, Pierre Montreuil était, oui ou non, engagé dans un processus de transsexualité ou de changement de sexe.

[77] Il importe de noter que, dans la présente instance, l'intimée s'est grandement appuyée sur le contenu de la requête en révision judicaire et de l'affidavit circonstancié signés par Pierre Montreuil pour mettre Micheline Montreuil en contraction avec ses affirmations dans le cadre de la présente instance. Il importe également de noter que l'expert de l'intimée s'est référé à la requête et à l'affidavit circonstancié pour étayer son opinion à l'effet qu'en situation de crise ou de stress, Micheline Montreuil peut décompenser.

a) Les faits de l'affidavit

[78] Dans l'affidavit circonstancié, il est dit qu'à l'été 1996 et à l'été 1997, le plaignant, Pierre Montreuil, sous le nom et l'apparence de Micheline Montreuil, fait deux longs voyages de six semaines aux Etats-Unis et en Ontario, en solitaire et sans sa conjointe. Selon l'affidavit, le plaignant fait ces voyages pour échapper à la pression qui découle du harcèlement constant du coordonnateur du département de techniques juridiques du Collège. Il est indiqué dans l'affidavit qu'à la fin des sessions d'hiver 1996 et d'hiver 1997, le plaignant est tellement fatigué à la suite de la pression constante exercée par ce coordonnateur qu'il est dans l'obligation de partir en voyage pour décompenser et refaire ses forces. Selon l'affidavit, à la fin de chacun de ces voyages, la pression du plaignant retombe et il redevient frais et dispos pour entreprendre une nouvelle session.

[79] Du mois de décembre 1997 au mois de juin 1998, le plaignant, selon l'affidavit, sous le nom et l'apparence de Micheline Montreuil fait de nombreux voyages totalisant trois mois aux Etats-Unis, en Ontario et en Colombie-Britannique, en solitaire et sans sa conjointe, pour récupérer de toute la pression qu'il a vécu du mois de septembre 1997 au moins de décembre 1997.

[80] Dans son affidavit, Pierre Montreuil indique qu'en septembre 1997, il prépare sa demande de changement de nom comme condition préalable à son changement de sexe et qu'il désire que cela se fasse sans bruit et de manière harmonieuse.

[81] Selon l'affidavit, le 3 décembre 1997, Pierre Montreuil rencontre le directeur du service des ressources humaines et le coordonnateur au service des ressources humaines du Collège Garneau. Lors de cette rencontre, le directeur du service des ressources humaines informe Pierre Montreuil qu'il doit choisir entre un congédiement sur le champ ou une démission sur le champ. Pierre Montreuil est alors informé par le directeur qu'il avait été vu habillé en femme, à l'extérieur de ses heures de disponibilité et à une date non précisée, dans un centre commercial de la région de Québec, soit les Galeries de la Capitale, de même que lors du party d'Halloween des étudiants de techniques juridiques ayant eu lieu le 29 octobre 1997 dans un sous-sol d'église. Pierre Montreuil reconnaît alors avoir déambulé habillé en femme, à l'extérieur de ses heures de disponibilité et à une date non précisée, dans un centre commercial de la région de Québec, de même que lors du party d'Halloween. A la fin de la rencontre, le directeur du service des ressources humaines accepte d'accorder un délai d'un peu moins de 24 heures à Pierre Montreuil pour prendre une décision.

[82] L'affidavit révèle que, par la suite, Pierre Montreuil s'est rendu à son domicile et y a pris quelques verres de kir pour tenter de relaxer. Il a également téléphoné à un ami. Suivant l'affidavit, durant la conversation téléphonique, Pierre Montreuil passe d'un extrême à l'autre entre pleurs et la colère et tente de comprendre ce qui se passe. Après la conversation téléphonique, Pierre Montreuil boit deux bouteilles d'alcool et passe la soirée à la maison à pleurer, à boire et à discuter avec sa conjointe. Il appert de l'affidavit que Pierre Montreuil se transforme en Micheline et va prendre une longue marche à l'extérieur pour tenter de se calmer et de reprendre ses esprits. Il est également dit dans l'affidavit que Pierre Montreuil a pensé à se suicider pour faire disparaître la honte du congédiement, ainsi qu'à quitter le pays pour faire disparaître la honte et le congédiement. Pierre Montreuil dit se sentir dépasser par les événements.

[83] Il appert de l'affidavit que le lendemain, lors d'une rencontre entre Pierre Montreuil et son agent de grief, Pierre Montreuil passe sans arrêt par des états dépressifs, des états lucides, des états mélancoliques, des états agressifs, des états de tristesse ; il est très fatigué et ne se sent pas dans un état stable. Lors d'une rencontre subséquente le même jour avec des représentants du Collège, Pierre Montreuil signe une lettre de démission. Le soir, selon l'affidavit, Pierre Montreuil passe la soirée à pleurer à la maison et consomme quelques verres de kir.

[84] L'affidavit indique que, le lendemain et le surlendemain, Pierre Montreuil, dans un état dépressif, vide son bureau au Collège et est victime de plusieurs crises de larmes. Le 19 décembre 1997, il appert de l'affidavit que Pierre Montreuil, sous le nom et l'apparence de Micheline, dans un état dépressif, part en voyage à Toronto, à Syracuse et à Malone pour fuir le sentiment de morosité qui l'envahit.

[85] Selon l'affidavit, le 5 janvier 1998, Pierre Montreuil rencontre le Dr. Jean Rodrigue qui diagnostique un syndrome d'anxiété et de stress élevé et qui recommande à Pierre Montreuil le repos complet. Il appert que Pierre Montreuil est tellement dépressif qu'il n'est plus en mesure de participer à des activités sociales ou de rencontrer des amis à Québec.

[86] Il appert de l'affidavit que le 8 janvier 1998, Pierre Montreuil, sous le nom et l'apparence de Micheline, dans un état dépressif, part en voyage en avion pour Houston pour tuer le sentiment de dépression qui l'envahit et que le 19 février 1998, Pierre Montreuil, sous le nom de Micheline Montreuil, part en voyage en avion pour Houston et la Nouvelle-Orléans pour fuir le sentiment de dépression qui l'envahit. Le 8 mars 1998, Pierre Montreuil, encore sous le nom et l'apparence de Micheline, dans un état dépressif, part en voyage en avion pour Vancouver et Seattle pour fuir le sentiment de dépression qui l'envahit. Ainsi, entre le 8 janvier et le 15 mars 1998, Pierre Montreuil passe près de six semaines à voyager dans le but de se reposer et d'oublier.

[87] Dans l'affidavit, il est indiqué que le 18 mars 1998, Pierre Montreuil rencontre le Dr. Serge Côté, psychiatre pour faire le point sur sa situation, établir un rapport sur son état mental et sur sa capacité à prendre une décision objective en rapport avec sa démission du Collège Garneau.

[88] En ce qui a trait à l'épisode du Collège Garneau, tel que mentionné précédemment, la preuve révèle que l'intimée s'est appuyée sur les faits relatés par Pierre Montreuil dans la requête en révision judiciaire et, plus spécifiquement, dans l'affidavit pour tenter de démontrer que Pierre Montreuil, lorsque confronté à une situation stressante, est susceptible de décompensation, de se trouver vers la consommation d'alcool et de somnifères, d'avoir même des idées suicidaires.

[89] En outre, l'intimée a également mis en évidence le fait que dans sa requête, requête qu'il avait lui-même rédigée, Pierre Montreuil affirme qu'au moment du congédiement, il était engagé dans un processus de transsexualité et que cela avait altéré sa capacité. Interrogé par le Tribunal sur ce qu'il fallait comprendre de cet énoncé, Micheline Montreuil a affirmé qu'il n'y en avait pas à l'époque. Micheline Montreuil ajoutera qu'il s'agit uniquement d'un allégué, d'une structure juridique et ne constitue pas du témoignage.

[90] Le Tribunal note également que, dans la requête rédigée par Pierre Montreuil, ce dernier indique que, dans sa décision, l'arbitre a omis de mentionner que le Dr. Serge Côté, appelé comme témoin dans le cadre de l'audition du grief, a déclaré que l'état de Pierre Montreuil, au moment où il a remis sa démission, lui aurait sûrement permis de diagnostiquer le trouble d'identité, le stresseur important et le dysfonctionnement selon les axes 1, 4 et 5 du DSM-4 (Manuel diagnostique et statistique sur les troubles mentaux) avec en plus un trouble adaptatif avec un élément d'anxiété très marqué, tel qu'il appert du témoignage du Dr. Serge Côté. Le Tribunal note, en outre, que le Dr. Côté aurait expliqué en détail ce que sont les axes 1, 2, 3, 4 et 5 du DSM-4 et expliqué en quoi un diagnostic a posteriori était une pratique courante et que c'est même la seule pratique dans bien des cas.

[91] En ce qui concerne la véracité des faits contenus dans la requête en révision judiciaire et l'affidavit, tous deux signés par Pierre Montreuil, l'explication fournie à l'audition par Micheline Montreuil fut qu'une requête en révision judicaire est un document où l'on `triture les moindres virgules, les moindres points-virgules en vue de soutenir une position', où il n'y a pas de place pour aucune nuance. Micheline Montreuil ajoutera que, comme le critère de révision est celui de la décision manifestement déraisonnable, on se doit, dans ce type de requête, n'avoir `ni nuances, ni subtilités, mais uniquement être une construction juridique savante en vue d'arriver à un but'. Il ajoutera que `la requête en révision judiciaire triture les faits parce que l'on ne sort que les faits que l'on veut'.

[92] Et Micheline Montreuil de rajouter : une telle requête, la requête en révision judiciaire, ne se prête à aucune nuance, `elle constitue un réquisitoire des plus impitoyables et ne reflète jamais la quintessence des débats mais, au contraire, constitue une arme ou un sabre à un seul tranchant, relativement bien effilé; dans un seul but précis, à savoir couper court à un jugement d'autant plus qu'on n'est pas en matière d'appel, on est en matière de révision judicaire'. De l'avis du Tribunal, de tels propos viennent discréditer l'administration de la justice et saper la crédibilité de Micheline Montreuil dans ses recours judicaires.

[93] De tout ce qui précède, le Tribunal conclut que les faits contenus dans la requête en révision judiciaire, signée par Pierre Montreuil, et l'affidavit circonstancié du 21 juin 2000, également signé par ce dernier, doivent être tenus pour vrais et représentés la réalité de ce qui est réellement survenu avant, pendant et après la démission de Pierre Montreuil du Collège Garneau, nonobstant la position prise par Micheline Montreuil par rapports à ces documents Les faits, à tout le moins ceux contenus dans l'affidavit circonstancié, doivent être tenus pour vrais, sous réserve d'une preuve contraire.

b) Le rapport du Dr. Serge Côté

[94] Dans le cadre de la présente instance, le rapport rédigé le 18 mars 1998 par le Dr. Serge Côté dans le cadre du grief déposé par Pierre Montreuil contre le Collège Garneau a fait l'objet d'un important débat. Il importe de rappeler ici que les médecins des Forces canadiennes n'ont jamais, lors de leur évaluation du dossier de Micheline Montreuil, été mis au courant de l'épisode du Collège Garneau, ni de l'existence du rapport psychiatrique du Dr. Côté. Il importe également de préciser que le Dr. Assalian, expert de l'intimée, en a pris connaissance dans le cadre de son mandat d'expert et a produit un ajout à son rapport qui porte exclusivement sur le rapport du Dr. Côté.

[95] Dans le cadre de la présente instance, le Dr. Côté, assigné comme témoin par l'intimée, fut appelé à expliquer la portée et les circonstances entourant la rédaction de son rapport. En ce qui a trait au rapport d'expertise du Dr. Côté, la preuve révèle clairement que ce rapport fut rédigé à la seule fin d'établir si Pierre Montreuil était, au moment de la signature de sa démission, apte à donner un consentement libre et éclairé, plus précisément si le court délai accordé à Pierre Montreuil pour prendre une décision avait pu générer suffisamment de stress pour faire en sorte que ce stress viciait la possibilité de donner un consentement libre et éclairé.

[96] Dans son rapport, le Dr. Côté indique qu'il a rencontré Pierre Montreuil à la demande de ce dernier le 18 mars 1998 dans le but de vérifier son aptitude à donner un consentement (libre et éclairé) le 4 décembre 1997 lors de sa démission du Collège Garneau après que les autorités du Collège aient eu vent du fait qu'il avait été vu travesti en femme dans un party d'Halloween avec des étudiants. Lors de son témoignage, Micheline Montreuil a affirmé que sa rencontre avec le Dr. Côté avait duré environ trois, quatre heures, que celui-ci voulait évaluer s'il présentait une maladie mentale ou était dans une situation stressante.

[97] Pour l'essentiel, le rapport fait état des propos que Pierre Montreuil a tenu devant lui dans le cadre de l'entrevue. Sur la base de ces propos, le Dr. Côté note que Pierre Montreuil a une problématique de travesti depuis de nombreuses années, que le tout remonte à l'âge de 13 ans, que Pierre Montreuil lui indique qu'il a cinq parties à l'intérieur de lui : la partie féminine, Micheline ; la partie travesti ; une tendance à être princesse parce que c'est surtout dans ce contexte qu'il se présente à l'extérieur lorsqu'il devient Micheline ; la partie mauvais caractère aussi de Micheline ; et enfin la partie mâle. Le Dr. Côté note que pour Pierre Montreuil, il y a là un mélange harmonieux.

[98] Le Dr. Côté note, sur la base des informations que lui transmet Pierre Montreuil, qu'en date du 3 décembre 1997, Pierre Montreuil vit beaucoup d'anxiété, beaucoup d'insécurité, qu'il a de la difficulté à dormir, qu'il réussit à dormir lorsqu'il reprend son identité de femme, Micheline étant plus calme, que Pierre est pris avec son problème et que c'est Micheline qui prend le dessus à ce moment-là, que Pierre Montreuil éprouvait en date du 3 décembre 1997 beaucoup de tension et d'insécurité.

[99] Procédant à l'évaluation de Micheline Montreuil, le Dr. Côté indique dans son rapport que Pierre Montreuil, en date du 18 mars 1998, a un examen mental tout à fait normal dans le sens qu'il n'y a pas de structure dépressive, que l'affect est approprié, qu'il existe une certaine anxiété qui est normale, que le seul point est le fait que Pierre Montreuil peut se sentir aussi bien, parfois mieux lorsqu'il devient Micheline mais qu'il se sent à l'aise aussi dans son identité de Pierre Montreuil. Suit l'opinion du Dr. Côté en ce qui a trait à l'état de Pierre Montreuil lorsqu'il a démissionné du Collège Garneau.

[100] Dans son rapport, le Dr. Côté indique que Pierre Montreuil n'était pas atteint de pathologie mentale grave comme la schizophrénie ou un trouble bipolaire. Toutefois, le Dr. Côté est d'opinion que l'annonce brusque de la nécessité de prendre une décision rapide, ayant un impact important sur sa vie, a soulevé beaucoup d'anxiété, d'insécurité, de tristesse. Il indique que Pierre Montreuil semblait être dans un état de stress important, confronté pour la première fois à sa vie à double identité. Le Dr. Côté conclut qu'en raison de l'anxiété, d'une tristesse temporaire, de beaucoup d'insécurité, Pierre Montreuil était incapable de en date du 4 décembre 1997 de prendre une décision éclairée parce qu'il n'avait pas la capacité de réfléchir adéquatement à sa situation.

[101] La preuve révèle que le Dr. Assalian, expert de l'intimée, a pris connaissance, pour les fins de son témoignage, de l'expertise du Dr. Côté. Il en a conclu, malheureusement, que les passages portant sur les cinq parties à l'intérieur de Pierre Montreuil étaient des constatations que le Dr. Côté avait lui-même fait lors de son évaluation de Pierre Montreuil alors que la preuve révèle qu'il s'agit en fait d'informations ou d'impressions relatées par Pierre Montreuil lors de l'entrevue. Cette méprise a conduit le Dr. Assalian, à tort, à indiquer dans son rapport que son évaluation quant à la personnalité de Micheline Montreuil était confortée par l'évaluation psychiatrique faite par le Dr. Côté.

[102] Par ailleurs, en rapport avec la rédaction du rapport du Dr. Côté, la preuve révèle que ce n'est pas le Dr. Côté qui a déterminé la problématique relative au grief mais, comme en témoigne Micheline Montreuil, Pierre Montreuil et le syndicat. À cet égard, Micheline Montreuil dira dans son témoignage que la question qui fut posée par lui-même et le syndicat au Dr. Côté fut la suivante : `Êtes-vous capable de démontrer que le manque de temps a empêché Pierre Montreuil de donner un consentement libre et éclairé?'

[103] À cet égard, lors de son témoignage, Micheline Montreuil a expliqué que, pour passer outre au délai de rigueur concernant le dépôt d'un grief, délai qui n'avait pas été respecté, il lui fallait `invoquer une inaptitude quelle qu'elle soit, mais une inaptitude qui devait obligatoirement être soutenue par un rapport médical afin de couvrir le défaut de dépôt du grief dans le délai prévu'.

[104] Micheline Montreuil a ainsi expliqué qu'en faisant référence à une rencontre médicale, soit celle qui aurait lieu avec le Dr. Côté, le dépôt du rapport d'expertise faisait en sorte que le délai de 30 jours pour le dépôt de son grief commençait à courir de la date du dépôt de l'expertise. Au demeurant, Micheline Montreuil affirmera que `toute la question de l'incapacité servait purement et simplement à couvrir le problème de la prescription'.

[105] De ce qui précède, le Tribunal conclut 1. que Pierre Montreuil, à l'époque du grief, a obtenu du Dr. Côté un rapport qui visait essentiellement à couvrir un problème de prescription affirmant, à cet égard, que `la question de l'incapacité servait purement et simplement à couvrir le problème de la prescription', 2. que c'est lui, Pierre Montreuil, et le syndicat qui ont défini le but visé par la production d'un rapport médical. Le Tribunal voit dans ces éléments plus qu'une subtile odeur de manipulation de tiers.

[106] Par ailleurs, le Tribunal demeure perplexe quant à l'évaluation faite par le Dr. Côté de la condition psychiatrique de Pierre Montreuil à l'époque du grief. Dans son rapport du 18 mars 1998, le Dr. Côté indique que Micheline Montreuil présente un examen mental tout à fait normal dans le sens qu'il n'y a pas de structure dépressive, que l'affect est approprié, qu'il existe une certaine anxiété qui est normale et que Pierre Montreuil n'était pas atteint de pathologie mentale grave comme la schizophrénie ou un trouble bipolaire. Toutefois, lorsque l'on considère les faits rapportés dans la requête en révision judiciaire signée par Pierre Montreuil, le 1er mars 2000, on constate que celui-ci aurait déclaré dans le cadre de l'audition du grief (Requête en révision judiciaire, par. 137.10) que l'état du plaignant lui aurait sûrement permis de diagnostiquer rétrospectivement, selon les axes 1, 4 et 5 du DSM-4, le trouble de l'identité, le stresseur important et le dysfonctionnement avec en plus un trouble adaptatif avec un élément d'anxiété très marqué, tel qu'il appert du témoignage du Dr. Côté, page 356 à page 358 des notes sténographiques).

[107] Le Tribunal n'a aucune raison de croire que le Dr. Côté n'a pas tenu ces propos, bien qu'il n'ait pas été interrogé sur cet aspect dans le cadre de la présente audition. Il n'en demeure pas moins que la requête en révision judicaire a été signée à l'époque par Pierre Montreuil lui-même et que, bien qu'il ait été porté à accentuer certains faits, comme il l'a déclaré en la présente instance, les propos dont il est ici question seraient ceux tenus par le Dr. Côté et non Pierre Montreuil.

B. Les exigences militaires

[108] Dans le cadre de l'audition de la présente plainte, le Tribunal s'est déplacé, ainsi que les parties, à la base militaire de Valcartier afin d'assister à diverses activités militaires, plus particulièrement une activité reliée au conditionnement physique des militaires, marche forcée notamment, des exercices de tir et un bivouac, ainsi que des manoeuvres militaires d'attaque. Sur la base de Valcartier, le Tribunal et les parties étaient accompagnés d'un officier en charge de la visite des lieux.

[109] Le but du déplacement était de permettre au Tribunal de mieux saisir trois aspects du contexte militaire, soit le principe de l'universalité du service, les exigences médicales dans leur vécu réel et ce que comporte le poste d'officier logistique, poste pour lequel Micheline Montreuil a demandé d'être enrôlé et qui demeure en litige.

[110] Cela dit, la preuve démontre que la personne qui entend s'enrôler dans les Forces canadiennes doit satisfaire à certaines exigences de base. Il lui faut d'abord se soumettre au processus d'évaluation de sa demande d'enrôlement, satisfaire au principe de l'universalité du service ainsi qu'aux normes médicales communes à l'enrôlement et au groupe professionnel militaire dans lequel elle veut s'enrôler, ne pas se voir assigner des limitations médicales à l'emploi qui l'empêcheraient de satisfaire au principe de l'universalité du service et d'exécuter les tâches communes décrites à l'Énoncé de tâches communes des Forces. Chacun de ces éléments sera analysé à tour de rôle en plus du profil médical de Micheline Montreuil.

(i) Le processus d'évaluation des demandes

[111] Il appert du témoignage du Major Labonté, appelé comme témoin par l'intimée, que la personne qui désire s'enrôler dans les Forces canadiennes doit adresser une demande en ce sens à un centre de recrutement. Par la suite, la personne doit se présenter au centre de recrutement, y compléter un questionnaire sur sa condition médicale, y subir des tests et se soumettre à un examen médical par un adjoint au médecin. Par la suite, le dossier médical de la personne est acheminé à un officier médical au recrutement qui accorde une catégorie médicale à la personne. Subséquemment, le dossier est retourné au centre de recrutement qui, à la lumière des informations obtenues de l'officier médical au recrutement ou d'une autorité supérieure, procède ou non à l'enrôlement de la personne.

[112] Suivant la preuve, l'examen médical est valide pour une période d'un an. Si un candidat n'a pas été enrôlé à l'intérieur de cette période de temps, il doit faire une nouvelle demande d'enrôlement et passer un nouvel examen médical. La preuve révèle que ce fut le cas pour Micheline Montreuil qui dut se soumettre à un nouvel examen médical en 2001 après un premier examen subi en 1999.

(ii) Le principe de l'universalité du service

[113] L'universalité du service est une expression désignant un ensemble de principes qui régissent l'emploi des membres des Forces canadiennes. Les trois principes essentiels sont les suivants : 1. peu importe leur métier ou leur profession, les membres des Forces canadiennes sont d'abord et avant tout des soldats, 2. le soldat doit être prêt à servir en tout temps, en tout lieu et dans toutes les conditions, 3. l'obligation est universelle en ce sens qu'elle s'applique à tous les membres des Forces canadiennes.

[114] Le principe de l'universalité du service tire sa source de l'article 33 de la Loi sur la défense nationale, précité, qui édicte que `la force régulière, ses unités et autres éléments, ainsi que tous ses officiers et militaires du rang, sont en permanence soumis à l'obligation de service légitime'. L'importance fondamentale du principe à l'égard du fonctionnement et de l'efficacité des Forces canadiennes est reconnue au paragraphe 15(9) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, précité, qui prescrit que l'obligation prévue au paragraphe 15(2) de la loi de prendre des mesures d'adaptation est assujettie au principe de l'universalité du service selon lequel les militaires doivent être en mesure de pouvoir accomplir en tout temps et en toutes circonstances les fonctions qui peuvent leur être demandées.

[115] Pour les Forces canadiennes, le principe d'universalité du service est au coeur du présent litige parce que de ce principe découlent des exigences médicales très élevées en ce qui concerne les membres des Forces canadiennes.

[116] Dans la présente instance, le principe de l'universalité du service, aussi appelé obligation de service légitime, fit l'objet de commentaires tant de la part du Major Labonté que de la part du Colonel Fletcher. Le Colonel Fletcher a indiqué, au début de son témoignage, qu'il n'avait aucunement été impliqué dans le dossier de Micheline Montreuil.

[117] Dans son témoignage, le Colonel Fletcher a indiqué que le principe de l'universalité du service concerne d'abord les militaires en service et, par extension, toute personne qui veut s'enrôler dans les Forces canadiennes. Cette position est supportée par la jurisprudence. Ainsi, dans Commission canadienne des droits de la personne c. Forces armées canadiennes, [1994] 3. C.F. 188, M. le juge Robertson a exprimé l'opinion de n'avoir aucune objection à adopter la politique du `soldat d'abord' dans le contexte du recrutement.

[118] Le principe de l'universalité du service est décrit dans divers documents provenant des Forces canadiennes, notamment l'un intitulé Universalité du service (DOAD 5023-0), un autre intitulé Principe de l'universalité du service (CANFORGEN 011/00) et enfin un dernier intitulé Critères minimaux d'efficacité opérationnelle liés à l'universalité du service (DOAD 5023-1).

[119] Cela dit, le principe de l'universalité du service et de ses exigences a été, à plusieurs reprises, reconnu et sanctionné par les tribunaux (Canada (Procureur général) c. Robinson, [1994] 3 C.F. 228 (C.A.F.), Canada (Attorney-General) v. St-Thomas et al., 109 D.L.R. (4th) 671). Ainsi, dans Canada (Procureur général) c. Robinson, précité, le M. le juge Stone a rappelé que le membre des Forces canadiennes était d'abord et avant tout un soldat, qu'en tant que tel `il devait vivre et travailler dans des conditions inconnues dans la vie civile et être capable de fonctionner, à bref délai, dans des conditions de stress physique et émotionnel extrême et dans des endroits où des installations médicales n'étaient peut-être pas disponibles aux fins de traitement de sa maladie ou, si elles l'étaient, peut-être pas adéquates. M. le juge Stone ajoute que l'obligation de service légitime qui découle du principe du soldat d'abord est très bien comprise au sein des Forces canadiennes.

[120] Ainsi, même les militaires qui exercent des rôles de soutien, on peut penser ici à l'officier de la logistique, n'en sont pas exemptés puisque l'obligation est édictée par la loi. Non plus que la personne qui veut s'enrôler dans les Forces canadiennes comme musicien (Commission canadienne des droits de la personne c. Forces armées canadiennes, précité). Dans cet arrêt, M. juge Robertson souligne que les personnes qui essaient de s'enrôler dans les Forces canadiennes doivent tenir pour acquis qu'elles seront appelées à s'acquitter de tâches militaires et que, par conséquent, bien qu'on puisse prétendre de façon persuasive que les musiciens ont très peu de chances de se retrouver dans une situation de combat, il ne faut attribuer aucune pertinence à cet élément dans l'évaluation du risque associé à une personne.

[121] Le principe de l'universalité du service sous-entend que les militaires doivent exécuter les tâches militaires d'ordre général ainsi que les tâches de leur groupe professionnel militaire (GPM). Selon le Colonel Fletcher, un membre des Forces canadiennes est d'abord et avant tout un soldat avant d'être quelqu'un qui occupe un métier. Lors de son témoignage, le Colonel Fletcher a précisé, en outre, que tous les membres des Forces canadiennes sont tenus de servir en tant que soldat au temps et au lieu déterminés par les autorités gouvernementales canadiennes.

[122] Selon le principe de l'universalité du service, tout le personnel des Forces canadiennes doit être mis en condition de faire face au stress imposé par des opérations soutenues dans des conditions de travail défavorables et être suffisamment en forme et en santé pour réagir dans un bref délai. Sinon, la capacité des Forces canadiennes à monter et à soutenir des opérations et leur flexibilité à cet égard seront réduites.

[123] En ce qui a trait à l'universalité du service, le Colonel Fletcher expliquera que ce concept regroupe trois éléments, soit l'aspect condition physique, l'aspect employabilité et l'aspect aptitude au déploiement. Pour le Colonel Fletcher, il existe une composante médicale en ce qui concerne les critères de l'employabilité et de l'aptitude au déploiement. Selon le Colonel Fletcher, l'employabilité concerne le facteur O du profil médical d'une personne, soit la capacité d'effectuer certaines tâches alors que le facteur G est davantage relié au critère de l'aptitude au déploiement. Pour les fins du présent dossier, il importe de se rappeler que la preuve révèle que l'aptitude de Micheline Montreuil à effectuer certaines tâches n'est pas en cause.

[124] En ce qui concerne le critère de la bonne condition physique, il faut que le militaire satisfasse aux exigences communes de condition physique du service militaire général en atteignant les normes d'aptitude physiques minimales. Dans son témoignage, le Colonel Fletcher indiquera, à cet égard, qu'un membre des Forces canadiennes doit pouvoir exécuter des tâches physiques associées à son métier en conformité avec l'Énoncé de tâches communes des Forces. Selon le Colonel Fletcher, une très grande importance est accordée à la condition physique et les membres des Forces sont tenus de se maintenir en forme.

[125] Par ailleurs, en ce qui concerne le critère de l'employabilité, tous les membres doivent être suffisamment formés et en forme pour accomplir les tâches principales et les fonctions générales et être en mesure de suivre l'instruction supplémentaire qui peut être nécessaire au respect des normes supérieures exigées par les commandants des commandements à l'appui de leurs besoins uniques en matière d'opération et d'instruction. En matière d'employabilité, il faut que le militaire soit en mesure d'effectuer les éléments de compétence professionnelle des tâches essentielles opérationnelles communes et n'avoir aucune contrainte à l'emploi pour raisons médicales empêchant d'accomplir les tâches essentielles. En d'autres termes, selon le Colonel Fletcher, tout militaire doit être médicalement apte à accomplir les tâches décrites dans l'Énoncé de tâches communes.

[126] En ce qui concerne enfin l'aptitude au déploiement, il faut que les militaires soient en mesure d'exercer leurs fonctions dans toute la gamme d'emplacements géographiques et de conditions climatiques et ce, dans n'importe quel environnement physique, d'exercer leurs fonctions dans des conditions de stress physique et mental, d'exercer leurs fonctions avec un appui médical minimal, notamment dans les conditions suivantes : 1. des soins d'une fréquence limitée, une proximité limitée au soins médicaux, sur les plans de la distance ou du temps de déplacement, l'impossibilité de prendre à temps des médicaments prescrits.

[127] Dans son témoignage, le Colonel Fletcher a insisté sur le fait qu'un militaire est à la fois un individu et un membre d'une équipe et que les militaires doivent, en terrain d'opération, pouvoir compter les uns sur les autres. Ainsi, tout membre susceptible de mal réagir en situation de stress ne sera pas une personne sur qui on peut compter. En outre, le Colonel Fletcher insistera dans son témoignage sur l'importance pour un militaire de pouvoir accomplir les tâches auxquelles il est assujetti et notera, en se référant au document intitulé Lignes de conduite pour le maintien en fonction des militaires qui ont une limitation d'emploi, que les militaires qui ne peuvent pas accomplir les tâches qu'ils sont tenus d'accomplir à cause d'une limitation d'emploi sont moins aptes au travail que les autres et constituent un fardeau directement ou indirectement pour leurs collègues.

[128] Par ailleurs, le Colonel Fletcher a reconnu qu'il peut y avoir, à l'égard d'individus qui sont membres des Forces canadiennes seulement, des exceptions au principe de l'universalité du service à certaines conditions. Toutefois, ces exceptions sont limitées dans le temps. Il ajoutera dans son témoignage que l'obligation d'accommodement en matière d'emploi ne s'applique qu'aux membres des Forces canadiennes et non aux personnes qui désirent s'enrôler dans les Forces canadiennes. Le Colonel Fletcher n'a pas été contredit sur ce point et son interprétation prouvée erronée.

[129] Enfin, il appert du témoignage du Colonel Fletcher que les Forces canadiennes n'ont pas de politique sur les personnes transgenres. Cela dit, le Colonel Fletcher indiquera dans son témoignage que les Forces canadiennes sont néanmoins assujetties à la Loi canadienne sur les droits de la personne et à ses exigences de non discrimination.

(iii) Le profil médical

[130] Dans le cadre de la preuve produite dans le présent dossier, le Tribunal a pris connaissance des normes médicales applicables aux Forces canadiennes, contenues dans OAFC 34-30 et PFC-154, ainsi que du système de profil médical des Forces canadiennes, contenu dans PFC-154. Il a également pu bénéficier du témoignage du Dr. Newnham, officier médical au recrutement, qui est venue expliquer les différentes catégories médicales qui constituent le profil médical. Dans son témoignage, le Dr. Newnham indique que le document PFC-154 constitue son guide plus que le document OAFC 34-30 dans l'évaluation qu'elle fait des dossiers qui lui sont soumis.

[131] Par ailleurs, fut également mis en preuve le document intitulé Normes médicales applicables à l'enrôlement aux Forces canadiennes, daté du 23 avril 2004. La première page du document indique que le document vient remplacer le document OAFC 34-30 qui était en vigueur au moment de la demande d'enrôlement de Micheline Montreuil. Le Tribunal n'en tiendra donc pas compte dans le cadre de son analyse des normes médicales applicables en l'espèce.

a) Les normes médicales communes à l'enrôlement

[132] Le document portant sur les normes médicales applicables aux Forces canadiennes (OAFC 34-30) présente une synthèse du système de normes médicales applicables aux recrues et aux militaires en services dans les Forces canadiennes. Selon le document, les normes médicales sont exprimées selon un système de cotes numériques ayant pour objet de présenter aux autorités en matière d'administration et d'emploi des militaires une évaluation concise, au point de vue médical, des possibilités d'emploi des recrues et des militaires en service. La catégorie médicale ou le profil médical comprend l'année de naissance (YOB) et six facteurs auxquels est associée une valeur numérique, soit

V : acuité visuelle 4

CV : perception ou vision des couleurs 3

H : ouïe ou acuité auditive 2

G : facteur géographique 2

O : facteur professionnel 2

A : aptitude au vol 5

[133] Selon le document, la catégorie médicale d'un militaire ou d'une recrue est établie selon les résultats de l'examen médical et de l'appréciation effectuée eu égard à certaines prescriptions. Un candidat à l'enrôlement doit, selon la preuve, satisfaire à une norme médicale commune afin de demeurer disponible à l'emploi dans le plus grand nombre de groupes professionnels militaires possibles (GPM). Ainsi donc, pour être enrôlé dans les Forces canadiennes, le postulant doit présenter le profil médical suivant ou satisfaire aux normes médicales communes à l'enrôlement suivantes et ce, suivant le Major Labonté, peu importe l'emploi postulé dans les Forces canadiennes : V4 CV3 O2 G2 O2 A5.

[134] Cela dit, le document intitulé Normes médicales minimales applicables aux officiers indique que, pour le groupe professionnel militaire (GPM) 67 Droit, le profil médical exigé est G3O3 et, pour le groupe professionnel militaire (GPM) 78 Logistique, le profil médical requis est G3O3. À cet égard, le Major Labonté indiquera dans son témoignage qu'il est possible d'obtenir une dispense administrative ou une dérogation des normes médicales communes à l'enrôlement en autant que la personne rencontre les critères d'exception établis par l'administration.

[135] En ce qui concerne le présent dossier, la preuve révèle que ce sont les facteurs géographiques (G) et occupationnel (O), plus particulièrement le facteur G qui sont pertinents et qu'il importe de décrire plus amplement pour la bonne compréhension du dossier.

[136] Le facteur G ou géographique est fondé sur les répercussions que l'environnement, le logement, les conditions de vie et les soins médicaux disponibles pourraient avoir sur l'état de santé du militaire. Ce facteur est évalué selon une cote de 1 à 6: plus la cote est élevée, plus grandes sont les restrictions d'emploi. Par exemple, la cote G1 indique qu'il n'existe aucune restriction tandis que la cote G4 ne permet pas à un militaire de servir en mer, dans un endroit isolé ou dans un endroit où il est difficile d'avoir les services d'un médecin.

[137] Le facteur O ou professionnel est fondé sur le principe que tout emploi suppose une activité physique et intellectuelle et une tension nerveuse. Une invalidité physique ou un trouble mental peut diminuer les capacités d'une personne et lui nuire dans l'exercice de ses fonctions. Le facteur professionnel est évalué selon une cote de 1 à 6; plus la cote est élevée, plus grandes sont les restrictions d'emploi. Par exemple, la cote 01 indique une condition générale supérieure à la moyenne tandis que la cote 04 indique que l'intéressé peut effectuer uniquement de menus travaux parce qu'il souffre d'une incapacité physique ou qu'il a montré qu'il ne peut s'adapter, sur le plan psychologique, à des tâches plus ardues, pendant une période prolongée, lorsqu'il est soumis à une pression quelconque.

[138] La preuve révèle que la catégorie O2 est attribuée à un militaire qui ne fait l'objet d'aucune restriction à l'emploi pour des raisons médicales, ou qui fait l'objet de restrictions mineures à l'emploi qui ne l'empêchent pas de satisfaire à toutes les exigences de l'Énoncé de tâches communes et de l'Énoncé de tâches de son groupe professionnel militaire (GPM). La preuve révèle que Micheline Montreuil au terme de ses différentes évaluations médicales s'est toujours vu attribuer la cote O2.

b) Le système du profil médical

[139] Le document PFC-154 indique qu'il est conçu pour assister le personnel médical dans l'examen et l'évaluation de l'état de santé et l'attribution de restrictions particulières à l'emploi. Le système du profil médical, tel que décrit dans le document PFC-154, établit les éléments propres à chacun des facteurs décrits ci-dessus. En outre, il oriente les professionnels de la santé et la chaîne de commandement des Forces canadiennes en ce qui concerne les normes médicales applicables aux membres des Forces canadiennes en fonction d'impératifs militaires prédéterminés.

[140] Étant donné que, dans le cas précis de Micheline Montreuil, le seul facteur pertinent est le facteur géographique, seul ce facteur sera plus amplement décrit.

[141] En ce qui concerne le facteur géographique, il est dit, dans la documentation consultée, qu'il est essentiel de déterminer dans quels endroits le militaire peut exercer ses fonctions sans perte appréciable d'efficacité et sans risque indu pour sa santé et celle d'autrui. La documentation identifie trois éléments en cause en ce qui a trait au facteur G. Ce sont le climat, le logement et les conditions de vie et l'accessibilité des soins médicaux. En ce qui concerne Micheline Montreuil, c'est l'élément accessibilité à des soins médicaux qui est en cause.

[142] Il est indiqué dans la documentation consultée en ce qui a trait à l'accessibilité à des soins médicaux que, que le militaire participe à un conflit armé ou qu'il soit affecté dans un poste isolé en temps de paix, le niveau de soins médicaux dont il a besoin constitue un facteur important dans l'évaluation de son état médical et aussi un élément déterminant de l'attribution du facteur géographique approprié. Le document décrit, par ailleurs, les cotes relatives au facteur géographique.

[143] La cote G1 est attribuée au militaire qui satisfait aux exigences médicales les plus rigoureuses imposées dans le cas de fonctions uniques, comme l'entraînement de l'astronaute.

[144] La cote G2 est attribuée au militaire

  1. qui ne fait l'objet d'aucune restriction d'ordre géographique pour des raisons médicales; et
  2. qui est jugé en santé et qui n'a besoin que de services médicaux usuels ou périodiques.

[145] La cote G3 est attribuée au militaire

  1. qui est jugé apte au service en campagne, en mer, dans les postes isolés, et aux tâches opérationnelles pendant des périodes allant jusqu'à six mois,
  2. qui a besoin de soins médicaux prévus de la part d'un médecin militaire, mais pas plus souvent que tous les six mois,
  3. qui fait l'objet d'une restriction découlant d'un état médical ne présentant pas de risque inacceptable pour la santé et sa sécurité ni pour celles d'autrui dans le milieu d'opération ou de travail,
  4. qui a besoin et qui prend des médicaments d'ordonnance dont la privation imprévue (non-accessibilité) n'entraînerait pas de risque inacceptable pour sa santé et sa sécurité, et/ou
  5. est jugé inapte au service dans un élément, par exemple, les militaires souffrant du mal de mer.

[146] La cote G4 est attribuée au militaire

  1. qui en raison de restrictions inhérentes à son état médical ou du risque inacceptable que pose le milieu opérationnel pour sa santé et sa sécurité et celles d'autrui, est jugé inapte au service dans deux ou plus éléments,
  2. qui peut être tenu de prendre des médicaments d'ordonnance et qui pourrait probablement créer un risque inacceptable pour sa santé et sa sécurité et (ou) celles d'autrui s'il était privé de manière imprévue de ces médicaments, ne serait-ce que pendant quelques jours ;
  3. qui peut avoir besoin de se trouver à proximité des services médicaux ou d'avoir facilement accès aux services d'un médecin; et (ou)
  4. qui doit généralement recevoir des soins médicaux prévus de la part d'un médecin plus souvent que tous les six mois.

[147] La cote G5 est attribuée au militaire

  1. qui doit recevoir des soins prévus de la part d'un spécialiste plus souvent que tous les six mois ; et
  2. qui est jugé inapte au service en mer ou en campagne, au service dans un poste isolé et (ou) aux tâches opérationnelles.

La preuve révèle que l'élément b n'est plus appliqué en ce qui concerne la cote G5.

[148] La cote G6 est attribuée au militaire qui est jugé inapte au travail en quelque endroit que ce soit.

[149] Selon le Dr. Newnham, il revient à l'officier médical au recrutement et, éventuellement, à l'autorité supérieure, soit le Directeur - Politique de santé (DMEDPOL) de statuer sur le profil médical d'une personne qui désire s'enrôler. Cela dit, selon le témoignage du Dr. Newnham, il revient au centre de recrutement de déterminer, eu égard au profil médical assigné, si une personne est apte ou inapte à l'enrôlement.

[150] En ce qui concerne le profil médical G3, le Dr. Newnham explique, dans son témoignage, les critères suivant lesquels une personne se verra attribuer le profil médical G3. Elle indique que lorsqu'un profil G3 est attribué, en règle générale, ce sont les éléments b, c et d qui sont pris en considération, surtout les éléments b et d.

[151] Appelée à commenter le profil médical G4, notamment la notion de risque inacceptable, le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage que ce risque ne sous-entend pas nécessairement l'existence d'une condition médicale sérieuse, mais signifie que le risque est inacceptable. En conséquence, pour le Dr. Newhnam, peu importe la condition médicale, la possibilité qu'il y ait une détérioration de la condition d'un militaire place le militaire et autrui dans une condition de risque inacceptable.

[152] En ce qui concerne l'élément b de la cote G4 qui concerne la prise de médicament, le Dr. Newnham expliquera que la différence entre la cote G3 et la cote G4 porte sur le fait qu'avec la cote G3, il n'y a pas de risque inacceptable alors qu'il y en a un avec la cote G4.

[153] Le Dr. Newnham expliquera, par ailleurs, en ce qui concerne le profil médical G5 qu'on ne considère plus l'environnement (terre ou mer) lorsque l'on établit les limitations. Elle ajoutera que l'on écrira généralement en ce qui concerne cette catégorie que le membre a une condition médicale chronique qui peut placer le membre ou autrui dans une situation de risque inacceptable et que, de toute façon, la description de la limitation est ajustée à la condition particulière que présente le militaire Pour le Dr. Newnham, les éléments du profil médical sont de fait des guidelines, des guides dans la détermination des limitations.

[154] En ce qui concerne le dossier à l'enrôlement de Micheline Montreuil, la preuve établit, tel que vu précédemment, que c'est le facteur G qui est en cause et non le facteur O. Selon le témoignage du Dr. Newnham, le facteur O concerne notamment les tâches communes que doit effectuer tout militaire. Le Dr. Newnham indiquera, à cet égard, dans son témoignage que Micheline Montreuil, d'un point de vue occupationnel, rencontrait les exigences physiques de l'Énoncé de tâches communes, d'où le profil O2 qui lui fut attribué. Dans ce contexte, il n'est donc pas nécessaire pour le Tribunal de se pencher plus amplement sur le facteur occupationnel.

(iv) Les restrictions médicales à l'emploi

[155] En rapport avec les restrictions médicales à l'emploi qui peuvent être imposées à un militaire, fut mis en preuve un document intitulé États médicaux nécessitant des restrictions à l'emploi. Ce document identifie certains états médicaux dont les manifestations peuvent avoir des répercussions sur l'emploi. Parmi ceux-ci, se trouvent les troubles mentaux qui comprennent les troubles de la personnalité et les facteurs de stress. Ces deux éléments sont plus amplement décrits dans le document.

[156] Sous la rubrique Troubles mentaux, on retrouve ce qui suit :

  1. Les troubles mentaux répertoriés dans la dernière édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV) doivent être traités comme des problèmes médicaux et l'on doit appliquer les restrictions à l'emploi et le profil médical appropriés au besoin.
  2. Dans le cas de troubles mentaux récurrents, le profil médical (restrictif) approprié doit être maintenu, sauf s'il est absolument certain que d'autres récurrences ne surviendront pas.
  3. Si les conséquences d'une mauvaise décision peuvent mettre en danger la vie d'autres personnes, il faut plutôt faire preuve de prudence dans l'attribution des restrictions médicales à l'emploi.

[157] Sous la rubrique Troubles de la personnalité, on peut lire ce qui suit :

  1. Ces troubles sont classés comme des problèmes médicaux (psychiatriques) et ils sont traités comme toute autre maladie.
  2. Des restrictions à l'emploi appropriées doivent être définies dans le but d'assurer la santé et la sécurité du militaire, de réduire les risques pour ses collègues et d'éviter de compromettre les opérations.
  3. Comme dans tout autre état médical, les restrictions peuvent changer avec le temps.

(v) Les groupes professionnels militaires (GPM)

[158] La preuve révèle que la personne qui veut s'enrôler dans les Forces canadiennes le fait en fonction d'un groupe professionnel militaire particulier (GPM). Lors de son témoignage, le Major Labonté a longuement décrit les groupes professionnels militaires qui existent au sein des Forces canadiennes notamment les exigences associées au groupe professionnel militaire de la logistique (GPM LOG 69).

[159] Dans le présent dossier, la preuve révèle qu'initialement, en 1999, Micheline Montreuil a fait application dans les Forces canadiennes en vue d'obtenir un poste d'avocat militaire (GPM DROIT 67) au sein du Bureau du Juge-avocat général mais que sa candidature ne fut pas retenue. Il a fait, par la suite, suivant la preuve, une demande d'enrôlement afin de devenir officier de la logistique (GPM LOG 69).

[160] Le Manuel de la structure des groupes professionnels militaires des Forces canadiennes - Description basée sur les emplois du groupe professionnel de la logistique, mis en preuve en la présente instance, décrit la structure des groupes professionnels militaires au sein du groupe logistique, les exigences professionnelles, les conditions de travail, ainsi que certaines exigences particulières.

[161] En ce qui concerne les fonctions de l'officier de la logistique, celles-ci sont décrites, en outre, dans un document provenant des Forces canadiennes et affiché sur son site internet. Il y est mentionné que l'officier de la logistique travaille dans une ou plusieurs des cinq principales disciplines suivantes : la gestion de la chaîne d'approvisionnement, le transport, la gestion des ressources humaines, les finances et les services de l'alimentation.

[162] Au chapitre des conditions de travail, il est précisé dans le Manuel de la structure des groupes professionnels militaires que les officiers de la logistique, lorsqu'ils assurent l'appui aux opérations, peuvent travailler dans des conditions hostiles, sont exposés à des situations qui peuvent causer la mort, des blessures ou une invalidité, à des situations de stress psychologique et physique.

[163] En ce qui concerne les exigences particulières, le Manuel indique que les normes médicales minimales exigées lors de l'affectation initiale au groupe professionnel militaire LOG sont V4 CV3 H3 G3 O3 A5.

[164] A cet égard, la preuve révèle que si une personne se voit attribuer la cote médicale G3O2, par exemple, et que le candidat désire s'enrôler comme officier de la logistique, il lui est possible d'obtenir une dispense administrative en ce qui concerne la norme médicale commune à l'enrôlement en autant que la limitation à l'emploi qui est imposée le permet. Toutefois, la personne qui se voit attribuer la cote médicale G5 ne peut bénéficier d'une telle dispense, selon le témoignage du Major Labonté.

(vi) L'Énoncé de taches communes

[165] L'Énoncé de tâches communes est constitué d'une série de tâches qu'un militaire ou une personne qui désire s'enrôler dans les Forces canadiennes doit être en mesure d'exécuter. L'Énoncé de tâches communes est constitué de deux tableaux, l'un associé à des facteurs physiques, l'autre à des facteurs de stress. Chacun comprend une série d'énoncés portant sur la capacité d'une personne à effectuer certaines tâches clairement définies.

[166] La remarque générale qui précède les tableaux indique que les militaires servent dans une variété de milieux géographiques et de conditions climatiques qui font que les membres des Forces canadiennes doivent être en mesure de faire face aux stress qu'imposent des opérations prolongées et être physiquement prêts à intervenir dans des délais minimes. Il y est également indiqué que les tableaux élaborent les exigences en matière d'aptitude à l'emploi et au déploiement de l'universalité du service.

[167] Selon la remarque générale, les facteurs physiques sont révélateurs des efforts extrêmes et de l'amplitude des mouvements qui sont exigés de tous les membres des FC pendant l'exécution des tâches essentielles et des tâches de service général des Forces canadiennes. Les facteurs de stress quant à eux sont révélateurs des circonstances et des conditions dans lesquelles tous les membres des Forces canadiennes doivent être capables d'accomplir leurs tâches.

[168] Par ailleurs, la remarque générale indique que l'Énoncé de tâches communes est fourni au personnel médical pour servir d'outil, dans le but de déterminer les limites d'emploi d'un militaire. En se servant de ces facteurs comme lignes directrices, le personnel médical devrait déterminer, d'une part, si un militaire est apte à accomplir les tâches mentionnées dans les tableaux ou à suivre l'instruction permettant de les accomplir (facteurs physiques) et, d'autre part, si un militaire est apte à s'adapter aux conditions particulières (facteurs de stress) de l'environnement des Forces canadiennes.

[169] Appelé à commenter l'Énoncé de tâches communes à l'enrôlement, le Major Labonté reconnaîtra que ce document décrit les tâches de base communes que tout membre ou recrue doit respecter ou rencontrer. Le Major Labonté indiquera dans son témoignage que Micheline Montreuil s'étant vu attribuer la cote médicale G5, il considérait, d'un point de vue administratif, qu'il ne rencontrait pas les exigences au niveau des tâches communes, ne pouvant les exécuter dans un milieu opérationnel. Pour le Major Labonté, on ne doit pas dissocier les facteurs G et O lorsque vient le temps d'évaluer la capacité d'une personne à exécuter certaines tâches.

[170] La preuve révèle que le Dr. Côté et le Dr. Tremblay eurent à compléter un formulaire relatif à l'Énoncé de tâches communes en ce qui a trait à Micheline Montreuil. Tous les deux ont attesté que Micheline Montreuil ne démontrait, selon eux, aucune condition médicale qui l'empêcherait d'accomplir les tâches ou de suivre l'instruction permettant d'accomplir ces sortes de tâches. Toutefois, tant le Dr. Côté que le Dr. Tremblay ont témoigné qu'il avait été difficile pour eux de compléter le formulaire eu égard aux questions posées et leur peu de connaissance de la vie militaire. En effet, il appert de la preuve que l'Énoncé de tâches communes n'aurait pas du être acheminé aux médecins de Micheline Montreuil pour qu'il puisse le compléter. Il s'agit là d'une erreur qui demeure inexpliquée. A cet égard, la preuve révèle que l'Énoncé de tâches communes est essentiellement un outil destiné au personnel médical pour évaluer la capacité des militaires à accomplir ces tâches.

[171] Par ailleurs, il appert du rapport d'expertise du Dr. Beltrami que celui-ci fut appelé à analyser l'Énoncé de tâches qu'avait complété Micheline Montreuil dans le cadre de son expertise. Il a conclu que, d'un point de vue psychiatrique, il n'y avait rien qui empêchait Micheline Montreuil d'exécuter ces tâches.

[172] Dans le cadre de son témoignage, le Colonel Fletcher a été appelé lui aussi à commenter l'Énoncé de tâches communes qui avait été complété par le Dr. Côté et le Dr. Tremblay en 2001 et à expliquer la portée de chacune des tâches. Compte tenu du fait que la preuve révèle qu'ultimement, les médecins des Forces canadiennes et les médecins de Micheline Montreuil n'ont reconnu aucune limitation physique ou psychiatrique à Micheline Montreuil en ce qui a trait aux tâches communes - témoignage du Dr. Newnham - et que Micheline Montreuil s'est vu attribuer le profil O2, le Tribunal considère qu'il n'y a pas lieu d'examiner plus en profondeur ce point spécifique.

(vii) Le profil médical de Micheline Montreuil

[173] Pour les fins de la bonne compréhension du présent dossier, il importe d'examiner la cote médicale qui fut accordée à Micheline ou Pierre Montreuil lorsqu'il présenta des demandes d'enrôlement en 1995, 1999 et 2001 en ce qui concerne le facteur G.

a) Le profil médical de Pierre Montreuil en 1995

[174] À la suite de sa demande d'enrôlement de 1995, Pierre Montreuil se vit attribuer le profil G2O2, satisfaisant alors aux normes médicales communes à l'enrôlement. La preuve démontre que Pierre Montreuil fut effectivement admis à cette époque dans les Forces canadiennes mais démissionna de celles-ci en 1997, la démission prenant effet en 1999 après qu'il eut fait sa demande d'enrôlement en tant que Micheline Montreuil.

b) Le profil médical de Micheline Montreuil en 1999

[175] La preuve révèle que Micheline Montreuil fit une demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes en 1999 pour un poste d'avocat militaire au sein du Bureau du Juge-avocat général. En outre, la preuve établit qu'à la suite de l'examen médical auquel il s'était soumis et de l'évaluation de son dossier médical par un officier médical au recrutement, Micheline Montreuil se vit attribuer, eu égard au facteur géographique, la cote médicale G3, cote qui ne lui permettait pas de satisfaire aux normes communes à l'enrôlement.

[176] Suivant les règles alors en vigueur, il aurait pu bénéficier d'une exemption administrative eu égard au groupe professionnel militaire (GPM) pour lequel il postulait, soit celui d'avocat. Toutefois, la preuve révèle que la candidature de Micheline Montreuil ne fut pas retenue, non pas en raison de son profil médical mais à cause que son profil de pratique comme avocat ne correspondait pas au profil recherché alors par le bureau du Juge-avocat général.

[177] Dans son témoignage, le Major Labonté indiquera ainsi qu'en ce qui a trait à la demande d'enrôlement de Micheline Montreuil dans les Forces canadiennes comme avocat militaire en 1999, le groupe de recrutement des Forces canadiennes, parce qu'on avait attribué à Micheline Montreuil la cote G3O2, avait considéré malgré la restriction, après consultation de l'autorité de gestion des avocats, de lui accorder une dispense. La preuve révèle, en effet, que même si Micheline Montreuil ne rencontrait pas la norme médicale commune à l'enrôlement, parce qu'il avait été coté G3, le bureau du Juge-avocat général avait néanmoins procédé à l'évaluation de sa candidature qui fut éventuellement rejetée.

[178] À cet égard, le Major Labonté indique dans son témoignage qu'au moment où Micheline Montreuil fit sa demande d'enrôlement en 1999 pour un poste d'avocat militaire, les règles concernant l'accommodation d'une personne qui ne rencontrait pas les normes médicales communes à l'enrôlement mais rencontrait les normes minimales du groupe professionnel militaire (GPM) au sein duquel il voulait travailler étaient un peu flou, qu'il n'y avait pas de directives claires, nettes et précises.

[179] Ainsi, selon le Major Labonté, le facteur médical n'a pas été un facteur déterminant lors de la première évaluation de Micheline Montreuil dans la mesure où Micheline Montreuil s'était vu attribuer un profil G3, pour lequel il était possible d'obtenir une dispense, considérant que la candidature de Micheline Montreuil ne fut pas retenue en raison d'un profil de pratique et une expérience de pratique qui ne cadrait pas avec le profil recherché par le bureau du Juge-avocat général.

c) Le profil médical de Micheline Montreuil en 2001

[180] À la suite du rejet de sa demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes comme avocat militaire, Micheline Montreuil indiqua, en novembre 2000, qu'il voulait poursuivre son intégration dans les Forces canadiennes comme officier logistique dans l'éventualité où sa candidature au poste d'avocat militaire ne serait pas retenue.

[181] La preuve révèle qu'en 2002, à la suite d'un second examen médical, survenu en octobre 2001 et d'une seconde évaluation de son dossier médical par les Forces canadiennes, Micheline Montreuil se vit attribuer le profil G5O2 par le Directeur - Politique de santé (DCOSMEDPOL) auquel était associé la restriction suivante : condition médicale chronique pour laquelle le traitement n'a pas été complété. Le membre est donc à risque de présenter une détérioration requérant une intervention et un traitement de la part d'un spécialiste. La restriction antérieure attribuée à Micheline Montreuil était, en rapport à la cote G5 : Requiert un suivi régulier d'un spécialiste. Par ailleurs, la preuve révèle que la limitation médicale à l'emploi communiquée au centre de recrutement de Québec était Requiert un suivi régulier de la part d'un spécialiste. Le processus ayant amené à l'attribution à Micheline Montreuil d'un profil G502 dans la présente instance est décrit, ci-après, dans la section Historique militaire de Micheline Montreuil.

[182] Lors de son témoignage, le Dr. Newnham a expliqué l'attribution initiale de la cote G5 à Micheline Montreuil par la nécessité pour Micheline Montreuil d'être suivi par un psychiatre ou un endocrinologue, par la référence dans les diverses lettres soumises aux médecins des Forces canadiennes à une personne transsexuelle, en transition, prenant des hormones.

[183] Le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage que, lorsqu'il fut établi, à partir de la correspondance soumise par Micheline Montreuil, que celui-ci ne requérait pas de suivi régulier par un spécialiste parce qu'il avait arrêté son hormonothérapie, la restriction médicale à l'emploi fut révisée afin de la rendre conforme à la situation de Micheline Montreuil, à savoir qu'il avait une condition chronique pour laquelle le traitement n'avait pas été complété, la condition étant, suivant le témoignage du Dr. Newnham, la dysphorie du genre ou le trouble de l'identité du genre. La révision de la restriction médicale n'entraîna pas pour autant une modification de la cote G5.

[184] En l'espèce, l'attribution d'un profil G5 rendait Micheline Montreuil inapte à se joindre aux Forces canadiennes, le profil minimal requis en ce qui a trait à ce facteur étant G2. En ce qui concerne la restriction médicale imposée à Micheline Montreuil en rapport avec la seconde évaluation de son dossier, la preuve révèle que les restrictions médicales initiales avaient été définies par le Dr. Newnham alors que les restrictions révisées l'avaient été par le Directeur - Politique de santé (DCOSMEDPOL).

[185] Pour sa part, le Major Labonté indiquera que, d'un point de vue administratif, le fait pour Micheline Montreuil d'avoir une cote G5 le rendait inapte à servir dans les Forces canadiennes. Le Major Labonté indiquera dans son témoignage que l'attribution d'une cote G5 indique que la personne ne peut être déployée.

[186] Par ailleurs, le Major Labonté reconnaîtra que la norme minimale pour le Groupe professionnel militaire, officier de la logistique, pour lequel Micheline Montreuil postula est G3 alors que la norme minimale est G2. Le Major Labonté indiqua dans son témoignage que si une personne se voit attribuer un G3, elle peut demander une dispense. Le Major Labonté ajoutera, toutefois, dans son témoignage que comme administrateur, en raison de la limitation d'emploi imposée à Micheline Montreuil était Requiert les services périodiques d'un spécialiste, il pouvait refuser d'enrôler la personne sur le plan de l'admissibilité au sein des Forces. Pour le Major Labonté, il faut distinguer la cote médicale et la limitation d'emploi et tenir compte néanmoins des deux facteurs.

[187] En ce qui concerne Micheline Montreuil, le Major Labonté dira, dans son témoignage, que la décision médicale d'attribuer un G5 à Micheline Montreuil serait arrivée trop vite. Appelé à s'expliquer, le Major Labonté a indiqué dans son témoignage qu'il était prêt, si la cote médicale avait été de G3, cote associée au métier d'officier de la logistique, à faire les démarches nécessaires auprès, dira-t-il, de la branche logistique au même titre que la branche légale pour voir s'il n'y avait pas une possibilité d'accommodement. Le Major Labonté dira qu'au moment où il a reçu la cote médicale G5O2, il n'avait pas encore procédé à l'entrevue qui aurait déterminé si Micheline Montreuil pouvait être l'objet d'une dispense ou être accommodé selon ses dires.

[188] Appelée à donner son opinion quant à l'information qui serait nécessaire de fournir pour transformer en G2 un profil médical G5, le Dr. Newnham indique dans son témoignage qu'il lui faudrait une mise à jour du dossier de la personne de la part de ses médecins. Cela dit, le Dr. Newnham a précisé qu'eu égard au dossier de Micheline Montreuil, celui-ci devrait recommencer les procédures à zéro étant donné qu'un examen médical à l'enrôlement n'est valide que pour une période d'un an, sauf si le Tribunal en venait à la conclusion que l'intimée avait fait preuve de discrimination à l'égard de Micheline Montreuil et déterminait qu'il était apte à être enrôlé.

[189] En l'espèce, Micheline Montreuil conteste l'attribution d'un profil G5O2 par les Forces canadiennes et soutient que la seule différence qui existe entre sa demande d'enrôlement de 1995 et celle de 1999 est qu'en 1999, il portait une robe. Micheline Montreuil fait ainsi valoir qu'il avait arrêté de prendre des hormones en 2002, qu'il n'y avait pas de traitement en cours, ni de traitement futur et que malgré ce fait, les médecins des Forces canadiennes ont continué à lui attribuer la catégorie G5 et non la catégorie G2 à laquelle, selon lui, il avait droit.

[190] Pour Micheline Montreuil, ceci est discriminatoire et illogique et constitue de l'aveuglement volontaire de la part des Forces canadiennes. Micheline Montreuil insistera, par ailleurs, sur le fait que les Dr. Côté, Lehoux et Tremblay ont tous dit qu'il fonctionnait normalement et qu'il devrait être enrôlé comme femme.

[191] Micheline Montreuil indiquera, en outre, sur la base, dit-il, des rapports médicaux, des expertises, des tonnes de rapports médicaux fournis, dira-t-il, que les médecins des Forces canadiennes auraient dû lui attribuer la catégorie G2 et non G5 et qu'ils lui ont imposé des conditions impossibles à rencontrer. Micheline Montreuil s'est ainsi érigé, dans son témoignage, contre le fait que des médecins qui ne l'ont jamais rencontré ont pu diagnostiquer chez lui l'existence d'un trouble de l'identité sexuelle, sans expertise, sans analyse, allant à l'encontre des rapports qu'il avait soumis. Pour Micheline Montreuil, il s'agit là d'un autre élément discriminatoire, fondé sur le fait qu'il porte une robe.

[192] Au soutien de sa prétention qu'il satisfait aux normes médicales communes à l'enrôlement, Micheline Montreuil s'appuie notamment sur le fait que les rapports du Dr. Tremblay et du Dr. Côté qu'il a fait parvenir aux Forces canadiennes indiquent, selon Micheline Montreuil, qu'il ne requiert aucun suivi médical en ce qui concerne la prise d'hormones qu'il a cessée et qu'il ne souffre d'aucune pathologie psychiatrique. En conséquence, Micheline Montreuil est d'opinion qu'il n'y a aucune indication fondée de le considérer inapte à joindre les Forces canadiennes.

[193] Par ailleurs, Micheline Montreuil affirme dans son témoignage que, nonobstant l'attribution d'un profil G5O2, il rencontrait toutes les exigences du métier d'officier de la logistique, faisant notamment état du fait qu'il avait écrit un livre en gestion d'approvisionnement, qu'il détenait un MBA, une maîtrise en relations industrielles, qu'il avait été propriétaire d'un restaurant et d'une épicerie, ce qui lui permettait de gérer un service d'alimentation, qu'il avait, par ailleurs, écrit des livres sur des chaînes de montage et l'organisation de la production, qu'en 1997, au sein des Voltigeurs de Québec, il occupait la fonction d'officier logistique.

[194] Au terme de cette présentation et de cette analyse des exigences militaires des Forces canadiennes pour quiconque veut s'enrôler dans les Forces canadiennes et de leur application à Micheline Montreuil, le Tribunal conclut que la personne qui veut s'engager dans les Forces canadiennes doit démontrer qu'elle est apte physiquement et mentalement à être enrôlée, quelque soit le groupe professionnel militaire qu'elle veut joindre, que compte tenu de la raison d'être des Forces canadiennes, elle doit être en mesure de remplir les fonctions d'un soldat avant même de pouvoir remplir les tâches propres au groupe professionnel militaire (GPM) auquel elle aspire appartenir, que les exigences pour être enrôlé dans les Forces canadiennes sont très grandes et pour cause, eu égard au principe de l'universalité du service. En outre, le Tribunal constate que l'attribution d'un profil G5 à Micheline Montreuil, avec la limitation médicale qui y était associée, ne lui permettait pas d'être enrôlé dans les Forces canadiennes.

C. Les consultations médicales et les rapports médicaux

[195] La preuve révèle que, dans le cadre de sa demande d'enrôlement, Micheline Montreuil fit appel à trois médecins, soit le Dr. Martine Lehoux, le Dr. Serge Côté et le Dr. Rolland Tremblay pour que ceux-ci rédigent des rapports médicaux à être envoyés aux Forces canadiennes en réponse aux demandes d'information des Forces canadiennes.

[196] Par ailleurs, il appert de la preuve qu'à l'époque de sa demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes, soit en juillet 1999, Micheline Montreuil consultait le Dr. Lehoux pour l'épilation au laser des poils du visage et du thorax et le Dr. Tremblay pour son hormonothérapie. La preuve révèle également que Micheline Montreuil avait consulté le Dr. Côté dans le cadre de sa démission en décembre 1997 du Collège Garneau et à quelques reprises par la suite, toujours dans le même cadre.

[197] Pour la bonne compréhension du présent dossier, il importe d'examiner les liens que Micheline Montreuil entretenait avec ces différents médecins, ainsi que le contenu de leurs rapports médicaux pour être en mesure de mieux apprécier les documents qui étaient en la possession des Forces canadiennes lorsqu'elle ont évalué le dossier de Micheline Montreuil.

(i) L'implication du Dr. Martine Lehoux

[198] Le Dr. Lehoux n'a pas témoigné dans la présente instance. La preuve établit toutefois qu'en 1999, elle exerçait sa profession au Centre dermatologique du Québec métropolitain. La preuve révèle, par ailleurs, que le Dr. Lehoux est une connaissance de Micheline Montreuil, les deux ayant suivi ensemble des cours d'informatique. Le Dr. Lehoux est, la preuve le révèle, aussi une cliente de Micheline Montreuil.

[199] La preuve révèle que le Dr. Lehoux fit parvenir, le 5 décembre 2005, à l'un des procureurs de l'intimée une lettre dans laquelle elle explique les traitements qu'elle a prodigués à Micheline Montreuil. Cette lettre est accompagnée du dossier médical complet de Micheline Montreuil, tel que constitué par le Dr. Lehoux. Il importe de préciser ici que le dossier médical constitué par le Dr. Lehoux en ce qui a trait à Micheline Montreuil ne fut jamais acheminé aux médecins des Forces canadiennes.

[200] La lettre du 5 décembre 2005 indique que Micheline Montreuil a commencé à consulter le Dr. Lehoux en octobre 1998 pour un traitement d'épilation au laser au niveau de sa barbe, sa moustache, son cou et son thorax. Il appert de la lettre que les consultations se sont poursuivies par la suite durant plusieurs années. Dans sa lettre, le Dr. Lehoux ajoute qu'en ce qui la concerne, elle avait surtout vu Micheline Montreuil pour son épilation au laser, de même que pour re-prescrire des crèmes qui avaient été prescrites auparavant à Micheline Montreuil par des dermatologues. Le Dr. Lehoux précise, par ailleurs, dans sa lettre qu'elle n'est pas spécialiste en dermatologie mais plutôt une omnipraticienne qui a suivi une formation en médecine esthétique.

[201] La preuve établit que le 20 octobre 1999, le Dr. Lehoux fait parvenir au Capitaine Labonté une lettre sur du papier entête du Centre dermatologique. Cette lettre qui a pour objet Rapport médical pour Micheline Montreuil - Retour à titre d'officier dans les forces armées canadiennes constitue une réponse à la demande de renseignements médicaux signée que Micheline Montreuil le 12 octobre 1999.

[202] Dans sa lettre, le Dr. Lehoux écrit qu'elle connaît Micheline Montreuil depuis sept ans, qu'elle la traite alors dans le cadre d'un traitement d'épilation au laser visant à faire disparaître toute trace de barbe ou de poils superflus au visage et sur la poitrine et ce, dans le but d'améliorer son apparence féminine. Elle ajoute, par ailleurs, que compte tenu que Micheline Montreuil est également sous la surveillance médicale du Dr. Roland-R. Tremblay, endocrinologue au CHUL, pour son traitement hormonal, que son corps a subi des transformations permanentes et qu'il présente des caractéristiques féminines évidentes, notamment au niveau des seins et que son comportement est logique et rationnel, il serait nécessaire, si Micheline Montreuil retourne dans les forces armées canadiennes, qu'elle effectue ce retour en tant que femme, tant pour continuer le processus de changement de sexe de façon harmonieuse que pour éviter toute perturbation. La lettre du 20 octobre 1999 est la seule lettre que le Dr. Lehoux fera parvenir au Capitaine Labonté.

[203] Interrogé quant à savoir si le Dr. Lehoux était en communication avec le Dr. Tremblay à cette époque, Micheline Montreuil indiquera dans son témoignage qu'il n'en avait pas la moindre idée. Il reconnaîtra cependant qu'il est possible qu'il ait parlé au Dr. Lehoux du Dr. Tremblay comme son endocrinologue traitant.

[204] Par ailleurs, interrogé sur le fait que, dans son rapport, le Dr. Lehoux, mentionne que le comportement de Micheline Montreuil est logique et rationnel, Micheline Montreuil dira qu'il faut sur ce point s'adresser au Dr. Lehoux pour en avoir l'explication. Micheline Montreuil avancera, toutefois, comme explication possible quant au fait que le Dr. Lehoux se prononce sur son état de santé mentale, à savoir qu'il a un comportement logique et rationnel, que le Dr. Lehoux n'a aucune compétence en psychologie et ajoutera que le Dr. Lehoux le connaît depuis sept ans, qu'ils ont travaillé ensemble dans un club d'ordinateurs et que, forcément, ils ont parlé beaucoup d'ordinateurs, de logique, de structure, de réseaux, de systèmes et autres et que, peut-être, indique Micheline Montreuil, le Dr. Lehoux est une personne, elle aussi, logique et rationnelle qui utilise ces mots-là.

[205] La preuve tend à démontrer que Micheline Montreuil a, comme elle l'a fait pour le Dr. Tremblay, indiqué au Dr. Lehoux ce qu'il aurait aimé voir écrit dans le rapport adressé aux Forces canadiennes. A cet égard, la comparaison du contenu de la lettre du Dr. Lehoux en date du 20 octobre 1999 et celui de la lettre que Micheline Montreuil a fait parvenir au Dr. Tremblay le 12 octobre 1999 est très révélatrice. On retrouve, presque que mot pour mot, on le verra, les mêmes mentions, notamment quant à l'existence d'un comportement `logique et rationnel' et d'un retour dans les Forces canadiennes `en tant que femme'.

[206] Interrogé quant à savoir pourquoi le Dr. Lehoux parle dans son rapport de processus de changement de sexe alors que son implication par rapport à Micheline Montreuil se limite à des traitements d'épilation au laser, Micheline Montreuil indiquera dans son témoignage que c'est probablement parce que la demande de renseignements y fait référence. La preuve révèle que Micheline Montreuil a également tenté de justifier le tout par le fait que si une personne prend des hormones pour se faire grossir les seins et se fait simultanément enlever les poils du visage pour avoir l'air plus féminin, une personne peut conclure en toute logique que c'était un processus de changement de sexe sans que ce soit forcément un processus de changement de sexe. De l'avis du Tribunal, cette explication ne tient pas la route lorsque l'on compare encore une fois le contenu de la lettre du 20 octobre 1999 rédigée par le Dr. Lehoux et la lettre du 12 octobre 1999 rédigée par le Micheline Montreuil.

(ii) L'implication du Dr. Serge Côté

[207] Le Dr. Côté est un médecin psychiatre qui fut appelé comme témoin par l'intimée. La preuve révèle que le Dr. Côté est une connaissance de Micheline Montreuil, ayant rédigé une expertise médicale en rapport avec le grief déposé par Pierre Montreuil en 1998 contre le Collège Garneau et qu'il n'est pas spécialisé dans les troubles de l'identité du genre.

[208] La preuve révèle que, lors d'un message téléphonique laissé, le 8 décembre 2005, à l'un des procureurs de l'intimée, le Dr. Côté indique qu'il n'a pas de dossier au nom de Micheline Montreuil, qu'il ne garde pas ses dossiers plus que cinq ans, qu'il l'a vu en expertise en rapport avec sa démission du Collège Garneau, qu'il se rappelait avoir complété un dossier pour les Forces canadiennes dans lequel il disait qu'il était apte à occuper son poste et que cela allait dans cette continuité-là mais qu'il n'était jamais intervenu dans son dossier transsexuel. Il ajoute dans sa lettre que lui-même ne travaille pas à ce niveau-là, qu'il n'a pas la compétence à ce niveau-là et indique avoir référé Micheline Montreuil au Dr. Jean-Pierre Bernatchez du Centre hospitalier de l'Université Laval (CHUL).

[209] La preuve révèle que le Dr. Serge Côté fit parvenir, le 15 décembre 2005, à l'un des procureurs de l'intimée, une lettre dans laquelle il fait état de sa relation professionnelle avec Micheline Montreuil. Dans sa lettre, le Dr. Côté confirme qu'il a rencontré Micheline Montreuil comme expert pour évaluer si sa décision de donner sa démission du Collège Garneau en novembre 1997 résultait d'un choix libre et éclairé.

[210] Dans sa lettre, le Dr. Côté indique que, dans ce contexte, Micheline Montreuil lui apparaissait plus à l'aise sur le plan psychique dans son statut de femme (lettre du 25 octobre 1999) et qu'il n'avait pas d'éléments pour poser un diagnostic psychiatrique qui pouvait compromettre son travail, précise que la rencontre du 24 novembre 2001 avait été brève, qu'il a répondu par la négative aux questions du formulaire et qu'il en a résulté un bref rapport qui indique qu'il n'y a eu aucun traitement présent ou passé.

[211] Le Dr. Côté précise enfin dans sa lettre qu'il n'est jamais intervenu comme médecin traitant au niveau de son choix d'être Micheline et qu'il l'avait référé au Dr. Bernatchez ou que c'est Micheline Montreuil qui l'avait informé de cette évaluation. Le Dr. Côté précise, en outre dans sa lettre, que les rapports qu'il a produits, ont été faits dans le cadre de l'expertise pour son emploi.

[212] Dans son témoignage, le Dr. Côté dira que les informations fournies aux Forces Canadiennes en rapport avec leurs demandes de renseignements médicaux reposent sur les éléments contenus dans ce rapport et sa connaissance personnelle de Micheline Montreuil, éléments que les Forces canadiennes ignoraient. Il appert du témoignage du Dr. Côté que la majorité des informations contenues dans le rapport proviennent de ce que Pierre Montreuil lui a transmis alors comme renseignements.

[213] La preuve révèle qu'en rapport avec la demande d'enrôlement de Micheline Montreuil, le Dr. Côté fit parvenir aux Forces canadiennes trois documents. À cet égard, le Dr. Côté a témoigné qu'en 1999, Micheline Montreuil lui avait demandé de remplir des papiers pour les Forces canadiennes et qu'il avait accepté. Toutefois, dans son témoignage, le Dr. Côté affirmera que ce n'est aucunement en tant que médecin traitant qu'il a accepté de remplir ces papiers, qu'en fait, il n'a jamais été le médecin traitant ou le psychiatre de Micheline Montreuil, qu'il n'a jamais fait une quelconque évaluation psychiatrique de Micheline Montreuil en 1999, ni évalué chez Micheline Montreuil l'aspect changement de sexe, avouant qu'il n'avait pas les compétences pour évaluer cet aspect.

[214] Par ailleurs, le Dr. Côté a témoigné que, dans les contacts qu'il a eus avec Micheline ou Pierre Montreuil, il n'avait pas constaté de troubles mentaux, de dépression, de schizophrénie, de troubles bipolaires. Enfin, dans son témoignage, le Dr. Côté a affirmé n'avoir jamais fait partie d'une quelconque équipe de processus de changement de sexe en ce qui a trait à Micheline Montreuil.

[215] Le Dr. Côté a témoigné que Micheline Montreuil avait été très insistant dans les demandes faites à son égard et qu'il avait agi de façon pas très volontaire. La preuve révèle que le Dr. Côté semble s'être senti piégé quant aux demandes de Micheline Montreuil. Le Tribunal a pu l'observer durant son témoignage. À plusieurs reprises dans le cadre de son témoignage, le Dr. Côté a affirmé que, rétrospectivement, il ne savait pas pourquoi il avait acquiescé à la demande de Micheline Montreuil d'écrire à l'intimée et a ajouté qu'il avait eu une certaine pitié dans le passé pour Pierre Montreuil quand il avait perdu son travail au niveau du CEGEP.

[216] Le Tribunal retient de ces éléments que Micheline Montreuil a toujours su que le Dr. Côté ne l'a jamais reçu en consultation en ce qui a trait à son état possible de personne transsexuelle ou transgenre, qu'il ne l'a jamais évalué à cet égard et qu'il ne l'a jamais traité. Le Tribunal retient également que, malgré ces faits, Micheline Montreuil a néanmoins demandé au Dr. Côté, dont l'existence n'était pas connu de l'intimée, de produire des rapports visant à répondre aux interrogations que se posaient les Forces canadiennes en ce qui a trait à son changement de sexe et à sa condition de personne en transition et ce, malgré le fait que le Dr. Côté ne lui prodiguait aucun soin, n'était pas son médecin traitant et n'était nullement impliqué en tant que psychiatre dans un quelconque processus de changement de sexe dans lequel Micheline Montreuil aurait été impliqué.

a) Le rapport du 25 octobre 1999

[217] La preuve révèle que le 25 octobre 1999, le Dr. Côté fait parvenir au Capitaine Pierre Labonté une lettre qui a pour objet : Rapport médical pour Micheline Montreuil. Dans son rapport, le Dr. Côté écrit laconiquement que, tenant compte du processus de changement de Micheline Montreuil, il croit qu'il est important que Micheline Montreuil soit engagé en tant que femme. Il ajoute que même s'il n'y a pas de transformation complète sur le plan physique, l'identité demeure principalement du côté féminin.

[218] Lors de son témoignage, le Dr. Côté a affirmé à plusieurs reprises que la lettre du 25 octobre 1999 ne constituait pas une expertise mais devait davantage être vue comme une lettre de recommandation, appuyant le désir de Micheline Montreuil d'être enrôlé dans les Forces canadiennes comme une personne de sexe féminin, qu'il en avait informé Micheline Montreuil et que ce qu'il souligne dans la lettre, c'est ce qui lui était dit par Micheline Montreuil. Il admettra, dans son témoignage, qu'il n'a jamais procédé à une quelconque évaluation de Micheline Montreuil.

[219] Appelé à commenter le contenu de la lettre, notamment en ce qui concerne la référence au processus de changement de sexe, le Dr. Côté affirme que Micheline Montreuil lui avait dit qu'il était référé au CHUL pour un processus de changement et savait que Micheline Montreuil suivait un traitement hormonal. En outre, quant à l'identité de Micheline Montreuil, le Dr. Côté affirme qu'il n'a fait que refléter ce que Micheline Montreuil lui avait dit, sans plus, sans avoir procédé à une évaluation plus en profondeur.

[220] En ce qui a trait au rapport du 25 octobre 1999 du Dr. Côté, le Dr. Beltrami dira, dans son témoignage qu'il s'agit d'une opinion qui n'est pas motivée dans le détail et qui est laconique. Selon le Dr. Beltrami, une information laconique justifie une demande de complément d'information. Dans son témoignage, le Dr. Beltrami reconnaît que les informations fournies par le Dr. Côté ne sont pas suffisantes. Il reconnaît également qu'à défaut de demander une expertise indépendante, il était approprié de demander des précisions supplémentaires face au caractère laconique des deux rapports.

[221] Par ailleurs, le Dr. Beltrami mentionnera dans son témoignage qu'il n'était pas du ressort du Dr. Côté de suggérer, comme il le fait dans sa lettre du 25 octobre 1999, que Micheline Montreuil soit engagée comme femme, même s'il y a une transformation incomplète. Il ajoute qu'il trouve l'affaire totalement aberrante, que la lettre, pour utiliser son expression, ne tient pas debout, qu'elle est confuse. En outre, pour lui, en tant que médecin conseil, il demanderait d'en savoir plus.

[222] Dans son témoignage, Micheline Montreuil reconnaîtra que la lettre du Dr. Côté était très brève et faisait davantage office de lettre de référence.

[223] Le Tribunal conclut que les opinions émises par le Dr. Côté dans sa lettre du 25 octobre 1999 sont fondées non pas sur une évaluation de Micheline Montreuil faite en 1999, mais sur les constats faits dans le cadre de l'expertise rédigée en 1998 en rapport avec le litige opposant alors Pierre Montreuil au Collège Garneau.

b) Le rapport du 20 décembre 1999

[224] Dans la lettre qu'il écrit le 20 décembre 1999 au Capitaine Labonté, qui ne comporte aucune entête et qui a pour objet Micheline Montreuil, le Dr. Côté indique que Micheline Montreuil ne présente aucune pathologie psychiatrique qui pourrait compromettre son travail au niveau des forces armées canadiennes.

[225] Dans son témoignage, le Dr. Côté ajoutera que cela correspondait à ce qu'il avait évalué en 1998, dans le cadre du litige opposant Pierre Montreuil au Collège Garneau. Dans sa lettre, le Dr. Côté ajoute que la transformation incomplète lui apparaît un élément positif pour Micheline Montreuil, qu'elle possède des ressources personnelles qui lui permettront de faire face à la musique militaire, qu'il y aura sûrement des réactions du milieu ambiant, que Micheline Montreuil les connaît et qu'elle démontre de bonnes ressources pour y réagir adéquatement.

[226] Dans son témoignage, le Dr. Côté précisera qu'il a rédigé la lettre, encore une fois, à partir des connaissances qu'il avait eues de Micheline Montreuil à partir de la première expertise, soit celle rédigée dans le cadre du litige opposant Pierre Montreuil et le Collège Garneau et qu'il n'y avait pas eu d'autre évaluation. En outre, le Dr. Côté ajoutera qu'il avait écrit cela plus comme une lettre de recommandation et non comme une expertise.

[227] En ce qui a trait à la mention qu'il n'y avait pas de pathologie psychiatrique, le Dr. Côté a témoigné que c'est la conclusion à laquelle il en était venu lors de son évaluation de Pierre Montreuil en 1998 dans le cadre du litige opposant celui-ci au Collège Garneau. Par ailleurs, en ce qui a trait au fait que la réintégration de Micheline Montreuil comme femme susciterait des réactions du milieu ambiant, le Dr. Côté indique dans son témoignage que le fait pour Micheline Montreuil, homme, d'aller à la toilette des femmes, pourrait créer des problèmes. Le Dr. Côté précisera dans son témoignage que Micheline Montreuil était venue chez lui chercher la lettre.

[228] En ce qui a trait à la seconde lettre du Dr. Côté, soit celle du 20 décembre 1999, le Dr. Beltrami dira dans son témoignage qu'il s'agit d'une courte lettre avec une conclusion qui n'est pas motivée, qu'elle ne constitue pas une expertise comme tel. En ce qui a trait au constat fait par le Dr. Côté qu'il n'existe aucune pathologie psychiatrique qui pourrait compromettre le travail au niveau des Forces armées, pour le Dr. Beltrami le fait qu'on dise qui pourrait compromettre le travail peut suggérer qu'il y a d'autres problèmes psychiatriques, mais que cela ne nuirait pas aux Forces canadiennes. Pour le Dr. Beltrami, il est certain qu'il demanderait une explication parce ce que c'est une deuxième lettre et que ce n'est pas motivé. Le Dr. Beltrami ajoutera que lorsque l'on compare le contenu de cette lettre avec le constat fait par le Dr. Tremblay que l'on s'orientait vers une transformation complète et que, tout d'un coup, il n'y en a plus, ceci incite à des analyses complémentaires ou à une expertise extérieure.

[229] Pour le Dr. Beltrami, les propos du Dr. Côté dans ses lettres laissent sous-entendre que son engagement en tant que femme va faciliter sa vie. Pour le Dr. Beltrami, ce n'est pas un travail qui va guérir quelqu'un. Le Dr. Beltrami dira : ou la personne est normale et les Forces canadiennes prennent la décision qu'elles ont à prendre, ou elle n'est pas normale et ce n'est pas le travail qui va améliorer la personne.

c) Le rapport du 24 novembre 2001

[230] La preuve révèle que le 24 novembre 2001, le Dr. Côté complète une demande de renseignements médicaux de l'adjudant Leroux, datée du 6 novembre 2001. Sur le formulaire, l'adjudant Leroux indique que les Forces canadiennes sont particulièrement intéressées à connaître les commentaires du Dr. Côté relatif à l'intégration dans les Forces canadiennes d'une personne qui est femme que psychologiquement et avec des traitements partiels.

[231] En réponse à la demande de renseignements, le Dr. Côté indique dans le formulaire, à la rubrique Diagnostic psychiatrique, aucun et nil aux questions portant sur les antécédents personnels, les traitements présents et passés. Il indique qu'aucun suivi n'est nécessaire, que l'état est normal et n'indique rien sous les rubriques Restrictions et risque de récurrence. Lors de son témoignage, le Dr. Côté réitèrera qu'il n'a, à cette occasion, fait aucune évaluation médicale de Micheline Montreuil.

[232] Le preuve révèle que le Dr. Côté a également été appelé à compléter un document intitulé Énoncé des tâches - tous les membres des FC en date du 24 novembre 2001. Le document produit en preuve indique que la seule portion qui fut complétée par le Dr. Côté est la dernière section dans laquelle le Dr. Côté atteste que Micheline Montreuil ne démontre aucune condition médicale qui l'empêcherait d'accomplir ou de suivre l'instruction permettant d'accomplir les tâches énumérées dans le document.

[233] Lors de son témoignage, le Dr. Côté s'est montré étonné, voir troublé, d'avoir signé le document portant sur les tâches à accomplir, affirmant qu'en tant que psychiatre, il n'a pas à se prononcer sur de tels sujets n'en ayant pas les compétences. Pour le Dr. Côté, ce document ne constitue nullement un rapport médical ou une expertise médicale. Interrogé quant à savoir ce qui avait pu l'amener à signer le document, le Dr. Côté s'est dit incapable de répondre en ajoutant que la raison sous-jacente était qu'il trouvait Micheline Montreuil intrusif, qu'il avait hâte d'avoir fini d'avoir affaire à lui et qu'il aurait dû refuser de signer.

[234] La preuve révèle que, subséquemment, Micheline Montreuil a fait parvenir au Caporal Domaine de la Section médicale des Forces canadiennes une lettre dans laquelle il écrit qu'il fait parvenir aux Forces canadiennes une expertise psychiatrique du Dr. Côté datée du 24 novembre 2001.

[235] En ce qui a trait aux rapports du Dr. Côté, Micheline Montreuil affirmera dans son témoignage qu'à la suite de la demande de divulgation de renseignements médicaux, signée le 12 octobre 1999, il a contacté le Dr. Côté, le seul psychiatre avec qui il avait eu des contacts professionnels - dossier du Collège Garneau - pour que celui-ci lui rédige une lettre visant à répondre à la demande des Forces canadiennes. La preuve révèle que c'est Micheline Montreuil qui a choisi les médecins à qui il ferait part de la demande des Forces canadiennes d'obtenir un résumé de dossier sur transition changement de sexe.

[236] Pourquoi Micheline Montreuil a-t-il choisi d'impliquer le Dr. Côté dans son dossier? Dans son témoignage, Micheline Montreuil indique candidement qu'il a fourni une lettre aux Forces canadiennes de la part du Dr. Côté, psychiatre, parce que tout simplement les Forces demandaient un rapport d'un psychiatre parce qu'il arrivait habillé en femme et que cela pouvait les déranger un peu. La preuve ne soutient pas cette prétention.

[237] La preuve démontre qu'en l'espèce ce que cherchaient à obtenir les Forces canadiennes était un Résumé de dossier de transition - changement de sexe. Si, on le verra, comme l'affirme Micheline Montreuil, celui-ci ne cherchait pas à changer de sexe et n'était pas traité pas le Dr. Côté, alors pourquoi rechercher de la part d'un psychiatre qui n'est pas son thérapeute un résumé de dossier médical qu'il ne peut avoir en sa possession étant donné qu'il ne traite pas la personne?

[238] Par ailleurs, que doit-on penser de l'affirmation du Dr. Côté que Micheline Montreuil ne souffrait au moment de sa démission du Collège Garneau d'aucune maladie psychiatre quand on considère le témoignage qu'il aurait rendu dans le cadre de l'audition du grief de Micheline Montreuil.

[239] Lors de l'audition, il est apparu évident au Tribunal que le Dr. Côté n'était pas fier de ce qu'il avait fait en rapport avec les demandes de renseignements de Micheline Montreuil et qu'il s'est senti manipulé par lui. Il apparaît clairement de son témoignage et de son comportement devant le Tribunal qu'il était mal à l'aise, que si la même situation se représentait, il agirait différemment. A tout événement, il a reconnu dans son témoignage qu'il espérait bien se débarrasser de Micheline Montreuil et de ses demandes de renseignements le plus rapidement possible.

[240] Le Tribunal est d'avis qu'en ce qui a trait au Dr. Côté, en ne jouant pas franc jeu, Micheline Montreuil a fait déraper son dossier d'enrôlement dans les Forces canadiennes. En agissant de la façon dont il a agi, il a amené les médecins des Forces canadiennes à croire qu'il était suivi par un psychiatre et engagé dans un processus de changement de sexe, ce qui n'était évidemment pas le cas. Micheline Montreuil pourra bien par la suite crier haut et fort qu'il n'y a jamais eu d'équipe de soins, que le Dr. Côté ne fut jamais son médecin traitant, il a, de toute évidence, donné à croire tout à fait le contraire et doit en supporter les conséquences.

(iii) L'implication du Dr. Rolland Tremblay

[241] Le Dr. Tremblay fut appelé comme témoin par l'intimée. La preuve établit que le Dr. Tremblay est un endocrinologue qui a rencontré Micheline Montreuil à plusieurs reprises dans le cadre d'une hormonothérapie. La preuve révèle que le Dr. Tremblay a été le médecin traitant de Micheline Montreuil en matière d'hormonothérapie de juillet 1998 à octobre 2001. Le Dr. Tremblay était, à l'époque, responsable de la direction du laboratoire d'andrologie du Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ).

[242] La preuve révèle que le Dr. Roland Tremblay fit parvenir, le 8 décembre 2005, à l'un des procureurs de l'intimée, la copie intégrale du dossier de Micheline Montreuil qu'il avait alors en sa possession. Il appert, toutefois, que le dossier transmis alors par le Dr. Tremblay était incomplet, la dernière note au dossier datant du 30 novembre 1999. Cette déficience fut corrigée le 20 octobre 2006 lorsque le Dr. Tremblay fit parvenir à l'un des procureurs de l'intimée l'intégralité du dossier de Micheline Montreuil. Le dossier comporte des notes d'évolution, des lettres de Micheline Montreuil, des résultats d'analyse, des documents reliés à la demande d'enrôlement de Micheline Montreuil et provenant des Forces canadiennes, les lettres du Dr. Côté du 25 octobre 1999 et du 20 décembre 1999, la lettre du 20 octobre 1999 du Dr. Lehoux, les lettres du Dr. Tremblay adressées aux Forces canadiennes.

[243] Il importe de préciser ici que ce dossier ne fut jamais acheminé par Micheline Montreuil à l'intimée et ne faisait pas partie de la documentation en sa possession au moment où il fut statué sur la demande d'enrôlement de Micheline Montreuil.

[244] Dans son témoignage, le Dr. Tremblay dit avoir rencontré Micheline Montreuil huit fois entre juillet 1998 et octobre 2001 dont quatre fois à la suite de lettres qui lui étaient adressées par Micheline Montreuil pour avoir des explications sur différents aspects de la vie de la personne qui est en processus de changement. La preuve révèle, par ailleurs, que Micheline Montreuil a écrit à plusieurs reprises au Dr. Tremblay en rapport avec la prise d'hormones féminines et les demandes de renseignements formulées par les Forces canadiennes.

a) Les consultations et la correspondance

[245] Selon la preuve, Micheline Montreuil a consulté le Dr. Tremblay pour la première fois le 14 juillet 1998. Lors de son témoignage, le Dr. Tremblay a indiqué qu'il conservait peu de souvenir de cette consultation.

[246] Dans son témoignage, le Dr. Tremblay indique cependant que la venue de Micheline Montreuil avait été annoncée par deux autres personnes transsexuelles. Le Dr. Tremblay indique que Micheline Montreuil s'est présenté à lui habillé en femme. Il précise que même si sur sa note de consultation le sexe de la personne n'est pas indiqué, en ce qui le concerne, il s'agit d'une personne d'identité masculine qui désire une hormonothérapie féminine en vue de changer de sexe.

[247] Les notes consignées au dossier par le Dr. Tremblay en date du 14 juillet 1998 indiquent qu'il s'agit d'une personne de 46 ans, en bonne santé, qui désire une hormonothérapie féminine en fonction d'un changement de sexe, qu'il n'y a pas eu de rencontre en psychiatrie ou en psychologie, que les attitudes sociales reflètent stabilité et sécurité et que la démarche se fait sous le signe de la rationalité. Les notes indiquent également que Micheline Montreuil se voit prescrire de l'Estinyl et de l'Euflex et qu'il doit être revu dans 3 mois, soit en octobre 1998.

[248] Appelé dans le cadre de son témoignage à préciser le sens des mots changement de sexe utilisé dans la note, le Dr. Tremblay indiquera que l'expression fut utilisée avec une connotation relative à la personne transsexuelle ou transsexualisme, donc qui veut passer d'un statut d'homme à celui de femme. Le Dr. Tremblay précise dan son témoignage qu'il était clair pour lui que, le 14 juillet 1998, Micheline Montreuil s'est présenté à lui pour un changement de sexe. Il dit ne pas se rappeler toutefois si le mot transsexualisme fut utilisé. Il précisa que Micheline Montreuil désirait avoir des attributs féminins, dans un contexte de changement de sexe, donc transsexualisme et/ou transgenre suivant l'orientation que prend le cheminement de la personne. Le Dr. Tremblay indiqua toutefois que les termes utilisés ne signifiaient pas pour autant que Micheline Montreuil voulait des opérations qui touchaient ses parties génitales. Cela dit, le Dr. Tremblay affirme dans son témoignage que lors de la rencontre du 14 juillet 1998, Micheline Montreuil a eu recours aux expressions transsexuelle ou transgenre ou changement de sexe.

[249] Le Dr. Tremblay précise dans son témoignage que Micheline Montreuil ne lui a pas exprimé lors de la consultation jusqu'où il souhaitait aller dans la procédure de changement d'attributs sexuels. Il souligne, en outre, qu'à la rencontre du 14 juillet 1998, il ne fut pas question d'une chirurgie de castration. Le jour de la consultation, le Dr. Tremblay indique qu'il a prescrit des oestrogènes et des anti-hormones à Micheline Montreuil. Le Dr. Tremblay indiquera lors de son témoignage que lors de l'entrevue, il ne fut jamais question du Dr. Côté ou du Dr. Lehoux.

[250] Le 5 août 1998, soit trois semaines après la consultation du 14 juillet 1998, Micheline Montreuil, qui a commencé son hormonothérapie, fait part dans une lettre qu'il adresse au Dr. Tremblay qu'il constate un accroissement mesurable de la grosseur de ses seins, un gonflement au niveau du ventre, un accroissement de l'appétit, une diminution de la pilosité, des érections plus difficiles, une faible production de spermatozoïdes. Dans sa lettre, Micheline Montreuil pose comme question au Dr. Tremblay `qu'est-ce qu'il adviendrait de ces phénomènes s'il arrêtait de prendre les hormones féminines prescrites'. Il dit vouloir savoir s'il y a des résultats ou des effets qui seraient temporaires alors que d'autres seraient permanents. Micheline Montreuil note dans sa lettre que son prochain rendez-vous est le 13 octobre 1998.

[251] La preuve révèle que le 13 octobre 1998, le Dr. Tremblay a reçu Micheline Montreuil en consultation pour la deuxième fois. Le Dr. Tremblay indique au dossier médical de Micheline Montreuil que la médication prescrite a cessé au début de septembre en raison d'inquiétudes de la part de Micheline Montreuil. Il note également la présence, à l'examen, d'une petite croissance de deux seins, sans aucun nodule de palpé et indique que les systèmes ont été revus et une augmentation de l'appétit. Le Dr. Tremblay renouvelle la médication déjà prescrite.

[252] Le 6 septembre 1999, Micheline Montreuil écrit au Dr. Tremblay. La lettre porte sur les effets de l'hormonothérapie. Dans sa lettre, Micheline Montreuil indique qu'il suit un traitement hormonal depuis un an et dit s'interroger sur les résultats et les conséquences à court et à long terme du traitement hormonal. Il fait part au Dr. Tremblay de sa décision de consommer les hormones prescrites en alternance avec des périodes d'abstinence, lui indique qu'il voudrait avoir son opinion sur le développement de ses seins, le développement d'une forme d'eczéma sur un mamelon, la baisse de sa masse musculaire, l'élargissement de ses fesses, l'apparition d'un ballonnement au niveau du ventre, la possibilité de développer un cancer du sein, l'apparition de maux de tête lors d'érection. Par ailleurs, Micheline Montreuil adresse au Dr. Tremblay une série de questions relatives à la prise d'hormones et lui soumet diverses hypothèses.

[253] Ainsi, Micheline Montreuil indique au Dr. Tremblay qu'il aimerait savoir, dans l'hypothèse où il décidait de cesser son hormonothérapie, quels seraient les effets secondaires prévisibles, dans l'hypothèse où il décidait de se soumettre à une opération de changement de sexe, s'il serait utile ou nécessaire de continuer à prendre des hormones féminines compte tenu qu'il serait dorénavant une femme, dans l'hypothèse où il décidait de ne pas se soumettre à une opération de changement de sexe et de demeurer dans une situation intermédiaire, à savoir moitié homme et moitié femme, s'il serait nécessaire de prendre des hormones féminines, dans l'hypothèse où il décidait de ne pas se soumettre à une opération de changement de sexe et de redevenir un homme, s'il serait nécessaire ou utile de continuer à prendre des hormones féminines.

[254] Lors de son témoignage, le Dr. Tremblay a indiqué que la lettre du 6 septembre 1999 soulève des questions qui provoquent chez lui un certain nombre d'inquiétudes qui, bien que minimales, l'amène à consulter, comme il l'écrit dans une note d'évolution, l'avocat du centre hospitalier. Le Dr. Tremblay ajoute qu'il décelait dans cette lettre une possibilité d'orientation transgenre et non de transsexualisme chez Micheline Montreuil. Sa préoccupation portait sur l'effet des hormones face au cancer du sein.

[255] La preuve révèle que le 17 septembre 1999, le Dr. Tremblay reçoit Micheline Montreuil en consultation pour la troisième fois. Le Dr. Tremblay inscrit une nouvelle note d'évolution au dossier de Micheline Montreuil. Dans cette note, il est indiqué que la lettre du 6 septembre 1999 fait figure de note au dossier, qu'un avis légal a été obtenu et l'assentiment de Micheline Montreuil fut obtenu. Dans son témoignage, le Dr. Tremblay indique que l'avis juridique porte sur Micheline Montreuil et est en rapport avec la lettre du 6 septembre qu'il lui a fait parvenir. Le Dr. Tremblay indiquera qu'il a consulté le procureur du Centre hospitalier universitaire de Québec.

[256] Le 12 octobre 1999, Micheline Montreuil écrit à nouveau au Dr. Tremblay. La lettre est accompagnée d'un formulaire de demande de divulgation de renseignements médicaux, daté du 12 octobre 1999 sur lequel est inscrit - Résumé de dossier de transition - changement de sexe. Dans sa lettre, Micheline Montreuil indique qu'il a passé une entrevue pour retourner dans les Forces canadiennes à titre d'officier et d'avocate. Il précise que les Forces canadiennes lui ont fait signer une demande de divulgation de renseignements médicaux et demande au Dr. Tremblay d'écrire un rapport attestant qu'il est sous sa surveillance médicale depuis 18 mois, qu'il prend des hormones, que son corps a subi des transformations permanentes, qu'il présente des caractéristiques féminines évidentes, qu'il a des seins d'une grosseur appréciable et que le développement se fait selon les normes, que ses examens sanguins ne révèlent la présence d'aucune maladie vénérienne ou autre, que son comportement est logique et rationnel eu égard à son cheminement et que s'il retourne dans les Forces canadiennes, il serait nécessaire pour Micheline Montreuil qu'il y retourne en tant que femme afin de continuer le processus de changement de manière harmonieuse.

[257] La preuve révèle que le 30 novembre 1999, le Dr. Tremblay reçut Micheline Montreuil en consultation pour la quatrième fois. Dans sa note de consultation, le Dr. Tremblay écrit qu'il a rencontré Micheline Montreuil ce jour, que son état de santé général est très bon, que l'hormonothérapie est consommée d'une manière fidèle et sans effet secondaire indésirable, que l'Estynil a été remplacée par la Prémarine, qu'au point de vue phénotype, il y a un développement tout à fait normal des glandes mammaires, que les examens sanguins de septembre sont normaux, sauf les élévations de testostérone totale et biodisponible. Le Dr. Tremblay termine sa note en indiquant patiente à revoir à l'automne 2000.

[258] Appelé à expliquer dans le cadre de son témoignage la question des élévations de testostérone, le Dr. Tremblay indique que c'est possiblement l'une des causes possibles de la non-consommation ou la consommation intermittente des médicaments. La preuve révèle que Micheline Montreuil a effectivement pris ses hormones en alternance ou de façon intermittente, ce qui n'avait pas été prescrit par le Dr. Tremblay.

[259] La preuve révèle que le 30 novembre 1999, Micheline Montreuil écrit à nouveau au Dr. Tremblay. Il indique dans sa lettre qu'à la suite du traitement hormonal auquel il s'est soumis depuis un an et demi, il a un certain nombre de questions sur les résultats du traitement hormonal.

[260] Ainsi, dans sa lettre, Micheline Montreuil fait état de sa consommation d'hormones féminines. Il indique en ce qui concerne les comprimés d'Estinyl et d'Euflex que le Dr. Tremblay lui a prescrits qu'ils ont été pris en alternance avec des périodes d'abstinence. Micheline Montreuil informe également le Dr. Tremblay qu'il a décidé de prendre des comprimés d'Estinyl et d'Euflex pendant une période de trois mois et pense étendre un peu cette période jusqu'à trois mois et demi ou quatre mois. Il demande au Dr. Tremblay ce qu'il pense de son intention de prendre des hormones pendant une période continue de trois mois et demi à quatre mois ou une période plus longue, du développement de ses seins, de la période prévisible de croissance de ses seins, de la grosseur et du volume qu'ils peuvent atteindre, de l'état de sa peau, des résultats de l'épilation au laser, de l'état de sa jambe gauche après certains traitements pour combattre une infection bactérienne, de l'excision d'une petite boursouflure au bras gauche. Micheline Montreuil veut également savoir les liens entre l'infection bactérienne et la prise d'hormones en même temps que d'antibiotiques. Il s'enquiert également de la disponibilité d'une hormone de remplacement pour l'Estinyl et du renouvellement de sa prescription d'Euflex. Il indique qu'il voudrait savoir le résultat de ses tests sanguins.

[261] Appelé à commenter, dans le cadre de son témoignage, les propos de Micheline Montreuil dans la lettre qu'il lui adresse le 30 novembre 1999, le Dr. Tremblay dira qu'il a certainement répondu à Micheline Montreuil que s'il voulait poursuivre son cheminement d'une manière linéaire, qu'il n'y avait pas de contre-indication médicale, que c'était la seule garantie pour en arriver à l'objectif global qui est de changer d'identité, d'être au terme d'une transsexualisation. Pour le Dr. Tremblay, une prise en alternance d'hormones ne permet pas d'atteindre les objectifs ultimes de la transsexualisation.

[262] Par ailleurs, lors de son témoignage, le Dr. Tremblay ne put dire s'il était en possession de cette lettre lors de son examen de Micheline Montreuil, le 30 novembre 1999. Toutefois, confronté au fait que dans ses notes d'évolution il indique que l'hormonothérapie est consommée de manière fidèle et le contenu de la lettre où il est indiqué que Micheline Montreuil a pris les comprimés prescrits par le Dr. Tremblay en alternance, le Dr. Tremblay suggéra qu'il n'avait probablement pas pris connaissance de la lettre en date du 30 novembre 1999 qui lui était adressée lorsqu'il a rédigé sa note.

[263] La preuve révèle que le 13 mars 2000, Micheline Montreuil fait parvenir une lettre au Dr. Tremblay dans laquelle il indique au Dr. Tremblay que les Forces canadiennes ont demandé de nouveaux renseignements et fait allusion à la lettre du 9 mars 2000 du Dr. Collins qu'il joint en fait à sa lettre.

[264] Dans sa lettre, le Dr. Collins indique que des informations additionnelles sont requises pour déterminer si Micheline Montreuil rencontre les normes communes à l'enrôlement, fait état du fait qu'au moment de sa demande d'enrôlement, Micheline Montreuil prenait des hormones, qu'il a indiqué par la suite qu'il était pour arrêter la prise d'hormones dans le futur. Le Dr. Collins informe Micheline Montreuil qu'il a été décidé qu'il serait prudent qu'il fournisse une réévaluation par son médecin une fois l'effet des hormones disparu. Il requiert que son médecin confirme qu'aucun autre traitement n'est requis pour sa condition ayant trait à l'identité du genre.

[265] Dans sa lettre, Micheline Montreuil fait état du fait qu'il a arrêté la prise d'hormones et demande au Dr. Tremblay de rédiger un rapport attestant que l'effet des hormones a cessé, qu'aucun autre traitement hormonal n'est requis compte tenu du résultat obtenu dans le développement de ses seins, que le développement s'est fait selon les normes, que ses examens sanguins révèlent que son état de santé est tout à fait normal, que son comportement est logique et rationnel eu égard à son cheminement et que s'il doit retourner dans les Forces canadiennes, il serait nécessaire qu'il retourne en tant que femme compte tenu de son cheminement. Il indique enfin dans sa lettre qu'il a pris rendez-vous avec le Dr. Tremblay pour examen le 4 avril 2000 et semble indiquer au Dr. Tremblay d'attendre ce moment avant de rédiger ce rapport. Le Dr. Tremblay indiquera qu'il n'a pas rencontré Micheline Montreuil avant de rédiger ce rapport n'en ayant pas vu la pertinence.

[266] La preuve révèle que le 4 avril 2000, le Dr. Tremblay rencontre Micheline Montreuil pour une cinquième fois. Il note dans son dossier que Micheline Montreuil a arrêté toute hormonothérapie féminine au début de mars 2000, que son poids corporel a commencé à diminuer, qu'elle a moins faim, que le volume de ses seins a régressé, que la personne ne veut pas d'opération au niveau génital et anticipe peut-être une plastie mammaire. Le Dr. Tremblay indique, par ailleurs, que les formalités dans l'armée sont très avancées et qu'il n'y a pas d'autorisation de chirurgie pour une période de 3 ans. Appelé à commenter ce dernier élément, le Dr. Tremblay dira ans son témoignage qu'il rapportait là les propos de Micheline Montreuil.

[267] La preuve révèle que le 17 octobre 2000, le Dr. Tremblay reçoit Micheline Montreuil en consultation pour une sixième fois. Dans sa note d'évolution, le Dr. Tremblay indique que la personne a cessé toute hormonothérapie féminine en avril 2000, que le bilan hormonal pratiqué le 21 août 2000 est normal et traduit le retour à une fonction gonadique normale. Le Dr. Tremblay note que, compte tenu du cheminement de la personne, celle-ci souhaite recommencer son hormonothérapie. Le Dr. Tremblay indique, en outre, dans sa note qu'il doit respecter les libertés de cette personne avocate, prescrit de l'Euflex et de l'Estrace et indique qu'un bilan lipidique et hormonal sera effectué dans six mois.

[268] Il appert que le 27 mars 2001, le Dr. Tremblay revoit Micheline Montreuil pour une septième fois. Dans sa note d'évolution, le Dr. Tremblay indique que l'hormonothérapie en cours donne des résultats intéressants mais qu'elle s'accompagne d'une prise de poids, que la revue des systèmes demeure normale, que le dernier bilan est strictement normal. Dans son témoignage, le Dr. Tremblay note, sur la foi de résultats de laboratoire, que Micheline Montreuil se conforme à la prise de ses médications. Cela dit, dans son témoignage, le Dr. Tremblay indique que l'hormonothérapie aurait repris entre le 20 février 2001 et le 27 mars 2001.

[269] La preuve révèle que le Dr. Tremblay a reçu Micheline Montreuil en consultation le 16 octobre 2001 pour la huitième fois. La note d'évolution qui apparaît au dossier indique que la personne a cessé toute médication le 20 février 2001, que les conséquences métaboliques sont limitées à une état de surcharge pondérale, que l'analyse de sperme montre une oligozoospermie modeste, que Micheline Montreuil est en présence de sa partenaire et qu'il y a certainement un projet de grossesse imminente et que le couple a consulté à cet égard.

[270] Le 12 novembre 2001, Micheline Montreuil écrit au Dr. Tremblay en rapport avec sa demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes. Dans sa lettre, il indique au Dr. Tremblay qu'il s'agit d'une opinion médicale finale qui est demandée. Micheline Montreuil écrit que les Forces canadiennes sont ouvertes à son retour dans les Forces sous réserve d'une dernière opinion médicale de sa part. Il lui fait part qu'il a reçu une nouvelle demande de divulgation de renseignements médicaux qu'il lui demande de compléter. A sa lettre, Micheline Montreuil joint une lettre qu'il avait transmise ainsi qu'une copie des trois lettres qui avaient été écrites par les docteurs Côté et Lehoux. La preuve révèle qu'à la suite de cette lettre, le Dr. Tremblay compléta une demande de renseignements médicaux le 22 novembre 2001 et un énoncé de tâches commune le 29 novembre 2001.

[271] Sur la base de ces éléments, le Tribunal conclut qu'au moment où il a consulté le Dr. Tremblay afin d'avoir une hormonothérapie, Micheline Montreuil envisageait un changement de sexe. La mention par le Dr. Tremblay dans le dossier médical de Micheline Montreuil d'une hormonothérapie en fonction d'un changement de sexe contredit l'affirmation faite à plusieurs reprises par Micheline Montreuil dans son témoignage et sa plaidoirie que l'hormonothérapie à laquelle il s'est soumis ne visait qu'à lui donner une paire de seins et que le seul but recherché en était un de nature esthétique, point. Le Tribunal accorde plus de crédibilité au Dr. Tremblay qu'à Micheline Montreuil quant aux raisons l'ayant amené à consulter le Dr. Tremblay.

[272] Le Tribunal considère que Dr. Tremblay n'avait aucun intérêt à inscrire dans son dossier des informations qui n'étaient pas vraies ou qui étaient inexactes. Le Dr. Tremblay est apparu au Tribunal comme un professionnel consciencieux, malgré le fait que son attitude face aux personnes qui viennent le voir pour une hormonothérapie dans une démarche de changement de sexe puisse surprendre.

[273] Par ailleurs, le Tribunal conclut que Micheline Montreuil, contrairement à son affirmation qu'il ne voulait qu'une chose, avoir des seins en suivant une hormonothérapie, envisageait en avril 2000 une plastie mammaire. À cet égard, le Tribunal considère que le fait relaté par le Dr. Tremblay reflète la réalité des propos tenus par Micheline Montreuil, le Tribunal étant plus porté à croire le Dr. Tremblay que Micheline Montreuil.

[274] Enfin, eu égard au témoignage du Dr. Tremblay, le Tribunal conclut qu'au moment où Micheline Montreuil est venu le consulter en vue de se voir prescrire une hormonothérapie, le Dr. Tremblay considérait que Micheline Montreuil était une personne transsexuelle.

[275] Le Tribunal retient, en outre, des lettres que Micheline Montreuil a fait parvenir au Dr. Roland Tremblay entre le 5 août 1998 et le 12 novembre 2001, que Micheline Montreuil 1. était particulièrement préoccupé par le développement de ses seins, 2. était ambivalent quant à un possible changement de sexe, 3. n'hésite pas à indiquer, voire prescrire les éléments qu'il voulait voir apparaître aux rapports médicaux acheminés aux Forces canadiennes, éléments servant ses intérêts personnels et ne reflétant pas nécessairement la réalité des choses.

[276] En marge de la correspondance que Micheline Montreuil fait parvenir au Dr. Tremblay en rapport avec son hormonothérapie et des multiples consultations qui ont eu lieu, la preuve révèle que le Dr. Tremblay fit parvenir aux Forces canadiennes une série de rapports médicaux en rapport avec le suivi médical qu'il assurait auprès de Micheline Montreuil.

b) Les rapports médicaux

1. Le rapport du 26 octobre 1999

[277] La preuve révèle que le Dr. Tremblay écrit au Capitaine Labonté des Forces canadiennes le 26 octobre 1999 pour donner suite à la lettre du 12 octobre 1999 de Micheline Montreuil. Le Dr. Tremblay indique dans son témoignage qu'il n'a pas rencontré Micheline Montreuil avant de rédiger cette lettre. Il indique, par ailleurs, qu'il a tenu compte du contenu de la lettre du 12 octobre 1999 qui lui avait acheminée Micheline Montreuil dans la rédaction de sa lettre et qu'il existe certaines corrélations, notamment entre la demande de Micheline Montreuil qu'il a un comportement logique et rationnel et la mention que le cheminement biopsychologique obéit aux schémas de routine en matière de changement de sexe, ainsi que son intégration dans les Forces canadiennes en tant que femme afin de continuer le processus de changement de manière harmonieuse.

[278] Dans la lettre du 26 octobre 1999 adressée au Capitaine Labonté et qui a pour objet Micheline Montreuil, le Dr. Tremblay écrit qu'il rencontre Micheline Montreuil depuis un an et demi dans un contexte où il est le responsable médical de l'hormonothérapie ayant pour but de féminiser le phénotype de la personne. Le Dr. Tremblay écrit qu'il comprend que cette phase de la vie de la personne transsexuelle marque une transition qui précède les interventions chirurgicales qui confèrent au corps des marques indélébiles de féminité. Le Dr. Tremblay ajoute que Micheline Montreuil fait preuve de compliance dans la relation médicale et souscrit à tous les examens sanguins qui lui sont proposés, que les examens biologiques sont normaux, que le cheminement biopsychologique obéit aux schémas de routine en matière de changement de sexe.

[279] Enfin, le Dr. Tremblay émet l'opinion que la conjoncture actuelle l'incite à suggérer un retour dans les Forces armées canadiennes, dans un rôle féminin, pour fin de conformité dans les nouvelles orientations de vie de Micheline Montreuil.

[280] Lors de son témoignage, le Dr. Tremblay indiquera que le contenu de la lettre du 26 octobre 1999 représente sa perception de la réalité qui y est décrite par rapport à Micheline Montreuil. Il ajoute qu'à la suite de la transmission de la lettre, il n'a eu aucune information de Micheline Montreuil à l'effet que quoi que ce soit de mentionné dans la lettre serait inexact. Le Dr. Tremblay ajoutera, lors de son témoignage, que la lettre du 26 octobre 1999 a été rédigée en toute bonne foi et qu'il n'a subi aucune pression de la part de Micheline Montreuil.

[281] Par ailleurs, le Dr. Tremblay indiquera lors de son témoignage que phase de la vie réfère spécifiquement à la prise d'hormones, qu'il considérait alors Micheline Montreuil comme une personne transsexuelle, que la période de transition est celle où la personne prend des hormones. Le Dr. Tremblay indique également dans son témoignage que ce qu'il voulait faire comprendre au Capitaine Labonté était qu'en ce a trait à la personne transsexuelle qui consomme des hormones, l'hormonothérapie est la phase de transition qui précède les interventions chirurgicales conférant au corps des marques indélébiles de féminité. Toutefois, le Dr. Tremblay indiquera que sa compréhension de la condition de Micheline Montreuil n'était pas qu'il allait subir des interventions chirurgicales.

[282] En ce qui a trait au cheminement biopsychologique auquel il réfère dans sa lettre, le Dr. Tremblay explique dans son témoignage que ce qu'il voulait signifier par cette expression est que le cheminement de Micheline Montreuil suivait les schémas de routine en matière de changement de sexe, expression couramment utilisée en 1999 et qui a été remplacée par la suite par l'expression dysphorie du genre.

[283] Le Dr. Tremblay indique, par ailleurs, dans son témoignage qu'en date du 26 octobre 1999, il avait la conviction, en tant que médecin, que Micheline Montreuil ne présentait pas de problèmes psychologiques. Il reconnaît cependant qu'il n'a fait subir alors à Micheline Montreuil aucun test psychologique.

[284] Enfin, il est à noter que le Dr. Tremblay dira dans son témoignage que dans sa lettre, il parlait de transsexualité en général, en très général et de la personne transsexuelle au sens du DSM-IV, changement de sexe et non de Micheline Montreuil en particulier.

[285] De l'avis du Tribunal, cette explication ne tient pas la route. La lettre du 26 octobre 1999 a pour objet Micheline Montreuil. Dans sa lettre, le Dr. Tremblay indique qu'il rencontre la personne en titre depuis un an et demi dans un contexte d'hormonothérapie et que cette phase de la vie, soit l'hormonothérapie, de la personne transsexuelle marque une transition qui précède les interventions chirurgicales. Telle que rédigée, la lettre du 26 octobre 1999 laisse à penser, pour quiconque la lit, que Micheline Montreuil était perçu, par le Dr. Tremblay comme une personne transsexuelle et non transgenre, tel qu'il l'a reconnu précédemment. Tel que la preuve le démontre, le Dr. Tremblay était fort familier avec la distinction entre une personne transsexuelle et une personne transgenre. Pourtant, en aucun temps, utilise-t-il le mot transgenre. Dans les circonstances, on ne saurait d'aucune façon blâmer les médecins des Forces canadiennes d'avoir interprété le contenu de la lettre comme une indication que Micheline Montreuil était une personne transsexuelle en processus de transition.

[286] Interrogé à propos de l'utilisation par le Dr. Tremblay du terme transsexuel dans sa lettre du 26 octobre 1999, Micheline Montreuil dira dans son témoignage que c'est le Dr. Tremblay qui utilise le terme et non lui et qu'il n'est pas responsable de ce que les autres écrivent à son sujet. Il reconnaîtra, par ailleurs, dans son témoignage, que lorsque le Dr. Tremblay parle de la phase de la vie de la personne transsexuelle, le Dr. Tremblay parle de Micheline Montreuil.

[287] Le fait que Micheline Montreuil dise qu'il n'est pas responsable de ce que les autres écrivent surprend dans la mesure où, comme le révèle la preuve, Micheline Montreuil utilise lui-même les termes qu'il reproche aux autres d'utiliser, tel que transsexuel, changement de sexe. Selon Micheline Montreuil, le Dr. Tremblay aurait pu utiliser les termes transgenre, travesti ou shemale. Cette explication n'est pas crédible. Le Dr. Tremblay, la preuve le révèle, traite depuis près de 30 ans des personnes qui viennent le voir pour une hormonothérapie en vue d'un changement d'identité sexuelle. Le Dr. Tremblay connaît très bien la terminologie du milieu et sait l'utiliser de façon appropriée.

[288] Par ailleurs, dans son témoignage, Micheline Montreuil dira que les marques indélébiles dont il est question sont une paire de seins. En outre, pour Micheline Montreuil, l'expression personne transsexuelle ne correspond pas à ce qu'il était alors. Micheline Montreuil indiquera également dans son témoignage que, pour lui, suivre le cheminement d'une transsexuelle ne signifie pas que l'on en est une. Pour Micheline Montreuil, le Dr. Tremblay a utilisé une terminologie qui ne correspond pas à la réalité.

[289] En ce qui concerne le rapport du 26 octobre 1999, le Dr. Beltrami, expert de la Commission, a reconnu, pour sa part que le contenu de la lettre laisse à penser que Micheline Montreuil se dirige vers une transsexualité complète, soit une opération de réassignation sexuelle complète avec castration et ablation du pénis. Le Dr. Beltrami reconnaîtra également dans son témoignage qu'à la lecture de la lettre, il existe une forte présomption que le diagnostic fait par le Dr. Tremblay, qui, soit dit en passant, est familier, la preuve le révèle, avec le traitement de personnes qui présentent une dysphorie du genre ou sont transsexuelles, bien qu'il ne soit pas explicite, en était un de transsexualité qui allait s'orienter vers un changement de sexe complet. C'est ce qu'ont compris également les médecins des Forces canadiennes. Le Dr. Beltrami ajoute qu'en l'espèce, il s'agissait, selon lui, dans le contexte de 1999, d'une transsexualité qui correspondrait au DSM.

2. Le rapport du 15 mars 2000

[290] La preuve révèle que le 15 mars 2000, le Dr. Tremblay fait parvenir un second rapport au Capitaine Labonté. Dans son rapport, le Dr. Tremblay écrit que dans le processus de changement de sexe, il est essentiel de maintenir une hormonothérapie de suppression hypothalamophysaire de manière à ce que les testicules demeurent au repos et que l'équilibre hormonal, maintenu en faveur des hormones féminines, soutienne les attributs féminins. Ce n'est qu'après la castration chirurgicale et la plastie génitale que l'hormonothérapie féminisante est significativement diminuée. Bref, sans hormonothérapie, le cheminement de la personne transsexuelle est compromis ou tout simplement interrompu. On revient à la case départ. Le Dr. Tremblay ajoute, par ailleurs, qu'il est conscient qu'il y a eu, sans doute mésentente entre Micheline Montreuil et la perception des Forces canadiennes et qu'il rencontrera Micheline Montreuil le 4 avril 2000 pour un complément d'information. Lors de son témoignage, le Dr. Tremblay indiquera que cette lettre est en réponse à la lettre que Micheline Montreuil lui a fait parvenir le 13 mars 2000.

[291] Appelé à expliquer sa compréhension de la lettre du Dr. Collins qui accompagnait la lettre du 13 mars 2000 de Micheline Montreuil, le Dr. Tremblay indique qu'il a compris que ce qui était demandé était si les effets des hormones avaient disparu et si aucun traitement n'était requis en ce qui a trait à la question de l'identité de genre. Lors de son témoignage, le Dr. Tremblay précise que, pour l'année 2000, Micheline Montreuil avait cessé de prendre des hormones féminines en mars 2000, après avoir au préalable mentionné le mois d'avril 2000. Cela dit, le Dr. Tremblay indiquera dans son témoignage qu'au moment où il rédige son rapport, en date du 15 mars 2000, il est sous l'impression que la prise d'hormones avait cessé définitivement en mars 2000. Par ailleurs, le Dr. Tremblay indique dans son témoignage que si une personne arrête de prendre des hormones, la pertinence d'un suivi médical n'existe plus.

[292] Appelé à expliquer sa compréhension du cheminement de Micheline Montreuil, le Dr. Tremblay indique dans son témoignage que ce qu'il comprend dans un contexte où il est informé que l'hormonothérapie est arrêtée, c'est peu de choses. Il précise d'abord qu'on a possiblement évolué de la trajectoire purement transsexuelle vers une trajectoire transgenre et qu'il y a selon lui, modification de l'objectif. Il note ensuite que, eu égard aux interruptions par Micheline Montreuil de l'hormonothérapie, pour quelque raison que ce soit, Micheline Montreuil pourrait éventuellement, pour des besoins ponctuels ou reprise de cheminement vers le transsexualisme pur et dur, recommencer des hormones. Cela dit, le Dr. Tremblay indique dans son témoignage qu'en date du 15 mars 2000, la lettre peut être comprise comme un retour à la case départ au point de vue hormonal et comportemental qui pourrait être une situation de transgenre.

[293] Le Dr. Tremblay indiquera, par ailleurs, dans son témoignage, que l'arrêt de l'hormonothérapie compromet la féminisation de Micheline Montreuil et reconnaît, dans ce contexte, que Micheline Montreuil voulait devenir une femme. Il ajoute également que si l'interruption se valide, cela signifierait que la personne a opté pour le transgenre. Cela dit, le Dr. Tremblay dira dans son témoignage qu'à cette époque, il en était venu à percevoir Micheline Montreuil comme appartenant à la catégorie des personnes transgenres plutôt que des personnes transsexuelles.

[294] Si tel est le cas, le Tribunal note cependant que nulle part dans sa correspondance avec les Forces canadiennes le Dr. Tremblay utilise le terme transgenre avec lequel il est familier. Il continue dans sa correspondance de parler de changement de sexe et de personne transsexuelle. Le Tribunal constate que s'il est vrai que le Dr. Tremblay considérait un changement dans la condition de Micheline Montreuil, de personne transsexuelle à personne transgenre, il n'en a jamais fait explicitement part aux Forces canadiennes. En conséquence, le Tribunal est d'avis qu'on ne saurait d'aucune façon reprocher aux médecins des Forces canadiennes de ne pas avoir apprécié ce changement à la lumière de l'information qui leur était transmise.

[295] Appelé, par ailleurs, à s'expliquer sur le sens de l'allusion à la mésentente à laquelle il fait référence dans sa lettre, le Dr. Tremblay indiquera que cela portait sur l'attente des Forces canadiennes, vu l'arrêt de la prise d'hormones, que Micheline Montreuil réintègre les Forces canadiennes en tant qu'homme alors que Micheline Montreuil voulait les réintégrer en tant que femme. Le Dr. Tremblay précise dans son témoignage que son intention, en rédigeant la lettre comme il l'a fait, était de s'assurer que les Forces canadiennes saisissent bien que Micheline Montreuil voulait réintégrer les Forces canadiennes dans son rôle de femme, ayant des attributs de sexe féminin, qu'elle soit en route vers le transsexualisme avec transformation chirurgicale ou qu'elle soit dans une situation de transgenre.

[296] Dans son témoignage, le Dr. Tremblay a reconnu que sa lettre du 15 mars 2000 ne répondait pas à la question de la réévaluation de la condition de Micheline Montreuil vu qu'il n'y avait pas eu d'évaluation psychiatrique ou psychologique, non plus qu'à la question de l'identité de genre.

[297] Par ailleurs, Micheline Montreuil reconnaît que, dans son rapport du 15 mars 2000, le Dr. Tremblay parle d'un processus de changement de sexe et admet qu'il se réfère à Micheline Montreuil, que son rapport porte effectivement sur Micheline Montreuil.

[298] Cela dit, pour Micheline Montreuil, le Dr. Tremblay explique, dans cette lettre, de façon générale et non spécifiquement en rapport à lui, ce qu'implique un processus de changement de sexe, notamment quant à l'hormonothérapie, et qu'il ne parle nullement de Micheline Montreuil mais de la personne transsexuelle en général, dans l'abstrait, de façon hypothétique. Micheline Montreuil dira spécifiquement, en ce qui a trait au premier paragraphe de la lettre du Dr. Tremblay, que celui-ci ne s'adresse pas à lui, ne le concerne pas personnellement mais constitue un énoncé général qui concerne les personnes transsexuelles en général et non lui qui se dit transgenre et non transsexuelle.

[299] En ce qui a trait à l'hormonothérapie, Micheline Montreuil indiquera dans son témoignage que ce dont il est question dans la lettre du Dr. Tremblay, c'est le cheminement de la personne transsexuelle, que si la personne transsexuelle arrête son hormonothérapie, elle arrête son cheminement. Ainsi, pour Micheline Montreuil, les personnes transsexuelles continuent leur cheminement jusqu'à la fin parce qu'elles veulent devenir transsexuelles. Elles ne prennent pas des hormones féminines, comme l'a fait Micheline Montreuil, par périodes de trois mois mais le font de façon continue. Micheline Montreuil indiquera qu'il prenait les hormones qui lui avaient été prescrites de façon interrompue parce qu'il est un transgenre qui voulait garder son pénis fonctionnel et ainsi éviter la castration chimique.

[300] De l'avis du Tribunal, ceci est peut-être l'interprétation de Micheline Montreuil. Cela dit, la preuve révèle que les médecins des Forces canadiennes ont eu une autre interprétation des propos du Dr. Tremblay qui est loin d'être déraisonnable dans les circonstances, à savoir que le Dr. Tremblay se référait à la condition de Micheline Montreuil.

[301] En ce qui a trait à la lettre du 15 mars 2000 du Dr. Tremblay, le Dr. Beltrami dira, dans son témoignage, que la personne transsexuelle dont il s'agit en l'espèce est Micheline Montreuil. De sa lecture de la lettre, le Dr. Beltrami dira que ce qu'il en comprend est qu'en mars 2000, il appert que le Dr. Tremblay pensait que Micheline Montreuil irait jusqu'au bout et que l'arrêt hormonal compromettrait cette évolution. Le Dr. Beltrami ajoutera que la lettre du Dr. Tremblay soulève des points d'interrogation à l'égard de la signification de cette correspondance en ce qui a trait à la condition de Micheline Montreuil.

[302] Appelé à comparer le contenu de la lettre du 15 mars 2000 et la note du Dr. Tremblay du 4 avril 2000, qui n'était pas en la possession des médecins des Forces canadiennes, faut-il le préciser, le Dr. Beltrami notera dans son témoignage que le 15 mars 2000, le Dr. Tremblay dit qu'il va y avoir opération et qu'un mois plus tard, soit le 4 avril 2000, il est noté que Micheline Montreuil a arrêté l'hormonothérapie et qu'il ne veut pas d'opération au niveau génital. Pour le Dr. Beltrami, il s'agit de quelque chose de très inusité, voire anormale, qui demande une explication, voire une expertise.

[303] A cet égard, le Dr. Beltrami indique que si tout cela se produisait dans le civil, il serait indiqué de demander une expertise pour éclairer une telle situation. Le Dr. Beltrami reconnaîtra que, dans les circonstances, une évaluation ou une réévaluation de la condition médicale de Micheline Montreuil, qui change de trajectoire, était nécessaire. Pour le Dr. Beltrami, il aurait été indiqué, à ce moment-ci, de demander une évaluation psychiatrique tout comme il aurait été approprié dans les circonstances de demander au Dr. Tremblay de préciser le sens de ses propos, eu égard aux interrogations que soulevait, d'après le Dr. Beltrami, la lettre du Dr. Tremblay.

3. La demande de renseignements du 22 novembre 2001

[304] La preuve révèle que le 22 novembre 2001, le Dr. Tremblay complète un formulaire de demande de renseignements médicaux provenant des Forces canadiennes, ainsi qu'un questionnaire portant sur un énoncé de tâches communes en date du 29 novembre 2001.

[305] La preuve révèle que le Dr. Tremblay indique sur la demande de renseignements médicaux au chapitre du diagnostic qu'il s'agit d'une personne se comportant comme une personne transsexuelle, que l'hormonothérapie a été cessé le 20 février 2001, que le candidat n'a pas de restriction connue et que, en termes de risque de récurrence, celui-ci n'était pas prévisible. En ce qui concerne l'élément risque de récurrence, le Dr. Tremblay indique dans son témoignage qu'il ne savait pas trop de quoi il s'agissait et qu'il a mis non prévisible.

[306] Appelé à commenter le sens à donner à l'expression Se comporte comme une personne transsexuelle, le Dr. Tremblay répond dans son témoignage que ce qu'il a voulu dire, c'est que Micheline Montreuil se comporte comme mais n'est pas une personne transsexuelle et que cela veut dire qu'elle est transgenre.

[307] Pour le Tribunal, cette explication vaut sans doute pour le Dr. Tremblay; toutefois, la lecture du texte ne permet pas d'en induire que ce que voulait en fait dire le Dr. Tremblay, c'était que Micheline Montreuil n'était pas une personne transsexuelle mais une personne transgenre. Compte tenu de la familiarité qu'a démontrée à l'audience le Dr. Tremblay quant à la distinction entre une personne transgenre et une personne transsexuelle, le Tribunal demeure perplexe quant à l'utilisation ici d'une terminologie sibylline.

[308] Lors de son témoignage, le Dr. Tremblay a indiqué qu'il avait répondu au questionnement des Forces canadiennes sur le traitement hormonal en indiquant sur le formulaire de demande de renseignements que l'hormonothérapie avait cessé le 21 février 2001. Par ailleurs, il a indiqué, en ce qui a trait au plan de traitement, que la seule indication qu'il a fournie avait trait à la prescription de Xénical. En ce qui a trait au besoin de suivi, le Dr. Tremblay indique dans son témoignage qu'il n'a fourni aucune information quant au besoin de suivi et qu'il s'est en fait contenté de compléter les diverses sections de la demande de renseignements médicaux.

[309] En ce qui concerne l'Énoncé de tâches qui lui fut acheminé, le Dr. Tremblay a indiqué dans son témoignage qu'il n'a trouvé aucune condition médicale qui empêcherait Micheline Montreuil d'accomplir les tâches décrites à l'Énoncé. Lors de son témoignage, le Dr. Tremblay indiquera qu'il n'a pas rencontré Micheline Montreuil avant de compléter ces documents.

[310] Dans son témoignage, Micheline Montreuil indiquera qu'à aucun moment a-t-il indiqué au Dr. Tremblay qu'il avait l'intention de changer de sexe. Micheline Montreuil indiquera que tout ce qu'il lui a dit, c'était qu'il voulait avoir des seins. Pour Micheline Montreuil, sa démarche auprès du Dr. Tremblay était uniquement de nature esthétique. Micheline Montreuil indiquera, par ailleurs, qu'il lui appartenait, une fois les hormones prescrites, de déterminer la fréquence de la consommation.

[311] Le Tribunal conclut que, malgré les démentis de Micheline Montreuil, malgré le fait qu'il affirme que son seul but en consultant le Dr. Tremblay était de nature esthétique ou cosmétique, à savoir avoir des seins, la preuve établit clairement que Micheline Montreuil était ou a laissé croire aux médecins qu'il consultait qu'il était engagé dans un processus de changement de sexe. Ainsi, dans la note de consultation rédigée en date du 14 juillet 1998, le Dr. Tremblay écrit qu'il est en présence d'une personne qui désire une hormonothérapie féminine en fonction d'un changement de sexe. Il n'est nullement indiqué, comme le prétend Micheline Montreuil, que le but de l'hormonothérapie est uniquement pour des fins esthétiques.

[312] Par ailleurs, le Dr. Beltrami dira, au terme de son témoignage, que les lettres du Dr. Tremblay le laisse sur sa faim, que ce qui s'y trouve est flou, vague. Il fait le constat qu'il y une insuffisance de précisions, de diagnostic, de motivation du diagnostic, du changement de trajectoire. Cela dit, le Dr. Beltrami dira, sur la question du diagnostic, qu'il revient au psychiatre d'établir le diagnostic. Toutefois, il ajoutera que tout médecin peut poser un diagnostic en autant qu'il a les compétences pour le faire.

[313] En terminant, il est frappant de constater que, dans les lettres rédigées en octobre 1999 par les Dr. Lehoux, Côté et Tremblay, tous les trois recommandent que Micheline Montreuil soit intégré dans les Forces canadiennes comme femme, élément qui n'est aucunement sollicité par les Forces canadiennes. Il existe ici une forte présomption que Micheline Montreuil ait demandé que cet élément figure dans les lettres acheminées aux Forces canadiennes, comme le suggère la lettre adressée le 12 octobre 1999 au Dr. Tremblay.

[314] À cet égard, il est intéressant de mettre en parallèle le rapport médical que le Dr. Lehoux faisait parvenir au Capitaine Labonté le 20 octobre 1999 à la suite de la demande de renseignements médicaux des Forces canadiennes et la lettre que Micheline Montreuil faisait parvenir au Dr. Tremblay le 12 octobre 1999.

Lettre du 12 octobre 1999 de Micheline Montreuil au Dr. Tremblay

Auriez-vous l'obligeance de rédiger un rapport attestant ... que mon corps a subi des transformations permanentes et qu'il présente maintenant des caractéristiques féminines évidentes, que j'ai des seins d'une grosseur appréciable et dont le développement se fait selon les normes, ..., que mon comportement est logique et rationnel eu égard à mon cheminement et que si je retourne dan les forces armées canadiennes, il serait nécessaire que j'y retourne en tant que femme afin de continuer le processus de changement de manière harmonieuse.

Rapport médical du Dr. Lehoux adressé au Capitaine Labonté

De plus, compte tenu du fait que madame Montreuil est également sous la surveillance médicale d'un de mes confrères, le docteur Roland R. Tremblay, endocrinologue au CHUL, pour son traitement hormonal, que son corps a subi des transformations permanentes, qu'il présente maintenant des caractéristiques féminines évidentes, notamment la présence de seins d'une grosseur comparable à ceux de d'autres femmes, et que son comportement est logique et rationnel, il serait nécessaire, si madame Montreuil retourne dans les forces armées canadiennes, qu'elle effectue ce retour en tant que femme, tant pour continuer le processus de changement de sexe de façon harmonieuse, que pour éviter toute perturbation.

[315] La similarité de terminologie que l'on retrouve entre les deux lettres donne à penser que Micheline Montreuil a fait parvenir au Dr. Lehoux une lettre similaire à celle qu'il a fait parvenir au Dr. Tremblay le 12 octobre 1999. Par ailleurs, le Tribunal est d'avis que ce n'est pas par pur hasard que tant le Dr. Tremblay, le Dr. Côté et le Dr. Lehoux recommandent que Micheline Montreuil intègre les Forces canadiennes en tant que femme.

D. L'historique militaire de Pierre/Micheline Montreuil

[316] En ce qui à trait à l'historique militaire de Pierre/Micheline Montreuil, le Tribunal a entendu comme témoin le Major Pierre Labonté, officier de sélection du personnel à la base des Forces canadiennes de Borden depuis 2004. Au moment où Micheline Montreuil s'est enrôlé en 1999, il était officier de sélection du personnel, responsable du Centre de recrutement de Québec. Dans son témoignage, le Major Labonté a retracé l'historique de Micheline Montreuil au sein des Forces canadiennes à partir de ses diverses demandes d'enrôlement.

[317] Pour la bonne compréhension du présent dossier, il importe de faire l'analyse systématique de la chronologie des diverses demandes d'enrôlement de Pierre/Micheline Montreuil ainsi que des différents éléments qui ont conduit les Forces canadiennes à rejeter sa demande d'enrôlement de 1999. Cette chronologie permettra d'avoir une idée juste de l'évolution de ses diverses demandes au fil du temps même si cela implique quelques répétitions.

[318] La preuve révèle que, préalablement à sa demande d'enrôlement de 1999 dans les Forces canadiennes, Micheline Montreuil fit trois demandes d'enrôlement, la première en 1974, la seconde en 1987 et la troisième en 1995, toutes trois sous le nom de Pierre Montreuil.

(i) La demande d'enrôlement de 1974

[319] La preuve révèle que Pierre Montreuil fit une première demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes en avril 1974. Pierre Montreuil fit alors application pour se joindre au Groupe professionnel militaire (GPM) 23U Infanterie. Il appert de la preuve que Pierre Montreuil, après avoir été admis, n'a toutefois suivi aucun cours et fut libéré cinq mois après s'être enrôlé à cause d'un manque de disponibilité relié à un conflit d'horaire entre le début de son entraînement à la base militaire de Shilo et un cours à l'Université d'Ottawa à la suite de l'obtention d'une bourse d'études du Ministère de la Justice du Canada.

(ii) La demande d'enrôlement de 1987

[320] Il appert de la preuve qu'en 1987, Pierre Montreuil fit une demande d'enrôlement afin de servir comme avocat dans la Force régulière des Forces canadiennes au sein le Bureau du Juge-avocat général. La preuve révèle que sa candidature ne fut pas retenue, tel qu'il appert d'une lettre signée par le Brigadier général Robert Martin le 12 décembre 1987 l'informant de cette décision.

[321] Dans sa lettre, le Brigadier général Martin indique que bien que son dossier répondait plus qu'adéquatement aux qualifications académiques et professionnelles nécessaires et qu'il ait été impressionné par l'entrevue auquel il avait participé, il n'était pas convaincu que, parmi les candidats en liste, il était celui qui répondait alors le mieux aux besoins de l'organisation, surtout en ce qui a trait à l'aspect carrière dans les Forces canadiennes.

(iii) La demande d'enrôlement de 1995

[322] La preuve révèle que Pierre Montreuil fit, le 7 décembre 1995, une demande d'enrôlement dans la réserve des Forces canadiennes dans le Groupe professionnel militaire (GPM) 69U logistique.

[323] En rapport avec cette demande d'enrôlement, Pierre Montreuil subit un examen médical le 7 décembre 1995. Sur le questionnaire du rapport d'examen médical en vue de l'enrôlement, Pierre Montreuil indique qu'il est de sexe masculin. Pierre Montreuil est jugé comme une personne en excellente santé. Le rapport d'examen médical indique que Pierre Montreuil rencontre les normes médicales communes à l'enrôlement. Il se voit attribuer alors le profil médical V3CV1H2G2O2A5.

[324] La preuve révèle que Pierre Montreuil signa le 20 novembre 1996 une demande de divulgation de renseignements médicaux sur laquelle est inscrit ce qui suit : aimerions résultat rapport radiographie région abdominale gauche pour lithiase rénale - urographie intraveineuse - résultat. Aucun nom de médecin n'est indiqué. La preuve révèle qu'un rapport médical fut produit. Une inscription au rapport médical du 7 décembre 1995 indique qu'il s'agit d'une lithiase unique sans récidive.

[325] Il appert de la preuve que le 8 décembre 1995, Pierre Montreuil est reçu en entrevue. Le dossier d'entrevue révèle que le candidat démontre de bons attributs pour la réussite de l'entraînement militaire et d'excellents pour l'emploi, que ses réalisations académiques suggèrent une excellente capacité d'apprentissage et que la poursuite de ses études simultanément à ses expériences d'emploi démontre une excellente organisation de son temps.

[326] Il est, par ailleurs, constaté que sa discipline personnelle dans l'organisation de son temps suggère qu'il est méthodique et qu'il possède un haut sens des responsabilités et un rendement efficace sous tension. Il est toutefois noté que le postulant éprouve des difficultés à communiquer oralement en ce qu'il esquive les questions à l'occasion en submergeant ses réponses à travers une multitude d'informations superflues et que les activités sportives pratiquées actuellement ne permettent pas de déceler des indices d'une bonne endurance physique. Cette situation est considérée comme représentant un facteur de risque durant l'instruction et pourrait diminuer le rendement du candidat sous tension.

[327] Basé sur l'ensemble des informations obtenues, Pierre Montreuil est évalué comme un postulant au-dessous de la moyenne pour le GPM 69U, logistique. Il est recommandé au postulant de débuter un programme d'entraînement physique centré sur le cardio-vasculaire et le suivre assidûment.

[328] Le 7 mars 1996, Pierre Montreuil est informé que sa candidature n'a pas été retenue pour la position d'officier logistique pour laquelle il avait appliqué et est invité à présenter une nouvelle demande l'année suivante.

[329] La preuve révèle que le 16 avril 1996, Pierre Montreuil est reçu en entrevue par le Capitaine Perreault. Le rapport d'entrevue indique que Pierre Montreuil désire appliquer pour le Groupe professionnel militaire, GPM 23U infanterie. Il est noté alors par le Capitaine Perreault que le postulant n'est pas motivé à poursuive une carrière comme officier d'infanterie, mais préfère plutôt exploiter ses qualités dans des domaines appropriés, tel que gestion, administration, aspect légal, logistique. Il est également noté que le postulant démontre une faible endurance physique et qu'il n'est pas recommandé pour le GPM 23U infanterie par manque de motivation et une condition physique trop faible pour suivre l'entraînement d'officier d'infanterie GPM 23U mais qu'il est recommandé pour le GPM 69U logistique.

[330] Le dossier démontre que Pierre Montreuil fut reçu en entrevue le 19 novembre 1996 afin de mettre à jour l'entrevue du 8 décembre 1995. Au terme de cette évaluation, Pierre Montreuil est évalué comme un postulant dans la moyenne pour le GPM 69U logistique. Il est recommandé au postulant de débuter un programme d'entraînement physique centré sur le cardio-vasculaire.

[331] Le rapport d'appréciation du candidat en relation avec l'entrevue du 19 novembre 1996 indique notamment que les démarches du postulant pour sélectionner l'unité de son choix et la persistance de son intérêt pour le GPM suggèrent une très bonne motivation face au GPM. Il est noté également que les activités sportives pratiquées par le postulant ne permettent pas de déceler d'indices d'une bonne endurance physique et que cette situation représente un facteur de risque durant l'instruction et pourrait diminuer son rendement sous tension. Malgré le peu d'activité cardio-vasculaire pratiquée en ce moment, Pierre Montreuil est persuadé que sa détermination et sa forte consistance physique lui permettront de suivre le groupe durant l'entraînement.

[332] Basé sur l'ensemble des informations obtenues, dont celles obtenues lors de la première entrevue, Pierre Montreuil est évalué comme un postulant dans la moyenne pour le Groupe professionnel militaire GPM 69U logistique.

[333] La preuve révèle que le 26 novembre 1996, le lieutenant colonel Pichette du régiment des Voltigeurs recommande que Pierre Montreuil soit enrôlé pour le Groupe professionnel militaire GPM 69U logistique.

[334] Il appert de la preuve que le 4 mars 1997, le lieutenant colonel Pichette écrit au Commandant du Quartier général du District. Dans sa lettre, le Lieutenant Colonel Pichette indique, après avoir eu une conversation avec Pierre Montreuil, qu'il considère que ce dernier fera un excellent officier dans l'encadrement de son état-major. Il précise que Pierre Montreuil possède beaucoup des qualités recherchées chez une personne qui occupera 80% de son temps derrière un bureau. Lors de son témoignage, Micheline Montreuil soulignera qu'il n'existe rien dans cette lettre qui indique qu'il est psychiatrisé, fou ou présentant des pathologies épouvantables.

[335] Le dossier révèle que le 11 mars 1997, le dossier de sélection de Pierre Montreuil est acheminé au Quartier général, secteur Québec, des Forces canadiennes par le Capitaine Verville qui recommande que Pierre Montreuil soit enrôlé dans le programme PEDO dans le groupe professionnel militaire GPM 69U logistique. Cette recommandation est entérinée par le commandant du district le 18 mars 1997.

[336] La preuve révèle que Pierre Montreuil fut officiellement enrôlé dans la première réserve des Forces canadiennes le 22 avril 1997 au programme d'enrôlement direct officiers, comme officier logistique GPM 69U non formé au grade de sous-lieutenant.

[337] Le dossier indique que le cours de formation pour officiers devait se dérouler du 5 juin 1997 au 29 juillet 1997. Pierre Montreuil fit une demande à son employeur d'alors, le Collège François-Xavier Garneau, d'être relevé de sa disponibilité au Collège du 5 au 11 juin 1997. Dans une lettre datée du 28 mai 1997, l'employeur refusa de relever Pierre Montreuil de sa disponibilité au Collège. La preuve révèle que Pierre Montreuil était alors contraint de faire quotidiennement la navette entre Montréal et Farnham, lieu où se donnait le cours.

[338] La preuve révèle que Pierre Montreuil ne put compléter le cours qu'il avait entrepris en juin 1997. À cet égard, la preuve révèle que le 17 juin 1997, Pierre Montreuil écrit au Capitaine Reid et au Capitaine David pour les informer qu'il désire se retirer du cours CEO-1 (infanterie) après 9 jours d'entraînement et en indique les raisons.

[339] Dans ses lettres, Pierre Montreuil fait état d'une perte de motivation et d'enthousiasme au niveau de l'entrainement sur le terrain. Il constate que bien que sa condition physique s'améliore, il ne sera jamais un officier terrain. Dans une lettre qu'il fait parvenir le lendemain aux mêmes capitaines Reid et David, Pierre Montreuil fait état d'un constat d'une condition physique déficiente ou inadéquate pour le travail ou les exercices dans le champ et d'une grande fatigue qui le ralentit énormément dans le champ. Pierre Montreuil ne mentionne alors aucunement le refus de son employeur de l'accommoder comme raison de son retrait.

[340] Le rapport de cours concernant Pierre Montreuil indique que celui-ci a demandé à être retiré du cours CEO 1 dans lequel il était inscrit pour des raisons personnelles. Il est noté dans le rapport que Pierre Montreuil a éprouvé de la difficulté dans le maniement du fusil C7 et les exercices élémentaires et qu'il est arrivé sur le cours sans préparation. En outre, le rapport indique que, bien qu'il ait assimilé sans problème la théorie enseignée en classe, il a éprouvé des difficultés lors des phases pratiques de l'instruction, de même que beaucoup de difficulté à s'adapter à la vie militaire. Selon le rapport, Pierre Montreuil a démontré un manque de motivation particulier envers les phases d'entraînement en campagne. Le rapport indique, en outre, qu'il n'est pas recommandé que sa candidature soit soumise à nouveau sur un prochain concours dans la mesure où sa motivation face au cours demeure inchangée.

[341] Le dossier révèle, par ailleurs, que Pierre Montreuil fut reçu en entrevue le 18 juin 1997 afin qu'il s'explique sur les raisons de son retrait du cours. Le rapport d'entrevue indique que Pierre Montreuil annonce pour la troisième fois qu'il a décidé de quitter le cours parce qu'il est d'avis qu'il retarde les autres stagiaires et qu'il n'a pas la condition physique pour poursuivre d'entraînement. Le rapport précise, en outre, que Pierre Montreuil est devenu un fardeau administratif, qu'il nuit sérieusement à la motivation des autres candidats et qu'il n'a clairement pas la motivation nécessaire pour compléter le cours de base d'officier. La décision est donc prise de retirer Pierre Montreuil du cours à la suite de sa demande de retrait volontaire. Pierre Montreuil n'est pas recommandé pour reprendre le cours et il est de plus suggérer que son unité réévalue la pertinence de le maintenir sur son effectif.

[342] Dans une lettre qu'il adresse au Lieutenant Colonel Pichette, le 25 août 1997, Pierre Montreuil fait part à ce dernier qu'il n'a pas été en mesure de suivre et de compléter les cours CEO-1, CEO-2 et IEOAT et lui offre sa démission à titre de membre du Régiment des Voltigeurs.

[343] Le 16 juin 1998, le Capitaine F. Roy des Voltigeurs de Québec écrit au Quartier général du 35e Groupe Brigade du Canada pour les informer que Pierre Montreuil a échoué le cours CEO1 et a demandé sa libération. Le Capitaine Roy écrit que, comme Pierre Montreuil n'a pas complété son cours, il est demandé une révision de carrière avec l'autorité de le libérer. Une copie du rapport de cours est annexée à la lettre.

[344] Le dossier révèle, par ailleurs, que le 22 juin 1998, un comité de révision des échecs a lieu et que la recommandation est alors faite de libérer le sous-lieutenant Montreuil selon l'article 5 (d) du tableau relatif à l'article 15.01 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) au motif que la personne ne peut pas être employée avantageusement 1. à cause d'un manque inhérent d'habileté ou d'aptitude à répondre aux normes militaires de l'emploi ou du métier, 2. parce qu'elle est incapable de s'adapter à la vie militaire, 3. parce qu'elle manifeste des faiblesses personnelles ou a des problèmes de famille ou personnels qui compromettent grandement son utilité ou imposent un fardeau excessif à l'administration des Forces canadiennes.

[345] La preuve révèle que le 6 juillet 1998, le Colonel Belleau, du 35e Groupe-brigade du Canada, de qui relève le Régiment des Voltigeurs de Québec, écrit au Commandant du secteur du Québec de la Force terrestre. Dans sa lettre, il constate que Pierre Montreuil a demandé à être retiré volontairement du cours après neuf jours d'instruction, qu'il a éprouvé beaucoup de difficultés à s'adapter à la vie militaire et qu'il a démontré un manque de motivation particulier envers les phases d'entraînement en campagne. Le Colonel recommande en conséquence qu'il soit libéré des Forces canadiennes selon l'article 5(d) du tableau ajouté à l'ORFC 15.01.

[346] Il appert de la preuve que, le 2 novembre 1999, le Conseil de révision de carrière appelé à examiner les échecs de cours de 1998, après avoir constaté que Pierre Montreuil a montré des difficultés à s'adapter à la vie militaire et a démontré un manque de motivation particulier envers les phases de l'entraînement en campagne ne recommande pas que Pierre Montreuil reprenne le cours mais qu'il soit libéré sous l'article 5(d) du tableau ajouté à l'ORFC 15.01.

[347] La preuve révèle que le 4 novembre 1998, le Régiment des Voltigeurs de Québec était informé de cette libération obligatoire de Pierre Montreuil et enjoint d'entreprendre les procédures administratives appropriées.

[348] Un avis de libération projetée daté du 18 novembre 1998 informe Pierre Montreuil qu'à la suite de sa demande de quitter les Forces et à son échec au cours CEO 1, il sera prochainement libéré des Forces canadiennes. La preuve révèle que le 3 décembre 1998, le Lieutenant Colonel Hébert signe la recommandation à l'effet que Pierre Montreuil soit libéré obligatoirement des Forces canadiennes parce qu'il a échoué le cours CEO 1. Cette recommandation est entérinée par le Brigadier général Gagnon le 31 mars 1999.

[349] La preuve révèle que le 7 juillet 1999, le colonel Strain du Quartier général de la Défense nationale approuve la libération définitive du sous-lieutenant Pierre Montreuil des Forces canadiennes sous le motif 5(d) aptitude. La libération de Pierre Montreuil survient quelques jours après que Micheline Montreuil eut fait une demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes, soit le 30 juin 1999. La preuve révèle que la libération prit effet le 18 août 1999.

[350] Sur la base de la documentation produite en ce qui a trait aux demandes d'enrôlement de Pierre Montreuil dans les Forces canadiennes avant 1999, le Tribunal conclut que Pierre Montreuil, en 1997, n'a pas démontré la motivation requise pour devenir membre des Forces canadiennes et qu'il n'avait pas la forme physique requise pour compléter un programme d'instruction. Ces constatations contrastent grandement avec la description que Micheline Montreuil a faite de sa condition physique à l'audience.

(iv) La demande d'enrôlement de 1999

[351] La preuve révèle qu'en 1999, Micheline Montreuil fait une demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes comme avocat au sein du bureau du Juge-avocat général (JAG). La preuve démontre que, par la suite, Micheline Montreuil mit sur sa demande d'enrôlement un deuxième choix, soit celui d'officier logistique.

[352] Le Major Labonté a expliqué au Tribunal que la règle dans les Forces canadiennes était de ne procéder qu'à l'étude d'une demande à la fois. Ainsi, ce ne sera que quand l'étude de la demande d'enrôlement comme avocat militaire fut complétée que l'on procéda à l'analyse, en 2002, de la demande d'enrôlement comme officier logistique.

[353] Il appert du dossier que la candidature de Micheline Montreuil au poste d'avocat au sein du JAG ne fut éventuellement pas retenue non pas parce que Micheline Montreuil ne rencontrait pas les normes médicales communes à l'enrôlement mais parce que son profil de pratique et son expérience professionnelle ne correspondaient pas au profil recherché par le bureau du Juge-avocat général.

[354] La preuve révèle que le refus de la candidature de Micheline Montreuil par le comité de sélection du Quartier général de la Défense nationale est survenu en janvier 2002. C'est à ce moment-là que Micheline Montreuil a indiqué qu'il voulait aller de l'avant avec sa demande d'enrôlement comme officier logistique. La décision des Forces canadiennes de ne pas retenir la candidature de Micheline Montreuil en janvier 2002 n'est pas en cause dans la présente instance.

[355] La preuve révèle que Micheline Montreuil a correspondu à plusieurs reprises avec le Capitaine Labonté au cours de son processus d'enrôlement. Dans son témoignage, Micheline Montreuil reconnaîtra que toutes les personnes qu'il a rencontrées en entrevue au niveau du centre de recrutement de Québec ont agi correctement à son égard, qu'il n'y a personne qui a fait le moindre commentaire négatif.

[356] En ce qui concerne Micheline Montreuil, le Major Labonté indique dans son témoignage que Micheline Montreuil n'était pas un cas spécial parce qu'il se disait transgenre, mais que c'était en relation avec son dossier médical. Pour le Major Labonté, le dossier était un dossier qui fut traité comme les autres, à la différence que le temps de traitement fut différent. Pour lui, le dossier de Micheline Montreuil était différent parce que la personne ne rencontrait pas les exigences sur le plan médical mais que l'on ne fermait pas le dossier pour autant, recherchant s'il n'y avait pas une possibilité d'accorder une dispense administrative. Ce n'était pas donc pas en raison de la condition de transgenre de Micheline Montreuil que le dossier était considéré un dossier spécial.

[357] Le Major Labonté dit avoir vu en Micheline Montreuil un être humain, qu'il l'a évalué en fonction de ses compétences et de ses habiletés. Il affirme, en tant que responsable du centre de recrutement de Québec, qu'il a donné instructions aux personnes du centre de recrutement de respecter Micheline Montreuil et de l'appeler Madame. Par ailleurs, pour les fins des tests physiques, il a été décidé d'appliquer les normes masculines.

[358] La preuve révèle que le 30 juin 1999, Micheline Montreuil complète une demande d'emploi afin d'être enrôlé dans les Forces canadiennes comme avocate militaire GPM-67 droit en tant que Micheline Montreuil. La preuve révèle que, par la suite, soit le 12 octobre 1999, lors de l'entrevue de Micheline Montreuil par le Capitaine Labonté, un deuxième choix est inscrit sur la demande d'emploi, soit celui d'officier logistique dans la réserve navale. La preuve révèle que, par la suite, Micheline Montreuil a demandé, en novembre 2000, à être enrôlé comme officier logistique dans la Force régulière.

[359] Le 13 juillet 1999, Micheline Montreuil achemine au centre de recrutement des Forces canadiennes sa demande d'enrôlement au poste d'avocat militaire, indiquant qu'il désire faire une carrière d'officier dans le droit au bureau du Juge-avocat général JAG.

[360] Selon le témoignage du Major Labonté, la demande d'enrôlement fut considérée avoir été déposée le 23 septembre 1999. Selon Micheline Montreuil, le dossier acheminé au centre de recrutement en date du 13 juillet 1999 contient les formulaires datés du 30 juin 1999, à savoir un formulaire de demande d'enrôlement dûment complété, un formulaire de demande d'emploi dûment complété de plusieurs pages auquel est joint le curriculum vitae de Micheline Montreuil. Celui-ci reconnaîtra dans le cadre de son témoignage que ces documents constituent le point de départ de sa demande d'enrôlement.

[361] Dans la lettre qui accompagne son dossier d'enrôlement, Micheline Montreuil fait référence à une particularité importante qui fait d'elle une personne très spéciale et, par conséquent, membre d'une minorité très visible et qui peut faire en sorte que sa candidature pourrait être éliminée d'office ou, au contraire, être retenue pour démontrer clairement que les Forces canadiennes respectent la différence et favorisent l'égalité à l'emploi.

[362] Dans sa lettre, Micheline Montreuil indique qu'il a changé de nom et d'apparence, tel qu'il appert de son passeport, de sa carte d'assurance sociale, de son certificat de naissance. Il indique, par ailleurs, que lorsqu'il a quitté les Forces canadiennes en 1997, il était une personne en transition et qu'il voulait effectuer sa transition en douceur pour revenir dans les Forces sous un nouveau nom et une nouvelle apparence. Fait à noter, nulle part Micheline Montreuil indique-t-il qu'il est une personne transgenre.

[363] Le 12 octobre 1999, Micheline Montreuil se présente au centre de recrutement de Québec pour y subir un examen médical et répondre aux questions de l'adjoint au médecin qui fait l'examen médical. Il signe alors une offre conditionnelle d'enrôlement.

[364] La preuve révèle que l'examen médical est effectué par l'adjudant Dumais, appelé comme témoin. Lors de son témoignage, l'adjudant Dumais a affirmé avoir contacté le Dr. Collins, l'officier médical au recrutement qui devait éventuellement réviser le dossier de Micheline Montreuil, avant de rencontrer Micheline Montreuil afin de recevoir des indications sur la façon de traiter ce dossier. Pour sa part, le Dr. Collins a témoigné qu'il était vraisemblable que l'adjudant Dumais lui ait posé alors des questions sur les troubles de l'identité de genre et indiqué qu'il avait vraisemblablement dit à l'adjudant Dumais de traiter le dossier de Micheline Montreuil comme un dossier régulier.

[365] Les informations médicales pertinentes recueillies le 12 octobre 1999 concernant Micheline Montreuil sont consignées sur le formulaire CF2720 des Forces canadiennes intitulé Rapport d'examen médical en vue de l'enrôlement.

[366] Sur la première page du rapport d'examen médical, complétée par Micheline Montreuil, il est indiqué que Micheline Montreuil est de sexe féminin. Lors de son témoignage, Micheline Montreuil reconnaîtra que c'est lui-même qui a coché la case.

[367] À la question Avez-vous déjà souffert d'une affection ou dépression nerveuse?, Micheline Montreuil répond par la négative. Lors de son interrogatoire, Micheline Montreuil indiquera qu'il n'a pas jugé bon de faire référence au Dr. Côté étant donné que le rapport rédigé en mars 1998 n'avait rien à voir avec cet élément

[368] À la question Avez-vous subi d'autres examens, tests ou traitements administrés par un médecin, un psychiatre, un psychologue ou un travailleur social?, Micheline Montreuil répond par l'affirmative. Lors de son témoignage, il indiquera que s'il a coché oui à cette question, c'était parce qu'il était suivi par le Dr. Tremblay. Il a, par ailleurs, affirmé qu'il n'était pas pertinent, compte tenu des questions posées, de faire référence au Dr. Côté et au Dr. Lehoux.

[369] À la question, Prenez-vous des médicaments ou des pilules?, Micheline Montreuil répond par l'affirmative et précise les médicaments qu'il prend, Estinyl et Euflex. A la question qui s'adresse uniquement aux personnes de sexe féminin, Avez-vous déjà souffert de troubles gynécologiques ou obstétriques?, Micheline Montreuil répond non. Lors de son témoignage, Micheline Montreuil indique que si on le classe dans les femmes, il répond non et si on le classe dans les hommes, c'est non de toute façon.

[370] Par ailleurs, à la deuxième page du rapport médical, complété par l'adjoint au médecin Dumais, il est indiqué que le candidat est un homme, qu'il est en transition pour changement de sexe, qu'il prend de l'Estinyl et de l'Euflex.

[371] À la troisième page du rapport, il est indiqué par l'adjoint au médecin que l'état émotionnel de la personne est stable. À la quatrième page du rapport, complétée par l'adjudant Dumais, il est indiqué dans la section Remarques que le candidat est inapte temporaire en attendant opération changement de sexe. Il importe de préciser ici que cette annotation provient de l'adjudant Dumais et que Micheline Montreuil ne l'a pas vue.

[372] Il appert du rapport médical qu'initialement, Micheline Montreuil s'est vu attribuer le profil médical V4CV1H2G4O4A5 par l'adjudant Dumais, profil médical ultérieurement modifié à V4CV1H2G3O2A5 par le Dr. Collins qui, en tant qu'officier médical au recrutement, a la responsabilité ultime, hormis l'existence de circonstances exceptionnelles, de déterminer le profil médical d'un candidat.

[373] Il est, par ailleurs, précisé sur la quatrième page du rapport que le candidat ne rencontre pas la norme médicale commune d'enrôlement NMCE. Sur cette même page, à la section K, il est indiqué que Micheline Montreuil requiert les services périodiques d'un médecin spécialiste. Il appert que cette annotation fut rédigée par le Dr. Collins le 17 mai 2000. À la section M de la page 4 du rapport, il est également indiqué que Micheline Montreuil s'est vu accorder, en bout de ligne, la catégorie V4H2G3O2 en rapport avec sa demande d'enrôlement comme avocat militaire. Apparaît aussi à la page 4 la mention requiert un suivi médical périodique. La notation est datée du 13 juillet 2000 et fut inscrite par le Dr. Ménard du bureau du Directeur - Politique de santé des Forces canadiennes.

[374] Interrogé sur la rencontre avec l'adjudant Dumais quant à savoir s'il avait été question de sa condition particulière de transgenre, Micheline Montreuil a répondu qu'il en a surement discuté, sans plus de souvenir. Par ailleurs, plus loin dans son témoignage, Micheline Montreuil affirmera, en invoquant les lettres qu'il a soumises, qu'il n'a jamais dit qu'il voulait changer de sexe.

[375] Dans son témoignage, Micheline Montreuil affirmera que les médecins des Forces canadiennes ont pris une mauvaise tangente dès le départ en ce qui a trait à son dossier. Micheline Montreuil en impute la cause à l'adjudant Dumais étant donné que c'est lui qui a parlé de changement de sexe alors que, suivant Micheline Montreuil, il n'en avait pas été question. Selon Micheline Montreuil, l'adjudant Dumais a induit d'une certaine manière le Dr. Collins en erreur.

[376] Lors de son témoignage, le Dr. Collins, qui eut à réviser initialement le dossier de Micheline Montreuil en tant qu'officier médical au recrutement, commenta ces inscriptions. Le Dr. Collins notera que, sur la première page, Micheline Montreuil s'identifie comme une personne de sexe féminin, indique qu'il n'est pas sous traitement bien qu'il prenne des hormones. Il note que l'adjoint au médecin indique sur la feuille qu'il a complétée que Micheline Montreuil est de sexe masculin, qu'il est en transition pour un changement de sexe et qu'il prend des hormones.

[377] Le Dr. Collins a indiqué dans son témoignage qu'il avait conclu des informations contenues dans le rapport que Micheline Montreuil était en traitement pour une condition médicale. Le Dr. Collins a également noté que la personne s'est elle-même déclarée de sexe féminin à la première page du rapport médical. Il a également constaté que Micheline Montreuil s'est vu accorder initialement le profil médical G4O4 par l'adjudant Dumais et que ce dernier a également inscrit que Micheline Montreuil était temporairement inapte en attendant opération changement de sexe.

[378] Le Dr. Collins indique, par ailleurs, dans son témoignage, qu'il en a conclu que Micheline Montreuil était temporairement inapte et attendait une opération de changement de sexe. Le Dr. Collins indique, en outre, qu'il avait eu une conversation téléphonique avec l'adjudant Dumais le 12 ou le 13 octobre 1999 et que celui-ci s'était enquis auprès de lui sur la façon de traiter ce dossier. Le Dr. Collins a témoigné que ses instructions avaient alors été de traiter ce dossier comme un dossier normal et de demander au postulant de fournir des renseignements de ses médecins traitants.

[379] Pour le Dr. Collins, il était clair que Micheline Montreuil était alors en traitement actif, vu les médicaments qu'il prenait et l'indication de l'adjudant Dumais qu'il se dirigeait vers une opération de changement de sexe.

[380] Appelée à commenter l'inscription qui apparaît dans les notes de l'adjudant Dumais, plus particulièrement la mention transition pour changement de sexe, le Dr. Newnham, le second officier médical au recrutement qui fut saisi du dossier de Micheline Montreuil, indiquera pour sa part dans son témoignage que ce qu'elle a compris, c'est qu'elle était en présence d'une personne en transition pour un changement de sexe, en attente d'une chirurgie.

[381] Le 12 octobre 1999, l'adjudant Dumais qui a fait l'examen médical de Micheline Montreuil fait signer à celui-ci une demande de divulgation de renseignements médicaux. Il est demandé, plus particulièrement à Micheline Montreuil, de fournir un résumé de dossier sur transition changement de sexe, demande à laquelle Micheline Montreuil acquiesce. La demande de divulgation n'est adressée à aucun médecin en particulier.

[382] Le Tribunal est d'avis que Micheline Montreuil aurait certes pu alors s'objecter au choix des termes utilisés par l'adjudant Dumais en supposant que c'est lui qui avait choisi ces termes, indiquer, si cela avait été le cas, qu'il n'était pas engagé dans un processus de changement de sexe, que tout au plus prenait-il des hormones afin d'avoir des seins, point. Micheline Montreuil a opté plutôt de s'adresser à trois médecins pour leur demander un rapport sur sa condition.

[383] Qui plus est, c'est Micheline Montreuil, et non les Forces canadiennes, qui a identifié les médecins à qui il remettrait la demande de divulgation. C'est en effet lui qui avait l'initiative d'identifier les médecins à qui il s'adresserait. La demande de divulgation ne requérait pas une évaluation de la part d'un psychiatre ou d'un endocrinologue ou de quelqu'autre médecin que ce soit en particulier.

[384] La preuve révèle, par ailleurs, que l'adjudant Dumais aurait vraisemblablement contacté le Dr. Collins une seconde fois pour l'informer qu'il avait fait l'examen d'un candidat de sexe masculin qui prenait des hormones et qui était suivi par un endocrinologue et lui demander quelle information additionnelle il avait besoin.

[385] Le 12 octobre 1999, Micheline Montreuil écrit au Dr. Tremblay. Dans sa lettre, Micheline Montreuil indique qu'il a passé une entrevue afin de retourner dans les forces armées canadiennes à titre d'officier et d'avocate. Il indique également que les Forces canadiennes lui ont demandé de signer une Demande de divulgation de renseignements médicaux dont il joint copie et demande au Dr. Tremblay d'écrire un rapport qui est un Résumé de dossier sur transition - changement de sexe afin de leur faire connaître son évolution médicale.

[386] Tel que vu précédemment, dans sa lettre Micheline Montreuil indique que le rapport devrait attester qu'il est sous sa surveillance médicale depuis 18 mois, qu'il prend des hormones, soit l'Estinyl et l'Euflex, que son corps a subi des transformations permanentes et qu'il présente maintenant des caractéristiques féminines évidentes, qu'il a des seins d'une grosseur appréciable et dont le développement se fait selon les normes, que les examens sanguins ne révèlent la présence d'aucune maladie vénérienne, que son comportement est logique et rationnel eu égard à son cheminement et que s'il retourne dans les forces armées canadiennes, il serait nécessaire qu'il y retourne en tant que femme afin de continuer le processus de changement de manière harmonieuse.

[387] La preuve révèle également que le 12 octobre 1999, Micheline Montreuil eut une entrevue de sélection devant un jury composé du Capitaine Labonté et du major Morin, avocat militaire sur la base de Valcartier pour le Groupe professionnel militaire GPM 67 Droit uniquement. L'évaluation de Micheline Montreuil indique que celui-ci est évalué comme un postulant légèrement au-dessus de la moyenne pour le GPM Droit et que son enrôlement est conditionnel à l'obtention de sa catégorie médicale et à la réussite de l'ÉCPAFC.

[388] Dans son témoignage, le Major Labonté indique que, lors de l'entrevue, il avait en sa possession la demande d'emploi de Micheline Montreuil, ainsi que son curriculum vitae et des lettres de recommandation. Le Major Labonté indique dans son témoignage que Micheline Montreuil désirait s'enrôlé d'abord comme avocat militaire dans la Force régulière et, à défaut, dans la Réserve navale comme officier logistique.

[389] A la suite de l'entrevue, le Capitaine Labonté complète un rapport d'appréciation du candidat. Dans ce rapport, il est indiqué que Micheline Montreuil fut membre de la première réserve une première fois (5 mois en 1974) dans le Groupe professionnel militaire GPM R23 (avril 1997 à août 1999) et assigné au Groupe professionnel militaire R69 LOG. Il est également indiqué qu'il fut libéré sous l'article 5(d) de l'ORFC 15.01, après en avoir fait la demande après 9 jours d'entraînement. Le rapport fait état du fait que la revue du dossier indique que Pierre Montreuil a éprouvé beaucoup de difficultés à s'adapter à la vie militaire et a démontré un manque de motivation envers les phases d'entraînement en campagne et qu'il ne fut par recommandé qu'il reprenne le cours.

[390] Par ailleurs, il est noté dans le rapport qu'il n'y a pas de circonstance personnelle interdisant l'enrôlement ou empêchant le postulant de satisfaire aux exigences de l'entraînement élémentaire ou à la formation initiale dans le Groupe professionnel militaire.

[391] Le résumé qui apparaît au formulaire précise que Madame Montreuil est évalué comme une postulante légèrement au-dessus de la moyenne pour le GPM 67 Droit et que l'enrôlement est conditionnel à l'obtention de sa catégorie médicale et à la réussite d'un examen. Il est également noté que la formation académique de Micheline Montreuil, ainsi que les tests d'aptitude indiquent qu'elle possède la capacité d'apprentissage requis pour compléter avec succès la formation du CEO et du GPM 67, que toutefois, elle a démontré en entrevue une motivation mitigée à joindre les Forces et que ses attentes sont ambiguës, que de par ses expériences de travail et son implication communautaire, elle a pu mettre en valeur ses qualités de chef mais que toutefois, elle a eu la chance de se prouver sur ce plan dans les Forces et que l'événement fut désastreux et a entraîné une libération. Le Capitaine Labonté note dans son rapport d'évaluation que certains des comportements de Micheline Montreuil en entrevue étaient discutables. Lors de son témoignage, le Capitaine Labonté a indiqué que Micheline Montreuil était mal préparé pour l'entrevue et qu'il avait argumenté avec les personnes qui l'interviewaient.

[392] Par ailleurs, le Major Labonté indique dans son témoignage que, compte tenu des explications fournies en entrevue par Micheline Montreuil, il lui fut accordé une dispense par rapport à l'article 5 d) de l'ORFC 15.01, le Capitaine Labonté estimant que c'était un conflit d'horaire qui était à l'origine de la démission de Pierre Montreuil des Forces en 1997.

[393] Le 20 octobre 1999, le Dr. Martine Lehoux fait parvenir une lettre au Capitaine Labonté. L'objet de la lettre est : rapport médical pour Micheline Montreuil - Retour à titre d'officier dans les forces armées canadiennes.

[394] Dans son rapport, tel que décrit précédemment, le Dr. Lehoux indique qu'elle traite Micheline Montreuil dans le cadre d'un traitement d'épilation au laser visant à faire disparaître toute trace de barbe ou de poils superflus au visage et sur la poitrine et ce, dans le but d'améliorer son apparence féminine. Elle indique, en outre, dans son rapport, que compte tenu du fait que Micheline Montreuil est également sous surveillance médicale du Dr. Tremblay, endocrinologue, pour son traitement hormonal, que son corps a subi des transformation permanentes, qu'il (sic) présente des caractéristiques féminines évidentes, notamment la présence de seins d'une grosseur comparable à ceux de d'autres femmes et que son comportement est logique et rationnel, il serait nécessaire, écrit le Dr. Lehoux, que si madame Montreuil retourne dans les forces armées canadiennes, elle effectue ce retour en tant que femme, tant pour continuer le processus de changement de sexe de façon harmonieuse, pour éviter toute perturbation.

[395] Dans son témoignage, Micheline Montreuil affirme qu'il avait consulté le Dr. Lehoux pour l'épilation du visage au laser des poils du visage et ce, sur une période de plusieurs années. Micheline Montreuil indique également dans son témoignage qu'à la suite de la signature de la demande de divulgation de renseignements médicaux, il avait montré la demande au Dr. Lehoux qui s'occupait de son changement d'apparence.

[396] Il appert du témoignage de Micheline Montreuil que le Dr. Lehoux n'est pas une dermatologue mais une omnipraticienne et qu'elle était non seulement une connaissance de Micheline Montreuil, les deux ayant été membres du même club MacIntosh, mais également une cliente de Micheline Montreuil.

[397] Lors de son témoignage, le Dr. Collins, qui a révisé initialement le dossier de Micheline Montreuil en tant qu'officier médical au recrutement, a indiqué que, lors de son évaluation du dossier de Micheline Montreuil, il était en possession de la lettre écrite par le Dr. Martine Lehoux.

[398] Dans son témoignage, le Dr. Collins indique qu'il a considéré le Dr. Lehoux comme un des médecins traitants de Micheline Montreuil. Par ailleurs, il indique dans son témoignage que ce qui a retenu son attention de la lettre, c'est que le Dr. Lehoux connaissait Micheline Montreuil depuis sept ans, qu'elle le suivait pour un traitement d'épilation au laser, que, selon le Dr. Lehoux, Micheline Montreuil faisait l'objet d'un suivi médical de la part du Dr. Tremblay et qu'il y avait des changements secondaires évidents au plan sexuel dus à l'hormonothérapie.

[399] Pour ce qui est de la recommandation faite par le Dr. Lehoux que Micheline Montreuil soit enrôlé comme femme, le Dr. Collins a fait valoir dans son témoignage que cela n'était pas de la compétence du Dr. Lehoux, que son champ de compétence était de déterminer si la personne rencontre les exigences médicales. En outre, le Dr. Collins a réitéré que, en ce qui le concerne, le sexe de la personne importe peu, ce qui est d'intérêt pour lui en tant qu'officier médical au recrutement est de savoir si la personne est en traitement et l'impact des traitements sur la capacité de la personne de servir dans les Forces canadiennes.

[400] Pour ce qui est du Dr. Newnham, le second officier médical au recrutement qui a évalué le dossier médical de Micheline Montreuil, elle indique dans son témoignage qu'elle se rappelle de la lettre et de ne pas y avoir accordé une très grande importance. Elle indique, en outre, que sa compréhension est à l'effet qu'il s'agit d'une lettre d'un dermatologue, sans être certaine que la personne est dermatologue, qui suit Micheline Montreuil depuis sept ans pour des traitements au laser afin d'éliminer une pilosité faciale pour la rendre plus féminine.

[401] Le 25 octobre 1999, le Dr. Côté, psychiatre, écrit au capitaine Labonté. La lettre a pour objet : Rapport médical pour Micheline Montreuil. Tel que vu précédemment, dans sa lettre, le Dr. Côté écrit que, tenant compte du processus de changement de Micheline Montreuil, il croit important qu'elle soit engagée en tant que femme et que même s'il n'y a pas une transformation complète sur le plan physique, l'identité demeure principalement du côté féminin. Lors de son témoignage, Micheline Montreuil n'a pas commenté le rapport du Dr. Côté.

[402] Lors de son témoignage, le Dr. Collins a affirmé avoir lu la lettre du Dr. Côté. Il a indiqué que ce qui avait retenu son attention était le fait que Micheline Montreuil était impliqué dans un processus de changement de sexe. Il a, en outre, souligné que le Dr. Côté n'avait pas répondu aux questions qui lui avaient été posées et n'avait pas posé de diagnostic et pour cause, ni de plan de traitement, ni de pronostic ou de limitations possibles. Il a considéré la lettre plus comme une lettre de recommandation ce que dira également le Dr. Côté.

[403] Cela dit, le Dr. Collins dira dans son témoignage que comme Micheline Montreuil dans une de ses lettres subséquentes parle du Dr. Côté comme de son psychiatre, le Dr. Collins a éventuellement conclu que Micheline Montreuil était sous les soins d'un psychiatre. Selon lui, une personne ne soumettrait pas un rapport médical de la part d'un médecin, en l'espèce un psychiatre, comme l'a fait Micheline Montreuil, si la personne n'était pas suivie par ou sous les soins de ce médecin. Il y a une logique certaine à cet énoncé.

[404] Dans le cadre de son témoignage, le Dr. Collins reconnaîtra qu'aucun diagnostic précis luit fut fourni quant à l'existence chez Micheline Montreuil d'un trouble de l'identité du genre par le Dr. Côté. Toutefois, il indiquera que les informations transmises par les médecins de Micheline Montreuil laissent à penser qu'il est impliqué dans un processus de transformation et est suivi par des médecins qui ont transmis aux Forces canadiennes des rapports médicaux portant sur la condition de Micheline Montreuil. Pour le Dr. Collins, le diagnostic de troubles de l'identité du genre importe peu.

[405] Appelée à dire qu'elle fut sa compréhension de la lettre du Dr. Côté, le Dr. Newnham, le second officier médical au recrutement qui évalua le dossier de Micheline Montreuil, indiqua dans son témoignage qu'elle a induit de la lettre du Dr. Côté que Micheline Montreuil était suivi par un psychiatre qui devait l'assister dans son processus de changement. Pour ce qui est du fait que Micheline Montreuil devrait être intégré en tant que femme, pour le Dr. Newhnam, cette affirmation est impertinente pour la décision qu'elle a à prendre. Pour elle, l'information contenue dans la lettre était très limitée et a généré plus de questions à poser de sa part. Selon elle, le fait que Micheline Montreuil ait fourni une lettre d'un psychiatre dans le présent dossier donnait à penser que Micheline Montreuil était suivi par un psychiatre. Si tel n'était pas le cas, alors pourquoi avoir fourni une lettre d'un psychiatre.

[406] Lors de son témoignage, le Dr. Boddam, médecin psychiatre au sein des Forces canadiennes, reconnaîtra que la lettre du Dr. Côté ne dit pas spécifiquement qu'il dispense à Micheline Montreuil un quelconque soutien psychologique mais que vu qu'il existe une relation médecin-patient, il en conclut qu'il peut y avoir un soutien psychologique qui soit fourni à Micheline Montreuil. En outre, le Dr. Boddam a affirmé que bien qu'il n'est pas dit expressément que Micheline Montreuil est en attente de chirurgie, le fait qu'il soit indiqué qu'il est engagé dans un processus de changement peut laisser supposer qu'il est en attente ou ne l'est pas.

[407] Enfin, le Dr. Boddam notera dans son témoignage que Micheline Montreuil affirme sur la première page du formulaire du Rapport médical, complété le 12 octobre 1999, qu'il a subi d'autres examens, tests ou traitements administrés par des médecins. Pour le Dr. Boddam, sa lecture de l'ensemble des documents apparaissant au dossier l'amène à conclure que Micheline Montreuil présente un trouble de l'identité du genre, qu'il reçoit un support psychologique et qu'il se dirige vers une opération de changement de sexe.

[408] En bref, le rapport fourni par le Dr. Côté a laissé le Dr. Boddam perplexe quant à la nature de la relation professionnelle qui existait avec le Dr. Côté, d'où son désir d'avoir plus d'information. Par ailleurs, le Dr. Boddam dira que pour lui, il ne fait pas de doute qu'il est indiqué dans la lettre du Dr. Côté que Micheline Montreuil est dans un processus de changement.

[409] Pour sa part, appelé à commenter la lettre du Dr. Côté, le Dr. Assalian dira que la lettre est un peu confuse. Il ajoutera que compte tenu des informations contenues dans la lettre, les médecins des Forces canadiennes étaient en droit de demander d'autres explications parce que la lettre n'est pas claire.

[410] Le 26 octobre 1999, le Dr. Roland Tremblay, endocrinologue, fait parvenir une lettre au capitaine Labonté. Tel que vu précédemment, dans sa lettre, le Dr. Tremblay indique que la personne, en titre, Micheline Montreuil, le rencontre depuis un an et demi, dans un contexte où il est le responsable médical de l'hormonothérapie qui vise à féminiser le phénotype de la personne. Le Dr. Tremblay écrit qu'il comprend que cette phase de la vie, de la personne transsexuelle, marque une transition, qui précède les interventions chirurgicales, qui confèrent au corps des marques indélébiles de féminité. Il indique que le cheminement biopsychologique, suivi par la personne en titre, obéit aux schémas de routine en matière de changement de sexe. La conjoncture actuelle l'incite à suggérer un retour dans les Forces armées canadiennes, dans un rôle féminin, pour fin de conformité dans les nouvelles orientations de vie de Micheline Montreuil.

[411] En ce qui a trait au rapport du Dr. Tremblay, Micheline Montreuil a témoigné qu'elle prenait les hormones prescrites par le Dr. Tremblay à son rythme à elle, sans plus.

[412] Lors de son témoignage, le Dr. Collins a affirmé avoir vu cette lettre. De l'avis du Dr. Collins, il s'agit de la lettre la plus claire. Il en a inféré que Micheline Montreuil recevait une hormonothérapie, que ceci faisait partie d'un processus de transition visant à féminiser Micheline Montreuil et que l'hormonothérapie précédait une intervention chirurgicale et, finalement, que Micheline Montreuil avait été compliante quant à l'hormonothérapie.

[413] En rapport avec le contenu de cette lettre, le Dr. Collins dira que sa compréhension du dossier à ce moment-là était que Micheline Montreuil était en traitement actif, prenant des hormones dans le cadre d'un processus de changement de sexe, que Micheline Montreuil était dans une phase active de traitement pour une condition médicale qui n'était pas bien définie, qu'elle était en attente d'une intervention chirurgicale sans date précise dans le futur.

[414] Le Dr. Collins dira, de plus, dans son témoignage que peu importe le diagnostic, ce qu'il importe pour lui de déterminer est : est-ce que Micheline Montreuil requerra des soins médicaux de la part des Forces canadiennes dans l'hypothèse où Micheline Montreuil serait enrôlé. En outre, le Dr. Collins indique que sa lecture de la lettre du Dr. Tremblay l'amène à conclure que la prise d'hormones par Micheline Montreuil ne vise pas uniquement à féminiser son phénotype mais qu'elle s'inscrit dans un processus de changement de sexe, tel qu'écrit dans la lettre du Dr. Tremblay et que lui-même requiert de plus amples informations de la part des médecins de Micheline Montreuil. Dans son témoignage, le Dr. Collins a reconnu que la lettre ne fait aucunement référence au chirurgien qui procéderait à la chirurgie de changement de sexe ou à une date d'opération.

[415] Lors de son contre-interrogatoire du Dr. Collins, Micheline Montreuil a voulu savoir de sa part si une personne pouvait, en tout temps, arrêter un traitement de nature esthétique, tel qu'une augmentation mammaire. Le Dr. Collins a répondu que, suivant les informations transmises par le Dr. Tremblay, l'hormonothérapie de Micheline Montreuil, n'était pas de nature purement esthétique mais s'inscrivait dans un processus de changement de sexe. Pour le Dr. Collins, la prise d'hormones comporte des risques.

[416] Pour ce qui est du Dr. Newnham, celle-ci indiqua dans son témoignage que sa compréhension de la lettre du Dr. Tremblay était à l'effet que le Dr. Tremblay suivait Micheline Montreuil depuis un an et demi en tant que responsable de son hormonothérapie, que Micheline Montreuil se comportait comme une personne transsexuelle en transition dans le but d'avoir une opération dans le futur afin de féminiser davantage son corps, que Micheline Montreuil avait été compliante par rapport au traitement. Pour le Dr. Newnham, cette lettre comporte plus d'information que celle du Dr. Côté.

[417] Appelé à commenter le contenu de cette lettre, le Dr. Beltrami dira que l'allusion à la personne transsexuelle ne constitue pas un diagnostic ferme de transsexualité chez Micheline Montreuil, qu'il existe un flou et que ce n'est pas dans la norme habituelle. Pour sa part, appelé à commenter la lettre du Dr. Tremblay, le Dr. Assalian indiquera dans son témoignage que s'il était le médecin qui recevait une telle lettre, il comprendrait qu'il est en présence d'une personne transsexuelle qui prend des hormones et qui est en route vers un changement de sexe.

[418] Le 9 novembre 1999, le Dr. Collins écrit au Dr. Boddam à Borden et lui fait parvenir le dossier médical de Micheline Montreuil afin qu'il le révise. Le Dr. Collins demande au Dr. Boddam de se prononcer, eu égard à la condition médicale actuelle de Micheline Montreuil, sur les limitations médicales à l'emploi, de même que sur le profil médical qui devrait lui être attribué. Il lui demande de lui indiquer si des informations cliniques additionnelles sont requises pour prendre une décision.

[419] Dans sa lettre, le Dr. Collins indique qu'il est de sa compréhension que le candidat prend des hormones et reçoit un soutien psychologique dans l'attente d'une intervention chirurgicale. Finalement, le Dr. Collins indique qu'il est de son intention d'attribuer un profil médical restrictif jusqu'à ce que le traitement soit complété.

[420] Appelé à commenter le contenu de la lettre qui lui était adressée, le Dr. Boddam a indiqué dans son témoignage que les informations fournies par le Dr. Collins l'ont amené à penser que Micheline Montreuil était impliqué dans un processus de changement de sexe et qu'il était en traitement.

[421] Le 30 novembre 1999, le Dr. Boddam répond au Dr. Collins. Dans sa lettre, le Dr. Boddam indique que la note du psychiatre est brève, qu'on est en présence d'un individu qui est seulement semi-phénotypiquement femme et qui peut ne pas être en mesure d'intégrer le rôle qu'il veut assumer. Le Dr. Boddam indique qu'il voudrait connaître l'opinion de l'équipe médicale quant au pronostic avec un traitement partiel - I would need to know the treatment team's assessment of prognosis with only partial treatment. Enfin, le Dr. Boddam s'interroge sur la logistique d'intégration d'une personne qui n'a reçu qu'un traitement partiel et se demande quel impact psychologique l'équipe médicale perçoit quant au candidat.

[422] Lors de son témoignage, le Dr. Boddam affirmera qu'il a assumé du fait que trois médecins avaient rédigé des rapports qu'ils faisaient partie d'une équipe médicale. En outre, le Dr. Boddam a indiqué dans son témoignage que le fait que Micheline Montreuil ait fait parvenir des rapports de trois médecins sans que cette demande spécifique n'ait été faite par l'adjudant Dumais pouvait laisser supposer qu'ils faisaient partie d'une équipe, sans que cela ne soit dit expressément. En outre, le Dr. Boddam dira lors de son témoignage qu'il était intéressé à ce moment-là non pas tant par l'intégration de Micheline Montreuil dans les Forces canadiennes mais par l'impact psychologique que ses médecins entrevoyaient sur Micheline Montreuil d'une telle intégration compte tenu qu'il se considérait ni homme ni femme.

[423] Le 8 décembre 1999, le Major Morin écrit au Centre de recrutement des Forces canadiennes de Québec. Dans sa lettre, le Major Morin, juge-avocat général adjoint, écrit que le 12 octobre 1999, il a rencontré la candidate en entrevue au centre de recrutement de Québec. Il indique dans sa lettre qu'il a été en mesure de constater que Micheline Montreuil avait obtenu de bons résultats scolaires mais note un point négatif : la candidate n'avait pas préparé l'entrevue au niveau juridique. Il recommande néanmoins la candidate pour une entrevue par le comité de sélection du Cabinet du Juge-Avocat général.

[424] Le 10 décembre 1999, le Dr. Collins écrit à Micheline Montreuil. Dans sa lettre, le Dr. Collins fait part à Micheline Montreuil que des informations additionnelles sont requises afin que les Forces canadiennes soient en mesure de déterminer s'il rencontre les normes médicales communes d'enrôlement. Il informe Micheline Montreuil qu'après avoir révisé son dossier, le psychiatre des Forces canadiennes a besoin de savoir le pronostic de l'équipe médicale compte tenu du traitement partiel de sa condition.

[425] En outre, le Dr. Collins souligne qu'il y aura certainement des difficultés d'intégration au plan logistique dans les Forces d'une personne qui n'a subi qu'un traitement partiel et demande à Micheline Montreuil quel impact psychologique l'équipe médicale perçoit quant à ces éléments.

[426] Dans son témoignage, le Dr. Collins dira qu'il espérait à cet égard obtenir plus d'information de la part des médecins traitants de Micheline Montreuil sur la capacité de Micheline Montreuil de faire face au stress dans un environnement d'intervention militaire. Dans sa lettre, le Dr. Collins indique, par ailleurs, qu'en raison du caractère unique de ce dossier, celui-ci sera soumis au Directeur - Politique de santé.

[427] Par ailleurs, interrogé sur la notion d'équipe médicale qu'il utilise dans sa lettre, le Dr. Collins dira que si quelqu'un lui présente trois rapports médicaux en réponse à une demande de divulgation de renseignements médicaux, il en déduit ou peut présumer que la personne est suivie par un groupe de médecins dont il est légitime de présumer qu'ils travaillent ensemble. Pour le Dr. Collins, il était clair que Micheline Montreuil était traité par différents médecins et que le traitement était relié à un processus de changement de sexe, auquel se réfère les Dr. Côté et Tremblay chez une personne transsexuelle. En outre, le Dr. Collins indiquera qu'il savait qu'une personne transsexuelle entre dans la catégorie des troubles de l'identité du genre du DSM-IV même si aucune des lettres soumises par Micheline Montreuil ne fait référence à la présence d'un trouble de l'identité du genre.

[428] Interrogé sur la question des difficultés d'intégration au plan logistique, le Dr. Collins indiquera qu'il s'agit de difficultés pour le médecin. Il donne, comme exemple, la personne qui aurait besoin d'hormones féminines non disponibles généralement sur un navire. Ceci pourrait représenter un problème de logistique pour le médecin quant à savoir si les Forces canadiennes sont en mesure de fournir la médication, de satisfaire aux besoins de la personne. Pour le Dr. Collins, il ne s'agit pas, en l'espèce, de difficultés d'intégration de Micheline Montreuil en tant que femme, mais en raison du traitement partiel. Appelé à préciser ce qu'il entendait par difficultés au pluriel d'intégration, le Dr. Collins a précisé qu'il s'agissait en l'espèce du besoin de voir un médecin, un psychologue ou un travailleur social, d'avoir accès à certains médicaments, d'avoir à être retiré d'un théâtre d'opération pour recevoir des soins.

[429] Interrogé sur la question du caractère unique du dossier, le Dr. Collins indiquera dans son témoignage qu'il a traité le dossier en suivant la procédure établie, qu'il voulait prendre toutes les mesures requises pour que la condition de Micheline Montreuil soit évaluée adéquatement suivant la procédure existante.

[430] Par ailleurs, le Dr. Collins a indiqué dans son témoignage que la raison pour laquelle il a acheminé le dossier à Ottawa tenait au fait que lui-même n'avait jamais eu à traiter d'un dossier de ce genre et qu'il voulait s'assurer que tout était fait dans les formes et qu'il avait en sa possession toutes les opinions pertinentes avant de prendre sa décision d'attribuer une limite médicale à l'emploi eu égard à la condition de Micheline Montreuil et aux soins qu'il pourrait requérir s'il était enrôlé dans les Forces canadiennes.

[431] Dans son témoignage, le Dr. Collins indiquera, à plusieurs reprises, que les Forces canadiennes doivent s'assurer que les personnes qui servent dans les Forces canadiennes reçoivent les soins requis par leur condition. En revanche, dira-t-il, cette règle ne s'applique pas aux personnes qui veulent joindre les Forces canadiennes.

[432] Lors de son témoignage, le Dr. Collins a indiqué que lorsqu'il reçoit un dossier, il ne se préoccupe pas de l'occupation que vise un candidat mais se préoccupe des conditions médicales qui pourraient requérir des soins. Selon le Dr. Collins, les médecins des Forces canadiennes doivent évaluer si certaines conditions entraînent des limitations médicales à l'emploi qui empêcheraient la personne de rencontrer la règle de l'universalité du service ainsi que les normes médicales communes à l'enrôlement. Selon le Dr. Collins, les Forces canadiennes imposeront des limitations médicales à l'emploi si la personne requiert des soins et que ces soins ne peuvent être fournis.

[433] Le Dr. Collins ajoutera que, suite à sa conversation téléphonique avec Micheline Montreuil, sur réception des informations demandées, il a référé son dossier au psychiatre des Forces canadiennes pour révision ainsi qu'au Directeur - Politique de santé (DMEDPOL).

[434] Pour ce qui est du Dr. Newnham, appelée à commenter la lettre du Dr. Collins, celle-ci indiquera dans son témoignage que cette lettre lui indique que le Dr. Collins a révisé le dossier et a pris une décision en collaboration avec le Dr. Boddam, fondée sur les informations dont ils disposaient à l'effet que Micheline Montreuil ne rencontrait pas les normes médicales communes à l'enrôlement et qu'en conséquence, Micheline Montreuil n'était pas apte à être enrôlé dans les Forces canadiennes pour l'instant.

[435] Pour ce qui est du caractère unique du dossier, le Dr. Newnham indiquera que ce ne sont pas tous les dossiers qui sont acheminés au Directeur - Politique de santé (DMEDPOL), environ 20 par semaine, et que, par ailleurs, le nombre de dossiers acheminés à un psychiatre est de l'ordre de deux à quatre par mois. Pour le Dr. Newhnam, en l'espèce, ce qui rendait le dossier unique en son genre était le temps consacré à son étude.

[436] Appelé à commenter la lettre du Dr. Collins, Micheline Montreuil indique qu'il ne saurait être question d'une équipe médicale étant donné qu'il s'agissait en l'espèce de médecins individuels et que si les médecins des Forces canadiennes traitent le dossier comme un dossier de transsexuel, il se peut qu'ils considèrent le traitement comme partiel.

[437] Micheline Montreuil affirmera également dans son témoignage qu'il a expliqué et réexpliqué il ne sait combien de fois qu'il était transgenre, qu'il n'était pas question de transformation totale, qu'il n'était pas question d'opération ou de quoi que ce soit de même nature, mais que les médecins des Forces canadiennes le voyaient néanmoins comme une personne transsexuelle en traitement.

[438] Selon Micheline Montreuil, cette divergence d'approches quant à sa condition explique pourquoi les réponses apportées aux questions posées par les médecins des Forces canadiennes ne rencontraient pas leurs attentes. Selon Micheline Montreuil, les médecins ont pris une tangente qui n'était pas conforme à la réalité, à savoir qu'ils ont opté de médicaliser le dossier, de le psychiatriser et de le voir comme une question de trouble de l'identité du genre.

[439] Appelé à commenter la lettre du Dr. Collins, le Dr. Assalian dira que la demande du Dr. Collins était justifiée, eu égard aux informations fournies, de demander des informations additionnelles sur la condition de Micheline Montreuil. Pour sa part, lors de son témoignage, le Dr. Beltrami indiquera que la demande de clarification était, selon lui, justifiée dans les circonstances.

[440] Le 20 décembre 1999, tel que vu précédemment, le Dr. Côté écrit à nouveau au Capitaine Labonté. Dans sa lettre, le Dr. Côté indique, tel que vu précédemment, qu'il croit que Micheline Montreuil ne présente aucune pathologie qui pourrait compromettre son travail au niveau des Forces canadiennes. Il ajoute que la transformation incomplète lui apparaît être un élément positif pour Micheline Montreuil, qu'elle possède des ressources personnelles qui lui permettront de faire face à la musique militaire, qu'il y aura sûrement des réactions du milieu ambiant mais que Micheline Montreuil les connaît et démontre de bonnes ressources pour y réagir adéquatement.

[441] Lors de son témoignage, le Dr. Collins fut appelé à commenter la lettre du Dr. Côté. Dans son témoignage, il indique qu'il se serait attendu à ce que le Dr. Côté dise que Micheline Montreuil ne présentait aucune pathologie psychiatrique et non qu'il ne présentait aucune pathologie psychiatrique qui pourrait compromettre son travail au niveau des Forces armées. Le Dr Collins a indiqué dans son témoignage que cette phrase l'a amené à référer le dossier au Dr. Boddam.

[442] Selon le Dr. Collins, le Dr. Côté n'a pas en fait répondu aux questions qui étaient posées par les médecins des Forces canadiennes et qu'en fait, l'information fournie était de piètre qualité. Il appert, en outre, qu'il avait l'impression que Micheline Montreuil était activement suivi par le Dr. Côté, car, dira-t-il, pourquoi fournir des lettres d'un médecin psychiatre lorsqu'on n'est pas suivi par un psychiatre. En outre, il dira que le fait que le Dr. Côté indique que la transformation fut incomplète avait retenu son attention.

[443] Dans son témoignage, le Dr. Collins s'est ainsi déclaré déçu de la lettre du Dr. Côté. Il dira qu'il se serait attendu à plus en termes d'évaluation. Le Dr. Collins indiquera que ce à quoi il s'attendait de la part du Dr. Côté était un diagnostic, le plan de traitement, le pronostic, ainsi qu'une opinion sur les limitations que pourrait avoir une personne. Par ailleurs, en ce qui concerne le Dr. Collins, il est clair, à partir des informations fournies par le Dr. Côté, qu'il existe chez Micheline Montreuil une problématique de trouble de l'identité du genre.

[444] Pour ce qui est du Dr. Newnham, celle-ci indique dans son témoignage que sa compréhension de lettre est à l'effet qu'un psychiatre est impliqué dans les soins que Micheline Montreuil requiert, que le psychiatre indique qu'il n'y a aucune pathologie psychiatrique qui peut compromettre son enrôlement dans les Forces canadiennes, que la transformation de Micheline Montreuil est incomplète.

[445] Pour le Dr. Newnham, le fait que le Dr. Côté indique qu'il n'y a pas de pathologie psychiatrique qui pourrait compromettre son travail dans les Forces canadiennes laisse sous-entendre qu'il pourrait y avoir néanmoins présence d'une pathologie psychiatrique. Le Dr. Newnham fera remarquer, par ailleurs, qu'un médecin oeuvrant dans le milieu civil ne connaît pas la vie militaire et que son apport dans l'évaluation d'un candidat n'est pas de se prononcer quant à savoir si un candidat est apte à la vie militaire mais à fournir les informations demandées en termes de diagnostic, de plan de traitement et de pronostic pour qu'un médecin militaire puisse faire cette détermination.

[446] Le Dr. Newnham indiquera, en outre, dans son témoignage que plus elle demandait d'information, plus de questions surgissaient dan sa tête. Pour elle, toutes les fois où un médecin est impliqué, cela entraîne une demande d'information additionnelle afin de mieux comprendre le traitement passé, le traitement actuel, le pronostic et la possibilité de récurrence.

[447] Appelé à commenter le contenu de la lettre du Dr. Côté, le Dr. Boddam dira, en rapport avec les commentaires du Dr. Côté sur l'intégration de Micheline Montreuil, qu'il s'attendait à recevoir un rapport plus complet, avec un historique, la nature des problèmes et des traitements, les conséquences prévisibles de l'arrêt des traitements, le cas échéant.

[448] Par ailleurs, le Dr. Boddam dira dans son témoignage qu'il considérait le Dr. Côté comme étant impliqué dans le traitement de Micheline Montreuil. Pour le Dr. Boddam, le fait que le Dr. Côté ait produit un rapport à la suite d'une demande d'information portant sur Micheline Montreuil laissait supposer que celui-ci était activement impliqué dans son cas. Comme il n'était pas satisfait des réponses reçues, il a cherché à obtenir de plus amples informations. Le Dr. Boddam reconnaîtra, par ailleurs, qu'il n'a pas demandé spécifiquement au Dr. Côté de lui fournir un rapport détaillé.

[449] Pour ce qui est du Dr. Assalian, celui-ci indiquera dans son témoignage que le rapport du Dr. Côté n'est pas acceptable car il ne répond pas au questionnement des médecins des Forces canadiennes.

[450] Le 22 décembre 1999, Micheline Montreuil répond à la lettre du 10 décembre du Dr. Collins. Dans sa lettre, Micheline Montreuil indique qu'il a demandé à son psychiatre, le Dr. Serge Côté, de répondre aux deux questions soumises par le Dr. Collins, ce que ce dernier a fait dans sa lettre du 20 décembre 1999.

[451] Micheline Montreuil écrit, dans sa lettre, que le Dr. Côté reconnaît qu'elle ne souffre d'aucun problème ou désordre psychologique et souligne que celui-ci est d'avis que sa transformation incomplète est un aspect positif. Micheline Montreuil se dit très heureuse et se sentir bien et souligne que le Dr. Côté est d'avis qu'elle possède toutes les ressources nécessaires, le courage et la force pour faire face aux difficultés qu'elle pourrait rencontrer et qu'elle pourra passer au travers. Micheline Montreuil ajoute, dans sa lettre, qu'il n'est pas de son intention et elle en donne sa parole de subir une chirurgie alors qu'elle sera dans les Forces canadiennes, qu'elle ne subira aucune chirurgie de changement de sexe ou autre type de chirurgie, telle que pour implants mammaires ou pour des améliorations cosmétiques.

[452] Micheline Montreuil indique dans sa lettre qu'elle arrêtera son traitement hormonal à la fin de janvier 2000 ou au début de février 2000, qu'elle ne requerra plus alors d'hormonothérapie et, par conséquent, aucune supervision médicale par un endocrinologue. Micheline Montreuil indique, par ailleurs, qu'elle se doit de rencontrer le psychiatre des Forces canadiennes pour lui faire part directement qu'il n'y a pas de raison médicale ou psychologique pour l'empêcher de joindre les Forces canadiennes. Elle avance qu'une telle rencontre lui permettra de se sécuriser quant à son diagnostic ou sa recommandation. En outre, selon Micheline Montreuil, une telle rencontre serait une occasion pour lui de rencontrer une personne comme elle et de se préparer pour des cas similaires dans le futur parce qu'il y a, dira-t-elle, des milliers de personnes comme elle à travers le Canada, personnes qui voudraient peut-être s'enrôler dans les Forces canadiennes.

[453] Enfin, Micheline Montreuil indique dans sa lettre qu'elle n'est pas née femme mais qu'elle a choisi de devenir une femme et de vivre en femme avec toutes les difficultés qu'elle encourra et qu'elle a accepté ce fait. En conséquence, les autres personnes qui auront à traiter avec elle devront accepter le fait qu'elle est un peu différente et que cette situation les aidera certainement à changer et d'accepter la diversité.

[454] Lors de son témoignage, le Dr. Collins a commenté la lettre qui lui adressait Micheline Montreuil le 22 décembre 1999. Il affirme que ce qu'il a compris de la lettre, c'est que Micheline Montreuil est prêt à surseoir à toute chirurgie durant une période de 3 ans, qu'il prenait toujours des hormones, qu'il était encore en transition, qu'il planifiait arrêter son traitement en janvier ou février 2000.

[455] Le Dr. Collins dira dans son témoignage que ce n'était pas la pratique des médecins des Forces canadiennes de rencontrer les candidats à l'enrôlement. Pour ce qui est de leur condition médicale, ils s'en remettaient à leurs médecins étant d'avis que si une personne est en traitement médical, c'est le médecin de la personne qui est plus à même de connaître sa condition et que les médecins des Forces s'attendent à ce que ceux-ci leur procurent les informations pertinentes quant à leur histoire, les soins dont ils ont besoin, le pronostic relatif à leur condition. Le Dr. Collins a de plus affirmé qu'il accordait peu de poids à l'auto-évaluation qu'une personne pouvait faire de sa condition et qu'il aurait aimé avoir l'opinion du Dr. Tremblay en ce qui a trait à la cessation de la prise d'hormones par Micheline Montreuil.

[456] Le Dr. Collins dira ainsi qu'il voulait avoir une confirmation du Dr. Tremblay quant à la prise d'hormones. Selon le Dr. Collins, il n'est pas suffisant pour un officier médical au recrutement des Forces canadiennes de s'en remettre en termes de besoin ou non de soins médicaux à la personne elle-même. Ainsi, même si quelqu'un devait affirmer qu'il n'a pas besoin de se soumettre à un examen pour évaluer s'il présente une problématique cardiaque, il est du devoir de l'officier médical recruteur d'obtenir une confirmation d'un médecin cardiologue avant de pouvoir déterminer si la personne a une condition médicale qui l'amènerait à lui attribuer une limitation médicale à l'emploi qui pourrait l'exclure des Forces canadiennes.

[457] Appelé à expliquer sa compréhension du terme transsexuel utilisé dans sa lettre par Micheline Montreuil, le Dr. Collins dira que c'est la forme la plus extrême des problèmes d'identité du genre, que pour lui, il s'agit d'une personne qui a eu des traitements d'épilation au laser, qui s'est soumis à une hormonothérapie et qui est en processus de changement de sexe. Le Dr. Collins a finalement exprimé l'opinion que la lettre n'était d'aucune utilité pour l'aider à prendre une décision en ce qui a trait à la condition médicale de Micheline Montreuil.

[458] Appelé à commenter la lettre de Micheline Montreuil, le Dr. Assalian dira que l'idée qu'on peut contrôler les symptômes, la pulsion ou l'anxiété engendrée par les troubles de l'identité sexuelle est très difficile à accepter.

[459] Le 5 janvier 2000, le Dr. Collins écrit à nouveau au Dr. Boddam. Dans sa lettre, le Dr. Collins indique au Dr. Boddam qu'il lui envoie à nouveau le dossier médical de Micheline Montreuil afin qu'il en fasse la révision. Il demande au Dr. Boddam de lui fournir ses commentaires sur les restrictions à l'emploi et le profil médical.

[460] Le 17 janvier 2000, le Dr. Boddam répond au Dr. Collins. Dans sa réponse, le Dr. Boddam indique qu'il ne semble pas y avoir de contre-indications psychiatriques à ce que Micheline Montreuil devienne un membre des Forces canadiennes selon le point de vue du candidat. Il indique que le Dr. Côté est clair sur ce point. Le Dr. Boddam indique qu'il se sentirait probablement mieux à cet égard si la chirurgie de changement de sexe avait été complétée et que cela faciliterait l'intégration de Micheline Montreuil en tant que femme.

[461] Lors de son témoignage, le Dr. Boddam a indiqué que ce qu'il recherchait n'était pas que Micheline Montreuil subisse une chirurgie à tout prix mais qu'il voulait plus d'information sur sa condition et ses traitements et sur le risque qui était associé au fait que Micheline Montreuil n'ait pas eu de chirurgie de réassignation.

[462] Le Dr. Boddam indiquera dans son témoignage que, pour lui, le plan de traitement, tel qu'établi initialement, par les médecins de Micheline Montreuil, était la chirurgie de réassignation sexuelle, que six semaines plus tard, il était inconfortable avec le fait que le plan de traitement avait changé sans raison apparente et qu'un traitement qui semblait indiqué, six semaines plus tôt, ne l'était plus.

[463] Dans le cadre de son témoignage, le Dr. Boddam fut appelé à préciser le sens de sa note. Ce qu'il indique dans sa note, dira-t-il, c'est qu'il a constaté que Micheline Montreuil ne perçoit pas qu'il y ait quelque contre-indication pour elle à joindre les Forces et non que lui-même considère qu'il n'y a pas de contre-indication et que le Dr. Côté est de cet avis. En outre, le Dr. Boddam indiquera que, eu égard au fait que la chirurgie de réassignation sexuelle à laquelle il est fait allusion dans la documentation n'a pas eu lieu, il considérait que Micheline Montreuil était toujours en traitement, que le problème n'avait pas été résolu et qu'il se sentait inconfortable.

[464] Le 20 janvier 2000, le Dr. Collins écrit au Major Ménard au bureau du Directeur - Politique de Santé (DMEDPOL). Il lui fait parvenir le dossier médical de Micheline Montreuil pour révision quant aux restrictions à l'emploi et au profil médical. Il s'agit de la première révision par le Directeur - Politique de santé.

[465] Le 23 février 2000, le Dr. Georgantopoulos répond à la lettre que le Dr. Collins avait fait parvenir au Major Ménard. Dans sa réponse, le Dr. Georgantopoulos indique qu'il a discuté du dossier avec le Colonel Cameron du Bureau du Directeur - Politique de santé (DMEDPOL) et qu'il fut convenu que le candidat devrait se voir attribuer la cote G3O2 jusqu'à ce que la question de l'identité du genre soit résolue. Il indique qu'actuellement, le candidat prend des hormones et a entrepris une transformation partielle. Il ajoute que le candidat a indiqué qu'il cessera ses hormones dans un avenir rapproché. En conséquence, il est prudent que le candidat soit réévalué une fois que les effets de l'hormonothérapie auront disparu. Alors, on pourra avoir une confirmation plus claire par son médecin qu'aucun traitement relatif à l'identité du genre n'est requis.

[466] Appelé à commenter la réponse du Dr. Georgantopoulos, le Dr. Collins dira qu'il a été surpris du profil G3O2 attribué à Micheline Montreuil vu qu'il prenait des hormones.

[467] Pour sa part, le Dr. Assalian indiquera dans son témoignage que le Dr. Georgantopoulos était dans tous ses droits, voire avait l'obligation de demander que Micheline Montreuil soit réévalué pour sa condition, soit le trouble de l'identité sexuelle, une fois les effets des hormones disparus.

[468] Le 9 mars 2000, le Dr. Collins écrit à Micheline Montreuil. Dans sa lettre, le Dr. Collins indique à Micheline Montreuil que son dossier fut d'objet d'une révision par le Directeur - Politique de santé et lui fait part que des informations additionnelles sont requises afin de déterminer s'il rencontre les normes médicales communes à l'enrôlement.

[469] De façon plus spécifique, le Dr. Collins souligne qu'au moment de sa demande d'enrôlement, Micheline Montreuil prenait des suppléments hormonaux, qu'il avait indiqué qu'il cesserait la prise d'hormones dans un avenir rapproché. Le Dr. Collins indique à Micheline Montreuil qu'il fut déterminé qu'il serait prudent qu'il fournisse une réévaluation par son médecin une fois que les effets des hormones auraient disparu. Il lui indique qu'il est exigé que son médecin confirme alors qu'aucun traitement relatif aux questions d'identité du genre n'est requis.

[470] La preuve révèle que le même jour, le Dr. Collins inscrit sur le formulaire contenant des informations médicales sur Micheline Montreuil que celui-ci ne rencontre pas les normes médicales communes à l'enrôlement (NMCE) et substitue au profil médical G4O4 de l'adjudant Dumais le profil médical G3O2. Lors de son témoignage, le Dr. Collins donnera comme explication qu'il prenait pour acquis que l'hormonothérapie cessait.

[471] Appelé à commenter l'expression trouble de l'identité du genre qui figure dans la lettre, le Dr. Collins reconnaîtra qu'aucun des médecins de Micheline Montreuil n'utilise cette expression mais que les Dr. Lehoux et Tremblay ont utilisé les expressions transsexuel et changement de sexe. En ce qui le concerne, il a utilisé l'expression trouble de l'identité du genre parce que, pour lui, le terme transsexuel renvoie au trouble de l'identité du genre.

[472] Par ailleurs, le Dr. Collins répétera plusieurs fois dans son témoignage que l'élément principal dans son évaluation du dossier fut le fait que Micheline Montreuil, suivant notamment le Dr. Tremblay, est dans un état de transition du sexe masculin au sexe féminin, prend des hormones féminines. Son souci est d'évaluer si sa condition actuelle est susceptible de lui causer des problèmes dans l'avenir et si elle n'aura pas besoin de soins dans l'avenir, soins que l'intimée ne pourrait lui offrir. Pour le Dr. Collins, la question fondamentale était la suivante: peut-on mettre cette personne en uniforme de façon sécuritaire et peut-on procurer à cette personne les soins qu'elle requiert et ce, d'un point de vue médical.

[473] Dans son témoignage, appelé à commenter cette lettre, Micheline Montreuil insistera sur le fait qu'à son avis, les médecins de Forces canadiennes veulent absolument qu'il ait un changement de sexe, qu'il ait un vagin et qu'ils ne comprennent rien à sa condition, à savoir qu'il n'est pas un transsexuel mais un transgenre.

[474] Le 15 mars 2000, le Dr. Tremblay écrit au Capitaine Labonté. Dans sa lettre, le Dr. Tremblay indique, tel que vu précédemment, que, dans le processus de changement de sexe, il est essentiel de maintenir une hormonothérapie de suppression hypothalamo-hypophysaire de manière à ce que les testicules demeurent au repos et que l'équilibre hormonal, maintenu en faveur des hormones féminines, soutienne les attributs féminins. Ce n'est qu'après la castration chirurgicale et la plastie génitale que l'hormonothérapie féminisante est significativement diminuée. Bref, écrit le Dr. Tremblay, sans hormonothérapie, le cheminement de la personne transsexuelle est compromis ou tout simplement interrompu. On revient à la case départ.

[475] Appelé à commenter le contenu de cette lettre, le Dr. Collins dira, dans son témoignage, que pour lui, le Dr. Tremblay indiquait dans sa lettre qu'il y a un traitement actif qui a cours, que l'hormonothérapie devrait continuer jusqu'à la chirurgie de changement de sexe et que, à un certain moment donné, l'hormonothérapie sera réduite. Le Dr. Collins dira que ce qu'il a trouvé de plus frustrant dans le dossier est le fait qu'il demandait des informations sur des points précis et qu'il ne recevait pas les réponses à ses questions.

[476] Appelée à indiquer quelle était sa compréhension de la lettre, le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage que, ce qu'elle a compris est que l'hormonothérapie est en lien avec le processus de changement de sexe et qu'il n'existe aucune indication que l'hormonothérapie était en lien avec une procédure cosmétique ou esthétique.

[477] Pour sa part, appelé à commenter cette lettre, le Dr. Boddam dira qu'il y voit une référence à une personne transsexuelle en processus de changement de sexe et qu'il s'agissait probablement d'une personne présentant un trouble de l'identité sexuelle.

[478] Dans son témoignage, Micheline Montreuil fait état de la mésentente à laquelle réfère le Dr. Tremblay. Selon Micheline Montreuil, le Dr. Tremblay s'est rendu compte que les médecins des Forces canadiennes n'avaient rien compris et que le Dr. Tremblay sait très bien, comme il le souligne, qu'il ne veut pas changer de sexe.

[479] Le 20 mars 2000, Micheline Montreuil écrit au Dr. Collins. Dans sa lettre, il lui indique qu'il a reçu sa lettre du 9 mars 2000 et que, tel que demandé, il a contacté son endocrinologue, le Dr. Tremblay, pour un nouveau rendez-vous, prévu pour le 4 avril afin que celui-ci puisse répondre aux questions contenues dans sa lettre du 9 mars 2000. Il indique également qu'il a fait parvenir une copie de sa lettre au Dr. Tremblay et que son hormonothérapie est maintenant terminée.

[480] Le 21 mars 2000, Micheline Montreuil écrit au Capitaine Labonté. Dans sa lettre, Micheline Montreuil indique qu'il trouvera copie de la lettre du 15 mars 2000 du Dr. Tremblay qui se veut la réponse à la lettre du Dr. Collins du 9 mars 2000.

[481] Le 21 mars 2000, Micheline Montreuil écrit au Dr. Collins. Dans sa lettre, Micheline Montreuil indique, en réponse à sa lettre du 9 mars 2000, qu'il a contacté son endocrinologue pour obtenir un nouveau rendez-vous. A la lettre, est joint le rapport du Dr. Tremblay du 15 mars 2000. Micheline Montreuil indique dans sa lettre au Dr. Collins qu'il a décidé d'arrêter sa thérapie hormonale parce qu'il ne requiert plus d'hormones pour l'instant. Il indique qu'il préfère avoir un emploi et qu'il sait que s'il continue son hormonothérapie et le processus pour devenir un transsexuel (nous soulignons), il n'aura pas d'emploi pour au moins cinq ans. Aussi, écrit-il, a-t-il décidé de suspendre tout traitement médical jusqu'à sa retraite et de joindre les Forces canadiennes en tant que femme parce que c'est la façon dont il vit actuellement.

[482] Micheline Montreuil précise, par ailleurs, dans sa lettre que tant et aussi longtemps qu'il sera dans les Forces canadiennes, il n'entend pas se soumettre à quelque traitement médical pour changer de sexe ou transformer son corps et donne sa parole. Il conclut en demandant au Dr. Collins combien de rapports médicaux additionnels seront requis pour qu'une décision soit prise à son égard et indique qu'il vit comme une femme, qu'il est psychologiquement équilibré, que son corps a subi quelques transformations et qu'il est apte à servir.

[483] Lors de son témoignage, le Dr. Collins fut appelé à commenter cette lettre. Sa compréhension de la lettre est à l'effet que Micheline Montreuil allait interrompre sa thérapie afin de se joindre aux Forces canadiennes. Par ailleurs, le Dr. Collins indiquera qu'il a interprété le mot postponed dans la lettre comme voulant dire que Micheline Montreuil allait retarder, interrompre son traitement. Pour le Dr. Collins, cela voulait dire qu'il y aura dans le futur un traitement et que le traitement n'était qu'interrompu durant la période de temps où Micheline Montreuil ferait partie des Forces canadiennes. En outre, le Dr. Collins indiquera qu'il accordait peu de poids à l'auto-évaluation qu'une personne faisait de sa propre condition.

[484] Appelée à commenter cette lettre qu'elle dira avoir vu, le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage que sa compréhension de la lettre est à l'effet que Micheline Montreuil avait contacté son endocrinologue afin que celui-ci réponde à un certain nombre de questions posées par l'officier médical au recrutement, qu'il avait cessé de prendre des hormones afin d'avoir un emploi, que s'il décidait de continuer l'hormonothérapie et le processus pour devenir une personne transsexuelle, il n'aurait pas d'emploi au cours de cinq prochaines années, que Micheline Montreuil avait décidé de suspendre tout traitement médical jusqu'au moment où il prendrait sa retraite de manière à joindre les Forces canadiennes en tant que femme, qu'il n'entendait pas recourir à la chirurgie pour modifier son sexe, qu'il vivait en tant que femme et était psychologiquement équilibré.

[485] Dans son témoignage, le Dr. Newnham reconnaîtra que les propos de Micheline Montreuil ont une valeur mais qu'ils n'ont pas eu un grand impact sur sa décision ultérieure, étant davantage intéressée, dira-t-elle, dans le fait que Micheline Montreuil était suivi par un spécialiste et l'arrêt de l'hormonothérapie.

[486] Appelé à commenter cette lettre, Micheline Montreuil dira dans son témoignage que ce que les gens ne comprennent pas, c'est la différence entre une transsexuelle et une transgenre: une transsexuelle a besoin de subir une opération alors que la transgenre, c'est tout simplement un état de contrôle de l'esprit sur la matière. Il ajoutera que la façon dont il vit, c'est son choix, un choix libre et éclairé, point. Il précise, par ailleurs, que six ans après avoir écrit cette lettre, il n'a toujours pas subi de transformation.

[487] Appelé à commenter la lettre de Micheline Montreuil, le Dr. Assalian dira que le fait pour Micheline Montreuil d'indiquer qu'il n'a pas besoin d'hormones présentement laisse planer une incertitude pour le futur. Pour le Dr. Assalian, les informations fournies par Micheline Montreuil mènent à la confusion : Micheline Montreuil dit qu'il a arrêté de prendre des hormones et son processus de changement de sexe et ajoute qu'il va remettre son traitement après avoir pris sa retraite des Forces canadiennes. Pour le Dr. Assalian, la personne qui souffre d'un trouble de l'identité du genre ne peut contrôler cette pulsion.

[488] Le 7 avril 2000, le Dr. Collins transmet au major Ménard du bureau du Directeur - Politique de santé (DMEDPOL) le dossier de Micheline Montreuil pour fin de révision quant aux limitations d'emploi et au profil médical. Il s'agit de la deuxième révision du dossier de Micheline Montreuil.

[489] Dans sa lettre de transmission, le Dr. Collins indique qu'il a reçu une correspondance additionnelle de l'endocrinologue qu'il joint à son envoi. Il indique qu'actuellement, tout traitement médical a été arrêté, sans que des traitements additionnels ne soient requis. Lors de son témoignage, le Dr. Collins indiquera que ce constat fut fait à partir de la lettre de Micheline Montreuil et non de la lettre du Dr. Tremblay.

[490] Le 9 mai 2000, le Dr. Georgantopoulos répond à la lettre envoyée par le Dr. Collins au major Ménard le 7 avril 2000. Dans sa réponse, le Dr. Georgantopoulos indique que ce qui est requis est un commentaire clair du psychiatre de Micheline Montreuil que, d'un point de vue de santé mentale, elle ne requerra pas de traitements additionnels en ce qui a trait à la question de l'identité du genre (her gender identity issue). En d'autres mots, écrit-il, est ce que le spécialiste peut attester, dans un énoncé, que Micheline Montreuil, au cours des 30 prochaines années, ne requerra pas de psychothérapie ou de soutien médical quant à cette question. Ceci est la question à laquelle une réponse est requise.

[491] Dans son témoignage, le Dr. Collins, appelé à commenter la période de 30 ans, a indiqué que, pour lui, cela signifiait que Micheline Montreuil devrait démontrer qu'elle n'aurait pas besoin de traitement tout au long de sa carrière dans les Forces canadiennes. Pour lui, l'âge n'est pas important, c'est la condition médicale qui l'est. Il avouera, par ailleurs, que faire référence à une période de 30 ans constituait probablement un mauvais choix de mots qui n'enlevait rien à la nécessité pour lui de savoir que s'il était permis à Micheline Montreuil de s'enrôler dans les Forces canadiennes, sa condition ne serait pas problématique. En outre, le Dr. Collins indiquera dans son témoignage que même si une personne arrête ses traitements en rapport avec une certaine condition, celle-ci demeure et il importe pour les médecins des Forces canadiennes de s'assurer que cette condition est contrôlée, car elle ne disparaîtra pas d'elle-même.

[492] En ce qui concerne cette note, le Dr. Newnham dira dans son témoignage que sa compréhension de la note était que l'on recherchait une lettre du psychiatre de Micheline Montreuil indiquant que, d'un point de vue de santé mentale, elle ne requerrait plus de traitement pour le trouble de l'identité du genre.

[493] La preuve révèle que le 17 mai 2000, le Dr. Collins inscrit au formulaire CF2027 intitulé Rapport d'examen médical portant sur Micheline Montreuil, à la section K, que le profil G3 requiert des soins médicaux spécialisés de façon périodique. Il est à noter ici que le Dr. Collins avait en sa possession la lettre du Dr. Tremblay du 15 mars 2000 lorsqu'il a attribué à Micheline Montreuil le profil G3O2.

[494] Appelé à expliquer comment il en était venu à cette conclusion, le Dr. Collins a indiqué qu'en l'absence d'information additionnelle portant sur des problèmes médicaux potentiels reliés à sa condition, qui demeure imprécise, et qu'en raison du fait que Micheline Montreuil avait cessé son hormonothérapie, il a présumé que la personne ne requérait pas des soins fréquents. Cependant, vu la persistance d'une condition non clairement établie qui avait amené Micheline Montreuil à consulter un psychiatre, un endocrinologue et une omnipraticienne spécialisée en dermatologie, il a néanmoins conclu qu'il y avait lieu d'imposer un profil médical G3, ajoutant que d'autres auraient pu mettre un profil médical G4 ou plus.

[495] En rapport avec le fait qu'il ait imposé un profil médical G3 même si Micheline Montreuil avait cessé son hormonothérapie, le Dr. Collins soulignera que Micheline Montreuil avait cessé son hormonothérapie de son propre chef et sans avis médical, qu'il n'y avait aucune information additionnelle en ce qui a trait à la possibilité de récurrence de sa condition, que la préoccupation demeurait quant à l'existence d'une condition non clairement définie et à l'incertitude reliée à la nécessité de soins dans le futur.

[496] Pour le Dr. Collins, même si Micheline Montreuil avait cessé son hormonothérapie, il n'en demeure pas moins la persistance d'une condition mal définie et un traitement interrompu à l'initiative de Micheline Montreuil. Le Dr. Collins fut d'avis qu'il existait une possibilité que Micheline Montreuil requiert ou demande des traitements dans l'avenir et c'est la raison pour laquelle il en est venu à la condition qu'un profil médical G3 était indiqué.

[497] Le même jour, le Dr. Collins écrit à Micheline Montreuil. Dans sa lettre, le Dr. Collins informe Micheline Montreuil que le Directeur - Politique de santé - (DMEDPOL) requiert un commentaire clair de la part de son psychiatre qu'il ne requerra pas, d'un point de vue de santé mentale, de traitement quant à la question de l'identité du genre. Le Dr. Collins précise, pour qu'aucune limitation à l'emploi ne soit attribuée, le spécialiste devra énoncer que, pendant 30 ans, il n'aurait besoin d'aucune psychothérapie et d'aucun soutien médical quant à cette question. Il informe Micheline Montreuil qu'il s'est vu attribuer la restriction à l'emploi suivante : requiert périodiquement les soins d'un médecin spécialiste.

[498] Pour le Dr. Collins, il était nécessaire pour les médecins des Forces canadiennes de mieux cerner la condition de Micheline Montreuil eu égard aux lettres écrites par les médecins qu'elle avait approchés. Comme médecin, il ne pouvait s'en remettre à cet égard uniquement à ce que lui disait Micheline Montreuil - d'autant moins que Micheline Montreuil, le présent dossier le révèlera, avait tendance à exagérer et à manipuler les choses. Il ne pouvait se contenter de l'affirmation de Micheline Montreuil qu'il avait décidé d'avoir des seins uniquement pour des raisons cosmétiques.

[499] Il importe de souligner ici que le Dr. Collins, à plusieurs reprises, a indiqué que pour lui, en tant qu'officier médical au recrutement, ce qui importait était de déterminer si le candidat ne serait pas un fardeau pour les Forces canadiennes, si celles-ci seraient en mesure de lui prodiguer les soins qu'il pourrait requérir. Or, pour cela, il fallait déterminer si Micheline Montreuil ne présentait pas une condition qui pourrait l'empêcher de servir dans les Forces et de compléter une mission. Pour le Dr. Collins, Micheline Montreuil présentait une condition qui n'avait pas été clairement définie, eu égard aux lettres qui avaient été acheminées aux Forces canadiennes par les médecins auxquels il avait fait appel et pour laquelle des informations additionnelles étaient requises.

[500] Appelée à commenter l'exigence du 30 ans, le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage que c'était le premier dossier qu'elle voyait où apparaissait une telle exigence et précisera qu'il serait difficile de faire une prédiction sur une période de 30 ans.

[501] En ce qui la concerne, dans son témoignage, Micheline Montreuil a indiqué que la condition imposée par les Forces canadiennes était ridicule, voire discriminatoire, car, vu son âge, 47 ans, les Forces canadiennes lui demandaient de prouver qu'il n'aurait besoin d'aucun traitement pour les 30 prochaines années, donc jusqu'à l'âge de 77 ans, bien au-delà de l'âge de la retraite.

[502] Appelé à commenter la demande d'information des Forces canadiennes, le Dr. Assalian dira dans son témoignage que la demande était très justifiée parce qu'il est clair pour lui que les médecins des Forces canadiennes n'ont pas leur réponse, qu'il perdure cette impression que Micheline Montreuil souffre d'un trouble de l'identité sexuelle. En ce qui concerne la garantie de 30 ans toutefois, le Dr. Assalian dira qu'au lieu de dire pour la vie, on a marqué 30 ans. Le Dr. Assalian ajoutera qu'en matière de troubles de l'identité du genre, il n'est pas possible de prédire pour la vie qu'un traitement ne sera plus nécessaire.

[503] Le 4 juin 2000, Micheline Montreuil écrit au Capitaine Labonté. Dans sa lettre, Micheline Montreuil relate le cheminement de son dossier au sein des Forces canadiennes et demande de l'informer de la progression de son dossier.

[504] Le 14 juin 2000, le Dr. Collins écrit au major Ménard du Bureau du Directeur - Politique de santé (DEMEDPOL). Il lui indique dans sa lettre qu'il lui envoie le dossier médical de Micheline Montreuil pour révision, il s'agit de la troisième, quant aux limitations à l'emploi et au profil médical.

[505] Dans sa lettre, le Dr. Collins indique qu'il a attribué les limitations suivantes à Micheline Montreuil : requiert un suivi périodique d'un médecin. Il informe le major Ménard qu'aucune autre information médicale ne viendra. Il indique, dans sa lettre, que le postulant est hautement expérimenté, qu'il a déjà été dans les Forces canadiennes, que son dossier sera révisé par la Direction - Administration et gestion des ressources (DMCARM) pour une possible exemption administrative quant aux normes médicales communes à l'enrôlement.

[506] Dans son témoignage, le Dr. Newnham indique que sa compréhension du dossier à ce moment-là était que le Directeur - Politique de santé (DMEDPOL) ayant approuvé un profil G3O2, avec des restrictions médicales à l'emploi, le dossier serait renvoyé au centre de recrutement étant donné la possibilité, selon le Dr. Collins, d'une dispense administrative. En conséquence, aucune lettre n'est envoyée au candidat l'informant qu'il ne rencontre pas les normes médicales communes à l'enrôlement.

[507] Le 13 juillet 2000, le Major Ménard répond au Dr. Collins et lui indique que le profil attribué à Micheline Montreuil est V4H2G3O2.

[508] Appelé à commenter la position des Forces canadiennes et à dire si l'évaluation était correcte, le Dr. Assalian dira que c'est la confusion totale dans les écrits et que, dans ce contexte, la demande des médecins des Forces canadiennes était justifiée. Le Dr. Assalian ajoutera que nulle part, jusqu'à ce point, le mot transgenre est utilisé, que c'est toujours transsexuelle, processus de changement.

[509] Le 24 novembre 2000, Micheline Montreuil écrit au Capitaine Labonté. Dans sa lettre, Micheline Montreuil indique qu'aucun médecin ne peut attester qu'un membre des Forces canadiennes n'aura besoin de traitement pour les 30 prochaines années. Considérant qu'il n'y a aucune raison valable d'arrêter le processus d'enrôlement visant son retour dans les Forces canadiennes, Micheline Montreuil demande de continuer son processus d'enrôlement pour un poste d'avocat militaire. Advenant le cas, indique-t-il, que ce poste ne serait pas disponible, Micheline Montreuil demande de continuer l'examen de sa candidature dans le cadre du poste d'officier de la logistique. Lors de son témoignage, le Capitaine Labonté a indiqué que le poste recherché, en ce qui le concerne, était un poste d'officier logistique dans la Force régulière et non plus dans la Réserve navale.

[510] Le 4 juin 2001, Micheline Montreuil écrit au Capitaine Labonté lui demandant, après avoir fait un résumé de ses démarches, de l'informer de la progression de son dossier.

[511] Le 14 août 2001, Micheline Montreuil écrit au Général Hénault. Dans sa lettre au Général Hénault, Micheline Montreuil fait état de la lente progression de son dossier. Il indique au général qu'il est différent de la majorité des personnes qui demandent à entrer dans les Forces canadiennes. Il demande que sa candidature soit étudiée au mérite et fait état de ses compétences. Il indique, par ailleurs, dans sa lettre qu'il est une transgenre, c'est-à-dire une personne qui vit entre les sexes masculin et féminin et qui s'en porte très bien. Micheline Montreuil ajoute que cette situation très particulière peut constituer une raison pour faire en sorte que son dossier se perde, que sa situation puisse rendre certaines personnes mal à l'aise. Enfin, il indique dans sa lettre que, lorsqu'il avait quitté les Forces canadiennes en 1997, il était en train de préparer sa transition et demande au Général Hénault de prendre les dispositions nécessaires pour l'informer de la progression de son dossier.

[512] Le 20 août 2001, le Colonel Martin accuse réception de la lettre du 14 août 2001 de Micheline Montreuil adressée au Général Hénault.

[513] Le dossier révèle que le 30 août 2001 un mémo manuscrit émanant des Forces canadiennes est produit. Le mémo, qui est accompagné d'un article paru dans le Ottawa Citizen, contient ce qui suit : This is the person who wrote to the CDS 14 August 01 concerning disposition of her application to joint CF as JAG. We forwarded her enquiry to ADM (HR-MIL) under note from you to investigate her application status.

[514] Le 11 octobre 2001, Micheline Montreuil complète à nouveau un formulaire CF2027 (Rapport d'examen médical en vue de l'enrôlement) en vue de son ré-enrôlement dans les Forces canadiennes. Il subit un nouvel examen médical, la preuve révélant qu'un examen médical n'est valable que pour un an. L'examen est effectué par l'adjoint au médecin Leroux. Celui-ci ne fut pas appelé comme témoin.

[515] Il importe de noter ici que bien que l'adjoint au médecin Leroux ait indiqué que lors de son examen, il était en présence d'une personne de sexe féminin, il indique néanmoins dans ses notes qu'un décompte de spermatozoïdes a été fait chez Micheline Montreuil qui a manifesté le désir d'avoir des enfants à partir de ses spermatozoïdes.

[516] L'adjoint au médecin Leroux accorde à Micheline Montreuil la catégorie V3GV1H1G2O2A5. La preuve révèle que ce profil médical fut subséquemment modifié par le Dr. Newnham qui a attribué à Micheline Montreuil le profil V4CV1H1G5(T)O2A5 le 31 octobre 2001. Par la suite, soit le 10 décembre 2001, le Dr. Newnham, après avoir reçu des informations des Dr. Côté et Tremblay, assignera un profil G5 permanent à Micheline Montreuil, profil qui sera ultérieurement confirmé par le Dr. Deilgat du bureau du Directeur - Politique de santé (DMEDPOL).

[517] A la page 1 du Rapport médical, soit le questionnaire complété par Micheline Montreuil, il est indiqué qu'il est de sexe féminin. Le questionnaire indique que Micheline Montreuil a répondu par l'affirmative à la question Avez-vous subi d'autres examens, tests ou traitements administrés par un médecin, un psychiatre, un psychologue ou un travailleur social? Par ailleurs, Micheline Montreuil a répondu à la question portant sur les femmes seulement qu'il n'avait jamais souffert de troubles gynécologiques ou obstétriques.

[518] La preuve révèle que l'adjudant Leroux, sur sa feuille de constatations, soit la page 2 du formulaire, indique qu'il est en présence d'une personne de sexe féminin qui désire joindre les Forces canadiennes régulières dans le métier 67, qu'il a cessé son hormonothérapie il y a 8 mois, soit le 20 février 2001, que le candidat désire avoir des enfants, qu'il dit se sentir de bonne humeur, qu'il ne présente pas de signes de dépression et n'a pas d'idées suicidaires. A la page quatre du rapport, dans la section profil médical recommandé, en ce qui concerne les facteurs géographique et occupationnel, les chiffres 2 et 2 sont d'abord inscrits. La preuve révèle, en ce qui concerne le facteur géographique, que le chiffre 2 sera par la suite rayé et remplacé par la mention 5(T6) qui correspond à l'attribution de la cote 5 pour une période de six mois.

[519] La preuve révèle que les informations contenues dans le rapport ont été analysées par le Dr. Newnham et que celle-ci n'a pas, avant de déterminer le profil médical qui devait être attribué à Micheline Montreuil, consulté le Dr. Boddam, considérant qu'il n'y avait pas suffisamment de nouveaux éléments pour ce faire. Cela dit, le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage que, compte tenu des divers changements apparaissant au dossier, elle ne savait plus trop où l'on en était rendu.

[520] Appelée à commenter ce rapport, le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage que vu que le candidat avait été en traitement auparavant et avait été suivi par un médecin dans le passé, elle a demandé de plus amples informations. Pour elle, le fait qu'au chapitre de la révision des systèmes, il ne soit rien indiqué en ce qui concerne le système endocrinien et le système psychiatrique lui a suggéré qu'elle n'avait peut-être pas en main toute l'information pertinente, compte tenu du fait qu'elle avait en sa possession l'ensemble du dossier.

[521] Le dossier révèle que le 15 octobre 2001, le Capitaine Labonté écrit au caporal Gagné un courriel dans lequel il indique de ne pas faire le msg (sic) de sa vérification de crédit et de dossier criminel, que pour le test physique, il attendra l'offre puisque c'est un vieux dossier et qu'il lui a dit que le test se ferait à l'offre comme les autres officiers.

[522] Le même jour, le Caporal Gagné répond au Capitaine Labonté qu'on lui a demandé d'envoyer le dossier pour sélection comme avocat, que le test physique n'a pas été fait. Le courriel indique, par ailleurs, que le Capitaine Labonté lui aurait indiqué qu'il s'agissait d'un dossier spécial. Lors de son témoignage, Micheline Montreuil indiquera que selon elle, le seul élément qui faisait que son dossier était spécial était le fait qu'il soit transgenre.

[523] La preuve révèle que le 31 octobre 2001, le Dr. Newnham révise le dossier de Micheline Montreuil, modifie le profil médical G2O2 initialement attribué par l'adjoint au médecin Leroux et lui attribue le profil temporaire V4CV1H1G5O2A5 pour une période de 6 mois, indiquant qu'un suivi avec un spécialiste est requis avant qu'on lui assigne une restriction médicale à l'emploi si nécessaire.

[524] Lors de son témoignage, le Dr. Newnham a indiqué que pour faire son évaluation, elle avait en sa possession le rapport d'examen médical en vue de l'enrôlement daté du 11 octobre 2001, ainsi que toute la documentation antérieure. Elle témoignera que ce qui a alors surtout retenu son attention est le fait que Micheline Montreuil avait cessé son hormonothérapie huit mois auparavant. Selon le Dr. Newnham, elle aurait téléphoné à l'adjoint Leroux pour que celui-ci obtienne de plus amples informations de la part de Micheline Montreuil.

[525] Lors de son témoignage, le Dr. Newnham indiquera que l'attribution d'un profil temporaire pour une période de 6 mois a pour effet de mettre le dossier en attente pendant que des informations additionnelles sont recueillies et que, dans les faits, l'attribution d'un profil G5 plutôt que G3 ne change rien à cet égard. Ainsi, dira-t-elle, l'attribution d'un profil temporaire est un indicateur qu'il faut obtenir de plus amples informations.

[526] Interrogée sur la raison pour laquelle elle avait attribué un profil temporaire G5(T6)O2 alors que le Dr. Collins et le Directeur - Politique de santé (DMED POL) avaient antérieurement attribué un profil G3O2, le Dr. Newhnam indique qu'elle recommençait le processus à zéro, l'examen antérieur n'étant plus valide parce que fait plus d'un an auparavant. Pour elle, il s'agissait d'une nouvelle demande d'enrôlement et son rôle n'était pas de réviser le profil médical attribué antérieurement.

[527] Pour le Dr. Newnham, la nouvelle demande soulevait un certain nombre de questions auxquelles des réponses n'avaient pas été apportées antérieurement. Par ailleurs, elle indiquera dans son témoignage qu'en l'espèce, un spécialiste était impliqué dans le dossier de Micheline Montreuil et que, suivant PFC154, toutes les fois où un spécialiste est impliqué dans le dossier d'un candidat et que des informations sont requises de lui, le profil G5 est utilisé de préférence au profil G4 ou G3. Elle précisera en ce qui concerne le profil G3 attribué par le Dr. Collins, que celui-ci avait mentionné que le suivi devait être périodique, ce qui justifiait un profil médical G3. Quoi qu'il en soit, dira-t-elle, que ce soit un G3 ou un G5, la personne ne rencontre pas les normes médicales communes à l'enrôlement. Elle a reconnu, néanmoins, qu'il était plus facile d'avoir une dispense administrative aux normes médicales communes à l'enrôlement lorsqu'un profil G3 est attribué.

[528] Par ailleurs, le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage, en ce qui a trait à la médication prise par Micheline Montreuil, que le Dr. Collins indique dans sa lettre du 7 avril 2000, adressée au Major Ménard, que tout traitement médical a cessé et pourtant elle note que dans le formulaire complété par l'adjoint au médecin Leroux, il est indiqué que l'hormonothérapie a été cessée huit mois auparavant, soit en février 2001. Le Dr. Newnham en déduit que Micheline Montreuil avait recommencé à prendre des hormones après le 7 avril 2000 et avait, en fait, cessé la prise d'hormones en février 2001. Pour le Dr. Newnham, il y a là un changement dans l'histoire médicale de Micheline Montreuil qui requerrait une mise à jour de la part de son médecin.

[529] La preuve révèle, par ailleurs, que le 31 octobre 2001, le Dr. Newhnam écrit à l'adjoint au médecin Leroux. Dans sa lettre, elle demande à ce que Micheline Montreuil fournisse une évaluation de la part de son endocrinologue et de son psychiatre, la dernière mise à jour quant à la prise d'hormones datant de mars 2000 et la dernière évaluation psychiatrique datant de 1999. Elle demande également que son psychiatre commente quel impact psychologique est perçu en ce qui a trait au candidat intégrant un rôle du sexe opposé avec seulement un traitement partiel. En outre, le Dr. Newnham demande à ce que l'endocrinologue de Micheline Montreuil commente sur le traitement actuel, sur quand la médication a été arrêtée et sur le besoin de traitement et le plan de traitement ou le suivi envisagé. Le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage que ses demandes sont basées notamment sur ce que le Dr. Boddam avait exigé préalablement comme information

[530] Appelé à commenter la position des Forces canadiennes quant à la demande d'informations supplémentaires, le Dr. Assalian dira qu'eu égard à la terminologie utilisée dans les écrits, notamment les termes hormones, processus de changement, les médecins des Forces canadiennes sont justifiés de demander une mise à jour de la condition de Micheline Montreuil.

[531] Le 6 novembre 2001, Micheline Montreuil signe deux formulaires de demande de divulgation de renseignements médicaux, l'un visant son psychiatre, l'autre son endocrinologue. La demande de renseignements adressée au psychiatre indique que le médecin du recrutement des Forces canadiennes a besoin de connaître ses commentaires relatifs à l'intégration dans les Forces canadiennes d'une personne qui n'est femme que psychologiquement et avec des traitements partiels. La demande de renseignements adressée à l'endocrinologue indique que le médecin de recrutement des Forces canadiennes a besoin d'une mise à jour sur le traitement hormonal, à savoir précisément quand la médication a été arrêtée, la nécessité de la médication, le plan de traitement et le besoin de suivi. Les deux demandes sont signées par l'adjoint au médecin Leroux.

[532] Le même jour, Micheline Montreuil reçoit une lettre du Lieutenant Colonel Couture en réponse à sa lettre du 14 août 2001. Dans sa lettre, le Lieutenant Colonel Couture informe Micheline Montreuil que, suivant les informations dont il dispose, qu'au départ, il ne satisfaisait pas aux normes médicales minimales exigées à l'enrôlement et que sa demande pourrait être reconsidérée si sa condition médicale devait changer. Il informe Micheline Montreuil que, bien qu'il n'ait pas été établi si sa situation médicale avait changé, son dossier avait été acheminé pour étude au comité de présélection des avocats militaires. Le Lieutenant Colonel Couture écrit que si jamais les Forces canadiennes estimaient qu'il satisfaisait aux normes médicales exigées à l'enrôlement et que le comité de sélection le juge apte à joindre les rangs des Forces canadiennes, le processus d'enrôlement serait enclenché.

[533] Dans sa lettre, le Lieutenant Colonel Couture indique, par ailleurs, qu'il est sensible aux inquiétudes exprimées par Micheline Montreuil quant à son orientation sexuelle (sic) et l'assure que le délai dans le traitement de son dossier résultait de sa condition médicale et non de son orientation sexuelle. Il précise que les Forces canadiennes n'exerce aucune discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ou autres motifs de distinction illicite en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, précité.

[534] Lors de son témoignage, Micheline Montreuil a indiqué qu'en ce qui la concernait, c'était le fait de porter une robe qui était la cause de son problème. Il a également laissé sous-entendre qu'au départ, les Forces canadiennes se sont réfugiées derrière la question de l'hormonothérapie pour dire qu'il ne rencontrait pas les normes médicales minimales à l'enrôlement, puis sur le fait qu'il présentait un trouble de l'identité du genre. En outre, par rapport à la réponse du Lieutenant Colonel Couture, Micheline Montreuil fera remarquer qu'il n'a jamais été question dans ses correspondances d'orientation sexuelle.

[535] Le 13 novembre 2001, Micheline Montreuil écrit au Lieutenant Général Couture. Dans sa lettre, Micheline Montreuil soulève la question du 30 ans abordée par le Dr. Collins dans sa lettre du 17 mai 2000 et souligne qu'aucun médecin sur terre ne peut offrir une telle garantie.

[536] Dans sa lettre, Micheline Montreuil se décrit comme une personne transgenre ou une personne en transition. Elle écrit qu'elle se sent femme, vit comme une femme, travaille comme une femme, s'habille comme une femme et se comporte en femme. Elle affirme qu'elle sait qui elle est, elle connaît très bien sa situation et est confortable dans cette situation. Elle se dit équilibrée, logique, cohérente et très intelligente.

[537] Micheline Montreuil fait également référence aux quatre rapports médicaux fournis et met en évidence le fait que ces rapports suggèrent son retour dans les Forces canadiennes comme femme. Il précise que sa situation n'est pas d'orientation sexuelle, mais d'identité sexuelle, c'est-à-dire le cas d'une personne qui est en transition entre le sexe masculin et le sexe féminin. Il se dit dans la phase de transition et s'en déclare parfaitement à l'aise. Il indique finalement qu'il a décidé de rester en transition tant et aussi longtemps qu'il trouvera cela convenable et que cela peut durer très longtemps car il se dit confortable dans cette situation. Il indique, par ailleurs, qu'il n'a pas l'intention de se soumettre à un processus de changement de sexe et affirme qu'il n'aura besoin d'aucun soin médical ou traitement médical relatif à son changement d'identité au cours des quinze prochaines années (emphase mise). Il affirme, enfin, qu'il s'engage à démissionner des Forces canadiennes ou à prendre un congé sans solde illimité au choix des Forces canadiennes s'il décidait de suivre le moindre traitement médical relatif à son changement d'identité.

[538] Appelé à commenter cette lettre, le Dr. Assalian indiquera dans son témoignage que les médecins qui ne sont pas spécialistes des troubles de l'identité sexuelle comprendront que Micheline Montreuil est en transition, qu'il est en processus de changement d'identité.

[539] La preuve révèle que le 20 novembre 2001, un message provenant du Quartier général du groupe de recrutement des Forces canadiennes indique que Micheline Montreuil n'a pas été sélectionné pour le groupe professionnel militaire Droit 67U et que son dossier est maintenant clos et aucune autre action n'est requise.

[540] Le 22 novembre 2001, le Dr. Tremblay complète un nouveau rapport pour les Forces canadiennes. Les informations qu'il fournit aux Forces canadiennes sont en fait contenues dans le formulaire de demande de renseignements complété par Micheline Montreuil le 6 novembre 2001.

[541] Sur le formulaire, le Dr. Tremblay indique, tel que vu précédemment, que Micheline Montreuil est un individu qui se comporte comme une personne transsexuelle, qu'il a cessé une hormonothérapie le 20 février 2001, qu'il n'y a pas de restrictions connues et que le risque de récurrence est non prévisible. Le Dr. Tremblay atteste, par ailleurs, sur le formulaire d'énoncé de tâches communes, que Micheline Montreuil ne démontre aucune condition médicale qui l'empêcherait d'accomplir ou de suivre l'instruction permettant d'accomplir les tâches décrites au formulaire.

[542] En ce qui a trait au Dr. Newnham, appelé à commenter le rapport du Dr. Tremblay, celle-ci indiquera que le Dr. Tremblay fournit des informations quant à la cessation de la médication. Toutefois, le Dr. Newnham précisera que sa plus grande préoccupation s'était située au niveau du risque de récurrence à l'égard duquel le Dr. Tremblay avait indiqué qu'il n'est pas prévisible. Il aurait été préférable, selon elle, si tel avait été le cas, pour le Dr. Tremblay d'indiquer qu'il n'y avait pas de risque de récurrence.

[543] En ce qui a rait à cet élément, le Dr. Newnham indiquera que lorsqu'une personne se joint aux Forces canadiennes, elle doit être en bonne santé et que les Forces canadiennes ne courront pas le risque d'enrôler une personne qui n'est pas en santé, n'est pas apte au travail dans les Forces et ne peut être déployée.

[544] Le Dr. Newnham dira dans son témoignage qu'elle ne considérait pas qu'elle avait suffisamment d'information en ce qui a trait à l'histoire médicale de Micheline Montreuil. Elle soulignera qu'elle avait demandé des informations en ce qui a trait au suivi mais n'avait rien obtenu à cet égard. Par ailleurs, elle a reconnu que l'énoncé des tâches communes n'était pas un formulaire qui était, en règle générale, acheminé à un spécialiste.

[545] Appelé à interpréter l'expression qui se comporte comme une personne transsexuelle, le Dr. Boddam dira dans son témoignage qu'une personne transsexuelle est une personne qui se comporte comme une personne transsexuelle. En outre, le Dr. Boddam indiquera dans son témoignage que les informations fournies ne répondent pas entièrement à ses interrogations.

[546] Lors de son témoignage, le Dr. Beltrami fut appelé à commenter les informations contenues dans la demande de divulgation de renseignements médicaux complétée par le Dr. Tremblay. En ce qui a trait au diagnostic - individu se comportant comme une personne transsexuelle -, le Dr. Beltrami dira qu'il s'agit là d'un diagnostic un peu flou ou dilué et non pas un diagnostic ferme. Pour le Dr. Beltrami, se comporter comme une personne transsexuelle n'est pas un diagnostic. Toutefois, il importe de préciser que le Dr. Beltrami a reconnu, par ailleurs, que le Dr. Tremblay considérait Micheline Montreuil comme une personne transsexuelle, expression utilisée dans sa lettre du 26 octobre 1999, et n'a jamais utilisé le terme transgenre.

[547] Appelé à commenter le rapport du Dr. Tremblay, le Dr. Assalian indiquera que le rapport ne répond pas aux questions des médecins des Forces canadiennes. Pour le Dr. Assalian, il n'est pas clair du rapport si Micheline Montreuil n'aura pas besoin d'hormones dans le futur, eu égard à sa condition non résolue. Pour le Dr. Assalian, les personnes qui lisent ces informations peuvent avoir dans leur esprit que la personne souffre toujours d'un trouble de l'identité du genre.

[548] Le 24 novembre 2001, le Dr. Serge Côté complète, tel que vu précédemment, le formulaire de demande de divulgation de renseignements médicaux, signé par Micheline Montreuil, le 6 novembre 2001. Sur le formulaire, il indique au chapitre du diagnostic psychiatrique aucun, aucun antécédent psychiatrique, aucun traitement, présent ou passé, un état actuel normal. Le Dr. Côté atteste également sur le formulaire d'énoncé de tâches communes que Micheline Montreuil ne démontre aucune condition médicale qui l'empêcherait d'accomplir ou de suivre l'instruction permettant d'accomplir les tâches décrites au formulaire.

[549] Appelé à commenter les informations contenues dans ce document, le Dr. Boddam dira que ce document contient en fait peu d'information pertinente. Pour sa part, le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage que la réponse du Dr. Côté ne répondait pas aux questions qui lui avaient été posées. En fait, elle note dans son témoignage que le Dr. Côté n'avait pas répondu à toutes les questions et avait indiqué en ce qui a trait au diagnostic psychiatrique aucun, n'avait pas fourni de synopsis des conditions psychiatriques, n'avait rien répondu à la question sur les traitements actuels et passés, n'avait formulé aucun commentaire en ce qui a trait aux restrictions possibles et au risque de récurrence.

[550] En bref, pour le Dr. Newnham, le rapport du Dr. Côté ne fournit pas les informations recherchées et ne contribue pas à clarifier la situation, notamment en ne fournissant pas l'information nécessaire pour l'aider à déterminer si la condition de Micheline Montreuil était résolue ou non. Selon le Dr. Newnham, l'information fournie n'était, en outre, pas très crédible.

[551] Appelé à commenter le rapport du Dr. Côté, le Dr. Assalinan dira que le Dr. Côté ne répond pas à la question du Dr. Newnham.

[552] La preuve révèle, par ailleurs, que le 29 novembre 2001, le Dr. Tremblay, tel que vu précédemment, répond aux questions qui se trouvent au formulaire intitulé Énoncé de tâches communes. Dans son témoignage, le Dr. Tremblay indiquera qu'il a répondu au mieux aux questions posées et en est venu à la conclusion qu'il n'y avait rien chez Micheline Montreuil qui démontrait une condition médicale qui l'empêcherait d'accomplir ces tâches. Du reste, comme Micheline Montreuil s'est vu accorder le profil occupationnel O2, il fut considéré ultimement par les médecins des Forces canadiennes qu'il était en mesure d'accomplir ces tâches.

[553] Le 3 décembre 2001, Micheline Montreuil fait parvenir au Caporal Domaine deux nouveaux rapports d'expertise, l'un d'expertise psychiatrique, du Dr. Côté, daté du 24 novembre 2001 et l'autre d'expertise médicale du Dr. Tremblay, daté du 22 novembre 2001. Appelée à commenter comment s'était déroulée la rencontre avec les deux médecins à qui elle avait demandé de compléter la demande de renseignements médicaux, Micheline Montreuil a témoigné que les médecins lui avaient posé des questions et avaient complété le formulaire.

[554] Le 10 décembre 2001, après avoir reçu les informations provenant du Dr. Côté et du Dr. Tremblay, le Dr. Newnham attribue à Micheline Montreuil le profil médical permanent G5O2 ce qui rend Micheline Montreuil inapte à l'enrôlement. Ce profil devait éventuellement être révisé par le Dr. Wright qui attribua, ultérieurement, à Micheline Montreuil la catégorie médicale G5(T6).

[555] Lors de son témoignage, le Dr. Newnham indique qu'au moment de prendre sa décision, elle avait en sa possession plusieurs rapports (Dr. Tremblay, Dr. Côté, adjudant Leroux), plusieurs notes de médecins (Dr. Boddam, Dr. Collins, Dr. Georgantopoulous), plusieurs lettres (Dr. Ménard, Dr. Collins, Micheline Montreuil). Elle indique, en outre, que sa décision fut basée, en partie, sur le fait qu'elle n'avait pas reçu de nouvelles informations dans les derniers rapports du Dr. Côté et du Dr. Tremblay qui pouvaient justifier l'attribution d'un profil médical G2O2. Il importe d'examiner ici tour à tour quelle information le Dr. Newnham possédait au moment où elle a pris sa décision d'attribuer à Micheline Montreuil un profil G502 ainsi que les raisons qui l'on amené à prendre cette décision. La preuve révèle que le Dr. Newnham fut amplement en mesure, dans le cadre son témoignage, d'exposer les raisons à la base de sa décision.

[556] Le Dr. Newnham souligne dans son témoignage l'importance, avant de prendre une décision éclairée quant à l'enrôlement d'une personne, d'avoir en mains toute l'information pertinente pour n'enrôler que les personnes qui sont en bonne santé. Selon elle, le Directeur - Politique de santé (DMEDPOL) n'est pas prêt à prendre de risque, notamment en ce qui a trait à une possibilité de décompensation ou d'une urgence médicale qui mettrait la santé d'un candidat à risque. En l'espèce, pour le Dr. Newnham, Micheline Montreuil présentait, eu égard à la documentation fournie, une condition médicale potentiellement récurrente ainsi qu'une condition médicale non résolu.

[557] Dans son témoignage, le Dr. Newnham se réfère, en rapport à sa prise de décision, à une note manuscrite produite par le Dr. Collins à son attention. Dans sa note manuscrite, le Dr. Collins indique que le dossier a été révisé par deux fois par le Directeur - Politique de santé (DMEDPOL), la première fois en février 2000. Par la suite, le Dr. Collins indique qu'il a écrit à Micheline Montreuil et a reçu de celui-ci des informations additionnelles. Il indique que le Dr. Ménard a révisé le dossier à nouveau en juillet 2000 et lui a attribué le profil G3O2. À la suite de cette révision, le Dr. Collins indique qu'il a soumis un énoncé de restrictions au Major Stouffer afin qu'il considère la possibilité d'une dispense (waiver). Micheline Montreuil fut informé de ce fait. Le Dr. Collins précise, dans sa note, qu'il a donné à Micheline Montreuil le numéro de téléphone du Major Stouffer. Il suggère alors l'attribution d'un profil G3 avec les restrictions du Dr. Ménard en l'absence de nouvelles informations.

[558] Le Dr. Newnham ajoutera, dans son témoignage, que la décision d'attribuer un profil G3, tel que décrit ci-dessus dans la note du Dr. Collins, en l'absence d'informations additionnelles, représentait pour elle un élément qui comportait beaucoup de poids. Le Dr. Newnham indiquera, par ailleurs, dans son témoignage, que ce mémo du Dr. Collins l'a amenée à vouloir obtenir plus d'information avant de réévaluer le profil médical attribué à Micheline Montreuil.

[559] En ce qui a trait aux rapports du Dr. Côté, le Dr. Newnham soulignera que le sens commun veut qu'une personne qui n'est pas suivie par un psychiatre ne demande pas à un psychiatre de compléter un rapport médical à son sujet. Cela dit, pour le Dr. Newnham, en ce qui a trait au Dr. Côté, il est étonnant de constater qu'une personne qui a présumément un psychiatre produise un rapport psychiatrique si peu étoffé et des informations aussi vagues vu les informations recherchées par rapport à la condition de la personne. Le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage que cela a généré chez elle des doutes quant à la crédibilité des réponses fournies. Pour le Dr. Newnham, le Dr. Côté retenait de l'information à propos de Micheline Montreuil.

[560] Ainsi, comparant les informations contenues dans les rapports fournis par le Dr. Côté en octobre et décembre 1999, le Dr. Newnham constate que, bien que le Dr. Côté ait écrit, en 2001, au niveau du diagnostic psychiatrique aucun, il n'en demeure pas moins qu'en 1999, le Dr. Côté avait écrit que Micheline Montreuil était en processus de changement et n'avait pas de transformation complète. Le Dr. Newnham dira qu'elle ne pouvait, lors de son évaluation de novo du dossier de Micheline Montreuil, ignorer cela ou en faire abstraction. Par ailleurs, le fait que le Dr. Côté indique nil au niveau de la rubrique traitements présents et passés alors qu'il a fait parvenir deux rapports d'évaluation en 1999, est de nature à laisser le médecin évaluateur des Forces canadiennes perplexe et à vouloir obtenir de plus amples informations pour clarifier la situation.

[561] Par ailleurs, il ressort du témoignage du Dr. Newnham que celle-ci avait en sa possession lors de sa prise de décision le rapport du Dr. Tremblay du 26 octobre 1999 qui indique que le candidat suivait une hormonothérapie afin de féminiser son apparence et était un transsexuel qui était en processus de transition. Le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage qu'il lui est apparu alors que l'on envisageait une chirurgie et ajoute que tout cela lui indiquait qu'il y avait des questions d'ordre médical qui existaient en octobre 1999 vu que Micheline Montreuil était vu par un spécialiste, le Dr. Tremblay, et prenait des hormones dans le cadre d'un processus de changement de sexe et qu'une chirurgie était possiblement envisagée, suivant les termes mêmes de la lettre.

[562] Le Dr. Newnham indique également dans son témoignage qu'elle avait en sa possession la lettre du 9 novembre 1999 adressée par le Dr. Collins au Dr. Boddam. Dans son témoignage, le Dr. Newnham indiquera que la réponse du Dr. Boddam à la lettre du Dr. Collins a été déterminante (pivotal, dira-t-elle) à sa décision de requérir de plus amples informations.

[563] Par ailleurs, le Dr. Newnham mentionne dans son témoignage qu'elle a pris connaissance dans le cadre de sa prise de décision de la lettre du 22 décembre 1999 adressée au Dr. Collins par Micheline Montreuil dans laquelle ce dernier indique qu'il a demandé à son psychiatre de répondre aux deux questions soumises. Le Dr. Newnham indique dans son témoignage que cela a confirmé pour elle qu'il y avait un psychiatre d'impliquer dans son traitement. Elle note également que, dans sa lettre, Micheline Montreuil indique que son traitement hormonal se terminera au plus tard en janvier 2000 alors que le dossier indique que l'hormonothérapie s'est poursuivie jusqu'au 20 février 2001.

[564] Le Dr. Newnham a également indiqué dans son témoignage qu'elle avait considéré la lettre adressée au Dr. Boddam par le Dr. Collins le 5 janvier 2000 et la réponse du Dr. Boddam. Le Dr. Newnham indiquera qu'à la lecture de ces lettres, elle a considéré qu'elle était en présence d'un candidat qui reçoit des hormones et est suivi par un psychiatre et un endocrinologue. En ce qui concerne la note du Dr. Boddam, le Dr. Newnham indique dans son témoignage que l'élément qui a retenu le plus son attention était le fait qu'il soit noté qu'il ne semblait pas y avoir de contre-indications psychiatriques selon le candidat à ce qu'il s'enrôle dans les Forces canadiennes. Le Dr. Newnham soulignera qu'il y avait en fait peu d'information fournie.

[565] Le Dr. Newnham a également précisé qu'elle avait en sa possession la lettre adressée au Major Ménard du bureau du Directeur - Politique de santé (DMEDPOL) par le Dr. Collins et la réponse du Dr. Georgantopoulos qui note que Micheline Montreuil devrait au minimum avoir le profil G3O2 jusqu'à la résolution de la question de son genre et qu'il devrait y avoir une réévaluation de sa condition une fois l'hormonothérapie cessée ainsi qu'une confirmation claire de son médecin que des traitements additionnels relatifs à la question de l'identité du genre n'étaient plus requis. Le Dr. Newnham dira qu'elle en a conclu que des informations additionnelles étaient requises. Pour le Dr. Newnham, les éléments pertinents étaient le diagnostic médical - l'existence ou la non existence d'une condition psychiatrique -, le traitement médical - l'hormonothérapie - et le fait que Micheline Montreuil était suivi par des spécialistes.

[566] Le Dr. Newnham témoignera qu'elle avait également en sa possession lors de sa prise de décision la lettre que le Dr. Collins avait fait parvenir à Micheline Montreuil en date du 9 mars 2000. Elle avait également la réponse de Micheline Montreuil en date du 20 mars 2000. Ce qui retint son attention dans cette lettre, suivant son témoignage, est le fait que Micheline Montreuil mentionne qu'il a un endocrinologue, ce qui justifiait, selon elle, sa demande ultérieure d'obtenir une mise à jour sur la condition de Micheline Montreuil quant à la prise d'hormones vu qu'il dit qu'il a cessé son hormonothérapie.

[567] En ce qui a trait à la lettre du 21 mars 2000 que Micheline Montreuil avait fait parvenir au Dr. Collins, le Dr. Newnham indique dans son témoignage qu'elle était préoccupée par le fait que Micheline Montreuil avait décidé de cesser son hormonothérapie. Elle se demandait si Micheline Montreuil ne pourrait pas avoir dans le futur besoin de la recommencer. Le Dr. Newnham dira dans son témoignage que tous ces éléments l'ont amenée à demander des informations additionnelles afin de mieux comprendre pourquoi Micheline Montreuil avait cessé son hormonothérapie. Pour le Dr. Newnham, un patient peut cesser un traitement mais qu'elle, en tant que médecin, se doit de savoir pourquoi et quelles en sont les implications pour le futur. D'où l'importance d'obtenir des informations de l'endocrinologue de Micheline Montreuil sur les risques de récurrence.

[568] Enfin, le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage qu'elle avait en sa possession la lettre du Dr. Tremblay en date du 15 mars 2000. Pour le Dr. Newnham, la lettre soulève de nombreuses questions, notamment le fait que le Dr. Tremblay affirme que dans le processus de changement de sexe, il est essentiel de maintenir une hormonothérapie. Pour elle, cette affirmation soulève la question de savoir où en est-on dans le processus de changement de sexe.

[569] Bref, à la lumière des informations dont elle disposait au moment de prendre sa décision et qui provenaient de diverses sources, il est apparu au Dr. Newnham que l'attribution d'un profil G5O2 était alors indiquée et que des informations additionnelles étaient requises.

[570] Le 18 décembre 2001, le lieutenant de vaisseau Dieryckx informe Micheline Montreuil que sa candidature comme officier dans le GPM 67U Droit n'a pas été retenue bien que l'étude de son dossier démontre qu'elle est une candidate sérieuse et que, par conséquent, son dossier a été retiré du concours. Il est indiqué dans la lettre que les Forces canadiennes ne pourront lui offrir un emploi correspondant à ses aspirations. Lors de son témoignage, Micheline Montreuil affirme ne pas s'être enquis des raisons du refus. Cela dit, il appert de la preuve que le dossier de Micheline Montreuil n'a alors pas été fermé et qu'il fut considéré, tel qu'il l'avait demandé, pour un poste d'officier de la logistique.

[571] Le 7 janvier 2002, le lieutenant général Couture écrit à Micheline Montreuil en réponse à la lettre de cette dernière du 13 novembre 2001. Dans sa lettre, le Lieutenant général Couture fournit les explications suivantes quant à son dossier :

Une demande d'enrôlement au sein des Forces canadiennes doit, dès le départ et peu importe que ce soit une nouvelle demande ou une demande de ré-enrôlement, rencontrer les normes médicales communes. Ces normes exigent un facteur G2 (géographique) et O2 (occupationnel), ce qui ne représente aucune restriction, selon les normes médicales applicables aux Forces canadiennes. Un médecin attribue le profil médical mais la décision finale quant à l'enrôlement revient au Groupe de recrutement suite à une consultation avec l'autorité en cause.

Le processus d'évaluation médicale à l'enrôlement se veut être une décision médico-administrative claire et simple : pour toute condition médicale déclarée, s'il y a un suivi/ traitement actuel ou s'il y a prévision de suivi/traitement futur basé sur l'évolution naturelle de la condition médicale, les facteurs G et O appropriés sont attribués. D'aucune façon l'attribution médicale n'est associée à l'orientation sexuelle d'un(e) postulant(e). Dans votre cas, le médecin approbateur du groupe du Recrutement était responsable de s'assurer de bien déterminer les besoins de suivi/traitement périodique ou régulier pour toute condition médicale préexistante déclarée à l'enrôlement. Selon votre déclaration médicale, le profil approprié serait un G5 s'il y a un suivi plus fréquent qu'aux six mois avec un spécialiste (endocrinologue) ou G3 si le suivi est moins fréquent qu'aux six mois. La seule façon de se voir attribuer un profil médical G2 est qu'il n'y ait aucun suivi/traitement en cours, ou futur, reliés à votre condition médicale déjà diagnostiquée avant l'enrôlement. L'hormonothérapie est un traitement en cours qui justifie au minimum l'attribution d'un G3.

Si un dossier médical d'un(e) candidat(e) ne rencontre pas les normes minimales, l'autorité de gestion du groupe professionnel visé, le Juge-avocat général, dans votre cas, peut autoriser une exception. Une telle exception doit toutefois être bénéfique aux Forces canadiennes et doit permettre de muter le postulant dans une position où la condition médicale ne posera pas de risque à l'individu ou au service. Le Juge-avocat général a donc consenti à ce que votre dossier soit revu par le comité de sélection des avocats, malgré votre catégorie médicale.

[572] Appelé à commenter la lettre, Micheline Montreuil affirme, dans son témoignage, qu'il n'y avait pas à cette époque de suivi et qu'il ne prenait plus d'hormones.

[573] Par ailleurs, dans sa lettre, le Lieutenant général Couture explique les raisons à la base du rejet de la candidature de Micheline Montreuil comme avocat militaire. Le lettre explique qu'en novembre 2001, un comité de sélection a révisé les demandes de plusieurs avocats qui désiraient s'enrôler dans les Forces canadiennes comme avocats militaires à la lumière des critères suivants : militaire, notes académiques, expérience militaire ou paramilitaire, expérience juridique, rôle déterminant dans les activités communautaires, évaluation générale. Par ailleurs, la lettre indique que le comité a majoritairement noté que les résultats académiques à la faculté de droit n'étaient pas compétitifs et que l'expérience de Micheline Montreuil comme avocate dans les disciplines recherchées par le Cabinet du Juge-avocat général était marginale et qu'en conséquence sa candidature n'a pas été retenue. Enfin, il est précisé dans la lettre que le dossier de Micheline Montreuil a été traité de façon appropriée et sans préjudice à son identification sexuelle mais que malheureusement, sa candidature en tant qu'avocate n'a pas été retenue et que sa catégorie médicale demeure sous le seuil minimal.

[574] Le dossier révèle que Micheline Montreuil ne conteste pas la décision prise par les Forces canadiennes de ne pas retenir sa candidature au poste d'avocat militaire et ne prétend aucunement que la décision fut discriminatoire.

[575] Le 11 janvier 2002, Micheline Montreuil écrit au Major Labonté et lui confirme sa demande verbale à l'effet de considérer sa demande comme officier logistique. Lors de son témoignage, le Capitaine Labonté a indiqué que s'il n'avait pas eu une cote G5, Micheline Montreuil aurait dû se soumettre à un nouvel examen médical ainsi qu'à une nouvelle entrevue. Selon le Major Labonté, un conseiller en carrière militaire aurait rencontré Micheline Montreuil en entrevue. Il aurait été tenu de faire le test de conditionnement physique. Toutefois, vu la décision finale d'accorder à Micheline Montreuil une cote G5O2, le processus a dû être arrêté.

[576] Le 25 février 2002, le major Bédard écrit à Micheline Montreuil. Dans sa lettre, il informe Micheline Montreuil que, selon l'analyse de son dossier, il ne satisfait pas aux normes médicales communes à l'enrôlement et, par conséquent, qu'il n'est pas admissible sur le plan médical pour le groupe professionnel militaire GPM 78 logistique. Il l'informe, par ailleurs, qu'il peut demander une révision de sa situation médicale.

[577] Le 7 mars 2002, Micheline Montreuil écrit au Lieutenant de vaisseau Dieryckx et lui demande d'entamer une procédure de révision de sa situation médicale.

[578] Le 4 avril 2002, le Dr. Wright, qui avait pris la relève du Dr. Newnham comme officier médical au recrutement, achemine le dossier de Micheline Montreuil au Directeur - Politique de santé (DEMEDPOL) pour fin de révision quant aux limitations à l'emploi et à la catégorie médicale. Elle indique dans sa lettre qu'elle a attribué une cote G5(T6), c'est-à-dire temporaire pour 6 mois à Micheline Montreuil dans l'attente de la révision de son dossier. La preuve révèle que cette cote fut accordée à la lumière des nouvelles informations que Micheline Montreuil avait acheminées aux Forces canadiennes.

[579] Le 15 avril 2002, le Dr. Deilgat, dans une note de service, indique que le dossier de Micheline Montreuil a été révisé, qu'aucune nouvelle information qui n'était pas déjà connue n'a été fournie, que les limitations déjà imposées sont maintenues et que la catégorie médicale attribuée à Micheline Montreuil est 52V4CV1G5O2A5. Il indiquera, dans une note de service datée du 25 avril 2002, que l'attribution de la catégorie médicale G5 correspond aux limitations médicales à l'emploi suivantes : requiert un suivi médical régulier de la part d'un spécialiste et le port de verres correcteurs.

[580] Le 23 avril 2002, Micheline Montreuil écrit au Dr. Newnham. Dans sa lettre, Micheline Montreuil fait état du fait que son dossier est sous étude depuis trois ans et qu'il n'existe aucune raison médicale l'empêchant de retourner dans les Forces canadiennes. Micheline Montreuil souligne que, par trois fois, on lui a demandé de fournir des rapports médicaux et que, par trois fois, elle s'est pliée à ces exigences et a fait parvenir aux Forces canadiennes des rapports médicaux par trois des meilleurs spécialistes du Québec. Ces trois médecins ont émis l'opinion qu'elle devait rejoindre les Forces canadiennes en tant que femme.

[581] Micheline Montreuil indique qu'il n'y a pas de raison médicale ou psychologique pour l'empêcher de retourner dans les Forces canadiennes. Elle réitère qu'elle a cessé tout traitement médical depuis un an, qu'elle ne demandera jamais aux Forces canadiennes de payer pour quelque traitement de changement de sexe et que, si un jour, elle décide de compléter le changement de sexe, elle quittera les Forces canadiennes. Micheline Montreuil termine sa lettre en demandant où se trouve le problème en ce qui a trait à sa réintégration dans les Forces canadiennes.

[582] Lors de son témoignage, le Dr. Newnham indiqua qu'elle n'avait personnellement jamais reçu cette lettre étant partie en congé maternité à la mi-mars 2002. Elle ajoutera que si elle avait vu cette lettre, cela n'aurait pas changé sa position. Elle aurait demandé une mise à jour de la condition de Micheline Montreuil.

[583] La preuve révèle que le 25 avril 2002, le Dr. Wright, dans une note de service, indique que Micheline Montreuil s'est vu attribuer les limitations médicales à l'emploi suivantes : requiert un suivi régulier d'un spécialiste, doit porter des verres correcteurs suivant la décision du Directeur - Politique de santé (DMEDPOL) en date du 15 avril 2002.

[584] Le 25 avril 2002, le Dr. Wright écrit à Micheline Montreuil. Dans sa lettre, le Dr. Wright écrit qu'aucune nouvelle information ne fut soumise qui n'était déjà connue des Forces canadiennes, que les limitations demeurent les mêmes et que, malheureusement, elle ne rencontre pas les normes médicales communes à l'enrôlement. Le Dr. Wright précise que les normes communes à l'enrôlement ont pour but de s'assurer que toutes les recrues rencontrent des normes élevées de condition physique et sont aptes à subir un stress physique et mental sévère durant de longues périodes de temps. Elle souligne, par ailleurs, que le personnel militaire travaille dans des conditions climatiques extrêmes et dans divers environnements, incluant des endroits isolés où le support médical est minimal. En outre, elle précise que lors d'un déploiement, il peut s'avérer impossible pour un membre d'avoir accès à des médicaments sur ordonnance, à un suivi médical ou à des tests de laboratoire. En conséquence, les personnes qui requièrent de tels services requièrent qu'une limitation à l'emploi leur soit attribuée. Pour des recrues, de telles limitations ne sont pas acceptables. En terminant, le Dr. Wright invite Micheline Montreuil à communiquer avec son centre de recrutement de Québec pour la décision finale.

[585] Le 15 mai 2002, Micheline Montreuil écrit au Dr. Wright. Dans sa lettre, Micheline Montreuil exprime son désaccord avec l'affirmation qu'il n'a pas fourni de nouvelles informations. Micheline Montreuil affirme qu'il a complètement cessé de prendre des hormones depuis février 2001 et a arrêté tout processus de changement de sexe parce qu'il veut se joindre aux Forces canadiennes. En outre, Micheline Montreuil indique qu'il ne demandera jamais aux Forces canadiennes de payer pour quelque traitement concernant un changement de sexe et que si, un jour, il désire compléter son changement de sexe (if someday, I wish to finish the sex change), il quittera les Forces canadiennes pour éviter que les Forces canadiennes aient à débourser quoique ce soit.

[586] Dans sa lettre, Micheline Montreuil ajoute qu'il a soumis de nouveaux faits que les Forces canadiennes n'ont pas considérés. Il fait référence au fait que trois médecins l'ont rencontré, l'ont examiné, évalué plusieurs fois et que trois séries de rapport ont été soumis. Il souligne que l'on a décliné son offre d'être rencontré par des médecins des Forces canadiennes. Micheline Montreuil conclut sa lettre en affirmant qu'il n'y a pas de raisons médicales, logiques et légales pour lui nier le droit de rejoindre les Forces canadiennes si ce n'est le fait que les Forces canadiennes ne veulent pas avoir en leur sein une personne transgenre. Il demande à ce que le diagnostic soit changé et que toute limitation médicale soit retirée. Il indique finalement qu'advenant le cas où les médecins des Forces canadiennes ne modifieraient pas leur diagnostic, il demanderait à ce que son dossier soit soumis au comité de révision médicale.

[587] Appelé à commenter cette lettre, le Dr. Assalian dira dans son témoignage qu'on parle encore d'arrêt du processus de changement de sexe et de prise d'hormones. Pour le Dr. Assalian, ces propos de Micheline Montreuil ajoutent à la confusion en ce qui a trait aux Forces canadiennes.

[588] Le 31 mai 2002, le Dr. Wright transmet le dossier de Micheline Montreuil au Directeur - Politique de santé (DMEDPOL) pour fin de révision en ce qui a trait aux limitations à l'emploi et à la catégorie médicale. Dans sa lettre, le Dr. Wright indique qu'elle a assigné la catégorie G4(T6), temporaire pour 6 mois, en attendant la révision du dossier. Elle indique que, bien qu'il n'existe pas de nouvelle information médicale, il a néanmoins été requis qu'il y ait une nouvelle révision. Lors de son témoignage, le Dr. Newnham indiquera qu'elle ne sait pas pourquoi la catégorie médicale a été modifiée par le Dr. Wright.

[589] Le 14 juin 2002, le Dr. Ricard de la Direction des politiques médicales (DCOSMEDPOL) écrit à l'officier du recrutement médical. Dans sa lettre, le Dr. Ricard indique que la documentation fournie a été révisée et que la limitation à l'emploi a été modifiée compte tenu du fait que la candidate n'est pas sous traitement médical. La catégorie médicale est modifiée de la façon suivante :

Previous limitations

G5: requires regular specialist follow-up ; to wear prescription lenses as directed

O2: no occupational limitations

Revised limitations

G5: chronic medical condition for which treatment has not been completed; thus the member is at risk of suffering deterioration requiring specialist intervention and treatment

O2: no occupational limitations

[590] Dans sa lettre, le Dr. Ricard indique que la raison pour modifier tout en maintenant les limitations à l'emploi vient du fait que le diagnostic relatif à la condition médicale doit avoir été fermement établi par l'équipe médicale avant que le traitement ne soit entrepris. En conséquence, bien que le candidat puisse décider d'interrompre un traitement, le problème de santé demeure. Pour cette raison, il y a un risque que le candidat ne puisse tolérer de repousser un traitement qui serait clairement indiqué et recommandé. Une telle situation de crise ne pourrait avoir son dénouement, selon le Dr. Ricard, qu'en re-débutant le traitement et l'accès à des spécialistes serait requis, d'où les limitations imposées sous la sous-catégorie G5.

[591] Appelé à préciser de quel type de spécialiste il est question dans ce document, le Dr. Boddam ne put apporter cette précision et se référa au rapport d'examen médical complété le 11 octobre 2001. La preuve révèle que la même question fut posée au Dr. Newnham qui répondit qu'au moment où elle a révisé le dossier, Micheline Montreuil était suivi, selon sa compréhension du dossier, par un psychiatre et un endocrinologue et ce sont de ces spécialistes dont il est question.

[592] Appelée à commenter quelle était la nature de la condition médicale chronique, le Dr. Newnham indique, dans son témoignage, que ce à quoi se réfère le docteur Ricard est, selon elle, la question de la dysphorie du genre. Appelée, par ailleurs, à expliquer le raisonnement à la base de la décision d'attribuer un profil G5 à Micheline Montreuil et, plus spécifiquement, la question du diagnostic, le Dr. Newnham indiquera que ce qu'elle comprend de la lettre du Dr. Ricard, c'est qu'un diagnostic doit avoir été établi étant donné qu'un traitement a été entrepris. En conséquence, un spécialiste, tel un endocrinologue, n'entreprendrait pas un traitement sans qu'il n'y ait de diagnostic d'établi.

[593] Appelé à commenter le contenu de la lettre, le Dr. Assalian indiquera qu'il est en accord avec la position des Forces canadiennes, que ce n'est pas parce qu'on arrête de prendre des hormones qu'on a une garantie que le trouble d'identité sexuelle ne sera pas encore dérangeant pour la personne. Pour le Dr. Assalian, le trouble de l'identité sexuelle n'est résolu qu'en thérapie.

[594] Lors de son témoignage, Micheline Montreuil dira mal s'expliquer comment le Dr. Wright peut lui accorder un G5 le 4 avril 2002 et un G4 le 31 mai 2002 et que le 14 juin 2002, le Dr. Richard lui donne une catégorie G5. Micheline Montreuil dira que tout ceci est loufoque, n'a pas de bon sens, n'est basé sur rien et va à l'encontre de tout, que c'est de l'hérésie, que tout ceci va à l'encontre de toute logique médicale. Pour Micheline Montreuil, ce qui est exigé de lui, c'est qu'il reprenne son traitement, qu'il se soumette à une intervention chirurgicale.

[595] Le 30 juillet 2002, le Dr. Wright écrit à nouveau à Micheline Montreuil. Dans sa lettre, le Dr. Wright indique à Micheline Montreuil qu'elle a révisé son dossier médical et les documents médicaux qu'il contient. Elle indique également que son dossier a été révisé pour une quatrième fois par le Directeur - Politique de santé.

[596] Dans sa lettre, le Dr. Wright informe Micheline Montreuil que le Directeur a modifié la limitation médicale à l'emploi en raison du fait qu'il a cessé son traitement relié au trouble de l'identité du genre. Les limitations révisées indiquent qu'il a une condition chronique qui a été diagnostiquée par un spécialiste pour laquelle il a interrompu le traitement. Le Dr. Wright indique que Micheline Montreuil présente un risque de récidive quant à sa condition et le besoin d'une intervention ou d'un traitement par un spécialiste. En conséquence, indique-t-elle, des limitations médicales reliées à l'emploi ont été réattribuées. Il s'ensuit malheureusement qu'elle ne rencontre pas les normes médicales communes à l'enrôlement. Le Dr. Wright indique que la décision du Directeur - Politique de santé est finale, que les limitations médicales à l'emploi demeureront tant et aussi longtemps qu'il aura cessé ses traitements. Dans l'avenir, le dossier médical ne sera pas réévalué à moins que l'équipe médicale qui le suit fournisse au Directeur - Politique de santé des informations nouvelles fondées sur une évaluation médicale postérieure au 14 juin 2002.

[597] Dans son témoignage, Micheline Montreuil soulignera que le Dr. Tremblay avait indiqué dans un de ses rapports que le risque de récurrence que présentait Micheline Montreuil était non prévisible. En ce qui la concerne, le raisonnement des médecins des Forces canadiennes, en l'espèce, va à l'encontre de la logique et de l'opinion émise par le Dr. Tremblay quant à la prise d'hormones. Pour Micheline Montreuil, il s'agit en l'espèce de discrimination.

[598] La preuve révèle que le 23 septembre 2002, le Capitaine Cyr a eu une conversation téléphonique avec Micheline Montreuil. Dans le compte rendu de cette conversation, le Capitaine Cyr indique qu'il a contacté Micheline Montreuil pour lui faire part de la décision rendue par le Directeur - Politique de santé (DMEDPOL) concernant la révision de la catégorie médicale. Il lui indique que, suite à la lettre qu'il avait reçue du Dr. Wright, il devait fournir au Directeur une autre évaluation médicale. Selon le compte rendu, Micheline Montreuil aurait alors affirmé qu'il n'avait pas l'intention de suivre ces directives et indiqué qu'il allait déposer une plainte à la Commission des droits de la personne.

VII. Les éléments litigieux

[599] Par delà les éléments contextuels décrits, ci-dessus, la présente affaire soulève un certain nombre de questions litigieuses que le Tribunal doit considérer pour disposer judicieusement de la plainte. Ceux-ci ont trait, dans un premier temps, à la crédibilité des témoins et aux notions de transgenre et de transsexuel et leur pertinence par rapport à la condition de Micheline Montreuil, les évaluations faites par les Forces canadiennes du dossier de Micheline Montreuil, les rapports d'expertise produits en l'espèce, la justesse des décisions prises par les Forces canadiennes à la lumière de certains éléments particuliers.

A. La crédibilité des témoins

[600] Comme dans toute instance judiciaire, en matière de droit de la personne, la crédibilité des personnes appelées comme témoin est souvent déterminante quant à l'issue du litige. La crédibilité est d'autant plus importante qu'en matière de droit de la personne, en ce qui a trait au régime de preuve, le plaignant n'est tenu au départ que de présenter une preuve prima facie. Dans la mesure donc où le Tribunal ajoute foi aux allégations de discrimination formulées par le plaignant, il y a renversement du fardeau de la preuve sur l'intimé qui doit alors présenter une explication pour dissiper toute impression de discrimination. Il revient alors au plaignant si une telle explication est présentée de démontrer que l'explication n'est qu'un prétexte pour cacher le comportement discriminatoire allégué.

[601] Dans le cadre de la présente instance, le Tribunal a entendu un nombre important de témoins, tant factuels qu'experts, assignés par Micheline Montreuil, la Commission et, plus particulièrement, l'intimée. Le Tribunal examinera tour à tour la crédibilité des témoins factuels et celle des témoins experts qui furent entendus en la présente instance.

(i) Les témoins factuels

[602] Dans le cadre de la présente instance, le Tribunal a entendu 15 témoins factuels.

a) Micheline Montreuil

[603] Micheline Montreuil a longuement témoigné dans la présente instance sur un ensemble d'éléments. Le Tribunal retient du témoignage de Micheline Montreuil que celui-ci est une personne très intelligente, ayant un quotient intellectuel de 156, fort instruit dans un nombre impressionnant de sujets de la vie courante, très impliqué socialement, qui manie bien le verbe et qui a une très, très haute estime de lui-même.

[604] Cela dit, s'appuyant sur l'ensemble des propos tenus à l'audience par Micheline Montreuil, de même que sur l'ensemble de la preuve documentaire et testimoniale, le Tribunal considère que Micheline Montreuil, à plusieurs égards, est une personne manipulatrice et à l'inflation verbale, qui n'hésitera pas à déformer la réalité pour servir ses propres intérêts, en plus d'être une personne qui dissimulera des faits si cela peut servir ses intérêts.

Micheline Montreuil, une personne manipulatrice

[605] De l'avis du Tribunal, Micheline Montreuil n'hésite pas à utiliser les gens à son profit afin d'atteindre les objectifs qu'il s'est fixés. En la présente instance, il appert très clairement du témoignage du Dr. Coté, par exemple, que celui-ci s'est senti piégé par les demandes de rapports médicaux de Micheline Montreuil. Le malaise éprouvé par le Dr. Côté lorsque la question suivante lui fut posée Pourquoi il avait rédigé ces rapports? était palpable. Micheline Montreuil savait fort bien que le Dr. Côté n'était pas son psychiatre, que celui-ci n'avait été impliqué d'aucune façon dans une quelconque évaluation de sa condition de transgenre et pourtant, par trois fois, il a sollicité du Dr. Côté des rapports médicaux qui ne répondaient pas aux interrogations des médecins des Forces canadiennes. Il n'a pas hésité à mettre le Dr. Côté dans une situation embarrassante en toute connaissance de cause afin de satisfaire ses propres intérêts.

[606] En outre, il apparaît très clairement de la preuve que Micheline Montreuil a tenté d'orienter le Dr. Lehoux, le Dr. Côté et le Dr. Tremblay quant à ce qui devait se trouver dans les rapports qu'il leur demandait d'acheminer aux Forces canadiennes. La lettre qu'il a fait parvenir au Dr. Tremblay le 12 octobre 1999 en est un exemple probant.

[607] Ainsi, plutôt que de demander aux médecins de qui il recevait des soins de donner suite aux demandes de renseignements des Forces canadiennes, à savoir un résumé de dossier, Micheline Montreuil leur a fortement suggéré, en fait il leur a demandé d'attester, qu'il était nécessaire qu'il soit enrôlé dans les Forces canadiennes comme femme.

[608] Si la preuve est circonstancielle en ce qui a trait au Dr. Côté, elle est directe en ce qui concerne le Dr. Lehoux et le Dr. Tremblay. La similarité des propos contenus dans la lettre que Micheline Montreuil adresse au Dr. Tremblay le 12 octobre 1999 et ceux que l'on retrouve dans le rapport du Dr. Tremblay et, plus particulièrement, dans le rapport du Dr. Lehoux laissent peu de doute à cet égard, notamment en ce qui concerne les expressions logique et rationnel, ainsi que la nécessité d'intégrer les Forces canadiennes en tant que femme. L'explication fournie à l'audience par Micheline Montreuil à l'effet que le Dr. Lehoux et lui se connaissaient bien et que le Dr. Lehoux avait pu observer le caractère structuré de Micheline Montreuil ne tient pas la route lorsque l'on compare la similarité des termes de la lettre adressée au Dr. Tremblay.

[609] Cela dit, le Tribunal tient à noter qu'il n'était pas de la compétence du Dr. Lehoux de se prononcer comme médecin omnipraticien sur ces deux questions vu que sa seule implication, au niveau médical auprès de Micheline Montreuil, était l'épilation au laser. Pourquoi l'a-t-elle fait? Sans doute parce qu'on lui en avait fait la demande.

[610] Par ailleurs, en rapport avec la requête en révision judiciaire déposée par Pierre Montreuil en relation avec la décision de l'arbitre ayant entendu le grief déposé après sa démission forcée du Collège Garneau, il appert du témoignage du Dr. Côté que c'est Micheline Montreuil et le Syndicat qui ont défini la problématique médicale. En outre, en ce qui a trait à la véracité des faits contenus dans la requête en révision judiciaire, Micheline Montreuil dira à l'audition qu'une requête en révision judicaire est un document où l'on triture les faits en vue de soutenir une position, où il n'y a pas de place pour les nuances, où tout est affaire de construction juridique savante, où plusieurs éléments doivent être pris avec une grande réserve, sont de l'ordre de l'argumentation et non des faits, où tout est fait pour rencontrer le critère de la décision manifestement déraisonnable.

[611] De l'avis du Tribunal, tous les éléments décrits ci-dessus indiquent que Micheline Montreuil est une personne manipulatrice de la vérité et de l'intégrité des personnes à qui il fait appel pour satisfaire ses intérêts.

Micheline Montreuil, une personne qui exagère la réalité

[612] Le Tribunal est d'avis également que Micheline Montreuil est porté à exagérer la réalité afin d'atteindre les objectifs qu'il s'est fixés et promouvoir ses intérêts. En la présente instance, le Tribunal en prend notamment pour exemple le témoignage de Micheline Montreuil en ce qui a trait à l'affidavit qu'il produisit à la Cour supérieure en rapport avec sa requête en révision judicaire de la décision de l'arbitre ayant entendu son grief.

[613] Dans son témoignage, Micheline Montreuil indique qu'il n'a pas hésité à amplifier certains faits, contenus dans son affidavit, afin de rencontrer le test applicable en matière de révision judiciaire. Le Tribunal est d'opinion que cette façon de faire rend suspect certaines affirmations que Micheline Montreuil a pu faire dans le présent dossier. Le Tribunal prend pour avérer les faits relatés dans l'affidavit circonstancié daté du 21 juin 2000 et produit au dossier de la Cour supérieure. Il ne saurait être question pour le Tribunal, comme le suggère Micheline Montreuil, de n'y voir que des prétentions visant à emporter l'adhésion de la Cour à sa cause et non des faits vrais à savoir une description de la réalité du vécu de Pierre ou Micheline Montreuil.

[614] Par ailleurs, le preuve révèle que Micheline Montreuil n'a pas hésité, en parlant des trois médecins à qui il s'était adressé pour obtenir des rapports médicaux, à dire que ceux-ci étaient trois des meilleurs spécialistes de la région de Québec, sachant pertinemment que le Dr. Lehoux n'était pas une spécialiste en dermatologie et que le Dr. Côté ne l'avait jamais évalué en ce qui concerne sa condition de transgenre. Le Tribunal est d'avis que loin de faire preuve d'honnêteté en la matière, Micheline Montreuil a voulu délibérément embellir la situation en tentant de démontrer aux Forces canadiennes qu'elles ne faisaient pas le poids par rapport aux médecins dont il avait retenu les services pour la production de rapports médicaux qui satisferaient ses intérêts personnels.

Micheline Montreuil, une personne qui déforme la réalité

[615] Le Tribunal a également noté que Micheline Montreuil avait tendance à déformer la réalité ou, du moins, à la réaménager afin de satisfaire ses propres intérêts. Micheline Montreuil aime jouer avec les mots. Ainsi, Micheline Montreuil, tout au long de cette audition, a soutenu qu'il était une personne transgenre et non une personne transsexuelle. Et pourtant, il n'hésite pas dans certaines lettres qu'il fait lui-même parvenir aux Forces canadiennes de se dire transsexuel, tel que dans sa lettre du 21 mars 2001 adressée au Dr. Collins. Micheline Montreuil dira dans son témoignage, pour expliquer l'utilisation de cette locution, que le terme transgenre n'est pas un terme bien connu du public, voire de la profession médicale. Plutôt que d'expliquer ce qu'il est véritablement, il préfère jouer sur deux tableaux en se désignant comme une personne de sexe féminin alors qu'il est biologiquement un homme et qu'il se dit entre les deux sexes.

[616] En outre, Micheline Montreuil affirmera à répétition qu'il n'a jamais voulu changer de sexe alors qu'à plusieurs reprises dans les lettres qu'il fait parvenir aux Forces canadiennes, il fait référence à son hormonothérapie dans un contexte où il aborde la question de changement de sexe. Il appert de la preuve que, pour Micheline Montreuil, dans la mesure où il n'est pas dit qu'il voulait se faire couper le pénis et avoir un vagin, l'auditoire à qui il s'adresse devrait comprendre qu'il n'était pas en processus de changement de sexe et n'est pas un transsexuel alors qu'il se désigne lui-même comme une personne transsexuelle.

[617] Par ailleurs, aussi triste que cela puisse être, Micheline Montreuil n'hésitera pas à mentir ou à tout le moins à taire la vérité ou à la déformer lorsque cela peut servir ses intérêts ou faire avancer sa cause. Ainsi, à titre d'exemple, dans la lettre qu'il fait parvenir au Dr. Wright en date du 15 mai 2002, Micheline Montreuil écrit : Three physicians in Québec City have met me, examined me, tested me many times and sent to you three series of report that I am well fit for duty. La preuve en la présente instance ne tend pas à soutenir une telle affirmation. En effet, la preuve démontre que le Dr. Côté n'a jamais évalué Micheline Montreuil pour sa condition de transgenre, réalité connue de Micheline Montreuil au moment où il a écrit la lettre du 15 mai 2002. La preuve révèle également que le Dr. Lehoux n'était pas un spécialiste et que son rôle se limitait à procurer des traitements d'épilation au laser.

[618] Enfin, une analyse d la documentation soumise par Micheline Montreuil indique que ce dernier joue, parfois, sur deux tableaux à la fois. Ainsi, il est clair de la preuve que Micheline Montreuil voulait avoir des seins tout en évitant la castration chimique. Dans une lettre qu'il fait parvenir au Dr. Collins, le 22 décembre 1999, Micheline Montreuil indique qu'il lui donne sa parole qu'il ne se soumettra à aucune chirurgie de changement de sexe, ni à aucune autre chirurgie, telle une chirurgie d'implants mammaires. Et pourtant, une note au dossier, en date du 4 avril 2000, du Dr. Tremblay indique que Micheline Montreuil anticipe peut-être une plastie mammaire.

[619] Autre exemple. À plusieurs reprises, Micheline Montreuil affirmera dans son témoignage que sa demande de changement de nom, déposée en 1997, ne s'inscrivait pas dans une démarche de changement de sexe mais fut faite afin de résoudre un problème de transport et d'hébergement lorsqu'il voyageait sous les apparences d'une personne de sexe féminin.

[620] Et pourtant, dans son affidavit circonstancié daté du 21 juin 2000, rédigé au soutien de la requête en révision judicaire présentée en rapport avec la décision de l'arbitre Morin, Micheline Montreuil affirme notamment qu'en septembre 1997, il prépare une demande de changement de nom comme condition préalable à son changement de sexe. À ce propos, Micheline Montreuil indiquera dans son témoignage que, lorsque quelqu'un fait une demande de changement de nom, cela suppose qu'il y aura des modifications. Micheline Montreuil ajoutera que, eu égard aux critères du Directeur de l'État civil en matière de changement de nom, il fallait justifier une raison pour adopter un prénom traditionnellement féminin et que la raison à ce moment-là était une demande éventuelle de changement de sexe.

Micheline Montreuil, une personne qui joue sur les mots

[621] Interrogé dans le cadre de son témoignage sur les états dépressifs auxquels il fait référence dans son affidavit circonstancié et dont il aurait été victime en décembre 1997, ainsi qu'en janvier, février et mars 1998, Micheline Montreuil indiquera candidement qu'il lui est impossible d'être dans un état dépressif puisque c'est un état que seul un psychiatre peut qualifier et que ce qui est en cause ici est un état triste. Il niera donc qu'il était dans un état dépressif comme il l'indique dans son affidavit au motif que ce mot est interdit dans le langage, qu'il s'agit de termes réservés aux psychiatres puisque la dépression est une maladie psychiatrique, qu'il est une personne incompétente pour utiliser le mot dépression. Et pourtant, tout au long de l'audition, Micheline Montreuil dira, eu égard à sa propre évaluation de sa condition, qu'il ne souffre d'aucune pathologie psychiatrique.

[622] De cet élément du témoignage de Micheline Montreuil, le Tribunal conclut que Micheline Montreuil n'hésite pas à jouer avec les mots afin de satisfaire ses fins personnelles : il possède un vocabulaire qui lui est propre et les mots ont le sens qu'il veut bien leur donner. Ainsi, il apparaît très clairement de la preuve que Micheline Montreuil lorsqu'il dit qu'il est transsexuel veut dire en fait qu'il est transgenre, lorsqu'il dit qu'il fait quelque chose dans un contexte de changement de sexe, en fait il n'y a pas de changement de sexe d'envisagé mais simplement une augmentation mammaire, que lorsqu'il dit qu'il est dépressif, en fait il veut dire qu'il est triste, terme qui est plus prêt selon lui de la réalité, que lorsqu'il dit qu'il est suivi par trois médecins, en fait il veut dire qu'il est suivi que par le Dr. Lehoux et Tremblay et non par le Dr. Côté, que ces médecins n'ont aucun lien entre eux, que lorsqu'il dit qu'il a demandé à son psychiatre, en fait il veut dire que ce psychiatre n'est pas son psychiatre, qu'il n'a jamais consulté le Dr. Tremblay dans le cadre d'un processus de changement de sexe, comme le soutient le Dr. Tremblay, mais uniquement pour se faire pousser des seins.

Micheline Montreuil, une personne qui dissimule des faits

[623] Par ailleurs, la preuve révèle que Micheline Montreuil n'a jamais dévoilé aux Forces canadiennes qu'il avait été dépressif à la suite de sa démission forcée du Collège Garneau, bien qu'il ait indiqué dans son affidavit qu'il l'avait été. Et l'on sait que Micheline Montreuil est très bon à s'auto-évaluer. Ainsi, lorsqu'il a complété le questionnaire à l'enrôlement, Micheline Montreuil n'a jamais dévoilé cet épisode de sa vie. Il n'a jamais indiqué qu'il avait été dépressif à ce moment. Il n'a jamais dit, comme il le fait dans sa requête en révision judiciaire que le Dr. Côté avait diagnostiqué chez Pierre Montreuil un trouble de l'identité du genre.

[624] Le Tribunal en déduit que Micheline Montreuil n'a pas été totalement franc en répondant au questionnaire. Micheline Montreuil pourrait toujours affirmer qu'il avait exagéré les faits pour les fins de la requête et que ce que contient la requête ou l'affidavit n'est pas conforme à la réalité. Si cela est le cas, on peut s'interroger sur la crédibilité des propos de Micheline Montreuil et jusqu'à quel point on peut s'y fier comme traduisant la réalité des choses.

[625] De cet ensemble d'éléments, le Tribunal conclut que Micheline Montreuil fera tout en son pouvoir pour atteindre ses buts, qu'il n'hésitera pas à utiliser les gens qu'il connaît pour son propre bénéfice sans se soucier de les amener à poser des gestes d'une probité professionnelle douteuse, qu'il n'hésitera pas à déformer la réalité afin de confondre les gens avec qui il transige.

b) Les témoins de Micheline Montreuil

[626] Micheline Montreuil fit entendre trois témoins, soit monsieur Daniel Trudel, un enseignant au Collège de Limoilou qui affirme connaître Micheline Pierre Montreuil depuis 30 ans, madame Hélène Trudel, la conjointe de M. Daniel Trudel, comptable, qui également affirme connaître Micheline Pierre Montreuil depuis 30 ans et monsieur André Gravel, professeur, qui a affirmé connaître Micheline Montreuil depuis plus de 20 ans et qui a partagé, pendant 10 ans, un bureau avec Micheline Montreuil au Collège Garneau.

[627] Pour l'essentiel, les témoins produits par Micheline Montreuil ont témoigné que Micheline Montreuil était une personne de bonnes murs, qui ne buvait presque pas, qui ne fumait pas, qui ne prenait jamais de drogue, qui n'était jamais en colère, qui était toujours calme, serviable, fiable, toujours optimiste, jamais pessimiste, sensée, réfléchie, très humaine, généreuse, intelligente, voire très intelligente, responsable, travaillante, très efficace, rationnelle, bien équilibrée, d'humeur stable, ayant un très bon contrôle de soi, agréable, ayant une forte personnalité, respectueuse de tout le monde, très logique, très disciplinée, très organisée, non suicidaire, polie, dévouée, forte de caractère, ayant un ego fort.

[628] Les témoins produits par Micheline Montreuil ont indiqué, par ailleurs, que cela ne les dérangeait pas qu'elle ou il s'habille en femme et que Micheline Montreuil ne leur avait jamais parlé qu'il désirait avoir une opération de changement de sexe. Madame Trudel, pour sa part, a témoigné qu'elle considérait Micheline Montreuil comme un archange (sic), que selon elle, Micheline est plus confortable en étant à la fois Pierre et Micheline.

[629] En ce qui concerne M. André Gravel, le Tribunal note que celui-ci avait été appelé comme témoin lors de l'audition du grief déposé par Pierre Montreuil contre le Collège Garneau. Dans la requête en révision judiciaire déposée en rapport avec la décision de l'arbitre et rédigée par Pierre Montreuil, ce dernier reproche à l'arbitre d'omettre de mentionner qu'André Gravel avait constaté, à l'égard de la conversation qu'il avait eue avec Pierre Montreuil le 3 décembre 1997 en soirée, l'incohérence et le désespoir qui accablait Pierre Montreuil, qu'il avait également constaté que Pierre Montreuil n'était pas dans un état normal le matin du 4 septembre, qu'il avait de plus constaté que le 5 décembre 1997, Pierre Montreuil n'était pas dans un état normal, qu'il pleurait, était abattu. Les mêmes affirmations se retrouvent pour l'essentiel dans l'affidavit circonstancié signé par Pierre Montreuil, le 21 juin 2000.

[630] Se pourrait-il que ce qui apparaît dans la requête et l'affidavit soit inexact? Se pourrait-il que M. Gravel ait oublié cet épisode important de la vie de Pierre Montreuil? Se pourrait-il que son témoignage dans la présente instance ne soit pas la vérité? Quoi qu'il en soit, le Tribunal note que les trois témoignages des personnes appelées par Micheline Montreuil comme témoins sont à ce point similaires, voire identiques, à ce point angéliques, qu'il y a lieu pour le Tribunal de douter de la sincérité de ces témoins.

[631] Par ailleurs, le comportement de Micheline Montreuil que le Tribunal a pu observer en salle d'audience pendant plus de 90 jours ne supporte pas entièrement les dires des témoins de Micheline Montreuil. Le Tribunal a pu observer chez Micheline Montreuil des sautes d'humeur, des comportements qui n'étaient pas respectueux du processus d'administration de la justice, tels que des épisodes de narcolepsie, des comportements intimidants pour des tiers. Le Tribunal ne doute pas que Micheline Montreuil soit une personne de bonnes murs, mais il doute fortement qu'il soit une personne aussi parfaite que ses témoins semblent le prétendre.

c) Les témoins des Forces canadiennes

[632] En la présente instance, l'intimée a fait témoigner un certain nombre de personnes qui faisaient partie des Forces canadiennes, tels que le Major Labonté, l'adjudant Dumais, le Dr. Collins, le Dr. Newnham, le Colonel Fletcher, le Dr. Boddam, le Dr. Watson. Ceux-ci sont venus expliquer, soit leur implication dans l'évaluation du dossier de Micheline Montreuil, soit divers éléments de la vie militaire. Par ailleurs, l'intimée a fait témoigner deux médecins qui avaient rédigé des rapports médicaux dans le cadre de la demande d'enrôlement de Micheline Montreuil, soit le Dr. Tremblay et le Dr. Côté. Par ailleurs, pour les fins des redressements, trois témoins ont été entendus.

[633] Que ce soit l'adjudant Dumais, le Dr. Collins, le Dr. Newnham, le Dr. Boddam, tous impliqués dans l'évaluation médicale du dossier de Micheline Montreuil, tous ont, de l'avis du Tribunal, témoigné avec aplomb, sans exagération, tentant d'expliquer simplement au Tribunal leurs constatations et leur compréhension du dossier de Micheline Montreuil, tel que constitué à partir des informations fournies par Micheline Montreuil lui-même et les médecins auxquels il a fait appel et des constations faites par les adjoints au médecin qui ont examiné Micheline Montreuil.

[634] En ce qui concerne les autres témoins, soit le Major Labonté, le Colonel Fletcher, le Dr. Watson, le Dr. Dufour, le Tribunal considère qu'ils ont eux aussi témoigné avec sincérité, franchise et simplicité. Les informations en ce qui a trait, soit au processus d'enrôlement dans les Forces canadiennes, au profil médical auquel il faut satisfaire, au principe de l'universalité du service, aux personnes transsexuelles qui font partie des Forces canadiennes ont été des plus utiles au Tribunal pour comprendre certains éléments plus complexes et méconnus de la vie militaire.

[635] En ce qui concerne le témoignage des Dr. Côté et Tremblay, le Tribunal ne doute pas qu'ils ont témoigné avec sincérité. Cela dit, il appert du témoignage du Dr. Côté que celui-ci était très mal à l'aise d'avoir à se présenter devant le Tribunal pour expliquer son rôle dans le dossier d'enrôlement de Micheline Montreuil. Il était très évident pour le Tribunal qu'il avait honte de s'être fait entraîné dans l'évaluation du dossier de Micheline Montreuil. Pour ce qui est du Dr. Tremblay, le Tribunal considère que celui-ci, à certains moments, louvoyait dans ses réponses, notamment en ce qui a trait à la condition de Micheline Montreuil - est-il transgenre ou transsexuel. Cela dit, le Dr. Tremblay a néanmoins apporté un éclairage particulier sur les personnes transsexuelles qui viennent le consulter ainsi que sur la mouvance transgenre qu'il perçoit dans sa pratique.

[636] En ce qui a trait aux témoins entendus en matière de redressement, outre le Major Labonté, le Tribunal a entendu M. Josh Pankhurst. Son témoignage s'est limité à indiquer la provenance des informations utilisées par l'actuaire.

(ii) Les témoins experts

[637] Le Tribunal a entendu quatre témoins experts, soit les Dr. Pierre Assalian et Édouard Beltrami. Le premier fut reconnu comme médecin psychiatre, expert en sexologie et le second comme médecin psychiatre, expert en médecine du travail et en sexologie. Le Tribunal a également entendu comme expert, le Dr. Richard Karmel, psychologue, ainsi que M. Daniel Hébert, actuaire.

a) Le Dr. Pierre Assalian

[638] Le Dr. Assalian a fourni au Tribunal des informations fort pertinentes en ce qui a trait au transsexualisme, à ses différentes formes, ainsi qu'en ce qui a trait au DSM-IV et à l'usage que l'on en fait en psychiatre. Durant l'audience, il est apparu très clairement qu'un antagonisme certain existait entre le Dr. Assalian et son équipe et Micheline Montreuil qui n'a pas hésité à accuser le Dr. Assalian de vouloir le faire passer pour une folle et une sautée.

[639] Ceci dit, le Tribunal est d'avis que ceci n'a pas eu d'impact sur la qualité du témoignage du Dr. Assalian en ce qui a trait à l'information scientifique qu'il a transmise au Tribunal et à son expérience en tant que psychiatre traitant des personnes qui présentent une dysphorie du genre. Le Dr. Assalian est apparu au Tribunal comme un homme et un professionnel de conviction, ayant des idées bien arrêtées sur le phénomène transgenre.

[640] Pour le Dr. Assalian, le transgendérisme peut peut-être être considéré comme un phénomène social avec lequel il a du mal, en tant que médecin, à composer. Il n'en demeure pas moins que pour lui, la personne qui se dit transgenre ou transsexuelle non opérée ou personne en transition demeure une personne qui présente un trouble de l'identité sexuelle ou de l'identité du genre. Le Dr. Assalian n'admet pas, en tant que psychiatre, qu'une personne soit entre les deux sexes et ne croit pas à l'existence d'un troisième sexe, ce qui l'amène parfois à avoir des idées bien arrêtées sur le transgendérisme en tant que phénomène. Le Tribunal a également noté que le Dr. Assalian pouvait avoir tendance à attribuer à des gestes qui relèvent de l'exercice des droits d'une personne, tel que changer son nom ou poursuivre un tiers, une connotation pathologique.

[641] De toute évidence, le Dr. Assalian a clairement exprimé que quoi qu'en dise Micheline Montreuil et même si tous les critères relatifs à l'existence chez lui d'une dysphorie du genre ou un trouble de la personnalité limite ne sont pas satisfaits, pour lui, Micheline Montreuil demeure une personne qui présente une ou plusieurs pathologies psychiatriques, qu'il a besoin de soins de la part de professionnels engagés dans le traitement des personnes qui présentent une dysphorie du genre et que les Forces canadiennes étaient justifiées de rejeter sa demande d'enrôlement. Cela dit, il appartient au Tribunal d'évaluer, à partir de l'ensemble de la preuve et à la lumière des divers témoignages entendus, si l'opinion ou les opinions d'un expert sont fondées ou non.

b) Le Dr. Beltrami

[642] Tout comme le Dr. Assalian, le Dr. Beltrami a fourni au Tribunal des informations fort pertinentes en ce qui concerne sa pratique, le transsexualisme et les troubles de l'identité du genre, ainsi qu'en ce qui a trait au DSM-IV. Le Tribunal a noté que le Dr. Beltrami était moins sévère que le Dr. Assalian en ce qui a trait à l'existence chez Micheline Montreuil d'un trouble de l'identité du genre ou d'un trouble de la personnalité limite. Sans nier la présence chez Micheline Montreuil d'une problématique psychiatrique certaine, les termes utilisés par le Dr. Beltrami pour décrire cette problématique étaient plus nuancés que ceux utilisés par le Dr. Assalian. À la différence du Dr. Assalian, le Dr. Beltrami a manifesté une ouverture au phénomène du trangendérisme et de son existence comme réalité sociale. En outre, le Tribunal a noté que le Dr. Beltrami, dans le cadre de son témoignage, a nuancé certaines des opinions émises dans son rapport à la lumière des informations additionnelles qui lui étaient présentées, élément qui ajoute à la crédibilité de son témoignage et de ses prises de positions.

c) Le Dr. Richard Karmel

[643] Le Tribunal a entendu comme témoin le Dr. Richard Karmel. Celui-ci fut qualifié par le Tribunal comme expert-psychologue, spécialisé dans l'administration et l'interprétation des résultats de tests MMPI comme tests d'évaluation psychologique. Le Tribunal a grandement apprécié la clarté des informations et des explications qui lui furent fournies en ce qui a trait à l'administration et l'interprétation des tests MMPI ainsi que son professionnalisme.

d) M. Daniel Hébert

[644] En ce qui a trait aux redressements réclamés par Micheline Montreuil, l'intimée a fait entendre M. Daniel Hébert, actuaire. M. Hébert a témoigné avec compétence et sincérité. Le Tribunal a grandement apprécié la disponibilité de M. Hébert qui a, à la demande du Tribunal, accepté de créer des tableaux additionnels afin d'actualiser son rapport d'expert.

B. Les notions de transgenre et de transsexuel

[645] Plusieurs éléments sont au cur du présent litige. Le premier et non le moindre porte sur les notions de transgenre et de transsexuel et les réalités qui se cachent derrière ces notions. Sont également au cur du présent litige, les notions de dysphorie du genre et de personnalité limite. Chacun de ces éléments sera tour à tour analysé à la lumière de la preuve.

[646] Pour la bonne compréhension du présent dossier, il importe de clarifier, dans un premier temps, les notions de transgenre et de transsexuel, ainsi que d'apporter des précisions sur ce que certains appellent la mouvance transgenre ou le transgendérisme. Dans un second temps, eu égard à la preuve présentée dans le présent dossier, il importe d'examiner la réalité des personnes transsexuelles et leur prise en charge en terme de suivi médical.

(i) La personne transgenre et la mouvance transgenre

[647] En ce qui a trait à la personne transgenre et à la mouvance transgenre, le Tribunal a pu bénéficier de différents points de vue exprimés par différents témoins. Ont également été mis en preuve certains articles scientifiques auxquels il importe de se référer.

a) Les témoignages

[648] Dans le cadre de la présente audition, plusieurs personnes ont été appelées à exprimer leur point de vue, à la lumière de leur expérience, sur les notions de transgenre et de transsexuel, ainsi que sur la mouvance transgenre et le transgendériseme, notamment Micheline Montreuil, le Dr. Pierre Assalian, le Dr. Edouard Beltrami et le Dr. Rolland Tremblay. En outre, il fut déposé en preuve divers articles scientifiques portant sur ces notions. Il importe de considérer chacun de ces éléments.

1. Le témoignage de Micheline Montreuil

[649] Tout au long de l'audition de la présente instance, Micheline Montreuil n'a cessé d'affirmer qu'il n'est pas une personne transsexuelle mais une personne transgenre. Dans ce contexte, il importe d'examiner le point de vue de celui-ci tant en ce qui concerne sa propre condition, sa compréhension de la réalité transgenre ainsi que de la mouvance transgenre.

[650] Dans la présente instance, Micheline Montreuil a longuement témoigné sur sa condition et celle des personnes transgenres. Bien qu'il n'ait pas été reconnu comme expert en la matière, le Tribunal a néanmoins autorisé Micheline Montreuil à faire état de ses connaissances particulières en ce qui a trait à la mouvance transgenre et à la condition de transgenre et de sa perception et de sa compréhension de notions connexes, telles que le travestisme et le transsexualisme, la preuve révélant que Micheline Montreuil fréquente ces milieux depuis plus de 15 ans.

[651] Micheline Montreuil prétend être la première personne transgenre à faire une demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes. Le site internet de Micheline Montreuil indique qu'il est la première transgenre connue au Québec et que c'est elle qui doit donc ouvrir les portes. Le Tribunal en retient que Micheline Montreuil se veut être le porte-étendard de la cause des personnes transgenres au Québec et que cet élément peut venir colorer les prises de position de celui-ci, considérant son militantisme dans ce domaine.

[652] En ce qui concerne sa demande d'enrôlement, Micheline Montreuil soutient que la seule différence entre sa candidature de 1995 et celle de 1999 tient au fait qu'il portait une robe en 1999, qu'il était devenu transgenre. Rien d'autre n'avait changé selon lui. La preuve révèle, par ailleurs, que bien avant 1999, et bien avant son hormonothérapie qui a débuté en 1998, Pierre Montreuil se travestissait en public. Ainsi, la preuve révèle qu'il a assisté à un congrès de personnes travesties ou transgenres à Chicago en 1996, soit un an après sa demande d'enrôlement de 1995. La preuve révèle qu'au moment où sa demande d'enrôlement de 1995 est sous étude, les comportements de travesti de Pierre Montreuil ne sont pas connus des Forces canadiennes.

[653] En ce qui concerne sa propre condition, Micheline Montreuil s'identifie comme une personne transgenre, à savoir une personne qui, tout simplement, vit entre les deux genres. Micheline Montreuil se décrit ainsi comme une personne mixte, comme une personne qui se situe entre deux visions du monde: la vision de l'homme et la vision de la femme. Il se dit ni homme ni femme mais dit se situer entre les deux et allègue se considérer, suivant ses termes, comme un homme en bas et une femme en haut. Il se voit également comme une personne en transition. Il se réclame du troisième sexe.

[654] Selon Micheline Montreuil, sa condition de transgenre est devenue publique en septembre 1998. Toutefois, selon son témoignage, c'est le 13 mai 1998 qu'il a décidé de rester habillé en femme. La preuve révèle que Micheline Montreuil a commencé à s'appeler Micheline en 1986, mais que sa requête en changement de nom, présentée en octobre 1997, ne fut acceptée qu'en 2002. Entre 1986 et 1998, Micheline Montreuil s'est habillé en femme lors de voyages, de congrès, de fêtes d'Halloween. Il affirme que durant cette période, son côté travesti est demeuré caché. La preuve révèle, par ailleurs, que l'épouse de Micheline Montreuil le considère comme un homme alors que lui, bien qu'il se dise entre les deux sexes, se présente socialement comme une femme.

[655] Dans son témoignage, Micheline Montreuil indiquera qu'en tant que transgenre, il est une personne qui transgresse les normes culturelles en s'habillant de façon permanente comme une personne de l'autre sexe mais qui ne veut pas d'opération. Micheline Montreuil se définit aussi comme un homme qui a une paire de seins et un pénis et qui vit en femme. Micheline Montreuil affirme qu'il aime vivre entre les deux sexes, qu'il s'y sent bien, qu'il n'éprouve aucune honte de ce qu'il ressent.

[656] Bien qu'il affirme qu'en tant que transgenre, il n'est ni homme ni femme mais entre les deux, il n'en demeure pas moins que, dans les faits, Micheline Montreuil s'identifie socialement au sexe féminin et biologiquement au sexe masculin. De son côté masculin, il ne conserve que son appareil génital, son pénis. Il se fait appeler Madame bien qu'il soit de sexe masculin. Cela dit, Micheline Montreuil reconnaît néanmoins qu'au plan de son statut civil, il est un homme. Ainsi, lors de son témoignage, il admettra que sa carte d'assurance-maladie émise par le gouvernement indique qu'il est de sexe masculin. En revanche, la preuve révèle que sa carte d'hôpital indique qu'il est une personne de sexe féminin.

[657] Bien qu'il se dise entre les deux sexes, Micheline Montreuil prend néanmoins une identité féminine, travaille habillé en femme, sort habillé en femme, voyage habillé en femme et s'intègre le plus possible dans le monde des femmes. Il dira qu'il se qualifie comme une femme mais qui vit entre les deux sexes et d'ajouter: où est le problème. Il précise que la raison pour laquelle il porte des vêtements féminins tient au fait qu'il ne trouve pas les cols de chemise et les cravates très confortables. Il se dit être aussi bien en homme qu'en femme et que vivre habillé en femme est un choix personnel.

[658] Par ailleurs, Micheline Montreuil nie catégoriquement être une personne transsexuelle et se travestir pour le plaisir. Il dit se voir comme un homme qui a une paire de seins et qui ne veut pas aller plus loin. Il dira à plusieurs reprises durant son témoignage qu'il n'a pas envie de se faire couper le pénis.

[659] Pour Micheline Montreuil, son cheminement n'est pas le cheminement d'une transsexuelle mais bien d'une travestie. Il dira, à cet égard, que lorsque vous restez femme en permanence, 24 heures sur 24, vous glisser alors de travesti à transgenre, purement et simplement.

[660] Dans son témoignage, Micheline Montreuil indique que, sur son site internet, il se désigne comme une transsexuelle non opérée au sens populaire du terme, précisant que son site est destiné à l'éducation populaire. Micheline Montreuil expliquera qu'il utilise les deux termes côte à côte parce que plusieurs personnes ont de la difficulté à comprendre le sens du mot transgenre. Cela dit, Micheline Montreuil insistera sur le fait qu'il existe une différence fondamentale entre les deux termes.

[661] Par ailleurs, dans son témoignage, Micheline Montreuil dira qu'il a mal à comprendre que l'on ne comprenne pas que la réalité, réduite à sa plus simple expression, est qu'il voulait, et il a pris les moyens pour y arriver, avoir une paire de seins pour aller avec son identité, dira-t-il, sans démolir son système hormonal masculin et sans vouloir d'opération de changement de sexe.

[662] Pour Micheline Montreuil, une personne transgenre est une personne entre les deux sexes, une personne qui a des attributs qui peuvent relever, dans certains cas, de la drag queen, de la travestie et de la transsexuelle sans en être totalement une. Pour lui, une personne transgenre, c'est un homme qui a décidé de vivre 24 heures sur 24 en femme, c'est un travesti permanent. Micheline Montreuil indiquera dans son témoignage que pour lui, une transgenre est aussi une transsexuelle non opérée.

[663] Selon Micheline Montreuil, le terme transgenre a été créé par Virginia Prince pour décrire une réalité que la nomenclature traditionnelle ne réussissait pas à cerner, soit celle de personnes qui considéraient qu'il fallait aller au-delà de la répartition des sexes entre hommes et femmes, que le terme transsexuel était inadéquat pour décrire cette nouvelle réalité. Selon Micheline Montreuil, la majorité des transgenres rejettent l'idée que leur condition devrait se retrouver dans le DSM-IV. Pour ces personnes, être transgenre est simplement une variation du comportement humain.

[664] De manière générale, Micheline Montreuil conteste le fait que la personne transgenre présente un désordre mental, qu'elle soit considérée comme atteinte d'une maladie mentale. Pour Micheline Montreuil, le fait d'être transgenre est une réalité sociale et non une maladie mentale. En outre, Micheline Montreuil est d'avis que la personne transgenre ne possède aucune des caractéristiques des travestis, des travestis fétichistes, des drag-queens ou des transsexuelles, à savoir des personnes qui se dirigent vers une opération de changement de sexe.

[665] Selon Micheline Montreuil, le terme transgenre reçoit plusieurs interprétations quant à la réalité qu'il tente de cerner. Pour certains, un transgenre est une personne, de l'un ou l'autre sexe, qui vit sous les apparences du sexe opposé en adoptant certaines de ses caractéristiques spécifiques; pour d'autres, la personne transgenre est celle qui chevauche les deux sexes; pour d'autres enfin, c'est la personne qui vit entre les deux sexes, n'a aucun sexe et constitue un troisième sexe.

[666] Dans son témoignage, Micheline Montreuil insistera sur le fait que la problématique d'une personne transgenre est différente de celle d'une personne transsexuelle et que l'on ne saurait assimiler une personne transgenre à une personne transsexuelle. Selon lui, à la différence des personnes transgenres, les personnes transsexuelles sont des personnes qui haïssent leur corps, qui haïssent leur pénis, qui sont incapables, s'ils sont hommes, de vivre leur situation d'homme. À cet égard, Micheline Montreuil soulignera à moult reprises dans son témoignage qu'il n'a jamais voulu se faire couper le pénis ou essayer de le faire. Par ailleurs, à la différence d'une personne transsexuelle, la personne transgenre a le désir de vivre en femme et de s'habiller en femme comme en fait foi la photo d'un groupe de personnes transgenres prise à l'occasion d'un congrès à Chicago en 1996.

[667] Par ailleurs, Micheline Montreuil a témoigné, en se référant à la photo d'un groupe de personnes transgenres prise à l'occasion d'un congrès à Chicago en 1996 et déposée en preuve, que l'une des caractéristiques des personnes transgenres est de vouloir s'habiller en femme, de se comporter en femme. Appelée à préciser s'il y avait d'autres caractéristiques que l'habillement et certains comportements propres aux personnes transgenres, Micheline Montreuil a témoigné qu'il n'y en avait pas réellement. Cela dit, Micheline Montreuil a, par ailleurs, reconnu que la chirurgie peut être présente comme caractéristique chez certaines personnes transgenres.

[668] Dans son témoignage, Micheline Montreuil indique, par ailleurs, qu'une personne transsexuelle ressent un profond besoin d'un changement de sexe, ressentant qu'il n'a pas le corps qui correspond à son esprit. Selon Micheline Montreuil, cette personne ressent cela dès le bas âge ainsi que tout au long de son adolescence, a des comportements parfois incohérents avec son sexe, une personne qui se retrouve, selon lui, vers l'âge de 18 ans dans des services de psychologie ou de psychiatrie avec une demande de changement de sexe. Pour lui, la personne transsexuelle a un désir irrésistible de changer de sexe et va prendre tous les moyens pour changer de sexe.

[669] En ce qui concerne la personne transgenre, Micheline Montreuil dira qu'il n'y a pas, chez cette personne, de désir de changer de sexe et qu'être transgenre se manifeste plus tard dans la vie, dans la vingtaine selon lui. Pour Micheline Montreuil, une personne décide de devenir transgenre par choix et non en raison d'une poussée irrésistible. Micheline Montreuil indique que la caractéristique pour différencier la personne transgenre de la personne transsexuelle et de la personne travestie, est double. Premièrement, les transgenres ne veulent pas de changement de sexe et n'ont jamais senti de besoin irrésistible de changement de sexe et fait un parallèle avec un travesti permanent qui est content dans sa peau. Deuxièmement, les personnes transgenres n'ont pas besoin, selon lui, de vêtements féminins pour avoir une excitation sexuelle. Ce sont des personnes qui désirent tout simplement vivre habillées différemment, qui désirent porter des bijoux, du maquillage, sans plus.

[670] Pour Micheline Montreuil, à la différence des personnes transsexuelles, les personnes transgenres ne se sentent pas dans le mauvais corps mais auraient plutôt tendance à modifier leur corps légèrement dans certains cas pour le rendre plus plaisant à leur goût, tel que prendre des hormones pour avoir des seins. Pour Micheline Montreuil, le simple fait pour un homme de prendre des hormones pour avoir une poitrine féminine ne devrait pas être considérée comme une preuve irréfutable de trouble de l'identité sexuelle.

[671] Micheline Montreuil soutient, par ailleurs, que les personnes transgenres sont des personnes heureuses, qui sont contentes de faire et d'être ce qu'elles sont. Au soutien de cette affirmation, Micheline Montreuil s'est encore référé à la photo de personnes qu'il dit transgenres, réunies en congrès à Chicago en 1996. Sur la photo, Micheline Montreuil y apparaît habillée en femme en compagnie d'un certain nombre de personnes de sexe masculin également habillées en femme. Pour Micheline Montreuil, cela démontre clairement que le fait pour un homme de s'habiller en femme - d'être transgenre - est un phénomène social courant.

[672] En rapport avec cette photo, Micheline Montreuil indiquera, dans son témoignage, que c'est dès le moment où les Forces canadiennes ont su qu'il portait une robe qu'il fut diagnostiqué comme ayant un trouble de l'identité du genre, qu'il est devenu, comme il le mentionne dans son témoignage, un paria, une folle, une sautée, une personne souffrant de dysphorie du genre, ayant besoin d'un vagin à tout prix, de traitements.

[673] Micheline Montreuil souligne que, en autant qu'un document tel que la photo n'est pas connu des Forces canadiennes, Micheline Montreuil n'est pas perçu comme une personne présentant un trouble de l'identité du genre. Micheline Montreuil ajoute, à cet égard, dans son témoignage, que lorsqu'en tant que Pierre Montreuil, il fut admis dans les Forces canadiennes en 1997 dans le régiment des Voltigeurs, il s'est vu attribuer la cote G2O2 parce que, suivant ses dires, les Forces canadiennes n'avaient pas vu la photo mais, ajoute-t-il, lorsque les Forces canadiennes prirent connaissance qu'il s'habillait en femme, la situation a changé. Micheline Montreuil est alors diagnostiqué alors comme une personne ayant un trouble de l'identité sexuelle. En revanche, en 1999, lorsqu'il se présente comme Micheline Montreuil, il se voit attribuer la cote G5O2.

[674] Enfin, pour Micheline Montreuil, il n'appartient pas à la profession médicale de déterminer si le fait d'être transgenre, voire transsexuel, est une maladie mentale ou non dans la mesure où leur comportement est humain. Micheline Montreuil s'érige contre la pathologisation, psychiatrisation ou médicalisation de la trans-identité. Pour Micheline Montreuil, le débat entourant le statut de transgenre (incluant LGBT) est davantage politique et social que médical. A cet égard, il se réfère, dans son témoignage, à la Déclaration de Montréal de 2006.

[675] Pour Micheline Montreuil, la mouvance TTT (travesti, transgenre, transsexuel) est une réalité sociale ou sociologique et non une réalité ou encore une pathologie médicale. Pour lui, la mouvance transgenre est une réalité que l'on ne peut saisir en tant que telle, mais qui se décrit par un ensemble d'éléments et de gens variés. Pour Micheline Montreuil, il est difficile de trouver des caractéristiques communes à tous les transgenres. Aux dires de Micheline Montreuil, les personnes transgenres ne se reconnaissent pas de rôle prédéterminé mais se donnent le rôle qu'elles veulent bien avoir.

[676] Selon Micheline Montreuil, dans la grande mouvance trans, il y a à peu près tous les comportements possibles et impossibles, en fait tout ce qui est entre un homme normal et une femme normale, ce qui inclut les travestis, les drag queens, les butchs, les two spirited, les travestis, les transgenres, les transsexuels, les she-males.

2. Le témoignage du Dr. Assalian

[677] Le Dr. Assalian reconnaîtra dans son témoignage qu'il n'a jamais traité, comme tel, de personnes transgenres, tel que Micheline Montreuil, ni écrit d'articles scientifiques sur les personnes transgenres. À cet égard, la preuve révèle que les personnes, comme Micheline Montreuil, qui se disent du troisième sexe ne vont pas consulter à la clinique du Dr. Assalian. Il n'est donc pas surprenant que le Dr. Assalian n'en ait pas rencontré dans sa pratique et n'ait pas eu à en traiter, sa pratique médicale portant surtout sur des personnes transsexuelles qui viennent le consulter parce qu'elles sont souffrantes.

[678] Le Dr. Assalian admet dans son témoignage que le terme transgenre s'applique généralement aux individus dont l'apparence et le comportement ne sont pas conformes aux rôles sociaux prescrits par la société pour leur sexe, aux individus qui transgressent à divers degrés les normes culturelles eu égard à ce qu'un homme ou une femme devrait être, que ces transgressions peuvent comprendre le fait de s'habiller occasionnellement ou de façon permanente comme les personnes appartenant à l'autre sexe.

[679] Le Dr. Assalian constate également que les personnes transgenres disent qu'elles n'ont pas de problèmes psychologiques ou psychiatriques, qu'elles ne sont pas transsexuelles, qu'elles ne sont pas nécessairement homme ou femme, qu'elles sont en fait les deux en même temps, qu'elles ont une identité différente de l'homme ou de la femme et qu'elles ne sont pas des personnes malades.

[680] Cela dit, le Dr. Assalian indique dans son témoignage que, pour les cliniciens, les personnes transgenres sont des personnes qui présentent un trouble de l'identité du genre, une dysphorie du genre tout comme les transsexuels et les travestis. En tant que clinicien, il se refuse à voir le phénomène transgenre comme une simple réalité sociologique.

[681] Pour le Dr. Assalian, en tant que clinicien, une personne qui dit qu'elle va vivre dans un troisième genre ou sexe, qui va vivre in between est symptomatique de l'existence d'un trouble de l'identité du genre ou de l'identité sexuelle. En outre, pour le Dr. Assalian, une personne qui prend des hormones uniquement pour avoir une paire de seins est confuse par rapport à son genre. Selon le Dr. Assalian, il n'y a que deux sexes, soit le sexe masculin et le sexe féminin.

[682] Pour le Dr. Assalian, les personnes qui se présentent comme transgenres veulent normaliser un problème qui est fondamentalement un désordre. Le Dr. Assalian se dira d'accord avec la proposition que le terme dysphorie du genre réfère aux individus qui présentent un inconfort par rapport à leur genre et qui désirent une chirurgie de changement de sexe. Le Dr. Assalian affirmera dans son témoignage que Micheline Montreuil souffre d'un trouble de l'identité du genre parce qu'il est confus entre être un homme et une femme, parce qu'il est habillé en femme parce que les robes sont plus confortables et parce qu'il vit en homme avec une femme. Pour le Dr. Assalian, tout ceci dénote une confusion sur son rôle ou son genre, ce que conteste vigoureusement Micheline Montreuil.

[683] Le Dr. Assalian dira dans son témoignage, par ailleurs, que le fait pour Micheline Montreuil d'avoir un nom féminin, de s'habiller en femme et avoir des relations sexuelles comme homme ne correspond pas à sa conception de la personne transgenre. Le Dr. Assalian note également dans son témoignage, ce qui est admis par Micheline Montreuil, que la conjointe de Micheline Montreuil se réfère à ce dernier comme son beau et grand viking, donc comme une personne de sexe masculin.

[684] Le Dr. Assalian dit, dans son témoignage, être familier avec la mouvance TTT (travesti, transgenre, transsexuel). Pour le Dr. Assalian, la mouvance TTT ou le transgendérisme est un phénomène de nature sociale qui trouve son origine chez Virginia Prince, reconnue pour être la première personne à s'être dite transgenre, se voyant entre homme et femme, comme représentant le troisième sexe, ainsi que pour être la première personne à avoir utilisé le terme transgendérisme.

[685] Pour le Dr. Assalian, parler de transgendérisme, c'est la même chose que de parler de trouble de l'identité du genre. Toutefois, pour le Dr. Assalian, bien que cela puisse être considéré comme un phénomène social, à la base, il y a un malaise chez la personne qui se dit transgenre. Cela dit, pour le Dr. Assalian, le terme transgendérisme ne fait pas référence à quelqu'un qui vit entre homme et femme, mais identifie clairement une femme non opéré.

[686] Selon le Dr. Assalian, Virginia Prince se considérait comme femme non opéré qui avait des seins grâce à la prise d'hormones et qui ne voulait pas aller jusqu'à la chirurgie et que c'est dans ce contexte qu'elle s'était donnée le nom de transgenre. Dans son témoignage, le Dr. Assalian notera que Virginia Prince, qui se dit transgendériste, était à la naissance de sexe masculin, qui a choisi à un moment donné de franchir complètement la ligne de démarcation et de vivre comme une femme par la suite.

[687] Pour Virginia Prince, le terme transgenre renvoie à une personne qui est de sexe masculin et qui veut vivre en femme. Pour Micheline Montreuil, le terme transgenre a une connotation beaucoup plus large. La notion renvoie à la personne qui se dit homme et femme à la fois. Selon le Dr. Assalian, Virgina Prince est d'avis que la société doit accepter ces personnes comme elles sont et que ce n'est pas nécessairement une maladie.

[688] Selon le Dr. Assalian, il y a un parallèle intéressant à faire entre Micheline Montreuil et Virginia Prince. Le Dr. Assalian va jusqu'à dire que Micheline Montreuil est peut-être la Virginia Prince québécoise. Toutefois, selon le Dr. Assalian, la différence entre Micheline Montreuil et Virginia Prince réside dans le fait que Virginia Prince accepte qu'il est une personne biologiquement de sexe masculin mais qui vit comme une femme alors que Micheline Montreuil qui est biologiquement un homme, a pris des hormones, utilise un prénom féminin, s'habille en femme mais a une vie sexuelle active comme homme avec une femme.

3. Le témoignage du Dr. Beltrami

[689] Dans le cadre de son témoignage, le Dr. Beltrami fut appelé à commenter la perception que Micheline Montreuil a de lui-même, la notion de transgenre, ainsi que sa perception de la mouvance transgenre.

[690] Le Dr. Beltrami s'est dit surpris d'entendre Micheline Montreuil dire qu'une personne transgenre est comme un travesti à plein temps. Le Dr. Beltrami dira qu'il a perçu chez Micheline Montreuil une personne qui veut faire avancer l'acceptation sociale de la réalité transgenre. En outre, le Dr. Beltrami considère que Micheline Montreuil revendique le droit de s'habiller de la manière dont il veut et qu'il appartient à la société à changer ses normes, comme ses normes ont changé pour l'homosexualité. Dans son rapport, le Dr. Beltrami conclura que le problème que présente Micheline Montreuil est plus un problème social qu'autre chose.

[691] Par ailleurs, le Dr. Beltrami a reconnu dans son témoignage que le cheminement de Micheline Montreuil a été complexe et peut se résumer ainsi : au départ, Micheline Montreuil recherchait, selon le Dr. Beltrami, une transformation complète, puis a cheminé vers une hormonothérapie pour avoir des seins, pour enfin évoluer vers une problématique d'habillement en tant que femme. Il contredit, en partie, Micheline Montreuil qui, suivant ses dires, vise tout simplement à pouvoir s'habiller en femme alors qu'il est un homme. Le Dr. Beltrami ajoutera, dans son témoignage, que c'est assez inhabituel d'être confronté à une personne de sexe masculin qui veut garder ses attributs masculins, sa sexualité masculine mais veut vivre en femme, veut rester en fait entre les deux.

[692] Appelé à préciser ce que rester entre les deux signifiait pour lui, le Dr. Beltrami a indiqué que cela signifiait garder des attributs masculins, les érections, la pénétration, les éjaculations, avoir une orientation sexuelle orientée vers une femme qui n'est pas homosexuelle. Pour le Dr. Beltrami, il s'agit là d'une situation nouvelle et spéciale.

[693] Selon le Dr. Beltrami, la motivation pour Micheline Montreuil de vivre en femme réside dans le fait que les vêtements de femme sont beaucoup moins encombrants et plus agréables à porter. A cet égard, le Dr. Beltrami dira qu'il a du mal à penser que la problématique de Micheline Montreuil se résume au fait d'être mieux dans des vêtements féminins.

[694] Pour le Dr. Beltrami, la personne transgenre est la personne de sexe masculin qui a une apparence féminine tout en conservant ses organes génitaux masculins. Pour ce dernier, il ne fait pas de doute que Micheline Montreuil est un homme biologique. Pour Micheline Montreuil, le transgenre est un travesti permanent, selon les dires du Dr. Beltrami.

[695] Appelé à distinguer la personne transsexuelle de la personne transgenre, le Dr. Beltrami dira que la personne transgenre est un phénomène nouveau caractérisé par le fait que certaines personnes ne veulent pas voir de médecins, ne souhaitent pas d'hormones et arrivent à s'ajuster à la société qui les entoure. Toutefois, selon le Dr. Beltrami, si ces personnes ont besoin d'hormones, elles auront besoin d'un endocrinologue et de soins médicaux et psychologiques. Cela dit, le Dr. Beltrami dit ne pas vouloir se prononcer sur le phénomène autrement que pour dire que le phénomène transgenre peut être classifié au sein du DSM-IV parmi les dysphories de genre qui ne sont pas spécifiées.

[696] Dans son témoignage, le Dr. Beltrami reconnaît que Micheline Montreuil n'a pas le profil classique de la personne transsexuelle qui généralement méprise son pénis et la fonction paternelle provoquée par le pénis. Le Dr. Beltrami reconnaîtra cependant qu'il semble y avoir eu un changement de cap dans la trajectoire de Micheline Montreuil, soit de transsexuelle à transgenre, situation qu'il qualifie de peu habituelle.

[697] Le Dr. Beltrami indique, par ailleurs, dan son témoignage, que Micheline Montreuil lui a dit que s'il avait été possible d'être femme à 100% et d'avoir des enfants en tant que femme, l'opération vaudrait sans doute la peine. Selon le Dr. Beltrami, Micheline Montreuil se considère, en dernière analyse, comme dans un groupe intermédiaire qui est ni homme typique, ni femme trop féminine et qui considère qu'il est plus confortable d'être habillé en femme qu'en homme.

b) La littérature scientifique

[698] Le Tribunal a consulté un certain nombre d'auteurs en rapport avec la formation de l'identité sexuelle d'une personne et ses liens avec les notions de transgenre et de transsexuel.

[699] Selon les auteurs Crooks et Baur (Psychologie de la sexualité, 2003), la formation de l'identité sexuelle est un processus très complexe influencé par un grand nombre de facteurs et que rien ne garantit l'adéquation entre le sexe biologique et l'identité sexuelle. Selon ces auteurs, plusieurs personnes se situent dans un éventail d'identités sexuelles qui s'éloignent plus ou moins de la norme.

[700] Pour Crooks et Baur, un transsexuel est une personne dont l'identité sexuelle est à l'opposé de son sexe biologique. Ces personnes se sentent piégées dans un corps du mauvais sexe, un état psychologique connu sous le nom de dysphorie de genre. Ainsi, un transsexuel qui est un homme sur le plan anatomique a le sentiment d'être une femme sur le plan psychologique et affectif, femme que le mauvais sort aurait pourvu d'organes génitaux masculins. Cette personne, selon les auteurs, désire être reconnue comme une femme en société. Cependant, toutes les personnes souffrant de dysphorie du genre ne désirent pas nécessairement changer de sexe. Certaines veulent jouir de leur corps aussi bien que de l'identité sexuelle ou des rôles de l'autre sexe. Si de nombreux individus souffrant de dysphorie de genre souhaitent l'identification de ces aspects, comme c'est le cas de la plupart des transsexuels, d'autres s'accommodent d'une ou deux caractéristiques associées à l'autre sexe.

[701] Les auteurs Crooks et Baur indiquent, par ailleurs, dans leur ouvrage que le terme transgenre s'applique généralement aux individus dont l'apparence et le comportement ne sont pas conformes aux rôles sociaux prescrits par la société pour leur sexe, des individus qui transgressent à divers degrés les normes culturelles eu égard à ce qu'un homme ou une femme devrait être. Ces transgressions, selon les auteurs, peuvent comprendre le fait de s'habiller, occasionnellement ou de façon permanente comme les personnes appartenant à l'autre sexe. Pour Crooks et Bauer, beaucoup de personnes transgenres qui s'habillent comme les personnes de l'autre sexe le font pour obtenir une gratification d'ordre psychosocial.

[702] Selon Crooks et Baur, la différence fondamentale entre un transsexuel et un transgenre est que ce dernier ne cherche pas à harmoniser tous les aspects de sa personne. Selon eux, les transsexuels subissent parfois des interventions chirurgicales majeures pour que leur corps s'accorde avec leur identité sexuelle. La plupart des transgenres quant à eux ne veulent pas modifier leur corps mais s'habillent, occasionnellement ou fréquemment, comme les personnes appartenant à l'autre sexe et prennent leurs manières.

[703] Selon Milton Diamond (Sex and Gender are Different : Sexual Identity and Gender Identity Are Different, www.hawaii.edu ), le terme transgenre, conçu par Virginia Prince, est un terme dont le sens a varié au cours des ans. Pour Virginia Prince, le terme transgenre fait référence à des individus qui comme lui, n'ont aucune difficulté à accepter qu'ils étaient des hommes mais qui voulaient comme lui vivre en tant que femmes, ou du moins en partie ou à temps partiel. Pour Virginia Prince, le terme transgenre exclut les personnes transsexuelles. Pour Milton Diamond, les personnes transgenres ne veulent pas nécessairement changer de sexe mais veulent changer certains aspects de leur genre natal. Les personnes transgenres, par ailleurs, dans leur vie, mélangent des caractéristiques considérées à la fois masculines et féminines. Milton Diamond indique, par ailleurs, dans son article que, récemment, le terme transgenre inclut à la fois les personnes travesties, les personnes transsexuelles, les drag queens. Selon l'auteur, les personnes transgenres expriment des aspects de leur personne qu'ils ne peuvent exprimer autrement.

[704] Pour leur part, les auteurs Paisley Currah, Richard M. Juang et Shannon Price Minter (Transgender Rights, Introduction, 2006, xiii-xxiv) définissent la personne transgenre comme celle dont l'identité du genre ou l'expression de leur genre ne se conforme pas aux attentes sociales par rapport à leur sexe natal. Selon eux, le transgendérisme est une catégorie sociale qui est complexe et en pleine expansion. Pour ces auteurs, les personnes transgenres s'insèrent difficilement dans un système binaire - homme/femme - ; elles ne peuvent être facilement considérées comme homme ou femme. Cette opinion est également partagée par Julie A. Greenberg (Transgender Rights, 3. The Roads Less Travelled : The Problem with Binary Sex Categories, pp. 51-68).

[705] Dans un article intitulé Changing Models of Transsexualism, paru dans l'ouvrage Transgender Subjectivities : A Clinician's Guide (2004), l'auteur Dallas Denny observe que, dans les années 1990, tant les chercheurs que les cliniciens sont devenus davantage conscients du fait que la chirurgie de réassignation sexuelle n'était pas uniformément désirée ou recherchée par les personnes qui s'habillaient ou se comportaient comme des personnes du genre opposé. Il s'en est suivi un nouveau modèle d'analyse qui fait contrepoids au modèle transsexuel classique qui voit la personne transsexuelle comme une personne emprisonnée dans le mauvais corps, éprouvant une souffrance psychologique qui ne peut être éliminée que par une chirurgie de réassignation sexuelle.

[706] Suivant le nouveau modèle dit transgenre, le genre est vu davantage comme un continuum par opposition à la dichotomie homme - femme. Selon cet auteur, au milieu des années 1990, le terme transgenre était largement utilisé pour décrire non seulement les personnes dont l'identité, le comportement ou l'habillement s'écartait des normes traditionnellement associées à un genre - tels que les transsexuels, les transgenres, les travestis, les drag queens - , mais également celles qui contestent les normes d'habillement ou les normes reliées à un emploi.

[707] Selon le modèle transgenre, le transsexualisme et autres formes de variation quant au genre sont perçus non comme des troubles psychiatriques ou associés à la maladie mentale mais comme des formes naturelles de variation humaine. En outre, selon le modèle transgenre, s'il y a une pathologie, celle-ci devrait être davantage attribuée à la société qu'à l'individu perçu comme déviant de la norme. Selon l'auteur, les personnes perçues comme déviantes de la norme, surtout celles qui le sont de façon très visible, sont à risque d'être plus sujettes à la discrimination, à l'hostilité des autres ainsi qu'à la violence de la part d'une société intolérante.

[708] L'auteur Dallas Denny est d'avis que le nouveau modèle transgenre a altéré de façon significative les interactions entre les personnes transgenres et les professionnels de la santé. Selon l'auteur, il existe un monde de différence quand le thérapeute croit que le patient est mentalement dérangé et en crise et quand tant le thérapeute que le patient croient que le patient est en santé et envisage prendre une décision qui va changer le cours de sa vie et va lui permettre de devenir ce qu'il veut être. En outre, pour l'auteur Dallas Denny, il y a une différence considérable entre le sentiment partagé que le but de la thérapie est de déterminer si le patient est un candidat pour une chirurgie de réassignation sexuelle versus aider le patient à donner sens à sa vie par rapport aux sentiments qu'il éprouve à propos de son identité sexuelle.

[709] Anne Bolin, pour sa part, souligne que le terme transgendériste peut inclure des personnes transsexuelles qui ne veulent pas une chirurgie ou sont en phase pré-chirurgicale qui veulent vivre de façon permanente comme une femme. Selon elle, la plus part des personnes qui se considèrent transgendéristes ne veulent pas une chirurgie de réassignation sexuelle. Cet auteur ajoute que ces personnes se décrivent comme des personnes qui veulent changer de rôle sexuel sans aller vers la chirurgie de réassignation sexuelle. Elles sont souvent perçues comme vivant avec les caractéristiques des deux sexes. Elles peuvent également modifier leur anatomie par des hormones ou la chirurgie tout en gardant plusieurs des caractéristiques de leur sexe natal (Bolin, Anne, Transcending and Transgendering : Male to Female Transsexuals, Dichotomy and Divesrity, sans date).

[710] De ce qui précède, le Tribunal conclut que Micheline Montreuil, qui se dit transgenre, n'est pas un cas unique en société et qu'il existe nombre de personnes de sexe masculin qui s'habillent en femme de façon occasionnelle ou permanente et participent à des activités de groupe, telles que des congrès ou des réunions sociales. Le Tribunal conclut également que Micheline Montreuil alors qu'il se présentait sous le nom de Pierre Montreuil, s'habillait en femme à certaines occasions et participait à des activités réunissant des personnes de sexe masculin s'habillant également en femme.

[711] Le Tribunal conclut, par ailleurs, sur la base de la documentation mise en preuve et des témoignages entendus, qu'une personne transgenre, suivant un consensus social qui semble se dégager de plus en plus, est une personne d'un certain sexe, homme ou femme, qui, à la différence de la personne transsexuelle, adopte les apparences et le mode d'être de l'autre sexe, subit certaines transformations morphologiques - hormonothérapie pour avoir des seins, épilation des poils -, sans nécessairement aller jusqu'à la chirurgie de réassignation sexuelle. Pour Micheline Montreuil, il s'agit là d'une réalité sociale indéniable. Pour le Dr. Assalian, il s'agit là, du point de vue de la psychiatrie, de l'expression d'un trouble de l'identité de genre.

[712] Actuellement, la société canadienne, y compris les Forces canadiennes, fonctionne officiellement en mode binaire. A la naissance, on naît homme ou femme. Ce qui distingue l'homme de la femme, c'est fondamentalement leur anatomie : l'homme a un pénis et la femme a un vagin. Le modèle binaire est simple et rassurant (Bolin, Anne, Transcending and Transgendering : Male to Female Transsexuals, Dichotomy and Diversity, sans date). En cours de route, il est toutefois possible de changer son sexe natal dans la mesure où l'on rencontre certaines exigences légales.

[713] Au Québec, par exemple la personne qui veut voir la mention de son sexe modifiée dans son acte de naissance, voir son sexe ou genre changer d'homme à femme, par exemple, le peut en autant qu'elle satisfait aux exigence de l'article 72 du Code civil du Québec qui édicte que `la personne qui a subi avec succès des traitements médicaux et des interventions chirurgicales impliquant une modification structurale des organes sexuels et destinées à changer ses caractères sexuels apparents, peut obtenir la modification de la mention du sexe figurant sur son acte de naissance et, s'il y a lieu, ses prénoms'.

[714] Ainsi, au Québec, comme dans la majorité des juridictions, une personne n'est pas libre de changer proprio motu son sexe natal. Elle peut toujours se dire elle-même du genre opposé à son genre natal, se présenter comme femme alors qu'elle est biologiquement un homme, par exemple. Elle peut faire inscrire sur sa carte d'hôpital qu'elle est de sexe féminin alors que sa carte d'assurance-maladie indiquera qu'elle est de sexe masculin ; il n'en demeure pas moins qu'aux yeux de la société civile, la personne demeure dans son sexe natal.

[715] Aux yeux du Code Civil du Québec, la chirurgie de réassignation sexuelle semble un passage obligé au changement officiel de son sexe au niveau de l'acte de naissance. À cet égard, il ne serait pas surprenant qu'un jour, une personne qui veut s'identifier au sexe opposé, conteste l'obligation d'avoir à se soumettre à une chirurgie de réassignation sexuelle afin de pouvoir changer civilement et officiellement de sexe ou de genre. L'acceptation que la chirurgie de réassignation sexuelle n'est pas toujours une nécessité pour résoudre un problème de trouble de l'identité sexuelle ouvrira peut-être la porte à une telle contestation et possiblement à des modifications législatives (Dasti, Jerry L., Advocating a Broader Understanding of the Necessity of Sex-Reassignment Surgery under Medicaid, 77 New York Law Review : 1738-1775).

[716] Le droit de la personne peut s'accommoder de plus de deux genres, car quelque soit le genre de la personne, que cette personne soit homme, femme, transgenre, transsexuel, entre les deux ou les deux à la fois, elle a, en tout lieu et en toute circonstance, le droit au respect que lui confère la loi en tant qu'être humain. Il importe donc peu, pour le droit de la personne, qu'il y ait ou non un troisième sexe ou genre dont la reconnaissance est revendiquée par certains (Greenberg, Julie A. Deconstructing Binary Race and Sex Categories : A Comparison of the Multiracial and Transgendered Experience, 39 San Diego Law Review 917 (2002)). Ce qu'il importe, c'est de faire en sorte que leurs droits fondamentaux soient respectés.

[717] Cela dit, le Tribunal est fort conscient des attitudes discriminatoires dont sont victimes quotidiennement les personnes qui sortent de la norme. Nul n'est besoin d'être perçu comme transgenre ou transsexuel en raison des vêtements que l'on porte et qui ne cadrent pas avec le sexe natal qui est le nôtre pour être l'objet de possibles discriminations. En effet, le simple fait de se teindre les cheveux en jaune ou en vert est susceptible de constituer un obstacle non négligeable dans la recherche d'un emploi dans le milieu de la finance, par exemple, ou celui du droit. La société, on le sait, surtout ses instances les plus conservatrices, juge souvent les gens à leur apparence et ne se soucie guère de chercher à découvrir qui est la personne. Une sérieuse réflexion s'impose ici. Lorsque l'on constate que l'homophobie est encore très prévalente dans plusieurs milieux, que penser des personnes qui altèrent leur apparence physique pour s'associer au sexe opposé au leur. La réponse s'impose d'elle-même.

(ii) La personne transsexuelle et sa prise en charge

[718] La question de la personne transsexuelle et sa prise en charge n'est pas nouvelle en matière de droit de la personne. Elle fut au cur de la décision rendue par ce Tribunal dans Kavanagh c. Canada (Procureur général), précité.

[719] Cela dit, en ce qui concerne le présent dossier et la problématique de la personne transsexuelle, ce que Micheline Montreuil nie être, le Tribunal a entendu une preuve fort élaborée en ce qui a trait à la condition de la personne transsexuelle et au suivi médical qui lui est nécessaire. Les parties ont également soumis au Tribunal une abondante littérature scientifique portant sur le transsexualisme, les personnes transsexuelles et leur traitement. Il importe d'examiner ces éléments afin d'avoir une meilleure compréhension du dossier, plus spécifiquement de la différence qu'il peut y avoir entre la personne transsexuelle et la personne transgenre.

a) La littérature scientifique

[720] Les transsexualisme peut être défini, au niveau psychiatrique, comme le désir pour une personne de vivre et d'être acceptée comme personne appartenant au sexe opposé. Ce désir s'accompagne habituellement d'un sentiment de malaise ou d'inadaptation envers son propre sexe anatomique et du souhait de subir une intervention chirurgicale ou un traitement hormonal afin de rendre son corps aussi conforme que possible au sexe désiré (T. Gallarda, I. Amado, S. Coussinoux, M.-F. Poirier, B. Cordier, J.-P. Olié, Le syndrome de transsexualisme : aspects cliniques et perspectives thérapeutiques, L'Encéphale, 1997 ; XXIII : 321-6). La littérature portant sur le transsexualisme distingue néanmoins les transsexuels primaires et les transsexuels secondaires.

[721] La preuve démontre que les personnes transsexuelles qui veulent changer de sexe doivent entrer dans un programme de réassignation sexuelle et de genre. Le Dr. Assalian a longuement témoigné de son expérience en la matière. A cet égard, il importe de souligner que les personnes en charge de tels programmes vont se référer aux normes établies par Harry Benjamin, mieux connues sous le vocable de Harry Benjamin Standards of Care (HBSC).

[722] Selon ces normes, la personne qui veut changer de sexe doit 1. avoir eu un suivi thérapeutique d'au moins six mois, 2. avoir fait l'objet de deux évaluations par deux professionnels dont un psychiatre, possédant une expertise reconnue en matière de troubles de l'identité du genre, 3. avoir réalisé le test de la vraie vie pendant au moins une année, c'est-à-dire présenter une adaptation psychosociale réussie dans le nouveau rôle sexuel, 4. passer un examen urologique afin d'éliminer toute possibilité d'anomalie congénitale.

[723] Suivant la littérature mise en preuve, le processus de changement de sexe s'étend sur plusieurs années et englobe 1. des évaluations psychiatrique et psychologique, 2. la réalisation du test de vraie vie, 3. une thérapie hormonale pour créer et maintenir les caractéristiques sexuelles secondaires désirées, 4. une chirurgie générale (Pierre Assalian, Marilyn Amis Wilchesky, Hélène Côté, Troubles de l'identité sexuelle, dans La psychiatrie clinique, une approche bio-psycho-sociale, 1999, c. 26, pp. 636-650).

[724] En l'espèce, la preuve révèle que Micheline Montreuil ne fut jamais inscrite dans un tel programme. Il ne fut, la preuve est claire à ce sujet, jamais évalué au plan psychiatrique pour une quelconque problématique reliée à l'identité du genre, si l'on fait exception du diagnostic formel qu'aurait posé le Dr. Côté lors de l'audition du grief de Micheline Montreuil en rapport avec sa démission forcée du Collège Garneau et des deux expertises produites en la présente instance.

[725] En fait, il ressort de la preuve que Micheline Montreuil s'est adressé au Dr. Tremblay, endocrinologue, afin de se faire prescrire des hormones féminines en vue d'avoir des seins, sans avoir consulter au préalable un psychiatre. L'hormonothérapie prescrite par le Dr. Tremblay sans qu'il n'y ait eu d'évaluation psychiatre antérieure et uniquement pour des fins esthétiques selon Micheline Montreuil fut l'objet d'un long débat.

[726] Sur ce point, la preuve révèle qu'il est apparu inconcevable au Dr. Assalian qu'un médecin prescrive à une personne comme Micheline Montreuil des hormones sans que l'on ait procédé à une évaluation psychiatrique de la personne. Il ne saurait être ainsi question pour le Dr. Assalian qu'un médecin prescrive ainsi des hormones sur simple demande d'une personne qui apparaît logique et rationnelle. Quoi qu'il en soit, quelles que soient les opinions que l'on peut entretenir sur la pratique du Dr. Tremblay, il n'appartient pas au Tribunal, dans le cadre de la présente instance, de se prononcer sur la pratique de celui-ci. Ce qui ressort de la preuve, c'est qu'il a prescrit, à plusieurs reprises des hormones à Micheline Montreuil et a assuré un suivi de son hormonothérapie.

b) Les témoignages

[727] Dans le cadre de la présente instance, le Tribunal a entendu de nombreux témoignages sur la personne transsexuelle, le processus de changement de sexe auquel plusieurs personnes transsexuelles, si non la très grande majorité, veulent se soumettre.

[728] Le Tribunal a ainsi entendu les témoignages du Dr. Diane Watson qui eut à traiter, au sein même des Forces canadiennes, un certain nombre de militaires ayant décidé de changer de sexe, du Dr. Christiane Dufour et du Dr. Pierre Assalian et de leur expérience à la clinique sur la sexualité de l'Hôpital général de Montréal, du Dr. Édouard Beltrami qui a reçu en consultation des personnes transsexuelles dans le cadre de sa pratique, du Dr. Rolland Tremblay qui également, dans le cadre de sa pratique en tant qu'endocrinologue, reçoit en consultation des personnes qui veulent apporter des transformations morphologiques à leur corps et qu'il considère comme des personnes transsexuelles. Leurs témoignages permettent de mieux saisir le cheminement et le vécu des personnes transsexuelles.

1. Le témoignage du Dr. Dufour

[729] Préalablement au témoignage du Dr. Dufour, l'intimée a demandé à ce que le Dr. Dufour soit reconnue comme expert en psychologie et en sexologie. Au terme d'une audition sur ses qualifications, le Tribunal n'a pas reconnu le Dr. Dufour comme expert. Le Dr. Dufour fut néanmoins reconnue comme une psychologue-sexologue ayant une connaissance particulière, de par sa pratique, des personnes souffrant de dysphorie du genre ou présentant des troubles de l'identité sexuelle, tels que les transsexuels et les travestis, et lui a permis de faire état dans son témoignage non seulement de son implication dans le dossier de Micheline Montreuil mais également de son expérience dans le traitement des personnes qui se présentent à elle en consultation pour des problèmes d'identité sexuelle ou de dysphorie du genre.

[730] Dans le cadre de son témoignage, le Dr. Dufour a indiqué qu'elle travaille depuis 1995 à la clinique de sexualité humaine du Dr. Assalian à l'Hôpital général de Montréal en compagnie du Dr. Wilchesky et de Mme Hélène Côté. Elle indiqua que, dans le cadre de sa pratique, elle avait reçu en consultation plus de 400 personnes présentant un trouble de l'identité du genre.

[731] Le Dr. Dufour expliqua au Tribunal qu'à la clinique du Dr. Assalian, on procède à des évaluations de personnes qui se présentent pour toutes sortes de problèmes sexuels dont, entre autres, beaucoup pour des problèmes de dysphorie du genre. Elle expliqua, en autres choses, l'approche adoptée à la clinique en ce qui a trait au traitement et au suivi des personnes qui se présentent pour des problèmes de troubles de l'identité sexuelle.

[732] Le Dr. Dufour indique dans son témoignage que les personnes, acceptées dans le programme de réassignation sexuelle, doivent suivre une thérapie individuelle deux fois par mois, ainsi qu'une thérapie de groupe deux fois par mois avec des rencontres d'évaluation.

[733] Selon son témoignage, il se passe environ huit mois avant l'hormonothérapie. Par ailleurs, à la suite de l'hormonothérapie, il y a une période de test de vraie vie. Ce test consiste à vivre dans le genre qu'une personne a choisi 24 heures sur 24. Le test de la vraie vie peut durer jusqu'à deux ans. Le Dr. Dufour indique dans son témoignage qu'au terme de ce cheminement, la personne sera évaluée pour voir si elle est prête à aller vers la réassignation sexuelle. La personne rencontre alors le Dr. Assalian et son équipe. Si l'équipe est d'avis que le pronostic est favorable, un rapport favorable sera rédigé et la personne pourra aller vers la réassignation sexuelle, soit dans une clinique privée au Québec, à ses frais, ou dans un hôpital à l'étranger et, dans ce cas, la Régie de l'assurance-maladie remboursera les coûts de l'opération. Le Dr. Dufour indique dans son témoignage que, pour elle, une fois la réassignation sexuelle effectuée, les problèmes reliés au trouble de l'identité du genre sont généralement résolus.

[734] Le Dr. Dufour indique, en outre, dans son témoignage que les personnes qui viennent consulter éprouvent un mal-être ainsi que de la souffrance. Par ailleurs, le Dr. Dufour précise que ce ne sont pas toutes les personnes qui viennent consulter qui vont aller invariablement vers l'opération de réassignation sexuelle. Ainsi, certaines personnes réintégreront leur genre biologique, d'autres iront vers un mode de relation homosexuelle.

[735] Le Dr. Dufour indique dans son témoignage que les personnes qui consultent la clinique du Dr. Assalian s'identifient comme personne transsexuelle, à savoir des personnes qui vont vers un changement de sexe et que, dans le cadre de sa pratique, elle n'a jamais rencontré de personnes se disant transgenre.

[736] Lors de son témoignage, le Dr. Dufour a relaté les grandes lignes de l'entrevue survenue, le 18 mai 2006, avec Micheline Montreuil en se référant au rapport qu'elle avait co-signé avec le Dr. Assalian et le Dr. Wilchesky, de même que le déroulement général d'une entrevue. Elle fit référence dans le cadre de son témoignage à certains cas particuliers de personnes reçues en entrevue.

[737] Pour le Dr. Dufour, l'entrevue avec Micheline Montreuil fut très laborieuse. Le Dr. Dufour dira que les personnes qui se présentent pour une entrevue sont souvent plus défensives. Elle ajoutera que lors de l'entrevue, Micheline Montreuil s'est montré très irritée et qu'elle eut l'impression qu'elle retenait une certaine colère.

[738] Lors de l'entrevue, selon le Dr. Dufour, Micheline Montreuil a indiqué qu'il était entre les deux sexes, qu'il était un transgenre par choix, qu'il était bien dans sa situation et n'éprouvait aucune souffrance dans son genre masculin. Le Dr. Dufour indiqua dans son témoignage qu'elle a rencontré peu de personnes avec ce profil. Elle dira que devant des personnes en apparence rationnelle qui veulent changer de sexe, il est coutume de pousser plus à fond l'investigation afin d'aller chercher les motivations les plus profondes. Le Dr. Dufour notera dans son témoignage, à partir de son expérience clinique, que les personnes qui prennent des hormones notent des changements d'humeur.

[739] Selon le Dr. Dufour, les personnes transsexuelles prennent des hormones féminines de façon continue parce qu'elles recherchent pour ainsi dire la castration chimique, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Au contraire. La preuve révèle que Micheline Montreuil a pris des hormones féminines par intermittence parce qu'il ne voulait pas de castration chimique. Il voulait garder son système reproducteur masculin opérationnel tout en voulant avoir des seins. La preuve révèle également que Micheline Montreuil voulait avoir des enfants avec son propre sperme.

[740] En ce qui concerne l'hormonothérapie de Micheline Montreuil, le Dr. Dufour affirme dans son témoignage qu'elle n'a pas posé de questions sur la prise intermittente d'hormones. Le Dr. Dufour ajoutera, à cet égard, qu'il n'a jamais rencontré de personne qui, voulant devenir femme parce qu'elles se sentent femmes, voulaient en même temps conserver leurs organes mâles.

[741] Le Dr. Dufour, tout comme le Dr. Assalian, noteront dans leur rapport que Micheline Montreuil avait entrepris des procédures judiciaires contre une banque et utilisent cette information dans leur évaluation de la condition psychiatrique de Micheline Montreuil. Le Tribunal tient à noter, à cet égard, qu'on ne saurait faire reproche à une personne de faire valoir ses droits devant les tribunaux. Cela dit, le Dr. Dufour indiquera qu'il ne s'agit pas, en fait, de remettre en question le droit d'une personne de faire valoir ses droits mais plutôt de tenir compte d'un facteur qui peut avoir un impact quant au temps qu'une personne doit consacrer à faire valoir ses droits, la souffrance psychologique que cela peut engendrer.

[742] Du témoignage du Dr. Dufour, le Tribunal retient que 1. les personnes qui présentent un trouble de l'identité du genre et qui viennent consulter sont traitées eu égard aux normes développées par la Société Harry Benjamin ou des normes similaires, 2. les personnes qui viennent en consultation sont des personnes souffrantes 3. la réassignation sexuelle, lorsqu'indiquée, résout, en règle générale, les problèmes reliés au trouble de l'identité sexuelle, 4. ce ne sont pas toutes les personnes qui viennent consulter qui iront invariablement vers une chirurgie de réassignation sexuelle, 5. le profil que présente Micheline Montreuil au chapitre des troubles de l'identité du genre ne correspond pas à celui de la clientèle qu'elle reçoit en consultation.

2. Le témoignage du Dr. Watson

[743] Le Dr. Watson, médecin psychiatre, a témoigné à titre de témoin ordinaire bien que la preuve révèle qu'elle avait une expérience particulière en ce qui a trait aux personnes présentant des troubles de l'identité du genre, ayant été la fondatrice et la directrice de la Clinique sur la dysphorie du genre de Vancouver et s'intéressant depuis plus de 20 ans à la problématique de la dysphorie du genre. Selon la preuve, le Dr. Watson a, dans le passé, été reconnue comme expert dans plusieurs affaires où la transsexualité d'une personne était en cause. La preuve révèle, par ailleurs, que le Dr. Watson n'était pas membre des Forces canadiennes mais agissait à titre de consultant externe. Il appert du témoignage du Dr. Watson qu'à la demande des Forces canadiennes, son lien d'emploi avec les Forces canadiennes s'est terminé en juillet 2007.

[744] En ce qui a trait à son rôle au sein des Forces canadiennes, le Dr. Watson a affirmé qu'il consistait à fournir des soins psychiatriques aux membres des Forces en tant que généraliste et non comme spécialiste en matière de troubles de l'identité du genre. Toutefois, la preuve révèle que pendant qu'elle fut à l'emploi des Forces canadiennes, soit de 2002 à 2007, le Dr. Watson eut à traiter 12 cas de transsexualisme, soit 11 cas de transsexualisme primaire et un cas de transsexualisme secondaire.

[745] La preuve révèle que le fait d'être une personne transsexuelle n'est pas une contre-indication à servir dans les Forces canadiennes. Le témoignage du Dr. Watson est probant à cet égard. Toutefois, un trouble de l'identité du genre non résolu amènera l'attribution d'une restriction médicale à l'emploi, permanente, si le trouble n'est pas résolu, ou temporaire, si le trouble est éventuellement résolu.

[746] Il appert du témoignage du Dr. Watson que les Forces canadiennes ont dans leurs rangs un certain nombre de personnes transsexuelles. Il appert, par ailleurs, de la preuve que les Forces canadiennes n'ont pas comme tel de politique particulière à propos des personnes qui présentent un trouble de l'identité du genre ou les personnes transsexuelles. Cela dit, la preuve révèle qu'un militaire qui présente un trouble de l'identité du genre, loin d'être exclu des Forces canadiennes, se voit accompagné dans son processus de changement d'identité sexuelle ou d'identité de genre.

[747] Selon le témoignage du Dr. Watson, les personnes transsexuelles qu'elle a rencontrées faisaient toutes l'objet d'une évaluation initiale détaillée, comprenant l'histoire de leur cheminement de vie. Des proches étaient également consultés. Une fois le diagnostic posé, les personnes rencontrées se voyaient offrir différents traitements, tels que la psychothérapie sur une période de six mois à raison d'une séance par semaine, l'hormonothérapie, l'épilation au laser, le counselling matrimonial.

[748] Éventuellement, dira le Dr. Watson, la personne est référée à un chirurgien pour la chirurgie de réassignation sexuelle mais pas avant d'avoir passé le test de la vraie vie où la personne doit vivre durant une certaine période de temps en société et dans son milieu de travail sous les apparences de l'autre sexe. Durant cette phase de transition, la personne se voit offrir un soutien au sein de son milieu de travail, tant auprès de ses supérieurs que de ses compagnons ou compagnes de travail. Il en va de même après la chirurgie de réassignation sexuelle où des rencontres sont organisées avec les gens du milieu de travail pour faciliter l'intégration au milieu.

[749] Selon le témoignage du Dr. Watson, toutes les personnes transsexuelles étaient suivies sur une base régulière par une équipe de professionnels et pouvaient compter sur les services de dermatologues, d'endocrinologues, de travailleurs sociaux notamment. Le Dr. Watson a témoigné que, durant la phase de transition, les personnes transsexuelles se voyaient attribuer une catégorie d'emploi temporaire pour une période de douze mois tout en continuant leur travail. Pour celles qui choisissaient la chirurgie, elles étaient mises en congé maladie pour une période variant entre six et huit mois. Il appert du témoignage du Dr. Watson que ce sont les Forces canadiennes qui défraient le coût des traitements.

[750] Tel que mentionné précédemment lors de son témoignage, le Dr. Watson a fait référence à douze cas de transsexualisme auxquels elle avait été associée alors qu'elle était au service des Forces canadiennes. Il appert de son témoignage que les personnes qui sont venues la consulter avaient toutes éprouvé dans leur jeune âge le sentiment d'être du sexe opposé (transsexualisme primaire) et un désir de se départir de leurs organes génitaux.

[751] Le Dr. Watson a témoigné que les 12 personnes rencontrées éprouvaient une discordance entre leur sexe biologique et leur psyché (genre). Elle a indiqué dans son témoignage que la principale raison pour laquelle les douze personnes transsexuelles étaient venues la consulter était l'existence chez elles d'un état dépressif et d'anxiété relié à leur trouble de l'identité de genre. En ce qui a trait aux personnes venues la consulter, le choix qui se présentait à elles, semble-t-il, était la chirurgie ou le suicide. Le Dr. Watson a en effet précisé que plusieurs des personnes transsexuelles rencontrées nourrissaient des idées suicidaires. Toutes les personnes transsexuelles rencontrées ont eu, selon son témoignage, besoin de psychothérapie pour traiter leur dépression et leur anxiété.

[752] Le Dr. Watson fit état dans son témoignage du fait qu'il existait au sein des Forces canadiennes un réseau informel de contact entre personnes transsexuelles sur internet. Pour le Dr. Watson, il est important que les personnes transsexuelles puissent compter sur le support de leurs pairs qui sont dans les Forces canadiennes. Le Dr. Watson a indiqué qu'elle n'était pas au courant de l'existence d'un site web. Toutefois, elle dit comprendre qu'il y avait des échanges par voie de courriels.

[753] Le Dr. Watson a reconnu dans son témoignage que les personnes transsexuelles qui étaient venues la consulter craignaient la réaction de leurs supérieurs et l'impact qu'il pourrait y avoir sur leur carrière. Elle a également indiqué que la perspective d'une chirurgie de réassignation de sexe était difficile et axiogène et que, dans un contexte militaire, des stresseurs, qu'on ne rencontrerait pas dans la vie civile, existaient, le milieu militaire étant une organisation sociale binaire, où l'on est ou femme ou homme. En outre, elle a souligné que l'encadrement militaire restreignait l'expression spontanée de la personnalité des personnes transsexuelles et reconnu que les stéréotypes sexuels étaient contraignants pour les personnes transsexuelles. Elle a de plus ajouté que, dans la culture militaire, il était mieux accepté qu'une femme ait un comportement masculin qu'un homme ait un comportement féminin.

[754] Dans le cadre de son témoignage, le Dr. Watson fut appelée à préciser sa compréhension des termes transsexuel, transgenre, sexe et genre. Pour le Dr. Watson, le sexe fait référence au phénotype, aux éléments anatomiques et chromosomiques qui distinguent les hommes et les femmes alors que le genre fait référence au sens inné de masculinité et de féminité qui est le fruit d'une expérience psychologique.

[755] En ce qui concerne le concept de transsexuel, le Dr. Watson a précisé que le terme ne figurait pas dans le DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual for Mental Disorders), qu'il faisait partie de la catégorie de dysphorie du genre, qu'il était à l'une des extrémités de l'éventail des troubles de l'identité du genre. Le Dr. Watson a précisé que sur les 12 cas qu'elle eut à traiter, il y a eu un cas où le diagnostic initial de trouble de l'identité du genre fut changé à trouble de l'identité du genre non autrement spécifié et émit l'opinion qu'une personne peut présenter un trouble de l'identité du genre, même en l'absence d'un désir de réassignation sexuelle.

[756] En ce qui a trait au terme transgenre, pour le Dr. Watson, le terme transgenre n'est pas un terme médical. Il englobe les individus ayant une diversité de troubles de l'identité de genre. Il s'agit en fait davantage d'un terme à connotation sociale ou politique que médicale.

[757] Cela dit, dans son témoignage, le Dr. Watson a indiqué qu'elle n'a jamais rencontré de personnes qui voulaient assumer le rôle du sexe opposé sans croire qu'elles ne requéraient pas de traitement médical pour altérer leur sexe biologique, ce qui semble être le cas pour certaines personnes transgenres.

[758] Interrogée sur la question des limitations à l'emploi attribuées à des militaires transsexuels, plus spécifiquement sur l'attribution des catégories G et O, le Dr. Watson a témoigné que, dans certains cas, elle s'est senti obligée de protéger la personne transsexuelle d'un déploiement de manière à ce que ces personnes aient accès aux soins médicaux appropriés. Elle a alors recommandé qu'on leur attribue une catégorie temporaire. Ainsi, lorsqu'une personne était en traitement, elle a considéré que ces personnes seraient vulnérables si elles étaient déployées sur un terrain d'opération, la raison étant qu'elles nécessitaient des soins médicaux. Dans son témoignage, le Dr. Watson a fait état spécifiquement de deux personnes qui s'étaient vu attribuer des limitations temporaires à l'emploi pendant 12 mois, pour éviter leur déploiement, le temps de leur réassignation sexuelle.

[759] Par ailleurs, le Dr. Watson a fait état, en ce qui a trait aux douze personnes transsexuelles qu'elle eut à traiter, qu'elle ne connaît aucune d'entre elles qui fut libérée uniquement à cause d'un trouble de l'identité du genre. Selon le Dr. Watson, une fois la réassignation sexuelle terminée, la limitation temporaire fut éliminée et les personnes ont pu continuer leur emploi dans les Forces canadiennes.

[760] En ce qui concerne l'établissement d'un diagnostic de trouble de l'identité du genre chez les douze personnes qu'elle eut à traiter, le Dr. Watson a indiqué qu'il y avait une série de critères qui devaient être rencontrés: une croyance persistante chez la personne qu'elle était du mauvais sexe, un désir de se départir de ses organes sexuels et des caractéristiques secondaires qui y sont associées et le désir d'acquérir les caractéristiques sexuelles et le rôle de l'autre sexe, un sentiment de détresse ou de dysfonctionnement relié à leur trouble de l'identité du genre. Toutefois, elle a ajouté qu'en ce qui a trait à un trouble de l'identité sexuelle non autrement spécifié, les critères sont moins bien définis. Entreraient, selon elle, dans cette catégorie, les personnes qui présentent une confusion au niveau de leur genre. Selon le Dr. Watson, l'existence d'une détresse ou la présence d'un dysfonctionnement ne sont pas requis pour l'établissement d'un trouble de l'identité du genre non autrement spécifié.

[761] Le Dr. Watson a également témoigné à l'effet qu'elle avait donné de la formation au personnel militaire sur les troubles de l'identité du genre que présentaient deux des douze personnes qu'elle eut à traiter, ainsi que des conférences à d'autres membres du personnel militaire. Le Dr. Watson a également témoigné qu'à sa connaissance, les Forces canadiennes n'ont jamais forcé une personne à subir une chirurgie de changement de sexe.

[762] Du témoignage du Dr. Watson, le Tribunal retient que 1. lorsque l'on compare le profil des 12 personnes transsexuelles qui furent sous les soins du Dr. Watson et le profil de Micheline Montreuil, tel que le révèle la preuve, il apparaît que Micheline Montreuil n'a pas un profil similaire aux personnes transsexuelles traitées par le Dr. Watson, 2. les Forces canadiennes ont, dans leurs rangs, un certain nombre de personnes ayant subi une réassignation sexuelle alors qu'elles étaient dans les Forces canadiennes, 3. les Forces canadiennes ne renvoient pas des personnes qui, alors qu'elles sont dans les Forces canadiennes, optent pour une réassignation sexuelle, 4. les Forces canadiennes accompagnent les personnes qui présentent un trouble de l'identité du genre et voient à ce que les soins appropriés leur soient prodigués 5. les Forces canadiennes n'ont jamais forcé une personne qui présentait un trouble de l'identité du genre à subir une chirurgie de réassignation sexuelle, 6. les personnes qui présentent un trouble de l'identité du genre sont accompagnées dans leur cheminement et que des normes d'intervention similaire aux normes de la Société Harry Benjamin sont suivies.

3. Le témoignage du Dr. Assalian

[763] Dans son témoignage, le Dr. Assalian se dira d'accord avec le fait qu'un transsexuel est une personne dont l'identité sexuelle est à l'opposé de son sexe biologique et que ces personnes se sentent piégées dans un corps du mauvais sexe et que ceci constitue un état psychologique connu sous le nom de dysphorie du genre. Il s'est également dit d'accord avec le fait qu'une personne transsexuelle est une personne qui, par exemple, se sent homme sur le plan anatomique mais qui a le sentiment d'être une femme sur le plan psychologique et affectif, femme que le mauvais sort aurait pourvu d'organes génitaux masculins. Il a reconnu que cet homme, dans ce cas de figure, désire être reconnu comme une femme par la société et est prêt à transformer son corps en conséquence.

[764] Le Dr. Assalian s'est également dit d'accord avec le fait que le but d'une personne qui présente une dysphorie du genre est de devenir quelqu'un de l'autre sexe, que les aspects associés à l'autre genre peuvent variés d'un individu à l'autre, que si certaines personnes veulent avoir toutes les caractéristiques des personnes de l'autre sexe, certaines personnes n'en veulent qu'un ou deux aspects. Le Dr. Assalian reconnaît, par ailleurs, qu'il y a des personnes avec des troubles de l'identité sexuelle, transgenres, transsexuels, qui adoptent une résolution partielle.

[765] La preuve révèle que les personnes qui viennent consulter en psychiatrie pour des troubles de l'identité du genre sont des personnes souffrantes (Dr. Assalian, Dr. Watson, Dr. Dufour). La preuve révèle, par ailleurs, que bon nombre de personnes qui pourraient souffrir d'un trouble de l'identité du genre ou qui se présentent, par exemple, comme travesties ou transsexuelles, ne viennent pas consulter en psychiatrie parce qu'elles estiment qu'elles ne sont pas malades ou atteintes d'un trouble psychiatrique quelconque.

[766] Pour le Dr. Assalian, il est important, dans le traitement des personnes qui présentent un trouble de l'identité du genre, de suivre le protocole Harry Benjamin pour éviter tout problème dans le futur. Cela dit, selon le Dr. Assalian, le protocole Henry Benjamin constitue un guide pour les professionnels qui ont a traiter des personnes présentant un trouble de l'identité du genre.

[767] Dans son témoignage, le Dr. Assalian a admis que son approche en matière de catégorisation des troubles de l'identité du genre, qui inclut autant les personnes travesties que transsexuelles et transgenres, est conservatrice. Selon le Dr. Assalian, le protocole Harry Benjamin classe sous le Troubles de l'identité du genre non spécifié les personnes qui se disent transgenres et ne veulent pas aller jusqu'à l'opération de réassignation sexuelle. Pour le Dr. Assalian, le protocole Harry Benjamin HBIGD est le meilleur consensus scientifique qui existe en matière de troubles de l'identité du genre.

4. Le témoignage du Dr. Tremblay

[768] En ce qui a trait à la problématique de la transsexualité, le Tribunal a entendu le Dr. Tremblay, endocrinologue, médecin traitant de Micheline Montreuil. Le Dr. Tremblay a témoigné à titre de témoin factuel. Le Tribunal lui a néanmoins reconnu la possibilité d'émettre des opinions basées sur son expérience.

[769] Dans le cadre de son témoignage, le Dr. Tremblay a fait état de son expérience dans le traitement de personnes qui le consultent en relation avec un changement de sexe possible. Le Dr. Tremblay a établi une distinction entre deux catégories de personnes, soit celles âgées de soixante ans et plus qui le consultent pour obtenir des hormones, sans intention de recourir à la chirurgie et celles âgées d'environ 40 ans qui désirent changer leur morphologie physique à un moment donné de leur vie et qui envisagent une chirurgie de changement de sexe.

[770] Le Dr. Tremblay affirme, dans son témoignage, qu'il a été consulté par des personnes transsexuelles depuis 1972. En ce qui concerne sa pratique en la matière, il affirme que deux situations se présentent. La première, soit la plus fréquente, concerne des personnes qui s'adressent à lui pour obtenir une hormonothérapie dans le cadre d'un processus de changement de sexe, la seconde concerne des personnes qui lui sont référées par un médecin psychiatre pour initier une hormonothérapie. Le Dr. Tremblay affirme traiter environ huit à dix nouveaux cas par année depuis 1972.

[771] Lors de son témoignage, le Dr. Tremblay a fait référence au protocole proposé par Harry Benjamin en matière de changement de sexe. Selon le Dr. Tremblay, ce protocole, reconnu par le milieu psychiatrique, facilite les bonnes pratiques en matière de transsexualisme. Le protocole suggère que la personne, désireuse de changer de sexe, fasse l'objet d'une évaluation en psychologie ou en psychiatrie et un suivi en psychiatrie pendant un an ou deux et que, subséquemment, il y ait hormonothérapie. Par la suite, la personne est orientée vers la chirurgie afin de faire disparaître certains attributs, soit féminins, soit masculins suivant l'orientation choisie.

[772] Dans son témoignage, le Dr. Tremblay reconnaîtra que le protocole Harry Benjamin prévoit la constitution d'une équipe pour entourer le processus de changement de sexe, soit des professionnels qui travaillent de concert avec un psychiatre pour découvrir les motivations réelles des personnes qui aspirent à un changement de sexe. Pour le Dr. Tremblay, le psychiatre est l'élément pivot de l'équipe. Pour ce qui est du rôle de l'endocrinologue, celui-ci consiste à apporter un complément d'expertise, notamment en matière de biologie.

[773] Le Dr. Tremblay expliquera dans son témoignage que le protocole est utilisé pour les personnes transsexuelles mais exprime l'opinion que le protocole, comme tel, bien qu'il s'applique aux troubles de l'identité du genre, ne constitue pas un guide de bonnes pratiques pour les personnes transgenres mais procure des orientations permettant à un médecin de se positionner sur la personne transgenre.

[774] Pour le Dr. Tremblay, il existe plus que deux genres. Ainsi, dans le cadre de son témoignage, le Dr. Tremblay fera référence à la problématique relative au troisième sexe ou genre. Il soulignera que la société actuelle est encore bi-polaire, point de vue partagé par le Dr. Watson, soit une société qui fait une place aux hommes et aux femmes. Selon lui, le protocole Harry Benjamin fait de l'espace pour accommoder d'autres catégories de genre.

[775] Appelé à commenter la distinction entre la personne transsexuelle et la personne transgenre, le Dr. Tremblay indiquera que le transsexualisme mène véritablement à un changement d'identité et de sexe mais que beaucoup de personnes vont, dans leur cheminement, opter pour une situation intermédiaire, ce qui constitue la troisième catégorie de genre. C'est notamment le cas de personnes qui, sur le tard, (transsexualisme secondaire), telles les personnes de sexe masculin de soixante ans, décident de faire la transition en femme pour finir leur vie en femme. Le Dr. Tremblay indiquera dans son témoignage que la personne transgenre est une personne qui ayant vécu dans une identité d'homme ou de femme, surtout d'homme, prend l'option à partir d'un certain âge de vivre dans le sexe opposé. Il reconnaîtra que la personne transgenre à la différence de la personne transsexuelle cherche à conserver les deux aspects des deux sexes, soit avoir des seins pour se transformer ou adhérer au phénotype féminin et conserver l'opportunité d'avoir des enfants. En ce qui a trait à la personne transsexuelle qui désire changer de sexe, il dira qu'elle est convaincue depuis plusieurs années, qu'il y a un désaccord profond entre son sexe chromosomique, son sexe de présentation et son sexe d'élevage.

[776] Dans le cadre de son témoignage, le Dr. Tremblay dira également que, pour lui, la personne transgenre est la personne qui veut changer son apparence physique parce qu'elle croit qu'elle serait plus heureuse dans un rôle féminin. La personne transgenre ne demande jamais d'aller plus loin que l'hormonothérapie et ne demandera jamais de chirurgie génitale. Par ailleurs, le Dr. Tremblay ajoute que les personnes transgenres ne lui demandent qu'exceptionnellement des hormones, sauf pour les personnes âgées de 60 ans qu'il savait être transgenres.

[777] Pour le Dr. Tremblay, le transgendérisme n'est pas une maladie mentale. Le Dr. Tremblay affirmera dans son témoignage qu'il n'a jamais référé de personnes qu'il considérait transgenre à des psychiatres pour évaluation et que, dans les six ou huit personnes d'un certain âge qui étaient des grands-papas et sont devenues des grands-mamans, elles avaient toutes un certain vécu et étaient parfaitement bien équilibrées. Dans le cas spécifique de Micheline Montreuil, le Dr. Tremblay affirme qu'il n'a jamais eu envie de la référer à un psychiatre parce que la démarche de Micheline Montreuil lui a semblé claire et rationnelle et que ses objectifs étaient clairs.

[778] Appelé à commenter sur les exigences relatives à la prescription d'hormones à une personne qui vient le consulter dans un contexte de transsexualité, le Dr. Tremblay a témoigné qu'il faut s'assurer que l'état de santé, tant physique que mental de la personne, de même que son état biologique est capable de supporter l'hormonothérapie. En ce qui concerne l'état mental, le Dr. Tremblay a indiqué dans son témoignage que dans la plupart des cas, il est pertinent de demander une évaluation en psychiatrie lorsqu'il s'agit spécifiquement de transsexualisme.

[779] Le Dr. Tremblay a reconnu, par ailleurs, dans son témoignage que la prescription d'hormones sur demande est une situation d'exception et circonstanciée et que, par le passé, il avait prescrit des hormones sur demande à deux reprises à des professionnels et que Micheline Montreuil était l'une de ces personnes. Le Dr. Tremblay ajoute que ces deux personnes, âgées de moins de 60 ans, se sont présentées à lui comme des personnes transsexuelles alors que les autres personnes n'avaient aucune aspiration vis-à-vis la transsexualité. Il ajoutera qu'en ce qui a trait aux deux professionnels, il n'y avait pas d'ambivalence quant au choix d'être une personne transsexuelle et que ces deux personnes voulaient changer leur manière de vivre, avoir des seins ou des prothèses mammaires. Il dira qu'il leur a prescrit des hormones à la première consultation. Selon le Dr. Tremblay, dans ces cas, une hormonothérapie bien dosée n'entraîne que peu d'effets secondaires et est réversible. Il n'y a pas de conséquences, selon lui, à l'arrêt de la médication sauf que l'on revient à la case départ.

[780] Dans le cadre de son témoignage, le Dr. Tremblay a, par ailleurs, commenté le phénomène particulier des personnes dans la soixantaine qui sont venues le consulter et ont demandé de recevoir une hormonothérapie pour finir leurs jours dans la situation de la personne du sexe opposé, grand-maman plutôt que grand-papa. Pour le Dr. Tremblay, il s'agit là de personnes transgenres et il affirme n'avoir aucune objection à les aider dans ce cheminement-là pendant quelques années.

[781] Confronté à un homme qui se présenterait à son cabinet habillé en femme et qui demanderait une prescription d'hormones féminines, le Dr. Tremblay indiqua dans son témoignage qu'il s'assurerait que la personne qui veut changer son phénotype a une démarche rationnelle et qu'elle a des attitudes sécuritaires. Cela dit, le Dr. Tremblay précisa que, eu égard à son devoir de médecin et compte tenu de la Charte des droits et libertés, il prescrirait des hormones et assurerait un suivi. Il ajoutera que décider à la place de la personne et ne pas souscrire à sa demande pourrait constituer une faute professionnelle et une faute au sens de l'éthique. Le Dr. Tremblay ajoutera qu'en ce qui concerne les personnes de 60 ans et plus, il ne requerra pas de consultation psychiatrique.

[782] En ce qui concerne Micheline Montreuil, le Dr. Tremblay indique dans son témoignage qu'à partir de l'an 2000, il avait acquis la perception que Micheline Montreuil était dans la catégorie des transgenres. Pour le Dr. Tremblay, la personne qui se présente à son bureau pour avoir des hormones n'est pas une personne malade au sens propre du terme dans la mesure où la prise d'hormones a une finalité particulière, soit le désir d'avoir des seins.

5. Le témoignage du Dr. Beltrami

[783] En ce qui concerne les personnes transsexuelles, le Dr. Beltrami, expert psychiatre, reconnaîtra qu'il est approprié, suivant les recommandations de la Société Harry Benjamin, qu'il y ait une évaluation psychiatrique avant d'obtenir une prescription d'hormones. En ce qui concerne le protocole Harry Benjamin, le Dr. Beltrami indiquera dans son témoignage que le protocole prévoit la mise sur pied d'une équipe pour assurer le suivi d'une personne engagée dans un processus de réassignation sexuelle. Pour le Dr. Beltrami, la participation d'un psychiatre au processus est importante étant donné que l'opération est émotive. Pour lui, il faut s'assurer que la personne veuille vraiment passer à travers le processus, que l'on n'est pas en présence d'une espèce de psychose. Selon lui, les chirurgiens vont demander un rapport psychiatrique. En outre, le Dr. Beltrami reconnaîtra qu'il est approprié qu'un psychiatre émette son opinion sur la condition psychiatrique d'une personne avant que des hormones ne soient prescrites.

[784] Selon le Dr. Beltrami, il doit y avoir, en principe, une psychothérapie ou une sexothérapie pendant un certain temps, soit au moins 6 mois, voire un an avant que l'on décide que c'est le temps de l'hormonothérapie. Pour le Dr. Beltrami, il est anormal qu'un médecin prescrive à une personne des hormones sur le champ.

[785] Le Dr. Beltrami indiquera dans son témoignage que, face à une personne qui demande une prescription d'hormones en vue d'avoir des seins, la norme est de faire subir à cette personne une psychothérapie avant de prescrire des hormones. Le Dr. Beltrami reconnaîtra dans son témoignage que confronté à une personne de sexe masculin qui se voit comme une femme, qui s'habille en femme, qui veut être traitée à tous les égards comme s'il était une femme, même s'il est un homme biologique, qu'il s'agit là d'une situation hors norme et qu'il faut vérifier vraiment ce qu'il y a de sous-jacent, s'il ne se cache pas autre chose. Le Dr. Assalian se dira d'accord avec le Dr. Beltrami à cet égard.

[786] A la lumière des témoignages des Dr. Beltrami, Assalian et Tremblay, le Tribunal conclut 1. que le protocole Harry Benjamin constitue la norme pour le traitement des personnes qui présentent un trouble de l'identité sexuelle qui viennent consulter un professionnel de la santé, 2. qu'il y a divergences de points de vue en ce qui a trait à la prescription d'hormones à ces personnes, le Dr. Tremblay ayant une approche plus libérale et moins conformiste que le Dr. Beltrami et le Dr. Assalian.

C. L'évaluation psychiatrique de Micheline Montreuil

[787] En ce qui a trait à la question de savoir si les Forces canadiennes étaient justifiées d'imposer des limitations médicales à l'emploi à Micheline Montreuil en raison de l'existence chez lui d'un trouble de l'identité du genre non résolu, les parties ont fait appel à deux experts psychiatres, spécialisés dans les troubles de l'identité du genre.

(i) Les experts en présence et leurs rapports

[788] En l'espèce, la preuve révèle que Micheline Montreuil fut l'objet de deux évaluations psychiatriques, l'une effectuée par le Dr. Pierre Assalian, dont les services furent retenus par l'intimée, assisté de deux collègues, les Dr. Christiane Dufour et Marylin Wilchesky, psychologues, l'autre par le Dr. Édouard Beltrami, dont les services furent retenus par la Commission. Chaque expert produisit plus d'un rapport. En outre, le Tribunal a entendu le Dr. Richard Karmel, psychologue. en ce qui a trait au test MMPI qu`il a administré à Micheline Montreuil dans le cadre du mandat d'évaluation confié au Dr. Assalian. Le Dr. Karmel produisit également un rapport.

a) Le Dr. Pierre Assalian

[789] Le Dr. Assalian fut reconnu comme expert psychiatre, spécialisé en sexologie. Le Dr. Assalian a témoigné qu'il était le seul psychiatre du Québec qui est autorisé à signer les lettres qui autorisent les personnes souffrant de troubles de l'identité sexuelle pour que la Régie de l'assurance-maladie du Québec paie pour leur chirurgie de réassignation sexuelle. Cette affirmation fut contestée par Micheline Montreuil.

[790] Dans son témoignage, le Dr. Assalian a relaté que les personnes qui le consultent sont des personnes qui présentent un trouble de l'identité du genre. Dans toute sa carrière, il dit avoir reçu en entrevue près de 2 000 personnes présentant un trouble de l'identité du genre.

[791] La preuve démontre que le témoignage rendu à l'audience par le Dr. Asssalian est basé, en plus de la documentation fournie par l'intimée, sur un ensemble d'autres sources, dont le site internet de Micheline Montreuil, les témoignages des Dr. Côté et Tremblay, l'affidavit signé par Micheline Montreuil en date du 21 juin 2000, ainsi que les témoignages des trois témoins produits par Micheline Montreuil.

1. Le mandat du Dr. Assalian

[792] La preuve révèle que le mandat confié initialement par l'intimée au Dr. Assalian était, sur la base de la documentation fournie par l'intimée à propos de Micheline Montreuil, de dire si les Forces canadiennes étaient justifiées d'assigner à Micheline Montreuil une limitation médicale à l'emploi en raison de la présence d'un trouble de l'identité du genre.

[793] Il appert de la preuve que le Dr. Assalian demanda par la suite de faire une évaluation clinique de Micheline Montreuil parce que, selon son expression, c'était a high profile case et que cela lui permettrait de faire une évaluation de Micheline Montreuil au plan psychologique. Le Dr. Assalian affirmera dans son témoignage qu'il n'était pas nécessaire pour se former une opinion sur la situation de Micheline Montreuil qu'il le rencontre. Cela dit, le Dr. Assalian dira dans son témoignage que s'il a voulu rencontrer Micheline Montreuil, c'était afin d'évaluer un peu l'axe 2 (DSM-IV) et la possibilité d'engager une relation professionnelle avec Micheline Montreuil s'il le voulait. Pour le Dr. Assalian, il n'y aurait eu aucune valeur thérapeutique pour les médecins des Forces canadiennes à rencontrer Micheline Montreuil en entrevue.

[794] La preuve révèle que les Forces canadiennes accédèrent à cette demande et Micheline Montreuil fut vu par le Dr. Assalian et deux membres de son équipe, soit le Dr. Dufour et le Dr. Wilchesky, le 18 mai 2006. Le Dr. Assalian se vit alors confier le mandat de dire, sur la base de l'entrevue du 18 mai 2006 et des résultats du test psychologique MMPI-2, si une limitation médicale à l'emploi devait être imposée à Micheline Montreuil en raison de la présence d'un trouble de l'identité du genre. Les deux volets du mandat confié au Dr. Assalian se trouvent exposés à son premier rapport d'expertise.

2. Les rapports du Dr. Assalian

[795] La preuve établit que le Dr. Assalian fut signataire de quatre rapports. Un premier rapport rédigé seul sur la base de la documentation fournie par l'intimée, un rapport signé conjointement avec les Dr. Dufour et Wilchesky à la suite de l'examen clinique de Micheline Montreuil du 18 juin 2006, un ajout au rapport du 21 juin 2006 signé par les trois cliniciens et, finalement, un addendum signé par le Dr. Assalian après la divulgation du rapport du 18 mars 1998 rédigé par le Dr. Côté.

(1) Le premier rapport

[796] Le premier rapport du Dr. Assalian, daté du 21 juin 2006, porte sur l'analyse de la documentation que lui a fait parvenir l'intimée, sur l'entrevue du 18 mai 2006 à laquelle Micheline Montreuil avait été convié et sur les résultats du test MMPI-2.

[797] Dans son rapport, le Dr. Assalian fait état des critères diagnostiques qui se trouvent dans le DSM-IV en ce qui concerne les troubles de l'identité du genre et de son double mandat et fait une description des faits qu'il considère importants à son analyse à partir de la documentation obtenue de l'intimée.

[798] Le Dr. Assalian constate, dans son rapport, qu'aucun des médecins qui ont rédigé des rapports en relation avec la demande d'enrôlement de Micheline Montreuil n'est un expert reconnu dans les troubles de l'identité du genre selon les critères de Harry Benjamin et qu'aucune évaluation psychiatrique globale n'a été faite avant que des hormones féminines ne soient prescrites à Micheline Montreuil par son endocrinologue, ce qui, selon le Dr. Assalian, va à l'encontre des critères d'Harry Benjamin qui suggèrent un suivi psychiatrique de deux ans avant la prescription d'hormones.

[799] Dans son rapport, le Dr. Assalian se dit en désaccord avec l'opinion du Dr. Côté suivant laquelle Micheline Montreuil ne présente aucune pathologie psychiatrique. Selon le Dr. Assalin, s'appuyant sur le DSM-IV, le trouble de l'identité du genre est une pathologie psychiatrique. Le Dr. Assalian se dit d'opinion qu'au moment où il a fait sa demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes, Micheline Montreuil souffrait d'un trouble de l'identité du genre. Le Dr. Assalian se dit également en désaccord avec l'opinion du Dr. Côté à l'effet que la transformation incomplète chez Micheline Montreuil apparaît être un élément positif pour celui-ci.

[800] Pour le Dr. Assalian, la personne qui présente un trouble de l'identité du genre qui ne veut pas compléter le processus de changement de sexe est une personne instable, confuse, incertaine et ambivalente. Selon le Dr. Assalian, un processus incomplet de changement de sexe peut exister durant une certaine période de temps indéterminée mais pas pour toujours. Cela est signe, pour le Dr. Assalian, d'une crise identitaire.

[801] Pour le Dr. Assalian, une question demeure sans réponse quant à Micheline Montreuil: est-il un homme ou une femme? Le Dr. Assalian est d'avis que la personne qui se dit entre les deux sexes est une personne qui présente une psychopathologie, qu'une situation entre les deux sexes est, par définition, instable, que le désir de devenir totalement femme et d'aller de l'avant avec un processus de changement de sexe peut réapparaître.

[802] Le Dr. Assalian note, par ailleurs, dans son rapport que Micheline Montreuil, contrairement à ce qu'il avait affirmé, n'a pas cessé son hormonothérapie au début de l'année 2000 mais une année plus tard, soit en février 2001, qu'en mai 2006, il affirme ne pas vouloir de chirurgie de réassignation sexuelle, mais que, par ailleurs, à la fin de son entrevue du 18 mai 2006, il affirme que si son épouse voulait qu'il ait cette chirurgie, il accepterait. Pour le Dr. Assalian, cette ambivalence est signe d'un pauvre pronostic et que la condition pathologie de Micheline Montreuil est toujours active et instable.

[803] Pour le Dr. Assalian, il demeure une ambivalence qui, bien que possiblement cachée actuellement, pourrait réapparaître dans le futur face à une situation stressante. De l'avis du Dr. Assalian, que Micheline Montreuil intègre les Forces canadiennes en tant que femme ou en tant qu'homme, importe peu. La psychopathologie demeure la même. Il est clair pour lui que la condition d'entre deux dans laquelle se dit Micheline Montreuil conduira à une catastrophe. Pour le Dr. Assalian, confronté à une situation stressante, Micheline Montreuil sera en situation de crise avec possibilité d'une décompensation psychologique qui pourrait inclure une psychose, une dépression et possiblement conduire au suicide. Enfin, le Dr. Assalian note que l'auto-évaluation que Micheline Montreuil fait de lui-même au plan psychiatrique est sans valeur pour un psychiatre.

[804] En conclusion, le Dr. Assalian affirme qu'à la lumière de l'information qui lui fut fournie par les Forces canadiennes, de l'entrevue du 18 mai 2006 et du rapport rédigé par le Dr. Karmel, il est de son opinion que les Forces canadiennes étaient justifiées d'attribuer une limitation médicale à l'emploi à Micheline Montreuil basée sur une raison médicale, à savoir l'existence chez lui d'un trouble de l'identité du genre. Le Dr. Assalian dira dans son témoignage que la personne qui présente un trouble de l'identité du genre non résolu ne rencontre pas, suivant sa compréhension des normes en vigueur au sein des Forces canadiennes, ces normes.

(2) Le second rapport

[805] Le second rapport du Dr. Assalian fut co-signé par les Dr. Dufour et Wilchesky, toutes deux présentes lors de l'entrevue du 18 mai 2006. Le rapport fait état des résultats de l'entrevue du 18 mai 2006. Il est indiqué, dans le rapport, que le Dr. Assalian et son équipe ont pris connaissance avant l'entrevue de la documentation qui avait été acheminée au Dr. Assalian et, subséquemment, du rapport rédigé par le Dr. Karmel. Il appert, par ailleurs, de la preuve que le Dr. Assalian a pris connaissance du site internet de Micheline Montreuil après l'entrevue.

[806] Dans son rapport, les Dr. Assalian, Dufour et Wilcheschy font l'historique de la vie de Micheline Montreuil avec un accent particulier sur sa condition de transgenre. Il est noté que Micheline Montreuil se décrit comme transgenre, c'est-à-dire un homme qui possède les caractéristiques secondaires d'une femme grâce à la prise d'hormones féminines, comme une personne entre les deux, mais qu'il se perçoit comme une femme et qu'il ne ressent aucune souffrance dans son genre masculin.

[807] Dans leur rapport, le Dr. Assalian et ses collègues indiquent que, selon eux, l'historique de l'emploi de Micheline Montreuil suggère des hauts et des bas, d'investissements et de désinvestissements irréguliers et inconstants, que Micheline Montreuil n'est pas resté à l'emploi des Forces canadiennes par le passé de façon soutenue, signe pour eux d'une difficulté de faire des choix avisés. Le Dr. Assalian et ses collègues notent que Micheline Montreuil ne verbalise aucun malaise face à son genre masculin si ce n'est que par la préférence plus marquée pour le port de vêtements féminins, qu'il affirme qu'il ne veut pas être opéré parce qu'il est un transgenre vivant bien avec des attributs sexuels féminins et masculins et qu'il ne veut pas dépenser $25 000 pour une opération dont les résultats sont plus ou moins garantis, que sa conjointe le perçoit comme un homme et qu'elle ne désire pas qu'il se fasse opérer, mais que si sa conjointe le voulait, il pourrait se faire opérer.

[808] Selon le Dr. Assalian et ses collègues, il est clair que Micheline Montreuil présente un trouble de l'identité sexuelle selon les critères du DSM-IV. Micheline Montreuil leur est apparu, par ailleurs, comme une personne intelligente, articulée, qui fonctionne bien. Toutefois, écrivent-ils, il leur est apparu comme une personne qui n'est pas heureuse dans son genre biologique, qui possède un fond dépressif. Selon eux, l'hyperactivité de Micheline Montreuil et sa prestance oratoire servent à protéger Micheline Montreuil et lui évitent d'entrer en contact avec sa tristesse et de tomber dans un état dépressif manifeste, appelé dépression masquée.

[809] En ce qui a trait à sa personnalité, le Dr. Assalian et ses collègues indiquent dans leur rapport que Micheline Montreuil démontre des traits narcissiques évidents, indicateurs d'une fragilité narcissique. Selon le Dr. Assalian et ses collègues, Micheline Montreuil, de par sa faible tolérance à la frustration, son humeur labile, son irritabilité, sa colère contenue, son besoin de contrôle, son hyperactivité, son anxiété, son omnipotence et la précarité de ses mécanismes de défense, répond aux critères diagnostiques de la personnalité limite, tels que décrit au DSM-IV, avec risque de décompensation. Selon leur rapport, le risque de décompensation est présent et imprévisible tant dans sa forme que par l'événement déclencheur.

[810] Les auteurs du rapport signalent, par ailleurs, que la détresse psychologique a été observée lors de la rencontre d'évaluation, ainsi qu'une fragilité du moi de la personne. Pour les auteurs du rapport, en raison de cette fragilité, il est possible qu'il y ait passage à l'acte en situation de stress, tel que suicide, acte de mutilation, dépression profonde, incapacité à faire face aux exigences de la fonction, urgence opératoire pour le changement de sexe ou tout ce qui pourrait représenter un appel au secours.

[811] Le Dr. Assalian et ses collègues concluent dans leur second rapport que Micheline Montreuil présente un trouble de la personnalité limite ou une personnalité borderline.

(3) Le troisième rapport

[812] Le troisième rapport, qui constitue un ajout au rapport d'expert du 21 juin 2006, est signé par le Dr. Assalian, le Dr. Dufour et le Dr. Wilchesky. Il porte exclusivement sur le rapport rédigé par le Dr. Côté en date du 18 mars 1998.

[813] Dans leur rapport, le Dr. Assalian et ses collègues indiquent que le rapport du Dr. Côté illustre les observations cliniques et les impressions diagnostiques de leur rapport du 21 juin 2006 et confirme leur conclusion que la condition médicale de Micheline Montreuil comporte une crainte réelle de décompensation en situation de stress. Selon les auteurs, la conclusion à laquelle arrive le Dr. Côté, à savoir que Micheline Montreuil n'avait pas eu, lors de sa démission du Collège Garneau en décembre 1997, la capacité de prendre une décision éclairée parce qu'il n'avait pas la capacité de réfléchir adéquatement à sa situation après qu'il eut été confronté pour la première fois de sa vie à sa double identité s'appuie sur des symptômes, divulgués par Micheline Montreuil, qui mettent à jour la fragilité narcissique de celui-ci.

[814] En outre, s'appuyant sur les cinq parties intérieures décrites par Micheline Montreuil et dont fait état le rapport Côté, le Dr. Assalian et ses collègues en infèrent que Micheline Montreuil a été dans l'obligation de se subdiviser en cinq personnes indépendantes pour survivre dans le monde extérieur. Pour le Dr. Assalian et ses collègues, le rapport du Dr. Côté met en évidence un symptôme dissociatif présent chez Micheline Montreuil. Selon eux, le Dr. Côté met en relief le fait que Micheline et Pierre sont deux personnes différentes, que Micheline doit contenir la souffrance de Pierre, souffrance toujours présente bien qu'ignorée de Micheline, que cette souffrance découle de peurs, d'incertitudes, de colères et de blessures profondes qui peuvent trouver une libération à travers une démarche thérapeutique mais qui peuvent mener à une décompensation quand elles sont niées.

(4) Le quatrième rapport

[815] Le quatrième rapport constitue un addendum au rapport d'expert du Dr. Assalian du 21 juin 2006. Dans son rapport, le Dr. Assalian indique qu'à la suite de la lecture du rapport du Dr. Côté, son opinion sur le fait que, face à des situations stressantes, Micheline Montreuil se retrouvera en situation de crise avec une possibilité de décompensation psychologique incluant psychose, dépression sévère et suicide se trouve, selon lui, confirmée.

[816] Pour le Dr. Assalian, la référence par le Dr. Côté dans son rapport à cinq parties chez Pierre Montreuil, à l'incapacité de Pierre Montreuil de prendre une décision éclairée parce qu'il n'avait pas la capacité adéquate de réfléchir à sa situation, au fait que Pierre Montreuil se sent aussi bien en Pierre qu'en Micheline et parfois mieux en Micheline sont autant de symptômes de dissociation.

[817] Pour le Dr. Assalian, tous ces éléments sont des signes que non seulement Micheline Montreuil souffrait d'un trouble de l'identité du genre non résolu lors de sa demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes mais qu'il souffre encore de cette condition en plus d'un désordre psychiatrique dû à la présence d'un égo faible ne lui permettant pas de faire face à la frustration et à des situations stressantes. Le Dr. Assalian est d'avis que face à des situations stressantes, Micheline Montreuil peut décompenser, qu'il peut devenir psychotique, d'où son incapacité à prendre des décisions.

b) Le Dr. Richard Karmel

[818] Le Dr. Karmel est psychologue. Il fut qualifié par le Tribunal comme spécialiste dans l'administration et l'interprétation des résultats de tests MMPI. Il fut appelé, à la suite, de l'entrevue que le Dr. Assalian et ses collègues eurent avec Micheline Montreuil le 18 mai 2006 à lui administrer le test MMPI. Les résultats du test sont contenus dans un rapport daté du 18 mai 2006.

[819] Dans son rapport, le Dr. Karmel conclut que la façon dont Micheline Montreuil répondit au test dénote une personne très défensive où le bien-être de la personne et sa normalité sont accentués à l'extrême. Le Dr. Karmel note dans son rapport que Micheline Montreuil fera tout pour apparaître au-dessus de tout reproche et dans une catégorie spéciale, afin de projeter une image angélique et nier toute faiblesse.

[820] En conclusion, le Dr. Karmel est d'avis que toute évaluation clinique de Micheline Montreuil ne pourra donner lieu à une présentation d'elle-même qui soit franche et honnête. Au contraire, la présence d'une attitude défensive sophistiquée prévaudra. La motivation de Micheline Montreuil sera sans doute orientée vers le maintien de sa vision des choses ou de sa version de la vérité.

c) Le Dr. Édouard Beltrami

1. Le mandat du Dr. Beltrami

[821] La Commission a fait entendre, dans le présent dossier, le Dr. Edouard Beltrami comme expert. Le Tribunal a reconnu au Dr. Beltrami la qualité d'expert psychiatre et sexologue clinicien spécialisé en médecine sexuelle et en médecine du travail. Le Tribunal lui a aussi reconnu une connaissance particulière en ce qui a trait à l'administration, l'interprétation et l'utilisation du test MMPI.

[822] La preuve révèle que ce qui était demandé par la Commission au Dr. Beltrami était d'évaluer a) si les informations de nature médicale fournies par Micheline Montreuil et, en particulier, les rapports des docteurs Lehoux, Tremblay et Côté pouvaient permettre aux Forces canadiennes de conclure que Micheline Montreuil souffrait d'une condition médicale pouvant compromettre son travail au sein des Forces canadiennes, b) quelles étaient les démarches nécessaires pour poser un diagnostic de trouble d'identité sexuelle, c) qui pouvait poser un tel diagnostic d) si une personne peut confirmer qu'elle ne nécessitera pas de soutien médical ou psycho-thérapeutique dans les 30 prochaines années et e) d'expliquer le HBIGDA.

2. Les rapports du Dr. Beltrami

[823] Le preuve révèle que le Dr. Beltrami produisit trois rapports d'expert. Le premier rapport porte sur l'aptitude de Micheline Montreuil à effectuer, d'un point de vue psychiatrique, les tâches communes exigées de tout militaire au sein des Forces canadiennes, le second porte sur l'évaluation psychiatrique de Micheline Montreuil et, enfin, le troisième constitue une réponse à deux des rapports rédigés par le Dr. Assalian et ses collègues, tous les deux portant sur le rapport Côté.

(1) Le premier rapport

[824] Le premier rapport du Dr. Beltrami se fonde, d'une part, sur la documentation que les Dr. Lehoux, Côté et Tremblay acheminèrent, en 2005, à l'un des procureurs des Forces canadiennes à la suite d'une ordonnance du Tribunal. Les documents transmis alors par les Dr. Lehoux et Tremblay sont en fait le dossier médical intégral qu'ils avaient sur Micheline Montreuil. En ce qui concerne le Dr. Côté, celui-ci ne possédait pas de dossier médical sur Micheline Montreuil, sa pratique étant de détruire ses dossiers après cinq ans.

[825] D'autre part, le Dr. Beltrami se fonde sur certains rapports médicaux que les Dr. Lehoux, Côté et Tremblay firent parvenir aux Forces canadiennes dans le cadre de leur évaluation du dossier médical de Micheline Montreuil en rapport avec sa demande d'enrôlement de 1999.

[826] Il importe de signaler ici qu'au moment de leur évaluation du dossier médical de Micheline Montreuil, les Forces canadiennes ne disposaient pas des documents que le Dr. Lehoux et le Dr. Tremblay firent parvenir en 2005 à l'un des procureurs des Forces canadiennes. En fait, la preuve révèle que ces dossiers ne furent jamais acheminés aux médecins des Forces canadiennes.

[827] Lors de son contre-interrogatoire, le Dr. Beltrami dut reconnaître que lors de la rédaction de son rapport, il n'avait pas entre les mains les documents suivants : le rapport d'examen médical en vue de l'enrôlement complété en octobre 1999 lorsque Micheline Montreuil fit sa demande d'enrôlement, non plus que la demande de divulgation complétée par Micheline Montreuil en octobre 1999, la lettre du 9 novembre 1999 du Dr. Collins au Dr. Boddam, la lettre du 22 décembre 1999 de Micheline Montreuil au Dr. Collins, la lettre du 5 janvier 2000 du Dr. Collins au Dr. Boddam, celle du 20 janvier 2000 du Dr. Collins au major Ménard.

[828] Enfin, le premier rapport du Dr. Beltrami se fonde sur certaines lettres que le Dr. Collins et le Dr. Wright, deux officiers médicaux au recrutement, firent parvenir à Micheline Montreuil en rapport avec l'évaluation de son dossier.

(a) Le dossier médical du Dr. Lehoux

[829] Il appert du premier rapport du Dr. Beltrami que celui-ci n'a pas considéré le rapport médical que le Dr. Lehoux fit parvenir en 1999 aux médecins des Forces canadiennes mais uniquement le dossier médical qu'elle fit parvenir à l'un des procureurs des Forces canadiennes en novembre 2005 et qui n'était pas en possession des Forces canadiennes au moment de leur évaluation du dossier médical de Micheline Montreuil en 1999. De l'avis du Tribunal, aucune conclusion valable ne peut être tirée de l'analyse que fit le Dr. Beltrami du dossier médical que fit parvenir le Dr. Lehoux au procureur des Forces canadiennes en 2005.

(b) Le dossier médical et les rapports du Dr. Côté

[830] Dans son expertise, le Dr. Beltrami semble considérer comme faisant partie d'un tout le document acheminé par le Dr. Côté à l'un des procureurs des Forces canadiennes en 2005 qui faisait référence à l'expertise de 1998 et les rapports d'octobre et de décembre 1999 que le Dr. Côté fit parvenir aux Forces canadiennes. Il ne semble pas avoir considéré le document de novembre 2001 ayant trait à la demande de renseignements médicaux.

[831] Cette méprise du Dr. Beltrami, qui confond deux dossiers différents, celui du Collège Garneau et celui des Forces canadiennes, fragilise ses conclusions. Cela dit, le Dr. Beltrami n'en conclut pas moins que les informations transmises en 1999 aux Forces canadiennes ne lui auraient pas suffi et qu'il aurait demandé une autre évaluation. En outre, en ce qui concerne la question d'une transformation partielle, le Dr. Beltrami exprime l'opinion que les Forces canadiennes auraient dû demander une évaluation plus poussée ou encore faire expertiser Micheline Montreuil par l'un de leurs experts afin d'avoir une idée plus précise.

(c) Le dossier médical et les rapports du Dr. Tremblay

[832] Dans son premier rapport, le Dr. Beltrami se réfère, d'une part, au dossier médical complet que détenait le Dr. Tremblay sur Micheline Montreuil, ainsi qu'aux lettres qu'il fit parvenir aux médecins des Forces canadiennes en octobre 1999 et en mars 2000. Il est très clair, à la lecture du rapport du Dr. Beltrami, que celui-ci a fusionné les informations contenues dans le dossier médical que le Dr. Tremblay avait constitué sur Micheline Montreuil et qui n'était pas en possession des Forces canadiennes au moment de leur évaluation du dossier médical de Micheline Montreuil et celles contenues dans son rapport d'octobre 1999. Cette méprise, tout comme dans le cas du Dr. Côté, fragilise ses conclusions.

[833] Cela dit, le Dr. Beltrami note que, dans son rapport d'octobre 1999, le Dr. Tremblay semble indiquer que Micheline Montreuil va suivre la procédure de transsexualité jusqu'au bout alors que le Dr. Côté, dans sa lettre, signalait que cette personne ne voulait pas aller jusqu'au bout. Le Dr. Tremblay conclut que, devant une telle situation, on aurait pu demander une évaluation externe faite par des experts reconnus dans le domaine.

[834] Par ailleurs, en ce qui concerne le rapport du 15 mars 2000 du Dr. Tremblay, le Dr. Beltrami indique qu'il existe ici un questionnement vu que Micheline Montreuil avait décidé de ne pas perdre sa capacité sexuelle physique et de ne pas avoir une régression trop importante du pénis, de ne pas aller jusqu'au bout et de s'orienter probablement vers ce qu'on appelle la personne transgenre. À son avis, le Dr. Tremblay ne comprenait pas ce qui se passait à l'égard de Micheline Montreuil. Le Dr. Beltrami dit dans son rapport comprendre que les Forces canadiennes aient considéré que l'évolution de Micheline Montreuil n'était pas typique d'une transsexualité.

[835] Outre les rapports et les dossiers des Dr. Lehoux, Côté et Tremblay, le Dr. Beltrami a également considéré certaines lettres acheminées par des médecins des Forces canadiennes à Micheline Montreuil, soit celles du Dr. Collins du 10 décembre 1999, du 9 mars 2000, du 17 mai 2000, ainsi que la lettre du 30 juillet 2002 du Dr. Wright.

(d) Les lettres du Dr. Collins

[836] En ce qui concerne la lettre du 10 décembre 1999, le Dr. Beltrami indique dans son rapport que la demande d'informations additionnelles de la part du psychiatre de Micheline Montreuil est tout à fait justifiée et que les médecins des Forces canadiennes avaient raison de demander une évaluation plus poussée surtout sur le plan psychologique et aussi de détailler davantage le cheminement atypique de Micheline Montreuil. En ce qui concerne les deux autres lettres du Dr. Collins, le Dr. Beltrami m'émet aucun commentaire.

(e) La lettre du Dr. Wright

[837] Dans son rapport, le Dr. Beltrami fait état du contenu de la lettre, notamment du fait qu'on a modifié les limitations médicales parce que les traitements d'identité du genre ont été modifiés, qu'une condition chronique a été diagnostiquée par un spécialiste, soit le Dr. Tremblay, que le traitement a été interrompu, qu'il existe un risque de récidive.

[838] Pour le Dr. Beltrami, si on suit le raisonnement à la lettre, on doit considérer d'une manière générale que le trouble de l'identité du genre est un trouble permanent, que ce trouble a été diagnostiqué par le Dr. Tremblay, un spécialiste dans le domaine bien qu'il ne soit pas psychiatre, que d'habitude le traitement doit aller jusqu'au bout et que donc il s'agit d'une personne qui a un problème chronique mais qui ne reçoit pas les traitements pour ce problème et qui pourrait en avoir besoin par la suite. Le Dr. Beltrami ajoutera en ce qui concerne cette dernière lettre qu'il y a dans celle-ci un raisonnement qui n'est peut-être pas parfait mais qui peut se tenir debout.

[839] Par ailleurs, le Dr. Beltrami semble conclure dan son premier rapport que, dans la documentation consultée dans le cadre de la rédaction de son rapport, il n'y a rien qui lui fait dire que Micheline Montreuil n'était pas en mesure d'exécuter, d'un point de vue psychiatrique, les tâches décrites à l'Énoncé de tâches communes qui s'appliquent à tous les membres des Forces canadiennes. Or, la preuve révèle que cet élément ne constitue pas un élément litigieux dans le présent dossier, le Colonel Fletcher ayant affirmé dans son témoignage que les tâches communes se rapportent au facteur occupationnel du profil médical et le Dr. Newnham ayant affirmé dans son témoignage que la capacité de Micheline Montreuil d'exécuter ces tâches n'était pas contestée par les Forces canadiennes. En conséquence, les conclusions du Dr. Beltrami quant à l'aptitude de Micheline Montreuil à effectuer de telles tâches ont peu d'utilité pour les fins du présent dossier.

(2) Le second rapport

[840] Dans son deuxième rapport, le Dr. Beltrami fait état de ses constatations à la suite de l'évaluation clinique de Micheline Montreuil. Son évaluation est basée à la fois sur une entrevue avec Micheline Montreuil et un test MMPI qui lui fut administré.

[841] Le Dr. Beltrami note que Micheline est un male biologique. Contrairement à ce qu'il indique dans son rapport, la preuve révèle que Micheline Montreuil a une carte d'assurance-maladie qui l'identifie comme une personne de sexe masculin. Dans son rapport, le Dr. Beltrami fait l'historique de la problématique de Micheline Montreuil. Cet historique est essentiellement basé sur les informations que lui transmet Micheline Montreuil.

[842] Dans cet historique, Micheline Montreuil mentionne l'épisode du Collège Garneau. Suivant le rapport du Dr. Beltrami, Micheline Montreuil indique qu'attendu sa prédilection à s'habiller en femme, il a été aperçu dans un centre d'achats de la ville et le Collège a considéré que cela n'était pas adéquat pour l'enseignement, qu'à cette époque, on a demandé au Dr. Côté, une expertise psychiatrique, Micheline Montreuil ayant été devant le choix, soit de signer une démission ou d'être congédié. Le Tribunal note qu'aucune mention n'est faite des éléments relatés dans l'affidavit signé en juin 2000 par Micheline Montreuil qui fait état de l'état dépressif dans lequel il se trouvait dans les semaines et les mois qui ont suivi sa démission du Collège Garneau et des idées suicidaires qu'il entretenait alors.

[843] Le Dr. Beltrami note, par ailleurs, dans son rapport que Micheline Montreuil lui indique que c'est un agrément que d'être habillé en femme, que tout est plus facile, tout est plus simple, que les habits sont moins chauds l'été, qu'il y a moins de poches encombrantes. Micheline Montreuil lui indique, note le Dr. Beltrami, que s'il avait la possibilité d'être une femme entière et complète, même peut-être d'avoir des enfants, l'opération en vaudrait la peine mais que son expérience lui a appris que les opérations sont complexes, pas parfaites et que cela n'en vaut pas la peine. Il indique, en outre, que, pour Micheline Montreuil, tout le monde réalise qu'il est transgenre et éventuellement transsexuelle.

[844] Dans son rapport, le Dr. Beltrami note également que Micheline Montreuil ne nie pas être un homme, dit qu'il se place dans un groupe intermédiaire et se considère dans une mouvance, répète qu'il est plus confortable d'être habillé en femme qu'en homme et plaint les hommes d'être obligés d'avoir à porter de gros vêtements lourds, réalise qu'il a plus de poitrine que de hanches et que les vêtements de femme lui vont mieux. Par ailleurs, questionné sur la signification particulière du terme transgenre pour lui, Micheline Montreuil indique que c'est quelqu'un qui veut vivre avec des seins et un pénis. Pour lui, une personne transgenre est une personne qui souhaite ne pas se faire opérer et rester entre les deux et qu'un des avantages d'être transgenre, c'est que c'est une situation réversible.

[845] Par ailleurs, sur la base des résultats du test MMPI qu'il a administré à Micheline Montreuil, le Dr. Beltrami note que Micheline Montreuil présente au niveau des échelles de validité (L, F et K) un V qui peut être considéré comme défensif. Cela dit, le Dr. Beltrami considère que le test n'est pas invalide.

[846] En ce qui concerne l'échelle L, qui est assez élevée, le Dr. Beltrami note que ce score peut indiquer une tendance à la négation, à la répression, un manque d'introspection et le désir d'une personne de se présenter comme vertueuse. En ce qui a trait à l'échelle K, le Dr. Beltrami note que, bien qu'elle ne soit pas excessivement élevée, elle peut indiquer une attitude défensive ou un sentiment que tout va bien et une personne qui se sent bien adaptée, sûre de ses moyens et peu encline à rechercher de l'aide.

[847] En conclusion, le Dr. Beltrami indique que, s'appuyant sur les scores eux-mêmes, sur les recommandations d'un auteur connu, en comparant quelqu'un qui postule dans l'armée et quelqu'un qui postule dans l'aviation, pour lui, le test MMPI qu'il a fait passer à Micheline Montreuil est valide.

[848] Ayant conclu que le test MMPI était valide, le Dr. Betrami procède à en interpréter les résultats. Il en déduit que Micheline Montreuil ne présente pas de troubles bi-polaires, n'a aucune tendance à la dépression majeure ou à la dépression mineure même dans des moments de difficulté, n'a pas de tendance anti-sociale, ne présente pas de méfiance pathologique et de paranoïa, est bien adaptée, bien organisée, ponctuelle, fidèle, a une bonne capacité d'agir logiquement et de façon réfléchie, est bien équilibrée. Il constate que Micheline Montreuil n'a pas d'anxiété obsessionnelle, n'a pas de conflits fréquents au travail, n'a pas de délire et ne présente aucun indice de dissociation.

[849] En conclusion, le Dr. Beltrami élimine, à la différence du Dr. Assalian, tout trouble de personnalité borderline mais note des traits histrioniques (tendance à se faire valoir) et narcissiques. Eu égard aux cinq axes d'évaluation du DSM-IV, le Dr. Beltrami conclut quant à l'axe 1, la présence d'un trouble d'identité du genre peu relaté dans la littérature scientifique quant aux personnes transgenres, quant à l'axe 2, de légers traits histrioniques et narcissiques n'atteignant pas le niveau de trouble de la personnalité, quant à l'axe 3, une bonne santé physique, quant à l'axe 4, une personne qui ne semble pas trop affectée par les litiges légaux et que le Dr. Beltrami ne considère pas automatiquement comme des facteurs de stress et quant à l'axe 5, un fonctionnement à 80% qui indique un fonctionnement adéquat en société.

[850] Comme conclusion générale à son rapport, le Dr. Beltrami indique qu'il lui a été difficile de vraiment percevoir de l'intérieur ou être capable d'empathie avec ce qui pouvait pousser à ce point chez Micheline Montreuil le désir de se présenter en tant que femme, cela d'autant plus que Micheline Montreuil dit n'avoir rien contre le côté masculin, n'avoir rien contre le pénis, contre les plaisirs du pénis et n'est pas aussi verbale et pas aussi insistante pour se dire absolument femme et rien d'autre comme le sont les transsexuels habituellement. Le Dr. Beltrami dit qu'il est pour lui difficile de percevoir les forces vives qui poussent Micheline Montreuil à vivre en femme plutôt qu'en homme. Il note que lorsque Micheline Montreuil dit qu'elle préfère les vêtements féminins aux vêtements masculins, c'est parce que les vêtements féminins sont plus agréables à porter, il n'arrive pas à sentir l'intensité qui la porte à faire autant de démarches importantes à ce niveau, notant que cela tient davantage de la philosophie que de la médecine.

[851] Enfin, pour le Dr. Beltrami, ce qui compte, c'est qu'il n'y a pas de dépression, pas de trouble de la personnalité limite, une bonne adaptation sociale, que le seul problème est ce désir de vouloir se présenter dans un sexe autre que le sien, sans vouloir de transformation complète; pour lui, le fait qu'il n'y a pas d'opération en vue et qu'il n'y a pas de fluctuation hormonale semble indiquer qu'on serait en face d'une certaine stabilité.

[852] Le Dr. Beltrami reconnaît, toutefois, chez Micheline Montreuil la présence de moments dissociatifs, caractérisés par une certaine somnolence par opposition à des traits dissociatifs ou encore à des troubles dissociatifs. Selon le Dr. Beltrami, les troubles dissociatifs nuisent au fonctionnement d'une personne alors que ce n'est pas le cas pour les traits dissociatifs. Le Dr. Beltrami dit n'avoir constaté chez Micheline Montreuil aucun trouble dissociatif ou la présence d'une personnalité multiple.

(3) Le troisième rapport

[853] Le troisième rapport du Dr. Beltrami consiste en une analyse du document du Dr. Assalian et de son équipe au sujet du rapport du Dr. Côté de 1998 et de l'addendum du Dr. Assalian à son rapport du 21 juin 2006.

[854] En ce qui concerne ces documents, se basant sur le contenu du rapport Côté, le Dr. Beltrami indique qu'il y a plus de stabilité chez Micheline Montreuil qu'il peut être apparent, qu'il n'y a pas de personnalité multiple, ni de troubles dissociatifs, que l'affirmation que Micheline Montreuil sert de paratonnerre contre les intrusions du monde extérieur et apaise la souffrance de Pierre Montreuil est une affirmation gratuite, qu'il n'y a pas, selon lui, de symptôme dissociatif. En dernière analyse, le Dr. Beltrami considère les affirmations contenues dans l'addendum non fondées.

(ii) Le trouble de l'identité du genre

[855] En la présence instance, la question s'est posée quant à savoir si Micheline Montreuil, qui se dit une personne transgenre, présente un trouble de l'identité du genre. À cet égard, Micheline Montreuil nie vigoureusement, dans son témoignage, être atteint ou présenter un trouble de l'identité du genre, spécifique ou non, le fait d'être transgenre constituant, pour lui, une réalité sociale et nullement une pathologie psychiatrique.

[856] La preuve révèle que, d'un point de vue psychiatrique, le trouble de l'identité sexuelle, aussi appelé trouble de l'identité du genre ou dysphorie du genre, fait partie des maladies psychiatriques qui figurent au DSM-IV (Diagnostic Statistical Manual for Mental Disorders) de l'Association des psychiatres américains (APA).

[857] Il importe de préciser ici que le DSM-IV ne comporte aucune référence à la transsexualité ou à la personne transsexuelle alors que la version précédente du DSM, soit le DSM-III-R (1987) y faisait référence. Aucune référence ne s'y trouve quant à la notion de transgenre. Dans le DSM-IV (1994), c'est la notion de trouble de l'identité sexuelle qui fut préférée et dans laquelle se trouvent incorporées les notions de personnes transsexuelles et de transsexualité ou de transsexualisme.

[858] Cela dit, la profession médicale s'accorde néanmoins pour reconnaître que la problématique du travestisme, de la transsexualité, du transgendérisne fait partie, d'un point de vue médical, des troubles de l'identité du genre. Du reste, tant le Dr. Beltrami que le Dr. Assalian s'accordent à dire que les personnes transsexuelles et transgenres sont couvertes par la rubrique Troubles de l'identité sexuelle du DSM-IV.

[859] Pour les fins du présent dossier, il importe d'examiner le trouble de l'identité du genre en rapport avec le DSM-IV, ainsi que le trouble de l'identité du genre en relation avec Micheline Montreuil.

a) Le trouble de l'identité du genre et le DSM-IV

[860] Dans le monde médical, plus particulièrement celui de la psychiatrie, le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) est considéré comme la bible mondiale des troubles psychiatriques dont l'objet est de permettre une aide au diagnostic et de faire en sorte que les médecins aient un langage commun dans la classification des troubles psychiatriques. Le DSM-IV fut, dans le cadre du présent litige, au cur des discussions entourant l'existence ou non chez Micheline Montreuil d'un trouble de l'identité du genre et d'un trouble de la personnalité limite. La portée des critères diagnostiques qui apparaissent au DSM-IV fut expliquée au Tribunal par le Dr. Assalian.

[861] Il ressort des explications fournies par le Dr. Assalian et du DSM-IV que le médecin, appelé à établir un diagnostic psychiatrique, doit le faire en fonction de cinq axes, chacun représentant un domaine particulier d'évaluation, susceptible d'aider le clinicien dans son choix thérapeutique.

1. Les cinq axes

[862] Le DSM-IV établit que la détermination d'une pathologie psychiatrique (l'évaluation de l'état mental d'une personne) doit se faire en fonction de cinq axes. Dans le cadre de son témoignage, le Dr. Assalian a longuement commenté les cinq axes décrits au DSM-IV pour évaluer une personne.

[863] Selon le Dr. Assalian, l'axe 1, les troubles cliniques, établit la pathologie principale pour laquelle la personne consulte en psychiatrie, telle que le trouble de l'identité sexuelle, la dépression, l'anxiété, l'axe 2, les troubles de la personnalité, établit la ou les pathologies accessoires, telles que la paranoïa, la personnalité limite, le narcissisme, l'axe 3, les affections médicales générales, concerne la maladie physique qui peut exister de façon concomitante, l'axe 4, les problèmes psychosociaux et environnementaux, concerne les stresseurs, tels que une perte d'emploi, la perte de l'estime de soi, une perte d'argent, et enfin l'axe 5 vise le fonctionnement de la personne immédiatement avant son évaluation.

[864] En ce qui concerne l'axe 4, il importe de préciser que cet axe concerne les problèmes psychosociaux qui peuvent affecter le diagnostic, le traitement et le pronostic des troubles mentaux. Suivant le DSM-IV, un problème psychosocial ou environnemental peut se présenter sous la forme d'un événement de vie négatif, d'une difficulté ou d'une déficience de l'environnement, d'un stress familial ou interpersonnel, d'une inadéquation du support social ou de ressources personnelles ou de tout autre problème relatif à un contexte dans lequel les difficultés de la personne se sont développées.

[865] Suivant le DSM-IV, l'axe 5 permet au clinicien d'indiquer un jugement sur le niveau de fonctionnement global de l'individu. L'enregistrement du fonctionnement global sur l'axe 5 se fait à partir d'une échelle particulière, appelée Échelle d'évaluation globale du fonctionnement (EGF). Cette échelle peut être particulièrement utile pour suivre globalement les progrès cliniques des individus au moyen d'une note unique. Cette échelle doit être cotée en tenant compte uniquement du fonctionnement psychologique, social et professionnel de la personne. L'échelle est divisée en dix niveaux de fonctionnement. Coter l'échelle d'évaluation revient à choisir le niveau qui reflète le mieux le niveau global de fonctionnement.

[866] Par exemple, s'il appert qu'une personne se situe au niveau 80, comme c'est le cas pour Micheline Montreuil, cela signifie que si des symptômes sont présents, ils sont transitoires et il s'agit de réactions prévisibles à des facteurs de stress, pas plus qu'une altération légère du fonctionnement social, professionnel ou scolaire.

2. Les critères cliniques

[867] En ce qui concerne les troubles de l'identité du genre, le DSM-IV distingue trois catégories, soit les troubles de l'identité sexuelle chez les enfants F64.2 (302.6), les troubles de l'identité sexuelle chez les adolescents et les adultes F64.0 (302.85) et les troubles de l'identité sexuelle non spécifiés F64.9 (302.6). En l'espèce, seuls les troubles de l'identité sexuelle chez les adultes et les troubles de l'identité sexuelle non spécifiés seront considérés.

(1) Les troubles de l'identité sexuelle chez l'adulte F64.9 (302.85)

[868] Selon le DSM-IV, en ce qui concerne le diagnostic du trouble de l'identité sexuelle ou du genre chez les adolescents et les adultes, il importe que les critères suivants soient rencontrés :

Critère A : Existence d'une identification intense et persistante à l'autre sexe, à savoir le désir d'appartenir à l'autre sexe ou l'affirmation qu'on en fait partie. Cette identification à l'autre sexe ne doit pas se réduire simplement au désir d'obtenir les bénéfices culturels dévolus à l'autre sexe.

Chez les adolescents et les adultes, la perturbation se manifeste par des symptômes comme l'expression du désir d'appartenir à l'autre sexe, l'adoption fréquente de conduite où on se fait passer pour l'autre sexe, un désir de vivre et d'être traité comme l'autre sexe.

Critère B : Sentiment persistant d'inconfort par rapport à son sexe ou sentiment d'inadéquation par rapport à l'identité du rôle correspondant. Chez les garçons, assertion que son pénis ou ses testicules sont dégoûtants ou vont disparaître, qu'il vaudrait mieux ne pas avoir de pénis.

Critère C : Le diagnostic de trouble de l'identité sexuelle ne doit pas être posé si le sujet a une affection intersexuelle physique concomitante de type hermaphrodite.

Critère D : Existence d'un désarroi cliniquement significatif ou d'une altération du fonctionnement social ou professionnel d'autres domaines importants dans la vie.

[869] Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV) de 1994 indique, par ailleurs, que les `adultes présentant un trouble de l'identité sexuelle sont préoccupés par leur désir de vivre en tant que membre du sexe opposé. Cette préoccupation peut se manifester par un désir intense d'adopter le rôle social de l'autre sexe ou d'acquérir l'apparence physique de l'autre sexe par une technique hormonale ou chirurgicale. Les adultes présentant ce trouble éprouvent un sentiment d'inconfort à être considérés par autrui comme un membre de leur sexe assigné, ou à fonctionner en société en tant que tel. Ils adoptent le comportement, l'habillement, et les manières du sexe opposé de diverses façons'.

(2) Les troubles de l'identité sexuelle non spécifié F64.9 (302.6)

[870] Dans l'hypothèse où une personne ne rencontre pas les quatre critères diagnostiques formels du DSM-IV, le DSM-IV prévoit une autre catégorie diagnostique, soit celle du trouble de l'identité du genre non spécifié. Selon la littérature, entre dans cette catégorie une diversité d'individus, incluant ceux qui désirent uniquement la castration ou l'ablation du pénis sans désir d'avoir des seins, ceux qui désirent une hormonothérapie ou une mastectomie sans reconstruction génitale, ceux qui ont une condition intersexe, ceux qui se travestissent de façon transitoire pour faire face au stress, ceux qui éprouvent énormément d'ambivalence quant à l'abandon de leur genre natal (The Harry Benjamin International Gender Dysphoria Association's Standards of Care for Gender Identity Disorders, sixième version, février 2001).

[871] Se référant au DSM-IV, le Dr. Assalian indique dans son témoignage que la dysphorie du genre est contenue sous le vocable Trouble de l'identité sexuelle, que les deux termes sont synonymes. En outre, le Dr. Assalian affirme que la catégorie Trouble de l'identité sexuelle englobe également le transsexualisme. Selon les catégories qui figurent au DSM-IV, la personne transgenre est, pour le Dr. Assalian, sur le même pied que la personne transsexuelle, que la personne qui souffre d'un trouble de l'identité du genre. Pour les fins du DSM-IV, la personne transgenre tombe sous la désignation GIDNOS (Gender Identity Disorder Not Otherwise Specified), trouble de l'identité sexuelle non autrement spécifié.

[872] Ainsi, pour le Dr. Assalian, les termes transsexuel, transgenre, dysphorie du genre et trouble de l'identité sexuelle, c'est du pareil au même. Les termes sont interchangeables et tombent tous dans la grande catégorie de troubles de l'identité sexuelle. En ce qui concerne Micheline Montreuil, le Dr. Assalian est d'avis que Micheline Montreuil est un transsexuel, de type secondaire en ce que la personne découvre sur le tard qu'elle n'est pas bien dans le corps dans lequel elle vit et décide de sortir du placard.

[873] Pour le Dr. Assalian, suivant le DSM-IV, le trouble de l'identité sexuelle se caractérise par une identification forte et persistante pour une personne, par exemple, née biologiquement homme, de s'identifier comme femme, notamment par le port de vêtements féminins, le maquillage, la coiffure, le changement de nom, les sous-vêtements, le désir de passer comme membre de l'autre genre et le désir de vivre et d'être accepté comme les personnes du genre opposé. Le désir de la personne de vivre en tant que membre du sexe opposé est, selon le Dr. Assalian, si intense que la personne veut adopter aussi le rôle social de l'autre sexe.

[874] Par ailleurs, le Dr. Assalian précise dans son témoignage qu'une autre caractéristique du trouble de l'identité sexuelle est l'inconfort persistant de la personne avec son genre, dans son identité d'homme ou de femme. Les personnes qui présentent un trouble de l'identité du genre, selon le Dr. Assalian, sont des personnes qui pensent qu'elles sont enfermées dans le mauvais sexe ou corps et qui veulent appartenir à l'autre sexe. Elles veulent réparer le problème en demandant des traitements hormonaux et ou chirurgicaux. Dans ce contexte, un homme, par exemple, va sentir que son sexe génital est inapproprié à son rôle; il va ressentir une certaine aversion ou un dégoût pour son membre génital, son pénis, ses testicules.

[875] Le Dr. Assalian reconnaît, toutefois, qu'il y a des personnes, identifiées comme présentant un trouble de l'identité du genre, qui parfois ne veulent pas aller jusqu'à la chirurgie de réassignation sexuelle mais qui veulent transformer leur corps pour qu'il concorde à leur conviction interne qu'ils sont du sexe opposé.

[876] Pour le Dr. Assalian, une autre caractéristique de la personne qui souffre d'un trouble de l'identité du genre sera l'existence d'une dysfonction qui cause de la détresse à laquelle sont associées des difficultés dans la vie sociale, occupationnelle ou professionnelle. Pour le Dr. Assalian, la personne qui a un trouble d'identité sexuelle souffre d'une détresse énorme, voire d'une dépression.

[877] Enfin, le Dr. Assalian considère que le transgenre ou le transgendérisme, en tant que psychiatre, fait partie du trouble de l'identité sexuelle, mais que, pour les gens de la mouvance transgenre, c'est différent.

b) Le trouble de l'identité du genre et Micheline Montreuil

[878] En ce qui concerne Micheline Montreuil, il importe d'examiner qu'elles sont les points de vue exprimés par Micheline Montreuil lui-même ainsi que le Dr. Assalian et le Dr. Beltrami qui ont expertisé tous les deux Micheline Montreuil.

1. La position de Micheline Montreuil

[879] Micheline Montreuil soutient avec force qu'il ne souffre pas de dysphorie du genre ou d'un trouble de l'identité du genre, ni d'aucune maladie ou pathologie mentale. De même, Micheline Montreuil nie être une personne transsexuelle au sens classique du terme. A répétition, Micheline Montreuil affirmera qu'il ne veut pas d'opération, qu'il est bien comme il est avec des seins et un pénis et une fonction sexuelle masculine préservée. Micheline Montreuil soutient ainsi que, comme il ne veut pas être opéré et ne prend plus d'hormones, il ne saurait en conséquence être considéré comme une personne présentant un trouble de l'identité du genre ou une personne transsexuelle.

[880] Dans son témoignage, Micheline Montreuil dira qu'une personne qui souffre d'un trouble de l'identité sexuelle s'appelle une transsexuelle alors qu'une personne qui souffre d'un trouble de l'identité du genre est une personne transgenre. Le Dr. Assalian affirmera, dans son témoignage, que cela était très confus pour lui. Pour le Dr. Assalian, Micheline Montreuil souffre d'un trouble d'identité sexuelle (son diagnostic), que ce soit transgenre, transsexuelle, dysphorie du genre, pour le Dr. Assalian, c'est la même catégorie pathologique.

[881] En ce qui a trait à la définition de trouble de l'identité du genre, Micheline Montreuil a fait valoir dans son témoignage que cette condition fait référence au désir d'une personne de vivre dans le sexe opposé et dans la croyance qu'elle est emprisonnée dans un corps du mauvais sexe. Cette définition s'applique, selon Micheline Montreuil, aux personnes transsexuelles au sens classique du terme, soit des personnes qui se sentent emprisonnées dans leur corps depuis leur tout jeune âge et qui requièrent dès leur jeune âge un support psychologique. Ce n'est pas son cas.

[882] Micheline Montreuil se dit, par ailleurs, être une personne tout à fait rationnelle et stable. Il dira qu'il n'a jamais été sous les soins d'un psychiatre. Il affirmera, tout au long de son témoignage, d'une façon imagée, doit-on dire, qu'il n'est pas fou ou sauté et accusera le Dr. Assalian de vouloir le faire passer pour tel. Au demeurant, Micheline Montreuil soulignera qu'en ce qui le concerne, aucun diagnostic spécifique de trouble de l'identité du genre ne fut posé par le Dr. Côté ou le Dr. Tremblay, ce que reconnaîtra le Dr. Beltrami.

[883] À cet égard, Micheline Montreuil prendra appui sur le fait que le Dr. Côté écrit dans son rapport de 1999 que Micheline Montreuil ne souffre d'aucune pathologie psychiatrique qui pourrait l'empêcher de joindre les Forces canadiennes pour mettre en doute la crédibilité du Dr. Assalian qui lui soutient qu'en 1999, Micheline Montreuil souffrait d'un trouble de l'identité du genre et avait décompensé en situation de stress.

[884] Le Tribunal tient à souligner, à cet égard, que Micheline Montreuil oublie de mentionner que le Dr. Côté ne l'a jamais évalué pour déterminer s'il présentait un trouble de l'identité du genre. La seule évaluation qu'il fit visait à déterminer si Pierre Montreuil était apte à prendre une décision éclairée en rapport à sa démission du Collège Garneau en 1997. Le rapport qu'il rédigea ne portait que sur les événements précédant la démission et non ceux qui sont survenus par la suite. Pour la rédaction de son opinion, le Dr. Assalian, la preuve le démontre, a eu l'avantage de prendre connaissance de l'affidavit du 21 juin 2000 et des événements qui y étaient relatés et de les interpréter en tant que psychiatre.

[885] Par ailleurs, en ce qui concerne les critères diagnostiques du trouble de l'identité du genre, Micheline Montreuil affirme ne pas rencontrer plusieurs des critères du DSM-IV. Ainsi, Micheline Montreuil indiquera, dans son témoignage, qu'il n'éprouve aucun inconfort quant à sa condition, qu'il a un pénis et une paire de seins, que cela lui convient parfaitement, qu'il n'a aucun inconfort avec son pénis, n'a aucune envie irrésistible de se le couper ou de l'arracher (critère B absent), qu'il ne souffre d'aucune détresse ou déficience cliniquement importante sur le plan social, professionnel ou autre (critère D absent). Ainsi, Micheline Montreuil considère, à la différence du Dr. Assalian, qu'il ne rencontre qu'un seul des critères formels du trouble de l'identité du genre, soit l'identification intense et persistante à l'autre sexe.

[886] Dans son témoignage, Micheline Montreuil fera, par ailleurs, remarquer que la dysphorie du genre, à l'origine, ne figurait pas dans le DSM et que, dans les versions II et III du DSM, l'homosexualité apparaissait au chapitre de la nomenclature des maladies mentales mais qu'elle fut retirée du DSM-IV. Micheline Montreuil soutient dans son argumentation que la même chose pourrait arriver un jour au trouble de l'identité du genre. En fait, Micheline Montreuil est d'avis que la dysphorie du genre ou le transgendérisme ne devrait pas figurer au DSM-IV. A cet égard, le Dr. Boddam fit valoir que, même si cela devait être le cas, un psychiatre devrait néanmoins évaluer les symptômes d'une personne qui se sent mal dans son corps.

[887] Pour Micheline Montreuil, le fait pour l'intimée de classer la dysphorie du genre comme une condition médicale diagnostiquée a pour effet d'exclure toutes les transsexuelles de l'enrôlement dans les Forces canadiennes. Au demeurant, Micheline Montreuil soutient que même si les transgenres ne font pas partie des transsexuelles parce qu'ils n'auront pas d'opération, l'intimée les inclut à l'intérieur de cette catégorie pour les exclure.

[888] Par ailleurs, Micheline Montreuil mentionnera dans son témoignage qu'il est d'avis que les personnes transgenres ne doivent pas être soumises à la mafia médicale, étant d'avis qu'il y a des psychiatres qui aimeraient bien que les transgenres soient considérés comme des malades mentaux comme les transsexuels et qu'ils soient soumis à leur contrôle.

[889] Micheline Montreuil conteste vivement les conclusions auxquelles en arrive le Dr. Assalian à son égard en ce qui a trait à son diagnostic de l'existence d'un trouble de l'identité du genre. Micheline Montreuil considère qu'il ne présente aucun trouble de l'identité du genre et que l'appréciation qu'a fait le Dr. Assalian de sa condition est erronée.

[890] Micheline Montreuil conteste tout aussi vivement la position du Dr. Assalian. voulant que toute personne qui souffre de dysphorie du genre doive passer au travers du processus complet de changement de sexe, processus auquel il ne saurait être question pour lui de se soumettre. Cela dit, le Dr. Assalian indique dans son témoignage que, pour être guéri de son trouble de l'identité du genre, il faudrait que Micheline Montreuil entre dans un processus de thérapie et que ce n'est qu'alors qu'on pourra déterminer l'aboutissement final.

[891] Micheline Montreuil soutient que, dans ses rapports et son témoignage, le Dr. Assalian était biaisé et que ses opinions étaient basées sur des idées préconçues et n'étaient étayées par aucun fait matériel significatif. Il reproche au Dr. Assalian de ne pas faire de distinction entre les personnes transgenres et les personnes transsexuelles et de considérer a priori qu'elles présentent toutes un trouble de l'identité sexuelle suivant les critères établis par le DSM-IV.

[892] Selon Micheline Montreuil, c'est à tort que le Dr. Assalian a conclu que toute personne de sexe masculin qui met une robe souffre d'un trouble de l'identité sexuelle. Pour Micheline Montreuil, la personne qui présente un trouble de l'identité du genre présente en plus plusieurs pathologies mentales qui les empêchent de fonctionner adéquatement en société, ce qui n'est pas son cas. À cet égard, Micheline Montreuil a retracé son parcours de vie et indiqué que rien n'indique qu'elle ne peut fonctionner en société vu, tel que l'établit la preuve, les différents emplois et les différentes fonctions qu'il a occupés au fil des ans.

[893] Par ailleurs, Micheline Montreuil conteste la conclusion du Dr. Assalian à l'effet qu'il avait fait possiblement une dépression majeure à la suite de sa démission forcée du Collège Garneau et souligne que le Dr. Côté qui, soulignera-t-il, a fait plus de 8000 expertises dans sa carrière et fut appelé à l'évaluer en rapport avec sa démission du 4 décembre 1997 a alors conclu à l'existence d'aucune pathologie grave, telle schizophrénie, mais à une certaine anxiété.

[894] Il importe ici de rappeler, encore une fois, que l'évaluation faite par le Dr. Côté en mars 1998 ne portait que sur un élément très précis, soit la capacité pour Micheline Montreuil de prendre une décision éclairée le 4 décembre 1997. Point. En toute logique, le Dr. Côté n'a donc pas évalué Micheline Montreuil en rapport avec sa réaction à sa décision de démissionner du Collège Garneau et aux événements qui ont suivi.

[895] Par ailleurs, il appert du témoignage de Micheline Montreuil qu'il se considère être son propre arbitre. Ainsi, Micheline Montreuil est d'avis que toute personne a le droit de s'autodéterminer, le droit de faire des choix qui sont personnels. Micheline Montreuil considère que tout choix de vie est de son domaine exclusif. En vertu de ce droit, Micheline Montreuil estime qu'il lui revient et à lui seul de déterminer les traitements dont il a besoin et dans l'éventualité où des traitements seraient requis pour une condition particulière, tels que la prise d'hormones pour avoir des seins, de décider du régime d'administration de ces substances prescrites par un médecin.

[896] À cet égard, il indique qu'il lui revenait de déterminer la fréquence de la prise d'hormones prescrites par le Dr. Tremblay et de l'adapter à ses objectifs de vie, à savoir avoir des seins sans sacrifier pour autant sa masculinité. Micheline Montreuil essaiera tout au long de son témoignage de démontrer que tous ses choix de vie ont été logiques et rationnels.

[897] En ce qui concerne la prise d'hormones féminines par une personne de sexe masculin, il se dira en accord avec la proposition voulant que les personnes devraient avoir le libre choix de déterminer si elles prendront ou non des hormones, la dose à laquelle elles devront ou pourront les prendre puisque la décision relève de ces personnes qui peuvent recevoir ou bénéficier toutefois de l'avis de médecins.

[898] Ainsi, pour Micheline Montreuil, la personne transgenre est la seule qui devrait avoir le droit de décider si elle prendra des hormones ou non. Il est également d'avis qu'un endocrinologue qui accepte de prescrire des hormones doit s'enquérir des motifs pour lesquels la personne qui demande que lui soient prescrites des hormones souhaite obtenir une telle prescription. Il s'agit là d'une obligation morale et légale. Pour lui, si le médecin est en désaccord avec la demande qui lui est faite, il devra répondre non. Micheline Montreuil reconnaît également qu'il est légitime, dans la mesure où il croit que c'est pertinent, qu'un médecin investigue la condition psychologique de la personne qui serait un homme, se présentant en femme, qui demanderait une prescription d'hormones.

2. L'évaluation du Dr. Assalian

[899] La preuve démontre que l'évaluation psychiatrique faite par le Dr. Assalian et son équipe de Micheline Montreuil repose sur 1. sur la documentation qui lui fut transmise par l'intimée, notamment les rapports du Dr. Côté et du Dr. Tremblay, 2. l'entrevue du 18 mai 2006 et les résultats du test psychologie MMPI-2, administré ce jour-là à Micheline Montreuil, 3. l'affidavit signé par Micheline Montreuil en juin 2000, 4. le site internet de Micheline Montreuil, 5. le rapport du Dr. Côté en date du 18 mars 1998. Le Dr. Assalian témoignera que c'est sur la base de tous ces éléments, en plus du DSM-IV et de la littérature scientifique, qu'il en est venu à développer l'impression clinique, dira-t-il, que Micheline Montreuil présente un trouble de l'identité du genre.

[900] Bien que son premier rapport ne mentionne pas qu'il a fait une analyse suivant les cinq axes, le Dr. Assalian a précisé dans son témoignage que cette analyse avait été faite dans le présent dossier. En ce qui concerne les cinq axes en fonction desquels une personne est évaluée au plan psychiatrique, le Dr. Assalian dira que Micheline Montreuil, suivant l'axe 1, présente un trouble de l'identité du genre, suivant l'axe 2, un trouble de la personnalité limite, suivant l'axe 3, aucune pathologie significative, suivant l'axe 4, aucun problème psychosocial et, suivant l'axe 5, présente un score de 80 en ce qui a trait au fonctionnement global de la personne, ce qui est adéquat.

[901] En ce qui concerne Micheline Montreuil, le Dr. Assalian dira, dans son témoignage, que les personnes qui se trouvent dans la situation de Micheline Montreuil ne viennent pas consulter un psychiatre parce qu'elles ne se considèrent pas comme présentant un trouble de l'identité du genre mais se voient comme faisant partie d'une mouvance sociale acceptable.

[902] Pour le Dr. Assalian, Micheline Montreuil est biologiquement un homme, qui fonctionne sexuellement comme un homme, qui s'habille en femme et qui veut que la société le reconnaisse non pas comme une femme mais comme étant entre homme et femme. Pour le Dr. Assalian, le fait qu'une personne veuille être une femme et un homme en même temps ou entre les deux relève de la psychopathologie et nécessite une intervention.

[903] Cela dit, pour le Dr. Assalian, une personne ne peut être qu'un homme ou une femme alors que pour Micheline Montreuil, il est possible pour une personne d'être entre les deux sexes. Pas pour le Dr. Assalian. Pour ce dernier, une personne appartient à l'un ou à l'autre sexe quelque soit les transformations qu'elle subit. En outre, pour le Dr. Assalian, le désir de vivre ou se maintenir entre les deux sexes est signe que Micheline Montreuil ne veut pas entrer en contact avec le désarroi.

[904] Pour le Dr. Assalian, une personne qui se dit ni homme ni femme ou entre les deux genres ou sexes quand en fait elle vit dans l'un et l'autre genre, est une personne qui, suivant la littérature, est une personne confuse. Ainsi, selon le Dr. Assalian, la personne qui, d'une part, se dit en transition entre les deux sexes et, d'autre part, se dit bien entre les deux sexes manifeste de la confusion et de l'ambivalence. A cet égard, le Dr. Assalian soulignera l'ambivalence de Micheline Montreuil dans ses écrits, notamment les lettres qu'il a rédigées au soutien de sa demande d'enrôlement, l'ambivalence dans sa désignation, transgenre, transsexuelle, dans la prise d'hormones, arrêt puis reprise.

[905] Par ailleurs, pour ce qui est de l'expression personne en transition, expression utilisée par Micheline Montreuil, pour le Dr. Assalian, cette expression indique une personne qui veut passer d'homme à femme et implique un changement de sexe, que je suis une personne transsexuelle qui a un trouble de l'identité sexuelle.

[906] Le Dr. Assalian soulignera, dans son témoignage, que la personne qui présente un trouble de l'identité du genre non résolu vit dans l'ambiguïté en ce qu'elle ne ferme jamais la porte à une possibilité de se soumettre à une chirurgie. Il prend appui en cela sur une déclaration que Micheline Montreuil aurait fait au Dr. Beltrami lorsque celui-ci l'a eu en entrevue à l'effet que s'il y avait possibilité d'être femme à 100% et d'avoir des enfants (en tant que femme), l'opération peut-être en vaudrait la peine.

[907] Par ailleurs, le Dr. Assalian n'accepte pas qu'une personne puisse trouver sa stabilité entre les deux genres. Pour le Dr. Assalian, le fait que Micheline Montreuil parle au départ de changement de sexe, puis en cours de route, change d'avis et se dit transgenre, entre les deux est signe d'instabilité.

[908] Ainsi, malgré les affirmations de Micheline Montreuil qui dit bien se sentir dans sa condition, ne pas être souffrant ou dépressif, le Dr. Assalian est d'avis que Micheline Montreuil souffre d'un trouble de l'identité du genre non résolu. Qu'il soit spécifique ou non, en dernière analyse, importe peu. Cela demeure un trouble de l'identité sexuelle non résolu. Au demeurant, le Dr. Assalian dira que si Micheline Montreuil se reconnaît transgenre, alors il tombe sous l'appellation de trouble de l'identité du genre non autrement spécifié du DSM-IV. Cela dit, l'évaluation qu'il a faite en compagnie de ses collègues démontre que Micheline Montreuil présente un trouble de l'identité du genre pur.

[909] Dans son témoignage, le Dr. Assalian insistera sur le fait que ce n'est pas un événement pris isolément qui est déterminant pour établir un diagnostic de trouble de l'identité du genre, mais bien l'histoire longitudinale de la personne. Ainsi, selon le Dr. Assalian, pour déterminer si Micheline Montreuil présente un trouble de l'identité du genre, il faut regarder un ensemble d'éléments qui lui sont propres, tels le fait d'être biologiquement un homme, d'avoir opté pour un prénom féminin, de s'habiller en femme à plein temps et de porter des robes, de se maquiller, d'avoir pris des hormones, de s'être fait épilé au laser, de vouloir être reconnu socialement comme une femme, qu'il se dégage alors ce que le Dr. Assalian appelle une impression clinique de l'existence, chez Micheline Montreuil, d'un trouble de l'identité du genre non résolu auquel est associé, selon la littérature médicale consultée par le Dr. Assalian, un trouble de la personnalité limite.

[910] À cela, il faut ajouter, selon le Dr. Assalian, le fait d'avoir eu jeune un intérêt pour les vêtements féminins, de s'être habillé occasionnellement en femme à une certaine époque, de vouloir vivre à un certain moment donné 24 heures sur 24 en femme, de vouloir avoir des seins tout en conservant son pénis, de se dire femme et de caresser un projet de paternité, d'avoir une carte d'hôpital qui indique comme sexe le sexe féminin et une carte d'assurance-maladie qui indique en même temps sexe masculin. C'est l'ensemble de ces éléments qui crée l'impression clinique, pour le Dr. Assalian, d'être en présence, en face de Micheline Montreuil, d'une personne qui souffre d'un trouble de l'identité du genre, même si celui-ci n'a jamais dit qu'il avait rencontré un chirurgien en vue d'une réassignation sexuelle ou qu'il voulait se faire couper le pénis, même s'il affirme ne pas avoir de trouble d'identité.

[911] Confronté au fait que Micheline Montreuil ne désire pas devenir l'autre sexe, selon ses dires, le Dr. Assalian indiquera dans son témoignage que l'histoire longitudinale de Micheline Montreuil suggère que l'on est en présence d'un cheminement d'une personne transsexuelle, d'une personne souffrant d'un trouble de l'identité sexuelle qui a débuté à l'adolescence par le travestisme, s'est continué par la prise d'hormones, le développement de seins. En outre, selon le Dr. Assalian, la correspondance produite dans le présent dossier suggère que Micheline Montreuil est un transsexuel en transition. Cela dit, le Dr. Assalian souligne que Micheline Montreuil, à un moment donné, a cessé de dire qu'il est un transsexuel, a indiqué qu'il aillait arrêter la prise d'hormones, qu'il ne voulait pas d'opération, qu'il était une personne transgenre et qu'il voulait avoir des enfants en utilisant son propre sperme. Tous ces éléments réunis constituent d'autres indices, selon le Dr. Assalian, d'une personne souffrant d'un trouble de l'identité du genre.

[912] Ainsi, pour le Dr. Assalian, pour poser un diagnostic de présence d'un trouble de l'identité du genre, il n'est pas nécessaire que tous les critères soient rencontrés, le DSM-IV n'étant pas un livre de recettes qui prescrit des diagnostics. Le Dr. Assalian insistera sur le fait que le DSM-IV n'est pas ainsi un traité de psychiatrie, mais un outil de classification des maladies mentales qui présente des critères pour aider un médecin à établir le diagnostic le plus précis possible pour des fins de classification des maladies psychiatriques. Il ne doit en aucun cas supplanter l'expérience clinique et le jugement professionnel du médecin.

[913] Reconnaissant que Micheline Montreuil ne rencontre pas strictement tous les critères décrits au DSM-IV quant à la dysphorie du genre, le Dr. Assalian maintient néanmoins son impression clinique que Micheline Montreuil en souffre. Ainsi, selon le Dr. Assalian, bien que Micheline Montreuil dise qu'il n'a pas d'aversion ou de dégoût pour son pénis et donc ne satisfait pas au troisième critère des troubles de l'identité sexuelle et qu'il fonctionne bien en société et donc ne satisfait pas au quatrième critère, Micheline Montreuil demeure, pour le Dr. Assalian, une personne qui présente un trouble de l'identité du genre. Pour le Dr. Assalian, nonobstant ces éléments, Micheline Montreuil demeure une personne qui voulait changer de sexe, qui présente une confusion ou une ambivalence au niveau de l'identité sexuelle.

[914] Pour le Dr. Assalian, un trouble de l'identité du genre non résolu est une bombe à retardement. La personne qui en souffre présente un important risque de décompenser en situation de stress. Dans son témoignage, le Dr. Assalian s'appuiera notamment sur l'affidavit signé par Micheline Montreuil en juin 2000 pour conforter sa position à l'effet que Micheline Montreuil avait, à l'époque de sa démission, décompensé dans un contexte où son travestisme avait été la cause de sa démission forcée. Le Dr. Assalian prend, entre autres choses, appui sur le récit des faits que contient l'affidavit de juin 2000 et qui ont été décrits précédemment pour illustrer le fait que Micheline Montreuil, durant une assez longue période de temps, soit de décembre 1997 à mars 1998, fait état de l'existence chez lui d'un état dépressif.

[915] Sur la base des faits contenus dans l'affidavit circonstancié, plus particulièrement les faits entourant sa démission du Collège Garneau, le Dr. Assalian tire comme conclusion que Micheline Montreuil est une personne fragile, qu'il décompense face à un stress énorme - son congédiement basé sur le fait qu'il ait été vu habillé en femme dans un centre d'achat, qu'il devient anxieux. Pour le Dr. Assalian, cette fragilité est inhérente aux personnes souffrant d'un trouble de l'identité du genre.

[916] Contre-interrogé sur la démission du 4 décembre 1997 et de ses effets sur la personne de Micheline Montreuil, le Dr. Assalian a reconnu, dans son témoignage, que la situation du 4 décembre 1997 avait pu provoquer un état stressant pour une certaine période chez Micheline Montreuil. Par ailleurs, interrogé si lors de l'entrevue avec Micheline Montreuil, il avait observé des faits laissant croire que Micheline Montreuil était dans une situation de crise, le Dr. Assalian a répondu par la négative, ajoutant que son opinion sur la possibilité que Micheline Montreuil puisse en situation de stress décompenser psychologiquement était basée sur la littérature et son expérience clinique.

[917] Ainsi, le Dr. Assalian maintiendra que, même si Micheline Montreuil n'a apparemment pas eu d'épisode de décompensation depuis 1997, le risque de décompensation chez Micheline Montreuil dans une situation stressante demeure. Son opinion s'appuie en grande partie sur la réaction de Micheline Montreuil à l'événement du Collège Garneau.

[918] Dans son témoignage, le Dr. Assalian indiquera que la raison fondamentale pour laquelle il est d'opinion que les médecins des Forces canadiennes ont été justifiés d'attribuer une restriction médicale à l'emploi à Micheline Montreuil réside dans sa conviction qu'il existe une grosse possibilité que Micheline Montreuil, souffrant d'un trouble de l'identité du genre, pourrait décompenser dans des situations de stress pendant son emploi dans les Forces canadiennes.

[919] Cela dit, dans le cadre de la présente instance, le Dr. Assalian a eu l'opportunité de commenter le témoignage du Dr. Beltrami. Le Dr. Assalian a pu identifier certains points d'accord et de désaccord entre eux deux.

[920] Le Dr. Assalian indique que le Dr. Beltrami est en accord avec lui lorsqu'il indique que les médecins des Forces canadiennes avaient compris qu'ils étaient en présence d'une personne transsexuelle qui s'orientait vers un changement de sexe complet et avaient considéré le cheminement de Micheline Montreuil comme le cheminement d'une personne transsexuelle. Le Dr. Assalian partage l'avis du Dr. Beltrami qu'une demande de clarification de la part de médecins des Forces canadiennes était justifiée dans les circonstances.

[921] Pour le Dr. Beltrami, Micheline Montreuil ne serait pas un transsexuel typique puisqu'il veut avoir des enfants. Pour le Dr. Assalian, que Micheline Montreuil soit un transsexuel typique ou atypique ne change rien au fait qu'il souffre de dysphorie du genre.

[922] A la différence du Dr. Beltrami qui a diagnostiqué un trouble de l'identité du genre non spécifié, le Dr. Assalian a diagnostiqué chez Micheline Montreuil un trouble de l'identité du genre pur, chronique, récurrent, non résolu. Pour le Dr. Assalian, un homme qui s'habille en femme parce qu'il n'est pas confortable dans son genre présente un trouble de l'identité sexuelle. Cela dit, il importe de souligner que tous les deux s'entendent pour dire que Micheline Montreuil présente un trouble de l'identité du genre. Le Dr. Assalian dira à cet égard que quoi qu'il en soit, ce qui est important ici, c'est qu'il y a un trouble de l'identité du genre non résolu chez Micheline Montreuil, condition qui peut amener à des catastrophes dans des situations de stress.

[923] Le Dr. Assalian se dit, par ailleurs, en désaccord avec le Dr. Beltrami lorsque ce dernier affirme que pour que l'on dise qu'une personne souffre d'un trouble de l'identité du genre, elle doit rencontrer tous les critères de la dysphorie du genre suivant le DSM-IV. Pour le Dr. Assalian, il n'est pas absolument nécessaire qu'une personne ait une aversion pour son pénis pour être considérée comme présentant un trouble de l'identité du genre.

[924] Pour le Dr. Assalian, il y a un trouble de l'identité du genre, peu importe qu'il soit spécifique ou non spécifique, et que pour procéder à faire le diagnostic, il faut se référer non seulement aux critères du DSM-IV mais également à l'histoire longitudinale d'une personne, à son expérience pratique et à son jugement clinique. Pour le Dr. Assalian, le psychiatre qui pose un diagnostic doit utiliser son jugement clinique, nourri par la littérature scientifique pertinente. Il s'en dégagera alors une impression clinique. Il appartiendra au psychiatre de déterminer alors quels critères du DSM-IV sont rencontrés.

[925] Le Dr. Assalian affirmera dans son témoignage qu'en règle générale, suivant la littérature, un trouble de l'identité du genre est accompagné d'un trouble de la personnalité, en l'espèce, dans le cas de Micheline Montreuil d'un trouble de la personnalité limite, ce que conteste le Dr. Beltrami. Le Dr. Assalian dira dans son témoignage que le fait que le Dr. Beltrami ait reconnu chez Micheline Montreuil des moments dissociatifs confirme, pour lui, la présence d'un trouble de la personnalité limite. Le Dr. Assalian se dira en désaccord avec le Dr. Beltrami qui considère Micheline Montreuil comme une personne stable.

[926] Par ailleurs, le Dr. Assalian se dira d'accord avec le Dr. Beltrami quand celui-ci dit qu'une problématique de trouble de l'identité du genre peut être aidée par une équipe multidisciplinaire. Le Dr. Assalian se dira également en accord avec le Dr. Beltrami lorsque celui-ci affirme que l'auto-évaluation faite par une personne quant à savoir si elle présente un trouble de l'identité du genre n'est pas acceptable, elle est sans valeur comme diagnostic scientifique. Il exprimera son accord avec le Dr. Beltrami pour dire qu'il y aurait eu lieu d'avoir une évaluation externe.

3. L'évaluation du Dr. Beltrami

[927] Pour le Dr. Beltrami, la dysphorie du genre fait partie du DSM-IV et relève de la psychiatrie. Le Dr. Beltrami indique dans son témoignage que quelqu'un qui souhaite vivre dans le sexe opposé, qui a les soins voulus, une fois la transformation complétée, n'a plus de symptômes véritablement psychiatriques. Selon le Dr. Beltrami, une fois la transformation complétée, la personne peut fonctionner d'une manière tout à fait adéquate.

[928] Dans son témoignage, le Dr. Beltrami reconnaît que, pour l'heure, plusieurs en psychiatrie considèrent qu'une personne qui n'accepte pas son sexe biologique et veut s'habiller dans le sexe opposé, présente un trouble de l'identité du genre. D'autres sont d'avis, selon lui, que ce n'est pas obligatoire de classer ce phénomène dans la catégorie des troubles de l'identité du genre. Cela dit, le Dr. Beltrami note que le fait pour une personne de s'habiller dans le sexe opposé peut résulter d'un trouble de l'identité du genre ou d'une dysphorie du genre. Si tel est le cas, il faut satisfaire aux critères qui se trouvent dans le DSM.

[929] Selon le Dr. Beltrami, tout trouble d'identité du genre est considéré comme un trouble psychiatrique, y compris pour les personnes transgenres. Pour le Dr. Beltrami, à partir du moment où une personne a besoin d'un médecin, notamment pour des hormones, et d'un suivi, elle entre dans la catégorie psychiatrique de trouble de l'identité sexuelle non spécifié. Ainsi donc, pour le Dr. Beltrami, une personne qui a manifesté à une certaine époque le désir de changer de sexe, qui a pris des hormones, qui a féminisé son phénotype, qui porte un prénom féminin tombe sous le DSM-IV.

[930] Pour le Dr. Beltrami, la personne transgenre est la personne de sexe masculin qui a une apparence féminine tout en conservant ses organes génitaux masculins. Pour Micheline Montreuil, le transgenre est un travesti permanent ou à plein temps, selon les dires du Dr. Beltrami. Selon le Dr. Beltrami, Micheline Montreuil se considère comme dans un groupe intermédiaire qui est ni homme typique, ni femme trop féminine.

[931] Cela dit, il ne fait pas de doute, pour le Dr. Beltrami, que Micheline Montreuil est un homme biologique. Selon le Dr. Beltrami, la motivation pour Micheline Montreuil de vivre néanmoins en femme réside dans le fait que les vêtements de femme sont beaucoup moins encombrants et plus agréables à porter que les vêtements d'homme et qu'il est plus confortable d'être habillé en femme qu'en homme. Selon le Dr. Beltrami, Micheline Montreuil est quelqu'un qui doit vivre avec des seins et un pénis.

[932] Le Dr. Beltrami indique, par ailleurs, dan son témoignage que Micheline Montreuil lui a dit que s'il avait été possible d'être femme à 100% et d'avoir des enfants en tant que femme, l'opération vaudrait sans doute la peine. Le Dr. Beltrami soulignera, par ailleurs, dans son témoignage que la conjointe actuelle de Micheline Montreuil le considère comme son beau grand Viking, donc comme projetant une image masculine.

[933] Dans son témoignage, le Dr. Beltrami reconnaîtra que Micheline Montreuil n'a pas le profil classique de la personne transsexuelle qui généralement méprise son pénis et la fonction paternelle provoquée par le pénis. Le Dr. Beltrami reconnaîtra également dans son témoignage qu'il semble y avoir eu un changement de cap dans la trajectoire de Micheline Montreuil, soit de transsexuelle à transgenre, situation qu'il qualifie de peu habituelle.

[934] Par ailleurs, le Dr. Beltrami dira dans son témoignage que Micheline Montreuil ne présente pas un trouble typique de l'identité sexuelle. Il dira qu'à défaut de diagnostiquer chez Micheline Montreuil un trouble de l'identité du genre, ainsi identifié dans son rapport, il est possible de voir chez lui un problème d'identité du genre étant donné qu'il s'agit d'une question d'être homme ou d'être femme. Le Dr. Beltrami est on ne peut plus clair sur ce point. Le Dr. Beltrami classe donc la condition que présente Micheline Montreuil dans les troubles d'identité sexuelle non spécifié, suivant l'axe 1.

[935] Le Dr. Beltrami voit également chez Micheline Montreuil un trouble d'adaptation lié à l'identité de genre. Ce trouble résulte, selon lui, de l'interaction entre la société et la personne qui présente un trouble de l'identité du genre. De façon plus précise, le Dr. Beltrami dira que le problème d'identité de genre, dans le cas de Micheline Montreuil, est né de l'interaction entre le souhait ou le désir d'être accepté en tant qu'être mi-femme, mi-homme et la société.

[936] A cet égard, le Dr. Beltrami indiquera dans son témoignage, qu'il n'existe pas, d'un point de vue psychiatrique, de relation directe entre la problématique de Micheline Montreuil et l'incapacité de fonctionner dans les tâches décrites par les Forces canadiennes. Il ne voit donc aucune limitation fonctionnelle de nature psychiatrique. Il dira également que bien qu'il puisse exister des traits narcissiques chez Micheline Montreuil, par opposition à des troubles narcissiques, ceux-ci, selon lui, d'un point de vue psychiatriques, ne causent pas de limitations fonctionnelles.

[937] Pour le Dr. Beltrami, le seul diagnostic psychiatrique qui demeure, en ce qui concerne Micheline Montreuil, est un trouble d'identité du genre non spécifié. En outre, pour le Dr. Beltrami, une personne qui désire vivre dans le sexe opposé de son sexe biologique n'est pas automatiquement une personne qui a des problèmes psychiatriques. De plus, pour le Dr. Beltrami, la personne qui présente un trouble de l'identité du genre n'est pas nécessairement affectée d'un trouble de la personnalité, ce que semble contester le Dr. Assalian.

[938] Selon le Dr. Beltrami, pour qu'on puisse parler de pathologie psychiatrique, il faut qu'il existe un certain disfonctionnement chez la personne. Il faut que la personne ait des difficultés interpersonnelles ou de travail ou de fonctionnement. Sur ce point, le Dr. Assalian est en désaccord avec le Dr. Beltrami. Pour le Dr. Assalian, plusieurs personnes ont des pathologies psychiatriques, tels les schizophrènes, et fonctionnent en société.

[939] Appelé à se prononcer sur la fiabilité de l'auto-évaluation qu'une personne fait de sa condition psychiatrique, le Dr. Beltrami dira, dans son témoignage, que c'est peu fiable. Pour le Dr. Beltrami, à partir du moment où une personne consulte, on ne peut pas se fier à son auto-jugement.

[940] Enfin, le Dr. Beltrami notera dans son témoignage que ce qui fait problème dans le dossier, c'est qu'il n'y a jamais eu de diagnostic précis et clair en ce qui concerne la condition de Micheline Montreuil. Cela dit, le Dr. Beltrami reconnaîtra que, dans sa lettre du 26 octobre 1999, le Dr. Tremblay utilise le terme personne transsexuelle et conclut que le Dr. Tremblay avait alors établi un diagnostic de transsexualité chez Micheline Montreuil.

[941] De ce qui précède, le Tribunal conclut que tant le Dr. Assalian que le Dr. Beltrami s'accordent à dire qu'au plan psychiatrique, eu égard à la classification des maladies mentales qui se trouve dans le DSM-IV, Micheline Montreuil présente un trouble de l'identité du genre, spécifique pour le Dr. Assalian et non spécifique pour le Dr. Beltrami. Cette conclusion s'appuie sur l'évaluation des documents soumis aux experts ainsi que sur leur évaluation de Micheline Montreuil en entrevue.

[942] Le Tribunal partage, par ailleurs, l'opinion du Dr. Assalian à l'effet que le diagnostic portant sur l'existence ou non d'un trouble de l'identité du genre s'établit par une analyse de l'histoire longitudinale de la personne, sur l'expérience clinique et le jugement professionnel du médecin appelé à poser le diagnostic, que le DSM-IV n'est pas un livre de recettes mais un outil pour les psychiatres visant à les aider, au plan clinique, à caractériser le plus précisément possible une condition psychiatrique, tel que la dysphorie du genre ou les troubles de la personnalité limite.

[943] Dans le cas de Micheline Montreuil, il se peut que celui-ci ne rencontre pas strictement les critères classiques du trouble de l'identité du genre, tels qu'identifiés dans le DSM-IV. Cela dit, tant le Dr. Assalian que le Dr. Beltrami s'entendent pour dire que Micheline Montreuil souffre d'un trouble de l'identité du genre, spécifique et non résolu pour le Dr. Assalian, et non spécifié, pour le Dr. Beltrami.

[944] De l'ensemble de la preuve d'experts, le Tribunal conclut donc que, d'un point de vue psychiatrique, eu égard à la classification prévue au DSM-IV, la personne transgenre, tout comme la personne transsexuelle, entre dans la catégorie des personnes qui présentent un trouble de l'identité sexuelle ou du genre. Ce qui n'affecte en rien le fait que les personnes transgenres constituent, par ailleurs, une réalité sociale indéniable.

[945] Que Micheline Montreuil rencontre ou ne rencontre pas le profil classique de la personne qui présente un trouble de l'identité du genre ou qu'il soit une personne qui présente un trouble de l'identité du genre non spécifique, le Tribunal conclut sur la base de l'ensemble des témoignages entendus, de la documentation mise en preuve, des opinions d'experts (Dr. Assalian et Dr. Beltrami) qu'il était raisonnable pour les médecins des Forces canadiennes qui ont fait l'évaluation de Micheline Montreuil de penser qu'il présentait un trouble de l'identité sexuelle, suivant le DSM-IV, qui requérait que de plus amples informations soient fournies par les médecins de Micheline Montreuil, et non Micheline Montreuil lui-même, afin de clarifier sa condition véritable et éliminer l'existence d'un trouble potentiel de l'identité du genre. Il n'existe aucune preuve que l'impression diagnostique des médecins des Forces canadiennes était discriminatoire.

[946] Dans ce contexte, le Tribunal conclut qu'on ne saurait reprocher aux médecins des Forces canadiennes ou de considérer comme déraisonnable le fait qu'ils aient perçu chez Micheline Montreuil un problème au niveau de l'identité du genre, qu'il soit de nature pathologique ou non. Dans son témoignage, le Dr. Beltrami dira qu'il n'est pas toujours facile de comprendre une personne comme Micheline Montreuil qui sort de la norme. Leur impression n'était donc pas déraisonnable dans les circonstances et le Tribunal ne saurait leur en faire reproche.

(iii) Le trouble de la personnalité

[947] Dans le cadre du présent dossier, Micheline Montreuil fut évalué pour savoir s'il présentait un trouble de la personnalité. Cette évaluation fut faite par le Dr. Assalian, assisté du Dr. Karmel, ainsi que par le Dr. Beltrami.

a) Le trouble de la personnalité et le DSM-IV

[948] Les troubles de la personnalité constituent l'axe II de toute évaluation psychiatrique. Suivant le DSM-IV, l'axe II sert à indiquer les troubles de la personnalité et le retard mental. Il peut également être utilisé pour noter les principales caractéristiques d'inadaptation de la personnalité et les mécanismes de défense.

[949] L'existence des troubles de la personnalité et du retard mental, facteur qui n'est pas en cause ici, sur un axe séparé est le garant de la prise en considération des troubles de la personnalité ou du retard mental susceptibles d'être négligés lorsque l'attention est exclusivement centrée sur les troubles de l'axe 1. L'axe II peut aussi, suivant le DSM-IV, être utilisé pour noter les principales caractéristiques d'inadaptation de la personnalité qui n'atteignent cependant pas le seuil d'un trouble de la personnalité. L'utilisation habituelle de mécanismes de défense mal adaptés peut aussi être indiquée sur l'axe II.

[950] Les troubles de la personnalité décrits dans le DSM-IV sont les suivants : personnalité paranoïaque, personnalité schizoïde, personnalité schizotypique, personnalité antisociale, personnalité borderline, personnalité histrionique, personnalité narcissique, personnalité évitante, personnalité dépendante, personnalité obsessionnelle-compulsive, trouble de la personnalité non spécifié.

[951] Suivant le DSM-IV, les critères diagnostics généraux pour déterminer si une personne présente un trouble de la personnalité sont les suivants :

A. Modalité durable de l'expérience vécue et des conduites qui dévie notablement de ce qui est attendu dans la culture de l'individu. Cette déviation est manifeste dans au moins deux des domaines suivants :

(1) la cognition (c'est-à-dire la perception et la vision de soi-même, d'autrui et des événements)

(2) l'affectivité (c'est-à-dire la diversité, l'intensité, la labilité et l'adéquation de la réponse émotionnelle)

(3) le fonctionnement interpersonnel

(4) le contrôle des impulsions.

B. Ces modalités durables sont rigides et envahissent des situations personnelles et sociales très diverses.

C. Ce mode durable entraîne une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants.

D. Ce mode est stable et prolongé et ses premières manifestations sont décelables au plus tard à l'adolescence ou au début de l'âge adulte.

E. Ce tableau n'est pas mieux expliqué par les manifestations ou les conséquences d'un autre trouble mental.

F. Ce mode durable n'est pas dû aux effets physiologiques directs d'une substance (p. ex. une drogue donnant lieu à abus ou un médicament) ou d'une affection médicale générale (par exemple un traumatisme).

[952] En ce qui concerne Micheline Montreuil, il fut évoqué, dans le cadre du témoignage des experts, que celui-ci pouvait présenter une personnalité borderline ou limite, une personnalité histrionique ou une personnalité narcissique. Il convient, pour la bonne compréhension du dossier, d'examiner les caractéristiques de chacune de ces pathologies suivant le DSM-IV.

1. Le trouble de la personnalité limite

[953] Selon le DSM-IV, la personnalité borderline ou personnalité limite se caractérise par les éléments suivant au nombre de neuf :

Mode général d'instabilité des relations interpersonnelles, de l'image de soi et des affects avec une impulsivité marquée, qui apparaît au début de l'âge adulte et est présent dans des contextes divers, comme en témoignent au moins cinq des manifestations suivantes ;

(1) efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés

(2) mode de relations interpersonnelles instables et intenses caractérisées par l'alternance entre des positions extrêmes d'idéalisation excessive et de dévalorisation

(3) perturbation de l'identité : instabilité marquée et persistante de l'image ou de la notion de soi

(4) impulsivité dans au moins deux domaines potentiellement dommageables pour le sujet (p. ex. dépenses, sexualité, toxicomanie, conduite automobile dangereuse, crises de boulimie)

(5) répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires, ou d'automutilation

(6) instabilité affective due à une réactivité marquée de l'humeur (p. ex. dysphorie, épisodique intense, irritabilité, ou anxiété durant habituellement quelques heures et rarement plus de quelques jours)

(7) sentiment chronique de vide

(8) colères intenses et inappropriés ou difficulté à contrôler sa colère (p. ex. fréquentes manifestations de mauvaise humeur, colère constante ou bagarres répétées)

(9) survenue transitoire dans des situations de stress d'une idéation persécutoire ou de symptômes dissociatifs sévères.

2. La personnalité histrionique

[954] Selon le DSM-IV, la personnalité histrionique se caractérise par les critères diagnostiques suivants :

Mode général de réponses émotionnelles excessives et de quête d'attention, qui apparaît au début de l'âge adulte et est présent dans des contextes divers, comme en témoignent au moins cinq des manifestations suivantes :

(1) le sujet est mal à l'aise dans les situations où il n'est pas au centre de l'attention d'autrui

(2) l'interaction avec autrui est souvent caractérisée par un comportement de séduction sexuelle inadaptée ou une attitude provocante

(3) expression émotionnelle superficielle et rapidement changeante

(4) utilise régulièrement son aspect physique pour attirer l'attention sur soi

(5) manière de parler trop subjective mais pauvre en détails

(6) dramatisation, théâtralisme et exagération de l'expression émotionnelle

(7) suggestibilité, est facilement influencé par autrui ou par les circonstances

(8) considère que ses relations sont plus intimes qu'elles ne le sont en réalité.

3. La personnalité narcissique

[955] Suivant le DSM-IV, la personnalité narcissique se caractérise par les critères diagnostiques suivants :

Mode général de fantaisies ou de comportements grandioses, de besoin d'être admiré et de manque d'empathie qui apparaissent au début de l'âge adulte et sont présents dans des contextes divers, comme en témoignent cinq des manifestations suivantes ;

(1) le sujet a un sens grandiose de sa propre importance (p. ex. surestime ses réalisations et ses capacités, s'attend à être reconnu comme supérieur sans avoir accompli quelque chose en rapport)

(2) est absorbé par des fantaisies de succès illimité, de pouvoir, de splendeur, de beauté ou d'amour idéal

(3) pense être spécial et unique et ne pouvoir être admis ou compris que par des institutions ou des gens spéciaux et de haut niveau

(4) besoins excessifs d'être admiré

(5) pense que tout lui est dû : s'attend sans raison à bénéficier d'un traitement particulièrement favorable et à ce que ses désirs soient automatiquement satisfaits

(6) exploite l'autre dans les relations interpersonnelles : utilise autrui pour parvenir à ses propres fins

(7) manque d'empathie : n'est pas disposé à reconnaître ou à partager les sentiments et les besoins d'autrui

(8) envie souvent les autres, et croit que les autres l'envient

(9) fait preuve d'attitudes et de comportements arrogants et hautains

b) Le trouble de la personnalité et le test MMPI

1. L'évaluation du Dr. Karmel

[956] En ce qui concerne le trouble de la personnalité, le Tribunal a entendu le témoignage du Dr. Richard Karmel, psychologue. Le Tribunal a reconnu au Dr. Karmel la qualité de spécialiste dans l'administration et l'interprétation des résultats de tests MMPI. Cette même reconnaissance ne fut pas étendue au Dr. Beltrami qui, la preuve le révèle, a lui-même administré un test MMPI à Micheline Montreuil et n'a pas fait appel pour ce faire à un psychologue.

[957] Il appert du témoignage du Dr. Karmel et de la littérature scientifique mise en preuve que le test MMPI est un test psychologique qu'une personne complète elle-même. Il est composé d'une série de 563 questions visant à permettre à la personne de faire une auto-évaluation d'elle-même. L'interprétation du test se fait à partir d'une série d'échelles de validité et d'échelles cliniques. Les échelles de validité indiquent si la personne a été défensive dans sa réponse aux questions, si la personne a eu tendance à surévaluer ses forces et à minimiser ses faiblesses. Le test MMPI constitue, pour le psychiatre, un outil pour parfaire son diagnostic clinique.

[958] La preuve révèle que le Dr. Karmel a administré un test MMPI-2 à Micheline Montreuil dans le cadre de l'évaluation clinique faite par le Dr. Assalian en mai 2006. En raison de l'attitude défensive de Micheline Montreuil révélée par le test, le Dr. Karmel a décidé de ne pas interpréter le test et n'a pas procédé à l'analyse des résultats des échelles cliniques. Il en a fait part au Dr. Assalian dans le rapport qu'il lui a remis. Selon le Dr. Karmel, il appartenait au Dr. Assalian de déterminer l'usage qu'il pourrait éventuellement faire des résultats cliniques.

[959] Appelé à expliquer pourquoi il n'avait pas procédé à évaluer les échelles cliniques, le Dr. Karmel indiqua dans son témoignage que les résultats des échelles cliniques seraient probablement inexacts, d'où la mise en garde qu'il a fait au Dr. Assalian. Il soulignera qu'à son avis, compte tenu du profil obtenu, il y avait de fortes chances que Micheline Montreuil ait sous-rapporté certains éléments négatifs de sa personnalité (négation) et supprimé les éléments de psychopathologie (répression). Toutefois, pour le Dr. Karmel, les résultats du test MMPI de Micheline Montreuil n'invalidaient pas pour autant le test.

[960] Pour le Dr. Karmel, les résultats défensifs du test MMPI soulevaient de sérieuses questions sur la fiabilité des résultats des échelles cliniques et la validité du test lui-même. Ils avaient le potentiel de rendre les résultats des échelles cliniques problématiques. Dans son témoignage, le Dr. Karmel indiqua que le profil MMPI de Micheline Montreuil était indicatif notamment d'une personne manipulatrice.

2. L'évaluation du Dr. Beltrami

[961] La preuve révèle que le Dr. Beltrami a également administré un test MMPI à Micheline Montreuil dans le cadre de son évaluation de celui-ci. La preuve révèle que le Dr. Beltrami a, pour les fins de son second rapport, fusionné les éléments cliniques provenant de l'entrevue avec Micheline Montreuil et les résultats du test MMPI-2. Dans le cadre de son témoignage, le Dr. Beltrami a expliqué comment se faisait l'administration du test MMPI et en a expliqué la portée. Celle-ci vise essentiellement à alerter le psychiatre à certains éléments qui doivent être approfondis dans le cadre de l'évaluation clinique.

[962] La preuve révèle que le Dr. Beltrami a également observé un profil défensif dans les réponses aux questions fournies par Micheline Montreuil au test MMPI mais pas suffisamment important, selon lui, pour invalider le test et écarter les résultats.

[963] Ainsi, nonobstant les scores élevés qui pouvaient mettre en doute la validité du test, le Dr. Beltrami a jugé qu'ils n'étaient pas suffisamment robustes pour ne pas procéder à l'évaluation des échelles cliniques et de ne pas s'en servir dans son évaluation globale de Micheline Montreuil. Le Dr. Beltrami notera dans son témoignage que ce n'est pas parce que quelqu'un est défensif qu'il est forcément menteur. Le Dr. Beltrami indique dans son témoignage qu'il a tenu compte du facteur défensif observé dans le test MMPI dans le cadre de son évaluation de Micheline Montreuil.

[964] La preuve révèle que le Dr. Karmel s'est montré très critique par rapport à l'approche adoptée par le Dr. Beltrami suggérant qu'un potentiel conflit existait quant à sa qualité de psychiatre évaluateur en ce qui a trait aux résultats décevants du MMPI et son évaluation globale de Micheline Montreuil. Le Dr. Karmel reprochera au Dr. Beltrami de ne pas avoir suffisamment pris en considération les résultats des échelles de validité et les questions qu'ils soulevaient quant à l'exactitude des informations fournies par Micheline Montreuil. Le Dr. Karmel soulignera dans son témoignage que, comme le Dr. Beltrami a lui-même administré le test MMPI à Micheline Montreuil, toute mise en garde qu'il aurait pu faire l'aurait été à lui-même.

c) Le trouble de la personnalité et Micheline Montreuil

[965] En ce qui concerne la présence ou l'absence chez Micheline Montreuil d'un trouble de la personnalité, le Tribunal a pu bénéficier des témoignages du Dr. Assalian et du Dr. Beltrami.

1. L'évaluation du Dr. Assalian

[966] Le Dr. Assalian est d'avis que Micheline Montreuil souffre d'un trouble de la personnalité limite ou, à tout le moins, présente certains traits de trouble de la personnalité, tels que des traits narcissiques, des symptômes dissociatifs. Cette conclusion repose pour l'essentiel sur l'entrevue qu'il a eue avec Micheline Montreuil le 18 mai 2006. Cela dit, le Dr. Assalian indique dans son témoignage que, suivant la littérature, aux personnes qui présentent un trouble de l'identité du genre est généralement associé un trouble de la personnalité, dans le cas de Micheline Montreuil, ce trouble étant un trouble de la personnalité limite.

[967] Pour le Dr. Assalian, Micheline Montreuil rencontre cinq des neufs critères de la personnalité limite qui figurent au DSM-IV, soit les critères 3, 6, 7, 8, 9. Cette opinion contraste avec celle du Dr. Beltrami qui est d'avis que Micheline Montreuil ne présente pas comme tel de trouble de la personnalité limite mais présente certains traits narcissiques. Micheline Montreuil soutient qu'il ne rencontre aucun des critères.

[968] Lors de son témoignage, le Dr. Assalian reconnaîtra ainsi que Micheline Montreuil ne rencontre pas plusieurs des critères ou énoncés relatifs à la personnalité limite, notamment la présence de changements soudains dans ses orientations de carrière, des comportements suicidaires récurrents, une instabilité affective, de la colère, de la panique, du désespoir, un vide chronique par rapport à son existence, une amertume chronique. Le Dr. Assalian indiquera, toutefois, dans son témoignage, que pour conclure à l'existence d'une personnalité limite, il n'est pas nécessaire que la personne rencontre tous les critères. L'argument de fond du Dr. Assalian en ce qui a trait à la personnalité limite est que la littérature indique que le trouble de l'identité sexuelle va de pair avec trouble de la personnalité limite.

[969] Questionné sur les éléments matériels présents dans le dossier de Micheline Montreuil lui permettant d'affirmer que Micheline Montreuil présente les pathologies connexes souvent associées aux personnes transsexuelles classiques - primaires ou secondaires -, telles que décrites par le Dr. Watson, le Dr. Assalian éprouva beaucoup de difficultés à les identifier.

2. L'évaluation du Dr. Beltrami

[970] Le Dr. Beltrami est d'avis qu'il n'y avait pas de trouble de la personnalité limite chez Micheline Montreuil mais note la présence de traits narcissiques. Dans son témoignage, le Dr. Assalian dira qu'il ne partage pas son avis. Tel qu'évoqué précédemment, le Dr. Assalian, s'appuyant sur la littérature, dira que le trouble de l'identité sexuelle va de pair avec le trouble de la personnalité limite, que quelqu'un qui souffre d'un trouble d'identité sexuelle a une personnalité limite.

[971] Pour le Dr. Beltrami, Micheline Montreuil ne rencontre qu'un seul des critères de la personnalité limite décrits dans le DSM-IV, soit le critère 3. Le DSM-IV requiert que la personne ait cinq des neuf critères décrits pour être considérée comme une personnalité limite.

[972] Par ailleurs, à la lumière des résultats du test MMPI-2 et de sa propre évaluation clinique de Micheline Montreuil, le Dr. Beltrami a conclu que Micheline Montreuil ne présentait pas de troubles bi-polaires, aucune dépression majeure, aucun trait obsessionnel, pas de personnalité limite, pas de psychose qui pourraient, d'un point de vue psychiatrique, l'empêcher de remplir les tâches décrites dans l'Énoncé de tâches communes.

[973] De l'ensemble de la preuve d'experts, le Tribunal est incapable de déterminer avec un certain degré de certitude - balance des probabilités - si Micheline Montreuil présente ou non un trouble de la personnalité limite au sens du DSM-IV. La preuve sur ce point est contradictoire, le Dr. Assalian étant d'avis que Micheline Montreuil rencontre cinq des critères alors que le Dr. Beltrami est d'avis qu'il n'en rencontre qu'un. Cela dit, il appert que Micheline Montreuil présente des traits narcissiques et des moments dissociatifs associés à l'existence possible d'un trouble de la personnalité limite.

[974] Quoi qu'il en soi, que Micheline Montreuil présente ou non une personnalité limite - le Dr. Assalian dira que c'est le cas, le Dr. Beltrami dira que ce ne l'est pas -, cet élément n'est pas déterminant pour décider du sort de la plainte. Ce qui l'est est la présence chez Micheline Montreuil d'un trouble de l'identité du genre.

[975] Tant le Dr. Assalian que le Dr. Beltrami reconnaîtront qu'il en existe un, pour le Dr. Assalian, ce sera un trouble de l'identité du genre non résolu, pour le Dr. Beltrami, un trouble de l'identité du genre non spécifique. Cet élément est important dans la détermination de la question : est-ce que les médecins des Forces canadiennes étaient justifiés, eu égard aux informations fournies par Micheline Montreuil sur sa condition et eu égard aux constatations faites par les adjoints au médecin, de suspecter chez Micheline Montreuil la présence d'un trouble de l'identité du genre qui pouvait affecter son enrôlement dans les Forces canadiennes.

D. L'évaluation médicale de Micheline Montreuil par les Forces canadiennes

[976] La preuve révèle que, dans le cadre de sa demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes, Micheline Montreuil fit l'objet d'un examen médical par deux adjoints au médecin des Forces canadiennes, l'adjudant Dumais et l'adjudant Leroux. En outre, il appert de la preuve que le dossier médical de Micheline Montreuil fut évalué par divers médecins des Forces canadiennes, soit les Dr. Collins, Newnham, Wright, Boddam, Georgantopoulos et des médecins de la Direction - Politique de santé (DMEDPOL).

[977] Il importe de considérer de quelles façons ils ont procédé à l'évaluation du dossier médical de Micheline Montreuil afin d'être en mesure de déterminer s'ils étaient justifiés d'imposer des limitations médicales à l'emploi à Micheline Montreuil et d'évaluer si leur comportement a été de quelque façon que ce soit discriminatoire.

(i) L'évaluation des adjoints au médecin

[978] Dans son témoignage, le Dr. Newnham fut appelée à décrire le rôle joué par l'adjoint au médecin dans le cadre du processus d'enrôlement dans les Forces canadiennes. Le Dr. Newnham a indiqué que les adjoints au médecin travaillent sous la supervision de l'officier médical au recrutement. Ils travaillent dans les centres de recrutement répartis à travers le Canada. Ils ont la charge de compléter le rapport d'examen médical au recrutement, le formulaire CF2027. Par la suite, il leur appartient d'attribuer un profil médical au candidat. S'il appert que le candidat n'a aucune condition médicale, le profil G2 lui est attribué.

[979] Lors de son témoignage, le Dr. Collins fut également appelé à commenter le rôle de l'adjoint au médecin. Selon lui, les adjoints au médecin sont très bien formés. Dans le processus d'enrôlement, ils sont plus que de simples boîtes aux lettres. Leur rôle est de faire remplir le questionnaire relatif au rapport d'examen médical en vue de l'enrôlement, de faire l'histoire médicale du candidat, de faire l'examen médical du candidat. En outre, il appert du témoignage du Dr. Collins que les adjoints au médecin établissent leur propre profil médical en rapport avec un candidat. Ce profil n'est pas définitif et est révisé par l'officier médical au recrutement, tel que le Dr. Collins.

[980] Les tâches des adjoints aux médecins sont identifiées dans un document intitulé Description de tâches des adjoints aux médecins. Le document indique notamment que l'adjoint au médecin est responsable de la complétion des parties 1 et 2 du rapport médical, interprète l'anamnèse, les investigations physiques et de laboratoire de base dans le contexte de recrutement, s'assure que toute la documentation pertinente est insérée au dossier médical avant son envoi au bureau médical du recrutement, répond de façon professionnelle et compétente aux questions des postulants en rapport avec l'examen médical, se comporte toujours de façon professionnelle, courtoise et juste avec tous les postulants et le personnel tout en étant un modèle pour le public et les subordonnées, liaise avec le médecin-chef de la base et le bureau médical du recrutement lorsqu'il a des questions, identifie les dossiers compliqués et la pertinence d'en discuter avec le bureau médical du recrutement.

a) L'adjoint au médecin Dumais

[981] La preuve révèle que l'adjudant Dumais est l'adjoint au médecin qui a procédé à l'entrevue et à l'examen médical de Micheline Montreuil dans le cadre de sa demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes en octobre 1999. L'adjudant Dumais est adjoint au médecin depuis 25 ans. Il fut entendu comme témoin.

[982] Dans le cadre de son témoignage, l'adjudant Dumais a expliqué les différentes étapes qui sont franchies lorsqu'un candidat se présente au centre de recrutement. Dans le cadre du processus d'enrôlement, le candidat est appelé à compléter la première partie du formulaire (FC2027) portant sur les antécédents médicaux de la personne. Une fois le formulaire complété, le candidat passe certains examens préliminaires, tels que examen auditif, test d'urine, tension artérielle, etc. Par la suite, l'adjoint au médecin fait passer au candidat un examen médical. Celui-ci comprend notamment la validation des informations fournies par le candidat sur le questionnaire initial.

[983] L'adjoint au médecin pose au candidat des questions sur le questionnaire, notamment en ce qui a trait aux questions pour lesquelles le candidat a répondu dans l'affirmative, passe en revue les différents systèmes organiques et s'enquiert de consultations que le candidat aurait pu avoir avec des médecins, s'il a fait des dépressions nerveuses. Si tel est le cas, il élabore sur le sujet. Par la suite, l'adjoint au médecin procède à l'examen physique de la personne. Une fois l'examen médical terminé, l'adjoint au médecin procède à la rédaction de ses notes. En principe, l'adjoint au médecin complète la section H du formulaire portant sur le profil médical du candidat.

[984] Dans son témoignage, l'adjudant Dumais a toutefois indiqué que la catégorie géographique et la catégorie occupationnelle sont laissées en blanc lorsqu'une personne déclare avoir un problème de santé qui requiert un avis médical; une demande de divulgation de renseignements médicaux est alors complétée par l'adjoint au médecin et remise au candidat. Les cases portant sur la catégorie géographique et la catégorie occupationnelle sont complétées une fois que l'adjoint au médecin a reçu les informations médicales recherchées.

[985] En ce qui a trait au formulaire de divulgation de renseignements médicaux, l'adjudant Dumais expliquera dans son témoignage que le formulaire est écrit devant le candidat et lui est remis en mains propres. Il précisera qu'il écrit l'information qu'il désire obtenir et que le candidat signe le formulaire. L'adjudant Dumais indiquera que le dossier est alors mis attente jusqu'à la réception des informations recherchées. Une fois les informations recherchées reçues, l'adjoint au médecin complète alors dans la section H du formulaire les sections ayant trait à la catégorie géographique et à la catégorie occupationnelle. Advenant le cas où l'adjoint au médecin a des questions sur un dossier, il peut appeler son médecin superviseur pour obtenir de sa part des directives. Cela dit, l'adjoint au médecin peut appeler son médecin superviseur en tout temps, même avant d'avoir reçu les documents recherchés.

[986] En ce qui a trait au dossier de Micheline Montreuil, l'adjudant Dumais indique dans son témoignage que son implication a débuté quand le Capitaine Labonté l'avise que Micheline Montreuil fera application dans les Forces canadiennes et que c'est une personne qui s'habille en femme tout en étant un homme et lui indique qu'on devait la traiter selon la Charte canadienne des droits et libertés et l'appeler par son nom de femme, soit Micheline. La preuve révèle que l'adjudant Dumais a téléphoné au Dr. Collins avant de rencontrer Micheline Montreuil afin de savoir comment il devrait traiter Micheline Montreuil, comme un homme ou comme une femme et quels documents il devait demander. Selon l'adjudant Dumais, le Dr. Collins lui aurait dit de la traiter comme une femme et d'obtenir de celui-ci les mêmes informations que pour tout autre candidat.

[987] L'adjudant Dumais affirmera dans son témoignage qu'il considérait le dossier de Micheline Montreuil comme un cas spécial. Pour l'adjudant Dumais, le cas était spécial en ce que c'était la première fois qu'il avait à procéder à un examen médical chez une personne qui s'identifie comme une femme mais qui est encore un homme. Cela dit, l'adjudant Dumais a affirmé dans son témoignage qu'il considérait Micheline Montreuil comme étant biologiquement ou physiologiquement un homme et a encerclé à la page 2 du rapport médical la mention homme même si Micheline Montreuil avait indiqué qu'il était de sexe féminin sur la première page du rapport.

[988] La preuve révèle que Micheline Montreuil a complété la première page du Rapport d'examen médical en la présence du caporal Laflamme. Par la suite, l'adjudant Dumais a procédé à l'examen médical de Micheline Montreuil, révisant avec lui le questionnaire, plus précisément les endroits où il avait indiqué oui et faisant les annotations appropriées sur la seconde feuille du rapport.

[989] Dans son témoignage, l'adjudant Dumais indiquera qu'il a inscrit à la page 2 du rapport d'examen médical : Candidat en transition pour changement de sexe et qu'il prend actuellement des hormones. Contre-interrogé à ce sujet, l'adjudant Dumais précisera que cette information lui a été transmise par Micheline Montreuil et n'est pas de son propre cru, qu'il écrit dans son dossier ce que les gens lui disent. Il ajoutera que pour lui, une personne en transition pour changement de sexe, c'est une personne en attente d'un changement de sexe et que si on veut changer de sexe, c'est qu'on veut se faire opérer. Par ailleurs, l'adjudant Dumais a été incapable de dire si Micheline Montreuil lui avait dit pendant l'entrevue qu'il était une personne transgenre qui voulait rester entre les deux sexes.

[990] L'adjudant Dumais ajoutera dans son témoignage qu'il a demandé à Micheline Montreuil quel médecin il avait consulté parce qu'il avait répondu oui à la question Avez-vous subi d'autres examens, tests ou traitements administrés par un médecin, un psychiatre, un psychologue ou un travailleur social. Suivant l'adjudant Dumais, Micheline aurait alors affirmé qu'il consultait un endocrinologue et prenait des hormones. Il lui a alors demandé pourquoi il prenait des hormones. Micheline Montreuil lui aurait alors répondu qu'il était en transition de changement de sexe. Selon l'adjudant Dumais, Micheline Montreuil ne lui a jamais dit qu'il avait eu des dépressions.

[991] L'adjudant Dumais affirmera dans son témoignage qu'il a laissé à la page 4 du rapport d'examen médical les cases du profil médical relatif aux facteurs géographique et occupationnel ouvertes. Il a par la suite remis à Micheline Montreuil la demande de divulgation d'informations médicales sur laquelle est inscrit : Résumé de dossier sur transition de changement de sexe. Fait à noter, aucun nom de médecin n'apparaît sur la demande d'information. L'adjudant Dumais affirmera qu'il n'a remis à Micheline Montreuil qu'une seule copie de la demande de divulgation de renseignements médicaux.

[992] La preuve révèle que quelques semaines plus tard, l'adjudant Dumais a reçu de Micheline Montreuil trois rapports médicaux, soit ceux des Dr. Côté, Tremblay et Lehoux. En ce qui a trait à la lettre du Dr. Tremblay, l'adjudant Dumais dira comprendre que Micheline Montreuil est en transition de changement de sexe, est sous hormonothérapie en attendant une chirurgie. En ce qui concerne la lettre du Dr. Lehoux, l'adjudant Dumais affirmera que ce qu'il comprend, c'est que Micheline Montreuil est en transition de changement de sexe, qu'il est sous surveillance médicale et est suivi par un endocrinologue qui lui fait prendre des hormones. Finalement, en ce qui concerne le rapport du Dr. Côté, l'adjudant Dumais indiquera que ce qu'il comprend, c'est qu'eu égard au processus de changement de sexe de Micheline Montreuil, il est important de le considérer comme une femme même si la transformation n'est pas encore complétée.

[993] L'adjudant Dumais indiquera finalement dans son témoignage que la compréhension qu'il avait du dossier à ce moment là était ce que Micheline Montreuil lui avait dit lors de l'examen médical, à savoir qu'il était une personne en changement de sexe, ce que les trois lettres venaient confirmer selon lui, qu'il entendait se faire opérer mais attendait de compléter le traitement hormonal. Selon l'adjudant Dumais, il était clair pour lui que, dans le cadre d'un processus de changement de sexe, la personne faisait l'objet d'un suivi médical et était suivie par une équipe multidisciplinaire.

[994] A la suite de la réception des trois rapports médicaux, l'adjudant Dumais inscrira comme profil médical en ce qui a trait aux facteurs géographique et occupationnel les chiffres 4 et 4, qui seront éventuellement rayés par le Dr. Collins qui y substituera les chiffres 3 et 2. Par ailleurs, l'adjudant Dumais inscrira comme remarque : inapte temporaire en attendant opération changement de sexe. La preuve révèle que l'adjudant Dumais achemina par la suite le dossier au Dr. Collins pour révision.

[995] Appelé à commenter l'attribution du profil G4O4, l'adjudant Dumais indiquera dan son témoignage qu'il a accordé G4 parce qu'une personne qui est en attente d'une opération, c'est la cote normale qu'il accorde, peu importe l'opération. Pour l'adjudant Dumais, une personne qui est en attente d'une opération ne peut être déployée géographiquement dans une région éloignée, telle l'Afghanistan. La cote 4 attribuée à Micheline Montreuil, précisera l'adjudant Dumais, était temporaire.

[996] En ce qui concerne le facteur O4, la raison se situe dans le fait que Micheline Montreuil prenait des hormones ayant beaucoup d'effets secondaires et que, dans cette situation, il avait besoin d'un suivi médical. L'adjudant Dumais dira qu'il a suivi, en ces matières, ce que disait la littérature médicale, notamment le CPS, et les normes du système médico-administratif. Vu le fait que Micheline Montreuil prenait des hormones et faisait l'objet d'un suivi médical régulier, il se devait de lui attribuer la cote O4, dira-t-il.

[997] L'adjudant Dumais expliquera, par ailleurs, dans son témoignage que le but en l'espèce n'était pas de dire que la personne avait nécessairement des effets secondaires mais qu'il y avait possibilité d'effets secondaires, eu égard au CPS, et la possibilité que le travail de la personne soit affecté, la catégorie médicale étant établie pour protéger la personne.

[998] Dans son témoignage, l'adjudant Dumais affirmera que, dans les Forces canadiennes, la pratique usuelle en ce qui a trait à l'adjoint au médecin qui reçoit des informations à la suite d'une demande de divulgation de renseignements médicaux est de regarder l'information, de l'évaluer, de donner une cote médicale par rapport aux facteurs qui n'ont pas déjà été évalués et d'envoyer le dossier à l'officier médical au recrutement. Il dira qu'il ne prendra pas le téléphone pour appeler le médecin de qui il a reçu des informations pour lui demander des clarifications sur son rapport.

[999] L'adjudant Dumais affirmera dans son témoignage que l'examen de Micheline Montreuil s'est bien déroulé. Il l'a traité comme une personne de sexe féminin, les réponses données étaient logiques et rationnelles. Micheline Montreuil a répondu à toutes les questions. Il a noté que son statut émotionnel était stable.

[1000] Micheline Montreuil dira dans son témoignage que c'est l'adjudant Dumais qui lui a demandé de fournir un diagnostic psychiatrique, que c'est lui qui en avait décidé ainsi, que c'est l'adjudant Dumais qui avait inscrit sur le formulaire transition changement de sexe et qui voulait des renseignements à cet égard, que c'est l'adjudant Dumais qui, de son propre chef, aurait inscrit dans ses notes candidat en transition pour changement de sexe sans qu'il, Micheline Montreuil, lui ait mentionné quoique ce soit à cet égard.

[1001] Le Tribunal préfère, sur la base des témoignages entendus, la version de l'adjudant Dumais qui affirme qu'il ne fait que noter au dossier médical d'une personne que ce que la personne lui dit, sans faire d'interprétation.

[1002] L'adjudant Dumais est apparu au Tribunal comme un militaire consciencieux, compétent, intègre et sincère. Le Tribunal ne croit pas Micheline Montreuil lorsqu'il insinue que c'est l'adjudant Dumais qui a créé de toute pièce l'expression transition - changement de sexe. Le Tribunal note que Micheline Montreuil est porté à déformer les faits afin de servir ses propres intérêts. En conséquence, le Tribunal conclut sur ce point que l'information relative aux mentions transition-changement de sexe qui apparaissent dans le rapport médical et la demande de renseignements médicaux complétés par l'adjoint au médecin Dumais proviennent de Micheline Montreuil. Le Tribunal note en passant que les termes transgenre et transsexuel n'apparaissent dans aucun de ces documents.

[1003] Le Tribunal conclut, en outre, que l'adjudant Dumais, dans son évaluation de Micheline Montreuil, a agi de façon très professionnelle. Il a suivi les règles de l'art et s'est conformé aux normes médico-administratives en vigueur. Il n'a fait preuve d'aucun comportement discriminatoire à l'égard de Micheline Montreuil. En l'espèce, on ne saurait lui reprocher d'avoir accordé à Micheline Montreuil un profil médical G4O4. Dans son témoignage, l'adjudant Dumais a fort bien expliqué les raisons qui l'ont amené à lui attribuer un tel profil. Il a respecté les directives du Dr. Collins de traiter Micheline Montreuil comme une personne de sexe féminin et de procéder à son évaluation suivant les règles en vigueur, dans le respect de la Charte des droits et libertés de la personne.

[1004] Par ailleurs, le Tribunal conclut que l'interprétation que l'adjudant Dumais a fait des rapports reçus par les Dr. Côté, Tremblay et Lehoux était raisonnable eu égard au contenu de ces rapports. Il était, de l'avis du Tribunal, raisonnable pour l'adjudant Dumais de considérer que Micheline Montreuil était un homme qui était engagé dans un processus de changement de sexe, qu'il était en traitement actif quant à la prise d'hormones et qu'il faisait l'objet d'un suivi médical régulier. Dans les circonstances, à la lumière des informations qu'il possédait, l'adjudant Dumais était justifié d'accorder le profil médical G4O4 à Micheline Montreuil. On ne saurait, par ailleurs, lui reprocher de ne pas avoir contacté, sur réception des rapports médicaux des médecins de Micheline Montreuil, le Dr. Collins pour se faire expliquer la terminologie utilisée dans les rapports. L'adjudant Dumais a suivi la procédure établie, à savoir il a transmis le dossier au Dr. Collins pour qu'il le révise. On ne saurait non plus considérer, à la lumière des normes et des critères en vigueur, que l'adjudant Dumais a commis une erreur d'appréciation. Personne d'expérience et d'intégrité, il a fait son travail de façon hautement professionnelle.

b) L'adjoint au médecin Leroux

[1005] La preuve révèle que Micheline Montreuil dut se soumettre à un second examen médical dans le cadre de sa demande d'enrôlement, plus d'une année s'étant écoulé depuis son dernier examen médical. La preuve révèle que ce second examen médical fut effectué par l'adjudant Leroux le 11 octobre 2001. L'adjudant Leroux n'a pas été appelé comme témoin.

[1006] Le Tribunal note qu'à la première page du rapport, Micheline Montreuil s'identifie comme une personne de sexe féminin, qu'il indique qu'il a subi d'autres examens, tests ou traitements administrés par un médecin, un psychiatre, un psychologue ou un travailleur social, qu'il ne prend pas alors de médicaments, qu'en tant que femme, il n'a jamais souffert de troubles gynécologiques ou obstétriques. A la seconde page du rapport, l'adjudant Leroux indique qu'il est en présence d'une personne de sexe féminin, note que la personne a cessé une hormonothérapie il y a huit mois, qu'il y a eu un compte de spermatozoïdes et que la personne désire avoir des enfants. A la page 3 du rapport médical, il appert que l'adjudant Leroux a inscrit initialement dans les cases pour les catégories occupationnelle et géographique les cote G2 et O2. Le dossier médical fait apparaître que la cote G2 fut subséquemment modifiée en cote G5(T6).

(ii) L'évaluation par les officiers médicaux au recrutement

[1007] La preuve révèle que trois officiers médicaux au recrutement ont évalué le dossier médical de Micheline Montreuil, soit le Dr. Collins, le Dr. Newnham et le Dr. Wright.

[1008] Dans son témoignage, le Dr. Newnham a décrit le rôle de l'officier médical au recrutement. Selon le Dr. Newnham, l'officier médical au recrutement a la responsabilité de réviser les dossiers médicaux qui lui sont soumis de par le Canada. A cet égard, l'officier médical au recrutement doit s'assurer que le candidat n'a pas de condition qui soulève une préoccupation de nature médicale, de même que décider si des informations additionnelles sont requises avant de prendre une décision quant l'aptitude d'un candidat à être enrôlé. Selon le Dr. Newnham, lorsqu'il révise un dossier, l'officier médical au recrutement examine si le candidat rencontre les normes médicales communes à l'enrôlement.

[1009] Selon le Dr. Newnham, dans l'exercice de ses fonctions, l'officier médical au recrutement est appelé à réviser le profil médical attribué à un candidat par l'adjoint au médecin. S'il diverge d'opinion avec ce dernier quant au profil médical attribué, l'officier médical au recrutement peut modifier l'un ou l'autre des facteurs et attribuer au candidat un profil médical temporaire en attendant de recevoir l'information recherchée.

[1010] Lors de son témoignage, le Dr. Newnham a, par ailleurs, indiqué que lorsque l'officier médical au recrutement a reçu toute la documentation pertinente, il lui revient de prendre une décision sur les limitations médicales à l'emploi. Toutefois, il peut solliciter l'opinion d'un spécialiste ou acheminer le dossier au Directeur - Politique de santé (DMEDPOL) qui décidera alors de la restriction médicale à l'emploi qui doit être attribuée.

[1011] Il appert du témoignage du Dr. Newnham que l'autorité finale en matière d'attribution d'une catégorie médicale est le Directeur - Politique de santé (DMEDPOL). Selon le Dr. Newnham, il revient au Directeur de réviser les dossiers où des limitations permanentes ont été attribuées. Cela dit, l'officier médical au recrutement a néanmoins l'autorité de prendre la décision finale sur un dossier à moins qu'il ne s'agisse d'un dossier complexe.

a) L'évaluation par le Dr. Collins

[1012] Le Dr. Collins est un médecin de pratique générale. Au moment de la demande d'enrôlement de Micheline Montreuil, il était officier dans les Forces canadiennes et agissait comme officier médical au recrutement à Borden en Ontario. La preuve révèle qu'il a cessé ses fonctions en juillet 2001, qu'il a quitté les Forces canadiennes en novembre 2001 et qu'après son départ, il a agi comme consultant à titre d'officier médical au recrutement.

[1013] En sa qualité d'officier médical au recrutement, le Dr. Collins indiquera dans son témoignage qu'il avait à réviser des milliers de dossiers d'enrôlement et à attribuer des profils médicaux ou des restrictions médicales si jugé approprié eu égard au dossier. En sa qualité d'officier médical au recrutement, il avait également pour fonction de fournir des opinions aux officiers de recrutement et au quartier général pour déterminer si une personne devait ou non être enrôlée.

[1014] Lors de son témoignage, le Dr. Collins a indiqué qu'il ne parlait pas le français couramment, mais que lorsqu'il était officier médical pour le recrutement à Borden, sa compréhension du français était meilleure qu'aujourd'hui. Il a, par ailleurs, indiqué dans son témoignage qu'alors qu'il était à Borden, il pouvait compter sur un assistant au médecin qui était fonctionnel en français. Il existait également à l'époque un service de traduction disponible auquel il pouvait avoir accès.

[1015] Le Dr. Collins a témoigné qu'il fut impliqué dans le dossier de Micheline Montreuil d'octobre 1999 à juin 2000 en tant qu'officier médical au recrutement, que par la suite, c'est le Dr. Newnham qui fut responsable du dossier de Micheline Montreuil en tant qu'officier médical au recrutement.

[1016] Le Dr. Collins a témoigné à l'effet que, dans sa pratique au sein des Forces canadiennes, il n'avait jamais été saisi du dossier d'une personne transsexuelle mais que la seule personne ayant présenté un trouble de l'identité du genre dont il eut à évaluer le dossier est Micheline Montreuil. Lors de son témoignage, il a déclaré ne pas être trop familier avec le terme transgenre.

[1017] Dans son témoignage, le Dr. Collins a indiqué qu'il était le second réviseur des dossiers médicaux relatifs à l'enrôlement. Selon le Dr. Collins, c'était l'adjoint au médecin qui faisait la première évaluation et le centre de recrutement fournissait son avis. Tel qu'expliqué précédemment, la procédure en vigueur à cette époque voulait que l'adjoint au médecin fasse l'évaluation d'un candidat, obtienne des médecins du candidat qui pouvaient lui fournir des soins médicaux les informations médicales pertinentes. Son rôle, dira-t-il, consistait à réviser le dossier une fois toutes les informations obtenues. Le Dr. Collins a témoigné qu'il pouvait de temps à autre recourir aux services du Dr. Boddam, du Dr. Ménard ou encore du Dr. Georgantopoulos pour obtenir leur avis sur l'attribution d'une limitation ou d'une catégorie médicale.

[1018] En ce qui a trait à son rôle dans le processus de révision des dossiers médicaux, le Dr. Collins a indiqué que son rôle était, premièrement, de déterminer si la personne avait une condition médicale en se basant sur la documentation se trouvant dans le dossier médical, notamment les documents fournis par l'adjoint au médecin et par le postulant. Deuxièmement, il appartenait à l'officier médical au recrutement de déterminer si la condition médicale identifiée requérait une limitation médicale à l'emploi et de déterminer la catégorie médicale qu'il convenait de lui attribuer. Selon le Dr. Collins, si la personne requiert les soins d'un psychiatre, cela justifierait l'attribution d'une cote G5.

[1019] Dans son témoignage, le Dr. Collins a affirmé qu'il avait reçu les lettres des Dr. Lehoux, Côté et Tremblay et que, sur la base des informations contenues, surtout dans celles du Dr. Côté et du Dr. Tremblay, il en avait conclu que Micheline Montreuil avait une condition médicale pour laquelle il était traitée. Il a alors demandé plus d'information des médecins de Micheline Montreuil pour déterminer si Micheline Montreuil rencontrait les normes médicales communes à l'enrôlement. Il a déduit de ces lettres que Micheline Montreuil était en traitement actif, qu'il était en transition en vue d'obtenir un changement de sexe. Le Dr. Collins a affirmé, par ailleurs, dans son témoignage qu'il avait assumé, sur la base du dossier, que le Dr. Côté était le médecin traitant de Micheline Montreuil.

[1020] Lors de son témoignage, le Dr. Collins a indiqué qu'à aucun moment Micheline Montreuil n'a rencontré les normes médicales communes à l'enrôlement et qu'il n'avait aucune autorité sur une possibilité d'exemption ou de dispense en ce qui a trait au profil médical de Micheline Montreuil.

[1021] Appelé à commenter le facteur G du profil médical, le Dr. Collins a reconnu que c'est l'élément soins médicaux disponibles (medical care available) qui s'applique à Micheline Montreuil. Le Dr. Collins a également reconnu que le profil G3 n'empêche pas le déploiement d'une personne et qu'avec un profil médical G3, Micheline Montreuil pouvait être déployé s'il obtenait une dispense (waiver).

[1022] Lors de son témoignage, le Dr. Collins a référé à la politique des Forces canadiennes portant sur l'évaluation de la condition physique d'un militaire, ainsi qu'au système de profil médical. Selon le Dr. Collins, le fait pour une personne de se voir attribuer la cote O2 signifie qu'on ne lui a assigné aucune limitation médicale à l'emploi en ce qui concerne des activités de nature physique, tel que l'indique le document relatif au système de profil médical. Par ailleurs, le Dr. Collins a élaboré sur les critères permettant de distinguer les éléments qui se rapportent au facteur G par rapport au facteur O.

[1023] Il appert du témoignage du Dr. Collins que ces deux facteurs sont indépendants l'un de l'autre. Cela dit, le Dr. Collins a reconnu que bien que ces deux facteurs soient différents, que l'un concerne l'occupation et l'autre le déploiement d'une personne, du point de vue de l'officier médical au recrutement, ce qui compte, c'est de regarder la condition médicale d'une personne, plus particulièrement si elle présente une limitation médicale à l'emploi et, le cas échéant, de déterminer le profil médical qui devrait lui être accordé notamment en ce qui concerne les facteurs G et O.

[1024] Par ailleurs, la question fut posée au Dr. Collins dans quelles circonstances, à son avis, une personne pourrait se voir accorder le profil G5O2. Le Dr. Collins a réitéré que les facteurs qui composent le profil médical à l'emploi sont indépendants l'un de l'autre. La cote qui est accordée à chacun de ces facteurs est tributaire de la description des facteurs qui figurent au profil médical des Forces canadiennes. Au départ, le médecin établit la limitation puis, eu égard au système de profil médical, il détermine la cote qu'il convient d'appliquer à chaque facteur du profil médical. Une cote G5 est attribuée à une personne qui requiert un suivi médical de la part d'un spécialiste plus fréquemment qu'à tous les six mois.

[1025] Dans son témoignage, le Dr. Collins a synthétisé son traitement du dossier de Micheline Montreuil de la façon suivante. Il a reçu le dossier, a pu constater que Micheline Montreuil avait été traité avec des hormones dans un contexte de possibilité de changement de sexe (transsexualité), que la transsexualité fait partie de la catégorie des troubles de l'identité du genre, suivant le DSM-IV, et qu'il s'est interrogé alors sur l'existence d'une composante psychiatrique en l'espèce. Il a synthétisé son témoignage une seconde fois en indiquant que, suivant sa lecture du dossier, Micheline Montreuil s'était présenté au milieu d'un traitement visant un changement de sexe (transsexualité), une transition d'un sexe à l'autre, que pour lui, le transsexualisme ou la transition, le prise d'hormones, les traitements d'électrolyse font partie de la problématique des troubles de l'identité du genre. Aussi, voulait-il savoir s'il y avait un diagnostic psychiatrique, s'il y avait un problème psychiatrique dont les Forces canadiennes devraient être mises au courant. Il a dit qu'il s'était également appuyé sur les lettres du Dr. Tremblay.

[1026] Sur la base des informations qu'il détenait, le Dr. Collins a témoigné qu'il n'a pas établi comme tel de diagnostic médical par rapport à Micheline Montreuil mais induit que Micheline Montreuil pouvait présenter une maladie mentale (trouble de l'identité du genre, selon le DSM-IV), eu égard aux informations qu'il détenait à la suite de l'examen du dossier de Micheline Montreuil et des lettres de médecins qu'il avait au dossier, mais qu'il avait besoin de plus d'information pour compléter son évaluation avant de statuer sur son profil médical. C'est la raison pour laquelle il s'est adressé au Dr. Boddam, psychiatre, le 9 novembre 1999.

[1027] Lors de son témoignage, le Dr. Collins s'est dit intrigué, en examinant le dossier médical de Micheline Montreuil, par le fait que Micheline Montreuil ait inscrit sur la première page du formulaire CF2027 non à la question Souffrez-vous d'une maladie ou d'une invalidité ou vous faites-vous traiter actuellement à cet égard ? Le Dr. Collins s'est également dit intrigué par le fait que bien que le formulaire n'indique pas la présence d'un problème psychiatrique, Micheline Montreuil a néanmoins produit, à la suite de la demande de divulgation de renseignements médicaux, un rapport psychiatrique provenant du Dr. Côté. Sur la base de l'ensemble de ces faits, le Dr. Collins a conclu que le dossier méritait d'être examiné davantage pour clairement établir quelle était la condition médicale de Micheline Montreuil. Peut-on lui en faire reproche ?

[1028] Tout au long de son témoignage, le Dr. Collins a répété que sa principale préoccupation était d'évaluer, en tant qu'officier médical au recrutement, s'il pourrait, eu égard à la condition de Micheline Montreuil, lui fournir les soins dont il pourrait avoir besoin où qu'il soit. Son souci ne portait pas sur la question du changement de sexe. Sa tâche était de déterminer le profil médical de Micheline Montreuil à la lumière des informations dont il disposait. Le Dr. Collins a témoigné qu'il a opté pour la prudence dans son traitement du dossier de Micheline Montreuil.

[1029] Pour le Dr. Collins, de sa lecture des lettres provenant des différents médecins de Micheline Montreuil, Micheline Montreuil était au moment de son évaluation une personne transsexuelle en traitement. Tout au long de son témoignage, le Dr. Collins ne cessera de répéter que si le dossier qu'il a devant lui indique qu'une personne est en traitement, qu'elle prend des médicaments, alors il est indiqué pour lui d'obtenir plus d'information de la part des médecins que la personne consulte en ce qui a trait au pronostic, au diagnostic et au risque de récurrence.

[1030] Appelé à commenter le contenu de plusieurs lettres écrites par Micheline Montreuil, le Dr. Collins ajoutera qu'il fait foi à ce que quelqu'un écrit dans une lettre quant à la véracité de ce qui est écrit, mais que, par ailleurs, il accorde peu de poids à l'auto-évaluation qu'une personne peut faire de sa condition, par exemple affirmer, comme le fait Micheline Montreuil, qu'il n'aura pas besoin d'hormones dans le futur ou qu'il n'en a pas besoin présentement.

[1031] Le Dr. Collins est apparu au Tribunal un témoin hautement crédible. Son témoignage était clair et précis. Les explications apportées quant aux raisons qui l'on amené à attribuer une cote G3 à Micheline Montreuil sont cohérentes et font plein de sens. Le Tribunal considère que le Dr. Collins a agi comme un professionnel compétent et consciencieux, soucieux du bien-être de Micheline Montreuil ainsi que de la nécessité pour les Forces canadiennes d'enrôler des personnes en santé qui pourront servir pleinement les Forces canadiennes. Le Tribunal considère que rien dans le comportement du Dr. Collins indique qu'il s'est comporté de façon discriminatoire à l'égard de Micheline Montreuil et que sa décision de lui accorder une cote G3 était motivée par le genre de Micheline Montreuil ou son sexe.

b) L'évaluation par le Docteur Newnham

[1032] En rapport avec le dossier de Micheline Montreuil, le Tribunal a entendu le témoignage du Dr. Newnham, médecin généraliste. Le Dr. Newhnam est membre des Forces canadiennes. Elle fut appelée à réviser le dossier de Micheline Montreuil en 2001 et 2002 en tant qu'officier médical au recrutement. La preuve révèle que c'est elle qui a remplacé le Dr. Collins lorsque celui-ci a quitté son emploi au sein des Forces canadiennes. En sa qualité d'officier médical au recrutement, elle indiquera dans son témoignage que son bureau révise entre 17 000 et 18 000 dossiers de demandes d'enrôlement par année.

[1033] Dans son témoignage, le Dr. Newnham a indiqué que la documentation sur le profil médical et les normes médicales doit être vue comme un guide (guidelines) pour les médecins qui ont à déterminer s'il y a lieu d'imposer une limitation médicale à l'emploi à une personne et la nature de cette limitation le cas échéant. Il s'en suit que l'officier médical au recrutement doit exercer son jugement pour déterminer si une restriction doit être imposée et, le cas échéant, laquelle. Sa décision ou détermination ne doit pas être arbitraire mais reposer sur des faits.

[1034] En ce qui concerne le profil G5 qui fut attribué à Micheline Montreuil, initialement la restriction était reliée à la nécessité pour Micheline Montreuil, selon l'opinion du Dr. Newnham, d'être suivi par un spécialiste, dans les faits par deux spécialistes, soit par un psychiatre et un endocrinologue, du fait de la référence dans les lettres à une personne transsexuelle, en transition, prenant des hormones.

[1035] Le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage que, lorsqu'il fut établi, à partir de la correspondance soumise par Micheline Montreuil, que celui-ci ne requérait pas de suivi régulier par un spécialiste parce qu'il avait arrêté son hormonothérapie, la restriction médicale à l'emploi fut révisée afin de la rendre conforme à la situation de Micheline Montreuil, à savoir qu'il avait une condition chronique pour laquelle le traitement n'avait pas été complété, la condition étant, suivant le témoignage du Dr. Newnham, la dysphorie du genre ou le trouble de l'identité du genre.

[1036] Par ailleurs, appelée à donner son opinion quant à l'information qui serait nécessaire de fournir pour transformer en G2 un profil médical G5, le Dr. Newnham a indiqué dans son témoignage qu'il lui faudrait une mise à jour du dossier de la personne de la part de ses médecins. Cela dit, le Dr. Newnham a précisé qu'eu égard au dossier de Micheline Montreuil, celui-ci devrait recommencer les procédures à zéro étant donné qu'un examen médical à l'enrôlement n'est valide que pour une période d'un an, sauf si le Tribunal en venait à la conclusion que l'intimée avait fait preuve de discrimination à l'égard de Micheline Montreuil et déterminait qu'il était apte à être enrôlé.

[1037] La question fut posée au Dr. Newnham quant à savoir si elle avait révisé le dossier de Micheline Montreuil avec la compréhension qu'il y avait un diagnostic relié aux troubles de l'identité du genre (gender issue). Le Dr. Newnham a reconnu que l'expression gender issue - trouble de l'identité du genre - apparaissait sur certains documents, de même que le terme transsexuel et l'expression changement de sexe. Était également mentionné le fait que Micheline Montreuil prenait des hormones.

[1038] En réponse à la question de l'identité du genre, le Dr. Newnham a indiqué que le rôle de l'officier médical au recrutement est de déterminer s'il y a des questions médicales - medical issues - qui doivent être examinées, quelque soit le terme utilisé en rapport avec ces questions médicales. Ce qui importe en tant qu'officier médical au recrutement, c'est le plan de traitement, la nécessité ou non d'un suivi médical eu égard à la condition de la personne, la médication en cause et le pronostic.

[1039] Dans le cas de Micheline Montreuil, le Dr. Newnham a indiqué qu'il y avait suffisamment d'éléments médicaux dans son dossier, notamment le fait que Micheline Montreuil prenait des hormones, qui exigeaient des clarifications. Pour le Dr. Newnham, peu importe comment l'on identifie la condition de Micheline Montreuil, il n'en demeure pas moins qu'au moment de son évaluation du dossier, il y avait des éléments de nature médicale reliés au processus dans lequel il se trouvait qui requéraient des clarifications.

[1040] Appelé à dire si le dossier de Micheline Montreuil contenait une indication précise qu'il souffrait d'un trouble de l'identité de genre, le Dr. Newnham indiqua dans son témoignage que le problème auquel elle était confrontée était que les spécialistes, dans leurs rapports, ne fournissaient pas les informations que les médecins des Forces canadiennes recherchaient. Ainsi, il n'y avait pas de diagnostic précis de trouble de l'identité du genre, de plan de traitement, d'évolution, de pronostic. Pour le Dr. Newnham, ces carences constituent le fond du problème. Les médecins des Forces canadiennes, dira-t-elle, n'avaient qu'un portrait incomplet de la condition de Micheline Montreuil. Pour le Dr. Newnham, l'information fournie par les médecins de Micheline Montreuil étaient insuffisantes. Les informations fournies en fait ne répondaient pas aux questions posées par les médecins des Forces canadiennes.

[1041] De l'avis du Dr. Newnham, il incombait à Micheline Montreuil de prouver son bon état de santé et qu'en l'absence d'une telle preuve, il ne lui était pas possible d'attribuer un profil médical G2O2 à Micheline Montreuil. En outre, le Dr. Newnham indique dans son témoignage que le simple fait pour Micheline Montreuil de prendre des hormones, pour quelque raison que ce soit, esthétique ou autre, justifiait l'attribution d'un profil G5, tant et aussi longtemps, que la situation n'avait pas été clarifiée quant à sa condition. Confrontée au fait que Micheline Montreuil avait cessé de prendre des d'hormones, le Dr. Newnham a indiqué qu'il lui serait nécessaire pour réactiver le dossier d'obtenir une évaluation à jour de la condition de Micheline Montreuil et que tant et aussi longtemps que cela ne serait pas fait, le profil médical G5 demeurerait.

[1042] Appelée à expliquer sur quelle base elle avait pris sa décision en ce qui a trait à Micheline Montreuil, le Dr. Newnham indique dans son témoignage, qu'à la lumière de l'information qu'elle avait devant elle, soit les rapports médicaux des médecins de Micheline Montreuil et les lettres ou notes des docteurs Collins et Boddam, il lui est apparu nécessaire de renvoyer le dossier au centre de recrutement afin d'avoir plus d'information des docteurs Côté et Tremblay et, dans l'attente de ces informations, de lui accorder le profil médical G5O2 temporaire.

[1043] Le Dr. Newnham ajoutera qu'au moment où elle a pris sa décision d'attribuer le profil médical G5O2 temporaire, elle comprenait du dossier qu'elle avait devant elle que Micheline Montreuil était sous les soins de deux médecins. Dans son témoignage, le Dr. Newnham indiquera qu'elle avait, par ailleurs, compris de la lettre du 26 octobre 1999 du Dr. Tremblay que Micheline Montreuil prenait des hormones, était une transsexuelle, qu'elle était en processus de transition et que l'hormonothérapie précédait l'intervention chirurgicale. Pour le Dr. Newnham, ceci constituait un élément de risque potentiel advenant le cas où les soins ne pourraient être fournis, risque qui devait être pris en considération dans son évaluation. En outre, le Dr. Newnham ajoutera qu'elle aurait aimé avoir un diagnostic précis de la part des médecins de Micheline Montreuil, que c'était, en fait, ce qu'elle recherchait et n'obtenait pas. Ce qu'elle voulait, c'était d'avoir plus d'information sur sa condition médicale pour statuer sur le dossier de Micheline Montreuil. Cela dit, elle reconnaîtra qu'il n'y avait pas, dans la documentation soumise, de diagnostic précis de trouble de l'identité du genre.

[1044] Appelée à commenter le contenu de la lettre du Dr. Côté à l'effet que Micheline Montreuil ne présente aucune pathologie psychiatrique, le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage que ce que dit la lettre, c'est que Micheline Montreuil ne présente aucune pathologie psychiatrique qui pourrait compromettre son travail dans les Forces canadiennes, et non simplement qu'il n'avait pas de pathologie psychiatrique. Pour le Dr. Newnham, la nuance est d'importance.

[1045] En ce qui a trait au Dr. Tremblay, appelée à commenter les informations contenues dans la demande de divulgation de renseignements médicaux du 22 novembre 2001, le Dr. Newnham dira dans son témoignage que l'élément le plus préoccupant parmi toutes les informations transmises était le fait que le Dr. Tremblay avait indiqué que le risque de récurrence n'était pas prévisible. Par ailleurs, le fait demeurait, pour elle, que le Dr. Tremblay avait utilisé l'expression individu se comportant comme personne transsexuelle dans sa réponse à la demande de renseignements médicaux. Ce sont les termes que lui-même avait utilisés.

[1046] Le Dr. Newnham notera dans son témoignage que si le portait était relativement claire en 1999, à savoir, selon les informations apparaissant dans les lettres soumises, personne transsexuelle, sous hormonothérapie, en transition avant une chirurgie de réassignation, le portrait en 2001 n'était pas aussi clair, aux dires du Dr. Newnham. Pour le Dr. Newhnam, il y avait eu arrêt de l'hormonothérapie, mais aucune indication quant au risque d'avoir à reprendre le traitement hormonal dans le futur.

[1047] Interrogée quant à savoir comment elle avait vu le dossier de Micheline Montreuil, le Dr. Newnham a indiqué qu'il n'était pas pertinent pour elle d'établir si Micheline Montreuil était une femme conventionnelle, une transgenre, transsexuelle ou travestie mais de déterminer si la personne devait se voir attribuer une limitation médicale à l'emploi. Elle dira alors qu'elle a considéré la documentation devant elle, le fait que Micheline Montreuil était sous les soins d'un spécialiste. Pour le Dr. Newnham, que Micheline Montreuil se présente comme un homme ou une femme ou agisse comme un homme ou une femme n'était pas pertinent quant à la décision qu'elle devait prendre.

[1048] Le Dr. Newnham a reconnu qu'il y avait dans les Forces canadiennes des membres qui avaient un profil G3, G4 et G5. Dans ces cas, selon le témoignage du Dr. Newnham, le dossier est acheminé à DMCARM pour évaluation et décision sur la carrière du militaire. Interrogée sur la possibilité d'une dispense administrative quant aux normes minimales à l'enrôlement lorsque celle-ci ne sont pas rencontrées par un candidat, le Dr. Newnham indiquera dans son témoignage que si un militaire qui a déjà été dans les Forces armées, a été dans un métier particulier au sein des Forces demande d'être ré-enrôlé dans le même métier, celui-ci peut être dispensé s'il n'a pas le profil requis par les normes minimales à l'enrôlement, soit G2O2 et qu'il s'agit là d'une décision administrative.

[1049] Appelée à expliquer ce qu'elle comprenait du terme transgenre, le Dr. Newnham a indiqué que pour elle, une personne transgenre est une personne qui fonctionne entre un homme et une femme.

[1050] Tout comme le Dr. Collins, le Dr. Newnham est apparu au Tribunal comme une personne hautement crédible et très professionnelle, hautement consciente du rôle que joue l'officier médical au recrutement dans les Forces canadiennes. Les explications fournies en ce qui a trait à la façon dont elle a traité le dossier médical de Micheline Montreuil démontrent que le Dr. Newnham est une personne fort consciencieuse. Le Tribunal note qu'elle a pris le temps de revoir l'historique du dossier et d'analyser les différents éléments d'information qui s'y trouvaient pour prendre une décision réfléchie qui s'appuyait notamment sur les normes en vigueur au sein des Forces canadiennes en ce qui a trait à l'enrôlement d'une personne. Rien dans la façon d'agir du Dr. Newnham n'indique qu'elle a agi de façon discriminatoire à l'égard de Micheline Montreuil en raison de sa condition de transsexuel ou de transgenre.

c) L'évaluation par le Dr. K.M. Wright

[1051] La preuve révèle que le Dr. K.M. Wright fut l'officier médical au recrutement qui remplaça le Dr. Newnham lorsque celle-ci partit en congé de maternité au printemps 2002.

[1052] La preuve révèle que celle-ci fit parvenir le dossier médical de Micheline Montreuil au Directeur - Politique de santé, le 4 avril 2002 pour fin de révision et d'attribution d'une catégorie médicale et de limitations médicales à l'emploi. Dans sa lettre, elle indique avoir accordé une cote G5(T6) à Micheline Montreuil en attendant la révision de son dossier. Il appert du dossier qu'en réponse à sa lettre du 4 avril 2002, le Dr. Deilgat attribue à Micheline Montreuil la cote G5O2 vu l'absence de nouvelles informations. Suivant la preuve, le Dr. Wright communique la décision du Directeur - Politique de santé à Micheline Montreuil le 25 avril 2002 et lui explique les raisons de la décision du Directeur de maintenir les limitations antérieures, soit qu'il requiert un suivi régulier d'un spécialiste.

[1053] La preuve révèle que Micheline Montreuil écrit au Dr. Wright le 15 mai 2002 pour l'informer qu'il a cessé complètement de prendre des hormones de même que son processus de changement de sexe. Micheline Montreuil demande au Dr. Wright de soumettre son dossier au comité de révision médicale.

[1054] Selon la preuve, le Dr. Wright renvoie, le 31 mai 2002, le dossier de Micheline Montreuil au Directeur - Politique de santé pour une quatrième fois pour révision de la catégorie médicale et la détermination de limitations médicales à l'emploi, le cas échéant. Elle indique dans sa lettre qu'elle a accordé la catégorie G4(T6) en attendant la révision du dossier.

[1055] Le 14 juin 2002, le Directeur - Politique de santé (DCOSMEDPOL) fait parvenir sa réponse à la lettre du 31 mai 2002. Dans cette lettre, il est dit que la cote G5 est maintenue avec une nouvelle description de la limitation médicale à l'emploi, à savoir qu'il est établi que Micheline Montreuil présente une condition chronique.

[1056] Rien dans la preuve soumise au Tribunal n'indique que le Dr. Wright, en sa qualité d'officier médical au recrutement, a eu un comportement discriminatoire à l'égard de Micheline Montreuil. La preuve démontre qu'elle a suivi la procédure établie et qu'elle a donné suite à la demande de Micheline Montreuil d'avoir son dossier révisé par le comité de révision médicale.

(iii) L'évaluation par le psychiatre des Forces canadiennes

[1057] En rapport avec le dossier de Micheline Montreuil, l'intimée fit entendre le Dr. Boddam, médecin psychiatre au sein des Forces canadiennes. Le Dr. Boddam a expliqué les diverses étapes qui composent le recrutement d'un candidat : questionnaire, histoire médicale, examen médical, révision du dossier par l'officier médical au recrutement et, le cas échéant, enquête plus poussée, demande de renseignements médicaux auprès du médecin du candidat.

[1058] La preuve révèle qu'il fut appelé, en tant que psychiatre, à réviser le dossier de Micheline Montreuil à deux reprises. Appelé à expliquer son rôle, le Dr. Boddam indiqua que son rôle consistait à déterminer quelle restriction médicale à l'emploi était appropriée pour protéger à la fois le futur membre et les Forces canadiennes. Dans le présent dossier, le rôle du Dr. Boddam en était un de consultant.

[1059] En ce qui a trait à sa première évaluation du dossier de Micheline Montreuil, soit celle du 30 novembre 1999, le Dr. Boddam dit, après avoir reçu le dossier du Dr. Collins, avoir fait une révision de tous les documents qu'il avait en sa possession. Le Dr. Boddam indiqua d'abord que, sur la première feuille du rapport d'examen médical, il est indiqué par Micheline Montreuil qu'il est de sexe féminin et ne souffre d'aucune maladie ou invalidité pour laquelle il se fait traité bien qu'il soit indiqué dans le dossier qu'il est dans un processus de changement de sexe. En outre, le Dr. Boddam affirme que son attention fut attirée par le fait que Micheline Montreuil avait répondu qu'il n'avait aucune affection ou dépression nerveuse alors qu'il est indiqué qu'il est dans un processus de changement de sexe.

[1060] Par ailleurs, le Dr. Boddam dit avoir noté que Micheline Montreuil avait répondu oui à la question Avez-vous subi d'autres examens, tests ou traitements administrés par un médecin, un psychiatre, un psychologue ou un travailleur social ? et que, à la page suivante du Rapport d'examen médical, il est indiqué candidat en transition pour changement de sexe. Le Dr. Boddam notera également que, sur la première page du rapport, Micheline Montreuil avait indiqué qu'il prenait des hormones. Il en a déduit que la personne était engagée dans un processus de changement de sexe. En outre, cette impression semble avoir été renforcée par le fait qu'il est indiqué par l'adjudant Dumais que Micheline Montreuil était une personne de sexe masculin. Il note également que l'adjudant Dumais a inscrit à la section H du Rapport d'examen médical Inapte temporaire en attendant opération changement de sexe.

[1061] Appelé à commenter la lettre du Dr. Lehoux, le Dr. Boddam suggéra que c'est un document entre une lettre et un rapport. Selon son témoignage, deux éléments ont retenu son attention, soit le fait que Micheline Montreuil a entrepris de féminiser son apparence et qu'elle est engagée dans un processus de changement de sexe. Le Dr. Boddam a assumé erronément que le Dr. Lehoux était une dermatologue. Pour lui, la référence au Dr. Tremblay et au traitement hormonal, ajoutée aux autres éléments, correspond à une personne qui, ayant un trouble de l'identité du genre, est engagée dans un processus de changement de sexe.

[1062] Appelé à commenter le rapport du Dr. Côté, le Dr. Boddam dira qu'il s'agit d'une courte lettre qui n'apporte pas beaucoup d'information et qu'il lui fut difficile de savoir où on en était avec l'élément psychiatrique. Cela dit, le Dr. Boddam a témoigné que l'élément qui l'a le plus frappé est la référence au processus de changement. Il en a déduit qu'il était en présence d'une personne qui n'était pas d'un point de vue thérapeutique stable, qu'elle était en traitement en vue de devenir une personne de sexe féminin. En outre, il a en conclu que Micheline Montreuil était une personne qui s'identifiait comme femme et qui était engagée dans un processus de changement de sexe. Il a également déduit de la lettre que la transformation n'était pas complète.

[1063] Appelé à commenter la lettre du Dr. Tremblay, le Dr. Boddam n'a fait que reprendre en anglais les différents éléments de la lettre.

[1064] De l'ensemble de la documentation qui lui fut acheminée par le Dr. Collins, le Dr. Boddam dira qu'il estimait être en présence d'une preuve qui suggérait que Micheline Montreuil souffrait d'un trouble de l'identité du genre, qu'il était en traitement, qu'il y avait au moins trois médecins impliqués dans ses traitements, qu'il était compliant par rapport aux traitements.

[1065] Par ailleurs, le Dr. Boddam a indiqué dans son témoignage que ce qui le préoccupait le plus étaient les perspectives à long terme en rapport avec les traitements que recevait Micheline Montreuil, ainsi que le fait qu'il était toujours en traitement. Il s'est dit intrigué par le peu d'information fournie par le Dr. Côté et que pour lui, en matière de trouble de l'identité du genre, il y a un processus d'évaluation assez élaboré. De plus, il se demandait comment la condition de Micheline Montreuil ne mettrait pas celui-ci dans une situation de vulnérabilité eu égard aux exigences de l'entrainement militaire. Bref, en date du 30 novembre 1999, le Dr. Boddam était d'avis que Micheline Montreuil présentait un trouble de l'identité du genre.

[1066] La preuve démontre qu'en rapport avec le dossier de Micheline Montreuil, le Dr. Boddam fut appelé à rédiger une seconde note, le 17 janvier 2000. Le Dr. Boddam indique dans son témoignage qu'après la lecture de tous les documents qui lui avaient été soumis, il était perplexe quant aux lettres du Dr. Côté considérant, d'une part, l'affirmation deux mois auparavant, de la part de celui-ci, que Micheline Montreuil était engagé dans un processus de changement de sexe et, d'autre part, l'affirmation plus récente du Dr. Côté à l'effet qu'une transformation incomplète constituait un élément positif pour Micheline Montreuil. Pour le Dr. Boddam, il y avait là un changement de cap à l'intérieur d'une période de six semaines qui demeurait inexpliqué eu égard à la documentation soumise. Le Dr. Boddam a mentionné dans son témoignage qu'il se serait attendu à recevoir l'histoire médicale de Micheline Montreuil, ainsi qu'une évaluation de son traitement. Il s'est dit déçu par le peu d'information reçue.

[1067] Dans son témoignage, le Dr. Boddam a également reconnu avoir eu alors en sa possession la lettre écrite par Micheline Montreuil au Dr. Collins le 22 décembre 1999. Dans son témoignage, le Dr. Boddam souligne que Micheline Montreuil utilise le terme transsexuel et que pour lui, cela fait référence à une personne qui veut changer de genre.

[1068] Pour le Dr. Boddam, la chirurgie de réassignation sexuelle constituait, eu égard aux informations dont il disposait, le mode de résolution du problème de trouble de l'identité du genre. Il était d'opinion, eu égard à la documentation qui lui avait été soumise, que ce qu'il percevait être l'équipe de soins de Micheline Montreuil envisageait une chirurgie de réassignation sexuelle. Cela dit, pour le Dr. Boddam, la chirurgie de réassignation sexuelle ne constitue pas la seule option lorsque l'on est en présence d'une personne qui présente un trouble de l'identité du genre.

[1069] Sur la question de l'existence d'une équipe de soins, le Dr. Boddam indiqua dans son témoignage que, compte tenu des informations reçues de Micheline Montreuil, tout portait à croire qu'il était dans un processus de changement de sexe et qu'un tel processus implique généralement un suivi par une équipe inter-disciplinaire et que, dans ce cas précis, figuraient au dossier des évaluations de trois médecins.

[1070] Sur la base de ces informations, le Dr. Boddam en a induit qu'il s'agissait d'une personne engagée dans un processus de traitement relié à un trouble de l'identité du genre. Par la suite, lorsque le dossier a démontré un changement dans le processus de changement de sexe, Micheline Montreuil ayant cessé son hormonothérapie et ayant indiqué qu'il ne voulait plus de chirurgie de réassignation sexuelle, le Dr. Boddam voulut alors savoir de l'équipe médicale qu'il avait identifiée quelle était leur opinion en ce qui concerne ce changement de cap.

[1071] Selon le Dr. Boddam, il revient aux Forces canadiennes de déterminer si une personne est apte à servir dans les Forces canadiennes, plus particulièrement à l'officier médical au recrutement ou au Directeur - Politique de santé. Dans le cours de son témoignage, le Dr. Boddam a noté qu'il y avait plusieurs situations stressantes sur les terrains d'opération, qu'il y avait peu de psychiatres pour prodiguer des soins psychiatriques aux militaires qui pouvaient en avoir besoin. Selon le Dr. Boddam, une personne qui a une maladie mentale voit, en situation de stress, son risque de voir sa maladie s'aggraver accru.

[1072] Le Dr. Boddam a, par ailleurs, indiqué que les médecins des Forces canadiennes ne reçoivent pas les candidats en entrevue. Le Dr. Boddam devait ajouter, en ce qui a trait à Micheline Montreuil, qu'il ne l'avait pas rencontré. Appelé à s'expliquer, le Dr. Boddam indiqua qu'en ce qui a trait à Micheline Montreuil, le problème qu'il présentait n'était pas résolu, que les médecins des Forces canadiennes cherchaient à obtenir de plus amples informations de ses médecins et qu'ils n'avaient pas obtenu l'information recherchée, plus spécifiquement de réponses satisfaisantes à leurs questions. Pour le Dr. Boddam, une entrevue n'aurait rien changé puisque l'information recherchée était celle détenue par les médecins de Micheline Montreuil.

[1073] Interrogé sur l'évaluation psychiatrique d'une personne, le Dr. Boddam a indiqué que l'histoire médicale était importante, ainsi que les réponses aux questions qu'elle pouvait fournir, soulignant toutefois la possibilité pour la personne de minimiser ses faiblesses et de maximiser ses forces, d'où l'importance de recevoir des informations de plusieurs sources pour fin de corroboration.

[1074] Appelé à dire quelle est sa compréhension du terme transgenre, le Dr. Boddam indiqua que, en ce qui le concerne, le terme transgenre réfère à une personne qui souffre probablement d'un trouble de l'identité du genre. Pour le Dr. Boddam, le trouble de l'identité du genre représente un état où il existe une disparité entre le sexe biologique d'une personne et son genre psychologique. Dans son témoignage, le Dr. Boddam a reconnu qu'il y avait dans les Forces canadiennes des personnes qui présentaient ou avaient présenté un trouble de l'identité du genre.

[1075] En ce qui concerne une personne qui n'est pas dans les Forces canadiennes mais qui veut y entrer, le Dr. Boddam indiqua que la préoccupation des Forces est l'impact fonctionnel de cet état sur le service dans les Forces canadiennes et sa trajectoire potentielle. Selon le Dr. Boddam, les Forces canadiennes recommanderaient à un candidat qui se présenterait dans cet état de se faire traiter et de revenir une fois le problème résolu. Le Dr. Boddam indiqua, par ailleurs, que les Forces canadiennes n'enrôlent pas des personnes qui ont un problème de santé non résolu, que ce soit un trouble de l'identité du genre ou un autre problème de santé et qu'il n'existe pas au sein des Forces canadiennes de politique spécifique sur les troubles de l'identité du genre.

[1076] A la lumière des informations fournies par le Dr. Boddam et de l'ensemble de preuve, le Tribunal conclut que le Dr. Boddam a agi comme un professionnel compétent et consciencieux, bien au fait de ses responsabilités dans la sélection des candidats à l'enrôlement dans les Forces canadiennes et de la primauté du principe de l'universalité du service, de même que de la nécessité de pourvoir les Forces canadiennes de candidats en santé, qui ne représentent pas un risque non négligeable pour le service dans les Forces canadiennes, tant en ce qui a trait à leur propre bien-être qu'au bien-être d'autrui.

(iv) L'évaluation par le Dr. Georgantopoulos et DMEDPOL

[1077] La preuve révèle que le Dr. Georgantopoulos rédigea deux notes en ce qui a trait à Micheline Montreuil. Le Dr. Georgantopoulos ne fut pas appelé comme témoin. Il appert de la preuve que le Dr. Georgantopoulos uvre dans le service ou le bureau du Directeur - Politique de santé (DMEDPOL), l'autorité supérieure en matière d'attribution de limitations médicales à l'emploi.

[1078] Il appert de sa première note, datée du 23 février 2000, que le Dr. Georgantopoulos aurait discuté du dossier de Micheline Montreuil avec le Colonel Cameron. Le Dr. Georgantopoulos indique dans sa note qu'il avait été convenu que Micheline Montreuil devrait se voir attribuer à tout le moins le profil G3O2 jusqu'à ce que le problème de genre soit résolu. Il souligne que Micheline Montreuil prend actuellement des hormones et a subi une transformation partielle et que celle-ci a indiqué que la prise d'hormones cessera dans le futur. Le Dr. Georgantopoulos indique dans sa note qu'il serait prudent que Micheline Montreuil soit réévaluée une fois que l'effet des hormones aura disparu et d'avoir une confirmation claire de son médecin qu'aucun autre traitement n'est requis en rapport avec la problématique de l'identité du genre.

[1079] La preuve révèle que le Dr. Georgantopoulas écrivit une autre note en rapport avec le dossier de Micheline Montreuil le 7 avril 2000. Dans sa note, le Dr. Georgantopoulos écrit qu'en lien avec la question posée par Micheline Montreuil, ce qu'il est nécessaire d'obtenir est un commentaire clair de son psychiatre qu'il ne requerra pas, d'un point de vue de santé mentale, aucun traitement en rapport avec la problématique de l'identité du genre. En d'autres mots, (nous soulignons), il veut savoir si le spécialiste est prêt à dire que Micheline Montreuil peut se passer de soutien de nature psychothérapeutique ou médical durant une période de 30 ans. Pour lui, telle est la question à laquelle une réponse est requise.

[1080] Il appert de la preuve que le Dr. Collins fit part dans une lettre qu'il fait parvenir à Micheline Montreuil le 17 mai 2000 du contenu de la note du Dr. Georgantopoulos, sans faire spécifiquement faire référence à ce dernier ou à sa note. Dans sa lettre, le Dr. Collins reprend presque mot pour mot le contenu de la note du Dr. Georgantopoulos.

[1081] L'exigence du 30 ans fut l'objet d'un vif débat dans le cadre du présent dossier. Tel que vu précédemment, plusieurs médecins qui ont témoigné ont eu à commenter l'exigence du 30 ans sans avoir pu examiner l'ensemble de la note rédigée par le Dr. Georgantopoulos et son contexte.

[1082] Tiré hors de son contexte, il est clair que de demander à un psychiatre d'attester qu'une personne n'aura pas besoin de support médical ou psychologique durant une période de 30 ans relève de l'impossible. Nul ne peut prédire l'avenir. De façon presqu'unanime, les médecins à qui la question fut posée ont affirmé que cela était impossible. Certains ont reconnu que c'était de la part du Dr. Georgantopoulos un mauvais choix de mots, que le sens à en tirer était que le Dr. Georgantopoulous se référait à la période de temps durant laquelle Micheline Montreuil serait dans les Forces canadiennes.

[1083] Le Tribunal est d'avis, tout comme les médecins qui ont été appelés à commenter l'exigence du 30 ans, qu'il est impossible logiquement et professionnellement de demander à un médecin de certifier ou d'attester qu'un de ses patients n'aura pas besoin de soins médicaux au cours des 30 prochaines années.

[1084] Cela dit, il importe de replacer les propos du Dr. Georgantopoulous dans leur contexte. Il importe de préciser que les propos du Dr. Georgantopoulous ne concernent que l'aspect santé mentale du dossier. Ils ne portent nullement sur l'hormonothérapie de Micheline Montreuil qui a cessé.

[1085] Suivant la note, ce que le Dr. Georgegantopoulos recherche, c'est un énoncé clair du psychiatre de Micheline Montreuil que Micheline Montreuil, d'un point de vue de santé mentale, ne nécessitera plus de traitement en ce qui concerne son identité sexuelle : `what we need is a clear comment from her psychiatrist that she will not, from a mental health point of view, require any further treatment of her gender identity issues'. Tel est ce que recherche essentiellement le Dr. Georgantopoulos, information qui ne vient pas du Dr. Côté et pour cause quand on connaît la nature et les circonstances de son implication dans le dossier de Micheline Montreuil. Ce que recherche donc fondamentalement le Dr. Georgegantopoulos et, partant, le bureau du Directeur - Politique de santé, c'est un confirmation du psychiatre de Micheline Montreuil que le trouble de l'identité du genre, perçu par les médecins des Forces canadiennes et, ultérieurement diagnostiqué par le Dr. Beltrami et le Dr. Assalian, est résolu. Considérant les obligations qui incombent au personnel médical impliqué dans la sélection de candidats désirant s'enrôler dans les Forces canadiennes, il était impératif que cette information soit fournie aux médecins des Forces canadiennes.

[1086] Ce que le Tribunal comprend donc de ces propos, c'est que les médecins des Forces canadiennes veulent avoir la certitude que le trouble de l'identité du genre qu'ils perçoivent chez Micheline Montreuil a bel et bien été résolu, une fois pour toutes. Pour mieux faire comprendre son propos, le Dr. Georgantopoulos écrit : In other words, will the specialist commit to a statement that this individual can go 30 years without any psychotherapy or medical support for this issue. That is the question that needs answering.

[1087] Afin de déterminer si cet élément en soi constitue une élément discriminatoire lié au fait que Micheline Montreuil est perçu comme ayant un trouble de l'identité du genre, il importe de ne pas l'isoler de l'ensemble des autres éléments révélés par la preuve, notamment le fait que le Dr. Côté a produit des rapports de piètre qualité sur la condition de Micheline Montreuil, ce que lui-même a reconnu. Dans son premier rapport, il indique que, bien que la transformation soit incomplète sur le plan physique, l'identité demeure principalement du côté féminin. Dans son second rapport, le Dr. Côté indique que la transformation incomplète lui apparaît comme un élément positif pour elle.

[1088] Ayant en main ces informations, le Tribunal croit qu'il était tout à fait justifié pour le Dr. Georgantopoulos de vouloir plus d'information sur ce que représente une transformation incomplète quant aux Forces canadiennes qui n'enrôlent pas des personnes atteintes de pathologies qui les empêchent de satisfaire au principe de l'universalité du service. Ceci constitue l'essence de sa note.

[1089] Le Tribunal note qu'il est ironique que Micheline Montreuil ait fait de l'exigence du 30 ans, qu'il considère une condition impossible à remplir, l'un de ses principaux chevaux de bataille pour démontrer qu'il avait été victime de discrimination en raison de son genre ou de son sexe alors que lui-même à moult reprises a pris des engagements pour l'avenir qu'il n'était pas en mesure de prendre, tel qu'assurer les Forces canadiennes, dans une lettre adressée le 22 décembre 1999 au Dr. Collins, qu'il ne subira pas de chirurgie de réassignation sexuelle ou de plastie mammaire alors qu'il sera dans les Forces canadiennes, de promettre, dans la même lettre, d'arrêter son hormonothérapie à la fin de janvier 2000 alors que la preuve révèle qu'il a cessé son hormonothérapie en février 2001, d'affirmer, dans une lettre du 21 mars 2000 adressée au Dr. Collins, qu'il sursoit à tout traitement médical relié à un changement de sexe jusqu'à ce qu'il prenne sa retraite des Forces canadiennes, d'affirmer, dans une lettre au lieutenant-général Couture, en date du 13 novembre 2001, qu'il n'aura besoin d'aucun soin médical ou traitement médical relatif à son changement d'identité au cours des quinze prochaines années, ce qui le conduirait à l'âge de la retraite.

[1090] Le Tribunal conclut, que lorsque replacé dans son contexte immédiat, de même que dans le contexte de la preuve présentée dans le présent dossier, l'exigence du 30 ans contenue dans la note du Dr. Georgantopoulos et la lettre du Dr. Collins ne constitue pas un élément de nature discriminatoire dirigée contre Micheline Montreuil en raison de sa condition de transgenre ou de transsexuel mais l'expression d'une certaine frustration de la part des Forces canadiennes de ne pas recevoir les informations recherchées de la part d'un psychiatre que Micheline Montreuil présente comme son phychiatre alors qu'il ne l'est pas.

(v) L'évaluation par le Directeur - Politique de santé (DMEDPOL)

[1091] La preuve révèle qu'au sein des Forces canadiennes, le Directeur - Politique de santé (DMEDPOL) constitue l'autorité finale en matière d'attribution d'une catégorie médicale et de limitation médicale à l'emploi. La preuve révèle que le dossier de Micheline Montreuil fut révisé à quatre prises par des médecins de cette Direction. Aucune preuve ne fut apportée établissant que les médecins de cette Direction ont agi de façon discriminatoire à l'endroit de Micheline Montreuil en raison de sa condition de transgenre.

E. Les méprises et les décisions des Forces canadiennes

[1092] Le Tribunal pourrait arrêter ici son analyse de la preuve, mais compte tenu des particularités du présent dossier, le Tribunal est d'avis qu'il doit analyser un certain nombre d'éléments qui ont, à plusieurs reprises, animé le présent dossier.

[1093] La preuve révèle que Micheline Montreuil estime qu'il fut l'objet de plusieurs méprises en ce qui a trait à sa condition et au traitement de son dossier par les Forces canadiennes. Micheline Montreuil ira jusqu'à dire que les Forces canadiennes ont fait preuve d'aveuglement volontaire à son égard. En outre, Micheline Montreuil est d'avis que les Forces canadiennes ont pris de mauvaises décisions en ce qui la concerne, notamment en refusant qu'un de ses médecins le rencontre pour qu'il puisse s'expliquer. Il importe de considérer chacun de ces éléments.

(i) Les méprises

[1094] Micheline Montreuil reproche aux Forces canadiennes de s'être mépris sur sa condition de transgenre, sur le but visé par son hormonothérapie, sur son intention de changer de sexe, sur le suivi assuré par une équipe de médecins, sur l'identité de ses médecins.

a) La méprise sur la condition médicale

[1095] En ce qui a trait à l'évaluation que les Forces canadiennes ont fait de sa condition, Micheline Montreuil reproche aux Forces canadiennes d'avoir, dès le départ, pris une mauvaise tangente et d'y être demeurées pendant trois ans en présumant, à tort, dès le départ qu'il était une personne transsexuelle engagée dans un processus de changement de sexe alors qu'il n'était qu'une personne transgenre qui voulait vivre entre les deux sexes avec une paire de seins et un pénis.

[1096] Micheline Montreuil dira, à cet égard, qu'un problème de compréhension est survenu chez l'adjudant Dumais, le Dr. Collins, le Dr. Boddam. Ceux-ci n'ont pas compris, dira-t-il, sa condition particulière. Dans son témoignage, Micheline Montreuil affirmera qu'il a dit, à maintes reprises, qu'il était transgenre et non transsexuel mais que les médecins des Forces canadiennes n'ont jamais compris ou voulu comprendre cela.

[1097] Pour Micheline Montreuil, les médecins des Forces canadiennes ne pouvaient admettre qu'il leur dise qu'il n'était pas transsexuel et qu'il n'aurait pas d'opération. Selon Micheline Montreuil, dès le mois d'octobre 1999, les médecins des Forces canadiennes ont perçu chez lui une déficience et n'ont pas pris la peine de lui poser des questions sur sa véritable condition et ses véritables intentions.

[1098] Dans son témoignage, Micheline Montreuil reviendra souvent sur le fait que nulle part dans la documentation produite, il est écrit qu'elle est une transsexuelle qui a obtenu ses autorisations et qui se fera opérer à une date précise. Pour Micheline Montreuil, le fait qu'il n'ait jamais obtenu de rendez-vous pour une opération est une preuve qu'il n'a jamais été question pour lui de s'engager dans un processus de changement de sexe et c'est ce que les personnes qui ont été impliquées dans son dossier auraient dû comprendre.

[1099] Il suffit de lire quelques lettres écrites par Micheline Montreuil pour constater qu'il a lui-même créé la confusion en ce qui a trait à sa condition. Ainsi, dans la lettre qu'il fait parvenir le 22 décembre 1999 au Dr. Collins, officier médical au recrutement, Micheline Montreuil indique qu'il n'entend pas se soumettre à quelque changement de sexe au cours des trois prochaines années, que même s'il avait un traitement complet de sa condition, il rencontrerait néanmoins des difficultés comme femme ou comme transsexuelle. Par ailleurs, dans la lettre qu'il fait parvenir au Dr. Collins, le 21 mars 2000, Micheline Montreuil indique qu'il sait que s'il continue son hormonothérapie et le processus pour devenir une personne transsexuelle, il sera sans emploi durant cinq ans. À cela, il ajoutera qu'il n'entend pas se soumettre à aucun traitement médical en vue de changer de sexe ou son corps.

[1100] Par ailleurs, le Tribunal tient à souligner que, dans le cadre de son argumentation, Micheline Montreuil est souvent revenu sur le fait que le Dr. Côté avait dans son rapport indiqué qu'il ne présentait aucune pathologie qui pouvait compromettre son retour dans les Forces canadiennes en tant que femme et en a tiré argument qu'il n'était atteint d'aucune pathologie psychiatrique.

[1101] Le Tribunal ne peut que souligner la mauvaise foi de Micheline Montreuil à cet égard. La preuve révèle que le Dr. Côté ne s'est jamais prononcé sur l'état mental de Micheline Montreuil en rapport avec sa transformation physique ou sa transition d'homme à femme. Tout ce qu'il a fait fut d'évaluer en 1998 si Pierre Montreuil avait été en mesure de donner un consentement éclairé. On ne saurait, en toute bonne foi, s'appuyer sur le rapport du Dr. Côté pour prétendre que le Dr. Côté n'avait jamais vu chez Micheline Montreuil de pathologie psychiatrique reliée à sa condition de transgenre.

[1102] Le Tribunal est d'avis que dans le présent dossier, Micheline Montreuil a lui-même créé la confusion en ce qui concerne sa condition et il ne saurait reprocher, en toute bonne foi, aux médecins des Forces canadiennes qui ont agi avec compétence et bonne foi eux de ne pas avoir compris que Micheline Montreuil n'était pas un transsexuel qui se dirigeait vers une opération de changement de sexe. Au contraire, la correspondance mise en preuve et les témoignages entendus laissent clairement sous-entendre que Micheline Montreuil est une personne transsexuelle en transition et que le fait qu'il ne soit pas noté qu'il ne veut pas se faire couper le pénis et avoir un vagin importe peu.

b) La méprise sur l'hormonothérapie

[1103] Dans son témoignage et ses commentaires, Micheline Montreuil dira à plusieurs reprises que la raison pour laquelle il a consulté le Dr. Tremblay n'avait rien à voir avec le fait qu'il pouvait être malade, mais que c'était uniquement dans le but d'avoir des seins et de féminiser son corps en sa qualité de personne transgenre. Micheline Montreuil reproche ainsi aux Forces canadiennes de ne pas avoir compris que son hormonothérapie avait une visée cosmétique ou esthétique, qu'elle ne visait qu'à le doter d'une paire de seins, que cette croissance se ferait sous contrôle médical et qu'il n'était pas associé à un quelconque processus de changement de sexe.

[1104] La preuve révèle que la prise d'hormones par Micheline Montreuil fut faite, suivant la documentation acheminée aux médecins des Forces canadiennes, dans un contexte où il était question, à tort ou à raison, d'un processus de transition de la part d'une personne identifiée comme une personne transsexuelle ou se comportant comme une personne transsexuelle.

[1105] Le rapport du Dr. Lehoux du 20 octobre 1999, le rapport du Dr. Tremblay du 26 octobre 1999, la lettre de Micheline Montreuil au Dr. Collins du 22 décembre 1999, la lettre du 15 mars 2000 du Dr. Tremblay au Capitaine Labonté en sont des exemples probants. De l'avis du Tribunal, on ne saurait prétendre que l'hormonothérapie n'était aucunement reliée à un possible changement de sexe.

[1106] De ce qui précède, le Tribunal conclut qu'il était raisonnable, dans les circonstances, pour les médecins des Forces canadiennes de penser que l'hormonothérapie de Micheline Montreuil ne visait pas uniquement à se doter d'une paire de seins dans un but uniquement esthétique mais qu'elle s'inscrivait dans un processus de changement de sexe.

c) La méprise sur le changement de sexe

[1107] Micheline Montreuil affirmera à plusieurs reprises au cours de l'audition qu'en tant que transgenre, il n'a jamais voulu changer de sexe. Pour soutenir la position qu'il n'a jamais voulu changer de sexe ou n'a jamais été engagé dans un processus de changement, Micheline Montreuil dira que nulle part dans la correspondance avec les Forces canadiennes a-t-il indiqué ou est-il indiqué qu'il voulait se faire couper le pénis et manifesté le désir d'avoir un vagin. Tel que vu précédemment, Micheline Montreuil reviendra aussi sur le fait que nulle part dans la documentation produite, il est écrit qu'il est une personne transsexuelle qui a obtenu ses autorisations pour une chirurgie et qu'il se fera opérer à une date précise. Pour Micheline Montreuil, le fait qu'il n'ait jamais obtenu de rendez-vous pour une opération est une preuve qu'il n'a jamais été question pour lui de s'engager dans un processus de changement de sexe.

[1108] En outre, tel que vu précédemment, Micheline Montreuil a soutenu tout au long de son témoignage et au cours de sa plaidoirie, que le seul but de l'hormonothérapie était d'avoir des seins, que le traitement n'était aucunement lié à un quelconque processus de changement de sexe et que les Forces canadiennes auraient dû le réaliser. L'analyse des lettres que Micheline Montreuil lui-même a fait parvenir aux Forces canadiennes tend à prouver le contraire.

[1109] Tel que vu précédemment, dans la lettre qu'il fait parvenir au Dr. Collins le 22 décembre 1999, Micheline Montreuil fait part à ce dernier de ce qui suit : I do not intend and I give you my words (sic) that I will not go through surgery while I will be in the Canadian Armed Forces. The initial contract is always a three year contract and I will not submit myself to any surgery for sex change or any other kind of surgery for the same thing like breast implants.

[1110] Par ailleurs, dans la lettre qu'il fait parvenir 15 mois plus tard, au Dr. Collins, soit le 21 mars 2001, Micheline Montreuil écrit ce qui suit: As I told you, I have decided to stop the hormonal therapy because I do not need hormones right now. I prefer to have a job and I know that if I continue the hormonal therapy and the process to become a transsexual, I will be out of work for at least five years. Enfin, dans une lettre qu'il fait parvenir, le 15 mai 2002 au Dr. Wright, officier médical au recrutement, soit 14 mois plus tard, Micheline Montreuil écrit : So and because I want to be back in the Canadian Forces, I have completely stopped the hormonal therapy since February 2001 and have completely stopped any sex change process. ( )

[1111] De l'avis du Tribunal, tout laisse croire dans ces trois lettres que l'hormonothérapie ou l'acquisition de seins s'inscrit dans un processus de changement de sexe.

[1112] Enfin, il importe de noter que dans son affidavit circonstancié du 21 juin 2000, Micheline Montreuil fait référence au fait qu'il prépare, en 1997, sa demande de changement de nom comme condition préalable à son changement de sexe. Bien que ce document n'ait pas été disponible aux Forces canadiennes, il n'en demeure pas moins important dans la mesure où il reflète les intentions véritables de Micheline Montreuil, le Tribunal prenant pour acquis que ce qui est appuyé d'un serment ou d'une déclaration solennel est vrai et que, dans une requête appuyée d'un affidavit, les faits doivent être tenus comme vrais.

[1113] En conséquence, le Tribunal conclut qu'il était tout à fait légitime pour les médecins des Forces canadiennes de penser que Micheline Montreuil était engagé au moment où il a fait sa demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes et par la suite, non seulement dans une thérapie visant à lui donner des seins mais également dans un processus de changement de sexe.

d) La méprise sur l'équipe de soins

[1114] Micheline Montreuil soutient que les médecins des Forces canadiennes ont, à tort, considéré qu'il était suivi par une équipe de professionnels comme le sont les personnes transsexuelles, tel que le révèle la preuve dans le présent dossier, ou encore par un psychiatre, en l'occurrence le Dr. Côté.

[1115] Le Tribunal note que, bien qu'il n'ait eu qu'un seul médecin traitant, soit le Dr. Tremblay, le Dr. Lehoux se limitant à un épilation des poils de la barbe et du thorax, Micheline Montreuil, de par ses agissements, a clairement ouvert la porte à ce que les médecins des Forces canadiennes puissent, en toute bonne foi, penser que Micheline Montreuil était sous les soins d'un groupe de médecins au moment où il a fait sa demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes.

[1116] Premièrement, il importe de souligner que, bien qu'il n'ait pas été sous les soins d'un psychiatre, Micheline Montreuil a néanmoins requis des rapports médicaux de la part du Dr. Côté. S'il avait fait preuve de franchise, Micheline Montreuil n'aurait pas fait appel au Dr. Côté, sachant que celui-ci ne l'avait jamais évalué pour sa condition de transgenre.

[1117] Deuxièmement, en demandant au Dr. Côté et au Dr. Lehoux, qui n'avaient aucune expertise en matière de transsexualité, ainsi qu'au Dr. Tremblay de recommander qu'il effectue un retour dans les Forces canadiennes en tant que femme, tout donnait à penser que ces trois médecins travaillaient de concert. L'allusion dans la lettre du Dr. Lehoux du 20 octobre 1999 au fait que Micheline Montreuil était sous la surveillance médicale d'un de ses confrères, pouvait également laisser penser qu'il y avait un embryon d'équipe ou du moins de concertation en ce qui concerne ces deux médecins.

[1118] Troisièmement, il importe de souligner que Micheline Montreuil a lui-même présenté le Dr. Lehoux, le Dr. Tremblay et le Dr. Côté comme trois des meilleurs spécialistes de la région de Québec. En présentant ces personnes comme faisant partie d'un tout, une personne raisonnable et de bonne foi pouvait certes penser que ces médecins faisaient équipe ou du moins agissait de concert.

[1119] En conséquence, le Tribunal conclut qu'il était raisonnable pour les médecins des Forces canadiennes de penser que Micheline Montreuil était l'objet d'un suivi de la part d'un groupe de médecins, si ce n'est une équipe de médecins, et on ne saurait rien leur reprocher à cet égard.

e) La méprise sur les médecins

[1120] Micheline Montreuil affirmera dans son témoignage qu'il n'avait jamais de sa vie consulté ni un psychiatre, ni un psychologue, ni un travailleur social pour quelque sujet que ce soit et que la seule chose qu'il avait fait était d'avoir demandé une expertise au Dr. Côté dans un contexte particulier. Or, cet élément n'a jamais été porté à l'attention des médecins des Forces canadiennes.

[1121] Micheline Montreuil a plutôt choisi de solliciter des rapports médicaux d'une personne qu'il dira dans une lettre être son psychiatre alors qu'il n'en était rien. Peut-on reprocher aux médecins des Forces canadiennes d'avoir pu penser que le Dr. Côté était en fait son psychiatre? Tel que dit précédemment, pourquoi avoir obtenu du Dr. Côté un rapport s'il n'était pas suivi par celui-ci?

[1122] Le Tribunal conclut qu'il était tout à fait justifié et raisonnable pour les médecins des Forces canadiennes de conclure que Micheline Montreuil faisait l'objet d'un suivi médical par un psychiatre ou avait déjà été traité par un psychiatre. Il ne faut pas oublier que la demande initiale des Forces canadiennes étaient d'obtenir un résumé de dossier sur transition - changement de sexe.

[1123] Micheline Montreuil peut bien dire que le Dr. Côté n'a jamais, dans les faits, été son médecin traitant et le Dr. Côté peut le corroborer, il n'en demeure pas moins que, sur la base de la correspondance qui leur était acheminée, les médecins des Forces canadiennes étaient amplement justifiés de comprendre que Micheline Montreuil était suivi ou avait été suivi par un psychiatre et un endocrinologue.

[1124] En conclusion, pour résumer le tout, le Tribunal notera que, dans le cadre de la présente instance, Micheline Montreuil s'est plaint à répétition du fait que les Forces canadiennes n'ont pas compris qu'il était transgenre bien qu'il utilise le terme transsexuel, n'ont pas compris qu'il ne consultait pas une équipe médicale malgré le fait qu'il avait soumis trois rapports médicaux, n'ont pas compris que, parce qu'il ne voulait pas d'opération, il ne pouvait pas être une personne transsexuelle au sens classique du terme, n'ont pas compris qu'il ne recevait pas de soins psychiatriques, malgré le fait qu'il ait soumis par deux fois un rapport psychiatrique ou une lettre de psychiatre faisant certains constats sur sa condition, n'ont pas compris que son désir d'avoir des seins et de se soumettre à une hormonothérapie ne s'inscrivait pas dans un processus de transition ou de changement de sexe mais n'avait qu'un but cosmétique ou esthétique, n'ont pas compris qu'il y a des personnes qui comme lui pensent qu'ils n'ont pas besoin de consultation avec un psychiatre parce qu'ils ne sont pas transsexuels et ne veulent pas changer de sexe bien qu'il ait fait appel lui-même à un psychiatre, n'ont pas compris que tout ce qu'il recherchait était d'avoir un corps qui correspondait à ses goûts esthétiques. Point.

[1125] En conséquence, en qui concerne les diverses méprises reprochées par Micheline Montreuil aux Forces canadiennes eu égard à l'ensemble des éléments décrits ci-dessus, le Tribunal est d'avis que Micheline Montreuil a été l'artisan de son propre malheur. S'il y a eu confusion, Micheline Montreuil en est le grand responsable et il n'a qu'à s'en prendre à lui-même. La franchise et la transparence auraient été de meilleurs alliés que la confusion et l'ambiguïté.

(ii) Les décisions

[1126] Micheline Montreuil soutiendra que toutes les méprises dont elle a été l'objet auraient pu facilement être dissipées si les Forces canadiennes avaient accepté de le rencontrer pour qu'il puisse s'expliquer. Il soutiendra, en outre, qu'il aurait été indiqué pour les Forces canadiennes de recourir à une expertise externe indépendante dans son cas. En outre, il affirmera que la décision de fermer son dossier d'enrôlement de 1997 alors qu'il venait de faire une nouvelle demande était injustifiée. Par ailleurs, de l'ensemble du témoignage de Micheline Montreuil, il apparaît clairement au Tribunal que Micheline Montreuil n'a cessé de reprocher aux Forces canadiennes d'avoir médicalisé son dossier, d'avoir osé envisager qu'il souffrait d'un trouble de l'identité du genre alors qu'il leur disait qu'il n'en était rien, de ne pas avoir compris que c'était son droit le plus absolu de prendre ou de cesser de prendre des hormones féminisantes, et ce à sa guise, sans que cette décision ne puisse être contestée par qui que ce soit, Micheline Montreuil étant le juge ultime en cette matière, les Forces canadiennes n'ayant qu'à accepter cet état de fait, point, qu'il n'était pas approprié pour les médecins des Forces canadiennes de se demander pourquoi Micheline Montreuil voulait avoir des seins, vu que c'était un choix personnel.

a) Le refus d'une rencontre face à face

[1127] Micheline Montreuil reproche aux médecins des Forces canadiennes d'avoir décliné son invitation de les rencontrer et soutient, à cet égard, qu'il aurait été indiqué pour les médecins des Forces canadiennes de le rencontrer parce qu'il constituait un cas particulier. Au cours d'une telle rencontre, il aurait pu leur expliquer sa condition de personne transgenre. La preuve révèle qu'il était même prêt à rencontrer le psychiatre des Forces canadiennes, le Dr. Boddam, pour lui expliquer ce qu'est une personne transgenre. Celui-ci a refusé.

[1128] La preuve révèle que la procédure établie au sein des Forces canadiennes était à l'effet que les candidats n'étaient pas reçus en entrevue après l'entrevue initiale avec l'adjoint au médecin. La preuve établit qu'une fois que le candidat avait été évalué par l'adjoint au médecin, tout questionnement sur l'état de santé d'un candidat était résolu en faisant appel aux médecins de qui la personne recevait ou avait reçu des soins et en sollicitant de ceux-ci des résumés de dossier, la raison étant que ceux-ci connaissent mieux que quiconque la personne.

[1129] En ne rencontrant pas Micheline Montreuil en entrevue, les officiers médicaux au recrutement et les autres médecins des Forces canadiennes n'ont fait que suivre la procédure établie. Leur attitude ne comporte aucun élément discriminatoire à l'égard duquel Micheline Montreuil pourrait se plaindre.

[1130] Qui plus est, on voit mal comment lors d'une simple rencontre avec le Dr. Boddam le problème aurait pu être réglé. Les médecins des Forces canadiennes, la preuve le démontre, sont à la recherche d'informations médicales qui leur permettront de décider si la personne est apte à servir dans les Forces canadiennes et si une limitation médicale à l'emploi est requise eu égard à l'existence d'une condition médicale problématique.

[1131] Le Tribunal est d'avis qu'une simple rencontre avec un candidat qui serait considéré comme un cas particulier ne serait pas de nature à apporter aux médecins des Forces canadiennes les réponses qu'ils recherchent.

b) Le refus de recourir à une expertise indépendante externe

[1132] Il appert du témoignage du Dr. Beltrami que celui-ci était d'opinion vu l'insuffisance des informations transmises par les médecins de Micheline Montreuil aux médecins des Forces canadiennes que celles-ci auraient du faire appel à un expert externe pour évaluer Micheline Montreuil, ce que les Forces canadiennes n'ont pas fait.

[1133] Dans son rapport, le Dr. Beltrami indique ainsi que s'il y avait confusion quant à l'état de situation de Micheline Montreuil, il aurait été prudent et souhaitable d'avoir demandé une expertise indépendante et extérieure avant de se prononcer. Le Dr. Assalian, dans son témoignage, s'est dit en accord avec le Dr. Beltrami sur ce point, qu'il était primordial de demander une évaluation par un expert.

[1134] Le Tribunal est d'avis qu'on ne saurait reprocher aux médecins des Forces canadiennes de ne pas avoir sollicité une évaluation externe. La procédure en vigueur au sein des Forces canadiennes ne prévoyait pas cela. Au demeurant, les Forces canadiennes l'auraient-elles fait, qu'il est fort possible qu'elles auraient fait appel au Dr. Assalian, comme elles l'ont fait pour les fins d'expertise dans le présent dossier, avec les conclusions que l'on connaît.

[1135] D'une part, la preuve révèle qu'il existe au Canada très peu de psychiatres qui sont spécialisés dans les troubles de l'identité du genre. D'autre part, une note de service provenant de Madame Mélanie Morier de la Commission canadienne des droits de la personne en date du 21 avril 2004, mis en preuve en la présente instance, fait état du fait que Micheline Montreuil aurait déclaré à cette dernière qu'il ne verrait aucune objection à rencontrer un tiers expert, si cela était nécessaire à la bonne marche de l'enquête et qu'il aurait suggéré le nom du Dr. Pierre Assalian, un expert réputé dans le domaine, selon la note. Lors de son témoignage, Micheline Montreuil n'a pas nié la teneur des propos contenus dans la note.

[1136] Dans l'hypothèse où ce scénario se serait réalisé, considérant le point de vue exprimé par le Dr. Assalian en la présente instance, il raisonnable de penser que si un expert externe avait été sollicité, en l'espèce le Dr. Pierre Assalian, le verdict psychiatrique aurait été identique à celui que l'on connaît aujourd'hui, à savoir que Micheline Montreuil présente un trouble de l'identité du genre.

[1137] Le Tribunal conclut qu'en l'espèce, une expertise externe n'était pas requise pour apprécier la condition médicale de Micheline Montreuil, que l'information pertinente devait d'abord venir des médecins de Micheline Montreuil. Ceux-ci n'ont pas fourni, comme l'établit la preuve, les informations demandées par les Forces canadiennes ou, du moins, ont fourni des informations qui ne répondaient pas aux questions posées. En outre, les Forces canadiennes, eurent-elles sollicitées une telle expertise, l'évaluation aurait probablement été faite par le Dr. Assalian et son équipe.

c) Le diagnostic erroné

[1138] Micheline Montreuil reproche, par ailleurs, aux médecins des Forces canadiennes de s'être retranchés derrière une condition médicale diagnostiquée sans l'avoir rencontré pour lui attribuer une côte G5 et que cette position constitue une preuve de discrimination, les Forces canadiennes tentant de transformer un dossier de discrimination en dossier médical.

[1139] En l'espèce, il est intéressant de noter que, bien qu'il reproche aux médecins des Forces canadiennes d'avoir erré dans leur diagnostic, Micheline Montreuil semble être certain du diagnostic qu'il pose sur lui-même en se déclarant lui-même sain d'esprit. Faut-il encore rappelé ici, que dans la requête en révision judicaire de la décision de l'arbitre relative à son grief, il est fait référence par Pierre Montreuil au diagnostic suivant les critères du DSM-IV posé par le Dr. Côté en cours d'audience avec référence aux notes sténographiques.

[1140] Cela dit, se pourrait-il que Micheline Montreuil qui a tendance, la preuve le révèle, à s'auto-évaluer et à s'auto-médicamenter, n'aurait qu'à être reçu en entrevue par un médecin ou un psychiatre des Forces canadiennes, expliquer son cheminement, déclarer qu'il n'est atteint d'aucune pathologique, dire que sa condition est une réalité sociale et nullement une pathologie médicale pour que les médecins des Forces canadiennes considèrent qu'il est en bonne santé et sain d'esprit, sans plus.

[1141] Appelé à se prononcer sur la fiabilité de l'auto-évaluation qu'une personne fait de sa condition psychiatrique, le Dr. Beltrami dira, dans son témoignage, que c'est peu fiable. De façon plus précise, le Dr. Beltrami dira qu'à partir du moment où une personne consulte, on ne peut pas se fier à son auto-jugement.

[1142] Le Tribunal est d'avis que les responsabilités qui incombent aux officiers médicaux du recrutement sont trop importantes pour que ceux-ci s'en remettent aveuglément aux dires d'un candidat quant à sa santé physique ou mentale. Au mieux, les Forces canadiennes pourraient hypothétiquement recourir à un expert externe.

[1143] Le Tribunal considère que les impératifs du recrutement et, plus particulièrement, les impératifs de recruter des personnes en bonne santé physique et mentale font en sorte qu'il revient au candidat de faire la démonstration qu'il satisfait aux normes médicales communes à l'enrôlement en étant franc et limpide dans les informations qu'il transmet aux médecins des Forces canadiennes et non en étant tortueux et ratoureux comme l'a été Micheline Montreuil.

d) Le rejet des opinions médicales

[1144] En rapport avec les lettres que les médecins de Micheline Montreuil ont fait parvenir aux médecins des Forces canadiennes, Micheline Montreuil insistera tout au long de son témoignage que ses trois médecins ont recommandé qu'il soit enrôlé en tant que femme et que fort de cette recommandation, les médecins des Forces canadiennes auraient dû y donner suite, sans plus, sans s'interroger sur l'à-propos d'un tel enrôlement. Micheline Montreuil insistera sur le fait que ces médecins étaient plus au fait de sa condition que les médecins des Forces canadiennes parce qu'ils l'avaient rencontré, ce qui n'était pas le cas pour les médecins des Forces canadiennes.

[1145] Ainsi, dans une lettre adressée au Dr. Wright le 15 mai 2002, Micheline Montreuil indique que trois médecins l'ont rencontré, examiné, évalué plusieurs fois et en sont venus à la conclusion qu'il est apte à servir dans les Forces alors que le Dr. Collins, qui ne l'a jamais examiné, lui dit qu'il ne rencontre pas les normes médicales communes à l'enrôlement. En outre, Micheline Montreuil soutiendra que son psychiatre, le Dr. Serge Côté, n'a jamais établi de diagnostic de maladie mentale à son égard, au contraire.

[1146] La preuve révèle que la position des médecins des Forces canadiennes a été, à cet égard, qu'il ne suffit pas pour un médecin d'affirmer quelque chose, encore faut-il s'enquérir du contexte et des éléments qui viennent supporter ces affirmations.

[1147] En tout état de cause, un médecin des Forces canadiennes doit conserver son jugement critique et exercer son jugement professionnel en faisant sa propre évaluation en tant que médecin affecté au recrutement. Il importe de rappeler le rôle crucial que joue l'officier médical au recrutement dans le processus d'enrôlement de personnes qui veulent joindre les rangs des Forces canadiennes. Il est de leur responsabilité de voir à ce que les personnes enrôlées sont en bonne santé, qu'advenant le cas où elles nécessiteraient des soins, ceux-ci pourraient leur être fournis et qu'elles seront, en tout temps, capables non seulement d'accomplir les tâches qui incombent à tout soldat mais également celles qui relèvent du groupe professionnel militaire auquel elles appartiennent.

[1148] Dans un contexte où l'on voit que Micheline Montreuil n'a pas hésité à manipuler le Dr. Côté pour que celui-ci se commette par trois fois à rédiger des rapports ou lettres ou réponses à des demandes de renseignements des Forces canadiennes et n'a pas hésité à mentir aux médecins des Forces canadiennes en ce qui a trait aux soins des trois médecins auxquels il avait fait appel, il est facile de mesurer la sagesse des médecins des Forces canadiennes de ne pas s'être fiés aveuglément aux rapports provenant de médecins extérieurs aux Forces, surtout lorsque leurs rapports soulèvent des interrogations fondamentales, comme dans le cas présent, et navrant de constater la fourberie de Micheline Montreuil en ce qui concerne son enrôlement dans les Forces canadiennes.

e) L'imposition de limitations médicales à l'emploi

[1149] La preuve révèle qu'au terme d'un très long processus, les Forces canadiennes ont imposé à Micheline Montreuil la limitation suivante : condition médicale chronique pour laquelle le traitement n'a pas été complété faisant en sorte que la personne est à risque de souffrir d'une détérioration requérant l'intervention d'un spécialiste et un traitement et la cote G5. Antérieurement, les Forces canadiennes avaient imposé à Micheline Montreuil la limitation suivante et la cote G5 : requiert un suivi régulier par un spécialiste.

[1150] Micheline Montreuil considère que ses médecins ont toujours collaboré avec les médecins des Forces canadiennes en leur acheminant les rapports qu'ils réclamaient. Micheline Montreuil prétend qu'ils ont tous répondu aux questions posées par les médecins des Forces canadiennes.

[1151] En l'espèce, Micheline Montreuil conteste les limitations médicales à l'emploi qui lui furent imposées par l'intimée. Pour Micheline Montreuil, avec l'information qu'ils avaient en leur possession, les médecins des Forces canadiennes auraient dû conclure qu'il était apte à servir dans les Forces canadiennes.

[1152] Dans le cadre de leurs témoignages, les experts appelés comme témoins par les parties ont été amenés à se prononcer sur la suffisance des informations fournies par les médecins de Micheline Montreuil aux médecins des Forces canadiennes et leur lien avec la décision des Forces canadiennes d'attribuer à Micheline Montreuil une limitation médicale à l'emploi.

[1153] Il appert ainsi, tant du témoignage du Dr. Beltrami que de celui du Dr. Assalian, que les informations fournies étaient nettement insuffisantes et que les médecins des Forces canadiennes, à défaut d'obtenir une expertise indépendante, étaient en droit de demander de plus amples informations. Le Dr. Assalian dira que les réponses fournies étaient confuses, ne répondant pas aux interrogations des médecins des Forces canadiennes.

[1154] Saurait-on, sur la base de ces éléments, conclure que les médecins des Forces canadiennes ont agi de façon arbitraire ou déraisonnable en exigeant, eu égard au contexte particulier de Micheline Montreuil et des informations qui étaient en leur possession, des informations additionnelles en ce qui concerne sa condition et ses traitements? Saurait-on, sur la base des informations contenues dans les lettres, rapports ou formulaires de demande de renseignements complétés par les médecins de Micheline Montreuil conclure que les médecins des Forces canadiennes n'étaient pas justifiés de conclure que Micheline Montreuil présentait une condition médicale chronique pour laquelle les traitements n'étaient pas complétés, soit un trouble de l'identité du genre non résolu ou encore un processus de changement de sexe chez une personne transsexuelle encore actif?

[1155] A l'égard de ces deux questions, le Tribunal conclut que la conduite des médecins des Forces canadiennes fut raisonnable et leur évaluation pleinement justifiée dans les circonstances et que rien n'indique qu'ils ont, à cet égard, agi de façon discriminatoire à l'égard de Micheline Montreuil en raison de sa condition de transgenre.

f) La fermeture du dossier d'enrôlement de 1995

[1156] La preuve révèle que le dossier d'enrôlement présenté par Pierre Montreuil de 1995 fut définitivement fermé en août 1999, quelques semaines après que Micheline Montreuil eut présenté une demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes.

[1157] Lors de son témoignage, Micheline Montreuil soutiendra que les Forces canadiennes auraient pu empêcher que le dossier de Pierre Montreuil soit fermé et permettre que celui de Micheline Montreuil prenne la relève. Selon Micheline Montreuil, il serait alors demeuré dans les Forces et aurait pu être réaffecté et envoyé sur un cours tout de suite, que c'était juste une technicalité. Micheline Montreuil estime, et c'est son expression, avoir été fourré par le système.

[1158] De l'avis du Tribunal, cet argument est fallacieux. La preuve révèle que Micheline Montreuil aurait dû soumettre une nouvelle demande d'enrôlement et subir un nouvel examen médical vu que le dernier examen médical datait de plus d'un an

VIII. Conclusion générale

[1159] De l'ensemble de la preuve documentaire et testimoniale, le Tribunal conclut que Micheline Montreuil n'a pas présenté de preuve prima facie de discrimination et, par conséquent, qu'il n'y a pas eu de renversement du fardeau de la preuve sur l'intimée.

[1160] En l'espèce, il n'était pas suffisant pour Micheline Montreuil, pour satisfaire à son fardeau de preuve, de simplement alléguer qu'il est transgenre et que sa demande d'enrôlement dans les Forces canadiennes a été refusée pour que le Tribunal puisse inférer qu'il y a eu discrimination fondée sur le sexe ou une déficience. Il faut, suivant une jurisprudence fermement établie, que les allégations qui sont faites par le plaignant, si on leur ajoute foi, soient complètes et suffisantes pour justifier un verdict en sa faveur, en l'absence de réplique de l'intimée. Le Tribunal considère, à la lumière de la preuve présentée dans le présent dossier, que les allégations ne sont pas crédibles et que Micheline Montreuil n'est pas crédible.

[1161] La preuve révèle qu'en l'espèce, que ce soit le Major Labonté, l'adjudant Dumais, le Dr. Collins, le Dr. Newnham, le Dr. Wright, le Dr. Boddam et les médecins du bureau du Directeur - Politique de santé, ont agi dans l'exercice de leurs fonctions de façon consciencieuse, soucieuse de leurs responsabilités dans l'enrôlement dans les Forces canadiennes de personnes en santé en accord avec le principe de l'universalité du service.

[1162] Le Tribunal considère et conclut que les médecins des Forces canadiennes qui ont évalué le dossier médical de Micheline Montreuil étaient justifiés de penser, voire de conclure qu'il pouvait présenter un trouble de l'identité du genre et que c'était de la responsabilité de Micheline Montreuil d'apporter des clarifications à sa condition. Celui-ci a opté de tenter de berner les Forces canadiennes sur sa condition en faisant appel à des médecins qui n'étaient pas ce que Micheline Montreuil disait qu'ils étaient.

[1163] Plus spécifiquement, le Tribunal considère et conclut que, eu égard aux commentaires formulés par les médecins des Forces canadiennes qui ont témoigné quant aux règles qui régissent l'enrôlement de candidats dans les Forces canadiennes, eu égard aux très grandes responsabilités qui leur incombent en matière de recrutement en relation au principe de l'universalité du service et eu égard aux opinions des experts entendus en la présente instance, que les limitations médicales à l'emploi imposées à Micheline Montreuil, étaient justifiées, qu'en l'absence d'informations claires sur la condition médicale de Micheline Montreuil, ils étaient pleinement justifiés de lui attribuer une cote G5.

[1164] Le Tribunal conclut finalement que rien dans la preuve présentée n'établit que les Forces canadiennes ont fait preuve de discrimination à l'égard de Micheline Montreuil en raison de sa condition de transgenre ou de transsexuelle.

IX. Remarques finales

[1165] La condition de transgenre peut, certes, d'un point de vue psychiatrique, entrer dans la catégorie des troubles de l'identité du genre du DSM-IV. La preuve est claire à ce sujet. La preuve est tout aussi claire que la condition de transgenre ou la transgendralité constitue une réalité sociale indéniable.

[1166] La société, en général, aura dans les années à venir à composer de plus en plus avec cette réalité. Il existe un grand danger que la société, conservatrice à plusieurs égards, ostracise les personnes qui, par choix, décident de changer leurs apparences sexuelles, voire de changer de sexe.

[1167] Du témoignage du Dr. Dufour et du Dr. Watson, il est clair que les personnes transsexuelles, soit celles qui décident de changer de sexe par la voie de la réassignation sexuelle, doivent faire face à des défis immenses, à plusieurs questionnements intérieurs et à plusieurs obstacles en société. Il en va de même pour les personnes transgenres. Il existe, heureusement, des structures, quoiqu'imparfaites, pour les aider et les accompagner, notamment des cliniques mises sur pied à Montréal et, par le passé, à Vancouver, pour les personnes qui désirent consulter pour des troubles de l'identité sexuelle. En ce qui concerne spécifiquement le présent dossier, la preuve révèle que les Forces canadiennes ont, bien qu'il n'existe pas de politique en la matière, pris des mesures afin de maintenir le plus harmonieusement possible dans leurs rangs les militaires qui décident, en cours de carrière, de changer de sexe. Les Forces canadiennes ont donc été en contact avec la réalité des personnes transsexuelles.

[1168] S'il est un élément indiscutable, c'est qu'une personne peut décider de vivre en société sous les apparences qu'elle désire. Une personne de sexe masculin peut décider de porter des vêtements féminins, voire de féminiser son corps par des interventions, telles l'hormonothérapie ou l'épilation au laser. La société doit pouvoir respecter ces choix de vie et ne pas, sur la base des apparences extérieures d'une personne, conclure trop rapidement que cette personne présente une condition pathologique.

[1169] Il se peut donc, et la preuve en l'instance le soutient, que nombre de personnes voudront rendre leur corps conforme à leur vécu psychologique et voudront s'engager dans un processus de changement de sexe qui les amèneront à une transformation radicale et permanente de leur sexe biologique. D'autres ne voudront modifier que quelques aspects physiques. En société, on ne saurait faire preuve de discrimination à l'égard de ces personnes.

[1170] La société se doit d'être ouverte à de nouveaux modes d'être de la part de qui que ce soit et ne devrait pas rejeter les personnes qui les adoptent et percevoir celles-ci comme des personnes présentant nécessairement une pathologie psychiatrique. Cela dit, il ne s'ensuit pas pour autant qu'une personne qui choisit d'être différente physiquement par rapport aux canons de beauté et d'esthétisme actuels, en s'écartant des codes vestimentaires ou de la physiologie traditionnelle, puisse imposer unilatéralement ses vues aux autres et obliger les autres à s'adapter à sa nouvelle réalité sans que la personne n'ait elle-même à se plier aux exigences sociales existantes. Une personne qui opte de vivre comme une personne de l'autre sexe ne saurait prétendre que la société doit se plier impérativement à tous ses caprices ou velléités et prendre la société en otage en brandissant, sans justification, la menace d'une poursuite en discrimination. La vie en société est faite d'ouverture aux autres en ce qui a trait à leur être et à leur mode d'être. Elle comporte également des contraintes réelles auxquelles tous doivent se soumettre.

[1171] Les personnes qui présentent un trouble de l'identité sexuelle, quel qu'il soit, transgenres, transsexuelles, travesties, de même que celles qui, sans présenter un trouble de l'identité sexuelle, décident de défier publiquement les normes et les coutumes établies quant à leur identité sexuelle, sont très sujettes à être l'objet de discrimination non seulement dans la société en général mais également dans leur milieu de vie et leur milieu de travail. Les décisions judiciaires rendues dans Ferris v. Office and Technical Employees Union, Local 15, précité, Mamela v. Vancouver Lesbian Connection, précité, Sheridan v. Sanctuary Investments Ltd, précité, Kavanagh c. Canada (Procureur général), précité, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec c. Maison des jeunes à-Ma-Baie, (1998) 33 C.H.R.R. D/263 (Tri. Qué.) en offrent des exemples frappants.

[1172] Comme le souligne le Tribunal québécois des droits de la personne avec justesse, le transsexualisme, tout comme le transgendérisme, ajouterons-nous, demeurent des phénomènes controversés tant sur le plan médical, social que sur le plan juridique (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec c. Maison des jeunes à-Ma-Baie), précité.

[1173] Il importe que les personnes qui veulent s'enrôler dans les Forces canadiennes aient une condition médicale qui ne les met pas à risque en terrain d'opération, mais également qui ne compromet pas l'efficacité et la sécurité des autres militaires. Pour ce qui est des personnes transgenres, quelle que soit la façon dont elles se définissent, il importe, et c'est leur fardeau, que malgré leur particularité et leur anticonformisme, elles rencontrent les normes médicales communes à l'enrôlement. Il leur appartient donc de satisfaire les Forces canadiennes que leur condition ne mérite aucune limitation médicale à l'emploi.

[1174] Bien qu'il n'existe pas au sein des Forces canadiennes de politique sur les personnes transgenres, on ne saurait pour autant en conclure que les Forces canadiennes agissent de façon discriminatoire dans leur processus de recrutement des personnes qui présentent un trouble de l'identité du genre. Cela dit, le Tribunal souscrit aux propos tenus par Mme McTavish, alors présidente du Tribunal canadien des droits de la personne, que les dispensateurs de soins de santé doivent se garder d'imposer leurs propres valeurs à un groupe de personnes chroniquement marginalisé (Kavanagh c. Canada (Procureur général)), précité.

[1175] Les Forces canadiennes, comme toute autre institution fédérale, sont assujetties à la Loi canadienne sur les droits de la personne dont elles doivent respecter l'esprit et la lettre. Cela dit, il importe que les Forces canadiennes soient conscientes de la fragilité des personnes qui ont à passer à travers un processus de changement de sexe et les supporter dans leur quête d'identité en autant que le principe de l'universalité du service n'est pas compromis.

[1176] Il n'appartient pas à une instance judiciaire de déterminer s'il existe un troisième sexe. Il s'agit là davantage d'une question qui relève de la science, de la médecine, de la psychologie, de la biologie, de l'anthropologie et de la sociologie. Cela dit, il importe toutefois aux instances judiciaires dont l'une des importantes fonctions est d'assurer le respect des individus de même que de leurs droits à l'intégrité, à la liberté et à l'égalité, d'indiquer à la société en général comment une société juste doit traiter ses membres, quels qu'ils soient.

X. Les redressements

[1177] En ce qui a trait à la présente plainte, la Commission demande que, de concert avec la Commission, les Forces canadiennes mettent en place des programmes (de sensibilisation et d'intégration) des personnes qui présentent un trouble de l'identité du genre.

[1178] Le Tribunal est d'avis que eu égard à l'ensemble de la preuve, notamment que, les Forces canadiennes offrent un soutien aux membres qui s'engagent dans un processus de changement de sexe et considérant qu'aucun comportement discriminatoire ne fut identifié quant au traitement de la demande d'enrôlement de Micheline Montreuil par les Forces canadiennes, il n'est pas requis que le Tribunal ordonne la mise en place de programmes de sensibilisation ou d'intégration des personnes présentant un trouble de l'identité du genre dans les Forces canadiennes et ce, même si la preuve révèle que les Forces canadiennes n'ont pas de politique d'intégration des personnes transsexuelles, transgenres ou travesties. Toutefois, la preuve suggère que les Forces canadiennes ont une politique relative à la discrimination et au harcèlement. A cet égard, la preuve révèle que Pierre Montreuil signa le 19 novembre 1996 un document intitulé Politique des Forces canadiennes relative à la discrimination et au harcèlement. Le texte du document se lit comme suit :

Les Forces canadiennes sont engagées à respecter le principe de l'égalité de tous les individus ainsi que la dignité et la valeur de chaque être humain sans discrimination fondée sur quelque motif de distinction illicite y incluant la race. Les membres des Forces canadiennes doivent toujours être guidés par ce principe dans leurs relations mutuelles avec le public et avec tous ceux et celles avec qui ils sont en contact au Canada et à l'étranger. Les attitudes racistes sont totalement incompatibles avec l'éthique militaire et l'efficacité du service militaire. Tout comportement ou conduite qui reflète de telles attitudes ne peut être toléré. Les Forces canadiennes ont aussi des politiques précises qui interdisent la discrimination, le harcèlement personnel ou sexuel, l'inconduite à caractère sexuel et l'abus de pouvoir. Cela comprend la conduite déplacée de la part d'un membre des Forces canadiennes à l'égard d'un autre individu, fondée sur des particularités personnelles dont la race, la couleur, l'origine ethnique, le sexe, l'orientation sexuelle, les caractéristiques physiques ou les manies.

[1179] Cela dit, compte tenu toutefois des résultats contenus dans le rapport portant sur l'éthos militaire (Les soldats du Canada, Ethos militaire et valeurs canadiennes dans l'Armée de terre du XXIe siècle, 2004), le Tribunal croit que les Forces canadiennes doivent demeurer vigilantes et proactives dans le développement au sein des Forces canadiennes d'une culture qui favorise le respect des personnes et l'intégration harmonieuse, dans le respect du principe de l'universalité du service, des personnes qui présentent un trouble de l'identité du genre ou qui, sans présenter un tel trouble, ont des comportements particuliers, tels que s'habiller avec des vêtements de la personne de l'autre sexe, se maquiller, par exemple, pour les hommes, qui ne les empêchent pas de satisfaire aux normes médicales communes à l'enrôlement.

[1180] En rapport avec sa plainte, Micheline Montreuil demande les redressements suivants :

  1. en vertu de l'article 53 (2) (a) de la Loi, que l'intimée mette fin à l'acte discriminatoire et que des mesures destinées à prévenir des actes semblables soient prises, en consultation avec la Commission ;
  2. en vertu de l'article 53 (2) (b) de la Loi, qu'il soit ordonné à l'intimée d'enrôler la plaignante dans les forces régulières à titre d'officier logistique à compter du 1er janvier 2008 ;
  3. en vertu de l'article 53 (2) (c) de la Loi, qu'il soit ordonné à l'intimée de payer à la plaignante la somme de 547 149$, tel qu'établi par l'actuaire des Forces canadiennes, à titre de compensation pour le salaire et les avantages perdus pour la période comprise entre le 1er janvier 2001 et le 31 décembre 2007 ;
  4. en vertu de l'article 53 (2) (d) de la Loi, qu'il soit ordonné à l'intimée d'indemniser la plaignante pour une dépense de loyer au montant de 24 248$, pour des frais totalisant 2669$ (94 x. 12.40$ = 1165$ et 94 x. 16$= 1504) découlant de l'audience (stationnement et repas), pour les frais de déplacement totalisant 351,10$ relatifs à l'entrevue avec les docteurs Assalian, Dufour et Wilchesky à Montréal en mai 2006, pour des frais au montant de 3000$ relatifs à la production de documents en rapport avec la présente l'instance ;
  5. en vertu de l'article 53 (2) (e) de la Loi, qu'il soit ordonné à l'intimée d'indemniser jusqu'à concurrence de 20 000$ la plaignante pour le préjudice moral subi, l'atteinte à sa réputation et le dénigrement dont elle fut victime ;
  6. en vertu de l'article 53 (3) de la Loi, qu'il soit ordonné à l'intimée de verser à la plaignante une indemnité maximale de 20 000$ pour ses gestes délibérés et inconsidérés ;
  7. en vertu de l'article 53 (4) de la Loi, qu'il soit versé à la plaignante les intérêts prévus par la Loi.

[1181] En ce qui concerne les pertes de revenus potentiellement encourues par Micheline Montreuil, le Tribunal a entendu les témoignages du Major Pierre Labonté, de Monsieur Josh Pankurst et de M. Daniel Hébert. Il appert de la preuve que les parties s'entendent pour dire que, sous réserve d'une preuve que Micheline Montreuil ne serait pas, eu égard aux circonstances, demeuré à l'emploi des Forces canadiennes, la perte encourue s'établit à 547 149$.

[1182] Le Tribunal en étant venu à la conclusion que la plainte de Micheline Montreuil est non fondée en ce qu'il n'a pas été démontré, par une prépondérance de preuve, que l'intimée avait fait preuve de discrimination à son égard, le Tribunal n'a pas à statuer sur les redressements demandés par Micheline Montreuil, sauf en ce qui a trait à la somme de 351.10$ relative aux frais de déplacement encourus par celui-ci lorsqu'il est venu rencontrer les Dr. Assalian, Dufour et Wilchesky à Montréal en mai 2006.

[1183] Qu'il y ait eu ou non entente verbale entre Micheline Montreuil et le procureur de l'intimée quant au remboursement de ses frais de déplacement, le Tribunal est d'avis que Micheline Montreuil était en droit d'être remboursé pour ses frais de déplacement à Montréal pour rencontrer les Dr. Assalian, Wilchesky et Dufour dans le cadre d'une expertise requise par l'intimée. La somme réclamée apparaît tout à fait raisonnable.

XI. Dispositif et ordonnance

[1184] Pour les raisons énoncées précédemment, le Tribunal

  1. rejette la plainte en discrimination de la plaignante, Micheline Montreuil ;
  2. ordonne à l'intimée de verser à la plaignante la somme de 351.10$.

[1185] Les intérêts sur la somme de 351.10$ seront calculés au taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d'escompte fixé par la Banque du Canada à compter de la date de l'entrevue, soit le 18 mai 2006.

Signée par
Pierre Deschamps

OTTAWA (Ontario)
Le 19 août 2009

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T1047/2805
INTITULÉ DE LA CAUSE : Micheline Montreuil c. Forces canadiennes

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 4 au 8 décembre 2006
Les 11 au 15 décembre 2006
Les 26 au 29 mars 2007
Les 30 avril au 4 mai 2007
Les 7 au 11 mai 2007
Les 14 au 17 mai 2007
Les 23 au 25 mai 2007
Les 3 au 6 juillet 2007
Les 9 au 13 juillet 2007
Les 16 au 20 juillet 2007
Les 23 au 27 juillet 2007
Les 30 juillet au 3 août 2007
Les 17 au 21 septembre 2007
Les 9 au 12 octobre 2007
Les 15 au 19 octobre 2007
Les 22 au 26 octobre 2007
Les 5 au 9 novembre 2007
Les 18 au 21 décembre 2007

Québec (Québec)

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :
Le 8 septembre 2009
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