Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Entre :

Ruth Walden et autres

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Développement social Canada
le Conseil du Trésor du Canada et
l’Agence de gestion des ressources humaines de la fonction
publique du Canada

les intimés

Décision

Membre : Karen A. Jensen
Date : Le 25 mai 2009
Référence : 2009 TCDP 16

Table des matières

I. Quelle Est La Bonne Façon De Mettre Fin À L’acte Discriminatoire?

A. La proposition des intimés : la création d’un nouveau sous‑groupe au sein du groupe Sciences infirmières

B. La proposition de la Commission : que les conseillers et les évaluateurs relèvent du même groupe professionnel ou de la même classification Évaluation médicale

C. La proposition des plaignants : inclure les évaluateurs dans un sous‑groupe existant du groupe NU, tel que le sous‑groupe des infirmières communautaires ou celui des infirmières‑conseils

II. L’indemnité pour les pertes de salaire

III. Les réparations pour préjudice moral

IV. Les frais juridiques

[1] La présente décision porte sur les réparations qu’il convient d’accorder dans le cadre de plaintes déposées par environ 413 évaluateurs médicaux du Programme de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Les plaignants sont un groupe d’infirmiers et d’infirmières, majoritairement composé de femmes, qui travaille aux côtés de conseillers médicaux, un groupe majoritairement composé de médecins de sexe masculin, afin de déterminer l’admissibilité aux prestations d’invalidité du RPC.

[2] Les plaignants ont soutenu que depuis que la première infirmière a été embauchée en 1972, ils accomplissent un travail identique à celui des conseillers médicaux, et qu’en dépit de cela, ils ont reçu un traitement très différent de celui des conseillers sur les plans de la reconnaissance professionnelle, de la rémunération, du paiement de leurs droits de permis ainsi que de la formation et des possibilités de développement professionnel.

[3] Dans une décision datée du 13 décembre 2007, le Tribunal a conclu que même s’il y avait un chevauchement marqué des tâches effectuées par les évaluateurs et les conseillers, il existait aussi des différences qui justifiaient, en partie, que les deux groupes d’employés soient traités différemment. Le Tribunal a notamment conclu que les intimés n’avaient pas justifié de façon raisonnable et non discriminatoire la raison pour laquelle les conseillers étaient reconnus comme étant des professionnels de la santé et rémunérés en conséquence quand leur fonction principale, qui consistait à trancher des questions d’admissibilité, et que, alors que les évaluateurs effectuaient les mêmes tâches, ils étaient considérés comme étant des administrateurs de programme et rémunérés en conséquence.

[4] Parvenant à la conclusion que les plaintes étaient fondées, le Tribunal a accueilli la requête des parties, qui lui demandaient d’ordonner qu’il soit mis fin à l’acte discriminatoire, se gardant de préciser quelles étaient les mesures de redressement à adopter. À leur demande, les parties ont eu l’occasion de négocier avec tous les intervenants les mesures qu’il convenait de prendre, le Tribunal demeurant saisi de cet aspect de la décision si les parties ne parvenaient pas à une entente.

[5] Les parties se sont vu accorder un délai de trois mois pour négocier une entente sur les questions relatives aux réparations qui restaient en suspens. Toutefois, elles n’ont pu parvenir à une telle entente.

[6] Par conséquent, il a fallu convoquer une audience pour trancher les questions en litige suivantes : 1) la bonne façon de mettre fin à l’acte discriminatoire; 2) l’indemnisation pour la perte de salaire subie le cas échéant; 3) l’indemnisation pour le préjudice moral subi par les plaignants en conséquence de l’acte discriminatoire; et 4) toute autre question en suspens relative aux réparations.

[7] En majorité, les plaignants étaient représentés par un avocat. Les plaignants qui n’étaient pas représentés par un avocat n’ont comparu ni à l’étape de l’examen de la responsabilité ni à celle de la détermination des réparations, et ce, en dépit du fait qu’ils avaient été avisés de la tenue de ces audiences.

I. Quelle Est La Bonne Façon De Mettre Fin À L’acte Discriminatoire?

[8] L’alinéa 53(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP ou la Loi) accorde au Tribunal le pouvoir d’ordonner des mesures de redressement afin de mettre fin à l’acte discriminatoire ou de prendre des mesures destinées à prévenir de tels actes ou des actes semblables.

[9] Dans la décision qu’il a rendue le 13 décembre 2007, le Tribunal a conclu que tant les conseillers que les évaluateurs utilisaient leurs connaissances professionnelles des sciences de la santé afin de déterminer l’admissibilité aux prestations d’invalidité du RPC, mais que seuls les évaluateurs étaient reconnus comme étant des professionnels de la santé dans le Système de classification de la fonction publique. Les évaluateurs sont considérés comme étant des administrateurs de programme (PM) dans le groupe professionnel Services des programmes et de l’administration (PA) alors que les conseillers relèvent du sous‑groupe des médecins fonctionnaires (MOF) dans le groupe Médecine (MD) au sein du groupe professionnel Services de santé (SH). Il est entendu que les postes relevant du groupe professionnel Services de santé impliquent l’utilisation de connaissances professionnelles en soins de santé.

[10] À partir de 1988, les évaluateurs médicaux ont tenté de se faire reconnaître comme étant des professionnels de la santé en demandant que leur poste soit rangé dans le groupe Sciences infirmières (NU) au sein du groupe professionnel Services de santé. Leurs efforts ont été vains.

[11] Le Tribunal a conclu que le fait que les intimés refusent, et ce, depuis mars 1978, de reconnaître la nature professionnelle du travail effectué par les évaluateurs médicaux d’une manière proportionnelle à la reconnaissance professionnelle qu’ils accordent au travail des conseillers médicaux constituait un acte disciminatoire. Cet acte discriminatoire a eu pour effet de priver les évaluateurs de la reconnaissance professionnelle à laquelle ils avaient droit et d’une rémunération à la hauteur de leurs qualifications, ce qui inclut le paiement de leurs droits de permis ainsi que les possibilités de formation ou d’avancement.

[12] Dans la fonction publique, la classification des postes est l’une des principales façons de reconnaître qu’un emploi exige des compétences professionnelles. La classification des postes se fonde sur leur fonction primaire. Ils sont d’abord répartis en groupes professionnels, qui rassemblent plusieurs postes en fonction des tâches qu’ils ont en commun ou de leurs similitudes. Au sein d’un même groupe professionnel, on distingue plusieurs groupes en fonction de la nature particulière du travail accompli. Par exemple, au sein des Services de santé, on trouve notamment les Sciences infirmières et la Médecine. Ces groupes sont encore divisés en sous‑groupes, ce qui affine davantage la définition de l’emploi. Par exemple, dans le groupe Sciences infirmières, on trouve le sous‑groupe des infirmières communautaires. Ces employés fournissent des services de soins infirmiers communautaires alors que le sous‑groupe des infirmières d’hôpital fournit des soins infirmiers hospitaliers.

[13] Au départ, les plaignants représentés et la Commission ont affirmé que la seule façon de mettre fin à l’acte discriminatoire était de mettre en place une nouvelle classification, qui pourrait s’appeler [Traduction] Évaluateurs médicaux, et qui rassemblerait les tâches tant des évaluateurs que des conseillers. Ils ont soutenu que la création d’une nouvelle classification était la seule manière de reconnaître pleinement la similitude des emplois occupés par les évaluateurs et les conseillers ainsi que leur valeur relative et de les rémunérer en conséquence.

[14] Toutefois, à la fin de la partie de l’audience qui a porté sur les questions de réparation, les plaignants représentés ont adopté une position différente, prétendant plutôt que la mesure de redressement appropriée consisterait à les faire entrer dans l’un des sous‑groupes existants des Sciences infirmières. Ils ont affirmé que les sous‑groupes des infirmières communautaires et des infirmières‑conseils conviendraient tous deux. Leur proposition était fondée sur l’idée que cela permettrait d’éviter les lenteurs de la création d’un nouveau sous‑groupe ou d’une nouvelle classification et que cela aurait pour effet de mettre efficacement fin à l’acte discriminatoire.

[15] Par ailleurs, la Commission est restée fidèle à sa position jusqu’au bout, prétendant que la seule mesure de redressement appropriée consisterait à mettre en place une nouvelle classification pour les conseillers et les évaluateurs, étant donné qu’aucune autre solution ne pourrait répondre pleinement aux questions soulevées à l’étape de l’examen de la responsabilité.

[16] Les intimés ont proposé la création d’un nouveau sous‑groupe à l’intention des évaluateurs médicaux dans le groupe Sciences infirmières, au sein du groupe professionnel Services de santé. Ce sous‑groupe pourrait s’appeler Évaluateurs médicaux.

[17] Les témoignages qui ont été entendus relativement à chacune des propositions formulées par les parties peuvent être récapitulés de la façon suivante :

A. La proposition des intimés : la création d’un nouveau sous‑groupe au sein du groupe Sciences infirmières

[18] Mme Patricia Power, conseillère spéciale auprès du vice‑président d’Infrastructure stratégique, Organisation et Classification, de l’Agence de la fonction publique, l’un des intimés, a déclaré que plusieurs options différentes de cessation de l’acte discriminatoire avaient été examinées. Au nombre de ces options, il y avait l’instauration d’une nouveau groupe professionnel distinct de celui des Services de santé, qui comprendrait aussi bien le poste de conseiller que celui d’évaluateur, la mise en place d’un nouveau groupe au sein du groupe professionnel Services de santé, qui comprendrait les deux postes, et la création d’un nouveau sous‑groupe à l’intention des évaluateurs seulement au sein de Sciences infirmières.

[19] Mme Power a affirmé que la solution consistant à instaurer un nouveau sous‑groupe au sein de Sciences infirmières était apparue comme étant la meilleure pour les raisons suivantes : 1) elle offrait une mesure de redressement efficace à toutes les questions soulevées par le Tribunal dans sa décision de décembre 2007 sur la question de la responsabilité; 2) elle était l’option la plus pratique; et 3) elle était celle qui provoquait le moins de perturbations si on considère les répercussions possibles sur les autres employés de la fonction publique ainsi que sur le Système de classification de la fonction publique.

[20] En ce qui a trait à la première raison – adopter une mesure de redressement efficace à l’encontre de l’acte discriminatoire – Mme Power a déclaré que le fait de créer un nouveau sous‑groupe à l’intention des évaluateurs dans le groupe professionnel Services de santé, aurait les effets suivants :

  1. La reconnaissance professionnelle – En faisant entrer les évaluateurs médicaux comme sous‑groupe du groupe professionnel Services de santé, on reconnaîtra que les évaluateurs médicaux usent de leurs connaissances professionnelles étendues des sciences infirmières dans le cadre de leurs fonctions. Comme les conseillers médicaux, ils seront reconnus et classifiés en tant que professionnels de la santé.
  2. Une rémunération à la hauteur des qualifications – Dans la fonction publique fédérale, les taux de rémunération des employés syndiqués sont établis au cours de négociations collectives. Mme Power a déclaré qu’une fois le nouveau sous‑groupe approuvé par le ministre, l’agent négociateur des évaluateurs changerait probablement. Les évaluateurs seraient vraisemblablement représentés par le même agent négociateur que les conseillers médicaux.

    Bien qu’il y ait différents taux de rémunération pour chacune des spécialités médicales du groupe professionnel Services de santé, ils sont négociés à la même table de négociation, par le même agent négociateur. La négociation de la rémunération se fondera sur le fait que l’évaluateur est considéré comme étant un NU, et non comme étant un PM. Par conséquent, les évaluateurs seront en position de recevoir une rémunération correspondant à leur classification en tant qu’infirmiers.

  3. Le paiement des droits de permis – La classification au sein du groupe professionnel Services de santé signifierait que, comme les conseillers, les évaluateurs disposeraient d’un poste dans le budget, lequel serait destiné au paiement de leurs droits de permis. Le paiement des droits ne proviendrait pas du budget consacré à la formation, comme c’est actuellement le cas.
  4. La formation et le développement professionnel – Mme Powers a déclaré que leur classification en tant que professionnels de la santé mettrait les infirmiers sur un pied d’égalité avec les médecins; la formation et le développement professionnel occuperaient une place distincte dans le budget et seraient reconnus comme étant aussi importants que la formation et le développement professionnel des autres travailleurs de la santé.
  5. Les possibilités d’avancement – Dans la partie de l’audience portant sur la responsabilité, Mme Walden a affirmé que ses chances d’obtenir un emploi d’infirmière dans la fonction publique n’étaient pas aussi bonnes qu’elles le seraient si elle était classifiée comme étant une professionnelle de la santé, à l’instar des conseillers médicaux. Mme Power a déclaré que la classification des évaluateurs médicaux dans le groupe professionnel Services de santé, à titre de professionnels des soins de santé, résoudrait le problème.

[21] Pour ce qui est de la deuxième raison expliquant pourquoi la création d’un nouveau sous‑groupe au sein du groupe NU est préférable aux yeux des intimés, Mme Power a affirmé que la mise en place d’un nouveau sous‑groupe était pratique dans la mesure où il s’agissait de la seule option viable qui n’exigerait vraisemblablement pas l’instauration d’une nouvelle norme de classification. La mise en place d’une telle norme prend un temps considérable. Elle implique au moins de deux à trois ans de longues consultations et de travail assidu. Étant donné qu’il n’existe vraisemblablement qu’un ou deux échelons du travail des évaluateurs, un nouveau sous‑groupe pourrait être mis en place quasiment sur‑le‑champ, sans qu’il soit nécessaire de mettre en place une nouvelle norme de classification.

[22] En ce qui a trait à la troisième raison, Mme Power a déclaré que la création d’un nouveau sous‑groupe n’aurait pas de répercussions sur la classification des conseillers et qu’elle serait conforme aux principes de la fonction publique. Elle a déclaré que les conseillers étaient correctement classifiés à l’heure actuelle. Le fait d’extraire une petite partie des emplois faisant actuellement partie du groupe Médecine et de reclassifier les conseillers en tant qu’évaluateurs serait sans précédent. En outre, tout changement apporté à la classification des conseillers ou à la définition de leur groupe professionnel serait probablement source d’inquiétude pour eux. De tels changements ne doivent pas être effectués sans offrir aux conseillers l’occasion d’exprimer leur point de vue sur le sujet. Une telle occasion ne leur a pas été offerte.

B. La proposition de la Commission : que les conseillers et les évaluateurs relèvent du même groupe professionnel ou de la même classification Évaluation médicale

[23] La Commission a proposé que les conseillers et les évaluateurs relèvent du même groupe professionnel ou de la même classification. La Commission est d’avis que cela aurait pour effet de mettre fin à l’acte discriminatoire consistant à classer les évaluateurs dans un groupe distinct de celui des conseillers, et ce, en dépit du fait qu’ils accomplissent un travail similaire en substance. La Commission a fait valoir que cette mesure de redressement serait cohérente avec la pratique de la fonction publique, où la classification des postes se fonde sur la fonction première du poste plutôt que sur les compétences de la personne qui l’occupe. Dans la mesure où la fonction première tant du poste d’évaluateur que de celui de conseiller consiste à déterminer l’admissibilité au Programme de prestations d’invalidité du RPC, ces postes devraient relever du même groupe professionnel ou de la même classification.

[24] La Commission n’a pas présenté de preuves à l’appui de sa proposition. Elle a plutôt essayé d’en obtenir en contre‑interrogeant Mme Power ainsi que d’autres témoins des intimés.

[25] L’avocate de la Commission a demandé à Mme Power si la proposition de sa cliente voulant que les conseillers et les évaluateurs relèvent du même groupe professionnel ou de la même classification résulterait en une plus grande parité salariale entre les deux postes que s’ils relevaient de classifications différentes au sein de Services de santé. Mme Power ne croyait pas que le fait de relever du même groupe ou de la même classification ferait en sorte que les évaluateurs obtiennent un salaire et des avantages sociaux plus proches de ceux des conseillers que si les deux postes appartenaient à des classifications ou à des groupes différents. Elle a déclaré qu’étant donné que les évaluateurs n’effectuaient pas exactement les mêmes tâches que les conseillers et qu’ils utilisaient des connaissances professionnelles différentes de celles des médecins, leur salaire serait différent de celui des conseillers, indépendamment du fait qu’ils appartiennent ou non à la même unité de négociation. C’est le fait d’appartenir au groupe Sciences infirmières qui permettra aux évaluateurs de recevoir une rémunération à la hauteur de leurs compétences professionnelles, et non pas le fait d’appartenir à la même unité de négociation ou au même groupe professionnel que les conseillers.

[26] Mme Power a expliqué que la création d’une nouvelle classification ou d’un nouveau groupe professionnel incluant les deux postes prendrait beaucoup de temps parce qu’elle exigerait la mise en place d’une nouvelle norme de classification. En outre, la création d’une nouvelle classification ou d’un nouveau groupe professionnel de cette nature ne correspond pas aux pratiques relatives à la classification observées dans la fonction publique. Les classifications tendent à chevaucher plusieurs ministères et à regrouper des postes en fonction des tâches communes accomplies dans l’ensemble de la fonction publique. Tout groupe ou classification comprenant seulement deux postes serait très inhabituel et très peu fonctionnel.

[27] Mme Power a ajouté que tout le noyau de la fonction publique connaissait des problèmes de recrutement et de maintien en poste des médecins. Ces problèmes pourraient être amplifiés par un changement ayant pour effet de faire passer les conseillers médicaux de MD à MA (évaluateurs médicaux) dans la mesure où ils ne seraient plus classifiés en tant que médecins dans la fonction publique. Il ne s’agirait pas d’un changement positif si l’on considère que les professionnels de la santé, comme les évaluateurs et les conseillers, recherchent la reconnaissance et souhaitent relever d’une classification fondée sur les connaissances professionnelles auxquelles ils font appel.

C. La proposition des plaignants : inclure les évaluateurs dans un sous‑groupe existant du groupe NU, tel que le sous‑groupe des infirmières communautaires ou celui des infirmières‑conseils

[28] Les plaignants représentés ont déclaré qu’ils avaient une opinion partagée en ce qui concernait les mesures de redressement visant à mettre fin à l’acte discriminatoire, et que ce qui leur importait était qu’ils soient reconnus comme des infirmières professionnelles et qu’ils soient traités de façon équitable par rapport aux conseillers. Toutefois, ils ont manifesté une préférence pour l’option consistant à être rattachés à un sous‑groupe déjà existant de Sciences infirmières, tel que celui des infirmières communautaires (CHN) ou des infirmières‑conseils. Ils ont affirmé que, pour ce faire, il suffirait simplement d’ajouter un énoncé à la définition de la classification Sciences infirmières, semblable à celui qui apparaît pour la classification Médecine. Cet énoncé de poste inclus (appelé poste inclus n° 5) permet à tous ceux qui évaluent l’état de santé afin de prendre une décision sur les demandes de prestations d’invalidité ou d’autres prestations du gouvernement fédéral d’entrer sous cette classification. D’après les plaignants, si le poste inclus n° 5 était ajouté à la définition de la classification Sciences infirmières et à celle des sous‑groupes CHN et infirmières‑conseils, les plaignants pourraient facilement appartenir à l’un ou à l’autre de ces sous‑groupes.

[29] Les plaignants ont fait valoir que la démarche visant à les ranger dans le sous‑groupe CHN ou dans celui des infirmières‑conseils au lieu de créer un nouveau sous‑groupe au sein de Sciences infirmières présentait l’avantage de pouvoir être accomplie par voie d’ordonnance du Tribunal plutôt qu’en passant par le processus de mise en place d’un nouveau sous‑groupe que Mme Power a décrit. Aux yeux des plaignants, cela accélérerait la mise en œuvre de la réparation.

[30] D’après moi, le problème de cette approche réside dans le fait que le travail des évaluateurs ne répond pas à la définition du sous‑groupe infirmières communautaires, et qu’il n’y a au dossier aucune preuve qui me permettrait d’établir si la définition du travail des évaluateurs répond à celle du sous‑groupe infirmières‑conseils. 

[31] D’après la définition du sous‑groupe infirmières communautaires, le travail implique la prestation de directives en matière de santé et de soins infirmiers aux personnes, à des familles et des groupes à domicile et dans la collectivité, avec pour objectif la prévention de la maladie et la promotion et le maintien de la santé; prestation de services de consultation.

[32] L’évaluation médicale ne semble pas répondre à cette définition étant donné que les tâches des infirmières communautaires visent en particulier les soins de santé à domicile et dans la collectivité. Aucune preuve n’a été présentée relativement au sens de la dernière partie de la définition, la prestation de services de consultation. Par conséquent, il m’est impossible de savoir si les services de consultation se rapportent aux soins de santé à domicile ou dans la collectivité, ou s’ils peuvent être plus généraux.

[33] Toutefois, Mme Power a déclaré qu’il fallait créer un nouveau sous‑groupe au sein de Sciences infirmières dans la mesure où, même si on ajoute le poste inclus n° 5 à la définition du groupe NU, le travail des évaluateurs ne répond pas aux définitions existantes des différents sous‑groupes de Sciences infirmières.

[34] Par opposition, la définition du sous‑groupe des médecins fonctionnaires (auquel les conseillers médicaux appartiennent) est clairement plus générale que celle des CHN. Elle prévoit que le travail d’un médecin fonctionnaire comprend l’exécution, la prestation d’avis, la supervision ou la direction d’un travail professionnel et scientifique dans un ou plusieurs domaines de la médecine. Même sans le poste inclus n° 5, on peut voir que le travail des conseillers est bien plus proche de la définition du sous‑groupe des médecins fonctionnaires que le travail des évaluateurs ne l’est de la définition du sous‑groupe des infirmières communautaires.

[35] Les plaignants ont également suggéré qu’ils pourraient se joindre au sous‑groupe des infirmières‑conseils. Toutefois, il n’existe aucune preuve relative à la définition de ce poste ou montrant que le travail des évaluateurs répond à la définition.

[36] Il revenait aux plaignants de présenter des preuves établissant que les réparations qu’ils demandaient étaient appropriées. Ils n’y sont pas parvenus.

La crédibilité de Mme Power

[37] Les plaignants et la Commission se sont efforcés de discréditer le témoignage de Mme Power en affirmant qu’il y avait une contradiction fondamentale entre ce qu’elle avait déclaré dans la partie de l’audience portant sur la responsabilité et ce qu’elle a déclaré dans la partie de l’audience portant sur les réparations. Par conséquent, d’après les plaignants et la Commission, l’ensemble de son témoignage n’était pas crédible.

[38] Dans la partie de l’audience qui avait porté sur la responsabilité, Mme Power avait déclaré qu’il était impossible de classer les évaluateurs dans le groupe Sciences infirmières en se prévalant des définitions et des normes existantes, étant donné que le travail des évaluateurs ne répondait pas à la définition de Services de santé, pas plus qu’il ne répondait à celle d’un des sous‑groupes existants.

[39] Ensuite, dans la partie de l’audience qui a porté sur les réparations, Mme Power a déclaré que, si certaines modifications étaient apportées, il serait possible de classer les évaluateurs en tant qu’infirmières. Mme Power a affirmé que la création d’un nouveau sous‑groupe exigerait de modifier la définition du groupe Sciences infirmières de manière à ce que les soins directs aux patients ne soient plus une condition d’inclusion dans la classification. En outre, elle a ajouté qu’il pourrait être nécessaire d’ajouter le poste inclus n° 5 dans la définition de Sciences infirmières, poste qui apparaît dans la définition du groupe Médecine et qui permet aux conseillers d’appartenir à la classification MD.

[40] Mme Power a témoigné qu’il se pouvait également qu’on doive apporter des changements aux définitions des groupes MD et PA afin de s’assurer que le travail des évaluateurs ne soit pas visé par l’une de ces classifications.

[41] Je suis d’avis que les déclarations faites par Mme Power au cours des deux étapes de l’audience ne se contredisent pas. Dans la première partie de l’audience, son témoignage était fondé sur les définitions et les normes telles qu’elles étaient à l’époque. Les intimés ne croyaient alors pas que la méthode de classification était discriminatoire à l’égard des évaluateurs. Dans la seconde partie de l’audience, le témoignage de Mme Power était fondé sur la conclusion du Tribunal voulant que la méthode de classification des intimés était discriminatoire et qu’il fallait prendre des mesures de redressement. À la lumière de ces conclusions, les intimés ont proposé d’apporter des changements aux définitions en pensant qu’il s’agissait d’une mesure de redressement concluante.

[42] Mme Power a affirmé que les intimés étaient en mesure d’effectuer les changements nécessaires afin de créer un nouveau sous‑groupe destiné aux évaluateurs au sein de Sciences infirmières et qu’ils étaient disposés à le faire si le Tribunal le leur ordonnait. Je ne vois rien de contradictoire dans les déclarations de Mme Power en ce qui a trait à la possibilité de reclassifier le poste d’évaluateur.

[43] Les plaignants ont fait valoir que le témoignage de Ross MacLeod, directeur général de la prestation des services à la Direction des ressources humaines de RHDCC, était plus crédible que celui de Mme Power et que c’était plutôt à ce témoignage qu’on devait se fier. M. MacLeod a déposé au sujet du Modèle structurel de la gestion du service, nouvelle méthode d’organisation de Service Canada, organe de prestation des services de RHDCC, devant fournir de meilleurs services à la population canadienne. Le Modèle exige une normalisation de la structure organisationnelle et une révision des descriptions de postes qui garantiront que, où qu’ils se trouvent, les Canadiennes et les Canadiens peuvent se voir offrir la même qualité de service.

[44] M. MacLeod a déclaré que, en moins de deux ans, l’équipe responsable du Modèle structurel de la gestion du service avait classifié et mis en place 22 descriptions de poste et qu’elle travaillait depuis sur 18 à 20 descriptions additionnelles. Il a déclaré que la description du poste d’évaluateur finirait par être révisée à son tour. Toutefois, l’équipe attendra que les présentes plaintes aient été réglées avant de modifier la description du poste d’évaluateur, conformément au Modèle structurel de la gestion du service. M. MacLeod a affirmé que l’équipe se conformerait à la décision du Tribunal.

[45] Les avocats des plaignants ont affirmé que, contrairement à Mme Power, M. MacLeod avait déclaré que, dans la fonction publique, la reclassification des postes était relativement simple. Les plaignants ont soutenu que le Tribunal devait par conséquent reclassifier le poste de la manière qu’il jugeait appropriée, sans accorder d’importance aux conséquences négatives et autres perturbations potentielles au sein de la fonction publique que Mme Power a évoquées. Selon les plaignants, l’équipe responsable du Modèle structurel de la gestion du service peut gérer les répercussions de la décision du Tribunal, et est totalement disposée à le faire, comme l’a clairement fait savoir M. MacLeod.

[46] Je suis en désaccord avec l’interprétation que les avocats des intimés ont faite du témoignage de M. MacLeod. Selon moi, il a simplement déclaré que dans les limites des paramètres précis ou particuliers établis par le Modèle structurel de la gestion du service, son équipe était en bonne voie d’atteindre ses objectifs. Il n’a certainement pas laissé entendre que le Tribunal pouvait rendre toute ordonnance qui lui semblait appropriée en faisant fi du témoignage de Mme Power. Il n’a pas non plus proposé d’autre solution pour mettre fin à l’acte discriminatoire. En fait, il n’a pas été cité à comparaître au sujet des moyens appropriés qu’il fallait adopter pour corriger l’acte discriminatoire; il a comparu afin de témoigner qu’une fois que le Tribunal aurait défini la façon de mettre fin à l’acte discriminatoire, l’équipe gérerait cette décision dans les limites de son mandat.

[47] Par conséquent, je rejette l’insinuation des avocats des intimés voulant que le témoignage de M. MacLeod contredise celui de Mme Power et que c’est plutôt au témoignage de M. MacLeod qu’il faudrait se fier. Les deux témoins ont déposé au sujet de questions différentes et leurs déclarations ne sont pas contradictoires.

[48] En outre, je conclus que le témoignage de Mme Power était crédible, cohérent, et qu’il a passé avec succès l’épreuve du contre‑interrogatoire. 

[49] La Commission et les plaignants n’ont pas été en mesure de démontrer comment la solution proposée par Mme Power ne parvenait pas à remédier totalement à l’acte discriminatoire. La Commission a prétendu que la création d’un nouveau sous‑groupe au sein de Sciences infirmières ne garantirait pas que les plaignants recevraient une rémunération à la hauteur de leurs compétences professionnelles; elle les mettrait seulement en position de négocier une telle rémunération. Elle a affirmé que pour remédier efficacement à l’acte discriminatoire, le Tribunal devrait mieux faire que de simplement mettre les évaluateurs en bonne position de négocier.

[50] Bien qu’il n’y ait aucune garantie au sujet du montant de la rémunération que les évaluateurs recevront par la voie de la négociation collective, Mme Power a déclaré que leur nouvelle rémunération rendra compte du fait qu’ils ont été reclassifiés dans le groupe Sciences infirmières. La proposition de la Commission voulant que les conseillers et les évaluateurs appartiennent à la même classification ou au même groupe professionnel ne garantirait pas davantage un salaire particulier que le fait d’appartenir à un nouveau sous‑groupe de la classification NU. Tout comme la proposition des intimés, cela aurait simplement pour effet de placer les plaignants en position de négocier un salaire à la hauteur de leurs compétences professionnelles. En outre, j’accepte le témoignage de Mme Power selon lequel les évaluateurs ne recevraient pas une rémunération plus élevée ou les mêmes avantages que les conseillers simplement parce qu’ils relèveraient de la même classification ou du même groupe professionnel.

[51] Le salaire des évaluateurs ne serait pas non plus garanti si on les classait dans le sous‑groupe CHN ou dans celui des infirmières‑conseils, comme les plaignants l’ont proposé, à moins que le Tribunal ne leur attribue un échelon particulier. Afin d’être en mesure d’assigner un échelon aux évaluateurs, le Tribunal devrait disposer d’une estimation raisonnablement exacte de la valeur de leur travail par rapport à d’autres postes de la fonction publique fédérale et du service des prestations d’invalidité du RPC. Comme on le verra plus longuement dans la prochaine section, il n’est pas possible de trancher une telle question sur la base de l’information qui a été fournie au Tribunal.

[52] Les propositions que la Commission et les plaignants ont mises de l’avant ne sont pas supérieures en ce qui a trait à leur capacité de corriger l’acte discriminatoire. En outre, elles seraient susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la gestion des ressources humaines dans la fonction publique. La proposition de la Commission aurait des répercussions significatives sur les conseillers dans la mesure où ils verraient eux aussi leurs postes reclassifiés. Les conseillers n’ont pas eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet. La proposition des plaignants consistant à placer le poste d’évaluateur dans le sous‑groupe des infirmières communautaires ou dans celui des infirmières‑conseils leur permettrait d’être reconnus comme étant des professionnels de la santé, mais le nœud du problème persisterait : le travail des plaignants serait toujours mal défini et leurs tâches, responsabilités et fonctions entreraient de force dans une catégorie qui n’a jamais été supposée les inclure. Quelles nouvelles inégalités pourraient bien naître d’une solution aussi expéditive? Il est certain que les objectifs de la LCDP en matière de réparation exigent une mesure de redressement plus adaptée aux besoins réels de la situation.

[53] Par conséquent, j’accepte le témoignage de Mme Power voulant que la création d’un nouveau sous‑groupe au sein de Sciences infirmières représente un moyen efficace de remédier à l’acte discriminatoire et de s’assurer qu’il ne se reproduise pas à l’avenir. En ce sens, cela apparaît comme une option convaincante. En outre, il s’agit de la solution qui créée le moins de perturbations et de conséquences négatives à l’échelle de la fonction publique dans son ensemble.

[54] Il faut toutefois considérer que la proposition visant à mettre immédiatement en place un nouveau sous‑groupe au sein de Sciences infirmières va effectivement à l’encontre de la suggestion de Mary Daly, témoin‑expert qui a déposé en faveur des intimés pendant la partie de l’audience qui a porté sur les réparations.

[55] Mme Daly est consultante en ressources humaines et a une expertise éprouvée du domaine de la classification, de la rémunération et de l’aménagement organisationnel. On lui a demandé d’évaluer le rapport d’expert rédigé par Scott MacCrimmon, consultant en ressources humaines qui a déposé en faveur des plaignants représentés au sujet de la perte de salaire découlant de l’acte discriminatoire.

[56] Dans son rapport et dans son témoignage, Mme Daly s’est livrée à une critique consciencieuse de la méthodologie employée par M. MacCrimmon pour évaluer la perte de salaire, son opinion professionnelle étant que les conclusions de M. MacCrimmon n’étaient pas fiables. Toutefois, elle n’a pas fourni d’autre avis sur la question de savoir si les plaignants avaient subi des pertes de salaire découlant de la pratique discriminatoire. Elle a plutôt déclaré que pour déterminer s’il y avait eu perte de salaire, et aussi pour définir la mesure de redressement appropriée, il faudrait établir un diagnostic complet du travail effectué par les services d’évaluation des demandes de prestation d’invalidité du RPC.

[57] Mme Daly a laissé entendre qu’un tel diagnostic pourrait révéler que la création d’un nouveau sous‑groupe au sein de Sciences infirmières ne serait pas utile. Il pourrait établir que les évaluateurs devraient rester dans le groupe PM, mais que les pratiques de gestion devraient être améliorées.

[58] Dans les conclusions finales, quand on lui a demandé quelle était son opinion au sujet des différences apparentes entre les déclarations de ses deux témoins, l’avocat des intimés a affirmé que dans un monde parfait, on pourrait commencer par procéder au diagnostic suggéré par Mme Daly afin de déterminer si la mise en place d’un nouveau sous‑groupe est vraiment nécessaire. Toutefois, étant donné que Mme Power avait évoqué les mesures qui pourraient être prises immédiatement en vue de corriger l’acte discriminatoire, il a déclaré que cette solution – la mise en place d’un nouveau sous‑groupe – était la meilleure dans les circonstances.

[59] Je souscris à l’opinion de l’avocat des intimés. Mme Power a fourni un témoignage crédible appuyant la proposition des intimés selon laquelle la mise en place d’un nouveau sous‑groupe au sein de Sciences infirmières aurait pour effet de mettre fin à l’acte discriminatoire. Contrairement à la proposition de Mme Daly, je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’entreprendre un diagnostic complet compte tenu de la nature satisfaisante de la proposition des intimés consistant à mettre en place un nouveau sous‑groupe au sein de Sciences infirmières.

[60] Pour ces motifs, et sur la foi de la preuve dont j’ai été saisie, je conclus que, selon la prépondérance de la preuve, la façon la plus appropriée de mettre fin à l’acte discriminatoire décrit dans la décision rendue par le Tribunal en décembre 2007 consiste à mettre en place un nouveau sous‑groupe au sein de Sciences infirmières à l’intention des évaluateurs médicaux. J’ordonne la mise en place d’un tel sous‑groupe, le poste d’évaluateur y étant placé. J’ordonne également que le travail visant à la mise en place de ce nouveau sous‑groupe NU commence dans les 60 jours suivant la date de la présente décision.

II. L’indemnité pour les pertes de salaire

[61] L’alinéa 53(2)c) de la Loi donne au Tribunal le pouvoir d’ordonner que la personne déclarée coupable d’un acte discriminatoire indemnise la victime de la totalité ou de la fraction des pertes de salaire entraînées par l’acte.

[62] Le Tribunal a conclu que les intimés n’avaient pas fourni aux plaignants un salaire à la hauteur de leurs qualifications professionnelles. Les plaignants ont reçu un salaire d’administrateur de programme et non celui de professionnel de la santé. Toutefois, aucune preuve établissant ce que pourrait être le montant de la perte de salaire, le cas échéant, qui aurait été entraînée par l’acte discriminatoire n’a été présentée au cours de la partie de l’audience qui a porté sur la responsabilité.

[63] Dans la section précédente, j’ai conclu que la façon appropriée de mettre fin à l’acte discriminatoire consistait à mettre en place un nouveau sous‑groupe au sein de Sciences infirmières. Bien entendu, le problème est que ce sous‑groupe n’a jamais existé auparavant. Par conséquent, vu qu’il n’y a pas de niveau de rémunération pour ce sous‑groupe à la lumière duquel il serait possible d’examiner le salaire reçu par les évaluateurs dans le passé, il est difficile de savoir si les plaignants ont subi une perte quelconque de salaire. Une des façons de résoudre ce problème consiste à définir la valeur du poste d’évaluateur relativement à celle des autres emplois exigeant d’accomplir des tâches similaires. On effectue alors une comparaison entre le salaire qui a été versé aux évaluateurs et le salaire versé aux titulaires de postes de valeur comparable.

[64] C’est exactement ce que les intimés ont proposé de faire au début de la partie de l’audience portant sur les réparations. Ils ont demandé au Tribunal de les autoriser à présenter des éléments de preuve comparant la valeur du poste d’évaluateur à celle de postes d’infirmière similaires dans la fonction publique.

[65] Dans une décision datée du 6 juin 2008, le Tribunal a accueilli la requête des intimés visant la présentation d’éléments de preuve, mais il a déclaré que, dans la mesure où la réparation devait être liée à l’acte discriminatoire, il était nécessaire d’effectuer une comparaison de la valeur relative des tâches accomplies par les évaluateurs et les conseillers. Le Tribunal a toutefois affirmé que le fait de définir les valeurs relatives des emplois d’évaluateur et de conseiller n’empêchait pas de procéder à une comparaison de la valeur du travail des évaluateurs avec celle d’autres postes d’infirmière dans la fonction publique. 

[66] Dans la décision qu’il a rendue en juin 2008, le Tribunal a déclaré qu’il se pouvait qu’une comparaison entre les conseillers et les évaluateurs révèle que la valeur du travail des évaluateurs était équivalente à celles des postes NU-CHN-02 ou NU-CHN-03, ou à celle d’autres postes. En pareil cas, les intimés pourraient faire valoir que la perte de salaire subie par les évaluateurs devrait être définie à la lumière des salaires versés aux titulaires des postes CHN pendant la période en cause. Le Tribunal a ajouté que les plaignants et la Commission étaient libres de présenter des éléments de preuve d’une nature différente et de soutenir que la perte de salaire devait être calculée autrement.

[67] Toutefois, il s’est trouvé que la preuve des intimés a posé problème et que ceux‑ci ont décidé de ne pas présenter d’éléments de preuve portant sur la comparaison faite entre la valeur relative des postes d’évaluateur, de conseiller et d’autres postes d’infirmière dans la fonction publique. Ce sont les plaignants représentés qui ont présenté des éléments de preuve portant sur la valeur relative des postes de conseiller et d’évaluateur. Les intimés ont cité à comparaître une experte en ressources humaines, Mary Daly, qui a critiqué le rapport d’expert présenté par les plaignants, sans toutefois fournir d’autre évaluation. 

[68] Ainsi, le Tribunal doit décider si la preuve que les plaignants ont présentée établit que la valeur du poste d’évaluateur est telle que si les évaluateurs sont correctement classifiés en tant que professionnels de la santé, il y a un écart de salaire entre ce qu’ils gagnent et ce qu’ils gagneraient en étant NU.

Quelle est la norme de preuve requise pour établir le droit à l’indemnisation?

[69] Dans l’arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale) (l’arrêt MDN), [1996] 3 C.F. 789, la Cour d’appel fédérale a déclaré que la prépondérance des probabilités était la norme de preuve applicable à l’établissement du préjudice. Les plaignants doivent démontrer que leurs prétentions sont plus probables qu’improbables.

[70] Dans l’arrêt MDN, il était question du contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal portant sur une plainte fondée sur l’article 11 de la LCDP. L’article 11 prévoit que le fait de pratiquer la disparité salariale entre les  hommes et les femmes qui exécutent des fonctions équivalentes constitue un acte discriminatoire. Le syndicat a déposé une plainte en février 1987, prétendant que l’intimé, le ministère de la Défense nationale, ne versait pas le même salaire à certaines de ses employées et à certains de ses employés exécutant des fonctions équivalentes. L’intimé a reconnu avoir commis un acte discriminatoire au sens de la LCDP et qu’il y avait eu discrimination systémique.

[71] L’intimé a accepté de verser des rajustements salariaux à partir du 1er juin 1987, mais sans paiement rétroactif. À la suite de l’audience, le Tribunal a conclu qu’il n’avait pas compétence pour ordonner une indemnisation rétroactive en vertu de la LCDP. Il a ajouté qu’il ne convenait pas de remonter dans le temps pour essayer de changer l’histoire, parce qu’il n’y avait pas de certitude relativement à l’importance de l’écart salarial.

[72] La Cour d’appel a conclu que la Loi accordait bien au Tribunal la compétence d’ordonner une indemnisation rétroactive. En outre, il n’est pas nécessaire que la preuve des pertes de salaire soit certaine, la norme de preuve étant la préopondérance des probabilités. La Cour d’appel a souligné qu’il était bien établi que les tribunaux, sachant que la partie demanderesse avait subi une perte, ne pouvaient refuser d’accorder réparation uniquement parce que le montant précis de la perte était difficile ou impossible à établir. Le ou la juge doit faire de son mieux à l’aide de la preuve dont il dispose (voir aussi : Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), [1998] D.C.D.P. n° 6 (conf. par : Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [2000] 1 C.F. 146), décision dans laquelle le Tribunal a adopté l’approche que la Cour d’appel a empruntée dans l’arrêt MDN afin de définir la perte de salaire au sens de l’alinéa 53(2)c) de la Loi).

[73] Dans l’arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), le Tribunal a conclu que la norme de preuve applicable devait être encadrée par la norme du raisonnable. Ainsi, le Tribunal examinera si les résultats du processus d’évaluation des emplois sont raisonnablement précis. Quand elle a procédé au contrôle judiciaire de la décision du Tribunal, la Cour fédérale n’a pas contesté une telle approche.

[74] Nonobstant le fait que les affaires susmentionnées portaient sur des plaintes fondées sur l’article 11 de la LCDP, je pense que les mêmes principes s’appliquent en l’espèce. Le Tribunal doit décider si les plaignants ont démontré selon la prépondérance des probabilités que s’ils avaient été traités comme s’ils accomplissaient en substance le même travail que les conseillers et classifiés en conséquence, ils auraient gagné un plus fort salaire qu’en tant que PM. Si la réponse est affirmative, le Tribunal devra alors décider si les plaignants ont démontré, selon la prépondérance des probabilités, l’importance des pertes salariales qu’ils ont subies en conséquence de l’acte discriminatoire.

[75] Les plaignants ont cité à comparaître Scott MacCrimmon, expert en évaluation de poste, afin d’appuyer leur prétention voulant que si les intimés avaient traité les plaignants d’une manière non discriminatoire, les conseillers auraient gagné un salaire de seulement 15 à 25 % supérieur à celui des évaluateurs au lieu du salaire de 50 % supérieur qu’ils touchaient. L’estimation de l’écart salarial était fondée sur une comparaison de la valeur relative des deux postes.

Le témoignage de Scott MacCrimmon

[76] M. MacCrimmon a plus de 33 ans d’expérience en consultation dans le domaine des régimes de rémunération. Il a été directeur de projet dans le cadre de nombreuses études portant sur l’évaluation, la classification et les régimes de rémunération commanditées par des clients de tout le Canada, des États-Unis et de la région des Caraïbes. En 2002, M. MacCrimmon a été nommé par les ministres de la Justice et du Travail pour faire partie d’un groupe de travail constitué de trois personnes dont la mission était de mener une analyse exhaustive de l’article 11 de la LCDP et de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. L’article 11 et l’Ordonnance définissent la façon dont les employeurs sous réglementation fédérale au Canada doivent appliquer le principe de l’équité salariale (bien que les employeurs de la fonction publique fédérale soient maintenant régis par la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public). En 2004, le groupe de travail a présenté son rapport aux ministres.

[77] Le fait que M. MacCrimmon soit un expert de l’évaluation des postes et des systèmes de rémunération a fait l’objet d’un consensus.

[78] Les plaignants représentés ont retenu les services de M. MacCrimmon afin qu’il conduise une analyse comparative des emplois de conseiller et d’évaluateur, indiquant ainsi de quelle manière la comparaison entre les salaires pourrait en être affectée. Dans la lettre d’engagement qu’il a envoyée, l’avocat des plaignants représentés demandait à M. MacCrimmon de travailler de manière indépendante, sans se laisser influencer par les avocats des parties ou les parties elles‑mêmes.

[79] M. MacCrimmon a effectué son analyse en se fondant sur les sources d’information suivantes :

  1. la décision rendue par le TCDP le 13 décembre 2007 dans l’affaire Walden c. Canada (Développement social), 2007 TCDP 56, qui a établi que les intimés avaient fait preuve de discrimination envers les plaignants en violation des articles 7 et 10 de la LCDP;
  2. la décision rendue par le TCDP le 6 juin 2008 dans l’affaire Walden c. Canada (Développement social), 2008 TCDP 21, au sujet de la présentation de nouvelles preuves permettant de définir la réparation appropriée;
  3. une description du poste d’évaluateur médical datée du 6 juin 2006;
  4. une description du poste de conseiller médical datée du 14 mars 1990.

[80] M. MacCrimmon n’a reçu aucune autre information pouvant lui servir dans l’évaluation des postes. Il a fait expressément remarquer qu’on ne lui avait pas fourni de taux de salaire ou de données salariales susceptibles de lui permettre de calculer les écarts et le montant de la perte de salaire subie en conséquence de toute pratique de rémunération discriminatoire.

[81] M. MacCrimmon n’a interrogé aucun membre du personnel du programme de prestations d’invalidité du RPC ou de quelque autre organisme de la fonction publique en vue d’obtenir des informations aux fins de l’évaluation des postes. On lui a dit de fonder son étude sur les documents susmentionnés.

[82] Il est important de souligner qu’on ne m’a jamais informée du fait que les plaignants avaient demandé que M. MacCrimmon ait accès à leur lieu de travail afin d’obtenir des informations supplémentaires sur les postes aux fins de son évaluation et que cela leur avait été refusé. Il semblerait que les intimés étaient d’avis que M. MacCrimmon disposait de suffisamment d’informations pour mener à bien son étude.

[83] En vue d’apprécier les postes d’évaluateur et de conseiller, M. MacCrimmon a eu recours à une grille d’évaluation générique à points de son cru. La grille de M. MacCrimmon a été utilisée par de nombreux employeurs, y compris des hôpitaux, des centres de santé communautaires, des banques et des compagnies d’assurance.

[84] La grille tient compte de dix critères, dont les compétences professionnelles, les efforts à fournir, les responsabilités et les conditions de travail. À chaque critère correspondent des échelons, de faible à élevé, le plus élevé donnant le maximum de points pour chaque critère. Un manuel d’évaluation de poste accompagne la grille et donne la définition de tous les critères ainsi que de chaque échelon pour chaque critère.

[85] M. MacCrimmon a noté les postes d’évaluateur et de conseiller à l’aide de sa grille. Il a attribué des points à chaque critère à la lumière de l’information contenue dans les deux descriptions de poste ainsi que dans les deux décisions rendues par le Tribunal. M. MacCrimmon a déclaré qu’il avait accepté toutes les conclusions du Tribunal comme étant des conclusions de fait exactes.

[86] M. MacCrimmon a déclaré que l’évaluation des postes permettait d’attribuer à chaque poste un total de points. Ce total devient une mesure de la valeur du poste pour l’employeur, indépendamment de la personne qui occupe l’emploi, de ses qualifications personnelles ou de sa productivité.

[87] M. MacCrimmon a déterminé que le poste de conseiller médical correspondait à une valeur totale de 370 points. Il a attribué un total de 313 points au poste d’évaluateur médical. La différence dans la valeur totale des deux postes s’explique seulement par les valeurs que M. MacCrimmon a attribuées aux critères de prise de décisions et de formation pour chaque poste. Pour le critère de formation, M. MacCrimmon a accordé 125 points aux conseillers et 80 points aux évaluateurs. Pour le critère de prise de décisions, il a attribué 50 points aux conseillers et 43 points aux évaluateurs.

[88] Dans son rapport, M. MacCrimmon a déclaré qu’en tant que tels, les résultats de l’évaluation ne fournissaient pas d’informations claires au sujet de l’importance de l’écart salarial découlant de l’acte discriminatoire dont fait état la décision rendue en décembre 2007. Ces résultats confirment simplement qu’on se trouve en présence d’un rapport adéquat sur le plan de la rémunération, autrement dit, que les conseillers devraient recevoir un salaire quelque peu supérieur à celui des évaluateurs.

[89] M. MacCrimmon a déclaré ne pas avoir reçu de données salariales sur ces emplois en particulier ou sur tout autre emploi. Par conséquent, il a été incapable de définir l’écart salarial approprié entre les postes de conseiller et d’évaluateur à partir de la valeur relative des deux postes. Toutefois, il a produit une opinion, fondée sur plusieurs dizaines d’années d’expérience des enquêtes sur la rémunération et de la mise en place de structures salariales pour le compte d’employeurs partout au Canada et en Amérique du Nord. Selon lui, la plupart du temps, deux emplois séparés par 57 points, alors que les points attribués se situent dans les 300, seraient séparés par deux échelons de salaire (voire un seul). Pour les structures salariales classiques, M. MacCrimmon pense que cela représente un écart salarial de l’ordre de 15 à 25 %. Il a déclaré que cela signifiait que dans le meilleur des cas, les conseillers toucheraient un salaire supérieur à celui des évaluateurs d’environ 15 à 25 %.

Les résultats de l’évaluation des emplois menée par M. MacCrimmon établissent‑ils que les plaignants ont subi des pertes de salaire découlant de la conduite discriminatoire?

[90] M. MacCrimmon a été très direct dans sa manière d’expliquer les limites de son étude. Sa première source de préoccupation reposait sur le fait que les comparaisons telles que celle qu’on lui a demandé de faire en l’espèce, consistant à comparer deux emplois, peuvent souvent donner naissance à des iniquités et à des écarts salariaux inadéquats, qui sont difficiles à justifier et qui deviennent difficiles à gérer. Il a affirmé que, pour cette raison, les gestionnaires de la rémunération professionnels n’adoptent pas une méthode consistant à comparer deux emplois. L’approche classique consiste plutôt à évaluer formellement et objectivement un échantillon d’emplois représentatifs au sein du service considéré. On calcule alors une ligne de tendance des salaires interne qui permet de définir le salaire correspondant à chaque emploi au sein de l’organisation. Une telle façon de faire milite en faveur de la cohérence et de l’impartialité à l’interne.

[91] Lors du contre‑interrogatoire, M. MacCrimmon a déclaré que si les résultats de l’étude menée en l’espèce devaient se traduire par des actes, il s’inquiéterait des inégalités et des incohérences potentielles qui pourraient en résulter. Il a affirmé que le fait d’avoir recours à cette étude afin de définir les ajustements de salaire pourrait par exemple voir les gestionnaires des évaluateurs gagner un salaire moins élevé que les évaluateurs pendant la période en cause.

[92] Au cours du nouvel interrogatoire, on a demandé à M. MacCrimmon s’il pensait que son étude faisait état de résultats exacts. Il a répondu que dans la mesure où elle était seulement fondée sur une comparaison entre les postes de conseiller et d’évaluateur, son évaluation offrait une mesure exacte de la différence de valeur entre ces emplois. Toutefois, il a également déclaré qu’[Traduction] un professionnel ne procéderait pas à un ajustement fondé sur une simple comparaison entre deux emplois en vue de mettre en place une structure salariale et de définir les salaires respectifs des deux emplois en question.

[93] M. MacCrimmon a ajouté que des informations supplémentaires sur les postes pourraient bien avoir des répercussions sur les valeurs qu’il a attribuées à chacun d’eux. Au cours du contre‑interrogatoire, il a reconnu que s’il avait pu mener l’étude comme il l’entendait, il aurait interrogé des employés du service des prestations d’invalidité du RPC. Il aurait obtenu davantage d’informations au sujet des postes, de la durée et du pourcentage de temps consacré aux diverses tâches. Il se serait procuré des descriptions des emplois plus à jour. Il a fait remarquer que de telles informations auraient pu avoir des conséquences sur les valeurs qu’il a attribuées aux postes.

[94] Au cours du contre‑interrogatoire, M. MacCrimmon a également admis que son estimation de l’écart salarial approprié entre les conseillers et les évaluateurs était conjecturale. Il a déclaré qu’elle était fondée sur les nombreuses évaluations d’emplois qu’il lui avait été donné de conduire dans le passé. M. MacCrimmon a reconnu que son expérience ne faisait pas nécessairement en sorte qu’il puisse dire précisément quels seraient les résultats en l’espèce. Il a déclaré qu’afin de faire le lien entre l’évaluation des emplois et les taux de rémunération, il faudrait suivre l’approche qu’il a recommandée, laquelle consiste à mettre en place une ligne de tendance des salaires en se fondant sur la comparaison des valeurs relatives d’un enchantillon représentatif d’emplois au sein de l’organisation.

[95] Lors du nouvel interrogatoire, M. MacCrimmon a déclaré que bien que son estimation de l’écart salarial soit conjecturale, elle était fondée sur sa vaste expérience dans le domaine. Cette expérience l’a conduit à affirmer qu’advenant que deux postes aient une différence de points d’environ 20 % lorsque les points attribués se situent dans les 300, comme c’est le cas en l’espèce, ces postes sont généralement séparés par deux échelons de salaire.

[96] Quand l’avocat des intimés, Me Bendin, a demandé à M. MacCrimmon quelle importance on devait accorder à son opinion à la lumière des limitations qu’il a constatées et des réserves qu’il a exprimées dans le cadre de son étude, il a reçu les réponses suivantes :

[Traduction]

M. MacCrimmon : Vous devrez vous faire votre propre idée. On m’a donné, j’ai rédigé, comme je viens juste de le mentionner, j’ai rédigé mon rapport en me fondant sur l’information qu’on m’a fournie. On m’a demandé d’émettre un jugement. Alors j’ai dit : voici l’information dont je dispose et voici, voici le résultat. Mais je pense qu’il y aurait une meilleure façon de faire. C’est ainsi que j’ai fait connaître mon opinion.

Me Bendin : Ainsi, s’il n’en avait tenu qu’à vous, vous auriez mené cette étude d’une manière complètement différente.

M. MacCrimmon : J’aurais pris plus de temps et rassemblé davantage d’informations.

[97] Lors du nouvel interrogatoire, M. MacCrimmon a tout de même déclaré qu’il s’en tenait à son rapport.

Les critiques de Mary Daly à l’égard de l’étude de M. MacCrimmon

[98] Avec l’accord du Tribunal, Mary Daly a été qualifiée d’experte en classification, en rémunération et en aménagement organisationnel. Elle a déclaré que l’étude de M. MacCrimmon ne faisait pas état de résultats fiables relativement aux pertes de salaire potentielles. On pourrait résumer les points saillants de sa critique de la manière suivante :

  1. Le processus d’évaluation des emplois que M. MacCrimmon a suivi n’a pas produit de résultats raisonnablement exacts.
  2. L’instrument d’évaluation des emplois dont M. MacCrimmon s’est servi n’a pas produit de résultats raisonnablement exacts.
  3. Les conjectures auxquelles M. MacCrimmon s’est livré au sujet de l’écart salarial n’étaient pas fondées.

1) Le processus d’évaluation des emplois

[99] Dans son rapport d’expert ainsi que dans son témoignage devant le Tribunal, Mme Daly a décrit le processus systématique que suivent les experts quand ils mesurent la valeur relative des emplois au sein d’une organisation. Elle a décrit ce processus comme étant essentiellement la norme professionnelle pour les études portant sur les évaluations des emplois. Mme Daly a analysé l’évaluation des emplois effectuée par M. MacCrimmon à la lumière de ce processus.

[100] La première étape du processus consiste à interroger les gestionnaires. Mme Daly a déclaré que le processus d’évaluation des emplois commençait et se terminait avec les gestionnaires, qui sont responsables d’organiser le travail et la main‑d’œuvre en vue de produire des résultats concurrentiels et de remplir les objectifs de l’organisation. Une bonne compréhension du travail et de la main‑d’œuvre permet à un analyste de distinguer quels sont les éléments les plus importants du travail, de la même manière que la profondeur de champ en photographie permet la focalisation sur certains objets-cible. Mme Daly a déclaré que si on ne consultait pas la direction d’une organisation afin de cerner le cadre opérationnel au sein duquel le travail est accompli, le plan d’évaluation des emplois ou les résultats de l’évaluation ne peuvent refléter le travail de manière significative.

[101] Lors du contre‑interrogatoire, on a demandé à Mme Daly comment elle voyait la possibilité que les gestionnaires dissimulent la vérité. Elle a répondu que dans le processus d’évaluation, le premier pas consiste également à parler avec les employés, les superviseurs et les syndicats. Elle a affirmé qu’elle mettait à l’épreuve les différents points de vue qu’on lui communiquait en cherchant à obtenir de multiples points de vue de multiples personnes occupant des emplois variés à de multiples niveaux. Elle ne se fonde pas sur une seule source d’information, quelle qu’elle soit. Ainsi, elle est en mesure de se faire une idée cohérente et fidèle de la valeur que les tâches executées par la main‑d’œuvre ont pour l’organisation.

[102] Mme Daly a déclaré qu’un autre élément important pour l’exactitude des résultats de l’évaluation des emplois dans la fonction publique consiste à comparer des postes aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du service considéré. Dans un service tel que celui des prestations d’invalidité du RPC au sein de la fonction publique, il y a une hiérarchie de groupes professionnels. Il y a également une hiérarchie au sein du groupe professionnel ou de la classification qui existe dans l’ensemble du noyau de la fonction publique. Par conséquent, l’évaluation des emplois doit permettre de comparer des postes tant au sein du service qu’au sein du groupe professionnel ou de la classification. Cela s’explique par le fait que les évaluateurs, par exemple, examineront s’ils sont traités équitablement aussi bien à l’intérieur du service des prestations d’invalidité du RPC qu’à l’extérieur, pour voir s’ils sont traités équitablement par rapport aux autre PM ou NU qui travaillent ailleurs dans la fonction publique. Une évaluation qui manque de prendre en considération les valeurs relatives au sein du service ainsi que dans l’ensemble de la fonction publique ne reflétera pas avec exactitude la valeur du travail pour la fonction publique dans son ensemble ou pour le service des prestations d’invalidité du RPC.

[103] Mme Daly a déclaré que du fait des contraintes ayant pesé sur son étude, M. MacCrimmon n’a pas pu disposer d’informations contextuelles au sujet du programme de prestations d’invalidité du RPC, de ses processus ou des tâches relatives ou connexes. Il n’a pas été en mesure d’interroger les gestionnaires, les superviseurs ou les employés afin de se faire une idée exacte de la valeur que l’organisation attache au travail effectué dans le service. Il ne disposait d’aucune information sur le volume de travail, sur la manière dont le travail évoluait d’une étape à l’autre ou sur la nature des tâches effectuées à Ottawa par opposition aux autres bureaux. Il ne savait rien du travail des autres infirmières ou administrateurs de programme de la fonction publique qui accomplissaient des tâches d’une nature semblable à celle des évaluateurs. Ses seules informations provenaient des documents qui avaient été mis à sa disposition. Pour résumer, M. MacCrimmon ne disposait tout simplement pas de suffisamment d’informations pour effectuer une évaluation des emplois exacte et fiable.

[104] Mme Daly a déclaré que les descriptions des emplois et les décisions du Tribunal ne fournissaient pas assez d’informations pour qu’une évaluation des emplois exacte puisse être effectuée. Les descriptions des emplois étaient de longueur très différentes. La description du poste d’évaluateur était bien plus longue et détaillée que celle du poste d’évaluateur. Cette dernière description était d’ailleurs beaucoup plus ancienne que celle du poste d’évaluateur. Elle a déclaré que c’était la même chose que d’observer le poste d’évaluateur avec un microscope électronique et celui de conseiller à l’œil nu. On ne peut pas saisir la pleine valeur du travail si les deux emplois ne sont pas traités également dans la documentation qui les concerne.

[105] En ce qui a trait à l’utilisation que M. MacCrimmon a faite de la décision rendue par le Tribunal en 2007, Mme Daly a déclaré que M. MacCrimmon n’a pas fourni d’explication précise au sujet de la façon dont il a exploité les conclusions formulées dans la décision pour évaluer les emplois. Il a semblé à Mme Daly qu’il avait utilisé de manière sélective les descriptions des emplois faites dans la décision, en même temps que les descriptions mêmes, et qu’il avait été incapable de dire lesquelles il avait utilisées et à quels endroits dans son évaluation. Par exemple, M. MacCrimmon n’avait pas expliqué ce qu’il avait fait, s’il s’en était servi, de la conclusion selon laquelle, au Manitoba et en Saskatchewan, les évaluateurs comparaissent devant le tribunal de révision. A‑t‑il attribué cette responsabilité à tous les évaluateurs? Il aurait alors été dans l’erreur. Ce ne sont pas tous les évaluateurs qui comparaissent devant le tribunal de révision, et ce serait fausser la valeur du poste d’évaluateur que d’attribuer une telle responsabilité à tous les évaluateurs.

[106] Mme Daly a déclaré que M. MacCrimmon n’avait pas été en mesure d’expliquer comment il s’était servi des décisions du Tribunal dans son évaluation des postes. Il n’a pas fourni une justification suffisamment détaillée à l’appui des valeurs qu’il a attribuées aux emplois. Par conséquent, le Tribunal ne disposait pas de suffisamment d’informations pour évaluer la fiabilité des conclusions de son étude.

2) L’instrument d’évaluation des emplois

[107] Mme Daly a contesté le fait que M. MacCrimmon se soit servi de son propre instrument générique d’évaluation des emplois. Elle a déclaré qu’une grille générique consistant à accorder des points à certains critères ne pouvait traduire fidèlement la nature et la valeur des tâches effectuées dans le cadre des emplois d’évaluateur et de conseiller. Une telle grille ne permet pas de bien saisir d’importants aspects de la nature professionnelle de ces emplois.

[108] Mme Daly a ajouté que la grille d’évaluation de M. MacCrimmon était conçue de manière à donner une bonne vue d’ensemble des tâches exécutées au sein d’un organisme, et que, par conséquent, elle ne pouvait offrir la précision et la finesse requises pour effectuer des distinctions entre deux emplois de professionnels spécialisés. M. MacCrimmon a examiné des tâches qui ne constituent qu’une petite partie du travail accompli dans le service, laissant ainsi une grande partie de la grille inutilisée et amenuisant par conséquent les différences significatives qui existent entre les valeurs respectives des emplois étudiés.

3) L’écart salarial

[109] Mme Daly a souligné que M. MacCrimmon était parvenu à des totaux différents pour les deux emplois et qu’il s’était ensuite livré à des conjectures au sujet du lien possible entre ces résultats et une structure des salaires.

[110] Elle a expliqué qu’une telle approche posait un certain nombre de problèmes. Premièrement, elle implique qu’on tient pour acquis, à tort, qu’il existe une approche générique unique permettant de définir la rémunération d’après un total de points. Mme Daly a affirmé que chaque organisme envisageait l’évaluation des emplois, les résultats de l’évaluation, la synthèse des résultats, la mise en place d’échelons et la définition de correspondances entre les salaires et les échelons d’une manière qui lui était propre.

[111] Pour illustrer ses propos, Mme Daly a déclaré qu’une évaluation des emplois bien conçue permettra d’obtenir des résultats raisonnables, voulant que les emplois auxquels on accorde le plus d’importance soient mieux rémunérés que les emplois moins valorisés. Il y a quelque temps, certains organismes faisaient équivaloir une somme de dollars fixe pour chaque point accordé. Il en résultait qu’un employeur aurait à rémunérer davantage un emploi valant 312 points qu’un emploi en valant 311. Il était déraisonnable d’utiliser un tel système dans la mesure où l’évaluation des emplois n’est pas assez précise pour justifier ces écarts de salaire. Au lieu de cela, les organismes instaurent dorénavant des échelles à l’intérieur desquelles tous les postes valant par exemple de 150 à 200 points constituent un ensemble d’une valeur sensiblement identique. Les titulaires de ces postes reçoivent le même salaire.

[112] La synthèse des résultats et les ensembles qui en découlent diffèrent d’un organisme à l’autre, en fonction d’un certain nombre de critères, par exemple, si l’organisme offre un grand nombre de postes de niveau débutant ou supérieur. Certains résultats peuvent se retrouver en plus grand nombre à certains niveaux que d’autres. Chaque organisme a son propre modèle d’attribution des points, sa propre manière de définir les ensembles et les salaires correspondants. C’est pour cette raison que Mme Daly a déclaré que M. MacCrimmon n’aurait pas dû recourir à des généralisations portant sur la relation entre les points et les salaires dans d’autres organismes pour tirer une conclusion relativement précise sur un organisme particulier, le service des prestations d’invalidité du RPC en l’occurrence. Mme Daly pense que le fait d’avoir recours à des généralisations fondées sur de l’expérience acquise auprès d’autres organismes conduira vraisemblablement à tirer des conclusions erronées.

[113] En outre, Mme Daly a déclaré que M. MacCrimmon était parvenu à sa conclusion sur les salaires en sautant un nombre significatif d’étapes, sans s’appuyer sur l’analyse détaillée qu’il est nécessaire de conduire pour définir les répercussions d’une évaluation des emplois sur la rémunération.

[114] Enfin, Mme Daly a déclaré que l’estimation que M. MacCrimmon a donnée de l’écart salarial approprié entre les postes d’évaluateur et de conseiller était fondée sur un processus d’évaluation des emplois qui, du fait des limitations auxquelles M. MacCrimmon avait dû faire face, était vicié dès le départ. Par conséquent, ce processus ne pouvait pas produire des résultats raisonnablement exacts.

[115] Pour ces raisons, Mme Daly était d’avis que l’estimation de l’écart salarial approprié entre les postes d’évaluateur et de conseiller donnée par M. MacCrimmon ne traduisait pas fidèlement la rémunération que les évaluateurs auraient obtenue s’ils avaient reçu un salaire à la hauteur du caractère professionnel de leur emploi.

La crédibilité et l’indépendance de Mme Daly

[116] Les plaignants et la Commission ont prétendu que Mme Daly n’était pas un témoin‑expert crédible ou indépendant. Par conséquent, on ne devrait accorder aucun poids à l’ensemble de ses déclarations. Ils ont fondé leur prétention sur les éléments suivants : 1) Mme Daly a reconnu que sa critique du rapport de M. MacCrimmon était en partie fondée sur le fait qu’il avait accepté de s’appuyer sur les conclusions tirées par le Tribunal en décembre 2007 pour mener son analyse, alors qu’elle aurait conduit l’étude différemment; 2) Mme Daly a admis avoir été influencée par l’avocat des intimés dans sa manière de présenter son rapport.

[117] En ce qui a trait au premier élément, Mme Daly a affirmé qu’elle pensait que la conclusion du Tribunal voulant que les conseillers et les évaluateurs accomplissent des tâches largement similaires était un jugement qualitatif qui devait être remis en question. Elle a convenu que sa critique du rapport de M. MacCrimmon reposait en partie sur le fait qu’il avait accepté les conclusions du Tribunal à cet égard alors qu’elle les aurait soumises à une analyse empirique. L’avocat des plaignants a soutenu que tout le bien‑fondé de la critique que Mme Daly a formulée à l’égard du rapport de M. MacCrimmon s’en trouvait minée. Je ne souscris pas à une telle opinion.

[118] Premièrement, je ne pense pas que Mme Daly laissait entendre que les conclusions du Tribunal relatives à l’acte discriminatoire étaient erronées ou susceptibles d’être remises en question empiriquement. Elle pensait plutôt que c’était la question de savoir si des pertes de salaire découlaient de l’acte discriminatoire qui devait être testée empiriquement au lieu de déduire leur existence de la décision du Tribunal. Je suis d’accord avec Mme Daly sur ce point.

[119] Dans la décision que j’ai rendue en décembre 2007, j’ai conclu que du fait de l’acte discriminatoire, les intimés avaient manqué à leur obligation de verser aux infirmières une rémunération à la hauteur de leurs qualifications professionnelles. Cela ne veut pas dire que j’ai conclu que des pertes de salaire avaient été entraînées par l’acte discriminatoire au sens de l’alinéa 53(2)c). Cela signifie que les évaluateurs auraient dû recevoir la même rémunération que les infirmières. Dans le cas où il serait établi qu’il existe un écart entre la rémunération qu’ils ont reçue en tant qu’administrateurs de programme et celle qui leur aurait été versée en tant qu’infirmières, les évaluateurs devront être indemnisés pour ces pertes de salaire. J’accepte le témoignage de Mme Daly voulant qu’il faille démontrer empiriquement l’existence et l’importance de l’écart salarial.

[120] Deuxièmement, en ce qui a trait à l’usage que M. MacCrimmon a fait des conclusions du Tribunal, je pense que la critique de Mme Daly était fondée sur le fait qu’elle s’inquiétait que ces conclusions ne fournissent pas les informations nécessaires permettant d’effectuer une évaluation des emplois exacte ou fiable. À cet égard, M. MacCrimmon avait les mêmes réserves que Mme Daly. Il a déclaré qu’il aurait préféré disposer de plus d’informations. Il a ajouté que des informations additionnelles sur les emplois pourraient bien modifier les valeurs relatives des deux postes. Ainsi, dans la mesure où Mme Daly remettait en question le fait de s’être appuyé sur la décision du Tribunal plutôt que d’avoir réuni des informations exhaustives en vue d’effectuer une évaluation des postes raisonnablement fiable, je pense que le soutien de M. MacCrimmon lui est acquis.

[121] Les conclusions que j’ai tirées dans la décision rendue en décembre 2007 menaient à une conclusion de responsabilité des intimés. La responsabilité était fondée sur le fait que les intimés n’étaient pas parvenus à fournir une explication raisonnable contrant la preuve prima facie de discrimination. Ces conclusions n’ont jamais visé à définir l’ampleur des pertes de salaire découlant de l’acte discriminatoire, advenant qu’il y ait eu perte. Elles peuvent servir à justifier la tenue d’une évaluation portant sur les pertes de salaire possibles, mais elle n’ont jamais visé à quantifier les pertes de salaire en tant que telles. En elles‑mêmes, les conclusions relatives aux différences et aux similitudes entre les deux postes ont assuré la transition vers la partie de l’instruction portant sur les réparations. Elles n’ont pas permis de régler définitivement la question des réparations.

[122] Par conséquent, je conclus que Mme Daly a à juste titre critiqué le fait que les résultats du rapport de M. MacCrimmon reposent uniquement sur les conclusions du Tribunal et qu’une telle critique ne mine pas la valeur ou la crédibilité de son rapport.

[123] En ce qui concerne le deuxième élément, la Commission et les plaignants ont attiré l’attention du Tribunal sur la correspondance échangée par les intimés et Mme Daly, qui donnerait à penser que la portée et le format du rapport ont été modifiés après que les intimés eurent formulé des suggestions. Plus précisément, Mme Daly et l’avocat des intimés ont échangé des courriers électroniques qui donnent à penser que Mme Daly avait initialement prévu qu’elle se pencherait sur la question de savoir si la création d’un nouveau sous‑groupe pour les évaluateurs était judicieuse, et si c’était le cas, quelle était la meilleure manière de définir les mesures de redressement.

[124] Mme Daly a déclaré qu’on lui avait dit qu’elle ne disposait pas de suffisamment de temps pour entreprendre une analyse exhaustive de la question. Aucune preuve n’indique que le fait d’avoir restreint le mandat de Mme Daly à la formulation d’une opinion sur le rapport de M. MacCrimmon ait eu un effet quelconque sur le fond de la critique.

[125] La Commission a affirmé que l’avocat externe des intimés avait influencé Mme Daly et que le contenu du rapport de cette dernière s’en ressentait. Les intimés ont retenu les services de cet avocat de pratique privée afin qu’il les aide à se préparer au présent litige. En compagnie des avocats des intimés et du ministère de la Justice, l’avocat externe a rencontré Mme Daly à plusieurs reprises afin de l’informer de la portée de l’affaire ainsi que de ses paramètres juridiques.

[126] Un courrier électronique dans lequel l’avocat externe des intimés suggérait à Mme Daly d’apporter quelques changements de forme à son rapport a été déposé en preuve. Mme Daly a d’abord affirmé ne pas avoir communiqué avec la personne en question au sujet de la version préliminaire de son rapport, et plus tard, quand ce courrier électronique lui a été présenté au cours du contre‑interrogatoire, elle a admis que l’avocat externe lui avait suggéré d’apporter des modifications de forme à la version préliminaire de son rapport.

[127] Il ressort du texte de la correspondance que la suggestion de l’avocat externe consistait à déplacer la conclusion, qui se trouvait dans l’introduction du rapport, à la fin du document. Mme Daly a affirmé que le changement n’avait pas modifié le rapport sur le fond. J’accepte son témoignage à cet égard. Il est cohérent avec la documentation écrite. En outre, il n’existe aucune preuve selon laquelle, que ce soit au cours de rencontres ou dans des courriers électroniques, Mme Daly a été amenée à modifier le contenu de son rapport sur l’ordre de l’avocat externe des intimés.

[128] Je ne pense pas que l’inexactitude initiale du témoignage de Mme Daly, relativement à la question de savoir si elle avait communiqué avec l’avocat externe des intimés au sujet de changements à apporter à son rapport soit significative. Cela ne m’amène pas à remettre en question l’indépendance ou la validité de l’opinion qu’elle a exprimée. Considérant le caractère relativement mineur du changement demandé, ainsi que l’apparente urgence à terminer le rapport, je pense qu’il est compréhensible que Mme Daly ait pu oublier que l’avocat externe des intimés lui avait suggéré d’apporter un changement de forme. La preuve n’indique en aucune façon que des changements ont été effectués ou que des suggestions ont été formulées relativement au contenu du rapport.

[129] Enfin, les plaignants et la Commission ont soutenu que Mme Daly n’était pas un témoin‑expert indépendant. Ils ont fait valoir que dans l’énoncé de travail initial de Mme Daly, on lui demandait de présenter dans son témoignage seulement ce qui était favorable à la Couronne. L’énoncé de travail initial prévoyait qu’elle devait fournir des conseils stratégiques conformes à la position adoptée par la Couronne et envisager la partie de la décision portant sur les réparations de la manière la plus favorable à la Couronne et aux contribuables canadiens.

[130] Le contrat finalement signé par Mme Daly prévoyait que son objectif, à titre d’expert, était de fournir des conseils stratégiques aux fins de l’analyse de la partie de la décision rendue par le TCDP le 13 décembre 2007 qui portait sur les réparations. L’expert devait également fournir des conseils stratégiques et de l’assistance en vue de réfuter le rapport d’expert produit par les plaignants.

[131] Lors du contre‑interrogatoire, Mme Daly a déclaré avoir reçu la correspondance, y compris l’énoncé de travail initial, au moment où elle participait à une réunion visant à l’informer de la nature du travail et à clarifier son mandat. Quand elle se remémore les faits, elle ne se rappelle pas avec précision l’énoncé de travail initial. Elle a ensuite envoyé une lettre à l’avocat des intimés, datée du 3 novembre 2008, soit au début de son mandat, lui faisant savoir qu’elle comprenait les objectifs de son contrat : fournir des conseils stratégiques relativement aux réparations, critiquer le rapport de M. MacCrimmon et comparaître à l’audience lorsque nécessaire. C’est ce qui ressort du contrat que Mme Daly a finalement signé après avoir envoyé la lettre datée du 3 novembre.

[132] Mme Daly a témoigné pendant pratiquement deux journées. Même si ses réponses aux questions étaient souvent longues et complexes, elle s’est montrée professionnelle, directe et cohérente. Le fait qu’elle a été engagée par contrat à fournir des conseils stratégiques au sujet des réparations à accorder en l’espèce ne m’a pas posé de problème. Les témoins‑experts fournissent des conseils stratégiques dans le cadre des litiges portant sur des questions factuelles qui relèvent de leur expertise. Mme Daly a nié avoir été influencée par l’avocat des intimés et elle a affirmé que, comme professionnelle, il serait contraire à son sens de l’éthique de fournir un témoignage biaisé. À la lumière de l’ensemble de la preuve, je conclus que le témoignage de Mme Daly était crédible à cet égard.

Analyse de la preuve et conclusions

1) Le processus d’évaluation des emplois

[133] Mme Daly et M. MacCrimmon étaient du même avis au sujet d’une grande partie des questions que Mme Daly a soulevées au sujet du processus d’évaluation. Même si M. MacCrimmon ne pensait pas qu’un diagnostic complet ou qu’une évaluation de tous les postes du service des prestations d’invalidité du RPC était nécessaire, il a convenu qu’il aurait été préférable de disposer de l’information évoquée par Mme Daly et de conduire une évaluation portant sur plus que les deux postes.

[134] M. MacCrimmon a ajouté qu’une évaluation exacte et défendable reposait d’abord sur l’objectivité et la cohérence des analystes ainsi que sur l’exercice de leur jugement dans l’interprétation des faits. Je suis certaine qu’en tant qu’unique analyste de l’étude, M. MacCrimmon a fait preuve de toute l’objectivité et de toute la cohérence voulues.

[135] Toutefois, comme l’a fait remarquer Mme Daly, l’évaluation des postes soulevait d’autres problèmes, faisant en sorte qu’il était improbable que les résultats soient raisonnablement exacts. N’ayant pas eu l’occasion d’interroger les titulaires des postes, leurs superviseurs et leurs gestionnaires, M. MacCrimmon n’a pas eu accès à des informations importantes concernant les emplois. La description du poste de conseiller était désuète et n’était pas aussi détaillée que celle du poste d’évaluateur, qui datait de 2006. M. MacCrimmon et Mme Daly ont convenu que des informations additionnelles sur les emplois pourraient avoir des répercussions sur les valeurs attribuées aux emplois. Ils ont également convenu qu’en vue de produire des résultats fiables visant la prise de décisions justes et équitables en matière de rémunération, on ne devait pas se limiter à comparer seulement deux postes, comme cela a été le cas dans l’évaluation des postes en cause.

[136] Du fait des limites qui lui avaient été imposées, limites sur lesquelles il n’avait aucune maîtrise, M. MacCrimmon n’a pas pu obtenir toutes les informations et données nécessaires pour entreprendre une évaluation susceptible de produire des résultats raisonnablement exacts. En l’absence d’autres informations relatives aux postes que celles qui ont été fournies à M. MacCrimmon, et en disposant d’une comparaison entre deux emplois seulement, effectuée à l’aide d’une grille d’évaluation générique, le Tribunal n’a tout simplement pas une estimation raisonnablement fiable de la valeur relative des postes en question.

[137] En outre, M. MacCrimmon n’a pas fourni au Tribunal assez d’informations relativement à la façon dont il s’est servi des données provenant des décisions du Tribunal et des descriptions des postes afin de tirer ses conclusions. Par conséquent, je ne peux affirmer, selon la prépondérance des probabilités, que les résultats de l’étude sont raisonnablement exacts.

2) L’instrument d’évaluation des emplois

[138] Les deux experts étaient en désaccord sur la question de savoir si l’utilisation d’une méthode d’évaluation des emplois conçue sur mesure aurait des répercussions sur les résultats de l’étude. D’une part, M. MacCrimmon a déclaré que s’il se fiait à son expérience, peu importe qu’on utilise un instrument d’évaluation sur mesure ou générique, on constatait peu de différences dans les résultats de l’évaluation des emplois. D’autre part, Mme Daly a affirmé qu’une grille générique d’attribution de points en fonction de certains critères ne pouvait refléter de façon significative la nature et la valeur des tâches à accomplir dans le cadre des fonctions d’évaluateur et de conseiller.

[139] Comme je l’ai déjà mentionné, il n’est pas nécessaire de faire preuve d’une précision absolue en évaluant les réparations (arrêt MDN, précité, au paragraphe 44). Par conséquent, j’accepte l’opinion d’expert de M. MacCrimmon selon laquelle le fait d’avoir recours à un instrument d’évaluation des emplois générique en tant que tel ne décrédibilise pas les résultats de son étude aux fins de la présente analyse. Toutefois, aussi adéquat que l’instrument d’évaluation des emplois ait été, il ne peut compenser les lacunes graves qui ont été constatées par les deux témoins relativement à d’autres aspects de l’étude. Ces lacunes minent la fiabilité des résultats au point qu’il est impossible d’affirmer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils sont raisonnablement exacts.

3) L’écart salarial

[140] M. MacCrimmon s’est appuyé sur sa vaste expérience de l’évaluation des emplois pour estimer que l’écart salarial adéquat entre les postes de conseiller et d’évaluateur était de l’ordre de 15 à 25 %. Il a reconnu que son estimation était conjecturale dans la mesure où elle n’était pas fondée sur les véritables ensembles de points ou sur les structures salariales existantes de la fonction publique ou du service des prestations d’invalidité du RPC.

[141] Les critiques que Mme Daly a formulées à l’égard de cette approche sont décrites ci‑dessus. Elle a conclu que l’analyse que M. MacCrimmon avait faite de l’écart salarial n’était pas fondée et qu’elle s’appuyait sur des hypothèses erronées.

[142] L’explication logique et détaillée de Mme Daly m’a convaincue de la raison pour laquelle il ne convenait pas d’énoncer une hypothèse générale au sujet de la structure des ensembles de points et de la structure salariale correspondante. Chaque organisme crée des ensembles de points d’une manière qui lui est propre. Par conséquent, il ne convient pas d’user de généralisations au sujet des évaluations d’emplois si l’on veut parvenir à une conclusion relativement précise.

[143] M. MacCrimmon n’a pas été en mesure de fournir quelque assurance que ce soit que sa conclusion était fondée sur sa compréhension des ensembles de points et des structures salariales de la fonction publique. En fait, M. MacCrimmon a déclaré que son expérience de la structure organisationnelle de la fonction publique fédérale était très limitée. Il a reconnu que sa conclusion était conjecturale et qu’elle n’était fondée sur aucune information relative au lieu de travail en cause. Par conséquent, j’accepte les critiques que Mme Daly a formulées à l’égard de l’estimation de l’écart salarial que M. MacCrimmon a proposée.

[144] En outre, M. MacCrimmon a nuancé son témoignage relatif à l’écart salarial en affirmant qu’en pratique, on ne définissait pas la rémunération en s’appuyant sur une comparaison entre deux postes telle que celle qu’il avait effectuée. Les salaires ne sont pas déterminés de cette manière. Les résultats seraient irréguliers et conduiraient à des inégalités et à des incohérences dans les salaires versés aux employés d’un même organisme. M. MacCrimmon a mis le Tribunal en garde contre l’utilisation de son évaluation des emplois aux fins de la détermination d’un salaire adéquat pour les évaluateurs.

[145] Pourtant, c’est précisément ce que l’avocat des plaignants a demandé au Tribunal de faire. Il a soutenu que le Tribunal devait avoir recours à l’écart de 15 à 25 %, préconisé par M. MacCrimmon à la suite de sa comparaison entre les deux emplois, afin de déterminer le niveau attribuable aux évaluateurs au sein des groupes CHN ou infirmières‑conseils. Cela ne servirait pas uniquement à définir les pertes de salaire subies dans le passé, fondées sur une comparaison avec les salaires versés pour ce même niveau aux groupes CHN ou infirmières‑conseils dans le passé, mais également à définir les futurs salaires des évaluateurs. D’après le propre témoin des plaignants, il ne s’agirait pas d’une approche adéquate en l’espèce.

[146] Sur la foi de la preuve dont je suis saisie, je conclus que les plaignants n’ont pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que l’estimation que M. MacCrimmon a donnée de l’écart salarial était raisonnablement exacte. Cette estimation était conjecturale et fondée sur les résultats d’une évaluation des emplois qui n’étaient pas raisonnablement exacts.

Conclusion et ordonnance

[147] Les plaignants se sont efforcés de démontrer, en s’appuyant sur les résultats de l’évaluation des emplois, que l’écart salarial adéquat entre les postes de conseiller et d’évaluateur était de 15 à 25 %, plutôt que de 50 %, selon la preuve présentée à l’audience portant sur la responsabilité. Ils ont ainsi prétendu que 25 à 35 % de la différence entre les salaires des conseillers et des évaluateurs constituait une perte de salaire découlant de l’acte discriminatoire.  Pour les raisons susmentionnées, je conclus que les résultats de l’étude de M. MacCrimmon n’appuient pas une telle conclusion. Ces résultats ne sont pas raisonnablement exacts ou fiables.

[148] La Commission a demandé qu’advenant que le Tribunal n’accepte pas le rapport de M. MacCrimmon, il demeure saisi de l’affaire et ordonne aux intimés de conduire une évaluation des emplois. Je m’y refuse. Il revenait aux plaignants de faire la preuve de l’existence et de l’importance des pertes de salaire. Ils n’y sont pas parvenus.

[149] En juillet 2008, au début de l’audience portant sur les réparations, les plaignants ont adopté la position voulant qu’aucune preuve supplémentaire ne soit nécessaire pour établir l’existence ou l’importance des pertes de salaire. Par contre, les intimés étaient en possession des résultats d’une évaluation des emplois qu’ils étaient prêts à présenter. À l’audience, l’avocat des plaignants a remis en question l’admissibilité de cette étude pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec la qualité de la preuve. Quand cette preuve a été retirée, les parties ont déposé une requête en ajournement de l’audience afin de disposer de davantage de temps pour obtenir des éléments de preuve relatifs à l’écart salarial entre les postes de conseiller et d’évaluateur. Cette requête a été accordée.

[150] Pendant l’ajournement, les plaignants n’ont pas demandé au Tribunal d’intervenir afin qu’ils puissent avoir accès à des informations additionnelles aux fins de l’évaluation des emplois conduite par leur expert.

[151] Les résultats de l’étude des plaignants ont été présentés à la reprise de l’audience, en décembre 2008. Comme je l’ai déjà mentionné, ils n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que des pertes de salaire avaient découlé de l’acte discriminatoire. La Cour fédérale a récemment déclaré que le fait pour le Tribunal de donner aux parties au litige de multiples occasions de réunir des éléments de preuve additionnels pouvait le placer dans une situation de manquement à son obligation d’accorder aux parties une audience équitable (Société canadienne des postes c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2008 CF 223, aux paragraphes 264 et 265). La Cour fédérale a affirmé qu’une audience équitable n’était pas un processus permanent. Lors d’une audience équitable, une partie sait ce qu’on lui reproche et a l’occasion de répondre dans un délai raisonnable. À ce stade, le Tribunal a l’obligation de trancher l’affaire.

[152] Bien que la Cour fédérale ait formulé les commentaires susmentionnés dans le contexte d’une décision portant sur la responsabilité, je pense que ces commentaires s’appliquent avec autant de force aux audiences portant sur les réparations. Il faut finir par trancher les litiges.

[153] Ainsi, je suis d’avis qu’il ne conviendrait pas de retarder encore la décision portant sur les pertes de salaire, en permettant la conduite d’une autre évaluation des emplois.

[154] Pour ces motifs, je ne rendrai pas d’ordonnance d’indemnisation des pertes de salaire en vertu de l’alinéa 53(2)c).

III. Les réparations pour préjudice moral

[155] L’alinéa 53(2)e) de la LCDP accorde au Tribunal le pouvoir d’accorder des réparations pour préjudice moral découlant d’un acte discriminatoire. Dans ma décision de décembre 2007, j’ai observé que certains plaignants avaient fait part de leur frustration, de leur démoralisation et du fait qu’ils avaient été blessés dans leur amour‑propre à la suite du refus des intimés de reconnaître leur compétence professionnelle. Sur cette base, j’étais prête à ordonner que les plaignants reçoivent une certaine forme d’indemnisation. Toutefois, j’ai précisé que l’importance de cette réparation restait à définir.

[156] Pendant l’audience qui a porté sur les réparations, les intimés ont fait valoir que je ne devais pas accorder de réparation à tous les plaignants, considérant que je ne disposais pas d’éléments de preuve suffisants. Ils ont fondé leurs arguments sur les déclarations du Tribunal dans la décision Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), précitée.

[157] La décision Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor) portait sur une plainte en matière d’équité salariale qui avait été déposée au nom de 50 000 employés. La Commission et l’avocat des plaignants souhaitaient obtenir réparation pour le préjudice moral subi par les employés. Le Tribunal a affirmé qu’une réparation pour préjudice moral exigeait que l’on fasse la preuve des effets de la pratique discriminatoire sur les individus concernés. Étant donné qu’aucun employé n’avait témoigné au sujet du préjudice moral subi, l’octroi d’une indemnisation ne reposait sur aucune preuve.

[158] Le Tribunal a également déclaré que les répercussions des retards avaient donné naissance à de la frustration, peut‑être même à de la tristesse ou à de la colère, que ces réactions étaient légitimes, mais qu’elles n’étaient pas assimilables en degré et en ampleur au préjudice moral alors visé par le paragraphe 53(3) de la Loi. Le Tribunal a ajouté que le fait d’accorder des réparations pour préjudice moral à quelque 50 000 employés reviendrait à consentir des indemnités pour préjudice moral en masse. Le Tribunal était d’avis que ce n’était pas là la finalité du paragraphe 53(3) de la Loi.

[159] Dans la décision Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), la Cour fédérale a confirmé la décision rendue par le Tribunal sans commenter le raisonnement suivi relativement aux réparations pour préjudice moral.

[160] Je souscris au raisonnement adopté par le Tribunal dans la décision Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor). Les témoignages que j’ai entendus m’ont convaincue que certains plaignants, mais pas tous, devraient se voir accorder des réparations pour le préjudice moral qu’ils ont subi. Mme Walden a déclaré de façon générale que les évaluateurs étaient en colère et qu’ils se sentaient démoralisés et humiliés du fait de la pratique discriminatoire. Toutefois, je ne peux conclure, sur la base de ces déclarations, que chaque évaluateur a subi le même degré de préjudice moral, ou même quelque préjudice moral que ce soit. Je ne peux attribuer les déclarations de Mme Walden à chacun des plaignants.

[161] Il est possible que certains évaluateurs ne se soient pas sentis lesés par l’acte discriminatoire et ne doivent donc pas recevoir réparation. Il se peut aussi que certaines personnes, à l’instar de Mme Walden, aient subi un lourd préjudice moral et doivent recevoir des réparations à ce titre. Je ne dispose tout simplement pas des preuves suffisantes pour me prononcer sur le préjudice moral qu’auraient subi toutes les infirmières.

[162] Je suis toutefois convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice moral subi par Mme Walden découlait bien de l’acte discriminatoire des intimés. Elle a évoqué l’humiliation ressentie quand, année après année, on ne reconnaissait pas qu’elle utilisait ses compétences professionnelles pour évaluer les demandes. Elle s’est sentie démoralisée, fâchée et frustrée. Son amour‑propre a été affecté par le refus des intimés de la reconnaître comme une professionnelle de la santé. Par conséquent, sur la foi du témoignage de Mme Walden, je conclus qu’il convient de lui accorder des réparations d’un montant de 6 000 $.

[163] Mme Palmer a déclaré que quand elle a quitté Ottawa pour s’installer au Manitoba dans le but de continuer à travailler comme évaluatrice, elle n’a pas demandé sa licence d’infirmière du Manitoba. Son superviseur lui avait dit qu’elle devait détenir une licence d’infirmière délivrée par n’importe quelle province canadienne pour travailler comme évaluatrice, mais qu’il n’était pas nécessaire que cette licence ait été délivrée par sa province de résidence. Toutefois, l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Manitoba s’est dit d’avis, contrairement aux intimés, que les évaluateurs médicaux exerçaient la profession d’infirmière et que Mme Palmer devait détenir la licence de sa province de résidence. Par conséquent, l’Ordre a pris des mesures disciplinaires à l’encontre de Mme Palmer pour avoir exercé la profession d’infirmière au Manitoba sans détenir une licence d’infirmière de la province.

[164] Mme Palmer a déclaré qu’il était humiliant de s’être vu imposer des mesures disciplinaires pour ne pas avoir la licence adéquate alors qu’on lui avait déclaré que n’importe quelle licence canadienne lui permettrait d’accepter un poste d’évaluatrice. Elle a gardé le silence au sujet de ces mesures disciplinaires pendant des années tellement elle en était choquée et embarrassée. En ne tenant pas compte du fait que les évaluateurs effectuent des tâches d’infirmières professionnelles, les intimés ont omis de reconnaître un aspect‑clé du statut professionnel des évaluateurs : le fait qu’ils sont soumis aux règlements d’ordres professionnels provinciaux autonomes. Par conséquent, je conclus que le préjudice moral subi par Mme Palmer découlait du refus discriminatoire des intimés d’accorder aux évaluateurs la même reconnaissance professionnelle et la même considération qu’aux conseillers médicaux.

[165] Le Tribunal ordonne aux intimés de verser à Mme Palmer une réparation d’un montant de 6 000 $, et ce, au titre de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP.

[166] Le Tribunal ordonne également aux intimés de verser aux plaignants des intérêts sur les réparations accordées pour préjudice moral, conformément au paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne, et ce, à partir de la date à laquelle les plaintes ont été déposées.

IV. Les frais juridiques

[167] L’avocat des plaignants a demandé au Tribunal d’accorder à ses clients des réparations pour les frais juridiques engagés en relation avec l’examen de leurs plaintes. Ces frais incluent les coûts associés à l’embauche d’un second avocat dans la dernière partie de l’audience, portant sur les réparations.

[168] Selon la jurisprudence prépondérante, le Tribunal a le pouvoir d’accorder des frais juridiques en vertu du paragraphe 53(2) de la Loi (Canada (Attorney General) c. Mowat, 2008 CF 118 (appel devant la CAF en cours)).

[169] L’avocat des intimés a soutenu que le Tribunal ne devait accorder le remboursement des frais juridiques que dans des circonstances exceptionnelles, telles que lorsque la Commission s’était retirée d’une affaire, lorsqu’il y avait conflit entre la position de la Commission et celle des plaignants, ou encore lorsque l’affaire était particulièrement complexe et présentait une problématique inédite (Premakumar c. Air Canada, [2002] D.C.D.P. n° 17). On doit aussi considérer la valeur de la contribution de l’avocat de pratique privée (Grover c. Conseil national de recherches Canada, [1992] D.C.D.P. n° 12) et examiner la question de savoir si l’avocat de la Commission et l’avocat de pratique privée ont joué des rôles différents à l’audience (Hinds c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), (1988), 10 C.H.R.R. D/5683.

[170] Toutefois, il faudrait souligner que dans la décision Premakumar, le Tribunal a décidé d’accorder le remboursement des frais juridiques en l’absence de circonstances exceptionnelles, parce que l’avocat avait apporté une contribution importante à l’affaire.

[171] En l’espèce, l’avocat des plaignants a apporté une contribution précieuse. Grâce à l’engagement et aux efforts de Me Armstrong, qui a représenté plus de 400 plaignants résidant partout au Canada, les plaignants ont pu présenter leur position de manière logique et claire. En outre, l’affaire portait sur une problématique inédite relativement aux dispositions de la LCDP. Il est hautement improbable que les plaignants auraient été capables d’atteindre les degrés de coordination, de communication et d’analyse juridique nécessaires pour présenter leur position sans l’assistance d’un avocat du secteur privé. Par conséquent, je conclus que les plaignants ont engagé les frais associés aux services de Me Armstrong en conséquence de l’acte discriminatoire, et j’ordonne aux intimés de leur rembourser les frais juridiques raisonnablement engagés en vue de retenir les services de Me Armstrong.

[172] L’avocat des plaignants a soutenu que la présence de deux avocats, au lieu d’un seul, avait été nécessaire dans la partie de l’audience portant sur les réparations à cause de la manière dont les intimés s’étaient conduits en l’espèce. Ils ont prétendu que les intimés tardaient indûment à répondre aux demandes de documents et d’informations, avaient refusé de se conformer aux ordonnances rendues par le Tribunal dans la décision de décembre 2007 et avaient présenté un grand nombre de documents qu’il avait fallu étudier en cours d’audience.

[173] Je ne pense pas que les actes des intimés dont il est question ci‑dessus justifient d’accorder des réparations pour les frais que les plaignants ont engagés afin de retenir les services d’un deuxième avocat. Il est vraiment déplorable qu’en au moins une occasion les intimés aient manqué à leur devoir de communiquer de manière diligente tous les documents qui étaient pertinents aux yeux des plaignants, ce qui a exigé de leur avocat qu’il fasse des heures supplémentaires à la dernière minute. Toutefois, compte tenu de la participation active de l’avocat de la Commission en l’espèce, je ne pense pas que le fait de retenir les services d’un autre avocat était une nécessité découlant de la conduite des intimés.

[174] Les autres actes des intimés en l’espèce ne l’exigeaient pas non plus. Comme ils en avaient le droit, les intimés ont invoqué le privilège de la confidentialité du dossier de l’experte jusqu’à ce que celle‑ci soit appelée à témoigner. Par conséquent, pendant une semaine au cours du procès, l’avocat des plaignants a dû examiner un certain nombre de documents en soirée. Il aurait pu demander un ajournement de plusieurs heures à cette fin. De même, le fait que les intimés aient refusé de négocier une modification de la classification des plaignants en attendant que soit rendue une décision au sujet du contrôle judiciaire demandé dans la présente affaire ne nécessitait pas l’intervention d’un second avocat. Rien n’indique que les plaignants avaient commencé une longue procédure d’outrage ou d’exécution forcée devant la Cour fédérale en vue de faire appliquer l’ordonnance du Tribunal.

[175] L’avocat des plaignants a choisi de retenir les services d’un autre avocat de son cabinet. Il pensait qu’il l’aiderait à mieux présenter la partie de l’affaire portant sur les réparations. Il se peut bien qu’il ait eu raison. Toutefois, je conclus que les frais engagés pour retenir les services d’un second avocat n’étaient pas, au sens du paragraphe 53(2) de la Loi, des frais découlant de l’acte discriminatoire posé par les intimés.

[176] Par conséquent, à la suite des considérations susmentionnées, je conclus qu’il convient d’ordonner aux intimés d’indemniser les plaignants pour les frais juridiques raisonnables qu’ils ont engagés afin de retenir les services de Me Armstrong, et de personne d’autre. J’encourage les parties à conclure une entente au sujet du montant, mais je demeure saisi du dossier relativement à cet aspect au cas où elles n’y parviendraient pas.

[177] J’ordonne également que les intimés versent des intérêts sur les frais juridiques accordés, à partir du jour où la présente décision est rendue jusqu’au jour du versement, qui seront calculés conformément à l’alinéa 9(12)a) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne.

Signée par

Karen A. Jensen
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 25 mai 2009

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1111/9205, T1112/9305 et T1113/9405

Intitulé de la cause : Ruth Walden et autres. c. Développement social Canada, Conseil du Trésor du Canada et l’Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 25 mai 2009

DATE ET LIEU DE L’AUDIENCE : Du 28 au 31 juillet 2008
Du 9 au 12 décembre 2008

Ottawa (Ontario)

Comparutions :

Laurence Armstrong et Heather Wellman, pour les plaignantes

Ikram Warsame, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Patrick Bendin et Claudine Patry, pour l'intimé

Référence : 2007 TCDP 56, le 13 décembre 2007

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