Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

FIONA ANN JOHNSTONE

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

l'intimée

DÉCISION SUR REQUÊTE

2009 TCDP 14
2009/04/23

MEMBRE INSTRUCTEUR : Karen A. Jensen

[1] L'intimée, l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), demande que le Syndicat des douanes et de l'immigration (SDI) soit ajouté à l'instance en tant qu'intimé.

[2] La plaignante, Fiona Ann Johnstone, occupe un emploi avec quarts de travail rotatifs auprès de l'intimée. Elle n'a pu trouver une solution pour faire garder ses enfants qui soit adaptée à son horaire de travail changeant. Elle s'est renseignée au sujet de la possibilité d'occuper un poste à horaire fixe. Elle a appris que l'intimée refusait d'accorder à ses employés des postes à temps plein avec horaire fixe s'ils demandaient ces postes en raison de contraintes familiales. Ainsi, l'ASFC demande aux employés qui souhaitent obtenir un emploi à horaire fixe de travailler à temps partiel. Mme Johnstone a brigué un emploi à temps partiel à horaire fixe comprenant trois quarts de travail de 12 heures. Elle a vu sa demande refusée. L'intimée affirme que cette demande contrevenait aux exigences de l'Entente sur les postes à horaire variable (EPHV).

[3] L'EPHV est constituée d'accords conclus entre le syndicat et la direction locale en vue de définir des horaires de quarts de travail différents des horaires normalement prévus. L'EPHV en cause en l'espèce prévoyait un quart de nuit fixe à temps plein. Toutefois, la plaignante n'était pas admissible à ce poste du fait de la politique appliquée par l'intimée à l'égard des contraintes de nature familiale. En outre, l'EPHV ne permettait pas aux employés de travailler sur des quarts de travail de 12 heures. Par conséquent, la plaignante a vu sa demande de faire trois quarts de travail fixes de 12 heures refusée.

[4] Mme Johnstone a alors déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), alléguant que l'ASFC avait fait preuve de discrimination fondée sur sa situation de famille, contrevenant ainsi aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

[5] L'intimée soutient que le SDI, qui fait partie intégrante de l'Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), devrait être ajouté à l'instance en tant qu'intimé. L'intimée fonde son affirmation sur le fait que le SDI est l'agent négociateur de la plaignante et qu'il est partie à la convention collective ainsi qu'à l'EPHV.

[6] La plaignante et la CCDP s'opposent à la présente requête. La plaignante affirme que la réparation qu'elle demande n'exige pas de modifier la convention collective ou l'EPHV. En outre, la plaignante n'a formulé aucune allégation voulant que son agent négociateur ait été d'une manière quelconque responsable de la prétendue discrimination.

[7] Le Tribunal a le pouvoir d'ajouter des parties à une affaire dans les circonstances appropriées (art. 48.9(2)b) de la LCDP, art. 8 des Règles de procédure du TCDP, Canada (Procureur général) c. Brown, 2008 CF 734).

[8] Dans la décision Syndicat des employés d'exécution de Québec-Téléphone, Section locale 5044 du SCFP c. Telus Communications (Québec) inc., 2003 TCDP 31, le Tribunal a déclaré que l'adjonction forcée d'un nouvel intimé était appropriée s'il était établi que la présence de cette nouvelle partie était nécessaire pour statuer sur la plainte et qu'il n'était pas raisonnablement prévisible lors du dépôt de la plainte auprès de la Commission que l'adjonction d'un nouvel intimé serait nécessaire pour statuer sur la plainte. En outre, il faut user de prudence quand on ajoute un intimé à une instance, vu que ce nouvel intimé se trouve ainsi privé de la possibilité d'invoquer devant la CCDP les moyens de défense prévus par les articles 41 et 44 de la LCDP.

[9] Dans la décision Brown c. Canada (Commission de la capitale nationale), 2003 TCDP 43, le Tribunal a ajouté le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux comme intimé à l'instance en partant du principe que cela était nécessaire pour fournir une réparation efficace au cas où il serait amené à conclure qu'il y avait eu discrimination.

[10] Dans le cadre d'un contrôle judiciaire, la Cour fédérale a annulé la décision du Tribunal (Canada (Procureur général) c. Brown, précitée). Parmi les raisons ayant motivé sa décision, la cour a considéré que le Tribunal avait fondé sa décision relative à la nécessité d'ajouter un intimé à l'instance sur des conjectures. Autrement dit, en décidant d'ajouter le ministère des Travaux publics comme intimé, le Tribunal s'était fié à la recommandation du témoin expert de la CCDP, proposition qui n'était pas fondée sur sa connaissance personnelle des faits, mais plutôt sur des conjectures. La cour a déclaré que le Tribunal devait répondre à une norme plus rigoureuse et éviter de se rapporter à une simple proposition quand les conséquences sont d'une portée aussi considérable pour tous les intéressés.

[11] Dans ses motifs, la cour a souscrit au critère d'adjonction de parties à une instance qui avait été défini dans la décision Telus, précitée. Par conséquent, c'est en me fondant sur ce critère que j'examinerai la requête de l'intimée visant à ajouter le SDI comme partie à l'instance.

[12] L'intimée affirme que la présence du SDI à l'instance pourrait s'avérer nécessaire dans le cas où le Tribunal conclurait que la plainte est fondée et où il ordonnerait que des modifications soient apportées à la convention collective ou à l'EPHV. L'intimée fait valoir qu'elle ne serait pas en mesure de procéder à de telles modifications étant donné qu'elle ne peut agir unilatéralement.

[13] Toutefois, tant et aussi longtemps que le SDI se voit offrir l'occasion de participer à l'instruction quand la convention collective ou d'autres documents négociés collectivement sont en cause, le Tribunal peut ordonner que des modifications soient apportées à ces ententes même si le syndicat n'est pas partie à l'instance.

[14] Le syndicat a été invité à participer à l'instruction, ce qu'il a refusé. Dans son affidavit à l'appui de la réponse de la plaignante à la requête, Ron Moran, président national du SDI, a déclaré que le SDI et l'AFPC appuyaient la demande de réparations de la plaignante. Ces réparations n'exigent pas que des modifications soient apportées à la convention collective ou à l'EPHV. Elles exigent de l'intimée qu'elle élabore une politique d'accommodement respectueuse de la situation familiale et qu'elle nomme Mme Johnstone à un poste à horaire fixe à temps plein, deux mesures que l'intimée est la seule à pouvoir prendre.

[15] Dans son affidavit, M. Moran fait également savoir que le SDI et l'AFPC ne s'opposent pas aux mesures adoptées par les employeurs ou ordonnées par le Tribunal en vue d'élargir la portée des accommodements accordés aux individus à la lumière de n'importe lequel des motifs de distinction illicites prévus par la LCDP.

[16] Par conséquent, en l'espèce, la mise en uvre de la réparation demandée ne nécessite pas la présence du SDI.

[17] L'intimée fait valoir que la décision sur la présente requête nécessite la présence du SDI dans la mesure où il se peut que le Tribunal conclue que le SDI est également responsable de la conduite discriminatoire. D'après l'intimée, l'EPHV l'a empêché d'accorder à la plaignante le poste à temps partiel qu'elle souhaitait. Considérant que le SDI participe à la négociation de l'EPHV, il partagerait la responsabilité avec l'intimée si le Tribunal venait à conclure que la conduite discriminatoire découlait de l'application de l'EPHV.

[18] Il ressort clairement de la plainte de Mme Johnstone et de son exposé des précisions qu'elle ne remet pas en question l'EPHV et le fait qu'il soit un obstacle à l'obtention d'un poste à temps partiel. Elle remet plutôt en cause la politique informelle de l'intimée consistant à ne pas permettre aux employés de travailler sur des quarts de travail fixes à temps plein pour des raisons de nature familiale. L'intimée n'a pas allégué que le SDI avait joué quelque rôle que ce soit dans la conception de cette politique concernant les demandes de postes à temps plein avec quarts de travail présentées pour des raisons familiales. De plus, il n'y a rien au dossier donnant à penser que la convention collective ou l'EPHV ont contribué à l'adoption de la politique en cause. Par conséquent, il n'est pas nécessaire d'examiner la question de l'implication du SDI pour se pencher sur l'objet premier de la plainte.

[19] En ce qui a trait à la demande d'accommodement sous la forme d'un emploi à temps partiel, il se peut que l'intimée soutienne qu'elle n'était pas seule à porter la responsabilité du refus de la requête de la plaignante. La présente situation est semblable à celle qui s'était présentée dans l'affaire Telus, précitée, dans laquelle le Tribunal avait aussi prévu la possibilité que l'intimée prétende qu'elle n'était pas seule responsable de la prétendue conduite discriminatoire. Bien que le Tribunal ait alors conclu que l'adjonction du syndicat à l'instance en tant qu'intimé n'était ni nécessaire ni juste, il a statué que l'intimée pouvait faire valoir qu'elle ne pouvait pas être tenue responsable, ou tenue pour l'unique responsable, de la prétendue discrimination.

[20] De même, en l'espèce, même si je ne suis pas convaincu que la présence du SDI est requise pour trancher correctement la partie de la plainte portant sur la responsabilité, l'intimée est libre de prétendre qu'elle ne devrait pas être tenue responsable de la prétendue discrimination, ou en être considérée comme l'unique responsable.

[21] Finalement, l'intimée soutient que le SDI doit être ajouté comme partie à l'instance afin qu'il fournisse des informations importantes sur la rédaction, la négociation et l'application des dispositions de l'EPVH de la convention collective. Le SDI peut présenter cette preuve sans être partie à l'instance.

[22] Même si j'étais convaincu que la présence du SDI était nécessaire pour que l'affaire soit correctement réglée, je conclus que l'adjonction forcée du syndicat à ce stade de l'instance lui serait préjudiciable du point de vue de l'équité procédurale.

[23] L'intimée n'a pas dénoncé de faits ou de circonstances qui l'auraient empêchée d'entrevoir avant maintenant la nécessité d'ajouter le SDI à l'instance. Selon moi, l'intimée aurait pu raisonnablement entrevoir que le SDI devait être ajouté comme partie à l'instance quand la plainte a été entendue par la CCDP. Si elle avait agi à cette étape, le SDI aurait alors été en position de recevoir l'avantage plein et entier des protections de nature procédurale qui sont prévues par les articles 41 et 44 de la LCDP.

[24] À ce stade, l'adjonction du SDI comme partie à l'instance le priverait de ces avantages. Les tribunaux ont reconnu que les protections offertes aux parties par les articles 41 et 44 de la LCDP avaient une importance fondamentale Brown, précitée, au paragr. 39). Ces protections incluent la possibilité de faire valoir que la plainte devrait être rejetée parce que son examen n'est pas justifié. Le fait de priver quelqu'un de la possibilité de voir la plainte déposée contre lui rejetée avant que le tribunal n'en fasse pleinement l'examen constitue un préjudice significatif.

[25] Pour tous ces motifs, la requête déposée par l'intimée en vue de faire ajouter le SDI comme intimé est rejetée.

Signé par

Karen A. Jensen

OTTAWA (Ontario)

Le 23 avril 2009

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1233/4507

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Fiona Ann Johnstone c. l'Agence des services frontaliers du Canada

DATE DE LA DÉCISION SUR REQUÊTE
DU TRIBUNAL :

Le 23 avril 2009

ONT COMPARU :

Andrew Raven
Lisa Addario

Pour la plaignante

Ikram Warsame

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Christine Mohr
Joseph K. Cheng

Pour l'intimée

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