Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

DAVID MILLS

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

J.E. CULP TRANSPORT LTD.

l'intimée

DÉCISION

2009 TCDP 17
2009/05/25

MEMBRE INSTRUCTEUR : Edward Peter Lustig

I. LA PLAINTE

[1] Il s'agit d'une décision portant sur une plainte déposée le 21 juillet 2006 par David Mills, en qualité de plaignant, contre J.E. Culp Transport Ltd, la partie intimée, dans laquelle le plaignant allègue que l'intimée a commis un acte discriminatoire contre lui [traduction] en omettant de lui fournir, en raison de son handicap (blessure à la jambe), un milieu de travail exempt de discrimination ou de harcèlement, l'intimée étant même allée jusqu'à ne plus faire appel à ses services et à ne pas répondre à ses besoins, en contravention des articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le plaignant fait valoir que l'acte contesté est survenu après qu'il eut subi une déficience temporaire et qu'il eut été incapable de s'acquitter de son travail de camionneur pour l'intimée par suite d'un accident de motocyclette qui a eu lieu le ou vers le 25 septembre 2005 en dehors des heures de travail, accident lors duquel il s'est fracturé une jambe. Le plaignant soutient qu'il n'a pas été réembauché par l'intimée en raison de sa déficience, et ce, malgré que l'intimée ait reçu un billet et une lettre de son médecin les 14 et 15 mars 2005, lesquels mentionnaient qu'il pouvait retourner au travail, et malgré son empressement à y retourner à une époque où l'intimée faisait une campagne de publicité visant l'embauche de nouveaux camionneurs et où elle en embauchait.

[2] Sur le fondement de l'alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), dans une lettre datée du 20 mai 2008, a demandé au présent Tribunal d'instruire la plainte.

[3] Le plaignant ainsi que sa conjointe, Sally Pye, ont comparu et ont témoigné lors de l'audience. Leur témoignage a été extrêmement bref. Le plaignant a été représenté à l'audience par Cecil Norman et U-Sheak Koroma des Human Rights Advisory Services [Services consultatifs en matière de droits de la personne], en qualité d'agents. James Culp, Helene Culp et Susan Murphy, respectivement président, vice-présidente et responsable des opérations de l'intimée, ont tous comparu au nom de l'intimée et ont donné un témoignage précis lors de l'audience. L'intimée n'était pas représentée par un avocat ou un agent lors de l'audience. La Commission canadienne des droits de la personne n'a pas participé à l'audience.

II. DÉCISION

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la plainte n'est pas fondée, et elle est donc rejetée.

III. LES ARTICLES 7 ET 14 DE LA LOI

[5] Dans sa plainte, le plaignant allègue qu'en raison de sa déficience l'intimée a posé les actes discriminatoires décrits aux articles 7 et 14 de la Loi. Ces articles se lisent comme suit :

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

14. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

a) lors de la fourniture de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public;

b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

c) en matière d'emploi.

Le motif de distinction illicite que dénonce la plainte est la déficience, mentionné au paragraphe 3(1) de la Loi.

IV. LES FAITS

[6] Depuis 1985, l'intimée exploite une compagnie de camionnage située à Beamsville, en Ontario. Elle maintient un parc de 40 à 50 camions, dont elle est propriétaire. Ses activités sont fondées sur un certain nombre de contrats conclus avec des particuliers, des entreprises ou des organisations qui ont besoin de faire transporter des produits. Elle détient des contrats et des itinéraires de transport sur longue distance de produits réfrigérés ainsi que des contrats et des itinéraires de transport sur courte distance de déchets solides. Les premiers (produits réfrigérés) couvrent de grandes distances et nécessitent quelques jours de transport, habituellement à destination du Sud des États-Unis. Les seconds (déchets solides) concernent des trajets d'un jour entre des stations de transfert de déchet situées dans le Golden Horseshoe en Ontario et des lieux d'élimination des déchets se trouvant juste de l'autre côté de la frontière des États-Unis. Il s'agit essentiellement de contrats verbaux. Les activités fluctuent grandement selon les besoins des clients. Le marché est très concurrentiel et axé sur les prix. Les contrats de l'intimée font en sorte que les camionneurs doivent traverser la frontière entre le Canada et les États-Unis.

[7] Les camionneurs sont des employés contractuels non syndiqués qui sont embauchés selon les besoins. Ils prennent possession des camions de l'intimée dans sa cour, à Beamsville. Les camionneurs chargés des itinéraires d'une journée visant l'élimination des déchets remplissent le camion à une station de transfert des déchets en Ontario et le vident à une installation d'élimination des déchets aux États-Unis, puis rapportent le camion dans la cour de l'intimée le même jour. Les camionneurs sont embauchés et payés selon le chargement ou le trajet qu'ils ont réellement effectué. Il n'y a aucune garantie que les camionneurs auront du travail chaque jour, ou même qu'ils auront du travail tout court, étant donné que l'offre de travail dépend de la disponibilité des chargements. Les camionneurs peuvent refuser de travailler, mais ils ne sont pas payés s'ils ne travaillent pas, et ce, quelle qu'en soit la raison : une maladie, une déficience temporaire ou toute autre raison. Dans l'industrie du camionnage, il y a un grand roulement d'employés parmi les camionneurs qui sont embauchés pour conduire des camions qui sont la propriété des employeurs.

[8] Le plaignant a commencé à travailler comme camionneur pour l'intimée le ou vers le 30 juillet 2004. Son principal travail consistait à transporter des déchets de l'installation de Waste Management Inc., à Toronto, vers le site de Pine Tree Acres Landfill, au Michigan. Le contrat conclu entre l'intimée et Waste Management Inc. a été résilié en septembre 2005. Par suite de la résiliation du contrat, seulement un camionneur parmi les cinq, dont le plaignant, qui travaillaient sur cet itinéraire a pu continuer d'obtenir quelque travail de l'intimée. Ce camionneur a été muté, à temps partiel, à l'installation de transfert de déchets de Barrie. L'intimée transportait également des déchets vers des lieux d'élimination des déchets qui se trouvent dans l'État de New York. Cependant, selon la preuve de l'intimée, pendant la période où le plaignant travaillait pour l'intimée, le plaignant, pour des raisons qu'il n'a jamais révélées à l'intimée, avait toujours refusé l'itinéraire vers l'État de New York lorsqu'on le lui avait proposé. Il avait également clairement fait savoir qu'il n'était pas intéressé par les itinéraires de longue distance.

[9] À deux occasions durant ses 14 mois de travail, le plaignant a été réprimandé par écrit par l'intimée pour des incidents. La première fois, il a reçu une lettre datée du 15 décembre 2004 qui constituait [traduction] un premier avertissement donné par écrit [...] en raison d'un incident concernant la conduite de son camion : il roulait à trop grande vitesse sur une voie de desserte et avait dépassé un autre camion de l'intimée. Il a été allégué que la conduite du plaignant avait obligé l'autre camion à ralentir pour éviter qu'éventuellement un accident ne survienne. Le 7 janvier 2005, le plaignant a reçu un second avertissement écrit en raison d'un incident qui avait eu lieu dans la cour de Waste Management Inc. à Toronto, où il aurait refusé de remplir un camion et aurait retourné le camion vide dans la cour de l'intimée sans avoir communiqué avec le répartiteur afin d'obtenir des directives supplémentaires. La preuve présentée à l'audience a également établi qu'il y avait d'autres allégations d'incidents consignées dans les notes du répartiteur, selon lesquelles le plaignant aurait eu un faible rendement et un comportement agressif et peu coopératif lorsqu'il communiquait avec les clients, ses collègues et ses confrères camionneurs; lors de l'un de ces incidents, il aurait notamment craché sur un camionneur.

[10] Le plaignant a été accusé de deux infractions au code de la route le 28 juillet 2005 alors qu'il transportait un chargement au Michigan. L'une des infractions concernait la conduite du camion sans le port de la ceinture de sécurité, et l'autre infraction concernait la conduite du camion sans que le chargement soit adéquatement arrimé. L'intimée a payé l'amende liée à l'infraction relative au chargement mal arrimé. Le plaignant n'a pas pu conduire pendant une courte période à la suite de cette infraction parce que l'agent de la police d'État avait confisqué son permis de conduire. Pendant qu'il travaillait pour l'intimée, le plaignant, en raison de son dossier et de son rendement, n'a reçu aucune prime ou gratification offertes trimestriellement ou annuellement par l'intimée à d'autres camionneurs du fait de leur bon dossier et de leur rendement.

[11] L'intimée a une politique portant sur les Mesures disciplinaires, qui dispose qu'elle a le pouvoir discrétionnaire de congédier un employé qui a le genre de rendement et de comportement que le plaignant avait avant qu'il se blesse, or l'intimée n'a pas congédié le plaignant avant son accident. Cependant, l'intimée a témoigné que le plaignant était, avant qu'il se blesse, sur la bonne voie pour être congédié.

[12] Le 25 septembre 2005, alors qu'il conduisait sa motocyclette en dehors des heures de travail, le plaignant a eu un accident et s'est fracturé la jambe. Il a été hospitalisé par suite de l'accident et a dû subir une chirurgie. Puis il y a eu une période de réadaptation. À la suite de l'accident, l'intimée a continué de verser sa contribution au programme de prestations de maladie pendant tout juste un peu plus de douze semaines. Habituellement, les camionneurs cotisaient en partie à ces prestations. L'intimée a accepté de verser le plein montant pour les prestations du plaignant pendant ces douze semaines selon une couverture individuelle (il était célibataire à l'époque). Dans une lettre du 29 septembre 2005 adressée au plaignant, Mme Culp a écrit ce qui suit :

[traduction]

David, j'espère que vous vous porterez mieux sous peu [...] Vous m'avez informée que vous seriez peut-être incapable de travailler pendant un bon bout de temps en raison de votre accident de motocyclette [...] La compagnie vous fournira une couverture individuelle relativement à vos prestations, et ce, à nos frais, pendant une période de douze semaines suivant la date de l'accident. Après les douze semaines, nous ne serons plus en mesure de vous faire bénéficier de notre programme d'avantages sociaux. Avec un peu de chance, vous serez de retour au travail à ce moment-là.

[13] L'intimée a envoyé au plaignant la lettre du 29 septembre 2005 - selon laquelle le plaignant allait recevoir des prestations pendant douze semaines - comme elle l'avait fait précédemment pour plusieurs autres camionneurs qui avaient arrêté de travailler pour cause de maladie ou de blessures ou pour d'autres raisons et qui ne pouvaient pas retourner au travail pour une longue période de temps qui dépassait les douze semaines. Dans ces situations, s'il y avait du travail et que leur dossier était acceptable, les camionneurs avaient été réembauchés lorsqu'ils étaient retournés au travail. En outre, l'intimée a par le passé embauché un certain nombre de camionneurs ayant des déficiences. La lettre du 29 septembre 2005 ne portait que sur l'arrêt des prestations puisque les camionneurs n'étaient pas payés en aucune façon pour les journées non réellement travaillées. L'intimée a reçu un avis des autorités du gouvernement fédéral selon lequel sa position à ce sujet était acceptable selon le paragraphe 239(1) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985. ch. L-2 (le Code), qui dispose comme suit :

239. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), l'employeur ne peut congédier, suspendre, mettre à pied ni rétrograder un employé, ni prendre des mesures disciplinaires contre lui, pour absence en raison de maladie ou d'accident si celui-ci remplit par ailleurs les conditions suivantes :

  1. il travaille sans interruption pour lui depuis au moins trois mois;
  2. il n'est pas absent pendant plus de douze semaines;
  3. il fournit à l'employeur, sur demande de celui-ci présentée par écrit dans les quinze jours du retour au travail, un certificat d'un médecin qualifié attestant qu'il était, pour cause de maladie ou d'accident, incapable de travailler pendant la période qui y est précisée, celle-ci devant correspondre à celle de l'absence.

[14] Rien n'établit que le plaignant a déposé, en vertu du paragraphe 240(1) du Code, une plainte selon laquelle il aurait été injustement congédié par suite de mesures prises par l'intimée. Le paragraphe 240(1) du Code se lit comme suit :

240(1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :

  1. d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;
  2. d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.

[15] Pendant sa convalescence, le plaignant a peu communiqué avec l'intimée, cependant il lui a fait savoir qu'il espérait retourner au travail lorsque sa blessure serait guérie. Pendant ce temps, le contrat de transport de déchets vers le Michigan conclu entre l'intimée et Waste Management - lequel contrat fournissait du travail au plaignant avant sa blessure et constituait l'essentiel de ses tâches - a été résilié.

[16] Pendant la convalescence du plaignant, l'intimée a publié et fait circuler des dépliants publicitaires et a diffusé quelques publicités à la radio faisant la promotion de possibilité d'emplois de camionneurs. Selon le plaignant, ces dépliants et ces publicités révèlent que l'intimée avait des postes disponibles pour les camionneurs environ à la même époque où l'intimée affirmait qu'elle ne pouvait pas offrir de travail au plaignant. L'intimée, par contre, a affirmé dans son témoignage que ces dépliants et ces publicités soit visaient l'itinéraire pour l'État de New York - État où le plaignant avait mentionné ne pas pouvoir conduire - soit étaient une publicité générale adressée aux camionneurs conforme aux pratiques de l'industrie lorsqu'une compagnie veut obtenir pour l'avenir le nom de personnes qui pourraient être disponibles pour travailler en tant que camionneur. En outre, l'intimée a témoigné que, à un certain moment pendant l'absence du plaignant, elle avait espéré pouvoir obtenir un nouveau contrat qui aurait nécessité un certain nombre de nouveaux camionneurs; cependant, ce contrat ne s'était pas concrétisé et les camionneurs n'avaient pas été embauchés. Selon le témoignage de l'intimée, aucun nouveau camionneur n'avait été embauché durant la convalescence du plaignant, à l'exception de camionneurs pour l'itinéraire de l'État de New York, frontière que le plaignant ne voulait pas traverser, comme il l'avait mentionné par le passé.

[17] En février 2006, le plaignant était suffisamment guéri et se sentait donc prêt à retourner au travail comme camionneur pour l'intimée. Il a fait connaître sa disponibilité à l'intimée. Selon le témoignage du plaignant, l'intimée l'a informé qu'il n'avait pas de travail à lui offrir. Le plaignant a été examiné par le Dr Rittenhouse, qui l'a déclaré en parfaite santé et qui lui a remis un billet et une lettre, datés respectivement du 14 et du 15 mars 2006. Le médecin déclarait que le plaignant [traduction] peut retourner au travail à temps complet et s'acquitter de ses tâches habituelles. Tant le plaignant que l'intimée ont affirmé dans leur témoignage que, à ce moment-là, le plaignant n'avait aucune déficience. Lorsqu'il a présenté la lettre et le billet du médecin à l'intimée en mars 2006, le plaignant a de nouveau demandé à ce que l'intimée lui fournisse du travail en tant que camionneur, mais l'intimée lui a répondu qu'il n'y avait pas d'itinéraire disponible vers le Michigan et qu'elle n'embauchait des camionneurs que pour l'itinéraire traversant la frontière de l'État de New York. Selon l'intimée, il n'y avait aucun itinéraire disponible pour le plaignant parce que les seuls itinéraires qui existaient à l'époque étaient ceux vers l'État de New York et que le plaignant avait refusé de conduire dans cet État par le passé. Lors de l'audience, aucune preuve établissant que le plaignant avait mentionné à l'intimée qu'il serait prêt à conduire dans l'État de New York lorsqu'il serait capable de reprendre le travail en mars 2006, n'a été déposée.

[18] À un certain moment, environ de quatre à six semaines après que l'intimée eut dit au plaignant qu'il n'aurait aucun travail à lui offrir en mars, le plaignant a obtenu un autre emploi en tant que camionneur auprès d'une autre compagnie en avril ou au début de mai 2006. Il continue de travailler en tant que camionneur depuis ce temps auprès d'autres compagnies de camionnage.

[19] Il est clair que le plaignant n'a pas été réembauché par l'intimée lorsqu'il a été autorisé à retourner au travail par son médecin et lorsqu'il a mentionné à l'intimée qu'il souhaitait retourner au travail le ou vers le 15 mars 2006. Il ne fait également aucun doute que le plaignant, à ce moment-là, n'avait pas de déficience. L'intimée a plaidé que la plainte déposée en vertu des articles 7 et 14 de la Loi n'avait donc aucun fondement étant donné que le plaignant n'avait aucune déficience à ce moment-là. Rien ne donne à penser que l'intimée estimait que le plaignant avait une déficience en mars 2006 ou le croyait [traduction] sujet aux blessures ou bien pensait d'une façon ou d'une autre qu'il lui serait encore difficile de travailler comme camionneur à cause de sa blessure ou de n'importe quelle autre raison.

[20] L'intimée a affirmé dans son témoignage qu'elle avait une politique de non-discrimination en milieu de travail et qu'elle avait embauché et réembauché des personnes ayant des déficiences dans diverses autres situations. Selon le témoignage de l'intimée, sa décision de mettre fin aux prestations du plaignant après douze semaines suivant la date de l'accident de motocyclette correspondait à ses pratiques courantes dans ce type de situation - à savoir, où il y a une absence prolongée au travail -, qui sont autorisées par l'article 234 du Code. L'intimée a affirmé dans son témoignage qu'elle avait informé le plaignant une fois sa blessure guérie, le ou vers le 15 mars 2006, qu'il ne serait pas réembauché pour deux raisons, à savoir :

  1. d'une part, étant donné qu'il avait refusé de faire l'itinéraire vers l'État de New York et que c'est le seul itinéraire disponible à ce moment-là, l'intimé n'avait aucun travail à lui offrir;
  2. d'autre part, ses fautes sur le plan de son caractère, de la sécurité et de son attitude, lesquelles avaient été décrites dans les réprimandes passées et consignées dans les notes du répartiteur, l'avaient placé sur la bonne voie pour que l'intimée utilise son pouvoir discrétionnaire de le congédier.

[21] Le plaignant plaide qu'il a été victime d'actes discriminatoires et de harcèlement fondés sur une déficience parce qu'il n'a pas été réembauché en tant que camionneur lorsqu'il était de nouveau capable de conduire, soit en février 2006 - lorsqu'il avait senti qu'il pouvait reprendre le travail -, soit le ou vers le 15 mars 2006, à la suite de l'autorisation du médecin qui l'avait déclaré apte à retourner au travail. Le plaignant est d'avis que les raisons données par l'intimée pour ne pas le réembaucher, lesquelles ont été présentées dans le paragraphe précédent, ne constituent que de simples prétextes qui cachent le fait que l'intimée l'avait en fait congédié lorsqu'il avait subi une déficience temporaire par suite de son accident de motocyclette, et que ses prestations de maladie avaient été annulées. À cet égard, le plaignant souligne que son dossier de rendement et ses problèmes de discipline mentionnés par l'intimée n'avaient pas mené l'intimée à le congédier avant son accident de motocyclette. Il souligne également que l'intimée avait diffusé de la publicité pour trouver des camionneurs presque au même moment où elle lui avait dit qu'elle n'avait pas de travail à lui offrir, ce qui établissait que les raisons données par l'intimée - selon lesquelles il n'y avait aucun itinéraire ou contrat à lui offrir - n'étaient qu'un prétexte. Le plaignant ne conteste pas le fait qu'il n'avait pas de déficience lorsqu'il a demandé à retourner au travail en février ou en mars 2006, mais il soutient essentiellement qu'à ce moment-là, [traduction] les dés avaient déjà été jetés, pour ainsi dire, parce que l'intimée avait mis fin à ses prestations en décembre 2005 en raison, selon lui, de sa déficience temporaire, prestations qui avaient cessé suivant la lettre du 29 septembre 2005 de l'intimée.

V. LES QUESTIONS EN LITIGE

[22] Deux questions doivent être tranchées :

  1. Le plaignant a-t-il établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience?
  2. L'intimée a-t-elle fourni une explication raisonnable qui ne constitue pas un prétexte à la discrimination?

VI. ANALYSE ET CONCLUSIONS

[23] La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée. La réplique ou l'explication doit être crue et ne pas se révéler être un prétexte; voir CCDP c. Canada, 2005 CAF 154, paragraphe 26. Lorsqu'un plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination, il a droit à une réparation en l'absence de justification de la part de l'intimé; voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, et Commission ontarienne des droits de la personne et OMalley c. Simpson-Sears, [1985] 2 R.C.S. 36; Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, paragraphe 18.

[24] Une fois que la preuve prima facie de discrimination est établie, le fardeau de la preuve incombe par la suite à l'intimé, qui doit montrer que l'acte discriminatoire allégué ne s'est pas produit tel qu'allégué ou que l'acte était d'une manière ou d'une autre non discriminatoire ou justifié. Il n'est pas nécessaire que la discrimination soit l'unique raison de l'acte reproché pour qu'une plainte soit accueillie. Il suffit que la discrimination ne soit que l'une des raisons de l'acte ou de la décision (Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux) (1990), 14 C.H.R.R. D/12).

[25] La jurisprudence reconnaît la difficulté d'établir des allégations de discrimination au moyen d'une preuve directe, comme le Tribunal l'a noté dans la décision Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. D/5029 : La discrimination n'est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme on serait porté à le croire. Il est rare en effet qu'on puisse prouver par des preuves directes qu'un acte discriminatoire a été commis intentionnellement. On doit plutôt tenir compte de l'ensemble des circonstances afin de déterminer s'il existe ce que la décision Basi a décrit comme étant de subtiles odeurs de discrimination.

[26] Le plaignant n'a pas réussi à établir une preuve prima facie. La décision de l'intimée de ne pas réembaucher le plaignant ou de ne pas continuer à l'embaucher en février ou en mars 2006 n'était pas fondée sur une déficience puisque le plaignant n'avait aucune déficience lorsqu'il était prêt à retourner au travail.

[27] La décision de l'intimée de mettre fin aux prestations de maladie douze semaines après que le plaignant eut subi une déficience temporaire par suite de son accident de motocyclette qui s'était produit en dehors des heures de travail, est autorisée par l'article 239 du Code. En respectant le code, l'intimée n'a pas violé les articles 7 et 14 de la Loi. La preuve n'a pas établi que l'arrêt des prestations de maladie équivalait de fait au congédiement du plaignant sur le fondement de sa déficience temporaire qu'il avait à ce moment-là. Rien ne donne à penser non plus que c'est parce que l'intimée croyait que le plaignant était atteint d'une déficience qu'elle n'a pas réembauché le plaignant ou continué de l'embaucher. En outre, le plaignant n'a d'aucune façon établi que l'arrêt des prestations de maladie constituait un traitement défavorable, un refus de continuer à l'embaucher ou du harcèlement.

[28] Le respect des dispositions du Code ne mène pas automatiquement à un conflit avec la Loi. Le plaignant aurait pu déposer une plainte en vertu de l'article 240 du Code s'il avait été insatisfait de l'arrêt des prestations, mais il a choisi de ne pas le faire. En outre, l'acte de l'intimée à cet égard n'a causé que l'arrêt des prestations de maladie et non le congédiement ou tout autre traitement défavorable en lien avec l'emploi étant donné que, après son accident de motocyclette, le plaignant ne pouvait pas travailler et n'aurait donc pas été payé de toute façon pendant qu'il était blessé. La preuve n'a pas établi prima facie que l'arrêt des prestations de maladie constituait (malgré sa conformité avec l'article 239 du Code) un acte discriminatoire au sens des articles 7 et 14 de la Loi.

[29] Comme je l'ai noté précédemment, il faut tenir compte de l'ensemble des circonstances afin de déterminer s'il existe ce qui est décrit dans la décision Basi comme étant de subtiles odeurs de discrimination. Vu les raisons susmentionnées dans la partie portant sur les faits, les raisons expliquant pourquoi l'intimée n'a pas offert d'autre travail au plaignant en février et en mars 2006 lorsqu'il pouvait de nouveau conduire sont claires et elles ne constituent pas de la discrimination. Il n'y avait aucun contrat disponible nécessitant les services du plaignant. Le plaignant avait précédemment mentionné qu'il ne pouvait pas conduire dans l'État de New York. Des réserves avaient également été notées quant à la conduite et au comportement du plaignant au travail, ce qui, entre autres, faisait en sorte qu'il était difficile pour l'intimée de lui accorder l'un ou l'autre des itinéraires existants. La preuve qui précède n'établit pas prima facie l'existence d'un acte discriminatoire fondé sur la blessure à la jambe.

[30] Il ne suffit pas qu'un plaignant conteste les actes d'un l'employeur en alléguant que ces actes ont eu des répercussions négatives sur une personne dans un groupe protégé. C'est le lien entre l'appartenance à un groupe protégé et l'arbitraire qui donne ouverture à réparation. Le caractère arbitraire de ces répercussions constitue l'élément essentiel de la discrimination, et ce fardeau minimal de la preuve incombe au plaignant. La question est de savoir si le plaignant s'est déchargé du fardeau d'établir qu'il y avait une preuve prima facie de discrimination, à savoir, que le plaignant a été défavorisé par l'acte de l'intimée fait sur la foi de suppositions stéréotypées ou arbitraires concernant les personnes ayant une déficience; voir Centre universitaire de santé McGill c. Syndicat des employés de l'Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161.

[31] Pour les motifs susmentionnés, compte tenu de l'ensemble des circonstances, le critère relatif au fardeau minimal de la preuve n'a pas été respecté.

[32] Au vu de la preuve, je suis pleinement convaincu que l'intimée aurait réembauché le plaignant après sa guérison si ce n'avait été des deux raisons qu'elle a données pour ne pas le réembaucher.

[33] Il s'agit de raisons légitimes, et l'intimée s'en est toujours tenue à ces raisons, lesquelles fournissent une explication raisonnable et ne constituent pas des prétextes.

[34] Lorsqu'une explication raisonnable a été fournie par l'intimé, le fardeau de la preuve incombe de nouveau au plaignant qui doit alors montrer que l'explication n'est qu'un simple prétexte à la discrimination; voir St. John c. Société canadienne des postes, 2007 CHRT 19. Le plaignant ne s'est pas déchargé de ce fardeau de la preuve.

[35] Comme j'ai conclu que la plainte n'est pas fondée, elle est par conséquent rejetée.

Signée par

Edward Peter Lustig

OTTAWA (Ontario)
Le 25 mai 2009

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