Tribunal canadien des droits de la personne

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T.D. 3/99

Décision rendue le 9 juillet 1999

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C., 1985, c. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

BALBIR SINGH NIJJAR

le plaignant

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

et

LIGNES AÉRIENNES CANADA 3000 LIMITÉE

l'intimée


DÉCISION


TRIBUNAL : Anne L. Mactavish Présidente Shirish Chotalia Membre Mukhtyar Tomar Membre

ONT COMPARU : René Duval et Julie Beauchemin Avocats de la Commission canadienne des droits de la personne

Balbir Singh Nijjar, en son propre nom

Gérard Chouest et Carlos Martins Avocats des Lignes aériennes Canada 3000 Limitée

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario) Du 19 au 23 et du 27 au 29 avril, les 10, 11 et 13 mai 1999

(Traduction)

TABLE DES MATIÈRES

I. L'INCIDENT DU 11 AVRIL 1996

II. QUESTIONS DE DROIT

III. LA PREUVE PRIMA FACIE

i) La règle litigieuse

ii) Lien rationnel

iii) Impact différent

a) Rôle du kirpan dans le sikhisme

b) La question à déterminer

c) Les croyances de M. Nijjar

iv) Conclusion concernant la preuve prima facie

IV. ACCOMMODEMENT RAISONNABLE

i) Principes généraux

ii) Position de l'intimée

iii) Position de la Commission canadienne des droits de la personne et de M. Nijjar

iv) Contexte réglementaire

v) L'expérience d'Air Canada

vi) La politique de Canada 3000

vii) Autres politiques concernant les kirpans

viii) Preuve judiciaire

ix) Incidents violents où un kirpan est en cause

x) Accommodement raisonnable et niveau de risque

xi) Analyse du risque

a) Probabilité de blessures

b) Gravité des infractions possibles

c) Qui assumera le risque?

xii) Conclusion relative à l'accommodement

V. NÉCESSITÉ D'UNE RÈGLE UNIFORME

VI. ORDONNANCE

Le 11 avril 1996, Balbir Singh Nijjar s'est vu refuser la permission de monter à bord d'un aéronef exploité par les Lignes aériennes Canada 3000 Limitée. Cette permission lui a été refusée parce qu'il avait sur lui la dague cérémoniale que portent les membres initiés de la foi sikh. En conséquence, M.Nijjar a déposé devant la Commission canadienne des droits de la personne une plainte dans laquelle il allègue qu'il a été victime d'un acte discriminatoire fondé sur la religion dans la prestation d'un service habituellement offert au public.

I L'INCIDENT DU 11 AVRIL 1996

M. Nijjar réside à Brampton, en Ontario. Il devait prononcer une conférence sur le sikhisme à Surrey, en Colombie-Britannique, en avril 1996. M. Nijjar a acheté un billet pour se rendre à Vancouver le 11 avril 1996 dans un appareil des Lignes aériennes Canada 3000.

En tant que membre initié de l'ordre Khalsa de la foi sikh, M. Nijjar porte la dague cérémoniale appelée kirpan. L'ordre Khalsa exige que ses membres portent le kirpan en tout temps. M. Nijjar porte habituellement un kirpan d'une longueur de onze pouces et demi. Toutefois, le 11 avril 1996, M. Nijjar avait mis son long kirpan dans ses bagages et portait un petit kirpan, qu'il avait acheté expressément pour voyager en avion. (Par souci de commodité, nous appellerons dans la présente ce kirpan « kirpan de voyage ».) Le kirpan de voyage mesure cinq pouces et trois quarts de longueur et est doté d'une lame incurvée de trois pouces et un huitième. M. Nijjar a indiqué dans son témoignage qu'il comprenait que la loi l'autorisait à prendre l'avion avec un kirpan, dans la mesure où la longueur de la lame ne dépassait pas quatre pouces.

M. Nijjar avait utilisé auparavant les services de Canada 3000 à deux reprises, portant chaque fois son kirpan de voyage. M. Nijjar avait alors réussi à franchir le point de contrôle sans incident. M. Nijjar a confirmé, en contre-interrogatoire, que le personnel chargé de la sécurité avait vu le kirpan de voyage à ces occasions et l'avait laissé passer avec ce kirpan, mais que le personnel de Canada 3000 ne s'était pas aperçu qu'il le portait.

Le 11 avril 1996, alors qu'il voulait prendre l'avion, M. Nijjar a franchi le portique de détection de métaux au poste de contrôle. Lorsque le kirpan de voyage a déclenché l'alarme, M. Nijjar a montré celui-ci à l'agent de sécurité, qui l'a autorisé à passer.

Alors que M. Nijjar se dirigeait vers la porte d'embarquement, un surveillant de la sécurité s'est approché de lui et a demandé de voir son kirpan. Après avoir inspecté le kirpan, le surveillant de la sécurité a dit à M. Nijjar qu'il leur fallait parler au surveillant de la compagnie aérienne. M. Nijjar a été conduit jusqu'au comptoir de Canada 3000, où il a rencontré une surveillante qui a été identifiée subséquemment comme étant Katarina Michulkova.

Même si le témoignage de M. Nijjar différait légèrement de celui de Mme Michulkova, les divergences quant à ce qui s'est produit ne sont pas importantes. Le surveillant de la sécurité a expliqué la situation à Mme Michulkova, qui a ensuite examiné le kirpan de M. Nijjar. Mme Michulkova a informé M. Nijjar que la politique de Canada 3000 ne permettait pas qu'il monte à bord de l'avion avec un article comme le kirpan de voyage.

Selon Mme Michulkova, la politique de Canada 3000 interdisait aux passagers d'amener dans la cabine des objets ayant le potentiel d'infliger des blessures plus graves que les ustensiles de table utilisés à bord de l'avion. De l'avis de Mme Michulkova, le kirpan de voyage faisait partie de cette catégorie d'objets, car la lame était pointue et plus tranchante que celle des couteaux de table fournis aux passagers de Canada 3000.

M. Nijjar a dit avoir informé Mme Michulkova qu'il ne se départirait pas du kirpan, mais il ne semble pas lui avoir expliqué la signification religieuse de l'objet. D'après le témoignage de Mme Michulkova, il est évident que même si celle-ci avait vu des objets similaires à d'autres occasions, elle ne connaissait pas les kirpans et n'était pas consciente de leur signification religieuse.

Après s'être fait dire qu'il ne serait pas autorisé à monter à bord de l'avion avec son kirpan, M. Nijjar a fait remarquer à Mme Michulkova que si son intention était de blesser quelqu'un, il pourrait faire usage de ses poings. Mme Michulkova a réitéré sa position et informé l'agent de sécurité en conséquence.

Mme Michulkova s'est par la suite informée de la situation auprès de l'agent de sécurité. L'agent de sécurité a informé Mme Michulkova qu'il avait communiqué avec son surveillant et que celui-ci lui avait indiqué que le kirpan avait été admis pour l'embarquement conformément à la « règle des quatre pouces »(1). Mme Michulkova ne connaissait pas cette règle et a communiqué avec son propre chef, qui a appuyé sa position.

Mme Michulkova a ensuite communiqué avec le personnel de la compagnie à la porte d'embarquement et demandé à celui-ci de ne pas laisser passer M. Nijjar avant qu'elle arrive. À son arrivée à la porte d'embarquement, elle s'est approchée de M. Nijjar, a réitéré la politique de Canada 3000 et offert à M. Nijjar la possibilité d'enregistrer son kirpan à titre d'article contrôlé ou de le mettre dans ses bagages. Après avoir consulté son compagnon de voyage, M. Nijjar a indiqué qu'il préférait ne pas faire le voyage s'il ne pouvait emporter son kirpan. M. Nijjar a exigé le remboursement de son billet; Mme Michulkova lui a alors expliqué que les billets de Canada 3000 ne sont pas remboursables.

La GRC s'est par la suite rendue sur les lieux, mais a refusé de donner suite à l'affaire. M. Nijjar a fait subséquemment d'autres arrangements pour se rendre en avion à Vancouver.

II QUESTIONS DE DROIT

La plainte de M. Nijjar a été présentée en vertu de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP), qui prévoit ce qui suit :

Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public :

  1. d'en priver un individu;
  2. de le favoriser à l'occasion de leur fourniture.

La religion constitue un motif de distinction illicite(2). La liberté de religion implique le droit de manifester ses croyances et pratiques(3).

Les parties s'accordent à dire que s'il y a eu discrimination en l'espèce, il s'agit d'une discrimination indirecte ou d'une discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Il incombe au plaignant et à la Commission canadienne des droits de la personne de faire une preuve prima facie de discrimination. Dans les cas de discrimination indirecte, une telle preuve est faite en démontrant l'existence d'une règle neutre, établie de façon honnête pour des raisons d'affaires valables, laquelle règle est liée de façon rationnelle à l'activité de l'intimé et s'applique à tous. Il faut également établir que la règle a un effet discriminatoire, fondé sur un motif illicite, sur un individu ou un groupe d'individus en raison d'une caractéristique particulière de cette personne ou de ce groupe(4).

Une fois qu'une preuve prima facie a été établie, il incombe à l'intimé de démontrer qu'il a procédé à l'accommodement nécessaire à l'endroit des personnes lésées sans subir de contrainte excessive(5).

Dans les affaires de discrimination, la preuve doit être faite conformément à la règle normale de la preuve en matière civile, c'est-à-dire suivant la prépondérance des probabilités.

III LA PREUVE PRIMA FACIE

i) La règle litigieuse

On s'entend pour dire que la règle litigieuse en l'espèce est la politique de Canada 3000 concernant les armes ou les articles dangereux. Les extraits pertinents de cette politique se lisent comme suit :

Les lignes directrices ci-après visent à déterminer dans les faits les articles en possession d'un passager qui devraient être considérés comme des armes ou des articles dangereux...

... Sabres, épées, couteaux de chasse, ceintures à couteaux et autres instruments coupants susceptibles d'infliger des blessures plus graves que les ustensiles fournis avec les repas servis en vol...

Quiconque refuse de se soumettre à la procédure de contrôle obligatoire, est trouvé en possession d'une arme ou d'un autre article dangereux ou fait des menaces ou pose d'autres gestes considérés comme une menace à la sécurité de l'aéronef, se verra refuser le passage au-delà du point de contrôle, à moins de recevoir subséquemment l'autorisation de passer.

La décision finale de permettre ou de refuser l'embarquement incombe à la compagnie aérienne(6).

Traduction

Cette politique est de toute évidence une règle neutre, car elle ne vise aucun groupe particulier protégé par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

ii) Lien rationnel

Rien n'indique que l'intimée n'a pas agi honnêtement et de bonne foi lorsqu'elle a adopté la politique en question. Toutefois, on a soulevé la question à savoir s'il existe un lien rationnel entre la politique et l'activité de l'intimée.

Pour déterminer l'existence d'une règle neutre comportant un lien rationnel avec l'activité de l'intimée, il faut en appeler au bon sens et voir ce qui est raisonnable dans le cadre d'une activité particulière. Il n'est pas nécessaire de produire une preuve abondante à cet égard(7).

L'avocat de la Commission reconnaît que les compagnies aériennes sont justifiées du point de vue commercial de soumettre les passagers à un contrôle pour vérifier s'ils sont en possession d'articles dangereux. La position de M. Duval est que, dans la mesure où elle s'applique aux kirpans, cette règle va trop loin. Nous croyons comprendre, d'après la position de M. Nijjar à ce sujet, que celui-ci partage l'avis de l'avocat de la Commission.

Le critère du « lien rationnel » dans les affaires de présumée discrimination indirecte diffère du critère selon lequel l'exigence doit être « raisonnablement nécessaire », qui a été appliqué dans les affaires de discrimination directe. Dans les cas de discrimination directe, l'intimé doit démontrer qu'il n'existe aucune solution de rechange raisonnable et moins contraignante que la règle contestée, ce qui n'est pas une obligation dans les cas de discrimination indirecte(8).

À notre avis, la question à savoir si la règle de l'intimée va trop loin par rapport à ses objectifs en matière de sécurité aérienne peut à juste titre être examinée dans le cadre de l'analyse de l'accommodement raisonnable. En d'autres termes, si la règle de l'intimée va plus loin qu'il ne le faut, il se peut qu'elle puisse être modifiée en guise de mesure d'accommodement en faveur de personnes ou de groupes lésés.

Quoi qu'il en soit, nous sommes convaincus que la règle de l'intimée qui restreint le type d'objets à lame qu'on peut amener à bord d'un aéronef de Canada 3000 est une règle qu'on peut lier de façon rationnelle à l'activité de l'intimée.

iii) Impact différent

Afin de faire une preuve prima facie de discrimination indirecte, il faut que le plaignant et la Commission démontrent que la règle contestée a eu un effet discriminatoire sur le plaignant, en raison d'un motif illicite. Il est donc nécessaire d'examiner les préceptes de la foi sikh, et ce tant dans une optique générale qu'en fonction de la manière dont M. Nijjar les perçoit.

a) Rôle du kirpan dans le sikhisme

Il convient de noter au départ que l'intimée a reconnu que le sikhisme est une religion authentique et que certains adeptes de cette religion ont accepté l'obligation de porter le kirpan. Beaucoup de témoignages ont été présentés au cours de l'audience au sujet du rôle du kirpan dans la religion sikh.

Trois personnes ont témoigné à titre d'experts sur les questions liées au sikhisme -- le professeur Hew McLeod et Me T. Sher Singh, au nom de la Commission, et M. John Spellman, au nom de l'intimée. Les témoignages de ces personnes concordaient sur de nombreux points. Dans les cas où le témoignage du professeur McLeod diffère de celui de Me Singh ou de M. Spellman, nous préférons, pour les motifs énoncés ci-dessous, le témoignage du professeur McLeod. Il est évident que le professeur McLeod a consacré sa vie adulte à des travaux d'érudition portant sur le sikhisme, y compris l'histoire, la religion et la culture sikhs. Il a rédigé de vastes ouvrages sur le sujet et a été reconnu par de nombreuses personnes qui ont participé à cette audience comme une sommité mondiale dans le domaine. En fait, l'avocat de l'intimée a décrit le professeur McLeod comme un « témoin solide ». Nous avons jugé le témoignage du professeur McLeod érudit, pondéré et sincère.

Me T. Sher Singh est un avocat de pratique privée et un membre actif de la communauté sikh. Divers organismes ont consulté Me Singh à de nombreuses reprises sur diverses questions ayant trait à la foi sikh. L'avocat de l'intimée s'est opposé à ce que Me Singh soit reconnu comme expert, arguant qu'il était un défenseur de la communauté sikh et qu'il n'avait pas l'acquis éducatif nécessaire. Nous avons conclu qu'une formation scolaire en bonne et due forme n'était pas une condition préalable absolument nécessaire pour être considéré comme témoin expert et nous avons déterminé que nous n'étions pas en mesure de juger si Me Singh comparaissait vraiment à titre de défenseur de la communauté sikh sans entendre son témoignage. En conséquence, nous avons autorisé Me Singh à témoigner à titre d'expert en matière de sikhisme et de culture sikh, tout en réservant notre décision quant au poids à attribuer à son témoignage. Il est devenu évident au cours de son témoignage que Me Singh se comportait effectivement dans une large mesure comme un défenseur de la communauté sikh. Son témoignage était totalement dénué de l'objectivité qu'on attendrait d'un véritable expert. Par exemple, en contre-interrogatoire, il s'est montré parfois agressif et parfois très insolent à l'endroit de l'avocat de l'intimée.

L'explication fournie par Me Singh en ce qui a trait à une mention figurant dans son curriculum vitae, selon laquelle il « a été reconnu et a témoigné à titre de témoin expert au sujet de la religion sikh devant la Cour de l'Ontario (Division générale) », est encore plus inquiétante. Durant son contre-interrogatoire, Me Singh a été prié de fournir des détails au sujet de ses qualifications. Bien qu'il ait prétendu avoir témoigné à titre d'expert à une douzaine d'occasions dans des affaires civiles, criminelles ou administratives, il n'a pas été en mesure de fournir de détails de mémoire et s'est engagé à fournir de plus amples précisions ultérieurement. Il a fourni des explications écrites un certain temps après avoir témoigné(9). Qu'il suffise de dire que Me Singh n'a pas été en mesure d'ajouter grand-chose en guise de précisions, si ce n'est le nom d'une personne accusée dans une affaire criminelle à la Cour provinciale. L'explication de Me Singh quant au fait qu'il n'a pas été en mesure de fournir de détails n'est aucunement convaincante.

Enfin, c'est un fait incontesté que Me Singh a téléphoné à l'un des témoins de l'intimée, M. Pashaura Singh, le matin où ce dernier devait témoigner. Selon M. Singh, Me Singh était mécontent du fait qu'il allait témoigner « contre la communauté ». M. Singh a déclaré que Me Singh n'avait pas tenté d'influencer son témoignage, mais que la conversation n'avait pas été agréable et l'avait rendu mal à l'aise. Ce n'est pas un comportement auquel on s'attendrait d'un témoin impartial. Cela est d'autant plus étonnant que Me Singh est membre du Barreau et plaide depuis de nombreuses années devant les tribunaux et qu'il devrait, par conséquent, bien comprendre son rôle à titre de témoin expert.

Compte tenu notamment de ces réserves, nous n'accordons absolument aucun poids au témoignage de Me Singh, si ce n'est dans les cas où il a été corroboré par ceux d'autres témoins.

M. Spellman est professeur d'études asiatiques à l'Université de Windsor. Bien que ses titres universitaires soient impressionnants, il sont beaucoup plus généraux que ceux du professeur McLeod. M. Spellman n'a pas une liste de publications aussi étoffée que celle du professeur McLeod. Il ne parle pas punjabi et n'est donc pas en mesure de lire dans leur version originale des textes rédigés dans cette langue, ni de communiquer avec beaucoup de membres de la communauté sikh. Il semble que le témoignage fourni par M. Spellman à l'audience ne soit pas tout à fait conforme à ceux qu'il a présentés dans des affaires antérieures portant sur des questions similaires. Ce qu'il a décrit comme étant l'évolution de sa pensée n'explique pas entièrement cette incohérence. En conséquence, dans les cas où le témoignage de M. Spellman diffère de celui du professeur McLeod, nous privilégions le témoignage de ce dernier.

Selon le professeur McLeod, le sikhisme est une foi monothéiste dont les adeptes croient en un dieu appelé Akal Purakh. On distingue au sein du sikhisme un certain nombre de sous-groupes ou sectes, dont l'ordre Khalsa, qui a été créé en 1699 par le gourou Gobind Singh. Pour être reçu membre de l'ordre Khalsa, il faut se soumettre à une cérémonie d'initiation connue sous le nom d'amrit sanskar. Les initiés sont également appelés les Sikhs Amrit-dhari(10)

. On dénombre de seize à dix-huit millions de Sikhs dans le monde entier, dont 15 à 20 p. 100 sont des Sikhs Amrit-dhari.

Lors de l' amrit, les initiés promettent de se conformer à un code de conduite qu'on appelle le Rahit, lequel exige que les adeptes observent le panj kakke ou, si l'on préfère, les cinq K. Les cinq K désignent les cinq articles que chaque Sikh initié doit porter en tout temps sur lui ou sur elle. Le fait de ne pas porter un ou plusieurs d'entre eux constitue un manquement grave. Ces articles sont le kes (chevelure non coupée), enfoui sous un turban, le kanga (peigne porté dans les cheveux), le kara (bracelet d'acier), le kachh (caleçon) et le kirpan.

Dans son témoignage, le professeur McLeod a affirmé que le kirpan est un objet sacré aux yeux des Sikhs Amrit-dhari et Kes-Dhari(11). Le kirpan, qui à l'origine était une arme, a de nos jours une valeur symbolique chez les Sikhs, pour qui il représente bien plus qu'une arme. Bien qu'il n'existe pas d'interprétation unique quant à la façon dont le kirpan est perçu parmi les Sikhs, on estime de façon générale qu'il s'agit d'un moyen de défense contre l'injustice et l'oppression.

Le kirpan doit être fait d'acier. Toutefois, il n'existe aucune norme minimale ou maximale réglementaire quant à sa taille. Selon le professeur McLeod, certains Sikhs portent un kirpan miniature d'un centimètre de longueur attaché au peigne (kanga); d'autres Sikhs jugent cette pratique inacceptable. En Inde, de nombreux Sikhs sont munis de kirpans d'une longueur de 20 centimètres (8 pouces) entre la pointe de la lame et le bout du manche, mais certains Sikhs préfèrent des kirpans plus longs ou plus courts. Le professeur McLeod a indiqué que pour bon nombre de Sikhs, le kirpan, pour être vraiment considéré comme tel, doit être quelque chose qu'on peut tenir. Le port d'un kirpan miniature serait pour eux inacceptable.

Le témoignage du professeur McLeod concordait avec celui de M. Pashaura Singh. Ce dernier, lui-même un Sikh Amrit-dhari, a détenu des postes de grande responsabilité au sein de la communauté sikh et est de toute évidence un fervent adepte de la foi sikh. M. Singh a été appelé par l'intimée à témoigner au sujet de ses propres pratiques quant au port du kirpan. Il a affirmé dans son témoignage que lorsqu'il voyage en avion, il porte un kirpan miniature d'environ un pouce et demi de longueur qui est attaché à son kanga ou peigne, car certaines compagnies aériennes ne permettent pas le port de kirpans de la taille du kirpan de voyage de M. Nijjar. De l'avis de M. Singh, le port d'un kirpan miniature est suffisant pour s'acquitter de ses obligations religieuses et est une pratique suivie par un grand nombre de Sikhs Amrit-dhari fervents.

M. Singh a reconnu en contre-interrogatoire qu'il existe différents groupes dans la tradition Khalsa qui ont des attitudes différentes à l'égard du kirpan. Les opinions diffèrent quant au fait qu'on puisse jamais se départir du kirpan, quant à sa taille minimale et quant à savoir si le port d'un kirpan miniature est suffisant pour s'acquitter de ses obligations religieuses.

b) La question à déterminer

Compte tenu des témoignages du professeur McLeod et de M. Singh, il est évident que la politique de l'intimée en ce qui concerne les objets à lame est susceptible d'avoir des conséquences différentes pour certains Sikhs, qui seraient incapables de se conformer à la règle sans compromettre leurs croyances religieuses. La règle ne comporterait pas les mêmes conséquences pour d'autres Sikhs comme M. Singh, dont l'interprétation de ses croyances est telle qu'il peut se conformer à la politique de l'intimée sans enfreindre les préceptes de sa religion.

Étant donné que le plaignant a invoqué l'article 5 de la LCDP, nous devons nous demander non pas si la règle de l'intimée est susceptible d'avoir un effet discriminatoire sur les Sikhs en général, mais plutôt si cette règle a eu un tel effet sur M. Nijjar(12).

Afin de déterminer si la politique de l'intimée a eu un effet discriminatoire sur M. Nijjar, il faut non pas se demander si ses croyances sont conformes aux enseignements du sikhisme, mais bien s'il a vraiment des croyances qui, par conviction religieuse, l'empêchent de se conformer à la politique de l'intimée(13). Il est donc nécessaire d'examiner la nature des croyances de M. Nijjar.

c) Les croyances de M. Nijjar

Il est évident pour le Tribunal, et l'intimée l'a admis dans les faits, que M. Nijjar est un Sikh fervent de l'ordre Khalsa. Il reste à déterminer quelles sont ses croyances en ce qui a trait au port du kirpan.

À notre avis, les éléments de preuve les plus importants pour déterminer si M. Nijjar a des croyances qui, par conviction religieuse, l'empêchent de se conformer à la politique de l'intimée, résident dans le témoignage de M. Nijjar lui-même.

De toute évidence, M. Nijjar juge inacceptable le fait de se départir de son kirpan afin de pouvoir monter à bord d'un avion. Il a fait état dans son témoignage d'une expérience antérieure où il l'a fait et a décrit les séquelles spirituelles dont il a souffert à cause de cela.

Nous devons également examiner les croyances de M. Nijjar en ce qui concerne la taille et les autres caractéristiques du kirpan, et déterminer si ses croyances à cet égard font qu'il est incapable de se conformer à la politique de l'intimée sans qu'il en résulte des séquelles spirituelles.

M. Nijjar n'a pas abordé cette question lors de son témoignage en chef. Toutefois, il a été contre-interrogé et réinterrogé sur la question de la taille du kirpan(14). M. Nijjar partage l'opinion du professeur McLeod, de M. Spellman, de Me Singh et de M. Singh selon laquelle le sikhisme ne prescrit pas de taille minimale ou maximale en ce qui a trait au kirpan. Dans le cadre d'une discussion portant sur les spécifications relatives à l'uniforme de la Gendarmerie royale du Canada en ce qui a trait au kirpan, M. Nijjar n'a pas donné à entendre que le port d'un kirpan d'une longueur totale de trois pouces et demi irait à l'encontre de ses croyances religieuses. Il a plutôt semblé laisser entendre que le port d'un tel kirpan était peut-être nécessaire du fait que l'uniforme de la GRC est très ajusté.

Dans son témoignage, M. Nijjar a précisé qu'il porte habituellement un kirpan de onze pouces et demi parce qu'il aime cela. Il porte un kirpan plus court lorsqu'il prend son bain. Il n'est pas clair si le kirpan plus court auquel il a fait référence est le kirpan de voyage ou un autre kirpan. De toute évidence, M. Nijjar a jugé qu'il pouvait porter un kirpan plus court afin de pouvoir prendre l'avion puisque c'est pour cette raison qu'il a fait l'acquisition du kirpan de voyage. Il est manifeste, d'après son témoignage, qu'il comprenait que les kirpans de la taille de son kirpan de voyage étaient conformes aux règles de sécurité propres au transport aérien, et qu'il pouvait se conformer à la prétendue règle des quatre pouces sans mettre sa foi en péril.

Il semble que les opinions diffèrent chez les adeptes du sikhisme quant à la mesure dans laquelle le kirpan doit être coupant et peut avoir une lame émoussée. De même, les opinions semblent diverger quant à l'épointement de la lame. Aucun élément du témoignage de M. Nijjar n'indique si le fait d'émousser ou d'épointer la lame de son kirpan constituerait un manquement à ses croyances religieuses. En fait, rien dans le témoignage de M. Nijjar n'indique que le port d'un kirpan moins susceptible de causer des blessures que les ustensiles de table de Canada 3000 contreviendrait à ses croyances religieuses. Sa tendance à porter un kirpan plutôt qu'un autre correspond toujours, dit-il, à une préférence personnelle plutôt qu'à une conviction religieuse.

iv) Conclusion concernant la preuve prima facie

Le fait que M. Nijjar ait déposé une plainte et l'ait maintenue pendant plusieurs années donne certes à croire qu'il a éprouvé un vif ressentiment face à ce qui s'est produit; cependant, nous devons en fin de compte trancher en nous fondant sur les éléments de preuve que nous avons devant nous. À cet égard, nous ne pouvons conclure, sur la foi de cette preuve, et en particulier sur la foi du témoignage de M. Nijjar, que la politique de l'intimée a eu un impact différent sur M. Nijjar à cause de sa religion. En conséquence, nous jugeons que le plaignant et la Commission n'ont pas réussi à faire une preuve prima facie de discrimination, et nous rejetons la plainte.

Au cas où nous serions dans l'erreur quant à nos conclusions concernant l'établissement d'une preuve prima facie, nous examinerons les autres questions présentées en l'espèce.

IV ACCOMMODEMENT RAISONNABLE

Dans le cas où une preuve prima facie de discrimination serait établie, il incomberait à l'intimée de démontrer qu'elle a prise à l'endroit de M. Nijjar des mesures d'accommodement sans subir de contrainte excessive.

i) Principes généraux

Afin de déterminer si l'intimée a satisfait à l'obligation d'accommodement, nous sommes guidés par le principe selon lequel, dans les cas d'accommodement, il faut démontrer l'existence de plus qu'un inconvénient minime pour pouvoir contrecarrer le droit du plaignant à un accommodement. L'inconvénient minime est le prix à payer pour la liberté de religion dans une société multiculturelle(15).

Lorsqu'on définit ce qu'il faut entendre par contrainte excessive dans un cas où la sécurité est en jeu, l'ampleur du risque et l'identité des personnes qui le supportent sont des facteurs pertinents(16). L'expression « ampleur du risque » englobe deux notions : la probabilité de subir une perte ou une blessure et la gravité de la perte ou de la blessure en question(17).

ii) Position de l'intimée

L'intimée soutient que sa politique à l'égard des objets à lame tient compte des besoins et aspirations de certains Sikhs Khalsa, voire de la totalité d'entre eux. Elle soutient, en outre, qu'elle se préoccupe à juste titre de la sécurité des passagers et que toute modification à sa politique compromettrait de façon inacceptable cette sécurité, ce qui constituerait une contrainte excessive.

iii) Position de la Commission canadienne des droits de la personne et de M. Nijjar

La Commission canadienne des droits de la personne et M. Nijjar ont fait valoir que l'on devrait confirmer la validité de la politique de Canada 3000, en tant que mesure neutre, dans son application générale. Cependant, dans les cas où cette politique empiète sur le droit des passagers sikhs de manifester leurs convictions religieuses en portant le kirpan, elle doit être modifiée de façon à tenir compte de la situation de ces personnes. Plus précisément, M. Duval a soutenu que les passagers sikhs devraient être autorisés à porter le kirpan à bord des avions de Canada 3000, dans la mesure où la lame ne dépasse pas quatre pouces de longueur. De l'avis de la Commission, une telle modification à la politique qui s'applique aux Sikhs n'entraînerait pas un risque inacceptable, compte tenu de l'attachement particulier que les Sikhs vouent à leur kirpan.

iv) Contexte réglementaire

M. Jim Marriott a témoigné au nom de la Commission canadienne des droits de la personne. M. Marriott, qui est directeur de la Politique et de la législation sur la sécurité à Transports Canada, s'occupe de questions liées au port du kirpan à bord des avions depuis une dizaine d'années. Selon M. Marriott, la pratique au Canada, depuis au moins dix ou douze ans, consiste à admettre à bord des avions des objets à lame, dans la mesure où la longueur de la lame ne dépasse pas quatre pouces. M. Marriott a déclaré que, d'après ce qu'il croit comprendre, cette pratique est également suivie par la Federal Aviation Administration aux États-Unis.

L'Association du transport aérien du Canada (ATAC) est un organisme représentant l'industrie. Au nombre des membres de l'ATAC figurent Air Canada, Canadien International et Canada 3000. Au sein de l'ATAC, il existe un comité de la sécurité qui se réunit périodiquement pour élaborer les positions de l'industrie sur diverses questions liées à la sécurité. Au milieu des années 90, on s'est inquiété de l'application au pays de différentes normes quant à l'admission d'objets à lame à bord des aéronefs. Le fait que les normes n'étaient pas uniformes engendait des difficultés pour les passagers. Dans une tentative pour assurer une certaine uniformité au sein de l'industrie, le comité de la sécurité a établi une liste d'articles qui devraient être admis à bord des avions. Cette liste comprend les couteaux de poche dont la longueur de la lame ne dépasse pas quatre pouces. On ne devrait pas permettre que des couteaux, y compris des « couteaux religieux », soient admis à bord d'un avion si leur lame dépasse la limite de quatre pouces. M. Marriott a déclaré qu'à son avis, un couteau de poche est un couteau, pliant ou non, glissé dans un étui permettant de le mettre dans une poche.

Autant que M. Marriott le sache, le comité de la sécurité n'a pas demandé l'avis de médecins qualifiés quant à la nature et à l'ampleur du risque que posent les divers articles qui figurent sur la liste.

Transports Canada a approuvé l'utilisation de cette liste, car elle était le reflet d'une pratique de longue date qui semblait bien fonctionner. En avril 1997, Transports Canada a publié un « Avis de sécurité » destiné à l'industrie. Cet avis rend compte de l'opinion de Transports Canada selon laquelle l'utilisation de la liste permettrait d'assurer un niveau approprié de sécurité à bord des avions. Bien qu'on ait fait référence tout au cours de cette audience à la règle des quatre pouces, la règle en question ne constitue en fait qu'une norme recommandée à l'industrie, les compagnies aériennes n'étant pas tenues de s'y conformer. Il incombe en fin de compte à chaque compagnie aérienne d'établir ses propres normes en ce qui concerne la sécurité à bord de ses propres avions(18). Cependant, cette responsabilité doit être exercée en respectant le Règlement sur les mesures de sûreté des transporteurs aériens, qui interdit d'amener à bord d'un aéronef certains articles, notamment des explosifs et des engins incendiaires.

L'avis de sécurité comporte également une annexe énumérant les articles interdits à bord d'un aéronef. Cette annexe fait mention des « couteaux (de plus de quatre pouces ou dangereux) ». Il n'a pratiquement pas été question de cette disposition au cours du témoignage de M. Marriott. Toutefois, lorsqu'on lit le document de concert avec la publication de Transports Canada servant à former le personnel de sécurité(19), il semble que le terme « dangereux » s'applique à certains types de couteaux, tels que les couteaux à cran d'arrêt et les couteaux à lame éjectable, et n'implique pas une évaluation de la capacité offensive de chaque objet à lame. Cette interprétation est conforme au témoignage de M. Marriott, qui donne à croire qu'en l'absence de circonstances inhabituelles, la longueur de la lame sera le critère déterminant.

Transports Canada a également publié un avis de sécurité qui porte expressément sur les kirpans et qui a été élaboré en consultation avec la communauté sikh. Cet avis, qui fait état de la limite proposée de quatre pouces, visait à sensibiliser le personnel chargé de la sécurité à la signification religieuse des kirpans. L'avis confirme qu'il appartient en dernier ressort à la compagnie aérienne de décider quels objets seront admis à bord de ses appareils, sous réserve des interdictions absolues auxquelles il est fait référence dans le paragraphe précédent.

M. Marriott ne connaît pas l'origine de la limite de quatre pouces, ni comment on en est arrivé initialement à déterminer que cette longueur particulière constituait une norme acceptable. À son avis, il fallait qu'on trace la ligne quelque part et il a reconnu que la décision quant à l'endroit où tracer la ligne est empreinte d'un certain arbitraire. M. Marriott a admis que certains objets munis d'une lame de moins de quatre pouces pourraient eux aussi causer des blessures graves ou des décès et présentent un risque inacceptable sur le plan de la sécurité. De tels articles pourraient néanmoins être admis à bord d'un aéronef aux termes de la politique de Transports Canada.

M. Marriott préside un comité connu sous le nom de Groupe de travail sur l'interdiction de créer de l'interférence auprès des membres d'équipage, dont le but est d'élaborer une stratégie à l'égard des passagers qui se comportent de façon indisciplinée. M. Marriott fait remarquer que les médias ont donné à entendre qu'il y a une augmentation du nombre de cas de comportement indiscipliné ou de « rage de l'air », et qu'on est de plus en plus sensible à ce phénomène au sein de l'industrie. Cependant, M. Marriott ne peut dire si l'augmentation de ce nombre d'incidents peut en fait être démontrée au moyen de statistiques.

v) L'expérience d'Air Canada

Denis McCulla est chef de la Sécurité intégrée chez Air Canada depuis 20 ans. Selon M. McCulla, Air Canada applique depuis au moins 20 ans la règle des quatre pouces en ce qui a trait aux couteaux, y compris les kirpans. Les entrepreneurs qui fournissent des services de sécurité à Air Canada jouissent du pouvoir discrétionnaire de refuser de laisser monter à bord d'un avion, si les circonstances le justifient -- par exemple, si le comportement de l'individu permet de croire qu'il pourrait y avoir un problème --, des gens avec certains articles qui seraient autrement admis.

Air Canada effectue environ 600 étapes de vol par jour. M. McCulla n'a eu connaissance d'aucun cas où un kirpan a été en cause dans un incident perçu comme compromettant la sécurité d'un vol. Il n'a pas indiqué s'il y avait eu de tels incidents mettant en cause des objets à lame autres que des kirpans.

M. McCulla croit comprendre que c'est Transports Canada qui impose à la compagnie aérienne la politique concernant la longueur de quatre pouces des lames. S'il n'en tenait qu'à lui, a-t-il déclaré, il serait absolument interdit d'amener quelque couteau que ce soit à bord d'un aéronef. Un représentant de Canadien International a exprimé un avis similaire lorsqu'il a été interrogé par l'enquêteur de la Commission canadienne des droits de la personne(20).

vi) La politique de Canada 3000

Angus Kinnear est président et un des fondateurs de Canada 3000. Canada 3000 compte plus de 2 000 employés, exploite 15 aéronefs et dessert 88 destinations dans le monde. M. Kinnear a confirmé que la compagnie aérienne a la responsabilité d'assurer la sécurité des passagers. Afin de s'acquitter de cette responsabilité, Canada 3000 a établi un rigoureux programme de formation à l'intention de son personnel, ainsi qu'un certain nombre de politiques en matière de sécurité, dont sa politique concernant les armes et les objets dangereux. Instituée en août 1992, cette politique est le reflet d'une pratique qui remonte à la création de la compagnie en 1988.

Selon M. Kinnear, au moment où la politique a été établie, les personnes qui l'ont rédigée n'ont pas tenu compte de facteurs tels que l'incompatibilité possible de la politique avec certaines croyances religieuses. En fait, il doute que ces personnes aient même été au courant de la possibilité que surgissent des préoccupations de nature religieuse. Autant qu'il sache, la sécurité a été la seule considération.

M. Kinnear connaît la règle des quatre pouces. Il croit comprendre que cette règle est suivie par certaines compagnies aériennes mais que d'autres, telles que British Airways, ne l'appliquent pas. À son avis, bien qu'elle soit facile à appliquer, cette règle n'est pas raisonnable car elle est arbitraire et n'exclut pas des articles qui pourraient servir d'armes. Selon M. Kinnear, une lame de quatre pouces pourrait infliger des dommages considérables si elle est manipulée dans un espace clos. M. Kinnear a fait remarquer qu'à 35 000 pieds d'altitude, on ne peut tout simplement pas appeler le 911 s'il survient des difficultés.

Le fait qu'Air Canada ait appliqué avec succès la règle depuis 20 ans n'incite pas M. Kinnear à croire que la politique de sa compagnie devrait être assouplie. Selon M. Kinnear, même s'il n'y a eu à bord des avions d'Air Canada aucun incident fatal de poignardage, cela ne signifie pas qu'il ne pourrait en survenir un dans l'avenir. M. Kinnear a fait une analogie avec la « règle de l'appariement bagage-personne » qu'on applique uniformément au sein de l'industrie à l'heure actuelle. Cette règle, qui exige que tous les bagages mis sur un avion soient appariés aux passagers qui sont effectivement à bord, a été instituée après qu'une bombe eut explosé dans un Boeing 747 d'Air India en provenance du Canada et après l'explosion d'un avion de Canadien International à l'aéroport de Narita, les deux explosions ayant apparemment été causées par des bombes mises dans les bagages. Il y a 20 ans, on ne se préoccupait pas d'apparier les bagages et les passagers -- car pendant longtemps aucun incident n'était survenu. Les explosions causées par des bombes sont néanmoins survenues, tuant environ 300 personnes dans le cas de la tragédie d'Air India.

Pour être pratique, une règle doit être simple. Il faut qu'elle puisse être appliquée dans le monde entier par différentes personnes issues de nombreuses cultures différentes. Le besoin de simplicité est dicté par des considérations liées à la sécurité et non par des considérations économiques. À cet égard, la règle de Canada 3000, qui se fonde sur le couteau de table de Canada 3000 comme norme, est simple et facile à appliquer.

Selon M. Kinnear, il n'est pas pratique de tenter de faire une exception dans le cas des passagers sikhs et de leur permettre de monter à bord d'un avion avec des kirpans munis d'une lame de plus de quatre pouces. Il n'est pas évident qu'une personne à Fidji, à Stuttgart ou en Nouvelle-Zélande puisse vérifier qu'un passager est un Sikh authentique et non un imposteur. En outre, il a indiqué que les restrictions spirituelles auxquelles sont soumis les Sikhs Amrit-dhari quant à l'usage du kirpan ne seraient d'aucun secours si un passager non sikh s'emparait de celui-ci au cours d'une querelle.

M. Kinnear a indiqué dans son témoignage que les compagnies aériennes n'ont guère la possibilité d'inspecter les passagers avant l'embarquement; en moyenne, la compagnie aérienne interagit avec chaque passager pendant 45 à 90 secondes au comptoir d'enregistrement.

M. Kinnear a précisé que Canada 3000 transporte des centaines de Sikhs chaque mois et que la compagnie ne désire pas s'aliéner la communauté sikh. Il s'agit de la seule plainte que la compagnie ait jamais reçue en ce qui touche sa politique. M. Kinnear a aussi déclaré dans son témoignage qu'il croyait comprendre qu'il existe des kirpans, tels que les kirpans réglementaires qu'utilisent les membres sikhs de la GRC, qui sont conformes à la politique de Canada 3000 et qui seraient admis à bord des aéronefs de Canada 3000.

Nonobstant l'application de la politique, un incident où un couteau était en cause est survenu en 1994 à bord d'un aéronef de Canada 3000. Kelly Welch agissait comme commissaire de bord sur un vol entre Vancouver et Toronto. Au cours du trajet, un passager non sikh a brandi un couteau avec lequel il a menacé Mme Welch après s'être vu refuser une autre consommation. Il s'agissait d'un couteau à cran d'arrêt muni d'une lame de deux pouces. Mme Welch a décrit le sentiment de terreur qui s'est emparé d'elle ainsi que l'agitation que l'incident a causée chez les autres passagers. Elle a également décrit son sentiment d'impuissance du fait qu'elle était confrontée à une arme et risquait d'être grièvement blessée alors qu'elle ne pouvait appeler la police ou expulser le passager.

Plusieurs témoins de Canada 3000, dont Jean Jones, directrice du Service de cabine de Canada 3000, et M. Kinnear, ont témoigné au sujet du phénomène de la « rage de l'air ». Mme Jones est chargée de veiller à l'application des normes de sécurité et de service par les agents de bord. L'une de ses attributions consiste à recevoir les rapports du personnel de Canada 3000 portant sur les incidents mettant en cause des passagers indisciplinés. Compte tenu de ces rapports et de ses discussions avec le personnel de la compagnie, Mme Jones estime que les incidents de cette nature sont de plus en plus nombreux, bien qu'aucune étude officielle n'ait été menée à ce sujet. Dans son témoignage, elle a précisé qu'une enquête officieuse menée auprès des agents de bord a révélé que 34 p. 100 des agents de bord de Canada 3000 avaient été l'objet de violence verbale de la part de passagers. Vingt-trois pour cent des agents de bord de Canada 3000 ont été appelés à intervenir pour mettre fin à des bagarres. Vingt-trois pour cent des agents de bord de Canada 3000 ont signalé qu'ils avaient été victimes d'agressions durant leur travail. Mme Jones n'a pas précisé dans son témoignage si ces résultats portaient sur des incidents survenus durant une période particulière. De même, elle n'a pas indiqué si ces résultats représentaient une augmentation de ce type d'incidents par rapport aux résultats d'enquêtes antérieures.

vii) Autres politiques concernant les kirpans

Il n'y a pas de norme dans l'industrie du transport aérien en ce qui concerne le port du kirpan dans un avion. Nous avons décrit plus haut la position de Transports Canada au sujet de la règle des quatre pouces et de l'application de cette règle par Air Canada et Canadien International. Il semble qu'Air India et Pakistani International Airlines interdisent expressément le port du kirpan à bord de leurs avions. British Airways, US Air et American Airlines ont des politiques qui interdisent d'amener un objet à lame quelconque à bord d'un avion, lesquelles politiques sont interprétées comme comprenant les kirpans.

Le sergent-détective Gordon Graffman, qui est chef de la Recherche et de la planification au sein de la Section des services aux tribunaux du Service de police de Toronto, a témoigné au nom de l'intimée au sujet de la politique concernant la sécurité dans les palais de justice de la région de Toronto.

Le sergent-détective Graffman a décrit le milieu spécial que représente un palais de justice, ainsi que les différents niveaux de sécurité qui peuvent être nécessaires, selon la nature du tribunal et les particularités des affaires entendues à un moment donné. On fait couramment usage de détecteurs de métaux. Selon le sergent-détective Graffman, les agents chargés du contrôle jouissent d'une discrétion plus ou moins grande quant à l'application de la politique selon l'intensité de la menace perçue. Dans des situations normales, aucun objet muni d'une lame de plus de deux pouces de longueur ne peut être amené à l'intérieur du palais de justice.

Le sergent-détective Graffman a indiqué que la sécurité est assurée par des êtres humains. La politique du palais de justice comporte un élément discrétionnaire de façon à permettre au personnel de se servir de son jugement et de saisir des articles tels que les couteaux X-Acto, dont la lame peut être très courte mais qui sont tout de même extrêmement dangereux.

Dans les situations qui, juge-t-on, présentent un risque plus élevé que la normale, aucun objet métallique ou autre article de quelque taille que ce soit susceptible d'infliger des blessures n'est permis. Le personnel chargé de la sécurité jouit dans ces circonstances d'un pouvoir discrétionnaire limité.

La politique du tribunal ne fait pas d'exception dans le cas des kirpans, étant donné que ceux-ci sont susceptibles d'infliger des dommages, nonobstant leur caractère religieux.

Le caporal Pierre McConnell, du détachement de Surrey de la Gendarmerie royale du Canada, a témoigné au sujet de la politique qui s'applique en Colombie-Britannique en ce qui concerne la sécurité dans les palais de justice. Selon le caporal McConnell, la politique des tribunaux de la Colombie-Britannique interdit d'amener des couteaux à l'intérieur d'un palais de justice. La politique indique expressément qu'aucune exception ne sera faite en ce qui a trait aux couteaux religieux.

Les décisions déposées par les parties à l'appui de leurs positions font état de politiques établies en ce qui concerne le port du kirpan dans les écoles et les hôpitaux, politiques qui ont suscité des litiges. Dans Pandori c. Conseil scolaire de Peel(21), une commission d'enquête de l'Ontario a examiné la nature du milieu scolaire et déterminé que les étudiants sikhs devraient être autorisés à porter le kirpan à l'école, dans la mesure où celui-ci est d'une « taille raisonnable ». La commission d'enquête n'a pas précisé ce qu'elle entendait par cette expression. Cette décision a été confirmée par la Cour divisionnaire.

De même, dans Pritam Singh c. Centre hospitalier et de réadaptation de la Commission des accidents du travail(22), une autre commission d'enquête ontarienne s'est penchée sur la politique d'un hôpital interdisant la possession d'armes offensives à l'intérieur de l'établissement et a conclu que celui-ci devrait permettre aux patients sikhs de porter un kirpan d'une longueur raisonnable lorsqu'ils s'y font soigner. La commission d'enquête n'a pas précisé encore une fois ce qu'elle entendait par « longueur raisonnable ».

viii) Preuve judiciaire

Le Dr David McAuliffe a été cité à comparaître par l'intimée et a été reconnu, avec l'accord des parties, comme expert en médecine légale et en pathologie légale des objets tranchants utilisés comme armes. Le Dr McAuliffe est médecin légiste au sein de l'Unité de médecine légale du Bureau du coroner en chef de l'Ontario.

Selon le Dr McAuliffe, on distingue deux types de blessures résultant de coups violents, soit celles résultant d'un coup de poignard et les coupures, qui sont aussi susceptibles les unes que les autres de causer la mort. Diverses variables déterminent la gravité d'une blessure, dont les caractéristiques physiques de l'arme, l'endroit atteint et la nature de la blessure, la force déployée et l'intention de l'assaillant.

Tant les coups de poignard que les coupures peuvent entraîner la mort, selon des facteurs tels que l'endroit touché et la profondeur de la blessure. Les deux types de blessures peuvent exiger des soins d'urgence et des équipements médicaux qui ne sont pas accessibles normalement à bord d'un avion.

Les facteurs déterminants importants quant au risque de blessures que représente une arme sont la longueur de la lame et la mesure dans laquelle celle-ci est tranchante, pointue et rigide. Pour déterminer la capacité offensive d'un objet à lame, il faut examiner l'ensemble de ses éléments. Une politique qui tiendrait compte d'un seul élément (p. ex., la longueur de la lame) pour déterminer le risque de blessure serait « ridicule ».

De l'avis du Dr McAuliffe, le kirpan de voyage de M. Nijjar est muni d'une lame suffisamment longue, rigide, tranchante et pointue pour causer la mort; en fait, dans le cadre de sa pratique, le Dr McAuliffe a été témoin de nombreux décès causés par des objets semblables au kirpan de voyage, bien qu'il n'ait jamais vu de blessures causées par un kirpan à proprement parler.

En revanche, le Dr McAuliffe n'a été témoin d'aucun décès causé par un article tel que le couteau de table qu'utilise actuellement Canada 3000 ou celui que Canada 3000 utilisait en avril 1996. Bien que l'un ou l'autre de ces couteaux de table puissent en théorie causer des blessures mortelles, par exemple, en étant enfoncé dans l'orbite d'un oeil et dans le cerveau, le Dr McAuliffe a qualifié un tel scénario de « fantaisiste ». La fourchette de table de Canada 3000 pourrait être utilisée pour percer la peau de quelqu'un et, par conséquent, pourrait à la rigueur causer des blessures mortelles si elle était enfoncée dans la poitrine avec suffisamment de force. Cependant, le Dr McAuliffe a indiqué qu'il ne voyait pas comment une chose pareille serait possible. Il n'a jamais été témoin de blessures graves ou d'un décès causés par un article tel que la fourchette de table de Canada 3000.

Le Dr McAuliffe a indiqué que le couteau de table de Canada 3000 constituerait une norme appropriée pour évaluer la capacité offensive d'objets à lame. À son avis, un profane est à même de déterminer la capacité offensive d'un objet à lame.

On a demandé au Dr McAuliffe si des objets tels que des bouteilles de vin, qu'on trouve couramment à bord des avions, peuvent servir à infliger des blessures mortelles si on s'en sert comme matraque ou si on les brise et qu'on utilise des tessons comme objets tranchants. Le Dr McAuliffe a déclaré qu'il n'avait jamais été témoin d'un décès causé par une bouteille de vin. Il a fait remarquer qu'il est très difficile de fracasser une bouteille de vin sans s'infliger soi-même des blessures.

ix) Incidents violents où un kirpan est en cause

M. McLeod et d'autres témoins ont décrit le caractère sacré du kirpan pour les adeptes de la foi sikh. Selon lui, les enseignements du sikhisme impliquent que le kirpan ne devrait jamais en aucune circonstance être utilisé comme arme offensive. On peut se servir du kirpan pour se défendre, mais seulement si toutes les autres méthodes d'autodéfense n'ont pas fonctionné.

Selon M. McLeod, compte tenu de la signification spirituelle du kirpan, l'attitude de tous les Sikhs à l'égard du kirpan sera nettement différente de celle des non-Sikhs à l'égard d'autres types de couteaux.

Le fait de ne pas observer les restrictions quant à l'usage du kirpan représenterait un manquement au Rahit. Le fautif serait un tanakhahia et serait tenu de se confesser de ses manquements et d'accepter une pénitence.

Nonobstant ces restrictions spirituelles, M. McLeod a eu connaissance de situations, dont certaines sont survenues au Canada, où le kirpan a été utilisé comme arme offensive. Si de tels incidents se sont produits, ils allaient à l'encontre des enseignements du sikhisme.

M. McLeod a fait remarquer que, comme tout autre segment de la société, le sikhisme comprend toute sorte d'individus -- autant des parangons de vertu que l'extrême opposé. M. Nijjar a lui aussi fait valoir ce point dans son témoignage.

L'intimée a produit des éléments de preuve concernant un certain nombre d'incidents où des kirpans ont apparemment été utilisés comme armes offensives, notamment des éléments de preuve concernant le détournement de deux avions au milieu des années 80. De plus, le caporal McConnell, qui était coordonnateur du dossier, a témoigné au sujet d'un important incident survenu à la Gurdwara Guru Nanak à Surrey, en Colombie-Britannique, le 11 janvier 1997. De toute évidence, l'incident résultait d'un différend entre deux factions de la congrégation à propos d'une question de doctrine religieuse. Le caporal McDonnell était présent à cette occasion et a décrit ce qui s'était produit. En outre, il a fourni deux bandes vidéo portant sur cet incident.

Il est évident, d'après le témoignage du caporal McConnell et les bandes vidéo, que des kirpans ont été brandis d'une manière offensive à un certain nombre d'occasions au cours de l'incident. Le caporal McConnell a indiqué dans son témoignage que, durant l'incident, une personne a été coupée sur le côté de la tête en plus de recevoir deux coups de poignard dans la poitrine, subissant ainsi des blessures graves susceptibles de causer la mort. Lors du procès criminel subséquent, le juge a établi dans les faits que les blessures subies par la victime avaient été infligées au moyen d'un kirpan. Selon les éléments de preuve présentés au procès, le kirpan en cause mesurait quatre à dix pouces de longueur.

Durant l'audience, on a exprimé à plusieurs reprises des inquiétudes à l'égard de cet incident et d'autres manifestations de violence au sein de la communauté sikh. L'avocat de la Commission a donné à entendre que l'intimée tentait de dépeindre les Sikhs comme des individus généralement enclins à la violence. L'intimée a soutenu qu'elle ne voulait pas insinuer que les Sikhs sont plus dangereux que d'autres. L'intimée est d'avis que, tout comme c'est le cas pour d'autres groupes au sein de la société, il y a de bons Sikhs et de mauvais Sikhs -- des Sikhs qui observent rigoureusement les enseignements de leur foi et d'autres qui ne le font pas. En conséquence, l'intimée a indiqué qu'on ne peut tirer aucune conclusion générale quant à l'usage qu'un individu pourrait faire de son kirpan dans une situation donnée.

x) Accommodement raisonnable et niveau de risque

Il existe beaucoup de jurisprudence en ce qui concerne l'évaluation du risque dans des affaires où la sécurité publique est en cause. La majeure partie de cette jurisprudence s'inscrit dans un contexte de discrimination directe. Me Duval et Me Chouest ont tous deux convenu que dans les affaires de discrimination directe, la jurisprudence indique qu'il faut démontrer qu'il y a un « risque suffisant » avant d'établir l'existence d'une exigence professionnelle normale. Les deux avocats exhortent le Tribunal à appliquer la même norme de risque pour déterminer si M. Nijjar peut bénéficier d'un accommodement raisonnable, même s'il s'agit en l'espèce d'une présumée affaire de discrimination indirecte. Aucune jurisprudence n'a été citée à l'appui de cette position.

L'examen de la jurisprudence révèle que les positions défendues par les avocats n'ont pas été acceptées de façon uniforme. Dans Woolverton et autres c. B.C. Transit(23) et Dhillon c. Ministry of Transportation(24)

, par exemple, on conclut qu'il ne serait pas opportun d'appliquer, dans un contexte de discrimination indirecte, le critère du risque suffisant établi dans le contexte de l'analyse ayant trait à une exigence professionnelle normale, compte tenu des différences fondamentales entre la discrimination directe et la discrimination indirecte. Pour paraphraser ce que Mme le juge Wilson a affirmé dans l'arrêt Central Alberta Dairy Pool, il s'agit, aux fins de ces décisions, de déterminer si un accommodement est possible compte tenu de « l'ampleur du risque » que présente l'accommodement des plaignants. Toutefois, ce qui ne ressort pas clairement de ces décisions, c'est la façon dont on perçoit que le critère de l'« ampleur du risque » diffère de celui du « risque suffisant » et la question à savoir si une tolérance au risque plus grande ou moins grande s'impose.

Bien que Mme le juge Wilson utilise dans l'arrêt Central Alberta Dairy Pool un langage différent que celui que la Cour suprême du Canada avait employé antérieurement dans des arrêts comme Etobicoke(25), nous n'interprétons pas cette décision comme permettant un degré de risque différent du point de vue de la sécurité publique dans les affaires de discrimination indirecte.

Nous reconnaissons qu'il existe des différences fondamentales entre la discrimination directe et la discrimination indirecte, et que l'objet de l'analyse du risque différera selon la nature de la présumée discrimination(26). Cependant, lorsque la sécurité du public est en cause, nous ne voyons aucune raison fondamentale qui justifierait qu'on exige une protection plus ou moins grande du public selon que le plaignant a fait l'objet d'une discrimination directe ou d'une discrimination indirecte. Il en est ainsi particulièrement lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, ce sont des tierces parties, et non simplement le plaignant lui-même, qui risquent d'être blessés.

Le fait que, dans certains cas à tout le moins, les distinctions entre les deux types de discrimination « frôlent dangereusement la sémantique » milite également contre l'application de normes différentes(27).

Pour ces raisons, nous souscrivons aux avis exprimés par les avocats et nous baserons notre analyse sur le critère du « risque suffisant ».

xi) Analyse du risque

Nous devons maintenant examiner si l'intimée s'est acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu'il a raisonnablement composé avec les besoins du plaignant sans subir de contrainte excessive, ou si aucun accommodement semblable n'était possible.

À cet égard, il convient de noter que la politique de l'intimée ne frappe pas d'interdiction tous les kirpans susceptibles d'être amenés à bord d'un aéronef de Canada 3000. Cette politique ne vise que les kirpans qui sont susceptibles de causer des blessures plus graves que les ustensiles de table de Canada 3000. L'intimée a soutenu qu'il s'agit là d'une forme d'accommodement. Elle a fait valoir, en outre, que le fait de modifier la politique de Canada 3000 de la manière suggérée par la Commission canadienne des droits de la personne entraînerait un risque inacceptable pour le public et que cela constituerait une contrainte excessive.

Afin de déterminer si le fait de modifier la politique de l'intimée pour permettre aux Sikhs d'amener à bord d'un aéronef un kirpan dont la lame mesure au plus quatre pouces de longueur constituerait une contrainte excessive, nous devons examiner le risque qu'une telle modification entraînerait. Tel qu'indiqué plus haut, l'évaluation du risque est fondée sur deux éléments : d'une part, la probabilité de causer des blessures et, d'autre part, la gravité de celles-ci. En outre, nous devons examiner qui est susceptible de subir des blessures. Enfin, il faut déterminer si ces facteurs ont pour effet d'accroître suffisamment le risque de blessures pour créer une contrainte excessive.

a) Probabilité de blessures

Nous examinerons d'abord la question de la probabilité de causer des blessures si des kirpans d'une longueur d'au plus quatre pouces sont admis à bord des avions. À cet égard, la preuve incite à croire que la probabilité que quelqu'un se fasse blesser par un kirpan à bord d'un avion est faible. C'est ce que démontre l'expérience d'Air Canada. En 20 ans, Air Canada n'a été témoin d'aucun incident de violence où on a fait usage d'un kirpan. Cette preuve doit être située dans le contexte du témoignage de M. McCulla selon lequel Air Canada effectue 600 étapes de vol par jour.

Nous n'attribuons aucun poids aux éléments de preuve qui nous ont été présentés relativement à la perception voulant que le nombre d'incidents attribuables à ce qu'on a convenu d'appeler la « rage de l'air » soit à la hausse. Les éléments qui nous ont été présentés à ce sujet reposent dans une large mesure sur des données non scientifiques; à notre avis, ces éléments ne sont pas suffisamment fiables pour nous permettre de conclure que les incidents de cette nature sont plus fréquents et qu'ils ne font tout simplement pas l'objet d'une attention plus grande des médias et de l'industrie.

Il convient également de tenir compte du témoignage du professeur McLeod et d'autres témoins quant à l'attachement spécial que les Sikhs vouent à leur kirpan. Il est évident que les enseignements du sikhisme ne permettent pas l'utilisation du kirpan comme arme offensive. Toutefois, le Tribunal a été saisi de beaucoup d'éléments de preuve démontrant que, malgré les enseignements du sikhisme, certains Sikhs ont utilisé le kirpan comme arme offensive dans diverses circonstances, notamment dans des détournements d'avion, et que les conséquences des gestes posés par ces individus ont dans certains cas été désastreuses.

Tout en constatant que le kirpan a été utilisé comme arme offensive par certains Sikhs, nous remarquons que les gestes posés par ces individus sont contraires aux enseignements du sikhisme. Nous ne voulons pas insinuer que les Sikhs sont davantage enclins à la violence que le reste de la population. Par contre, ce constat est conforme au témoignage du professeur McLeod et de M. Nijjar, qui ont tous deux fait remarquer que les Sikhs sont des êtres humains et que, comme c'est le cas pour tous les êtres humains, il y a de bons Sikhs et de mauvais Sikhs -- des Sikhs qui suivent à la lettre les enseignements de leur foi et d'autres qui ne le font pas.

Nous faisons également observer que l'attachement spécial que les Sikhs vouent à leur kirpan sera sans importance si un autre passager s'empare du kirpan au cours d'une altercation. On a également fait remarquer dans les plaidoiries que les considérations spirituelles n'empêcheraient pas un non-Sikh de prétendre qu'il est Sikh, même si, à notre avis, il est très peu probable qu'un tel scénario se matérialise.

Les écritures religieuses peuvent avoir un effet très limité sur les Sikhs pouvant être atteints de troubles mentaux. Cela semble avoir été le cas dans un des exemples cités au Tribunal, où un Sikh atteint de troubles mentaux a utilisé un kirpan pour tuer un enfant. De même, les considérations spirituelles peuvent n'être d'aucun secours dans le cas où un individu est en état d'ivresse(28).

Par ces observations, nous ne voulons pas sous-entendre que M. Nijjar pourrait utiliser son kirpan pour attaquer quelqu'un. Il est clair à nos yeux que M. Nijjar est un Sikh fervent, qu'il suit les enseignements de sa foi à la lettre et de façon assidue et qu'il s'efforce en tout temps d'être respectueux des préceptes de sa religion.

b) Gravité des infractions possibles

Le témoignage le plus utile à cet égard a été celui du Dr McAuliffe, qui nous a particulièrement impressionné en tant qu'expert. Il est évident, d'après le témoignage du Dr McAuliffe, que la longueur de la lame d'un objet n'est pas en soi un critère approprié pour déterminer la capacité offensive de l'objet en question. Un objet à lame tel un kirpan, un couteau X-Acto ou un scalpel de chirurgien peut avoir une lame courte mais suffisamment pointue, tranchante et rigide pour causer un dommage considérable. De même, un kirpan ou un autre objet à lame peut être doté d'une lame d'une longueur supérieure à quatre pouces et être peu susceptible de causer du dommage si cette lame est épointée, émoussée ou peu rigide. Nous souscrivons à l'argument du Dr McAuliffe selon lequel il est ridicule -- pour utiliser le terme qu'il a employé -- de tenir compte seulement de la longueur de la lame lorsqu'on tente d'évaluer le danger que présente un objet à lame particulier.

En outre, il ressort clairement du témoignage du Dr McAuliffe qu'un kirpan doté d'une lame mesurant moins de quatre pouces est susceptible, s'il est suffisamment pointu, tranchant et rigide, de causer des blessures mortelles.

c) Qui assumera le risque?

Bien qu'il soit à tout le moins possible que le porteur soit blessé par son propre kirpan au cours d'une altercation, nous croyons qu'il est tout aussi possible, voire plus probable, que d'autres passagers soient blessés si on sort un kirpan durant une bagarre.

xii) Conclusion relative à l'accommodement

Afin de déterminer si la politique de l'intimée concernant les armes peut être modifiée par mesure d'accommodement envers les Sikhs auxquels elle est préjudiciable, il faut examiner le milieu dans lequel la règle doit être appliquée. À cet égard, nous sommes convaincus qu'un avion représente un milieu unique. Un certain nombre d'individus sont regroupés et doivent demeurer ensemble, dans un espace clos, pendant une période prolongée. Les services médicaux et la police ne sont pas facilement accessibles en cas d'urgence.

La Commission a fait remarquer que les avions renferment toute sorte d'objets (bouteilles de vin, béquilles, cannes, etc.) qui sont admis à bord et qui pourraient être utilisés comme armes. S'il est vrai que ces différents types d'objets pourraient en théorie être utilisés comme armes, nous ne croyons pas, compte tenu du témoignage du Dr McAuliffe en ce qui concerne la capacité offensive des bouteilles de vin, et eu égard à l'exiguïté de l'espace dans lequel des béquilles ou une canne pourraient être brandies, que le risque que présentent ces objets soit comparable à celui que constituent les kirpans.

Contrairement au milieu scolaire en cause dans Pandori, où il existe une relation durable entre l'élève et l'école et, ce faisant, une possibilité réelle d'évaluer la situation de l'individu qui demande l'accommodement, le secteur du transport aérien dessert une population qui se déplace. On traite chaque jour avec un grand nombre d'individus qu'on n'a guère l'occasion d'évaluer. On se souviendra que, dans son témoignage, M. Kinnear a indiqué que le personnel de Canada 3000 préposé à l'embarquement est en contact avec chaque passager durant 45 à 90 secondes.

Nous souscrivons à la prétention de M. Kinnear voulant que, pour être pratiques, les politiques des compagnies aériennes concernant les objets dangereux doivent être simples et faciles à appliquer. La politique doit pouvoir être appliquée par de nombreux individus différents dans les diverses régions du monde. Nous souscrivons également à la prétention du Dr McAuliffe voulant que le couteau de table de Canada 3000 soit une base de comparaison appropriée pour déterminer la capacité offensive d'un objet à lame.

Nous ne pouvons souscrire à l'avis de la Commission selon lequel l'autorisation de kirpans dotés d'une lame d'au plus quatre pouces de longueur constituerait une mesure d'accommodement raisonnable dans le cas des Sikhs. En mesurant le risque que comporterait une telle modification par rapport aux avantages qui en découleraient pour les individus auxquels elle cause un préjudice, nous faisons remarquer qu'il n'y a aucune garantie qu'une telle politique permettrait en fait de composer avec les besoins de tous les Sikhs. Les éléments de preuve dont nous avons été saisis quant aux divergences de vues qui existent au sein de la religion sikh en ce qui concerne la longueur acceptable des kirpans nous amènent à conclure qu'il y aurait probablement des Sikhs pour prétendre qu'un kirpan muni d'une lame de quatre pouces de longueur n'est pas suffisant pour leur permettre de s'acquitter de leurs obligations spirituelles.

En outre, il n'existe aucune raison fondamentale qui milite en faveur de l'autorisation de kirpans dotés d'une lame de trois pouces et demi à bord d'un avion et de l'interdiction de ceux munis d'une lame de quatre pouces et demi, de cinq pouces ou de six pouces. L'avis de la Commission voulant que l'on se fonde sur une règle fixant la longueur limite de la lame des kirpans à quatre pouces est basé sur l'application d'une règle similaire dans certains segments de l'industrie du transport aérien et sur le fait que son application est recommandée par Transports Canada. Toutefois, le témoignage de M. Marriott donne à croire que la décision de fixer la limite à quatre pouces a été arbitraire et n'est fondée sur aucune preuve quant à la capacité offensive des lames d'une certaine taille par rapport à d'autres.

À notre avis, une mesure d'accommodement raisonnable doit être vraiment raisonnable. À la lumière de la preuve que nous avons devant nous, et compte tenu des motifs mentionnés ci-dessus, nous ne pouvons conclure que la modification de la politique de l'intimée concernant les armes et les objets dangereux de façon à permettre d'amener à bord des avions de Canada 3000 des kirpans dotés d'une lame d'au plus quatre pouces est une façon raisonnable de composer avec les besoins et aspirations spirituels des membres de la communauté sikh.

Nous sommes d'avis que les cas où un membre de la religion sikh a utilisé un kirpan comme arme offensive ne sont pas courants, que ces agissements sont contraires aux enseignements de cette religion et que la communauté sikh les déplore; toutefois, de tels incidents se produisent. La probabilité relativement faible que des incidents de ce genre surviennent à bord d'un avion doit toutefois être examinée à la lumière des conséquences possiblement mortelles qu'ils pourraient avoir, ainsi que du fait que d'autres individus que ceux du groupe pour lequel la mesure d'accommodement est nécessaire pourraient en subir les conséquences.

Toutes les activités auxquelles on s'adonne dans la vie, notamment les voyages en avion, comportent un certain niveau de risque. Il peut s'avérer nécessaire d'accroître quelque peu le niveau de risque du point de vue de la sécurité publique afin de permettre à chacun de nous de pouvoir vivre dans une société multiculturelle. Toutefois, à notre avis, l'intimée a démontré que la présence à bord de ses avions de kirpans susceptibles d'infliger des blessures plus graves que les couteaux de table utilisés par Canada 3000 présenterait, sur le plan de la sécurité publique, un risque suffisant pour constituer une contrainte excessive.

V NÉCESSITÉ D'UNE RÈGLE UNIFORME

Il ressort clairement du formulaire de plainte de M. Nijjar et de son témoignage que sa frustration découle dans une large mesure du fait qu'il a fait de bonne foi des efforts pour se conformer à la règle, telle qu'il la comprenait, en faisant l'acquisition d'un kirpan doté d'une lame d'une longueur inférieure à quatre pouces et que, malgré cela, il n'a pu monter à bord. Sa frustration est tout à fait compréhensible et ne fait que souligner la nécessité que l'industrie du transport aérien se dote d'une norme uniforme en ce qui a trait aux kirpans. Bien sûr, ce besoin cadre précisément avec la recommandation de Transports Canada concernant la règle de quatre pouces. À notre avis, il serait fort utile que Transports Canada mène de plus amples consultations auprès de l'industrie du transport aérien, de la communauté sikh et des experts, y compris les médecins légistes, en vue d'établir une norme uniforme qui répondrait mieux aux besoins de la communauté sikh tout en ne présentant pas un risque inacceptable pour la sécurité du public.

VI ORDONNANCE

Pour les motifs énoncés ci-dessus, cette plainte est rejetée.

Datée ce 23e jour de juin 1999.


Anne L. Mactavish

Shirish Chotalia

Mukhtyar Tomar

1. La « règle des quatre pouces » qui s'applique aux objets à lame est énoncée dans une directive non exécutoire qui a été établie par le Comité de la sécurité de l'Association du transport aérien du Canada et dont l'application est recommandée par Transports Canada. La règle des quatre pouces, qui est appliquée par un certain nombre de compagnies aériennes au Canada, est analysée plus en détail plus loin dans la présente décision.

2. Paragraphe 3(1) de la LCDP.

3. R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la page 337.

4. Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears Limitée,[1985] 2 R.C.S. 536, à la page 551.

5. Commission des droits de la personne de l'Alberta c. Central Alberta Dairy Pool et autres, [1990] 2 R.C.S. 489, à la page 515.

6. Pièce R-10.

7. Banque Toronto-Dominion c. Commission canadienne des droits de la personne et Association canadienne des libertés civiles, [1998] 4 C.F. 205 à la page 274, par le juge Robertson, J.C.A.

8. Banque Toronto-Dominion, supra, note 5, à la p. 276, par le juge Robertson, J.C.A., et à la p. 290, par le juge McDonald, J.C.A.

9. Pièce R-18.

10. Il existe une controverse à savoir si les termes « Sikh Amrit-dhari » et « Sikh Khalsa » sont vraiment synonymes. Aux fins de la présente décision, il n'est pas nécessaire de tirer la chose au clair et les deux termes sont utilisés de façon interchangeable.

11. Les Sikhs Kes-Dhari ne se coupent pas les cheveux et sont susceptibles d'observer d'autres éléments parmi les cinq K, dont le port du kirpan. Toutefois, ils ne se sont pas soumis à l'amrit.

12. À cet égard, le libellé de l'article 5 de la Loi peut être comparé avec celui de l'article 10, qui interdit d'établir, par rapport à l'emploi, des lignes de conduite fondées sur un motif de distinction illicite et susceptibles d'annihiler les chances d'emploi d'un individu ou d'une catégorie d'individus.

13. Affaire Funk et Commission du travail du Manitoba (1976) 66 D.L.R. (3e) 35 à 37 (C.A. du Manitoba).

14. Transcription, pp. 215-222.

15. Central Okanagan School District no 23 c. Renaud (1992), 16 C.H.R.R. D/425 à 432.

16. Central Alberta Dairy Pool, supra, note 3 à la p. 521.

17. Woolverton c. B.C. Transit (1992), 19 C.H.R.R. D/200 à D/214.

18. La Loi sur le transport aérien rend les transporteurs aériens responsables des dommages subis par les passagers lorsqu'ils sont à bord d'un aéronef.

19. Pièce R-1.

20. Pièce R-28, onglet 2, et pièce R-38, paragraphe 52.

21. (1990), 12 C.H.R.R. D/364, confirmée (1991), 14 C.H.R.R. D/403.

22. (1981), 2 C.H.R.R. D/459.

23. (1992), 19 C.H.R.R. D/200.

24. Décision non publiée, Tribunal des droits de la personnel de la C.-B., 11 mai 1999.

25. [1982] 1 R.C.S. 202.

26. Dans les affaires de discrimination directe, l'analyse portera sur l'ensemble des personnes soumises à la règle tandis que, dans les affaires de discrimination indirecte, elle portera strictement sur les individus lésés en raison d'un motif de distinction illicite, la règle étant admise dans son application générale.

27. Tarnopolsky et Pentney, Discrimination and the Law, à la p. 7-50.19. Voir aussi Thwaites c. Canada (Forces armées canadiennes) (1993), 19 C.H.R.R. D/259, confirmée (1994), 21 C.H.R.R. D/224.

28. Selon M. McLeod, la consommation d'alcool chez les Sikhs est un sujet très controversé. Il a fait observer que les Sikhs qui observent strictement les croyances estiment que celles-ci leur interdisent de consommer de l'alcool. Toutefois, comme beaucoup d'autres aspects de la doctrine religieuse, cet aspect prête à différentes interprétations. M. McLeod écrit : « Les Sikhs (particulièrement ceux des villages) sont reconnus comme des buveurs de boissons fortement alcoolisées et avoueront volontiers le fait que l'alcool représente pour eux un important moyen de relaxation. On peut ici aussi citer les écritures pour prouver l'une ou l'autre thèse, le sens réel de chaque passage dépendant de la nature de son interprétation herméneutique. Cependant, il existe relativement peu d'analyses exégétiques en ce qui concerne l'alcool, si ce n'est de la part de quelques opposants. La grande majorité des Sikhs préfèrent simplement boire leur alcool et ne pas être ennuyés par des tentatives pour en défendre la consommation. ». [Traduction] Pièce HR-9, Sikhism, p. 215.

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