Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier no T503/2098
Décision no 1

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C., 1985, c. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS DE TÉLÉPHONE,
SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS,
DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER,
FEMMES-ACTION

Les plaignants

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

et

BELL CANADA

L'intimée


DÉCISION SUR LES REQUÊTES 1, 2 et 3


TRIBUNAL :

J. Grant Sinclair, c.r. Président
Pierre Deschamps Membre

L'intimée, Bell Canada, a présenté six requêtes préliminaires, dont trois ont été entendues par le Tribunal à compter de la semaine du 3 août 1999. Vous trouverez ci-après la décision du Tribunal concernant les requêtes 1, 2 et 3.

Première requête

Dans cette requête, Bell réclame trois ordonnances du Tribunal. Premièrement, que les plaintes X-00344 et X-00372 ont été abandonnées. Deuxièmement, que les plaintes X-00417, X-00460, X-00469 et X-00456 sont nulles parce qu'elles ont été déposées plus d'un an après que la pratique discriminatoire alléguée ait eu lieu. Troisièmement, Bell demande des précisions sur le moment où la pratique discriminatoire alléguée dans la plainte X-00455 s'est produite.

En ce qui concerne la première décision réclamée, les faits sont que les plaintes X-00344 et X-00372 ont toutes deux été modifiées. Mais ce sont les plaintes d'origine qui ont été soumises au Tribunal et non les plaintes modifiées. Bell argumente que le Tribunal n'a pas juridiction à entendre les deux plaintes originales, étant donné qu'elles ont été abandonnées.

Si abandonner signifie renoncer complètement ou avant échéance, tel n'est pas le cas de ces deux plaintes. La preuve devant nous indique que ces plaintes ont été modifiées de façon à augmenter le nombre d’emplois de comparaison spécifiés de un à plusieurs. Les plaintes modifiées indiquaient que celles-ci étaient des modifications aux plaintes originales. Cela n'indique pas un abandon, mais plutôt une intention de procéder avec les plaintes originales, bien que sous une forme révisée.

De plus, il n’est pas évident pourquoi Bell apporte un tel argument à ce stade. Nous émettons ce commentaire suite aux commentaires de la Cour d'appel fédérale dans SCEP & ACET c. Bell Canada. Dans cette décision, la Cour d'appel fédérale a souligné que ce débat stérile aurait pu être évité n'eut été la piètre administration de la Commission. De toute façon, la Cour a jugé que cette erreur (pour employer le terme de l'avocat de Bell) n'a causé aucun préjudice à Bell, sachant depuis le début de quelles plaintes il s'agissait.

Nous sommes d'avis que la présente affaire ne concerne pas un abandon mais plutôt constitue une question de modification. Cette dernière question reste à être traitée.

En ce qui concerne la question de recevabilité, la position de Bell est que la Commission n'a pas reporté la limite de temps. C'est ainsi que quatre des plaintes sont prescrites.

À notre avis, la réponse à l'argument de Bell est relativement simple. La preuve contenue dans le rapport d'enquête révisé indique que les plaintes présentent un caractère permanent et systémique. Par conséquent, la limite de temps prévue à l'article 41(e) de la Loi n'est pas échue. Nous comprenons que le Tribunal n'est lié par aucune des conclusions du rapport d'enquête révisé. Néanmoins, compte tenu de notre connaissance des faits jusqu'ici, nous acceptons la logique de cette position.

Nous estimons également que nous sommes liés par la décision de la Cour d'appel fédérale dans SCEP & ACET c. Bell Canada. Dans cette cause, la Cour a jugé que la décision de la Commission à l'effet que les plaintes ne sont pas prescrites est irréfutable eue égard aux faits de la cause. La Cour d'appel fédérale a également noté, se référant à AFPC c. Canada (min. de la Défense nationale), qu'une discrimination systémique, telle qu'alléguée dans la cause SCEP & ACET, par sa nature même se prolonge.

Enfin, quant au moment où les pratiques discriminatoires alléguées par Femmes-Action se sont produites, il semblerait, tant d'après la décision de la Cour d'appel fédérale dans SCEP & ACET que d'après le rapport d'enquête qu'elles aient commencé le 23 novembre 1992 et qu'elles se poursuivent. Femmes-Action doit confirmer dès maintenant par écrit à Bell que cette date est la bonne.

Nous concluons que la première requête doit être rejetée.

Deuxième requête

Dans cette requête, Bell réclame une ordonnance rejetant les plaintes comme étant nulles par manque de précision ou par manque des éléments essentiels à une plainte valide. Faute de quoi, Bell réclame que la Commission ou les plaignants fournissent des détails tel qu'énoncé dans l'annexe A de la requête.

Selon l'interprétation que fait Bell de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (aux termes de laquelle ces plaintes sont portées), les plaintes devraient spécifier au moins les éléments suivants : l'identification des victimes alléguées de discrimination, les emplois de comparaison et le lieu. Bell allègue que les plaintes ne sont pas suffisamment précises parce qu’il leur manque un, deux ou tous les éléments requis.

Bell reconnaît qu'au moins deux des plaintes peuvent être corrigées, puisqu'il ne leur manque qu'un des éléments essentiels. Cependant, il semblerait que les cinq autres soient irrecevables.

La réponse de la Commission et des syndicats plaignants est que ces questions ont été résolues par la Cour d'appel fédérale et que le droit de Bell de les soulever à nouveau est prescrit en raison de la chose jugée et de l'irrecevabilité de l'argument. Ils soulignent également le fait que les parties ont été engagées dans un processus prolongé et intense pour résoudre le sujet des plaintes. Bell et les syndicats étaient des partenaires égaux dans la production du rapport final du Comité conjoint sur l'équité salariale du 23 novembre 1992. De nombreux échanges sont intervenus entre la Commission et Bell lors de l'enquête de la Commission sur les plaintes. Le résultat de ce processus est le rapport d'enquête révisé, en date du 14 novembre 1995. Ces deux rapports ont été déposés comme pièces dans cette requête.

La Commission et les plaignants affirment que le processus menant à ces deux rapports, les rapports eux-mêmes ainsi que les formulaires de plainte concourent à fournir à Bell une connaissance étendue des détails des plaintes. C'est pourquoi il n'y a pas lieu de rejeter les plaintes ni de fournir des détails additionnels.

Nous avons lu un certain nombre d'autorités fournies par les parties concernant la suffisance d'un formulaire de plainte et le besoin de précisions. Les propositions suivantes peuvent être extraites de ces causes. Il n'y a pas de formulaire ou de contenu particulier de prescrit pour une plainte. L'article 40(1) de la Loi édicte seulement que la plainte soit rédigée sous une forme acceptable à la Commission.

Une plainte aux termes de la Loi n'est pas comparable à un acte d'accusation dans une cause criminelle. Rien dans la Loi n'entraîne la conclusion qu'un seul document appelé plainte officielle est rejeté ou accepté de par sa présentation, de la même façon qu'un acte d'accusation aux termes du Code criminel.

Les causes indiquent également que, lorsque l'on détermine si les plaintes sont suffisamment détaillées, l'on peut examiner d'autres sources que le formulaire de plainte, tels que la correspondance ou d'autres échanges entre les parties; les rapports d'enquête; les pièces au dossier y compris les notes d'enquêteurs et les sommaires des efforts de recherche de données et de conciliation des agents enquêteurs.

Nous estimons que les plaintes, le rapport final du Comité conjoint d'équité salariale et le rapport d'enquête révisé doivent tous être considérés comme des sources de renseignements et de détails à l'appui des plaintes. Nous avons conclu, nous basant sur nos connaissances et notre compréhension des plaintes jusqu'ici, de même que de notre examen de ces documents que suffisamment d'information s’y retrouve afin de renseigner Bell sur la cause qu'elle a à défendre. Il y a également le fait que Bell a participé étroitement au processus d'équité salariale depuis un certain temps.

Il se peut, si et lorsque les plaintes seront entendues, que Bell estime avoir besoin de renseignements supplémentaires lors de l'instruction. Si tel est le cas, une demande de renseignements pourra être formulée.

Ayant conclu, comme nous l'avons fait sur cette requête, il n'y a pas lieu de répondre aux arguments de la chose jugée et de l'irrecevabilité.

La deuxième requête est rejetée.

Troisième requête

Dans cette requête, Bell Canada réclame une décision voulant que les syndicats ne soient pas qualifiés pour agir aux termes de l'article 40(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Bell allègue dans sa demande que les syndicats ne sont pas des individus ni un groupe d'individus aux termes de cet article et qu'aucune victime alléguée de discrimination n'a autorisé les syndicats à porter plainte aux termes de la Loi.

La réponse de la Commission et des syndicats des plaignants aux arguments de Bell et que les syndicats constituent des groupes de personnes pour les fins de l'article 40(1) de la Loi. De plus, cette question a déjà été tranchée par la Cour d'appel fédérale et par conséquent, les arguments de la chose jugée et de l'irrecevabilité s'appliquent.

Quant à la question de la qualité d’agir, la position de Bell est que la Loi ne comporte pas de disposition autorisant spécifiquement un syndicat à porter plainte en discrimination. À l'appui de cet argument, Bell cite divers rapports annuels (1987-91) de la Commission où celle-ci recommande que la Loi soit modifiée de façon à permettre aux syndicats de loger des plaintes. De plus, Bell allègue que l'histoire de la législation du travail démontre que pour qu'un syndicat ait le pouvoir de poser certains gestes, ce pouvoir doit lui être expressément conféré par la Loi. Bell argumente également qu'un syndicat est complètement séparé et distinct de ses membres.

Les syndicats et la Commission, bien sûr, sont en désaccord avec Bell. Ils allèguent qu'en appliquant les outils convenables d'interprétation des lois dans le contexte des droits de la personne, les syndicats sont des groupes d'individus pour les fins de l'article 40(1) de la Loi. Ils allèguent que dans ce cas, les syndicats doivent être considérés comme une association volontaire d'individus et ne sont qu'un véhicule par lequel les droits individuels sont protégés.

Le Tribunal est d'avis que la Loi doit être interprétée de façon libérale et intentionnelle. Tel que l'affirme Driedger, dans un contexte des lois sur les droits de la personne, les doutes sur l'interprétation, s’il y a lieu, doivent être résolus de manière à faciliter le but général de la loi, qui est la prorequête et la protection des droits.

À notre avis, une interprétation libérale et intentionnelle de la Loi appuie la conclusion qu'un syndicat se portant à la défense des droits de l'individu par opposition aux droits collectifs peut être considéré comme un groupe d'individus aux termes de l'article 40(1) de la Loi.

Nous n'avons pas à traiter la question de la chose jugée ou de l'irrecevabilité. En plus, nous n'avons pas à trancher la question du consentement des membres du syndicat.

La troisième requête est rejetée.

DATÉ ce 29e jour de novembre 1999 à Ottawa, Ontario.


J. GRANT SINCLAIR,
Président

Pierre Deschamps,
Membre
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.