Tribunal canadien des droits de la personne

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Numéro de dossier: T5O3/2098

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

CONTRE :

ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS DE TÉLÉPHONE,

SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER

ET FEMMES-ACTION

Plaignants

-et-

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

-et-

BELL CANADA

Intimée

DÉCISION PROVISOIRE

TRIBUNAL : J. Grant Sinclair, c.r. Président

ONT COMPARU :

Avocats de Bell Canada
M. Roy Heenan
M. Peter Blaikie
M. Guy Dufort
Mme Elizabeth Camire

Avocats pour le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier
M. Peter Engelmann
Mme Lise Leduc

Avocats pour la Commission canadienne des droits de la personne
M. René Duval
Mme Julie Beauchemin

Avocats pour l'Association canadienne des employés de téléphone
M. Bernard Fishbein
Mme Judith King

Avocats pour Femmes-action
M. Alain Portelance
Mme Michèle Brouillette

Dates et lieu de l'audience : Le 27 janvier et les 12 et 13 mars 1999

Ottawa (Ontario)

Historique :

La question à résoudre est de savoir si le présent Tribunal doit tenir une audience pour examiner plusieurs plaintes déposées contre Bell Canada par les plaignants au cours de la période s'échelonnant de 1990 à 1994. Ces plaintes ont été déposées au nom de membres des plaignants qui sont tous des employés de Bell. Selon ces plaintes, Bell verse à ses employées occupant certains postes un salaire inférieur à celui des employés qui exercent des fonctions équivalentes, ce qui va à l'encontre de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personnel(1).

En mai 1996, la Commission a demandé au Président du Tribunal canadien des droits de la personne d'instituer un tribunal pour examiner ces plaintes.

Le 14 juin 1996, Bell a présenté à la Cour fédérale une demande de révision judiciaire de la décision de la Commission de soumettre les plaintes à un tribunal. Dans une décision rendue le 17 mars 1998(2), M. le juge Muldoon de la Section de première instance de la Cour fédérale a annulé la décision de la Commission d'exiger un tribunal. Les plaignants (la Commission agissant à titre d'intervenant) ont porté cette décision en appel devant la Cour d'appel fédérale. Dans sa décision du 17 novembre 1998, la Cour d'appel fédérale a admis l'appel et a rétabli la décision de la Commission(3). Le 14 janvier 1999, Bell a demandé l'autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada. Cette demande d'autorisation d'appel est pendante.

Dans l'intervalle, le 7 août 1996, le Président du Tribunal a institué un tribunal composé de trois personnes (le Tribunal Leighton) en vue d'examiner les plaintes déposées contre Bell. Bell a présenté plusieurs requêtes à ce tribunal, dont une selon laquelle le tribunal ne devrait pas tenir d'audience car il n'était pas indépendant et ne pouvait pas offrir à Bell une audience impartiale.

Le Tribunal Leighton a rejeté toutes les requêtes présentées par Bell, dont celle relative à l'indépendance(4). Bell a demandé une révision judiciaire de ces décisions. .

Les demandes de révision judiciaire ont été entendues par le juge McGillis de la Section de première instance de la Cour fédérale. Dans sa décision du 23 mars 1998(5), le juge McGillis a conclu que le Tribunal n'avait pas l'inamovibilité et la sécurité financière nécessaires pour un Tribunal des droits de la personne, et elle a ordonné qu'aucune autre procédure ne soit entamée dans cette affaire tant que les problèmes cités dans sa décision concernant l'inamovibilité et la sécurité financière n'auront pas été corrigés au moyen de modifications apportées à la Loi.

Les plaignants et la Commission ont porté la décision du juge McGillis en appel. Cet appel sera entendu en juin 1999.

En novembre 1998, à la suite de la décision de la Cour d'appel fédérale, les avocats de la Commission et des plaignants ont envoyé une lettre au registraire du Tribunal demandant au Président du Tribunal de désigner un comité et de fixer des dates d'audition des plaignants. Bell a répondu qu'il n'y aurait pas d'audition tant que la demande d'autorisation d'appel présentée à la Cour suprême n'aurait pas été entendue. De plus, Bell a invoqué que les problèmes mentionnés dans les raisons motivant la décision du juge McGillis n'avaient pas été résolus par les modifications apportées récemment a la Loi.

En mars 1999, à la suite de concours de requêtes des parties, le Tribunal a tenu une audience au cours de laquelle les parties ont défendu leurs positions respectives. Cette décision fait suite aux positions adoptées et aux arguments invoqués par les parties.

Position des parties

La position de Bell selon laquelle l'audience ne devrait pas avoir lieu comporte deux aspects. Premièrement, l'indépendance et l'impartialité du Tribunal, deuxièmement, les conséquences de la demande d'autorisation d'appel.

Le premier aspect concerne la question relative à l'ordonnance du juge McGillis et la question à savoir si les problèmes cités dans l'ordonnance ont été réglés suite aux modifications apportées récemment. De plus, la question connexe du pouvoir légal de la Commission, une partie intéressée devant le Tribunal, de publier des ordonnances qui lient le Tribunal. Ce pouvoir de publier des ordonnances, conféré en vertu du paragraphe 27(3) de la Loi, permet à la Commission de définir la mesure dans laquelle et la façon dont toutes dispositions de la Loi s'appliquent; dans le cas présent, il s'agit de l'article 11. La Commission a publié l'Ordonnance sur l'équité salariale, 1986(6).

Quant au deuxième aspect, soit le demande d'autorisation d'appel, Bell a allégué qu'une fois que cette demande est déposée, le paragraphe 65(1) de la Loi sur la Cour suprême prend effet et permet l'arrêt de toutes les procédures. De plus, selon Bell, l'article 11 de la Loi comporte plusieurs dispositions qui devraient être clarifiées ou définies par la Cour suprême. Après quoi, on pourrait probablement régler les plaintes, ou tout au moins en accélérer l'audition. Par respect pour la Cour suprême, cette affaire devrait demeurer pendante tant que la demande d'autorisation d'appel n'aura pas été traitée.

Bien entendu, les plaignants et la Commission prétendent que les modifications apportées à la Loi satisfont aux préoccupations soulevées par le juge McGillis. De plus, si Bell veut arrêter les procédures en attendant que sa demande d'autorisation d'appel soit traitée, et le doit demander à la Cour de le faire en vertu de l'article 65.1 de la Loi sur la Cour suprême(7).

La décision du juge McGillis et la jurisprudence

Le juge McGillis a examiné minutieusement les antécédents du Tribunal, ses liens avec la Commission et les changements apportés à ces liens qui ont donné lieu à la structure institutionnelle du Tribunal au moment où il a entendu les demandes de révision judiciaire de Bell.

Le juge McGillis a également effectué une analyse détaillée des pouvoirs légaux, tout particulièrement ceux de la Cour suprême du Canada, en ce qui concerne la question d'indépendance judiciaire et d'impartialité. Elle a résumé la jurisprudence de la façon suivante : L'exigence d'indépendance judiciaire s'applique aux tribunaux jouant un rôle d'arbitre. Le degré d'indépendance nécessaire varie selon la nature du tribunal, les intérêts en jeu et d'autres indices d'indépendance. Ces principes ont été énoncés dans l'affaire Valente c. La Reine(8) et appliqués ultérieurement à de nombreuses décisions de la Cour suprême(9). Il est important de mentionner que le juge McGillis a reconnu qu'on devrait faire preuve de souplesse lorsqu'il s'agit de tribunaux administratifs. En effet, ce principe a été énoncé dans les causes Valente, Matsqui et Régie des permis d alcool du Québec ou la Cour suprême a reconnu que ces tribunaux ne sont pas nécessairement obligés de fournir les mêmes garanties d'indépendance que les cours supérieures. Le juge McGillis a conclu que ce Tribunal joue un rôle purement d'arbitrage, traitant des droits et des intérêts quasi constitutionnels. À ce titre, un degré d'indépendance plus élevé est nécessaire.

Selon le jugement dans l'affaire Valente et comme on l'a expliqué dans le Renvoi sur les juges, l'indépendance judiciaire repose sur la présence d'une série de garanties objectives ou de caractéristiques essentielles. Il s'agit de l'inamovibilité, de la sécurité financière et de l'indépendance administrative. De plus, une autre exigence doit être respectée. La Cour ou le Tribunal doit être raisonnablement perçu comme étant indépendant. Les caractéristiques essentielles sont nécessaires pour assurer une perception raisonnable d'indépendance.

Pour déterminer s'il y a crainte raisonnable de partialité, on n'a qu'à se poser la question suivante : Qu'est-ce qu'une personne raisonnable et sensée, bien informée, et ayant bien réfléchi à la question, aurait conclu?

Dans l'affaire Katz c. la Bourse de Vancouver(10), la Cour suprême (en confirmant la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique) a étoffé la notion de bien informée. La personne raisonnable ne doit pas uniquement tenir compte de l'acte législatif ou du texte législatif, mais également de la façon dont il est appliqué ou fonctionne en pratique. En d'autres mots, l'expression bien informée signifie qu'il faut connaître les faits et les circonstances opérationnelles. Sinon, la personne sensée peut être sensée, mais non informée.

Le juge McGillis a conclu que le cadre institutionnel du Tribunal n'offrait pas une garantie suffisante d'inamovibilité et de sécurité financière. En vertu de la Loi, la reconduction du mandat d'un membre dont le mandat vient à échéance durant la tenue d'une audience est une décision laissée uniquement et exclusivement à la discrétion du ministre de la Justice. Selon le juge McGillis, l'inamovibilité dans le cas d'un Tribunal des droits de la personne exige que le membre du Tribunal ait le droit de terminer les affaires dont il est saisi sans que les autorités législatives n'interviennent. La capacité de terminer l'audience ne devrait pas être une décision laissée a la discrétion du ministre. Ce manque d'inamovibilité soulèverait une crainte raisonnable de partialité dans l'esprit d'une personne raisonnable et très bien informée.

En ce qui concerne la garantie de sécurité financière, en vertu de la Loi, la Commission fixait les taux de rémunération des membres du Tribunal. La Commission est invariablement une partie intéressée devant le Tribunal. De plus, la Commission avait approuvé des changements apportés à la rémunération des membres du Tribunal et cette situation avait entraîné des négociations entre la Commission et le Tribunal, une partie au litige devant le Tribunal.

Le juge McGillis a conclu que ces accords financiers conclus entre le Tribunal et la Commission nuisaient à l'apparence d'indépendance. Encore une fois, une personne raisonnable informée, tenant compte de tous les faits, éprouverait une crainte raisonnable de partialité.

Quant à la question d'indépendance administrative, le juge McGillis a examiné les changements apportés aux dispositions administratives conclues entre le Tribunal et la Commission au cours des dernières années, et elle est convaincue que le Tribunal jouit actuellement d'une indépendance administrative suffisante en ce qui concerne l'exercice de ses fonctions judiciaires.

Le juge McGillis n'a tiré aucune conclusion pour ce qui est du pouvoir de publier des ordonnances de la Commission. Elle a cependant laissé entendre que tout problème éventuel pourrait être éliminé en permettant à la Commission de publier des ordonnances qui ne lient pas le Tribunal.

Les questions

À mon avis, compte tenu de la décision du juge McGillis, les questions auxquelles il faut répondre sont les suivantes :

  • Les problèmes cités dans les raisons fournies par le juge McGillis ont-ils été corrigés par les modifications apportées à la Loi;
  • Est-ce que le pouvoir de publier des ordonnances liant le Tribunal que détient la Commission crée une perception de partialité de la part du Tribunal.

Dans l'argument présenté, Bell a fait allusion à d'autres aspects du cadre institutionnel qui, selon elle, avaient une incidence sur l'indépendance du Tribunal. Parmi ces aspects, mentionnons le statut à temps partiel ou sur une base journalière des membres du Tribunal, leur affectation à des causes sur une base spéciale, l'exigence de conclure des accords financiers spéciaux entre le Tribunal et le Conseil du Trésor en ce qui concerne les audiences qui doivent durer plus de quarante jours et le manque de restrictions législatives s'appliquant aux membres actuels ou antérieurs du Tribunal agissant à titre de conseillers.

Ces arguments donnent encore une fois une certaine impression de déjà vu. Ils ont été invoqués devant le Tribunal Leighton et devant le juge McGillis. À mon avis, ces questions et leur incidence sur l'indépendance du Tribunal n'ont pas a être débattues a nouveau. Une décision à ce sujet a déjà été rendue par la Cour fédérale. La décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire M.N.R. c. Chevron Resources Limited(11) (et dans les causes citées aux pages 55 à 57 de cette décision) vient appuyer cette conclusion. En parlant au nom de la Cour, le juge Noël a déclaré ce qui suit : À mon avis, la position du mis en cause selon laquelle les seules questions qui ont été déterminées de façon concluante sont celles pour lesquelles une décision précise a été rendue ne peut être soutenue si la doctrine de la chose jugée, pour autant qu'elle interdit d'autres recours relativement à des questions connexes mais non réglées, s'applique(12).

Inamovibilité

Les modifications apportées a la Loi sont entrées en vigueur le 1er juillet 1998. Ces modifications constituaient le Tribunal canadien des droits de la personne composé de quinze membres dont un président et un vice-président qui peuvent être nommés par le gouverneur en conseil. Le président et le vice-président sont des membres du Tribunal à plein temps, et leur mandat ne peut excéder une période maximale de sept ans. Les autres membres peuvent occuper leur fonction à plein temps ou à temps partiel et leur mandat ne peut excéder trois ans. Ils occupent tous une charge a titre inamovible. Le président peut être l'objet d'une révocation motivée, et le vice-président et les membres peuvent faire l'objet de mesures disciplinaires et de mesures correctives comme la Loi le stipule. La Loi ne comporte aucune disposition s'appliquant aux membres dont le mandat prend fin durant la tenue d'une audience. Dans des situations semblables, le membre du Tribunal peut terminer l'audience, avec l'approbation du président. Ainsi, la décision relative au droit d'un membre du Tribunal de terminer l'audience n'est plus laissée à la discrétion du ministre. Le membre du Tribunal peut terminer la tâche sans l'intervention du pouvoir exécutif ou législatif.

À mon avis, cette modification résout les problèmes mentionnés dans les raisons fournies par le juge McGillis. Cependant, Bell n'accepte pas qu'il s'agit là d'une garantie suffisante d'inamovibilité.

Bell prétend qu'un membre est toujours redevable au président pour terminer la cause. La question est la suivante : Est-ce qu'une personne sensée et informée éprouverait une crainte de partialité? Ma réponse est non.

Étant donné que les modifications ont été apportées récemment, la pratique du Tribunal en ce qui concerne l'approbation du président n'a pas encore été mise au point. Cependant, il y a d'autres facteurs dont il faut tenir compte et qui m'aident à dégager une conclusion. Maintenant, c'est le président, et uniquement le président (non pas le ministre ni le gouverneur en conseil) qui prend la décision. Peut-on supposer que le président agira arbitrairement ou capricieusement ou de mauvaise foi, et qu'il ne permettra pas à un membre de terminer une affaire? Nous ne disposons d'aucune preuve nous permettant de conclure que le président agirait ainsi.

Une personne raisonnable et bien informée saurait que le président ne jouit pas d'un pouvoir discrétionnaire absolu. L'exercice de ce pouvoir discrétionnaire fait appel à la bonne foi et il doit être exercé tout en respectant le point de vue de la loi.

La Loi n'énoncé aucun critère au paragraphe 48.2 (2), mais elle offre un point de vue. Si on posait la question à savoir quelles circonstances devraient orienter l'exercice de ce pouvoir, les éléments énoncés aux alinéas 48.3 (13) (a) à (d) de la Loi fournissent une réponse rationnelle et logique. Une personne sensée et informée de tout ce qui précède en arriverait à la conclusion qu'une garantie suffisante d'inamovibilité est offerte.

Bell s'objecte également aux mesures disciplinaires et correctives s'appliquant au vice- président et aux membres instaurées dans le cadre des modifications. Elle prétend que les membres agiront ou prendront une décision de manière à ne pas déplaire au président.

Certains éléments doivent être mentionnes pour ce qui est du processus d'application de mesures disciplinaires. Ce processus est très hiérarchisé. Ainsi, une seule personne ne peut décider d'imposer des mesures disciplinaires à un membre. Le président ne peut que présenter une demande, le ministre peut donner suite à la demande et la réponse du ministre est conditionnelle aux éléments mentionnés aux alinéas 48.3 (13) (a) à (d); le ministre peut faire une recommandation au gouverneur en conseil qui peut nommer un juge pour mener une enquête, le juge peut tenir une audience complète, présenter un rapport au ministre faisant état de conclusions et de recommandations, le cas échéant, et le juge ne peut que recommander des mesures disciplinaires ou correctives si les éléments énumérés aux alinéas 48.3 (13) (a) à (d) sont présents. Enfin, il appartient au gouverneur en conseil de décider quelle mesure, le cas échéant, doit être prise.

L'essentiel de ces dispositions est qu'un membre du Tribunal ne peut être révoqué que pour motif, et ce uniquement après une enquête judiciaire complète. Ce processus est analogue au processus énoncé dans la Loi sur les juges(13) qui s'applique également aux membres du Tribunal. Les motifs permettant de prendre des mesures sont les mêmes que dans la Loi. Les différences sont les suivantes : c'est le ministre de la Justice ou un procureur général provincial qui amorce le processus et c'est le Conseil canadien de la magistrature qui mène l'enquête. Un juge ne peut être demis de sa charge que par résolution conjointe du Sénat et de la Chambre des communes. Un membre du Tribunal peut être demis de sa charge en vertu d'un décret ou par le gouverneur en conseil. Ce processus concorde avec la proposition formulée dans l'affaire Valente selon laquelle les normes qui s'appliquent aux cours supérieures ne devraient pas nécessairement s'appliquer aux tribunaux. Je conclus que les procédures relatives aux mesures disciplinaires et correctives ne donnent pas lieu à une crainte de partialité.

Sécurité financière

Le juge McGillis s'inquiétait du fait que la Commission, une partie intéressée devant le Tribunal, fixait les taux de rémunération des membres du Tribunal. De plus, une augmentation des taux de rémunération ne pouvait être apportée qu'à la suite de négociations entre le Tribunal et la Commission.

La situation est maintenant différente. Selon les modifications apportées à la Loi, la rémunération des membres du Tribunal est fixée par le gouvernement en conseil au moyen d'un décret. Dans l'affaire Valente, la Cour suprême a rejeté l'argument selon lequel les salaires des juges des cours provinciales devraient être établis par la loi et être imputés au Trésor. La Cour a indiqué qu'aucune de ces deux caractéristiques n'était essentielle à la sécurité financière. Il est acceptable que les salaires de ces juges soient fixés par le gouverneur en conseil et nécessitent des crédits annuels. La méthode de rémunération en vigueur des membres du Tribunal devrait être acceptable.

La question des ordonnances

Il est intéressant de mentionner, et je dis cela en passant, qu'en ce qui concerne cette question, la Commission a adopté la position, a un moment donne dans son argumentation, que l'Ordonnance sur la parité salariale, 1986 ne devrait pas être considérée comme une ordonnance liant le Tribunal. C'est effectivement le cas, même la Commission a le pouvoir en vertu de la Loi d'adopter des ordonnances ayant force obligatoire, et elle l'a exercé.

Par ailleurs, Bell, qui estime que l'obligation que crée l'ordonnance l'empêche d'avoir une audience équitable dans cette affaire, a soutenu énergiquement que les ordonnances lient le Tribunal.

À mon avis, l'Ordonnance sur la parité salariale, 1986 lie le Tribunal. La raison est que l'ordonnance est une législation subordonnée et que les juges doivent l'interpréter et l'appliquer comme toute autre loi. La législation subordonnée vient compléter et particulariser la loi cadre. Cette situation est a l'opposé des directives administratives d'un haut dirigeant dans le cadre d'un processus administratif qui relève de son autorité. Habituellement, ces directives ne lient pas une cour ou un tribunal.

À mon avis, l'expression effet obligatoire figurant au paragraphe 27(3) établit clairement que les ordonnances sont plus que des directives administratives. Ceci correspond a l'énoncé du juge Joyal dans l'affaire Canada c. Alliance de la fonction publique du Canada(14) où il a tenu compte du fait que le Tribunal est lié par les ordonnances en précisant simplement que le Tribunal est lié par la loi dans la mesure où il s'agit d'une loi valide et exécutoire.

Bell a présenté une documentation volumineuse dont des rapports annuels de la Commission et des notes de service émanant de présidents successifs du Tribunal et d'un ministre de la Justice qui recommandaient toutes que le pouvoir de la Commission de publier des ordonnances ayant un effet obligatoire soit supprimé. Ces recommandations venaient appuyer la proposition selon laquelle des personnes raisonnablement informées considèrent que ce pouvoir conféré par la loi de la Commission est préjudiciable à l'indépendance où a l'impartialité du Tribunal.

Dans les années 1990, deux projets de loi ont été présentés au Parlement, soit le projet de loi C-108 (en 1992) et le projet de loi C-98 (en 1997), et le projet de loi S-5 (en 1998) a été présenté au Sénat. Ces trois projets de loi proposaient des modifications a la Loi. Seul le projet de loi S-5 a été promulgué récemment. Le projet de loi C-108 proposait d'abroger les paragraphes 27(3) et 27(4) de la Loi. Cependant, l'Ordonnance sur la parité salariale, 1986 devait demeurer en vigueur. Les projets de loi C-98 et S-5 laissaient les pouvoirs de publier des ordonnances intacts.

Il y a donc, d'une part, un groupe de personnes qui estiment que le pouvoir de publier des ordonnances constitue un problème pour l'indépendance et l'impartialité du Tribunal. D'autre part, un autre groupe, soit les rédacteurs des lois, le Parlement et le Sénat et les Comités, apparemment, ne considérait pas qu'il s'agissait d'un problème.

Les parties, dans leur argumentation, n' ont fourni aucun renseignement quant aux articles de l'Ordonnance qui concernent les plaintes dans cette affaire ni de quelle façon l'ordonnance est appliquée en général ou encore si l'ordonnance sera même mentionnée. Il aurait également été utile que les parties fournissent de l'information sur la façon dont l'ordonnance a été interprétée ou appliquée dans d'autres affaires applicables a l'article 11 de la Loi. Cette information sur le contexte opérationnel de l'ordonnance n' a pas été fournie. Il's'agit peut-être d'une personne sensée, mais cette personne n'est pas correctement informée.

Pour cette raison, on pourrait dire qu'il est prématuré de rendre une décision sur la question de l'ordonnance tant que l'audience n'est pas terminée. Comme l'a fait remarquer le juge Sopinka dans l'affaire Katz, la jurisprudence a eu tendance à tenir compte de la question de partialité institutionnelle une fois que le Tribunal a été nommé ou a en fait rendu son jugement.

Cependant, la personne sensée et informée saurait que le Parlement a choisi de conserver les paragraphes 27(3) et 27(4) dans la Loi et n'a pas suivi les recommandations de la Commission ou des présidents du Tribunal. La personne sensée et informée saurait également que toute ordonnance publiée par la Commission fait l'objet d'un examen systématique et minutieux en vertu de la Loi sur les textes réglementaires(15). L'ordonnance doit être présentée au greffier du Conseil prive. Le greffier doit examiner l'ordonnance de concert avec le sous-ministre de la Justice pour veiller à ce qu'elle soit autorisée par règlement, qu'il n'y ait pas un usage inhabituel ou imprévu du pouvoir légal, qu'elle n'entrave pas des droits actuels et qu'elle ne soit pas incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés ni avec la Déclaration canadienne des droits(16). L'ordonnance doit être publiée dans la Gazette du Canada.

De plus, en vertu de l'article 19 de la Loi sur les textes réglementaires, tous les textes réglementaires rédigés après le 31 décembre 1971 sont renvoyés au Comité mixte permanent du Sénat et de la Chambre des communes sur l'examen de la réglementation(17). Les critères sur lesquels le Comité mixte se fonde lors de l'examen visent, entre autres, à vérifier si un texte réglementaire : n'est pas autorisé par la loi habilitante, n'est pas en conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration canadienne des droits; semble pour une raison ou une autre enfreindre la règle de droit ou n'est pas conforme aux règles de justice naturelle ou porte indûment atteinte aux droits et libertés(18).

Le pouvoir que le Parlement délègue a la Commission permet au Parlement d'étoffer le cadre législatif général énoncé a l'article 11 de la Loi. L'examen du Comité mixte et celui du greffier du Conseil privé offrent au Parlement la possibilité d'examiner et de superviser l'exercice des pouvoirs législatifs qu'il a déléguées à la Commission.

À mon avis, une personne raisonnable se rendrait compte qu'il existe une distance institutionnelle suffisante entre la Commission qui publie des ordonnances et les ordonnances qui deviennent des lois. Les ordonnances ne lient pas uniquement le Tribunal parce que le paragraphe 27 (3) de la Loi le stipule. Les ordonnances ont un effet obligatoire uniquement après avoir été enregistrées en vertu de la Loi sur les textes réglementaires et après avoir franchi les étapes décrites précédemment. Par conséquent, j'en arrive à la conclusion que le pouvoir de la Commission d'adopter des ordonnances liant le Tribunal ne crée pas une crainte raisonnable de partialité.

Demande d'autorisation de Bell d'en appeler devant la Cour suprême

Je suis d'avis qu'il serait très utile d'obtenir des précisions de la Cour suprême sur certaines dispositions de l'article 11 de la Loi. Même si Bell a précisé que la décision de la Cour suprême pourrait être rendue en mars, la Cour n'a pas encore rendu sa décision. Il faut également tenir compte du fait que ces plaintes sont en suspens depuis cinq ans, et même davantage dans certains cas.

Cette affaire est une longue succession de motions de forme et de demandes de révision judiciaire. Malheureusement, la fin ne semble pas être en vue. L'audition de ces plaintes ne devrait pas être ajournée chaque fois qu'une motion est rejetée afin que la décision du tribunal puisse être examinée par une cour supérieure. Même si l'argument de Bell est intéressant, je ne suis pas d'accord pour que l'audience ne se poursuive pas tant que la décision n'aura pas été prise au sujet de la demande d'autorisation d'appel.

Quant à la question à savoir si le jugement de la Cour d'appel fédérale est suspendu en raison de la demande d'autorisation d'appel, l'article 40 de la Loi sur la Cour suprême(19) confère à la Cour suprême un droit d'appel assujetti à une autorisation. Si la demande est acceptée, un avis d'appel doit être signifie et déposé. Il semble que le paragraphe 65 (1) de cette Loi prévoit un sursis d'exécution lorsqu'un avis d'appel a été signifie et déposé, ce qui n'est pas le cas dans la présenté affaire.

Si une partie désire obtenir un sursis d'exécution du jugement porté en appel et que la demande d'autorisation d'appel est en cours, elle doit faire cette demande en vertu de l'article 65.1 de la Loi sur la Cour suprême. À ma connaissance, Bell n'a pas présenté une telle demande. En conséquence, le jugement de la Cour d'appel fédérale n'a pas été suspendu.

Conclusion

Pour toutes les raisons susmentionnées, j'en arrive à la conclusion que le présent Tribunal devrait tenir l'audience relative aux plaintes déposées. Le Tribunal communiquera avec les parties pour fixer des dates en vue de la reprise de l'audience.

Signe à Ottawa ce 26e jour d'avril 1999.

Originale signée par

J. Grant Sinclair

1. SRC 1985, c. H-6 mod.

2. Bell Canada c. ACET et. al., (1998) 98 CLLC 230-004.

3. ACET et al. c. Bell Canada, [1999] 1 CF 113 (CAF)

4. ACET et al. c. Bell Canada, le 4 juin 1997, (TCDP).

5. Bell Canada c. ACET, [1998] 3 CF, 244.

6. SOR/86-1082

7. SRC, c. S-19, art. 1.

8. [1985] 2 SRC 673

9. À titre d'exemple, consulter Canadien Pacifique Limitée c. Bande indienne de Matsqui [1995],1 SRC 3; 2747-3174 Québec inc. c. Régie des permis d'alcool du Québec, [1996],3 SRC 919; Référence à la Public Sector Pay Reduction Act (Île-du-Prince-Édouard), article 10 (1988), 150 DLR (4e) 577 (Renvoi sur les juges).

10. (1995) 128 DLR (4e) 424 (Cour d'appel de la C.-B.) confirmé (1996) 139 DLR (4e) 575 (CSC).

11. [1998]232 N.R. 44.

12. Supra, p. 55.

13. SRC c. J-1, art. 1, articles 63 à 65, et article 69.

14. (1991) 48 F.7:R. 55,58 (CAF), nonpublie, dossier n° A-921-91.

15. 1970, 71, 72, C. 38, article 1.

16. Supra, article 3.

17. Consulter le Règlement du Sénat du Canada, partie X, alinéa 86 (1) d); et le Règlement de la Chambre des communes, e. xiii, alinéa 104 (3) (c).

18. Consulter le premier rapport du Comité mixte permanent d'examen de la réglementation daté du 6 novembre 1997.

19. SRC, c. S-19, art. 1.

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