Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 12/96 Décision rendue le 4 décembre 1996

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C., 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE : SARAH LASLO

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE GORDON

l'intimé

DÉCISION

TRIBUNAL: Daniel Soberman président Norman Fetterly membre Gregory Pyc membre

ONT COMPARU: Fiona Keith, avocate de la Commission canadienne des droits de la personne

Merrilee Rasmussen, pour l'intimé

Darren Winegarden, pour la Federation of Saskatchewan Indian Nations

DATES ET Le 24 juillet 1995, ainsi que LIEU DE du 8 au 11 juillet 1996, L'AUDIENCE : Regina, Saskatchewan

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION

LA PLAINTE

LES FAITS

Exposé conjoint des faits et pièces connexes

Témoignage de Mme Laslo étayé par d'autres éléments de preuve

Résumé de la perception de Mme Laslo au regard du traitement dont elle a fait l'objet

CONCLUSIONS SUR L'EXISTENCE D'UNE PREUVE PRIMA FACIE CONTRE L'INTIMÉ

COMPÉTENCE DU TRIBUNAL

CONCLUSIONS ET DÉCISION

INTRODUCTION

Dans la plainte qu'elle a déposée le 10 août 1989, Mme Sarah Laslo soutient que le conseil de la Bande indienne de Gordon a commis, à son égard, un acte discriminatoire fondé sur le sexe en lui refusant le droit d'occuper un logement sur la réserve de la Bande, en violation de l'article 6 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Une conférence téléphonique préparatoire à l'audience a été tenue le 20 décembre 1994 sous la présidence de M. Keith C. Norton, alors président du Comité du tribunal des droits de la personne. Les dates d'audience ont été provisoirement fixées à la fin de mars 1995. Le 23 janvier 1995, M. Norton a constitué un tribunal de trois personnes chargé d'examiner la plainte.

Le 28 février, l'avocat de l'intimé a demandé l'ajournement de l'audience jusqu'à ce que la Cour fédérale tranche la demande de révision judiciaire de l'intimé fondée sur l'absence de compétence du tribunal découlant de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui précise que la Loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens. L'avocat de la Commission a contesté la requête, alléguant qu'elle était prématurée et que les faits pertinents et les arguments relatifs à la compétence devraient être présentés devant le tribunal.

La question a semblé être résolue au cours d'une conférence téléphonique subséquente, tenue le 8 mars 1995, lorsqu'il a été décidé que l'audience débuterait à Regina, le 24 juillet 1995. L'avocat de l'intimé a convenu de faire en sorte que la requête devant la Cour fédérale procède le plus rapidement possible.

Entre-temps, une autre mésentente est survenue : le 25 avril, l'intimé a demandé à la Cour fédérale d'émettre une ordonnance provisoire pour empêcher le tribunal de procéder à l'audition de la plainte jusqu'à ce que la Cour ait tranché la question de la compétence. Le juge P. Rouleau de la Cour fédérale a rejeté cette requête le 13 juillet 1995. Le 19 juillet, l'intimé a déposé un avis d'appel à la Cour d'appel fédérale. L'intimé a également déposé un avis selon lequel la Federation of Saskatchewan Indian Nations désirait intervenir dans les procédures.

Quoi qu'il en soit, le tribunal a décidé de tenir une audience le 24 juillet. A l'audience, l'avocat de l'intimé a informé le tribunal que l'intimé n'était pas prêt à procéder au fond, mais que les avocats des deux parties avaient convenu de préparer un exposé conjoint des faits qu'ils espéraient pouvoir déposer dans quelques jours; la Cour fédérale pourrait ensuite s'appuyer sur ce document pour examiner la question de la compétence. Les parties ont également consenti à la demande du plaignant de modifier la plainte pour ajouter les motifs de l'état matrimonial et de la race. En dernier lieu, il a été convenu d'accorder à la Federation of Saskatchewan Indian Nations le statut d'intervenant. Compte tenu de ce qui précède, toutes les parties ont consenti à un ajournement sine die.

L'audience devant la Cour fédérale a été fixée au 21 février 1996. Toutefois, les parties n'ont pas réussi à s'entendre sur un exposé conjoint des faits avant la tenue de l'audience. Le juge D.R. Campbell a rejeté la demande de révision judiciaire le 13 mars 1996. Il a conclu que les intimés, c'est-à-dire la plaignante et la Commission dans la présente affaire, ne pourraient invoquer d'arguments valables qu'en présence de conclusions de fait, ce qui nécessiterait l'audition de toute la preuve. Peu de temps après, le tribunal a fixé au 8 juillet 1996 la date de la reprise d'instance à Regina.

2

La semaine précédant la reprise de l'instance, dans une lettre datée du 2 juillet 1996, l'intimé a demandé que :

[Traduction]

le tribunal prenne une décision sur la question de la compétence avant de poursuivre l'audience. Nous reconnaissons que le tribunal pourrait souhaiter entendre la totalité de l'affaire au moment de cette audience, mais nous devons vous informer que la Bande ne participera pas à l'audience avant que la question de la compétence ait été tranchée.

Peu avant la reprise de l'audience, les parties se sont entendues sur un exposé conjoint des faits. Au début de l'audience, l'intimé a présenté sa preuve et ses arguments au sujet de l'absence de compétence, et la Commission y a répondu. Lorsque la plaignante et la Commission ont procédé au fond du litige, les intimés sont demeurés dans la salle d'audience, mais ils n'ont pas répondu et ils n'ont pas participé à cette partie de l'affaire. Plus particulièrement, l'avocat de l'intimé n'a pas contre-interrogé la plaignante, Mme Laslo. Bien que le statut d'intervenant lui ait été accordé, la Federation of Saskatchewan Indian Nations s'est abstenue de participer davantage aux procédures.

LA PLAINTE

Tel que mentionné précédemment, le 10 août 1989, Mme Laslo a déposé une plainte dans laquelle elle a allégué que le conseil de la Bande indienne de Gordon avait commis un acte discriminatoire à son égard en lui refusant le droit d'occuper un logement sur la réserve en raison de son sexe, en violation de l'article 6 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La plainte a été modifiée le 14 juillet 1996 par l'ajout de l'état matrimonial et de la race comme autres motifs de distinction illicite sur lesquels était fondé le refus de lui accorder le logement. Même si la modification a été officiellement déposée après la fin d'audience, l'avis de modification avait été donné plus tôt au tribunal et à l'intimé. La modification ne change pas de façon substantielle la nature de la preuve et des arguments présentés par la plaignante et la Commission.

LES FAITS

La plaignante, Mme Laslo, est une autochtone née sur la réserve de la Bande indienne de Gordon et membre de la Bande. En 1962, à l'âge de 21 ans, elle a rencontré William Laslo et elle a quitté la réserve. Le 11 novembre 1978, elle a épousé William Laslo, un non-Autochtone et, en vertu de la Loi sur les Indiens applicable à l'époque, elle a perdu son statut de membre de la bande 1

1 Une femme qui est membre d'une bande cesse d'en faire partie si elle épouse une personne qui n'en est pas membre, mais si

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Les événements qui suivent sont décrits dans l'énoncé conjoint des faits et les pièces connexes déposées par consentement des parties :

Conformément au projet de loi C-31 qui a reçu l'assentiment du Gouverneur général le 28 juin 1985, mais qui est entré en vigueur avec effet rétroactif au 17 avril 1985, Mme Laslo avait le droit d'être réintégrée à titre de membre de la Bande indienne de Gordon. Dans une lettre datée du 25 octobre 1985, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) l'a informée qu'elle était inscrite au Registre des Indiens tenu au Ministère et qu'elle était également inscrite à titre de membre de la Bande indienne de Gordon.

1. Le 8 novembre 1985, Mme Laslo a demandé par écrit qu'on lui attribue un des logements appartenant à la Bande indienne de Gordon sur la réserve; elle a demandé un logement neuf. Dans une lettre du 23 avril 1986, la Bande lui a répondu que son nom [Traduction] n'avait pas été placé sur la liste des logements prioritaires pour la période de construction 1986-1987, ce qui signifiait qu'un logement ne lui serait pas attribué au cours de cette année.

Il était également signalé dans la lettre que le conseil de la Bande ne présenterait aucune demande en matière d'habitation, c'est-à-dire qu'il ne demanderait pas la subvention additionnelle offerte par le MAINC pour loger les nouveaux requérants réinscrits en application du projet de loi C-31 jusqu'à ce que le comité d'appartenance de la Bande ait élaboré un code d'appartenance et de résidence et que celui-ci ait été ratifié par les membres de la Bande. Néanmoins, la lettre précisait que Mme Laslo pourrait renouveler sa demande l'année suivante.

2. Elle a effectivement renouvelé sa demande pour une maison neuve (date incertaine, aucun document déposé auprès du tribunal) comme en fait foi une lettre du 24 septembre 1986 transmise à Mme Laslo par le chef de Bande de l'époque, M. Wayne Morris. Ce dernier lui a signalé que la Bande :

[Traduction]

est tenue d'établir un Code d'appartenance avant le 28 juin 1987. Nous n'avons pas encore terminé ce document. Lorsque le Code d'appartenance aura été établi [...] il s'appliquera aux membres qui ont le droit de demander à être réinscrits et qui se sont prévalus de ce droit conformément au projet de loi C-31. Jusqu'à ce que cela soit fait, le conseil de la Bande est régi par les modalités et conditions de la loi antérieure. 2 [Les italiques sont ajoutés]

L'obligation de vous fournir les avantages découlant de l'obtention de votre statut d'Indien incombe uniquement au gouvernement fédéral. Si vous avez quelque problème que ce soit, nous

elle épouse un membre d'une autre bande, elle entre dès lors dans la bande à laquelle appartient son mari. S.R. 1985, ch. I-5, art. 14.

2 Il importe de signaler que la lettre du 25 octobre 1985 du MAINC affirmait que Mme Laslo était inscrite à titre de membre de la Bande indienne de Gordon.

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vous suggérons de communiquer immédiatement avec le ministère des Affaires indiennes pour obtenir l'aide et les clarifications nécessaires au sujet de votre statut.

3. Dans une lettre non datée que les parties reconnaissent avoir été transmise à Mme Laslo en 1987, le chef Morris a énoncé ce qui suit :

[Traduction]

Nous ne sommes pas encore en mesure d'inscrire votre nom sur la liste des logements.

Il lui a retourné son chèque et a inclus le document sur la politique de logement en vigueur. Le chef Morris a également ajouté :

[Traduction]

Quoi qu'il en soit, ce chèque n'est d'aucune utilité puisqu'il n'a pas été libellé correctement comme vous deviez le savoir au moment où vous l'avez rédigé. Le tribunal n'a reçu aucune preuve permettant d'établir si cette lettre avait été reçue en réponse à une troisième demande de logement, verbale ou écrite, présentée à la suite de la lettre du 24 septembre 1986 du chef Morris ou s'il s'agissait simplement d'une lettre de suivi à la demande précisée au point 2 ci-dessus.

Le document sur la politique de logement joint à la lettre non datée renferme, entre autres, les énoncés suivants :

[Traduction]

QUI OBTIENT LA PRIORITÉ [...]

6. Pour être admissible à une maison neuve, vous devez avoir demeuré sur la réserve pendant au moins deux (2) ans;

QUI N'OBTIENDRA VRAISEMBLABLEMENT PAS LA PRIORITÉ

1. Les personnes vivant avec une personne non soumise au régime d'un traité.

2. Les personnes visées par le projet de loi C-31 : le ministère des Affaires indiennes a promis des logements aux personnes de cette catégorie; par conséquent, la responsabilité de les fournir incombe au gouvernement.

4. Le 15 juillet 1988, Mme Laslo a présenté une nouvelle demande écrite pour un logement affirmant qu'elle avait des besoins spéciaux parce qu'elle était diabétique et qu'elle souffrait de troubles de vision à l'oeil gauche en conséquence de cette maladie. Cette fois, elle n'a pas demandé une maison neuve, mais seulement une maison.

Le chef Morris lui a répondu par écrit le 26 juillet 1988, soit plus d'un an après la date limite prévue pour l'établissement d'un code d'appartenance de la Bande. Voici ce qu'il a dit :

[Traduction]

en dépit de la sympathie qu'éprouve le conseil pour votre situation, jusqu'à ce jour le ministère des Affaires indiennes n'a pas conclu d'entente avec la Bande indienne de Gordon au sujet du règlement sur la résidence. Le conseil ne peut prévoir les dispositions que renfermera la version finale du code de résidence.

Compte tenu des nouvelles restrictions du ministère en ce qui a trait aux attributions de logements découlant du projet de loi C-31, votre demande occupe la troisième place sur la liste de priorité.

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5. Mme Laslo a présenté une demande de logement dans une lettre datée du 29 décembre 1988 que le bureau de la Bande a reçue le 3 janvier 1989. Cette fois-ci, elle a encore demandé une maison neuve et elle a signalé qu'elle était diabétique et qu'elle devait subir une intervention chirurgicale pour une tumeur au cerveau. Elle a ajouté qu'elle serait reconnaissante de recevoir une réponse dans les plus brefs délais.

La réponse du chef Morris, datée du 14 juillet 1989, renferme ce qui suit :

[Traduction]

Pour donner suite à votre demande, voici les raisons pour lesquelles nous ne pouvons vous attribuer un logement neuf immédiatement :

1) Au cours du présent exercice financier, à tout le moins, aucune subvention d'habitation découlant du projet de loi C-31 n'a été accordée au district Touchwood File Hills qu'Appelle dont fait partie la réserve de Gordon.

2) A l'heure actuelle, la Réserve de Gordon n'a pas encore mis au point un code d'appartenance qui accorderait aux anciens membres les mêmes droits que ceux dont bénéficient les autres membres, mais sans toutefois ouvrir la réserve à l'exploitation rurale, à la colonisation et à l'éventuelle propriété par des non-Autochtones.

Je pense que vous êtes en mesure de comprendre l'étendue et la gravité de la question.

Les deux demandes suivantes de Mme Laslo pour un logement sont subséquentes au dépôt de sa plainte auprès de la Commission des droits de la personne, le 10 août 1989.

6. Dans sa demande suivante, datée du 18 décembre 1989 et estampillée reçue par le bureau de la Bande le 29 décembre 1989, elle a fait valoir qu'elle était cancéreuse et diabétique; elle a demandé une maison neuve. Aucune des parties n'a fourni de preuve établissant qu'une réponse a été envoyée à Mme Laslo ou reçue par elle.

7. Les parties reconnaissent que la dernière demande transmise par écrit par Mme Laslo portait la date du 19 décembre 1990. Elle demandait une maison neuve, citant sa santé défaillante comme motif d'ordre médical. De nouveau, aucune réponse écrite ne figure au dossier, et Mme Laslo ne se rappelle pas en avoir reçue.

Les événements qui suivent sont décrits dans le témoignage de Mme Laslo et certains d'entre eux sont étayés par l'énoncé conjoint des faits et les pièces connexes :

8. Dans son témoignage, Mme Laslo a affirmé qu'elle avait écrit pour demander un logement à deux autres occasions, soit en 1991 et de nouveau en 1992. Elle ne se rappelait pas avoir reçu de réponse à ces demandes. Aucun autre élément de preuve n'a été fourni à cet égard par aucune des parties.

9. A un moment donné en 1992, Mme Laslo ou son fils, Steve Pratt, a demandé au conseil de la Bande que Mme Laslo soit désignée gardienne de la maison de M. Pratt. Les parties conviennent qu'un gardien est un parent ou ami chargé par un membre de la Bande de prendre soin de la maison de ce membre lorsque ce dernier prévoit s'absenter de la réserve pour une période

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prolongée, que ce soit pour des motifs de santé, d'études, de formation ou de travail. La demande doit être approuvée par le conseil de la Bande. Comme en fait foi l'exposé conjoint des faits, le Conseil a approuvé, le 9 novembre 1992, la désignation de Mme Laslo à titre de gardienne, et cette dernière est partie vivre dans la maison de son fils, seule, sans son mari ni aucun autre de ses enfants.

Dans son témoignage, Mme Laslo a expliqué que son fils avait prévu se rendre à Calgary. Toutefois, il semble qu'il ait changé ses plans et qu'il soit demeuré avec sa mère. Elle a signalé que son fils ramenait des amis à la maison la nuit et qu'il buvait. Trois mois plus tard, soit le 11 février 1993, Mme Laslo a écrit au Conseil mentionnant que son fils et ses amis boivent beaucoup et qu'il [Steve] m'expulse de la maison chaque fois qu'il touche sa paie. Elle a demandé qu'on lui attribue un autre logement. Elle ne se rappelle pas avoir reçu de réponse à sa lettre.

Le 23 février 1993, elle a écrit au comité du logement de la Bande pour expliquer qu'elle remettait à Steve Pratt l'entière possession de la maison dans laquelle elle vivait, qu'elle retournait vivre dans son ancienne maison. Cette mesure découlait du fait qu'elle avait été éveillée par son fils et un groupe de ses amis à trois heures du matin; elle a jugé qu'elle devait partir à ce moment-là, même si c'était une nuit d'hiver. 10. Le compte rendu de la réunion du conseil de la Bande indienne de Gordon du 5 avril 1994 mentionne qu'une demande de Mme Laslo, [Traduction] de vivre dans l'ancienne maison d'Isabel McNab est accordée pourvu qu'elle accepte la maison 'telle quelle'. La date de cette demande n'a pas été révélée en preuve. Selon le témoignage de Mme Laslo, la maison se trouvait en très piteux état : il fallait attacher les portes pour qu'elles restent fermées, il y avait environ un pied d'eau dans le sous-sol alors que la salle de bains se trouvait au sous-sol et l'eau des égouts refoulait dans le sous-sol dégageant une odeur nauséabonde. Elle prenait ses repas chez divers voisins. Elle a tenté de nettoyer la maison, mais elle a dit qu'elle ne pouvait plus le supporter. Moins de trois mois plus tard, elle a déménagé, affirmant qu'elle ne pouvait plus vivre là à cause de l'odeur. Ce qui suit est un résumé de la perception de Mme Laslo au regard du traitement dont elle a fait l'objet par le chef Wayne Morris et le conseil de la Bande

Lorsqu'on lui a demandé si elle se rappelait avoir eu une conversation avec M. Morris, avant ou après qu'il lui eut envoyé la lettre non datée (il a été convenu que c'était en 1987) mentionnée au point 3 ci-dessus, elle a répondu qu'elle ne pouvait se rappeler à quel moment sa conversation avec le chef Morris avait eu lieu, mais qu'elle se rappelait d'une conversation téléphonique. Mme Laslo a ajouté :

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[Traduction]

J'ai demandé comment il se faisait qu'il ne m'avait pas inscrite - c'est-à-dire mis mon nom sur la liste - pour un logement à ce moment-là. C'est alors qu'il m'a dit que je ne pourrais obtenir une maison sur la réserve que si mon mari décédait ou si j'obtenais un divorce - c'était la seule façon d'y parvenir.

Son souvenir est cohérent avec sa perception selon laquelle le conseil de la Bande refusait de permettre à son mari de vivre avec elle dans un logement fourni sur la réserve. Cette perception s'est dégagée à plusieurs reprises pendant son témoignage.

Dans le contexte de la demande de logement de 1990, l'avocat de la Commission a interrogé Mme Laslo au sujet de ses relations avec son mari à cette époque. Selon Mme Laslo, [traduction] elles étaient encore bonnes. Nous formions un couple heureux. Lorsqu'on lui a demandé si elle aimerait que son mari vienne vivre avec elle sur la réserve, elle a répondu :

[Traduction]

Si on ne veut pas de lui, je suppose qu'il devra rester à Punnichy [endroit où se trouvait leur maison actuelle] [...]

Néanmoins, lorsqu'un membre du tribunal, M. Fetterly, lui a demandé [...] préféreriez-vous que votre mari soit avec vous, si c'était possible?, Mme Laslo a répondu Oui, je le voudrais. Oui.

Quant à savoir si, en 1992, elle pensait que son mari pourrait venir vivre avec elle dans la maison de Steve Pratt, Mme Laslo a affirmé :

[Traduction]

Bien, j'avais déjà reçu toutes ces lettres affirmant que je ne pouvais emmener mon mari sur la réserve, il était - il était un non-Autochtone.

Nous avons vu que tous les ans, de novembre 1985 à 1992, c'est-à-dire pendant huit ans, Mme Laslo a demandé au conseil de la Bande de lui accorder un logement sur la réserve. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi elle n'avait pas présenté d'autres demandes après 1992, elle a répondu :

[Traduction]

Je me suis dit, à quoi bon. Il était inutile de présenter une demande parce qu'on refusait de reconnaître mes besoins à cet égard, alors pourquoi devrais-je présenter une nouvelle demande.

Lorsque l'avocat lui a demandé, [traduction] quelle incidence a eu sur vous la réception des diverses lettres qui ont été déposées devant le tribunal?, Mme Laslo a répondu :

[Traduction]

Ça m'a beaucoup perturbée - je me sentais exclue, comme si mon propre peuple qui vivait sur la réserve m'avait rejetée. Je ne fais plus partie de la Bande, ni de la collectivité de la réserve.

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Elle a terminé son témoignage en disant :

[Traduction]

Bien, cela concerne le fait de ne pas vivre sur la réserve avec ma famille, j'aimerais vraiment que mon mari vienne vivre ici avec moi, mais c'est difficile, tellement difficile.

CONCLUSIONS SUR L'EXISTENCE D'UNE PREUVE PRIMA FACIE CONTRE L'INTIMÉ

La plaignante et la Commission ont-elles établi, au moyen des faits décrits ci-dessus, une preuve prima facie de discrimination contre la plaignante fondée sur un motif de distinction illicite? A notre avis, l'exposé conjoint des faits, les pièces justificatives et le témoignage de Mme Laslo établissent les faits suivants :

  1. En novembre 1985, Mme Laslo était inscrite à titre d'Indienne et de membre de la Bande indienne de Gordon dans le Registre des Indiens du MAINC.
  2. Les demandes subséquentes de Mme Laslo en vue d'obtenir un logement sur la réserve ont toutes été refusées par le conseil de la Bande. Elle a reçu, notamment, les quatre refus explicites suivants :
    1. lettre du 23 avril 1986;
    2. lettre non datée, mais estimée avoir été reçue dans le courant de 1987;
    3. lettre du 26 juillet 1988;
    4. lettre du 14 juillet 1989. De plus, les lettres de Mme Laslo du 18 décembre 1989 et du 19 décembre 1990 dans lesquelles elle demandait une maison sont demeurées sans réponse. En dernier lieu, l'affirmation de Mme Laslo selon laquelle elle n'a pas reçu de réponse à d'autres lettres écrites en 1991 et 1992 n'a pas été niée par l'intimé.
  3. Voici les motifs fournis par écrit par le Conseil :
    1. le Conseil ne pouvait lui accorder une maison à moins d'obtenir du ministère des Affaires indiennes des subventions additionnelles spéciales destinées à la construction de maisons parce que sa réinscription à titre d'Indienne découlait du projet de loi C-31. En d'autres mots, Mme Laslo n'était pas admissible aux maisons construites à l'aide du financement normal. (lettre du 24 septembre 1986).
    2. la Bande continuerait à appliquer des dispositions de la Loi sur les Indiens antérieures à la mise en application du projet de loi C-31 jusqu'à ce qu'elle adopte un nouveau Code d'appartenance. En d'autres mots, le Conseil continuerait à faire fi des droits que le projet de loi C-31 reconnaissait aux femmes indiennes; (idem)
    3. selon le document sur la Politique de logement que le conseil a transmis à Mme Laslo en 1986, pour obtenir une maison neuve une personne devait avoir vécu sur la réserve pendant deux ans, une condition à laquelle les femmes qui avaient été réinscrites aux termes du projet de loi C-31 ne pourraient vraisemblablement satisfaire; (lettre non datée envoyée à un certain moment en 1987)
    4. la Politique de logement du conseil précisait que les personnes vivant avec une personne non soumise aux traités, n'obtiendraient
  4. 9

    vraisemblablement pas de priorité en ce qui a trait à l'attribution des maisons sur la réserve. (idem)

  5. En dernier lieu, le témoignage non contesté de Mme Laslo établit que le chef Wayne Morris lui a dit qu'elle ne pourrait obtenir un logement sur la réserve que si son mari non-Autochtone mourait ou si elle divorçait de lui.

A notre avis, ces faits prouvent, de façon suffisante, jusqu'à preuve contraire que le conseil de la Bande indienne de Gordon a commis un acte de discrimination prévu à l'article 6 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en refusant d'accorder à Mme Sarah Laslo un logement pour des motifs de distinction illicite, fondés sur son sexe, son état matrimonial et la race de son mari. On ne conteste pas le fait que les Indiens qui épousent une femme non-Autochtone peuvent obtenir un logement sur la réserve et qu'ils peuvent y vivre avec leur conjointe. Compte tenu de ce qui précède, en l'absence de preuve et d'arguments contraires, nous concluons que la plaignante a prouvé sa plainte contre l'intimé, le conseil de la Bande indienne de Gordon.

Même si l'intimé a choisi de ne pas contre-interroger la plaignante ou de réfuter sa plainte par la production d'une preuve, son affirmation selon laquelle il était en mesure de justifier son comportement, affirmation qu'il a faite dans le cadre de sa présentation des faits et arguments relatifs à la compétence du tribunal, est assimilable à une défense au fond. L'intimé a fait valoir que le gouvernement canadien n'avait pas respecté son engagement de fournir des fonds additionnels suffisants pour permettre aux bandes de satisfaire à l'importante augmentation des demandes de logement de la part des personnes réinscrites aux termes du projet de loi C-31. En substance, il a allégué que c'est le défaut du gouvernement canadien de fournir le financement nécessaire pour satisfaire à cette nouvelle demande de logements qui a incité le conseil de la Bande à utiliser des moyens de pression pour forcer le gouvernement à respecter ses promesses, et que le conseil de Bande, dans les circonstances, avait agi de bonne foi. Autrement dit, l'intention du conseil n'était pas de faire preuve de discrimination à l'endroit des femmes réinscrites en application du projet de loi C-31, mais seulement d'exercer des pressions sur le gouvernement.

Toutefois, après que l'inégalité de longue date entre les hommes et les femmes autochtones ait été corrigée par la mise en vigueur du projet de loi C-31, les femmes réinscrites avaient, dès lors, droit à un traitement égal dans les secteurs où sévissait antérieurement l'inégalité. Même si le gouvernement a failli à ses engagements en matière de financement - une assertion qui n'a pas été prouvée devant ce tribunal - le conseil n'était pas, pour autant, fondé d'en rejeter la totalité du fardeau sur les femmes indiennes réinscrites. A notre avis, et selon le principe établi à l'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui consacre le droit de tous les individus [...] à l'égalité des chances [...] indépendamment des considérations fondées sur la race [...] le sexe [ou] l'état matrimonial, il s'agit d'un fardeau qui doit être supporté également par l'ensemble des hommes et des femmes de la communauté. Par conséquent, l'ancien statut des femmes indiennes réinscrites ne devrait pas constituer un facteur lorsqu'il s'agit de déterminer leurs droits relativement à des questions telles que le logement sur les réserves. Si une bande prend en compte l'ancien statut des femmes réinscrites lorsqu'il

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décide de ne pas leur accorder de logement, il commet un acte discriminatoire fondé sur un motif illicite énoncé à l'article 6 de la Loi.

COMPÉTENCE DU TRIBUNAL

Tel que mentionné dans l'Introduction, l'intimé a fait valoir que le présent tribunal n'avait pas la compétence requise pour entendre la plainte de Mme Laslo en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'article 67 de cette Loi est ainsi libellé :

La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.

Dans sa requête devant la Cour fédérale, l'intimé a soutenu que cet article exclut de la révision judiciaire toute décision du conseil de la Bande de Gordon prise en vertu de la Loi sur les Indiens, et que le refus d'accorder le logement à Mme Laslo constituait une telle décision. M. le juge Campbell a rejeté la requête et a déclaré qu'on ne pouvait trancher la question de la compétence avant que le tribunal ait entendu l'ensemble de la preuve relative aux circonstances. Nous avons conclu que l'audience avait révélé une preuve suffisante à cet égard.

Il est bien reconnu que la Loi canadienne sur les droits de la personne occupe une place spéciale dans notre structure constitutionnelle afin de protéger les personnes vulnérables à la discrimination et, par conséquent, toute exception à l'égard de son application doit être interprétée de façon restrictive pour nuire le moins possible aux droits que la Loi protège. 3 Comme on l'a mentionné dans les faits ci-dessus, le conseil de la Bande a pris une série de décisions par lesquelles il refusait d'accorder un logement à Mme Laslo. Conservant à l'esprit les remarques du juge Sopinka à la note en bas de page 3, nous devons nous demander si toutes ces décisions constituaient inévitablement des dispositions prises en vertu de cette loi [Loi sur les Indiens] au sens de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et que, par conséquent, elles échappaient aux dispositions de cette Loi.

Le paragraphe 81(1) de la Loi sur les Indiens précise ce qui suit :

Le conseil d'une bande peut prendre des règlements administratifs, non incompatibles avec la présente loi ou avec un règlement pris par le

3 Dans l'examen de l'interprétation d'une Loi sur les droits de la personne, il faut respecter certains principes spéciaux. Les lois sur les droits de la personne se classent parmi les lois les plus prééminentes. Notre Cour a affirmé qu'une telle loi est d'une nature spéciale. Elle n'est pas vraiment de nature constitutionnelle, mais elle est certainement d'une nature qui sort de l'ordinaire [...] Une des raisons pour lesquelles nous avons ainsi décrit les lois sur les droits de la personne c'est qu'elles constituent souvent le dernier recours de la personne désavantagée et de la personne privée de ses droits de représentation. Comme les lois sur les droits de la personne sont le dernier recours des membres les plus vulnérables de la société, les exceptions doivent s'interpréter restrictivement, juge Sopinka, Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321, à la page 339.

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gouverneur en conseil ou par le ministre, pour l'une ou l'ensemble des fins suivantes :

[...]

i) l'arpentage des terres de la réserve et leur répartition entre les membres de la bande, [...]

p.1) la résidence des membres de la bande ou des autres personnes sur la réserve;

p.2) l'adoption de mesures relatives aux droits des conjoints ou des enfants qui résident avec des membres de la bande dans une réserve. [...]

A notre avis, il est manifeste qu'un règlement adopté conformément à tout paragraphe de l'article 81 susmentionné, constituerait une disposition prise en vertu de la Loi sur les Indiens et qu'il s'inscrirait, par conséquent, dans le contexte de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le seul élément de preuve présenté au tribunal que l'on pourrait associer à un règlement administratif adopté conformément à l'article 81 de la Loi sur les Indiens est le document de Politique de logement de 1987. Toutefois, on ne nous a fourni aucune indication sur l'origine de ce document : on n'a pas établi qu'il a été adopté à titre de règlement administratif. Faute de preuve établissant que d'autres règlements ont été adoptés par le conseil de la Bande à ce sujet, il faut conclure que les décisions du conseil de ne pas attribuer une terre à Mme Laslo n'ont pas été prises en conformité avec l'article 81.

En l'absence d'un tel règlement administratif, le conseil a-t-il la compétence requise pour prendre la décision d'attribuer des logements en application d'autres articles de la Loi sur les Indiens? Deux paragraphes de l'article 20 de la Loi abordent cette question :

(1) Un Indien n'est légalement en possession d'une terre dans une réserve que si, avec l'approbation du ministre, possession de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande [les italiques sont ajoutés] [...]

(4) Lorsque le conseil de la bande a attribué à un Indien la possession d'une terre dans une réserve, le ministre peut, à sa discrétion, différer son approbation [...] [les italiques sont ajoutés]

Il découle nécessairement du texte en italique dans les deux paragraphes précédents que le conseil a la compétence requise pour attribuer des terres en application de la Loi. Autrement, les paragraphes n'auraient aucune signification réelle. A notre avis, cette compétence d'attribuer des terres doit inclure le pouvoir de décider si le conseil peut exercer sa compétence et à quel moment il peut le faire. Cela signifie que le conseil peut choisir parmi les membres de la bande ceux à

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qui il accordera possession d'une terre de la réserve. Si ce n'était pas le cas, le conseil serait tenu d'attribuer systématiquement les terres aux membres de la bande qui en font la demande sans pouvoir exercer aucune discrétion à cet égard. Une telle interprétation serait impraticable, plus particulièrement lorsque le nombre des demandes dépasse le nombre des lots disponibles. Par conséquent, nous sommes d'avis que, par déduction nécessaire, l'article 20 reconnaît la compétence des conseils de bande de décider s'ils doivent ou non attribuer les terres de la réserve; de telles décisions s'inscriraient dans les dispositions prises en vertu de la Loi sur les Indiens.

Il reste à déterminer si une telle décision, quoique prise conformément à l'article 20, s'inscrit également dans la définition du terme disposition tel qu'utilisé à l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission a fait valoir que le terme disposition renvoie uniquement aux actes de nature législative, tels que les règlements et qu'il ne s'applique pas aux décisions particulières comme celles d'attribuer des terres; ces dernières ne sont pas des dispositions. Cette question a été analysée par la Cour fédérale dans l'affaire Desjarlais. 4 Même si la plainte dans cette affaire était fondée sur une décision relative à une cessation d'emploi, Mme le juge Desjardins, exprimant l'opinion unanime de la Cour, a étudié en détail la signification du terme disposition tel qu'utilisé à l'article 67. Il nous semble utile, à ce point-ci, de citer abondamment cette analyse :

Le mot provision du membre de phrase any provision of the Indian Act (la Loi sur les Indiens) renvoie par connotation à la législation, pour faire référence à la fois à la Loi sur les Indiens et aux règlements adoptés en vertu de cette Loi. Cette interprétation se trouve confirmée par la version française.

Le mot provision du membre de phrase or any provision made under or pursuant to [the Indian Act] (et sur les dispositions prises en vertu de cette loi) ne peut avoir la même signification que le premier provision, et il ne peut renvoyer exclusivement à une disposition législative d'application générale ainsi que le prétend l'avocat de la Commission. La version française rend une telle interprétation impossible. Le mot dispositions de cette version pourrait avoir le sens de mesures législatives, mais il connote également les notions de décisions et de mesures, dont la compréhension est très grande. Ainsi les termes or any provision made under or pursuant to that Act désignent-ils plus que les seules stipulations à caractère légal. J'interprète ces mots comme s'étendant à toutes les décisions prises en vertu de la Loi sur les Indiens. [notre soulignement]

[...]

En ce qui concerne l'embauchage et le congédiement de personnel, il n'existe aucun statut administratif régulièrement enregistré sous le régime de la Loi sur les Indiens qui aurait été adopté par [...] [l'intimé]

4 [1989] 3 C.F. 605 (1ère instance)

13 [...]

L'adoption de statuts administratifs n'est toutefois pas le seul mode suivant lequel un conseil de bande peut prendre des décisions sous le régime de la Loi sur les Indiens [...] D'autres dispositions de la Loi indiquent que le conseil de la bande est habilité à prendre des décisions, mais elles ne précisent pas la manière dont de telles décisions doivent être exprimées. Mentionnons à cet égard le paragraphe [...] 20(1) [...] qui concerne l'attribution de terres d'une réserve [...] L'on peut supposer que la procédure énoncée au Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d'Indiens s'applique à de telles décisions. Il ne fait aucun doute, à mon avis, que toute décision prise par un conseil de bande sur le fondement des articles qui précèdent serait prise en vertu de la Loi sur les Indiens. [notre soulignement] 5

Bien qu'il s'agisse de remarques incidentes, les portions soulignées des deuxième et quatrième paragraphes de la citation montrent clairement que la Cour aurait conclu qu'une décision du conseil d'attribuer des terres d'une réserve constituait une disposition prise en vertu de la Loi sur les Indiens et que, par conséquent, elle échappait à la compétence d'un tribunal des droits de la personne, en application de l'article 67.

La Cour a ensuite conclu que, compte tenu des faits dans l'affaire Desjarlais, en l'absence de statuts administratifs régulièrement enregistrés traitant de l'emploi, aucun article de la Loi sur les Indiens ne donnait le pouvoir implicite de congédier la plaignante. Par conséquent, la Cour a décidé que l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne n'empêchait pas la Commission canadienne des droits de la personne d'avoir compétence pour juger la plainte :

Dans l'espèce, la motion du conseil de la bande [...] n'est nulle part autorisée par la Loi sur les Indiens, que ce soit explicitement ou implicitement; en conséquence, cette motion ne constitue pas une des dispositions prises en vertu de cette loi [...] [notre soulignement] 6

Ainsi, la Cour a signalé que si elle avait conclu qu'un article de la Loi sur les Indiens permettait au conseil de la bande d'adopter une motion implicitement - comme elle a conclu que c'était le cas à l'article 20 en ce qui a trait à l'attribution de terre - elle aurait jugé que c'était suffisant pour invoquer l'article 67 de la Loi canadiennes sur les droits de la personne.

Endossant le raisonnement de Mme le juge Desjardins, nous sommes d'avis que les décisions prises par le conseil de la Bande indienne de Gordon concernant l'attribution de terres sont prévues à l'article 20 de la Loi sur les Indiens et qu'elles permettent d'invoquer l'article 67 de la

5 Idem, 608 à 610. 6 Idem, à la page 610

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Loi canadienne sur les droits de la personne, de sorte que les décisions en question ne sont pas visées par l'application de cette dernière Loi.

Cette interprétation de l'article 67 est endossée par le juge Muldoon qui en élargi la portée dans l'affaire Prince v. Dept. of Indian Affairs and Northern Development. 7 Ce dernier a conclu que la décision de l'intimé de ne pas payer les dépenses scolaires additionnelles de la fille de la plaignante s'inscrivait dans la compétence de l'intimé aux termes de l'article 115 de la Loi sur les Indiens et qu'elle constituait, par conséquent, une disposition prise en vertu de cette Loi au sens de l'article 67. Il ajoute également :

[Traduction]

[...] il importe peu de savoir si le ministre et le ministère des Affaires indiennes ont commis ou non une erreur en appliquant les dispositions de la Loi sur les Indiens et en adoptant des politiques fondées sur cette loi [...] [notre soulignement] 8 L'article 67 de la LCDP protège non seulement les dispositions législatives de la Loi sur les Indiens, mais également les actes posés, légalement ou illégalement, par le MAINC en application de la Loi sur les Indiens. [notre soulignement] 9

Ainsi, même les décisions illégales, dans la mesure où elles sont prises en application de la Loi sur les Indiens sont à l'abri d'un examen par le tribunal des droits de la personne. A notre avis, rien ne justifie d'établir une distinction entre les décisions prises par le MAINC sous le régime de la Loi sur les Indiens et celles qui ont été prises par le conseil de la Bande en application de la même loi : l'énoncé du juge Muldoon s'applique également aux deux.

La Commission a fait valoir que, quoi qu'il en soit, la Loi sur les Indiens, telle que modifiée par le projet de loi C-31, [Traduction] ne prévoit pas que ces pouvoirs [conférés par la Loi, y compris le pouvoir d'attribuer des terres aux termes de l'article 20] comprennent celui de défavoriser les femmes visées par le projet de loi C-31 en raison de leur sexe, de leur état matrimonial ou de leur race. [les italiques sont ajoutés]. Cela signifie qu'un conseil de bande, n'est pas habilité, aux termes de la Loi sur les Indiens, à défavoriser les femmes visées par le projet de loi C-31 et que, par conséquent, de telles décisions ne sont pas protégées par l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Cet argument soulève toutefois certaines difficultés. D'une part, comme l'a fait remarquer M. le juge Muldoon, généralement les décisions - mêmes illégales - prises sous le régime de la Loi sur les Indiens s'inscrivent dans les pouvoirs de la bande prévus par la Loi sur les Indiens et elles sont protégées par l'article 67; d'autre part, la Commission fait valoir que si des décisions semblables défavorisent une

7 (1993), 20 C.H.R.R. D/376 (Cdn. H. Rts. Trib.), confirmée le 30 décembre 1994 (non publiée) C.F. (1ère inst.) 8 Idem, décision du juge Muldoon, à la page 13. 9 Idem, à la page 15.

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personne en violation de la Loi telle que modifiée par le projet de loi C-31, elles outrepassent les pouvoirs d'une bande prévus par la Loi sur les Indiens et échappent à la portée de l'exclusion de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette distinction nous semble difficile à accepter : si des décisions illégales s'inscrivent dans les pouvoirs accordés par la Loi, dans la mesure où la Loi autorise la prise de décisions sur le sujet en question, il nous semble incohérent de conclure que des décisions prises sur le même sujet, mais qui sont illégales parce qu'elles contreviennent aux amendements contenus dans le projet de loi C-31, excèdent le cadre de ces mêmes compétences.

Cette distinction n'en devient que plus insoutenable lorsque nous reconnaissons que l'intention de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne est de faire en sorte que les dispositions prises en vertu de la Loi sur les Indiens échappent aux prescriptions de la Loi en matière de non-discrimination. Accepter la distinction proposée par la Commission signifierait que toutes les violations à ces prescriptions continueraient à être protégées par la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf celles qui concernent le projet de loi C-31. D'autre part, lorsque le Parlement canadien a adopté le projet de loi C-31, il n'a pas décidé de révoquer ou de modifier l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le but de restreindre l'exemption générale de la Loi sur les Indiens à des formes de discrimination autres que celles qui peuvent découler de l'adoption des nouvelles dispositions en matière d'égalité. Pour ces motifs, nous rejetons les observations de la Commission sur ce point.

CONCLUSIONS ET DÉCISION

Comme nous l'avons mentionné dans nos Conclusions sur l'existence d'une preuve prima facie contre l'intimé, nous avons conclu que le conseil de la Bande indienne de Gordon a fait preuve de discrimination à l'endroit de Mme Sarah Laslo en violation de l'article 6 de la Loi canadienne sur les droits de la personne lorsqu'il a refusé de lui accorder un logement pour des motifs de distinction illicite fondés sur son sexe, son état matrimonial et la race de son mari.

Toutefois, en ce qui concerne la compétence du tribunal, nous avons conclu que les décisions du conseil de la Bande de ne pas attribuer de logement sur la réserve à Mme Laslo sont prévues à l'article 20 de la Loi sur les Indiens, c'est-à-dire qu'elles ont été prises en application de cet article et que, par conséquent, elles suffisent pour invoquer l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui les soustrait à l'application de ladite Loi. En conséquence, l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne empêche le présent tribunal d'appliquer à ces décisions les prescriptions relatives à la non-discrimination énoncées à l'article 6 de la Loi.

Par conséquent, la plainte est rejetée.

Fait le jour de novembre 1996.

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Daniel Soberman

Norman Fetterly

Gregory Pyc
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