Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 8/ 98 Décision rendue le 6 novembre 1998

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L. R. C. 1985, chap. H- 6, (version modifiée)

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

SURENDAR SINGH le plaignant

- et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE la Commission

- et

STATISTIQUE CANADA l’intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : Anne L. Mactavish Présidente Peggy Blair Membre Athanasios Hadjis Membre

ONT COMPARU : Prakash Diar Procureur de la Commission canadienne des droits de la personne Surendar Singh Pour son compte Josephine Palumbo Procureure de Statistique Canada

DATES ET LIEU DE L’AUDIENCE : Du 5 au 8 janvier; du 3 au 5 février et du 19 au 20 février; du 23 au 26 mars; le 1er avril et du 21 au 23 avril; le 22 mai; du 3 au 4 juin et du 16 au 17 juin 1998, à Ottawa (Ontario)

> TABLE DES MATIERES

I CONTEXTE

II LE CONCOURS DE RECRUTEMENT DES ES- 01 DE1985

3 III LA PLAINTE - LES PREUVES

i) Défaut de remplacer M. Kaba sur la liste d’admissibilité

ii) Nominations interdivisionnaires

iii) Le concours de recrutement des ES- 01 de 1988

iv) Défaut de prolonger un contrat pour un poste à durée déterminée ES- 01

v) Le concours de recrutement des SI de 1990

vi) Le concours de recrutement des ES- 01 de 1991

vii) Le concours de recrutement des ES- 01 de 1992

viii) Grief de 1992

IV LOI

V ANALYSE

i) Crédibilité de M. Singh

ii) Défaut de remplacer M. Kaba sur la liste d’admissibilité

iii) Nominations interdivisionnaires

iv) Le concours de recrutement des ES- 01 de 1988

v) Défaut de prolonger le poste pour une durée déterminée ES- 01

vi) Le concours SI de 1990

vii) Le concours de ES- 01 de 1991

viii) Le concours de ES- 01 de 1992

ix) Discrimination par suite d’un effet préjudiciable

VI PARAGRAPHE 41e) DE LA LOI

VII RÉPARATION

i) Nomination à un poste

ii) Salaire perdu

iii) Limitation des dommages

iv) Indemnité spéciale

v) Excuses

vi) Intérêt

vii) Maintien de compétence

VIII AUTRES QUESTIONS

i) Divulgation de renseignements confidentiels

ii) Questions de divulgation

iii) Intimidation

IX ORDONNANCE

La présente cause résulte d’une plainte relative à une prétendue discrimination pour des motifs de distinction illicite fondés sur l’origine nationale ou ethnique et l’âge en contradiction avec l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi ).

I CONTEXTE

Surendar Singh est né à Delhi, en Indes, en 1945. M. Singh a obtenu une maîtrise en anglais de l’Université de Delhi en 1969 et il a émigré au Canada peu de temps après. En 1971, M. Singh a obtenu un diplôme universitaire supérieur en administration publique de l’Université Carleton d’Ottawa. Par la suite, il a obtenu un baccalauréat ès art, avec une majeure en économique en 1973, et un baccalauréat en commerce en 1977, les deux diplômes lui ont été décernés par l’Université Carleton.

En 1981, M. Singh a commencé à travailler à Statistique Canada à titre de commis de bureau. Il avait été engagé tout d’abord pour un contrat à durée déterminée, mais, en 1982, M. Singh est devenu un employé permanent ou pour une durée indéterminée. M. Singh occupait un poste d’employé de bureau dans la Division des transports de Statistique Canada, au niveau CR04 du système de classification des postes du gouvernement.

A compter de 1985, M. Singh a participé à de nombreux concours à Statistique Canada, principalement pour obtenir un poste dans la classification des ES ou classification des économistes. De plus, il a présenté sa candidature au moins une fois pour obtenir un poste dans le groupe des SI ou à titre d’agent de la statistique. Malgré ses efforts, jusqu’à maintenant, M. Singh n’a pas réussi à obtenir une promotion à un poste permanent dans un niveau de classification supérieure. En mars 1993, M. Singh a déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission ), dans laquelle M. Singh prétend que son âge et son origine nationale ou ethnique, qu’il décrit comme étant celle d’un ressortissant des Indes orientales 1, ont nui à son avancement.

La plainte de M. Singh est très circonstanciée et fait référence à un certain nombre de concours différents, chacun mettant en cause diverses personnes de Statistique Canada. Chacune des allégations sera traitée individuellement. Avant d’étudier les questions soulevées par le plaignant, toutefois, il y a une question additionnelle que nous devons régler.

II LE CONCOURS DE RECRUTEMENT DES ES- 01 DE 1985

En décembre 1985, M. Singh a présenté sa candidature pour un poste au niveau ES- 01 dans la Division des transports de Statistique Canada. A l’époque du concours, M. Singh était âgé de 40 ans. Le concours a été remporté par Mamady Kaba, M. Singh (qui s’était aussi qualifié pour le

1 Même si la plainte de M. Singh porte sur l’origine nationale ou ethnique, tout au cours de l’audience les parties ont traité le concept d’origine national ou ethnique comme étant équivalent à celui de la race ou statut en tant que membre d’une minorité visible. Nous avons donc examiné la plainte de M. Sigh dans cette perspective.

> 3 poste) se classant deuxième. M. Kaba, qui est lui- même un membre d’une minorité visible, était âgé de 35 ans au moment du concours en question.

M. Singh prétend qu’il n’avait pas pu présenter sa candidature pour obtenir un poste de niveau ES- 01 auparavant parce qu’au début des années 80, ces postes n’étaient pas affichés, qu’il n’y avait pas de programme de recrutement officiel des ES, et que les gestionnaires choisissaient les personnes qui faisaient leur affaire. M. Singh a déclaré dans son témoignage qu’en 1985, il était allé voir Ellis Drover, le directeur de la Division des transports et qu’il avait supplié M. Drover de le laisser présenter sa candidature pour obtenir un poste de niveau ES- 01. M. Drover l’avait à ce moment référé à M. Mozes. A l’époque, M. Mozes était le chef de la Section des transports de surface et maritimes de la Division des transports. Selon M. Singh, lorsqu’il a parlé à M. Mozes, ce dernier lui a dit qu’il était trop âgé pour obtenir un poste de niveau ES. M. Singh déclare qu’il est retourné voir M. Drover et que, sans informer ce dernier de ce que M. Mozes avait dit, il avait réussi à le persuader de le laisser poser sa candidature pour un poste ES- 01.

Le formulaire de plainte de M. Singh ne fait aucune mention d’une préoccupation concernant l’embauche de M. Kaba, et aucune demande n’a été présentée lors de l’audience pour modifier la plainte de manière à ce qu’elle porte sur ce concours. Néanmoins, dans le cours de son témoignage, M. Singh a fait un certain nombre d’allégations concernant l’embauche de M. Kaba. Statistique Canada a fourni un nombre considérable de preuves en réplique et a traité ce point entièrement dans son argumentation. Le tribunal est par conséquent prêt à considérer les circonstances entourant l’embauche de M. Kaba, en 1985, aux fins limitées de mettre en contexte les préoccupations de M. Singh en ce qui concerne les événements subséquents.

De façon plus précise, M. Singh prétend que M. Kaba était un ami d’Yvon DesLauriers, un membre du comité de sélection pour ce concours précis, et que M. DesLauriers avait arrangé le concours pour que M. Kaba soit retenu, parce qu’ils étaient des amis. M. Singh a décrit les circonstances entourant l’embauche de M. Kaba à plusieurs reprises durant son témoignage. En l’une de ces occasions, il a fait une remarque en passant sur le fait que M. DesLauriers et M. Kaba parlaient tous deux le français. M. Singh a de plus allégué qu’après le concours, il avait parlé à M. John Cooke, un administrateur des ressources humaines à Statistique Canada, et que ce dernier lui avait dit que M. Singh était plus qualifié que ne l’était M. Kaba.

M. Kaba a nié être un ami de M. DesLauriers. M. Kaba a témoigné qu’il avait rencontré M. DesLauriers à une seule reprise avant le concours, pendant environ 15 minutes, au cours d’une séance de formation. M. DesLauriers n’a pas témoigné.

Dans ses conclusions finales, M. Singh a déclaré que le poste avait été accordé à M. Kaba parce que M. DesLauriers était francophone, et que M. Kaba parlait lui aussi le français.

> 4 Dans son argumentation, le procureur de la Commission a indiqué que même si on ne cherchait pas réparation en rapport avec ce concours, néanmoins, les allégations portant sur des irrégularités dans l’embauche de M. Kaba étaient déposées. Plus précisément, la Commission a prétendu que le statut de M. Singh à titre de ressortissant des Indes orientales et aussi son âge avaient été des facteurs dans la décision d’engager M. Kaba plutôt que M. Singh. La Commission a concédé qu’il était plus difficile d’établir comme motif de discrimination la distinction fondée sur l’origine nationale ou ethnique dans cette situation particulière étant donné que M. Kaba luimême était membre d’une minorité visible. La Commission maintient, toutefois, que les cinq années de différence d’âge entre M. Kaba et M. Singh avaient été un facteur dans la décision d’embauche.

Par suite des allégations de M. Singh concernant les prétendues préférences de M. DesLauriers pour un francophone, le tribunal a demandé aux procureurs de présenter leurs arguments en ce qui concerne les allégations à la lumière de la décision dans Cousens c. Association des infirmières et infirmiers du Canada (1981), 2 C. H. R. R. D/ 365, qui a trouvé que la préférence d’un employeur pour un francophone était une préférence liée à l’ origine ancestrale et qu’une telle préférence était par conséquent contraire aux dispositions du Code des droits de la personne de l’Ontario. L’avocat de la Commission a par la suite affirmé que M. Singh avait été victime de discrimination en raison de ses aptitudes linguistiques aussi, et que les aptitudes linguistiques d’une personne sont liées à son origine nationale ou ethnique.

L’avocate de l’intimé a rétorqué qu’il n’y avait pas eu de discrimination dans l’embauche de M. Kaba et que M. Kaba était le candidat le plus qualifié. Le procureur a par la suite fait valoir que la langue n’était pas identifiée comme un problème dans le formulaire de plainte et que, par conséquent, l’intimé subirait un préjudice sérieux si le tribunal devait considérer la langue comme fondement de la plainte à cette étape assez avancée du processus étant donné que l’intimé n’était plus en position de présenter des preuves pour défendre ce point.

Le tribunal n’est pas prêt à considérer si oui ou non le bagage linguistique a joué un rôle quelconque dans la sélection de M. Kaba. La plainte déposée par M. Singh est fondée sur les motifs de l’âge et de l’origine nationale ou ethnique, origine que M. Singh définit dans sa plainte comme étant celle d’un ressortissant des Indes orientales. Nulle part dans la plainte est- il question des aptitudes linguistiques de M. Singh ou de son statut à titre de non- francophone comme étant sujet de litige dans la présente cause. Ce point a été soulevé par M. Singh uniquement dans ses conclusions finales, après que des preuves eurent été produites devant le tribunal pendant environ 20 jours. En aucun temps l’intimé a- t- il été informé du fait qu’il pourrait être nécessaire d’étudier la question de la langue comme un éventuel sujet de litige dans la présente cause. Si l’on devait considérer ce point maintenant, même aux fins limitées d’établir le contexte, cette décision serait fondamentalement injuste pour l’intimé.

> 5 Les autres allégations de M. Singh en ce qui concerne l’embauche de M. Kaba ne font pas état d’une infraction à la Loi. Les allégations de M. Singh en ce qui concerne une soi- disant amitié existant entre M. Kaba et M. DesLauriers n’étaient pas fondées sur autre chose qu’une rumeur et cette allégation a été niée par M. Kaba. Même s’il était vrai que M. DesLauriers avait arrangé le concours pour permettre à son ami M. Kaba de devenir le candidat retenu, (le tribunal n’établissant pas de fondement à cette affirmation), une telle conduite n’aurait eu aucun rapport avec l’âge ou l’origine nationale ou ethnique de M. Singh et, par conséquent, aurait dépassé les compétences de ce tribunal. Alors que les commentaires liés à l’âge attribués à M. Mozes étaient un sujet de préoccupation, pour les raisons qui seront précisées un peu plus loin dans le cours de la présente décision, en fonction des preuves qui nous ont été présentées, le tribunal ne peut conclure, selon la prépondérance des probabilités, que ces affirmations ont été véritablement faites. Quoi qu’il en soit, il n’est pas du tout clair dans la preuve qui nous a été présentée que M. Mozes ait participé à la décision d’embaucher M. Kaba plutôt que M. Singh.

III LA PLAINTE - LES PREUVES

i) Défaut de remplacer M. Kaba sur la liste d’admissibilité

Étant donné qu’il s’était classé deuxième, juste après M. Kaba, dans le concours de 1985, le nom de M. Singh avait été placé sur une liste d’admissibilité. La création des listes d’admissibilité est prévue dans l’article 17 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, laquelle stipule :

17 (1) Parmi les candidats qualifiés à un concours, la Commission sélectionne ceux qui occupent les premiers rangs et les inscrit sur une ou plusieurs listes, dites listes d’admissibilité, selon le nombre de vacances auxquelles elle envisage de pourvoir dans l’immédiat ou plus tard.

L’article 6 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique prévoit la délégation du pouvoir de dotation de la Commission de la fonction publique à un ministère du gouvernement.

La liste d’admissibilité portant le nom de M. Singh était à l’origine valide pour une année après le concours. Selon M. Singh, il serait allé voir M. Drover pour lui demander de prolonger la période pendant laquelle la liste d’admissibilité serait valide afin d’augmenter ses chances de postuler un poste qui deviendrait éventuellement vacant. M. Drover a accepté et la période de validité de la liste d’admissibilité a été prolongée jusqu’en décembre 1987.

En mars 1986, M. Singh a quitté la Division des transports pour occuper un poste de perfectionnement temporaire, aussi connu sous l’appellation affectation de la DAS, au sein de la Division des communications. Cette affectation se situait au niveau ES. L’affectation était pour une durée initiale de six mois, mais elle a été prolongée à deux reprises. M. Singh est revenu à la Division des transports en décembre 1987.

> 6 En juin 1987, M. Kaba a remporté un concours pour un poste de niveau ES- 03 à l’extérieur de la Division des transports et il a par conséquent quitté la Division. Malgré le fait que la liste d’admissibilité de 1985 était toujours valide, M. Singh n’a pas remplacé M. Kaba. M. Singh a déclaré dans son témoignage que M. Drover et M. Steven Mozes lui avaient dit qu’ils ne disposaient pas des fonds nécessaires pour combler le poste de M. Kaba. Selon M. Singh, malgré le soi- disant manque de fonds de la Division, une fois que M. Kaba a eu quitté la Division, l’intimé a engagé deux personnes sur une base temporaire pour effectuer le travail qu’accomplissait auparavant M. Kaba. M. Singh a identifié ces deux personnes comme étant Andrea Mathieson et Kathy Walsh. M. Singh affirme qu’au début de 1988, l’ancien poste de M. Kaba a été reclassifié au niveau ES- 03, qu’on a tenu un concours pour remplacer M. Kaba et qu’à ce moment, Kathy Walsh avait obtenu le poste. M. Singh a déclaré qu’il était convaincu que le concours avait été délibérément retardé jusqu’à l’expiration de la liste d’admissibilité et que le poste avait été reclassifié par la suite afin de l’empêcher d’occuper le poste qui autrement aurait dû lui revenir.

M. Singh a déclaré dans son témoignage que ces mesures avaient été prises en raison de son âge et de son origine nationale ou ethnique. A l’appui de cette conviction, M. Singh a fait référence à un certain nombre de commentaires qu’il a attribués à M. Mozes. A cet effet, la plainte de M. Singh établit ce qui suit :

[TRADUCTION]

... En passant, au début des années 80, Steven Mozes avait l’habitude de se moquer de moi en disant que j’étais trop âgé pour occuper un poste de ES- 01.

Dans son témoignage, M. Singh décrit les commentaires de M. Mozes de manière plus précise :

Q. Vous dites au tribunal qu’à l’été de 1985 lorsque vous avez abordé M. Mozes il vous a dit directement que vous étiez trop âgé pour occuper un poste de niveau ES R. Non seulement M. Mozes a- t- il affirmé cela, mais une fois que j’ai eu exprimé cet intérêt il a commencé à me harceler. Il avait pris la mauvaise habitude de s’approcher de moi et de dire : Vous êtes trop âgé; vous êtes laid et puis vous êtes Indien. Et je n’aime pas les Indiens. Un jour j’ai demandé à M. Mozes : Pourquoi est- ce que vous me dites tout ça? Il a répondu : J’ai de très mauvais souvenirs. Je me rappelle qu’en 1957, les Russes ont envahi la Hongrie -- Q. Pardon, ont envahi la Hongrie? R. Exact. Votre ministre de la Défense de l’époque, M. Krishna Menon, s’était rallié du côté des Russes au Conseil de sécurité et des centaines de milliers de Hongrois ont dû quitter le pays. Jamais je ne pardonnerai cela aux Indiens. J’ai demandé à M. Mozes : Qu’est- ce que cela a à voir avec moi? Je ne suis pas un politicien. Je n’étais qu’un enfant à cette époque. Pourquoi est- ce que vous me mettez ça sur le dos? Il s’est contenté de rire et de me tourner le dos. Après, il a commencé à me harceler tellement que j’ai pensé : Je n’ai pas d’autre choix que de quitter cette division. "

> 7 Aussi, j’ai posé ma candidature pour des affectations de la DAS et, en mars 1986, j’ai quitté pour la Division des communications. Je devrais peut- être aussi mentionner le fait que, même une fois rendu là- bas, il ne m’a pas laissé tranquille. Lorsque je rédigeais un article pour SCAN, j’avais pris l’habitude d’apporter une copie de ces articles à la Division des transports pour montrer au directeur et à M. Mozes que j’étais capable de faire beaucoup plus qu’une simple tâche de niveau CR- 04. Mais il se moquait toujours de moi et disait : Ça ne peut pas être ton article. Tu l’as volé. Tu es un Indien et les Indiens sont incapables d’écrire ce genre de chose. Il me l’a dit bien des fois et ce harcèlement s’est poursuivi chaque fois que je le rencontrais.

(Transcription, pp. 116- 117) A un autre moment, durant son témoignage, M. Singh décrit d’autres commentaires de nature similaire qu’il attribue à M. Mozes. M. Singh affirme que M. Mozes est mis en cause dans un certain nombre d’événements ultérieurs au détriment de M. Singh. M. Singh décrit M. Mozes comme étant l’artisan de sa chute (Transcription, p. 247).

En ce qui concerne la relation entre les postes de niveau ES- 01, 02 et 03, M. Singh a déclaré dans son témoignage que selon lui il n’y avait aucune différence entre un ES- 01, 02 et 03. Toujours selon M. Singh, dans chaque cas, la même personne est assise au même bureau, elle effectue le même travail, sauf que aux yeux de la direction, elle aura acquis une année d’expérience additionnelle. Avec les années, l’employé serait automatiquement promu au niveau supérieur. Ailleurs dans son témoignage, toutefois, M. Singh compare les simples tâches qu’il dit être effectuées par les employés du niveau ES- 01 avec celles plus complexes qui sont attribuées au personnel du niveau ES- 03.

Pierre Mulvihill a aussi témoigné pour la Commission concernant ce point. M. Mulvihill est un agent des services à l’Alliance de la fonction publique du Canada et, à ce titre, il a été contacté par M. Singh à la fin de 1988 concernant un appel que M. Singh voulait déposer concernant un autre concours. Selon M. Mulvihill, dans le cours des discussions qu’il a eues avec M. Singh, ce dernier a soulevé un certain nombre d’autres préoccupations concernant la façon dont l’intimé le traitait, y compris le défaut de l’intimé de lui accorder le poste qu’occupait auparavant M. Kaba après le départ de celui- ci de la Division des transports. M. Mulvihill a déclaré dans son témoignage que dans le cours de ses discussions avec Marc Cuerrier, le directeur du personnel de l’intimé, concernant les diverses inquiétudes de M. Singh, M. Cuerrier lui aurait dit qu’après le départ de M. Kaba, la Division avait réalisé qu’elle n’avait pas besoin d’une personne occupant un poste du niveau de M. Kaba et qu’en conséquence on avait modifié le niveau et on avait accordé le poste à quelqu’un d’autre. M. Mulvihill n’a pas indiqué à qui il faisait référence par le on .

Un certain nombre de personnes ont témoigné pour le compte de l’intimé en rapport avec cette question. M. Kaba a déclaré dans son témoignage que > 8 lorsqu’il a commencé à travailler pour la Division des transports, il était responsable des statistiques de l’étude sur le transport des voyageurs par autobus de même que des statistiques sur le transport ferroviaire. Ces études étaient mensuelles. A l’époque, la Division était sur le point de fusionner cinq publications en une seule qui devait plus tard s’appeler Le camionnage au Canada . M. Kaba a déclaré dans son témoignage qu’entre six mois et un an après avoir occupé le poste, on lui a demandée de rédiger des articles pour la nouvelle publication. Ce travail de nature analytique représentait un accroissement de ses responsabilités et différait totalement du travail qu’il avait accompli au début de son embauche à la Division.

Selon M. Kaba, un poste de niveau ES- 01 est un poste au niveau du recrutement. La personne qui occupe un poste de niveau ES- 01 à Statistique Canada et qui offre un rendement satisfaisant devient habituellement titulaire d’un poste de niveau ES- 02 dans l’espace de douze mois. Dans le cas de M. Kaba, avant son départ de la Division des transports, on lui avait dit qu’il obtiendrait le niveau ES- 02, mais les papiers n’ayant pas été remplis, il était toujours rémunéré au niveau de ES- 01 lorsqu’il a quitté.

Lors d’un contre- interrogatoire, on a demandé à M. Kaba qui, selon lui, aurait dû le remplacer :

Q. Serait- il injuste d’affirmer que lorsque vous avez quitté votre poste, la personne qui se trouvait sur la liste aurait dû obtenir le poste? Est- ce que ce serait une affirmation juste?

R. Si la liste était toujours en vigueur, je dirais que oui. (Transcription, p. 854)

Par la suite, M. Kaba a déclaré que le type de travail qu’il accomplissait au moment où il a quitté la Division n’était pas habituellement effectué par un titulaire de poste ES- 01 à Statistique Canada : selon M. Kaba, l’intimé préfère mettre à l’épreuve les nouvelles recrues à l’aide de travaux moins complexes avant de leur attribuer des tâches comportant de plus grandes responsabilités.

S’il n’avait pas quitté la Division des transports, M. Kaba a déclaré qu’il aurait continué à effectuer un travail de nature analytique. M. Kaba a déclaré également que lorsqu’il a remporté le concours pour le poste de niveau ES- 03, M. Mozes lui a demandé de rester dans la Division.

M. Mozes a déclaré dans son témoignage qu’il n’avait pas participé à la décision de ne pas combler le poste de M. Kaba après le départ de ce dernier pour un poste de niveau ES- 03 à l’extérieur de la Division des transports. Selon M. Mozes, au moment où la décision en question a été prise, il ne travaillait pas pour la Division des transports, mais se trouvait plutôt en affectation spéciale de deux ans à la Division du commerce international de Statistique Canada. Cette affectation devait durer du 3 novembre 1986 au 3 novembre 1988. L’absence de M. Mozes de la Division durant cette période est confirmée par le compte rendu des réunions des chefs de la Division des transports, tel que résumé dans la pièce R- 36, onglet 40.

> 9 M. Mozes a par ailleurs nié avec énergie avoir fait les déclarations concernant l’âge et l’origine nationale ou ethnique que lui reproche M. Singh et il a déclaré dans son témoignage qu’il avait des relations positives avec les autres membres des minorités visibles, y compris les ressortissants des Indes orientales.

Brian Nemes a témoigné assez longuement en rapport avec cette question. M. Nemes était directeur adjoint à la Division des transports à l’époque mentionnée. Selon M. Nemes, durant son séjour à la Division des transports, M. Kaba avait participé activement à l’élaboration de la nouvelle publication intitulée Le camionnage au Canada . Selon M. Nemes, Le camionnage au Canada réunissait en une seule plusieurs publications séparées qui correspondaient notamment au sondage sur les transporteurs routiers de marchandises, l’étude sur le camionnage privé, et une série de publications portant sur l’Origine et la destination des transporteurs routiers de marchandises pour compte d’autrui. M. Kaba avait été engagé initialement pour participer à la création de tableaux et de graphiques à partir de l’ordinateur central et pour collaborer à l’analyse et à la rédaction. Selon M. Nemes, on a rapidement compris que M. Kaba serait mieux employé dans la réalisation de tables plutôt que dans l’analyse et la rédaction. M. Kaba possédait à l’évidence de très solides aptitudes en informatique et, en conséquence, il était en mesure d’élaborer un modèle pour la publication, et en particulier pour les tableaux et les graphiques qui seraient utilisés chaque année dans la publication. M. Nemes a décrit la contribution de M. Kaba à la publication en termes très élogieux et il a déclaré dans son témoignage qu’il avait participé aux publications de 1985 et 1986 et que M. Kaba avait à toutes fins pratiques éliminé lui- même le travail rattaché à son poste . Une fois le travail d’élaboration complété, il n’était plus nécessaire de maintenir un économiste débutant au sein du projet. Si M. Kaba était resté dans la Division, M. Nemes déclare qu’on lui aurait attribué d’autres fonctions.

M. Nemes a fait la distinction dans son témoignage entre les tâches et les responsabilités qui incombent à un titulaire de poste de niveau ES- 01, 02 et 03 et il a aussi expliqué comment une personne pouvait progresser d’un niveau à l’autre. Selon M. Nemes, les postes de niveau ES- 01 sont des postes de perfectionnement. A Statistique Canada, lorsqu’un économiste débutant commence, s’il donne un rendement satisfaisant et s’il semble prometteur, son poste est presque automatiquement reclassifié à la hausse. Les reclassifications se produisent seulement entre le niveau ES- 01 et ES02. Pour passer de ES- 02 à ES- 03, par contre, les employés doivent participer à un concours. Les employés du niveau ES- 03 doivent normalement accomplir des tâches plus complexes, avec moins de supervision que les employés de la catégorie inférieure.

Toujours selon M. Nemes, le poste de M. Kaba n’a pas été reclassifié en 1988. Le poste a été aboli durant l’un des exercices d’élimination des postes vacants et à pourvoir. En ce qui concerne les deux personnes qui sont arrivées à la Division des transports après le départ de M. Kaba, M. Nemes a déclaré dans son témoignage que ni Mme Walsh ni Mme Mathieson n’effectuaient le travail que M Kaba effectuait antérieurement. M. Nemes a déclaré que Mme Walsh avait travaillé auparavant à la Section de l’aviation > 10 de la Division des transports, au niveau ES- 03, et qu’elle avait été mutée pour travailler à titre d’économiste à l’étude sur l’origine et la destination des transporteurs routiers de marchandises à la Section des transports de surface. Andrea Mathieson est arrivée à la Division des transports en provenance de la Division de l’agriculture à Statistique Canada où elle occupait un poste de niveau ES- 03 en février 1998 dans le cadre d’une affectation de la DAS. Elle a travaillé au sein de l’Unité du transport maritime afin d’élaborer une version maritime de la publication Le camionnage au Canada . En juillet 1988, Mme Mathieson a été mutée à un poste de niveau ES- 03 vacant à la Division des transports.

M. Nemes a confirmé qu’à cette époque, la Division des transports devait affronter les gels imposés par le Conseil du Trésor à la dotation et aux dépenses discrétionnaires. Après l’embauche de M. Kaba, en décembre 1985, aucun autre employé de niveau ES- 01 ou ES- 02 n’a été embauché. D’après M. Nemes, la Division des transports a été en mesure de répondre à ses besoins opérationnels durant cette période en utilisant ce qu’il a décrit comme étant les techniques de dotation créative telles que les affections de la DAS. La direction pouvait en toute liberté déplacer le personnel au sein de l’organisation, mais elle ne pouvait toutefois pas accorder de promotion ou engager de nouveaux employés.

David Dodds a aussi témoigné pour le compte de Statistique Canada. La majorité du témoignage de M. Dodds portait sur son rôle à titre de président du comité de Statistique Canada sur le recrutement et le perfectionnement des ES. De plus, toutefois, M. Dodds était l’ancien directeur de la Division des transports, ayant remplacé M. Drover le 1er septembre 1989. M. Dodds a confirmé que la publication Le camionnage au Canada existe toujours et que sa fréquence de parution est annuelle. Cette publication présente une vue d’ensemble complète de l’industrie du camionnage à partir d’un éventail d’enquêtes et ces enquêtes sont ellesmêmes effectuées à des fréquences variables, certaines trimestrielles et d’autres hebdomadaires.

ii) Nominations interdivisionnaires

En plus du fait qu’il n’a pas obtenu le poste de M. Kaba au départ de ce dernier de la Division des transports, M. Singh allègue également que Statistique Canada a agi de façon discriminatoire à son égard en ne lui accordant pas un autre poste de niveau ES ailleurs à Statistique Canada durant les deux années pendant lesquelles la liste d’admissibilité était en vigueur, c’est- à- dire entre décembre 1985 et décembre 1987.

M. Singh a déclaré que les gestionnaires à Statistique Canada utilisaient régulièrement les listes d’admissibilité des divers concours des autres divisions pour combler les postes de leur propre division. Selon M. Singh, si les gestionnaires d’une division avaient connaissance qu’une personne qu’ils connaissaient et qu’ils appréciaient figurait sur une liste d’admissibilité d’une autre Division, ils essayaient de l’engager à partir de cette liste. M. Singh a déclaré que cela pouvait être fait parce que les postes du niveau ES- 01 étaient des postes de perfectionnement et que les aptitudes nécessaires étaient tellement fondamentales que la personne en question avait uniquement besoin d’un diplôme en économie ou en > 11 statistiques. Que la personne travaille au sein d’une division ou d’une autre n’avait aucune importance. M. Singh affirme qu’une personne de son âge et de son origine ethnique ne serait pas choisie par les autres gestionnaires. En réponse aux questions du procureur de Statistique Canada, il a déclaré ce qui suit :

Q. En d’autres mots, vous affirmez que cette façon de faire est habituelle R. Oui, en effet. Q. -- que les divisions s’échangent des listes d’admissibilité quotidiennement - R. Si elles le désirent, oui. Q. -- pourvu que les personnes plaisent aux gestionnaires. R. Oui, pourvu que les personnes plaisent aux gestionnaires. Q. C’est la seule condition.

R. Ils connaissent très bien les 35 noms qui figurent sur la liste. Ce M. Singh, est- ce ce type d’origine indienne âgé de 45 ans? Ils ne feraient appel à lui pour rien au monde. C’est de cette façon qu’ils procèdent. Lorsqu’ils veulent vraiment avoir quelqu’un, ils le choisissent à partir de la liste. (Transcription, p. 204)

M. Singh donne trois exemples de cas dans lesquels il affirme que les personnes ont été engagées pour travailler au sein d’une division à partir de la liste d’admissibilité d’une autre division. Selon M. Singh, en juin 1984, Bruce Daly, qui figurait sur une liste d’admissibilité pour un poste du niveau SI- 01 de la Division des statistiques sociales du logement et des familles, s’est fait offrir un poste au sein de la Division des transports. En avril 1988, Kathy Ouellet s’est fait offrir un poste à la Division du commerce international. Elle figurait en troisième place sur une liste d’admissibilité pour un poste de niveau SI- 03 et cette liste provenait d’un concours du bureau central. Finalement, en mai 1988, on a offert à Nora Hillary un poste au sein de la Division de l’agriculture. Mme Hillary figurait sur une liste d’admissibilité pour un poste de niveau ES- 01 qui avait été créé par le Division de la géographie.

D’après M. Singh, pendant que son nom figurait sur la liste d’admissibilité de niveau ES- 01, d’autres postes de ce niveau se sont ouverts à Statistique Canada et ne lui ont pas été offerts. M. Singh ne pouvait pas nous indiquer quel poste en particulier était devenu vacant durant cette période, mais il affirme qu’il y avait toujours des postes de niveau ES- 01 à pourvoir à Statistique Canada.

Ernest Akeaympong a témoigné pour le compte du plaignant. M. Akeaympong est le chef de la Section de l’activité sur le marché du travail, à Statistique Canada, depuis les dix dernières années. M. Akeaympong a confirmé que depuis qu’il est à Statistique Canada, il a vu des nominations être faites à partir de listes d’admissibilité sur une base interdivisionnaire. Il a expliqué que l’on procédait souvent de cette façon pour économiser du temps et de l’argent. Pour ce faire, toutefois, d’après M. Akeaympong, il est nécessaire que les exigences des deux postes soient similaires.

> 12 M. Mulvihill a aussi témoigné en rapport avec cette question. Selon M. Mulvihill, dans le cours de ses discussions avec M. Singh à la fin de 1988, ce dernier s’inquiétait de ne pas avoir obtenu de poste de niveau ES01 durant les deux années pendant lesquelles son nom avait figuré sur la liste d’admissibilité. En conséquence, M. Mulvihill a discuté de la question avec M. Cuerrier, qui lui a indiqué que les divisions au sein de Statistique Canada choisissaient rarement, et même presque jamais, les candidats à partir des listes établies par les autres divisions. M. Mulvihill a d’abord trouvé que cette explication était raisonnable, mais après que M. Singh lui eut fourni les trois exemples susmentionnés, M. Mulvihill a écrit à M. P. McLaughlin, le directeur général du personnel à Statistique Canada lui expliquant la situation et demandant des explications (pièce HR- 1, onglet 8, lettre du 3 mars 1989). M. Mulvihill a déclaré dans son témoignage qu’il ne se rappelle pas avoir reçu de réponse de la part de M. McLaughlin.

M. Mulvihill a également déclaré dans son témoignage que, pour qu’une nomination soit légale, une division pouvait choisir une personne à partir de la liste d’admissibilité pour un autre poste uniquement si l’énoncé de qualités pour le poste à pourvoir était le même que celui qui avait servi lors du processus de sélection pendant lequel la liste d’admissibilité avait été constituée. M. Mulvihill insiste, toutefois, sur le fait que les ministères ne respectent pas toujours les dispositions de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique en ce qui concerne la dotation.

L’article 18 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique stipule :

Les nominations à des postes pourvus par voie de concours sont effectuées d’après la liste d’admissibilité établie pour ce poste ou pour des postes de nature et de niveau similaires...( c’est nous qui mettons en caractère gras).

Monique Clément est actuellement chef de la dotation pour l’intimé. Elle a témoigné en ce qui concerne les pratiques de dotation utilisées à Statistique Canada. Selon Mme Clément, afin de s’assurer que le principe du mérite est respecté, avant que l’on puisse utiliser la liste d’admissibilité d’un concours donné pour combler un autre poste, il faut que les postes en question soient très très semblables . Mme Clément a confirmé que ce type de nominations se produit, même si ce n’est pas très courant. Mme Clément a expliqué que les gestionnaires préfèrent le plus souvent tenir leurs propres concours afin d’insister eux- mêmes sur les priorités qui se rapportent aux qualifications nécessaires pour le poste. En conséquence, les gestionnaires à Statistique Canada n’utilisent pas très souvent les listes existantes provenant des autres concours.

Mme Clément a déclaré que la situation de M. Singh n’était pas exceptionnelle au sein de Statistique Canada. Elle a fourni des renseignements statistiques décrivant à quelle fréquence les listes d’admissibilité expirent à Statistique Canada alors qu’il y a toujours des noms sur celles- ci. Au cours de la période qui s’étend de 1989- 1990 à 1993- 1994, au total 60 listes d’admissibilité ont été créées pour des postes de niveau ES. De ces listes, 43 comportaient plus d’un nom. Vingt- quatre de > 13 ces listes (ou 56 %) ont expiré alors qu’il restait toujours des noms sur la liste (pièce R- 14, onglet 35). Des données fiables n’étaient pas disponibles pour la période antérieure à 1989.

Même si les tâches associées aux postes de niveau ES- 01 sont de nature plus générale que celles qui sont associées à des postes de niveau ES supérieur durant cette période, il reste que chaque poste tourne autour d’un domaine différent et utilise des outils différents. D’après Mme Clément, il pourrait y avoir des différences significatives dans la nature du travail d’analyse que chaque titulaire est appelé à effectuer.

M. Nemes a expliqué en détail quel pouvait être le climat pour les employés ES de Statistique Canada durant les années 1980. Selon M. Nemes, il y avait une tendance à Statistique Canada de créer des secteurs de responsabilités ou des chasses gardées . En matière de dotation, cette tendance se manifestait par la création de postes créés sur mesure pour répondre aux besoins particuliers du secteur qui faisait l’exercice de dotation. Ces postes n’avaient pas nécessairement de ressemblance avec tout autre poste ailleurs dans l’organisation. Selon M. Nemes, il était très rare qu’une division de Statistique Canada utilise la liste d’admissibilité d’une autre division à cette époque. Cela pouvait uniquement être effectué si l’on pouvait démontrer que les postes étaient identiques ou pratiquement identiques.

M. Nemes a aussi décrit l’impact des coupures budgétaires sur la dotation durant la même période. Selon M. Nemes, le budget global de Statistique Canada avait été réduit et les années- personnes au sein de la Division des transports avaient chuté de 87 en 1984- 1985 à 68 en 1987- 1988. M. Nemes a déclaré :

[TRADUCTION]

... la dotation ponctuelle a été éliminée durant cette période. Aucun recrutement à l’extérieur n’a été entrepris et absolument aucun poste d’économiste de niveau 1 n’a été comblé durant cette période. Le dernier poste d’économiste de niveau 1 pour une durée indéterminée a été comblé au sein de la Division des transports par M. Kaba (Transcription, p. 1600)

Les preuves statistiques produites par la Commission confirment que le nombre total d’employés de niveau ES- 01 à Statistique Canada est passé de 24 en 1987 à 16 en 1988. (pièce HR- 6)

M. Dodds a témoigné en ce qui concerne la dotation de postes de niveau ES dans les années 1980. M. Dodds a déclaré que les concours avaient habituellement une portée très locale - les gestionnaires avaient tendance à chercher des personnes possédant de l’expérience dans leur propre domaine, ce qui rendait peu vraisemblable l’engagement d’une personne de l’extérieur de la division. Il y avait très peu de partage des listes d’admissibilité. Il a décrit l’organisation comme ayant été balkanisée - déclarant qu’elle fonctionnait par chasse gardée, en ne se préoccupant pas des besoins d’ensemble ou à long terme de l’organisation.

> 14 Cette situation a entraîné un remaniement complet du recrutement des ES à Statistique Canada, à la fin des années 1980.

M. Dodds a confirmé que, dans l’ensemble, Statistique Canada a été touché par la rationalisation vers le milieu des années 1980. Cette rationalisation a eu pour effet de réduire le nombre de postes disponibles pour les personnes qui pouvaient être engagées à partir de listes d’admissibilité.

Le tribunal a obtenu un énoncé de qualités pour un poste de niveau ES01 datant de cette période générale. L’énoncé de qualités avait trait à un concours pour un poste au sein de la Division du travail de Statistique Canada, et le concours est l’objet d’un autre aspect de la plainte de M. Singh. Il décrit le poste comme suit :

[TRADUCTION]

... un niveau de recrutement et d’apprentissage pour les employés qui sont appelés à effectuer des recherches économiques et statistiques de même que l’analyse de données dans le domaine des statistiques du travail...

L’énoncé se poursuit en précisant que le candidat retenu doit posséder : des connaissances de la théorie économique et des techniques statistiques en rapport avec les études sur le marché du travail (pièce R- 10)

iii) Le concours de recrutement des ES- 01 de 1988

Vers la fin de 1988 ou le début de 1989, M. Singh a posé sa candidature pour un poste ES- 01 dans la Division du travail. On a déterminé qu’il était qualifié pour le poste et il s’est classé deuxième après Christine Cowan. M. Singh a déclaré qu’il était allé voir Richard Vincent, le président du comité de sélection, après la tenue du concours et qu’il avait demandé à M. Vincent de mettre son nom sur une liste d’admissibilité. Selon M. Singh, M. Vincent a carrément refusé de le faire et n’a pas donné d’explications à M. Singh pour son refus. M. Singh allègue que son âge et son origine nationale ou ethnique sont les motifs de cette décision.

La plainte de M. Singh ne fait pas l’état de discrimination dans le concours lui- même. Dans ses conclusions finales, M. Singh prétend que le concours avait été arrangé pour Mme Cowan qui occupait le poste depuis déjà un certain temps à titre intérimaire, mais M. Singh a déclaré qu’il n’avait pas d’objection à cela. Sa plainte porte plutôt sur le fait que l’on n’ait pas créé de liste d’admissibilité et que l’on ait pas porté son nom sur cette liste.

D’après M. Singh, la pratique normale à Statistique Canada après la tenue d’un concours était que le candidat retenu obtenait le poste tandis que tous les autres candidats qui avaient été jugés qualifiés pour le poste se retrouvaient sur une liste d’admissibilité. Dans cette instance, M. Singh déclare que seule Mme Cowan et lui- même se sont qualifiés.

M. Mulvihill a déclaré dans son témoignage avoir représenté M. Singh pour un appel dans le cadre de ce concours. Selon M. Mulvihill, le concours > 15 comportait certaines lacunes. En conséquence, il a déclaré : Je n’ai pas réussi à mettre son nom sur la liste, mais j’ai réussi à lui obtenir une affectation intérimaire (Transcription, p. 586). Il a par la suite déclaré :

Lorsque j’ai rencontré M. Singh pour la première fois, c’était à la suite d’un appel qui avait été déposé. Dans le cadre de cet appel, nous avons obtenu tous les renseignements concernant le concours, ce qui signifie que j’ai examiné tous les documents ayant trait au processus de sélection. Après cet examen, j’ai découvert qu’il y avait eu certaines irrégularités. J’ai rencontré l’employeur et je lui ai dit : Nous avons une solution. M. Singh retirera son appel si vous lui donnez quelque chose en contrepartie ou alors il poursuivra et je vous garantis qu’il remportera cet appel. Au bout du compte, il a obtenu le poste intérimaire. (Transcription, p. 606)

D’après M. Mulvihill, l’employeur n’est pas tenu de mettre les noms de tous les candidats qualifiés sur une liste d’admissibilité. Afin de déterminer combien de noms doivent être portés sur la liste, les gestionnaires qui tiennent le concours doivent évaluer quel sera le roulement de personnel durant la durée de vie de la liste. Il y aura davantage de noms sur la liste pour des postes dont on sait qu’ils font l’objet d’un taux de roulement élevé. Si l’on anticipe qu’un seul poste vacant est prévu dans un avenir prévisible, habituellement on ne porte qu’un seul nom sur la liste.

Mme Clément a déclaré qu’une liste d’admissibilité doit être créée chaque fois que les candidats se qualifient et qu’une nomination doit être faite. Mme Clément a ajouté qu’il y a certains cas où un gestionnaire peut décider de créer une liste portant un seul nom. Elle a expliqué les facteurs pouvant entraîner une telle décision :

[TRADUCTION]

Certains éléments internes à la Division, comme le roulement de personnel, que j’ai déjà mentionné. De fait, je pense qu’il y a quelque chose que je pourrais vous montrer à ce sujet, mais les autres éléments à considérer seraient par exemple si le gestionnaire prévoit que, dans un avenir rapproché, d’autres candidats pourraient être en mesure de participer au concours pour ce poste et d’obtenir de très bons résultats; donc, si la liste est établie pour une durée de deux ans, dans ce cas il sera lié par cette liste pendant toute la durée prévue et tout nouvel employé à la Division, qu’il s’agisse d’un employé ayant un contrat à durée déterminée ou d’un nouvel employé à durée indéterminée n’aurait pas accès à ce poste en particulier s’il devenait vacant. Par conséquent, il peut décider, pour cette raison, qu’il veut rafraîchir le processus à un certain moment. Aussi, il peut prévoir qu’il y aura certains changements dans son domaine dans un avenir rapproché; donc il ne voudrait pas se créer une longue liste, il préférera en avoir une plus courte et voir comment les choses se déroule. (Transcription, pp. 938- 9)

> 16 Mme Clément a ajouté que parfois les gestionnaires essaient d’inscrire un certain nombre de noms sur une liste afin d’apaiser leurs employés, mais qu’elle préfère personnellement, et que c’est le conseil que son bureau donne aux gestionnaires, maintenir la liste aussi courte que possible et établir la longueur de la liste en fonction d’une évaluation réaliste des besoins anticipés. Elle recommande ceci afin d’éviter de créer des attentes et de faux espoirs pour les employés.

Selon Mme Clément, si toutes les personnes dont le nom figure sur une liste se voient offrir un poste et que la liste est épuisée, dans l’éventualité où la position devient vacante, il est possible de créer une nouvelle liste en fonction des résultats du concours sans qu’il soit nécessaire d’en tenir un nouveau, pourvu que ces événements se produisent à l’intérieur d’un laps de temps raisonnable à partir de la date du concours initial. Le témoignage de Mme Clément est confirmé par les politiques et lignes directrices en matière de dotation de Statistique Canada (pièce R21) de même que par le témoignage de M. Akeaympong, l’un des témoins de la Commission.

Mme Clément a fourni des preuves statistiques concernant la fréquence de création de listes d’admissibilité à Statistique Canada ne comportant qu’un seul nom. La pièce R- 14, onglet 34 démontre qu’au cours de la période qui s’étend de 1989- 1990 à 1993- 1994, au total 629 listes d’admissibilité ont été créées à Statistique Canada. De ces listes, 265 ne comportaient qu’un seul nom. La pièce R- 14, onglet 35 démontre qu’au cours de la même période il y avait environ 60 listes d’admissibilité créées pour les postes ES de tout niveau. De ces postes, 17 ne comportaient qu’un seul nom.

D’autres renseignements statistiques en ce qui concerne la fréquence de la création de listes de noms dans le cadre des concours du niveau ES- 01 au niveau ES- 03 ont été fournis par Barbara Slater. Mme Slater est la directrice générale de la Direction de l’informatique, à Statistique Canada. D’après la pièce R- 39, onglet 77, pour la période de 1989- 1990 à 1993- 1994, il y a eu 14 concours au niveau ES- 01 à ES- 03. De ce nombre, deux listes portaient seulement un nom.

M. Vincent a témoigné en rapport avec sa participation à titre de président du comité de sélection pour le concours. A l’époque, M. Vincent était le chef de la Sous- section de l’assurance de la qualité pour l’étude sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail de la Division du travail, à Statistique Canada. Selon M. Vincent, de 8 à 10 personnes ont participé au concours. Mme Cowan s’est classée la première suivie immédiatement par M. Singh. M. Vincent s’est fait demander quel âge avait Mme Cowan au moment du concours. Il a répondu : Elle était un peu plus âgée. Je dirais qu’elle avait 26 ou 27 ans. (Transcription, pp. 1185- 6)

M. Vincent a déclaré qu’un agent de dotation que l’on a identifié par la suite comme étant John Burke l’avait informé des procédures à suivre pour le concours. Après la tenue du concours, M. Vincent a créé une liste > 17 d’admissibilité (pièce HR- 1, onglet 9). Cette liste est datée du 2 février 1989 et elle est restée en vigueur jusqu’au 1er mars 1989. Le nom de Mme Cowan est le seul qui apparaît sur la liste.

Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait mis qu’un seul nom sur la liste, M. Vincent a donné l’explication suivante :

[TRADUCTION]

R. Il n’y avait qu’un seul poste à pourvoir. De plus, il était très courant à l’époque de ne mettre qu’un seul nom sur la liste d’admissibilité -- et j’insiste à cette époque. C’était pratiquement une culture de la dotation à ce moment- là. Q. Vous dites qu’il n’y avait qu’un seul poste d’ouvert à l’époque. Est- ce que vous ne prévoyiez pas d’autres ouvertures dans l’avenir? R. Vous devez vous rappeler que chaque description de tâche était spécifique à une position, c’est un fait à considérer. Deuxièmement, j’avais discuté avec mon superviseur et je lui avais demandé de déterminer s’il y aurait d’autres ouvertures de poste. Selon lui, la réponse était non , pas dans un avenir prévisible. (Transcription, pp. 1139- 40)

M. Vincent a déclaré que ce n’était pas la seule fois où il avait créé une liste ne comportant qu’un seul nom, qu’il l’avait fait à quelques autres reprises.

Il a ajouté que M. Singh l’avait appelé plusieurs fois après la tenue du concours pour lui demander d’ajouter son nom à la liste. D’après M. Vincent, il avait répondu à M. Singh qu’il n’envisageait pas avoir d’autres postes à combler. M. Vincent a affirmé que même s’il ne se rappelle pas de l’avoir dit dans sa réponse à M. Singh, il était implicite qu’il n’y avait pas de fonds pour un poste additionnel.

M. Vincent a déclaré que M. Singh est allé en appel concernant les résultats du concours, mais que l’appel a été abandonné la veille de l’audition de la cause. M. Vincent a affirmé qu’il ne se rappelait pas pour quels motifs M. Singh était allé en appel, et qu’il ne savait pas non plus pourquoi l’appel avait été abandonné. D’après M. Vincent, le concours avait été tenu dans le respect des règles.

La preuve en ce qui concerne ce concours doit être considérée à la lumière de ce qui se passait à l’époque au sujet de la dotation au niveau ES, à Statistique Canada. M. Dodds a fait état longuement de l’évolution de l’embauche des employés ES à Statistique Canada. Il a expliqué qu’à un certain moment, vers le milieu des années 80, la haute direction de Statistique Canada s’est préoccupée de la manière particulière avec laquelle les employés ES étaient engagés, et de l’effet que la balkanisation ou la création de chasses gardées avait sur l’organisation. Selon M. Dodds, un deuxième problème concernant le processus de recrutement existant a été identifié :

[TRADUCTION]

... L’une des choses que nous faisions à la fin des années 80 et que de nombreux autres ministères fédéraux ont faite aussi par la > 18 suite consistait à examiner le profil d’âge des gestionnaires principaux de l’organisation. Nous avons effectué une étude, comme de bons statisticiens devraient le faire, et nous avons découvert comme bien d’autres ministères à leur tour, ces dernières années, que le profil d’âge était tel qu’une grande proportion, une proportion étonnamment importante de la haute direction devrait ou pourrait de toute façon quitter d’ici les dix, quinze ou vingt prochaines années. C’est l’un des éléments moteurs à l’origine de -- la mise sur pied d’un programme qui éventuellement conduirait au remplacement possible de ces gestionnaires supérieurs. Encore une fois, la tradition veut à Statistique Canada que l’on perfectionne les employés plutôt que de les engager à des niveaux relativement élevés. Nous avons décidé de démarrer un tel programme avec les ES dans l’optique d’engager des personnes qui auraient un certain potentiel d’avenir au sein de l’organisation. (Transcription, pp. 2453- 4)

M. Dodds a ensuite ajouté que l’étude en question s’était probablement déroulée quelque part en 1987 ou en 1988 (Transcription, p. 2761).

Afin de répondre à ces préoccupations, un programme de recrutement officiel pour les ES a été mis au point à Statistique Canada. Ce programme comporte une composante interne et une composante externe. A l’interne, les employés de Statistique Canada qui possèdent les exigences nécessaires au niveau de la scolarité peuvent poser leur candidature pour le programme. En ce qui concerne les aspects externes du programme, M. Dodds a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

... Il y a aussi la composante externe qui consiste en un processus de recrutement dans les universités aux termes duquel nous visitons les campus universitaires et nous interviewons les étudiants qui sont sur le point d’obtenir leur diplôme ou qui viennent juste de l’obtenir. C’est dans cette dernière catégorie, je crois, que nous devions apporter des améliorations. (Transcription, p. 2458)

Ces améliorations ont pris la forme d’un processus de recrutement mieux structuré et plus représentatif. Les attentes étaient que le nouveau système contribuerait aussi à aider Statistique Canada à attirer ce que M. Dodds décrit comme étant les membres des groupes désignés . Dans le cadre du nouveau système, les demandes arrivaient à l’automne de chaque année et des offres étaient présentées au candidat retenu le printemps suivant. Les premières demandes reçues dans le cadre du nouveau programme sont arrivées en octobre 1988 pour les emplois devant commencer au printemps de 1989. (Voir aussi pièce R- 1, onglet 22).

M. Dodds a décrit la période de transition entre l’élimination graduelle de l’ancien système de recrutement et l’introduction du nouveau processus officiel de recrutement. D’après lui, entre 1985 et 1987, Statistique Canada avait éprouvé de sérieux problèmes budgétaires avec pour résultat que l’embauche des ES était en perte de vitesse. Normalement, Statistique Canada aurait eu un taux d’attrition d’environ 40 ES par > 19 année. Le but visé était d’engager seulement 12 recrues dans le cadre du programme de recrutement de 1988- 1989. Les gestionnaires à Statistique Canada étaient inquiets parce qu’ils jugeaient que c’était insuffisant et ils disaient à M. Dodds et au comité de recrutement qu’ils auraient besoin de trois à quatre fois ce nombre. Selon M. Dodds, les gens étaient désespérés à l’idée de ne pouvoir recruter d’employés ES. Quelque part au printemps ou à l’été de 1989, des gestionnaires de Statistique Canada ont été informés qu’ils devaient cesser de tenir des concours pour le recrutement de candidats ES- 01. Toutefois, ils étaient toujours autorisés à engager à partir des listes d’admissibilité existantes. M. Dodds a déclaré qu’étant donné la pénurie de recrues du groupe ES en 1989, les gestionnaires étaient incités à engager à partir des listes d’admissibilité, dans la mesure où les exigences du poste étaient similaires.

M. Dodds a examiné l’énoncé de qualités pour le poste que Mme Cowan a obtenu. Selon lui, les exigences de ce poste n’étaient pas complètement générales ni complètement spécialisées, mais se situaient plutôt à michemin entre les deux. M. Dodds n’a pu déterminer si une autre division de Statistique Canada aurait pu être intéressée à embaucher une candidate possédant ses qualifications, même s’il a suggéré que les qualifications étaient légèrement restrictives.

On a demandé à M. Dodds, étant donné la préoccupation de Statistique Canada en ce qui concerne le vieillissement des cadres de niveau intermédiaire et supérieur, si l’organisation aurait eu des réticences à engager des personnes plus âgées à titre de recrues dans le cadre du processus de renouvellement. M. Dodds a répondu que la question n’était pas l’âge des gestionnaires, en soi, mais plutôt leur propension à prendre leur retraire. D’après M. Dodds, étant donné les conditions d’admissibilité au régime de pensions du gouvernement, une personne qui arrive dans l’organisation à l’âge de 40 ou de 45 ans devrait rester dans l’organisation jusqu’à bien au delà de ses 60 ans, alors que les employés ayant de nombreuses années de service pouvaient obtenir une pension complète à l’âge de 55 ans.

La préoccupation de Statistique Canada en ce qui concerne le vieillissement de son effectif se reflète aussi dans les preuves documentaires déposées par l’intimé. Une publication de Statistique Canada de 1997 intitulée Une Stratégie globale de perfectionnement des ressources humaines à Statistique Canada décrit les problèmes associés au processus de dotation utilisé à Statistique Canada dans les années 1980 et les changements qui ont été introduits pour corriger ces problèmes. En particulier, le document notait comme préoccupation le fait suivant :

[TRADUCTION]

On a trouvé que la moyenne d’âge de tous nos employés et, particulièrement, de nos cadres de niveau intermédiaire et supérieur augmentait à un rythme alarmant. Notre système d’information sur les ressources humaines a projeté une perte nette de 30 % dans les rangs des cadres de niveau intermédiaire et supérieur dans les 15 prochaines années, en partant de l’hypothèse que les taux de remplacement normaux se > 20 maintiendront. Statistique Canada doit adopter une approche concertée en ce qui concerne le recrutement, le perfectionnement et la sélection de ses futurs cadres, afin de prévoir une relève en nombre suffisant. (pièce R- 39, onglet 78, à la page 1)

De plus, un résumé du programme de recrutement des ES qui a circulé à l’intérieur de Statistique Canada vers la fin de 1990 confirmait :

[TRADUCTION]

... le Bureau a d’autres raisons de renouveler son bassin de nouveaux professionnels au delà du niveau de remplacement. Le groupe actuel de cadres de niveau intermédiaire (ES 5, 6, 7) de même que de cadres supérieurs (EX 1, 2, 3, 4) se situe environ au même âge et ces personnes pourront prendre leur retraite à pleine pension environ au même moment. A la lumière de ces considérations, il pourrait être approprié de cibler un recrutement annuel supérieur au taux de renouvellement - peut être autour de 50 ou 60. (pièce R- 14, onglet 32)

Le même document note que l’objectif de recrutement pour les nouveaux ES ne dépendait pas de l’identification de postes vacants particuliers. Il énonce ce qui suit :

L’objectif de recrutement ne nécessite pas l’identification de postes vacants particuliers. Cet objectif est fondé sur une allocation globale suffisante pour répondre à long terme au besoin du bureau en matière de spécialistes.

Le même langage apparaît dans un document intitulé Lignes directrices de politiques et statistiques pour le programme de recrutement des ES dans la pièce R- 1, onglet 22.

Plusieurs autres témoins ont mentionné l’âge en rapport avec la dotation des ES. M. Nemes a confirmé le témoignage de M. Dodds concernant la préoccupation identifiée à Statistique Canada en ce qui concerne le vieillissement de la population des cadres. M. Kaba a déclaré que lorsqu’on l’a engagé en 1985, à 35 ans, il était très âgé et que désormais les personnes qui font leur entrée au niveau ES- 01 sont âgées d’environ 22 ans. Plusieurs autres témoins de l’intimé ont déclaré que la plupart des personnes recrutées dans le cadre des programmes de recrutement des ES se situaient dans la vingtaine ou le début de la trentaine.

Des preuves statistiques ont également été déposées en ce qui concerne la répartition de l’âge et des minorités visibles parmi les employés ES de Statistique Canada. D’après ces renseignements, les employés de la catégorie ES- 01 de Statistique Canada, pour la période de mars 1987 à mars 1992, étaient à 87 % âgés de moins de 31 ans, à 10,6 % âgés de 31 à 40 ans et à 2,3 %, âgés de plus de 40 ans (pièce R- 39, onglet 74). Les minorités visibles qui s’étaient déclarées elles- mêmes comme telles représentaient environ 4,1 % et 29,2 % de la population des ES- 01 durant cette période (pièce HR- 6). Au sein de Statistique Canada, les minorités visibles représentaient un peu plus de 3 % de la population en 1990, la première année pour laquelle nous avons pu obtenir cette information (pièce R- 39, > 21 onglet 78). Selon le Recensement de 1991, 9 % de la population active disponible était constituée de minorités visibles (pièce HR- 10).

Des preuves statistiques révèlent aussi une augmentation dans le nombre d’employés de la catégorie ES- 01 avec le temps : le nombre total d’employés ES- 01 à Statistique Canada est passé de 16 en 1988, à 24 en 1989, et à 30 en 1990 (pièce HR- 6). Le nombre total de nouveaux employés dans ces postes serait quelque peu supérieur en raison du fait que les employés passent habituellement du niveau ES- 01 au niveau ES- 02 dans l’espace de douze mois ou à peu près.

Finalement, on nous a fourni la liste de toutes les recrues aux niveaux ES- 01, ES- 02 et ES- 03 qui avaient été engagées pendant une période neuf ans et qui étaient âgées de plus de 40 ans lorsqu’elles ont commencé (pièce R- 36, onglet 52). Cette liste qui porte 19 noms, établit la distinction entre les candidats internes et externes. Cinq personnes dont les noms figuraient sur cette liste ont été engagées à l’interne. Sur ces cinq, un candidat a été engagé au niveau ES- 01. M. Dodds a déclaré dans son témoignage que depuis plus de 10 ans, Statistique Canada a engagé 340 personnes dans le cadre d’un programme ES, soit une moyenne de 34 par année. Il a par ailleurs ajouté que, depuis quelques années, environ 100 candidats internes sont interviewés chaque année pour des postes ES.

iv) Défaut de prolonger un contrat pour un poste à durée déterminée ES- 01

En juin 1989, M. Singh a obtenu un poste de durée limitée à titre d’économiste de niveau ES- 01 dans la Division des transports. La durée de l’affectation était du printemps de 1989 jusqu’au 31 mars 1990. Dans le cadre de sa plainte, M. Singh allègue qu’il avait demandé que son mandat à titre d’économiste soit prolongé, et que sa demande a été refusée. M. Singh allègue aussi que deux autres personnes avaient commencé à travailler dans le cadre d’affectations de durée limitée à la Division des transports en même temps que lui, que toutes les deux étaient de race blanche et qu’elles ont vu leur mandat prolongé.

Selon M. Singh, on lui a accordé ce poste de durée limitée pour le faire taire parce qu’il s’était plaint à un certain nombre de fonctionnaires à l’intérieur et à l’extérieur de Statistique Canada en ce qui concerne son traitement par l’intimé et qu’il avait menacé de déposer une plainte devant la Commission des droits de la personne. A cet effet, on nous a fourni des copies d’un certain nombre de documents portant sur les efforts de M. Singh pour poursuivre ses plaintes (par exemple, sa lettre datée du 20 février 1989 adressée au commissaire de la Fonction publique du Canada - pièces HR- 1, onglet 10). M. Singh a témoigné que M. Mozes ne voulait pas lui donner cette affectation mais qu’il n’avait pas eu le choix.

D’après M. Singh, il hésitait un peu à accepter ce poste de durée limitée au début, mais il a finalement accepté de le faire après que M. Mozes lui eut assuré que son mandat initial serait prolongé. Il a expliqué son hésitation à accepter le poste par le fait qu’il ne s’agissait pas d’un poste permanent. M. Singh a déclaré que les employés temporaires sont toujours à la merci du gestionnaire. M. Singh a témoigné qu’il savait que s’il n’acceptait pas le poste son syndicat se retournerait contre lui. En conséquence, après avoir obtenu des assurances de la part de M. Mozes comme quoi le mandat serait prolongé, il a accepté le poste. M. Singh a expliqué qu’après que les employés occupant des postes de durée limitée ont occupé ces postes pendant deux ans, en général leur poste devient permanent sans concours.

M. Singh a témoigné que lorsqu’il a obtenu cette affectation, il devait effectuer une tâche particulière qui consistait à rédiger un document sur l’éventualité d’utiliser des données de l’impôt sur le revenu pour rationaliser le processus d’enquête en rapport avec l’industrie du camionnage. M. Singh a décrit son travail comme étant très complexe et il a déclaré qu’il se situait à un niveau supérieur à celui qui est normalement exécuté par des employés de niveau ES- 02 et ES- 03. Selon M. Singh, il a rédigé lui- même l’étude et personne d’autre n’a travaillé avec lui. M. Singh a témoigné que, à la fin de son mandat, il avait terminé le document et rempli la tâche complètement .

Pendant qu’il travaillait à l’étude sur les données fiscales, M. Singh se trouvait sous la supervision de Yasmin Sheikh qui était elle- même supervisée par M. Mozes. M. Singh a identifié Mme Sheikh comme étant une musulmane d’origine pakistanaise et il a déclaré ce qui suit :

Je suis un hindou; et je suis originaire des Indes. Elle vient du Pakistan et elle est musulmane. L’Inde et le Pakistan -- bon je n’ai pas à vous faire un dessin. (Transcription, à la page 223)

D’après M. Singh, ayant été forcés de lui accorder une affectation de niveau ES- 01, M. Mozes et Mme Sheikh avaient décidé de lui donner une bonne leçon et ils ont commencé à le harceler chaque jour. M. Singh a déclaré que M. Mozes venait lui donner une série d’instructions et que peu après, Mme Sheikh venait le voir pour lui en donner de nouvelles qui étaient en contradiction avec les premières.

La frustration qu’a vécue M. Singh en raison du traitement qu’il a reçu est résumée dans une note qu’il a adressée à Mme Sheikh le 14 août 1989 dans laquelle il décrit Mme Sheikh comme l’ayant traité comme un moins que rien et où il lui reproche d’être déplaisante et personnelle avec lui. Cette note de service poursuit en décrivant chronologiquement les instructions que M. Singh a reçues de Mme Sheikh et ses efforts pour y répondre. La note dit aussi que M. Singh jugeait nécessaire d’avoir éventuellement une réunion avec M. Mozes afin d’obtenir des précisions sur ce qu’on attendait de lui (pièce HR- 1, onglet 11). Selon M. Singh, Mme Sheikh n’a pas répondu à cette note.

M. Singh a déclaré que le harcèlement s’est poursuivi sur une base quotidienne pendant toute la durée de son mandat. M. Singh a reçu une note d’un paragraphe datée du 16 janvier 1990 de la part de M. Mozes dans laquelle M. Mozes déclarait qu’il avait examiné la dernière version de

l’étude et qu’il fournirait sous peu des commentaires détaillés à M. Singh. M. Mozes poursuit en soulignant que le rapport préliminaire fait mention d’une solution possible à un problème technique qui avait été identifié antérieurement. M. Mozes observe que cette solution avait été suggérée par les superviseurs de M. Singh et que :

Votre rapport devrait certainement préciser que cette idée ou solution ne vient pas de vous ou de l’étude que vous avez menée. Toutefois, je suis d’accord qu’il s’agit de la solution la plus prometteuse. (pièce HR- 1, onglet 13)

M. Singh a répondu par une note de quatre pages dont il a transmis une copie à un certain nombres de personnes, y compris M. Mulvihill, M. Dodds, Mme Sheikh, le directeur général de la Direction du personnel de Statistique Canada, le président du Syndicat des économistes, le commissaire de la Fonction publique du Canada et le président de la Commission canadienne des droits de la personne. Dans sa réponse, M. Singh donne sa propre chronologie des événements et il affirme : A plusieurs reprises dans le passé, vous m’avez accusé de mentir et de tricher . La note accuse M. Mozes d’essayer systématiquement de saper la fiabilité et le potentiel [de M. Singh], et de poursuivre l’objectif de destruction de manière calculée [à l’égard de M. Singh]. M. Singh fait référence à son dossier d’emploi avec Statistique Canada depuis 1981 et il affirme que, en dépit du fait qu’il possède des titres universitaires supérieurs à de nombreuses personnes qui se situent audessus de lui, on l’avait systématiquement exclu de toutes les promotions. M. Singh poursuit en déclarant :

[TRADUCTION]

J’occupe ce poste (ES- 01 de durée limitée) depuis le 2 juin 1989 et vous n’avez pas cessé de m’écrire des notes de ce genre (et même des pires) depuis le tout début. Il y a des limites à ce qu’un être humain peut endurer, même s’il fait partie d’une minorité raciale..." ... Même si je fais partie d’une minorité raciale, cela ne vous donne pas le droit de me harceler. J’ai accepté une quantité énorme d’abus de votre part...( pièce HR- 1, onglet 13)

D’après M. Singh, il n’a obtenu aucune réponse de la part de M. Mozes. M. Singh n’a pas déposé de plainte officielle en rapport avec le harcèlement qu’il déclarait subir aux mains de Mme Sheikh et de M. Mozes. D’après M. Singh, il avait peur de se plaindre : il était un employé de niveau inférieur qui devrait s’attaquer à des personnes se situant beaucoup trop haut dans la hiérarchie. Il avait une femme et deux enfants à sa charge et il croyait que ses moyens de subsistance étaient en jeu.

M. Singh déclare qu’il a approché M. Mozes et M. Dodds à la fin de mars 1990 pour leur demander si son mandat était prolongé. D’après M. Singh, M. Mozes lui aurait dit que son mandat ne serait pas prolongé, et qu’il retournerait à son ancien poste de CR- 04 et qu’on le muterait à l’extérieur de la Division des transports. M. Dodds aurait avisé M. Singh que la Division des transports ne disposait pas des fonds suffisants pour continuer de lui verser son salaire de ES- 01. A compter du 1er avril 1990, M. Singh a été muté à la Division des opérations et de l’intégration de Statistique Canada, au niveau CR- 04.

M. Singh a témoigné qu’environ à la même époque où il avait commencé son affectation de durée limitée, Barbara Bekooy et Randy Semotiuk avaient aussi commencé des affectations de durée limitée à la Division des transports. Selon M. Singh, Mme Bekooy et M. Semotiuk accomplissaient un travail très différent de celui qu’il effectuait lui- même et leur travail était routinier. Mme Bekooy était de toute évidence la fille de Jan Bekooy, qui avait été chef de la Division des transports pendant une longue période. Mme Bekooy et M. Semotiuk étaient tous les deux de race blanche et, d’après M. Singh, les mandats de Mme Bekooy et de M. Semotiuk avaient été prolongés au- delà du 30 mars 1990, même si M. Singh ne sait pas exactement pour combien de temps.

Au printemps de 1990, Mme Sheikh a rédigé l’évaluation de rendement de M. Singh pendant son affectation à titre de ES- 01. M. Singh n’était pas d’accord avec l’évaluation que Mme Sheikh avait faite de son rendement et il a déposé un grief. Son grief a été refusé, d’abord par M. Dodds et ensuite par Mme Slater.

M. Mozes a témoigné qu’après avoir obtenu le financement pour le projet de réaménagement, il est allé voir M. Drover et lui a demandé s’il pouvait engager du personnel pour l’aider. M. Drover a accepté et il lui a dit d’engager des employés pour des mandats de durée limitée seulement étant donné que l’on ne savait pas quel serait l’échéancier et si l’on pourrait disposer du financement sur une base permanente. M. Mozes a déclaré que c’est M. Drover qui lui a suggéré d’engager M. Singh pour une durée limitée. Selon M. Mozes, l’étude sur les données fiscales faisait partie d’un plus vaste projet de réaménagement, qui était sa propre idée, et dont il était le seul responsable. M. Mozes a déclaré qu’il était très important pour lui que le projet réussisse, surtout étant donné que sa réputation professionnelle et son poste étaient en jeu. D’après M. Mozes, le projet était effectué sur la base du recouvrement des coûts : Statistique Canada avait établi un arrangement du type partenariat avec la Commission canadienne des transports, Transports Canada et les ministères provinciaux des Transports qui parrainaient financièrement le projet de réaménagement avec l’appui de l’Association du camionnage.

M. Mozes a nié avoir promis à M. Singh qu’au printemps de 1989 son mandat à titre de ES- 01 serait prolongé au- delà de la durée initiale. M. Mozes a déclaré qu’il n’était pas en position de prendre un engagement de cette nature et qu’il n’avait pas l’autorité suffisante en matière de dotation.

M. Mozes a affirmé que pendant qu’il était en affectation de durée limitée, M. Singh était supervisé directement par Mme Sheikh. Toutefois, M. Mozes était très engagé dans le travail qu’accomplissait M. Singh. M. Mozes a décrit ses préoccupations à l’égard du travail de M. Singh, et les mesures que M. Mozes et M. Singh ont prises pour guider ce dernier dans l’accomplissement de sa tâche. M. Mozes nie le fait que lui ou Mme Sheikh ait harcelé M. Singh. M. Mozes reconnaît que même si lui et Mme Sheikh n’étaient pas en désaccord avec les objectifs de base du projet, ils avaient peut- être chacun mis l’accent sur des aspects différents dans le cours de leurs discussions avec M. Singh et que ce dernier avait peut- être perçu qu’ils étaient en contradiction l’un avec l’autre.

M. Mozes a reçu copie de la note adressée par M. Singh, le 14 août, à Mme Sheikh (pièce HR- 1, onglet 11). Il déclare qu’il s’est assis avec M. Singh et avec Mme Sheikh séparément afin de discuter des préoccupations de M. Singh. A la suite de ces discussions, M. Mozes a décidé de tenir des réunions hebdomadaires avec tous les trois afin d’éviter les malentendus à l’avenir.

M. Mozes reconnaît avoir reçu une note de M. Singh en date du 22 janvier 1990 et confirme qu’il n’a pas répondu par écrit. Il a donné les explications suivantes :

[TRADUCTION]

J’étais très insulté. J’ai été profondément blessé. C’est totalement faux. Dire que c’est faux est réellement au- dessous de la vérité. Je n’ai pas répondu en raison de la nature de la note et de la façon dont elle était écrite, j’ai pensé qu’elle ne méritait pas de réponse. Je suis un professionnel et je ne pensais pas avoir à répondre à cette note. (pièce HR- 1, onglet 13)

M. Mozes maintient qu’il a discuté de cette note avec M. Singh et qu’il lui a dit à quel point elle l’avait blessé.

Toujours d’après M. Mozes, il y avait trois raisons pour lesquelles le mandat de M. Singh n’avait pas été prolongé au- delà du 31 mars 1990 : le travail avait été achevé, le mandat était expiré, et la partie analytique de l’ensemble du projet arrivait à sa fin et il fallait trouver du financement pour élaborer le système, la méthodologie d’échantillonnage de même que pour faire l’acquisition des ressources nécessaires pour le projet. M. Mozes nie le fait que l’âge de M. Singh ou son origine nationale ou ethnique aient été des facteurs dans la décision de ne pas prolonger son mandat dans son affectation à titre de ES- 01.

M. Mozes a déclaré que Mme Bekooy et M. Semotiuk avaient été tous deux engagés dans le cadre de postes de durée limitée de niveau ES- 01. M. Semotiuk travaillait à une enquête annuelle sur le camionnage qui était un projet permanent. Il supervisait plusieurs personnes et ses services étaient requis jusqu’à ce que la Division des transports puisse trouver quelqu’un d’autre pour combler le poste sur une base permanente. Mme Bekooy effectuait des travaux ponctuels tels que la rédaction d’articles et du travail sur des projets de marketing pour M. Mozes et le directeur de la Division des transports. Tous deux sont restés à la Division des transports un peu plus longtemps que M. Singh, puis ils ont quitté Statistique Canada peu de temps après pour accepter des postes ailleurs dans la fonction publique.

M. Mozes explique que M. Singh a été muté à l’extérieur de la Division des transports dans la Division des opérations et de l’intégration à la fin de mars 1990, dans le cadre d’une décision ministérielle de consolider ou de centraliser certaines fonctions d’enquête au sein de la même division. L’enquête sur laquelle travaillait M. Singh à titre de CR- 04 était l’une des enquêtes qui devait être transférée à la Division des opérations et de l’intégration et, en conséquence, M. Singh a suivi l’enquête. Plusieurs autres témoins de Statistique Canada (M. Beauchamp, Mme Carrière, M. Nemes, Mme Slater et M. Dodds) ont donné des témoignages similaires en rapport avec les circonstances entourant la mutation de M. Singh à la Division des opérations et de l’intégration.

En ce qui concerne l’évaluation de rendement rédigée par Mme Sheikh concernant M. Singh, dans l’opinion de M. Mozes, cette évaluation était peut- être un peu trop généreuse.

M. Dodds se rappelle que M. Singh l’avait abordé pour lui demander de prolonger son mandat, mais il ne souvient pas d’avoir eu une discussion concernant des promesses qui avaient pu être faites à M. Singh par M. Mozes concernant l’extension de son mandat. Selon M. Dodds, en mars 1990, les projets sur lesquels avaient travaillé Mme Bekooy et M. Semotiuk étaient presque achevés, et il n’aurait pas été très logique de retirer Mme Bekooy ou M. Semotiuk de leur projet respectif afin de les remplacer l’un ou l’autre par M. Singh. Mme Bekooy et M. Semotiuk ont vu chacun leur mandat prolongé pour de courtes périodes afin de leur permettre d’achever leur travail, après quoi chacun a quitté Statistique Canada.

M. Nemes a déclaré que M. Singh avait obtenu une affectation de niveau ES- 01comme une chance de prouver ce qu’il savait faire . M. Singh, M. Semotiuk et Mme Bekooy ont tous trois été engagés pour des mandats de durée déterminée dans le cadre de trois programmes distincts de recouvrement des coûts, et le mandat de M. Singh n’a pas été prolongé étant donné qu’il avait achevé son projet. Les projets de M. Semotiuk et de Mme Bekooy n’étant pas complétés, ils ont obtenu de courtes extensions. Après l’expiration de son mandat, M. Singh est revenu à son ancien poste de CR- 04.

Même si Mme Sheikh travaille toujours pour Statistique Canada et si elle a été citée par l’intimé comme témoin dans le cadre des présentes, elle n’a pas été appelée à témoigner. Certaines preuves semblent suggérer que Mme Sheikh pouvait avoir elle- même des plaintes fondées sur la race ou sur l’origine nationale ou ethnique en ce qui concerne son traitement par Statistique Canada.

v) Le concours de recrutement des SI de 1990

A compter du 1er avril 1990, M. Singh travaillait au sein de la Division des opérations et de l’intégration à titre de CR- 04. Il relevait de Terry Carrière qui lui- même était sous la supervision de Jacques Beauchamp, le chef de la Division des opérations et de l’intégration. M. Singh allègue qu’en 1990 il a présenté sa candidature pour un poste de SI- 02 et qu’il a obtenu de très bons résultats au niveau des connaissances et des aptitudes à l’examen. Il allègue par ailleurs qu’il a été jugé comme ne convenant pas pour le poste par suite d’une référence négative donnée par Jacques Beauchamp. M. Singh maintient que M. Beauchamp ne l’aimait pas et que même s’il avait fourni une référence à son sujet, M. Beauchamp n’avait aucune idée de la qualité du travail de M. Singh. Dans son témoignage, M. Singh décrit la référence fournie par M. Beauchamp comme étant malveillante et fausse et un tissu de faussetés et de distorsions .

Selon M. Singh, au moment du concours, celui- ci travaillait pour la Division des opérations et de l’intégration depuis deux ou trois mois. Il a témoigné qu’il ne connaissait pas M. Beauchamp et qu’il n’avait jamais travaillé pour lui. A plusieurs reprises, M. Singh a affirmé qu’il n’avait même jamais rencontré M. Beauchamp. Néanmoins, M. Singh a témoigné que M. Beauchamp ne l’aimait pas dès le premier jour et qu’il l’avait harcelé de tous bords et tous côtés . M. Singh a déclaré que M. Beauchamp était un ami de M. Mozes et que M. Beauchamp avait dit à M. Singh : M. Mozes s’est débarrassé de vous. Je ne tiens pas à vous avoir avec moi, vous n’êtes pas qualifié pour ce type de travail (Transcription, page 421). Par la suite, M. Singh a expliqué qu’il avait bien rencontré M. Beauchamp, mais seulement un an après qu’il eut été employé à la Division des opérations et de l’intégration, soit bien après la tenue du concours en question.

M. Singh déclare qu’il a fourni deux noms à titre de références MM. Akeaympong et Wayne Smith. M. Smith avait supervisé M. Singh lorsque ce dernier avait obtenu une affectation de la DAS au niveau ES à la Division des communications en 1986- 1987. Selon M. Singh, à Statistique Canada il était d’usage que les candidats fournissent eux- mêmes les noms de leurs références à moins qu’ils aient expressément consenti à ce que le comité cherche ailleurs. M. Singh n’avait pas consenti à ce qu’on obtienne une référence de la part de M. Beauchamp. Il a déclaré qu’au moment où il s’est aperçu qu’il pouvait déposer un grief à ce sujet, il était déjà trop tard.

Au début, M. Singh était incapable d’identifier les membres du comité de sélection pour ce concours, mais il a déclaré qu’ils étaient trois et qu’ils travaillaient tous pour M. Beauchamp. Dans ses conclusions finales, M. Singh a identifié deux des membres du comité comme étant Linda Gorman et Jasmine Boyer. M. Singh a déclaré que M. Beauchamp avait la réputation à Statistique Canada d’être un tyran, que les membres du comité de sélection avaient peur de lui et que les opinions de M. Beauchamp influençaient le comité de sélection.

M. Singh a fourni au tribunal une copie de son examen, des copies des documents de référence obtenus auprès du comité de sélection et des renseignements concernant les résultats qu’il avait obtenus du Service du personnel (pièce HR- 1, onglet 12). Selon ces renseignements, M. Singh avait réussi la partie de l’examen qui portait sur les connaissances et les aptitudes, mais il n’avait obtenu que six points sur trente pour la composante des qualités personnelles. Il fallait obtenir dix- huit sur trente pour se qualifier.

L’examen écrit était apparemment conçu pour vérifier les connaissances du candidat. Il y avait aussi un examen oral visant à tester les aptitudes et les qualités personnelles. Le gros des questions durant l’examen oral visait à évaluer les aptitudes, même si l’une des questions semble avoir été spécialement conçue pour vérifier les qualités personnelles. Celle- ci demande au candidat de décrire comment il réagirait dans une situation particulière. Nous avons aussi obtenu ce qui semble être la réponse attendue, qui comporte environ onze éléments et dont chacun des éléments était pondéré aux fins de la notation. La réponse de M. Singh ne couvrait que l’un des éléments suggérés, et en conséquence il n’a obtenu qu’un point sur quinze pour cette question. Les quinze autres points relatifs aux qualités personnelles semblent avoir été liés au résultat des demandes de références.

Le comité de sélection a obtenu trois références concernant M. Singh de la part de MM. Beauchamp et Smith et de Mme Carrière. Nous n’avons pu déterminer qui avait contacté les répondants en question. Chaque personne devant fournir des références a dû évaluer les qualités personnelles de M. Singh dans trois domaines : son aptitude à entretenir des relations interpersonnelles efficaces, son sens de l’initiative et sa rigueur. Chacun de ces éléments est mesuré sur une échelle de un à cinq, cinq correspondant à excellent et un étant inacceptable. M. Beauchamp a accordé un point à M. Singh pour chacun des deux premiers points et trois points pour ce qui est de la rigueur. Le commentaire concernant l’aptitude de M. Singh à entretenir des relations interpersonnelles efficaces relate que M. Singh avait éprouvé certaines difficultés avec ses collègues de travail et qu’il avait une attitude très supérieure. Pour ce qui est de son sens de l’initiative, il semble que M. Beauchamp ait dit que M. Singh n’en avait aucune et il donne un exemple. En ce qui a trait à la rigueur de M. Singh, M. Beauchamp a déclaré que M. Singh suivait les instructions à la lettre, mais seulement pour certaines tâches et que M. Singh avait démontré une préférence pour la rédaction de rapports seulement.

M. Smith a évalué l’aptitude de M. Singh à entretenir des relations interpersonnelles efficaces et il lui a attribué à ce chapitre trois points sur cinq tandis qu’il évaluait son sens de l’initiative à quatre sur cinq. Il n’a attribué aucun point pour ce qui est de la rigueur étant donné que c’est une aptitude que M. Smith se sentait incapable d’évaluer concernant M. Singh vu le peu temps pendant lequel il avait pu l’observer au travail. Les commentaires indiquent cependant que M. Singh montrait beaucoup trop de résistance à la critique à l’égard de son travail. Dans sa preuve, M. Singh a déclaré qu’il n’avait pas contesté la référence fournie par M. Smith (Transcription, p. 302).

Mme Carrière a accordé deux points à M. Singh pour ce qui est de son aptitude à entretenir des relations interpersonnelles efficaces, elle lui a donné deux points pour le sens de l’initiative et trois points pour la rigueur. Ses commentaires sont plus détaillés que ceux des deux autres personnes, mais ils reprennent sensiblement les mêmes préoccupations - que M. Singh se considérait comme supérieur sur le plan académique à ses collègues et qu’il était très hostile à la critique. Il y est également question d’une plainte reçue d’une autre division concernant des problèmes qui seraient survenus avec M. Singh. Par ailleurs, Mme Carrière a indiqué avoir observé que la principale préoccupation de M. Singh était de trouver un autre poste.

M. Beauchamp, Mme Carrière et M. Smith ont tous trois témoigné pour l’intimé. Chacun a confirmé avoir fourni des références concernant M. Singh et a aussi confirmé que les références fournies représentaient une évaluation équitable du rendement de M. Singh.

M. Beauchamp a témoigné qu’il y avait entre 65 et 70 employés dans sa section et qu’il avait rencontré M. Singh le jour où il est arrivé à la Division des opérations et de l’intégration. Il était au courant des problèmes qu’éprouvait M. Singh en matière de rendement par suite de ses discussions régulières avec Mme Carrière et Ghislaine Comeau. Mme Comeau était une agente de la statistique dont relevait M. Singh. M. Beauchamp a déclaré qu’on lui avait dit que même si M. Singh réussissait bien dans les travaux d’analyse, il n’avait aucun intérêt pour le travail répétitif. La majorité du travail effectué dans la Division des opérations et de l’intégration est de nature répétitive.

Selon M. Beauchamp, en octobre 1990, il a été contacté par Linda Gorman qui est l’une de ses subordonnés. Mme Gorman était l’un des membres du comité de sélection. M. Beauchamp a déclaré qu’il ne sait pas qui étaient les autres membres du comité. M. Beauchamp a témoigné qu’il avait demandé à Mme Gorman pourquoi on l’avait appelé et que Mme Gorman lui a dit : que chaque employé d’une division devait obtenir des références de son chef (Transcription, p .2041). En conséquence, il a fourni des références conformes à ce qui a été déposé en preuve, et il était convaincu que celles- ci étaient équitables.

M. Beauchamp a nié être un ami de M. Mozes. Il a déclaré qu’il connaissait M. Mozes uniquement à titre de client de la Division des opérations et de l’intégration, et qu’en fait il avait eu fréquemment des discussions assez animées avec M. Mozes en rapport avec les exigences de ce dernier.

Mme Carrière a confirmé les problèmes qu’elle avait éprouvés dans la supervision de M. Singh, et qu’elle avait discuté régulièrement avec M. Beauchamp de ces problèmes lesquels se reflètent dans les références qu’elle a fournies. Mme Carrière a expliqué les circonstances entourant la plainte reçue de la Division de l’agriculture concernant M. Singh, et cette plainte est documentée dans une note de service datée du 16 août 1990 adressée par Lynn Walters de la Division de l’agriculture à Mme Carrière (pièce HR- 7). Selon la note de Mme Walters, M. Singh avait travaillé sur une enquête pour la Division de l’agriculture et il avait montré très peu d’intérêt dans le travail à effectuer. M. Singh aurait été très peu réceptif aux suggestions de la Division de l’agriculture et il n’aurait pas appliqué certaines spécifications de contrôle même si on lui avait demandé de le faire. Il convient de noter qu’une copie de la note de plainte a été transmise à M. Beauchamp, tout comme la réponse de M. Singh (pièce HR- 8). Dans ses conclusions finales, M. Singh a déclaré que Mme Walters était une amie intime de Mme Carrière et que Mme Walters avait rédigé cette note de collusion avec Mme Carrière dans un effort pour discréditer M. Singh.

Mme Clément a témoigné concernant les politiques de dotation de Statistique Canada en rapport avec la vérification des qualités personnelles. Elle nous a fourni un exemplaire de la politique de la Commission de la fonction publique concernant les vérifications des références, laquelle politique stipule qu’à moins qu’une vérification de références vise à vérifier les aptitudes au niveau de la fiabilité ou de la sécurité, le consentement de l’employé à la production des références n’est pas requis lorsque le répondant est employé d’une institution fédérale. La politique suggère toutefois que le consentement peut être demandé, par mesure de courtoisie, même s’il n’est pas nécessaire (pièce R- 18). La politique interne de Statistique Canada concernant les vérifications de références indique que les répondants contactés peuvent être ceux qui ont été indiqués par le candidat ou encore quiconque connaît bien le travail du candidat. La politique stipule que pour les candidats de l’extérieur de la Fonction publique, le consentement de l’employé est nécessaire avant de communiquer avec l’employeur actuel du candidat. La politique observe par ailleurs qu’il peut être utile de contacter des répondants autres que ceux qui sont fournis par le candidat, afin d’éviter d’obtenir uniquement des répondants qui sont excessivement positifs concernant le candidat (pièce R19, p. 3).

Mme Clément a déclaré que la personne qui donne les références doit avoir une connaissance directe du rendement au travail du candidat et qu’elle ne doit pas se fier à des ouï- dire. Normalement, le chef d’une section devrait posséder suffisamment de renseignements pour servir de répondant, même s’il n’est pas le supérieur direct du candidat.

vi) Le concours de recrutement des ES- 01 de 1991

De février 1991 jusqu’en août 1991, M. Singh était à l’extérieur de la Division des opérations et de l’intégration sur une affectation de la DAS. Durant cette période, M. Singh a travaillé pour la Division de l’analyse des enquêtes sur le travail et le ménage où il était supervisé par M. Akeaympong. M. Singh y aurait travaillé au niveau ES subalterne , ce qui semble correspondre au niveau ES- 01. Selon M. Akeaympong, le rendement de M. Singh durant cette affectation a été décrit comme étant exemplaire . D’après M. Akeaympong, M. Singh s’entendait bien avec les autres membres du personnel, il était un employé diligent qui nécessitait très peu de supervision et il était nettement utilisé en dessous de ses capacités (pièce HR- 1, onglet 18). A la fin de son affectation de la DAS, M. Singh est revenu à son poste de CR- 04 à la Division des opérations et de l’intégration.

En 1991, M. Singh a posé sa candidature pour obtenir un poste de ES- 01 à Statistique Canada dans le cadre du Programme de recrutement des ES. D’après M. Singh, il aurait passé un examen écrit. Il déclare avoir obtenu de très bons résultats à l’examen, cependant il ne l’a pas réussi. M. Singh a témoigné être allé voir la présidente du comité de sélection, Mme Lucie Laliberté qui lui a dit qu’il avait échoué l’examen par deux points. M. Singh a déclaré que Mme Laliberté l’avait dissuadé d’aller en appel lui disant que cela aurait un mauvais effet sur le service.

M. Singh déclare qu’ayant échoué à l’examen, il n’a pas pu passer d’entrevue orale, et que, en conséquence, on n’a procédé à aucune évaluation de ses qualités personnelles.

M. Singh ne dispose d’aucun renseignement concernant les autres candidats à ce concours. Il a néanmoins fourni une liste qui indique que quarante- huit personnes ont été engagées à la suite du concours (pièce HR2, onglet 20).

M. Singh ne sait pas s’il y a eu des changements dans la qualité des candidats aux postes ES à Statistique Canada par suite de l’introduction du Programme de recrutement des ES, ou encore si le nombre des candidats a augmenté. Il affirme, cependant, que le programme cible les diplômés universitaires récents, dont la plupart sont des jeunes. Il conteste par ailleurs le fait qu’il ait échoué à l’examen, signalant qu’il avait déjà été qualifié dans des concours de niveau ES, qu’il avait offert un bon rendement dans des postes du niveau ES en plusieurs occasions et qu’il avait par ailleurs des titres universitaires supérieurs. Dans son témoignage, M. Akeaympong a confirmé que M. Singh avait donné un bon rendement au niveau ES pendant qu’il était en affectation de la DAS, en 1991. Il a aussi ajouté que depuis l’introduction du Programme de recrutement des ES, en 1990, le nombre et la qualité des candidats ES avaient augmenté. Alors que avant 1990 les candidats ne possédaient qu’un diplôme de premier cycle, aujourd’hui ils possèdent souvent des diplômes de maîtrise. De plus, Statistique Canada recrute désormais des candidats possédant des connaissances de haute technicité, des connaissances informatiques et des connaissances relatives aux techniques de manipulation statistique et aux modèles économétriques.

Un certain nombre de témoins de l’intimé ont parlé des changements qui se sont effectués à la suite de la mise en oeuvre du Programme de recrutement des ES. M. Vincent a déclaré que les recrues dans le cadre du nouveau programme provenaient des quatre coins du pays et qu’il s’agissait de la crème de la crème . Toujours selon M. Vincent, les candidats doivent désormais posséder un diplôme de maîtrise.

M. Nemes a aussi déclaré que dans le cadre du nouveau programme, les candidats ont désormais au moins un diplôme de maîtrise soit en économique, en sociologie ou en statistique.

M. Dodds a fourni des explications détaillées des raisons justifiant l’introduction du Programme de recrutement des ES, auquel nous avons déjà fait référence auparavant dans la présente décision. De plus, il a fourni une description détaillée du programme lui- même. Selon M. Dodds, l’un des objectifs visés par le Programme de recrutement des ES consistait à s’assurer que les recrues faisant leur entrée à Statistique Canada étaient d’une qualité uniformément élevée. Dans le cadre du Programme de recrutement des ES, tous les candidats doivent détenir un diplôme universitaire avec une spécialisation pertinente. Il s’agit d’une exigence minimale : les candidats qui n’ont pas de diplôme universitaire sont éliminés du concours. Quant aux candidats provenant de l’intérieur de Statistique Canada, à partir du moment où ils satisfont aux exigences minimales, la nature ou le degré de scolarité n’a aucune importance. Autrement dit, un candidat possédant un doctorat ne sera pas mieux considéré qu’un candidat détenant un baccalauréat en économique. Les candidats externes sont évalués en fonction de leurs notes et, aussi en fonction des types de cours qu’ils ont suivis à l’université. La préférence est donnée au candidat ayant suivi des cours quantitatifs comme l’économétrie ou les statistiques. Dans le cadre des politiques et lignes directrices relatives au Programme de recrutement et de perfectionnement des ES, pour les candidats externes, la préférence peut être donnée à ceux qui détiennent un diplôme de maîtrise (pièce R- 1, onglet 22, p. 2).

Tous les candidats qui possèdent les exigences minimales en matière de scolarité sont ensuite notés ou évalués en fonction de leurs connaissances, aptitudes et qualités personnelles. Une note de passage dans chacun de ces domaines est nécessaire pour que le candidat soit retenu. La manière dont ces éléments sont mesurés peut varier d’un concours à l’autre. D’après M. Dodds, lorsqu’il y a beaucoup de candidats, le processus commence habituellement par un examen écrit visant à évaluer les connaissances et les aptitudes. Ceux qui réussissent l’examen écrit peuvent ensuite passer un examen oral. Les qualités personnelles sont habituellement évaluées au moment de l’entrevue, où, par exemple, les jeux de rôle sont utilisés pour évaluer des qualités telles que le tact. Les demandes de références peuvent aussi être utilisées comme outil d’évaluation. Dans les concours où il y a beaucoup moins de candidats, on peut se dispenser de l’examen écrit.

Nous possédons très peu de renseignements concernant le processus qui a effectivement été suivi dans ce concours. Mme Laliberté n’a pas témoigné. Le tribunal n’a obtenu aucune preuve concernant les résultats du concours proprement dit, à part la liste des personnes qui ont été engagées. Ainsi, nous n’avons pu prendre connaissance des questions de l’examen, nous n’avons pu voir les réponses que l’on attendait à ces questions ni celles qui ont été fournies par M. Singh. De même, nous n’avons pu obtenir aucun renseignement concernant l’identité, les qualifications, l’âge, l’origine ethnique ou les résultats de tous les autres candidats. Même si ce n’est pas très clair, il semble que la documentation relative à ce concours et à d’autres concours peut avoir été détruite conformément à la politique de Statistique Canada concernant la destruction des dossiers de dotation (pièce R- 25).

vii) Le concours de recrutement des ES- 01 de 1992

En 1992, M. Singh a de nouveau posé sa candidature pour un poste de niveau ES- 01 dans le cadre du Programme de recrutement des ES. Selon M. Singh, cette fois le concours ne comprenait pas d’examen écrit, mais consistait seulement en une entrevue orale. M. Singh a été interviewé par Darryl Rhoades, qui était à l’époque directeur de la Division des transports, un processus que M. Singh déclare avoir été très subjectif. M. Singh raconte qu’au cours de l’entrevue, on lui a demandé de remplir un formulaire jaune qui lui demandait, entre autres choses, sa date de naissance. Il s’est aussi identifié lui- même sur le formulaire comme étant un ressortissant de l’Asie du Sud .

M. Singh ne se rappelle pas des questions qui lui ont été posées durant l’entrevue et il ne se rappelle pas non plus si M. Rhoades lui a demandé de répondre aux questions de façon plus complète. Selon M. Singh, il n’aurait éprouvé aucun problème durant l’entrevue. En dépit du fait qu’il a très bien réussi lors de ce concours, on ne lui a pas offert l’un des soixante- dix postes ES qui, selon M. Singh, auraient été comblés par l’intimé à la suite de ce concours.

> 33 Même s’il en avait la possibilité, M. Singh n’a pas demandé à rencontrer M. Rhoades après le concours afin de discuter de son rendement, étant donné qu’il avait l’impression d’avoir si bien réussi que ce n’était pas nécessaire. Il a déclaré qu’il était fermement convaincu qu’on aurait dû lui offrir l’un des soixante- dix postes disponibles. Par la suite, il s’est rendu au Comité d’appel de la Commission de la fonction publique où on lui aurait dit qu’il y avait un problème avec le Programme de recrutement, problème dont la nature n’est pas très claire dans la preuve. M. Singh a témoigné qu’on lui avait dit au Comité d’appel qu’il devrait déposer une plainte à la Commission des droits de la personne.

M. Singh a d’abord déclaré qu’il n’avait pas déposé de grief concernant le processus du concours, même s’il s’est rappelé par la suite l’avoir fait lorsqu’il fut présenté avec la documentation concernant le grief. Le grief a été refusé à la fois au niveau du directeur et du statisticien adjoint en chef. M. Singh a aussi demandé l’aide du syndicat et une lettre a été envoyée au nom de M. Singh au statisticien en chef demandant que le processus de sélection soit examiné de plus près et mentionnant qu’une plainte serait déposée auprès de la Commission des droits de la personne à moins que la question ne soit résolue de façon satisfaisante. M. Singh a été avisé que Statistique Canada était d’opinion que le processus avait été équitable et on lui a aussi déclaré que la Commission de la fonction publique examinait le concours, ainsi que d’autres, et qu’elle ferait une recommandation pour des mesures correctives dans l’éventualité où des irrégularités se seraient produites.

Une copie de la vérification effectuée par la Commission de la fonction publique a été déposée en preuve par l’intimé (pièce R- 1, onglet 13). La Commission de la fonction publique a conclu que le programme de recrutement des ES était bien administré et que les nominations à effectuer dans le cadre du programme avaient été faites au mérite. Le rapport de vérification soulignait que des efforts particuliers avaient été faits pour s’assurer que l’équité en matière d’emploi était intégrée au programme et que, dans le cadre du programme de recrutement des ES 1991- 1992, 43 % des personnes engagées étaient des femmes, 4 % étaient des autochtones, 12 % étaient des membres des minorités visibles et 3 % étaient des personnes handicapées. La Commission a néanmoins recommandé la création d’un concours séparé et fermé pour les candidats internes de Statistique Canada et elle a par ailleurs souligné que l’évaluation des qualités personnelles devrait être mieux définie.

Selon M. Singh, le programme de recrutement de 1992 était conçu principalement en vue de recruter des diplômés universitaires jeunes et de race blanche et que la plupart des candidats retenus se situaient au début de la vingtaine.

Darryl Rhoades a témoigné pour le compte de l’employeur intimé concernant ce concours. M. Rhoades est le directeur de la Division des mesures et analyse des industries à Statistique Canada. M. Rhoades faisait partie de l’équipe qui interviewait les candidats dans le cadre du Programme de recrutement des ES de 1992. Selon M. Rhoades, il y avait près de 1 800 candidats à ce concours, et de ce nombre environ 500 ont été interviewés. 129 de ces candidats provenaient de Statistique Canada. M. Rhoades a lui- même interviewé 56 candidats, dont 20 provenaient de 34 Statistique Canada. M. Rhoades a affirmé que 64 personnes ont été engagées à la suite de ce concours, certaines au niveau ES- 01 et les autres au niveau ES- 02.

D’après M. Rhoades, les candidats de l’extérieur étaient présélectionnés avant d’être interviewés, dans un effort pour réduire le nombre d’entrevues nécessaires. Les candidats étaient examinés de près en ce qui concerne les cours qu’ils avaient suivis et les résultats qu’ils avaient obtenus. M. Rhoades a déclaré que le calibre des candidats était très élevé et que les candidats de l’extérieur qui se rendaient à l’étape de l’entrevue étaient habituellement des étudiants qui obtenaient des A . La politique de Statistique Canada consistait à interviewer tous les candidats internes, peu importe les résultats obtenus, et c’est sur cette base que M. Singh a obtenu une entrevue. Selon M. Rhoades, et à partir de son expérience du niveau des candidats ayant participé au concours, avec les résultats qu’il avait obtenus, M. Singh n’aurait pas obtenu d’entrevue s’il avait fait une demande à partir de l’extérieur de Statistique Canada. M. Rhoades a témoigné que les candidats internes devaient satisfaire à l’exigence de base en matière de scolarité qui était un diplôme de premier cycle afin de pouvoir participer au concours. Le fait qu’un candidat interne détienne un diplôme d’études supérieures ne lui conférait aucun avantage additionnel.

M. Rhoades ajoute que le processus d’entrevue était conçu pour mesurer certaines connaissances particulières telles que l’aptitude à l’analyse. Les candidats étaient aussi évalués au niveau de leurs qualités personnelles et de leur attitude générale. La composante portant sur l’évaluation des connaissances était largement objective, tandis qu’il y avait davantage de subjectivité entrant dans l’évaluation des aptitudes du candidat et de ses qualités personnelles. La composante des connaissances était évaluée au moyen de six questions précises. Une question demandait aux candidats d’examiner deux tableaux statistiques, l’un donnant des informations sur l’emploi dans diverses industries tandis que l’autre donnait des informations concernant la production dans diverses industries, et les candidats devaient décrire ce qu’ils voyaient. A l’aide de cette question, les intervieweurs cherchaient à savoir si le candidat serait en mesure d’établir des liens d’analyse et de faire les déductions appropriées concernant la productivité. D’autres questions portaient sur les structures professionnelles et le chômage, sur la façon dont l’indice des prix à la consommation est constitué de même que sur les politiques monétaires.

En plus de ces questions types qui étaient posées à tous les candidats par les divers membres du comité donnant des entrevues, le Comité de recrutement avait préparé une description détaillée d’un éventail de réponses attendues (pièce R- 33). De nombreuses réponses possibles étaient suggérées pour chaque question. D’après M. Rhoades, ces réponses constituaient un point de départ, mais les intervieweurs pouvaient aussi accepter les réponses pertinentes qui ne figuraient pas sur la liste.

D’après M. Rhoades, les notes allouées par le comité pour l’ensemble des questions dans le cadre du concours totalisaient plus que 100 %. En conséquence, il était nécessaire de noter les résultats du candidat pour la composante des connaissances lors de l’entrevue, de sorte que le résultat total puisse être exprimé en pourcentage. Il semble qu’il y ait eu une erreur de transcription dans le calcul des résultats nets de M. Singh, de même que dans le calcul des résultats nets de plusieurs autres candidats. En conséquence, après avoir mélangé les résultats nets et les résultats bruts, le score de M. Singh a été consigné sur un tableau résumant ceux obtenus par tous les autres candidats interviewés par M. Rhoades (pièce R34) comme étant 68 sur 109. En réalité, son score était de 75 sur 109 ou 68 %.

M. Rhoades avait des copies des notes qu’il avait prises lors de l’entrevue de M. Singh et, aussi, il avait conservé une copie de la grille de notation consignant les résultats de M. Singh de même que celle des autres candidats qu’il avait interviewés (pièces R- 6 et R- 34). La composante des connaissances mesurée durant l’entrevue représentait 45 % de la note totale. M. Singh a obtenu 39 sur 54, ce qui a été par la suite transformé en 32 sur 45 pour la composante des connaissances mesurée durant l’entrevue. M. Rhoades a examiné chacune des questions qui avaient été posées à M. Singh dans un certain détail et il a comparé les réponses de M. Singh telles qu’elles étaient consignées dans les notes d’entrevue de M. Rhoades, avec la liste des réponses attendues. D’après M. Rhoades, M. Singh donnait des réponses incomplètes aux questions, même s’il était capable d’élaborer un peu plus sur sa réponse initiale lorsque M. Rhoades l’encourageait à le faire.

Les candidats étaient aussi évalués en fonction de leurs aptitudes. Cette fois encore, cette évaluation était effectuée à partir de questions types, mesurée par rapport à une liste de réponses attendues. D’après M. Rhoades, le comité cherchait à mesurer les aptitudes des candidats à effectuer des analyses, y compris l’aptitude à faire un raisonnement déductif, à établir des rapports entre les domaines et à synthétiser un message à partir d’un ensemble d’informations. M. Rhoades a cette fois encore examiné les notes qu’il avait prises durant l’entrevue et il a comparé les réponses qu’a données M. Singh avec les réponses attendues. D’après M. Rhoades, M. Singh a obtenu 20 points sur une possibilité de 30 pour la partie des aptitudes mesurée durant l’entrevue.

Le dernier domaine pour lequel les candidats étaient évalués était celui des qualités personnelles . Sous cette rubrique, les intervieweurs essayaient d’établir les compétences des candidats en matière de communication telles qu’elles sont mesurées par l’aptitude à faire passer son message durant l’entrevue, de même que les qualités démontrées par les candidats comme l’attitude, la motivation, la confiance en soi et l’enthousiasme. M. Singh a obtenu au total 16 points sur 25 dans ce domaine. M. Rhoades a déclaré que ce résultat était fondé sur son évaluation du rendement de M. Singh dans le cadre de l’entrevue dans son ensemble, plutôt qu’en fonction du résultat à une réponse à une question précise. M. Rhoades a été incapable de fournir des renseignements plus précis concernant les facteurs ayant servi à évaluer M. Singh au niveau de ses qualités personnelles.

M. Rhoades a déclaré qu’au cours des entrevues, certains candidats devaient signer un formulaire de Demande d’enquête de sécurité sur le personnel et autorisation qu’il a identifié comme étant la pièce R- 35. Le formulaire en question demandait aux candidats divers renseignements, dont leur date de naissance. M. Rhoades n’était pas certain du but exact de ce formulaire, il a simplement indiqué que le service du personnel avait informé les intervieweurs que les candidats devaient le remplir. Le formulaire, qui semble avoir un lien avec l’obtention des habilitations de sécurité du gouvernement comporte plusieurs parties, et celle qui est conservée par le candidat est jaune.

Comme nous l’avons déjà signalé, M. Singh a obtenu lors de ce concours une note totale de 75 sur 109, ce qui représente un score net de 68 %. D’après M. Rhoades, ces résultats plaçaient M. Singh à environ 30 % de la liste des 56 candidats qu’il avait interviewés. Parmi les candidats interviewés, 35 avaient obtenu des notes supérieures à celle de M. Singh.

Une fois les entrevues terminées, M. Rhoades et chacun des autres intervieweurs ont transmis leur liste des 10 ou 12 meilleurs candidats à un comité central. Même si les candidats devaient obtenir au moins 80 % pour se qualifier en vue d’obtenir un poste, en fait, le candidat ayant obtenu la note la plus faible parmi ceux dont le nom avait été transmis au comité central par M. Rhoades avait des résultats aux alentours de 85 %. En faisant la sélection des meilleurs candidats, on s’assurait par ailleurs qu’il y avait un bon équilibre entre économistes et sociologues. De plus, on accordait une attention favorable aux personnes ayant obtenu des résultats légèrement inférieurs dans la mesure où celles- ci étaient membres d’une minorité visible.

M. Rhoades a reconnu que la majorité des récents diplômés engagés dans le cadre du Programme de recrutement des ES se situaient dans la vingtaine et la trentaine, mais il nie que ce facteur ait joué dans son évaluation de la candidature de M. Singh.

Même s’il n’a pas participé directement à ce concours, M. Dodds a témoigné de façon détaillée en ce qui concerne le Programme de recrutement des ES de Statistique Canada. Selon M. Dodds, tout candidat interne qui s’était qualifié (c’est- à- dire qui avait satisfait aux exigences de base au niveau des notes) dans le cadre du Programme de recrutement des ES se voyait offrir un poste, même si des candidats de l’extérieur avaient obtenu de meilleures notes au cours du processus.

La politique et les lignes directrices de Statistique Canada en ce qui concerne le Programme de recrutement des ES stipulent que les candidats doivent obtenir au moins 80 % pour se qualifier en vue d’obtenir un poste (pièce R- 1, onglet 22, p. 4).

viii) Grief de 1992

La plainte de M. Singh fait référence à un grief qu’il avait déposé en 1992. Aucune preuve n’a été déposée concernant ce grief. Dans son argumentation, le procureur de la Commission a adopté la position que peu importe ce qui s’était passé dans le contexte, le grief n’était pas pertinent pour les questions qui sont débattues devant ce tribunal. M. Singh n’a pas mentionné ce sujet dans le cadre de ses conclusions. En conséquence, nous n’avons pas l’intention d’aller plus loin sur ce sujet.

IV LOI

L’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne stipule en partie ce qui suit :

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects... b) de le défavoriser en cours d’emploi..

L’âge et l’origine nationale ou ethnique sont des motifs illicites de discrimination.

Dans une affaire de cette nature, le fardeau de la preuve incombe au plaignant qui doit établir une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire du cas de discrimination. Une fois cette prétention établie, le fardeau de la preuve se déplace sur l’intimé qui doit fournir une explication raisonnable de la conduite qui lui est reprochée. (Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982], 1 R. C. S. 202 à 208 et Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpson Sears limitée, [1985], 2 R. C. S. 536 à 558).

Une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui sont faites et qui, si on y ajoute foi, est complète et suffisante, pour justifier un verdict favorable au plaignant en l’absence d’une réponse de la part de l’intimé (O’Malley, supra, p. 558). Les allégations qui sont faites par le plaignant doivent être crédibles afin d’appuyer la conclusion selon laquelle on a bien établi une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire (Dhanjal c. Air Canada, [1997] C. F. J. No 1599, (1997) 139 F. T. R. 37).

L’affaire Shakes c. Rex Pak Limited (1982), 3 C. H. R. R. D/ 1001, énonce certains critères relatifs à la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire dans les cas de plaintes en matière d’emploi :

  1. le plaignant avait les qualifications pour l’emploi en cause;
  2. le plaignant n’a pas été embauché;
  3. une personne qui n’était pas mieux qualifiée, mais qui n’avait pas le trait distinctif à l’origine de la plainte (c’est- à- dire : race, couleur, etc.) a finalement obtenu le poste. (à la p. D/ 1002)

Ce critère à plusieurs volets a été modifié afin de s’ajuster à des situations où les plaignants ne sont pas engagés et où l’intimé continue de chercher un candidat approprié. Dans ces cas, l’établissement d’une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire exige la présence des éléments suivants :

  1. que le plaignant appartienne à l’un des groupes qui sont sujets à la discrimination en vertu de la loi, par exemple : motif religieux, handicap ou origine ethnique;
  2. que le plaignant a posé sa candidature pour un poste pour lequel il était qualifié et que l’employeur désirait combler;
  3. que, même s’il était qualifié, le plaignant a été rejeté;
  4. que, par la suite, l’employeur a continué de chercher des candidats possédant les qualifications du plaignant. (Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne et Commission de la fonction publique (1983), 4 C. H. R. R. D/ 1616 à la page 1618)

Les critères des arrêts Shakes ou Israeli ne pourront servir, toutefois, à identifier correctement les éléments d’une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire dans chacune des causes de plaintes en matière d’emploi (Chander et Joshi c. ministère de la Santé nationale du Bien- être social, DT 16/ 95, à la page 25, confirmé [1997] C. F. J. No 692, (1997) 131 F. T. R. 301).

Si l’intimé fournit une explication raisonnable de sa conduite qui autrement serait jugée discriminatoire, le plaignant a le fardeau de démontrer que cette explication est un prétexte et que la motivation véritable derrière la conduite de l’employeur était en fait discriminatoire. (Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne 4 C. H. R. R. D/ 1616 à la page 1617 (confirmé 5 C. H. R. R. D/ 2147) et Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C. H. R. R. D/ 5029).

La jurisprudence reconnaît la difficulté, dans les cas de discrimination, de prouver les allégations par voie de preuve directe. Comme on l’a souligné dans Basi :

[TRADUCTION]

La discrimination n’est pas une pratique que l’on peut s’attendre de voir exercée ouvertement, en fait, il n’y a que de très rares cas où l’on peut prouver par preuve directe que la discrimination a été exercée en toute connaissance de cause. (à la page D/ 5038)

Il incombe plutôt au tribunal d’examiner toutes les circonstances afin de déterminer s’il existe ce que l’on décrit dans l’arrêt Basi comme étant l’odeur subtile de la discrimination .

Des preuves statistiques concernant des problèmes systémiques dans un milieu de travail peuvent constituer des preuves circonstancielles à partir desquelles on peut déduire que la discrimination s’est probablement produite dans un cas individuel (Chopra c. ministère de la Santé et du Bien- être social, [1998] C. F. J. No 432.

La norme de la preuve dans les cas de discrimination est la norme civile ordinaire de la prépondérance des probabilités. Dans les cas de preuves circonstancielles, le critère peut se formuler comme suit :

" Il est possible de conclure à la discrimination lorsqu’en raison de la preuve produite pour corroborer celle- ci, cette conclusion devient plus probable que les autres conclusions ou hypothèses possibles. (B. Vizkelety, Proving Discrimination in Canada (Toronto), Carswell, 1987 à la page 142.)

Il n’est pas nécessaire que les motifs discriminatoires soient les seules raisons justifiant les actions en litige pour qu’une plainte obtienne une décision favorable. Il suffit que la discrimination soit un des éléments considérés par l’employeur (Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 14 C. H. R. R. D/ 12 à la page D/ 15.

V ANALYSE

Étant donné l’importante quantité de preuves déposées au cours de la présente audience, et dans l’intérêt de fournir une décision cohérente, nous avons mis la preuve en évidence lorsqu’elle est en rapport avec chacune des allégations principales auxquelles M. Singh fait référence dans sa plainte et nous avons utilisé la même structure dans la partie analyse de la décision. Alors que chaque question est traitée séparément, nous avons aussi considéré chacune des allégations dans le contexte de la totalité de la preuve, dans un effort pour déterminer si oui ou non nous étions en présence d’un schéma visible de conduite discriminatoire de la part de l’intimé.

i) Crédibilité de M. Singh

Le règlement d’un grand nombre des questions en litige dans la présente affaire dépend en dernier ressort de nos conclusions en ce qui concerne la crédibilité des divers témoins. Comme M. Singh a participé à pratiquement tous les aspects de chacun des événements à l’origine de sa plainte, sa preuve était déterminante pour de nombreuses allégations. En conséquence, nous allons d’abord traiter de nos conclusions en ce qui concerne la crédibilité de M. Singh. La question de la crédibilité des autres témoins sera envisagée au fur et à mesure que nous traiterons de la participation de chacune de ces personnes dans les événements en cause.

Le tribunal n’entretient aucun doute en ce qui concerne la bonne foi de M. Singh qui est convaincu d’avoir été la victime de discrimination en fonction de l’âge et de son origine nationale ou ethnique durant la presque totalité de son emploi à Statistique Canada : en fait, pendant toute la durée de son témoignage, le sentiment de l’outrage ressenti à l’égard du traitement que lui aurait infligé l’intimé était perceptible. Pendant toute la durée de son témoignage, toutefois, M. Singh a souvent fait des affirmations péremptoires lorsqu’il a semblé qu’il pensait que cela pourrait faire avancer sa cause. Même s’il retirait habituellement ces affirmations lorsqu’on l’encourageait à le faire, cette tendance suscite néanmoins des inquiétudes concernant la fiabilité de M. Singh comme témoin.

A titre d’exemple, lors d’un contre- interrogatoire, on a demandé à M. Singh de parler de son rendement au travail. Il a déclaré ce qui suit :

Q. Entre 1985 et 1992, vous avez eu plusieurs superviseurs.

R. Oui, en effet.

Q. Certains ont fait des commentaires positifs à votre sujet, monsieur.

R. Oui, effectivement.

Q. Certains de ces superviseurs ont eu des commentaires négatifs à votre sujet.

R. Personne n’a fait de commentaires négatifs.

Q. Vraiment personne?

R. Non. (Transcription, p. 194)

M. Singh a par la suite été confronté à plusieurs exemples de superviseurs différents ayant eu des commentaires négatifs concernant son rendement au travail durant cette période. M. Singh n’a pas nié que les commentaires aient été faits, il a plutôt donné une explication comme quoi il avait nié que ces commentaires avaient été faits parce qu’il était en désaccord avec eux.

De plus, en certaines occasions, M. Singh a de toute évidence confondu certains événements : par exemple, il a insisté sur le fait qu’il avait donné le nom de M. Akeaympong comme répondant lors du concours des SI de 1990 (Transcription, p. 142 et p. 294). En même temps, M. Singh a témoigné qu’il n’était allé travailler pour M. Akeaympong qu’en février 1991. Rien ne suggère que M. Akeaympong et M. Singh faisaient plus que se saluer avant que M. Singh ne commence à travailler pour M. Akeaympong ou encore que M. Akeaympong ait été en position de fournir des références d’emploi pour M. Singh avant 1991.

Certains aspects du témoignage de M. Singh sont contradictoires par rapport à son témoignage subséquent sur le même sujet. Par exemple, à un certain moment lors de son témoignage où il semblait qu’il serait à son avantage de l’affirmer, M. Singh a comparé les simples tâches effectuées par les employés de niveau ES- 01 avec les tâches plus complexes attribuées au personnel de niveau ES- 03 (Transcription, pp. 136- 7). Plus tard dans son témoignage, dans un contexte différent, il s’est montré tout aussi catégorique en affirmant qu’il n’y avait aucune différence dans le travail effectué par les employés des niveaux ES- 01, ES- 02 ou ES- 03 (Transcription, p. 231). Le témoignage de M. Singh en ce qui a trait aux pratiques en matière de dotation à Statistique Canada différait parfois de celui d’un autre témoin de la Commission, en l’occurrence M. Mulvihill, et était, de plus, souvent en contradiction avec les politiques publiées en matière de dotation de Statistique Canada de même qu’avec les dispositions de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

En conséquence de ces préoccupations, nous avons trouvé que M. Singh n’était pas un témoin entièrement fiable et nous avons conclu que son témoignage devait être abordé avec certaines précautions.

ii) Défaut de remplacer M. Kaba sur la liste d’admissibilité

La première question pour le tribunal consiste à déterminer si la Commission et M. Singh ont établi une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire de discrimination pour des motifs d’âge et/ ou d’origine nationale ou ethnique en rapport avec ce point. Étant donné la théorie de la Commission et de M. Singh dans cette affaire, le critère de l’arrêt Israeli est, dans l’optique du tribunal, le plus pertinent à considérer, même si la question de reclassification de poste et, en particulier, du système de la liste d’admissibilité vient compliquer le processus de dotation avec pour résultat que cette affaire ne correspond pas parfaitement à la liste des éléments que nous avons pu trouver dans la jurisprudence et qui sont habituellement nécessaires pour établir un cas de discrimination au travail avec preuve suffisante jusqu’à preuve contraire. Dans l’optique du tribunal, les critères des deux arrêts Shakes et Israeli servent de guides utiles et seront appliqués directement dans de nombreuses affaires liées aux plaintes en matière d’embauche ou de promotion. Ni l’un ni l’autre de ces critères ne devraient, toutefois, être automatiquement appliqués d’une manière rigide ou arbitraire à toute plainte en matière d’embauche ou de promotion : il faudrait plutôt que les circonstances de chaque cas soient étudiées afin de déterminer si l’application de l’un ou l’autre de ces critères, en totalité ou en partie, est appropriée. En dernier ressort, la question de savoir si le plaignant a rempli les critères de l’arrêt O’Malley, c’est- à- dire : si elle est acceptée, est- ce que la preuve déposée devant le tribunal est complète et suffisante pour justifier une décision en faveur du plaignant en l’absence d’une réponse de l’intimé?

Il est indiscutable que M. Singh est un membre d’une minorité ethnique et qu’il était plus âgé qu’un grand nombre des employés du niveau ES- 01 à Statistique Canada. En conséquence, il satisfait au premier élément du critère Israeli. Il est établi qu’il a posé sa candidature et qu’il a été jugé qualifié pour le poste que M. Kaba a obtenu finalement. Nous avons aussi trouvé que dans le cadre du système de la liste d’admissibilité, M. Singh aurait normalement dû être placé dans le poste de M. Kaba après le départ de celui- ci de la Division des transports. Dans les circonstances de la présente cause, nous sommes prêts à trouver que ces motifs sont suffisants pour remplir le deuxième aspect du critère Israeli. Il n’y a aucune contestation comme quoi M. Singh ne s’est pas vu attribuer le poste et le troisième élément du critère Israeli est par conséquent établi. C’est le quatrième élément du critère qui pose le plus de problèmes. Le procureur de l’intimé affirme que Statistique Canada n’a pas continué à chercher d’autres employés après le départ de M. Kaba étant donné que ce dernier avait fait tellement du beau travail que le poste en question n’existait plus, et qu’étant donné que Statistique Canada n’a pas continué à chercher d’autres employés, par conséquent la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire n’a pas été établie. M. Singh affirme que le travail qu’effectuait M. Kaba n’a pas changé et qu’il a continué d’être exécuté au sein de la Division des transports. Selon M. Singh, l’intimé a continué de chercher des candidats, tout d’abord en reclassifiant le poste afin de l’exclure en raison de son âge. Nous disposons aussi du témoignage de M. Kaba selon lequel il se serait attendu à ce que la personne suivante sur la liste d’admissibilité le remplace dans la mesure où cette liste était toujours en vigueur.

Dans l’optique du tribunal, en l’absence d’une explication raisonnable de la part de l’intimé, la version des événements fournie par M. Singh semble appuyer une cause de discrimination prima facie. A la lumière des allégations de M. Singh, le fait que Statistique Canada ait continué de chercher d’autres candidats à un niveau différent de celui de M. Singh (c’est- à- dire possédant des qualifications différentes) ne devrait pas empêcher le fardeau de se déplacer sur les épaules de l’intimé qui devra fournir une explication pour sa conduite. En réalité, c’est le noeud de la théorie de M. Singh que le travail associé au poste pour lequel on l’avait jugé qualifié et auquel il avait droit au départ de M. Kaba n’a pas changé, mais que néanmoins les qualifications avaient été changées intentionnellement afin de l’évincer.

Nous sommes d’avis que la preuve fournie par M. Singh et la Commission en ce qui concerne cet aspect de la plainte de M. Singh est suffisante pour établir une cause de discrimination prima facie et pour déplacer le fardeau de la preuve sur l’intimé qui devra fournir une explication.

Selon M. Singh, on lui a dit que la décision de ne pas combler le poste de M. Kaba après le départ de celui- ci était due à des considérations financières. Même si l’intimé a déposé une quantité importante de preuves en rapport avec les coupures budgétaires et le gel de la dotation en personnel que Statistique Canada a dû affronter vers le milieu des années 1980, l’explication fournie par l’intimé au cours de l’audience concernant la décision qu’il avait prise était en fait davantage de nature opérationnelle que financière. M. Nemes a témoigné concernant le travail effectué par M. Kaba et il a poursuivi en expliquant que M. Kaba avait fait tellement du bon travail en ce qui concerne l’élaboration de la publication Le camionnage au Canada qu’il avait pour ainsi dire éliminé son propre emploi. Une fois le travail d’élaboration de la publication Le camionnage au Canada terminé, l’intimé n’avait plus besoin d’une personne du niveau de M. Kaba dans ce rôle.

L’explication fournie par l’intimé est, à première vue, raisonnable et non discriminatoire. Nous devons pourtant déterminer si l’explication fournie par Statistique Canada est un simple prétexte et si la motivation réelle qui sous- tend la conduite de l’intimé était en fait discriminatoire.

Pour évaluer l’honnêteté de l’explication fournie par l’intimé, il est nécessaire d’examiner attentivement la preuve fournie par M. Nemes à la lumière de l’ensemble de la preuve et, en particulier, la preuve fournie par deux des témoins de l’intimé, nommément messieurs Kaba et Dodds. A cet effet, nous notons qu’il y a de sérieuses contradictions entre M. Nemes et M. Kaba en ce qui concerne la nature du travail que M. Kaba devait effectuer pendant qu’il était dans la Division des transports. Selon M. Nemes, M. Kaba a été engagé expressément pour participer à la création de tableaux et de graphiques à partir de l’ordinateur central pour la publication Le camionnage au Canada , de même que pour collaborer à l’analyse et à la rédaction. M. Kaba, d’un autre côté, a témoigné que lorsqu’il a commencé à travailler à la Division des transports, il collaborait aux enquêtes sur le transport des voyageurs par autobus et sur le transport ferroviaire et qu’il n’avait pas commencé à participer aux travaux de la nouvelle publication avant que six mois à un an se soient écoulés.

M. Kaba a témoigné que les tâches qu’il accomplissait pour la nouvelle publication consistaient en la rédaction d’articles, un travail qu’il décrit comme étant de nature analytique. Par contraste, M. Nemes a témoigné que peu de temps après que M. Kaba eut commencé à la Division des transports, il a été déterminé que ce dernier serait mieux utilisé à la création de tables que dans les travaux d’analyse et de rédaction.

Alors que l’on s’attendrait à ce que M. Kaba se rappelle assez bien de ce qu’il avait à accomplir comme tâche au moment où il travaillait au sein de la Division des transports, étant donné le temps écoulé, il n’aurait pas été surprenant que M. Nemes, à titre de gestionnaire, ait été un peu moins précis en ce qui concerne les détails de ce que son subordonné avait à accomplir il y a 11 ou 12 ans. Mais ce n’était pas le cas. Le témoignage de M. Nemes sur ces questions a été assez long, détaillé et spécifique et rien ne suggère que dans sa mémoire un des aspects essentiels ait été estompé par le passage du temps. Cela soulève une question dans l’esprit des membres du tribunal à savoir si la preuve fournie par M. Nemes peut avoir été reconstruite de manière à faire valoir la position de l’intimé.

Mis à part la contradiction dans la preuve fournie par les témoignages de messieurs Kaba et Nemes, il y a d’autres préoccupations en ce qui concerne la fiabilité de la preuve de ces deux personnes. Dans le cas de M. Nemes, à la fois son attitude pendant son témoignage et le contenu du témoignage proprement dit suggèrent qu’il est un témoin très partisan. Sur un certain nombre de questions, y compris celles qui ne mettaient pas directement M. Nemes en cause, où l’on se serait attendu à ce qu’un témoin dans la position de M. Nemes soit plus neutre dans son approche, il était clair que M. Nemes se faisait le défenseur de Statistique Canada. Dans le cas de M. Kaba, il est évident à la fois à partir du contenu de son témoignage et de son attitude pendant son témoignage qu’il était extrêmement hostile à M. Singh par suite des allégations de celui- ci concernant les circonstances entourant l’embauche de M. Kaba à la Division des transports.

M. Kaba et M. Dodds ont témoigné concernant la nature permanente des travaux associés avec la publication Le camionnage au Canada . Étant donné l’animosité évidente de M. Kaba à l’endroit de M. Singh, il est particulièrement intéressant que M. Kaba ait témoigné que, dans son esprit, après son départ de la Division des transports, la prochaine personne dont le nom figurait sur la liste d’admissibilité aurait dû obtenir son poste. Cet aspect du témoignage de M. Kaba est, toutefois, difficile à concilier avec son témoignage subséquent selon lequel le type de travail qu’il effectuait au moment où il a quitté la division n’était pas habituellement exécuté par un employé de niveau ES- 01 à Statistique Canada (même si au moment où M. Kaba a quitté il était toujours officiellement classé comme ES- 01 lui- même).

Le tribunal n’a pu obtenir aucune preuve de ce qu’il est advenu du travail effectué par M. Kaba initialement lorsqu’il participait aux enquêtes sur le transport des voyageurs par autobus et le transport ferroviaire.

En raison de ces incohérences et des questions restées sans réponse, de sérieuses inquiétudes ont été soulevées concernant la légitimité des explications fournies par l’intimé. Ceci étant dit, comme nous l’avons souligné auparavant, il existe également des préoccupations tout aussi sérieuses en ce qui a trait à la fiabilité de la preuve fournie par M. Singh.

2 A titre d’exemple, M. Nemes a insisté sur le fait que M. Kaba avait remporté le concours de 1985, en partie parce qu’il avait un diplôme de l’Université de la Colombie- Britannique qui offrait une formation spécialisée en matière de transport. M. Kaba a lui- même témoigné que son diplôme était de l’Université Laval, même s’il avait suivi des cours de comptabilité à l’Université de la Colombie- Britannique.

En plus des préoccupations que nous avions déjà articulées, le tribunal note qu’à titre d’employé de niveau CR- 04 à la Division des transports, M. Singh ne se trouvait pas dans la meilleure des positions pour savoir avec précision ce que faisait M. Kaba de son temps. De même, M. Singh n’était pas en position de savoir exactement non plus ce que faisait Mme Mathieson et Mme Walsh après qu’elles eurent joint la Division des transports. Cela est particulièrement vrai lorsque l’on note que M. Singh était aussi à l’extérieur de la Division des transports entre mars 1986 et décembre 1987. En même temps, à titre d’employé non gestionnaire, M. Singh ne pouvait avoir une vision d’ensemble en ce qui concerne les besoins organisationnels qu’une personne dans la position de M. Nemes pouvait avoir.

Malgré nos inquiétudes en ce qui concerne le témoignage de M. Nemes, nous notons que l’explication de M. Nemes concorde avec celle qui a été donnée à M. Mulvihill par M. Cuerrier en 1989.

Pour ce qui est des allégations de M. Singh comme quoi le poste occupé par M. Kaba aurait été reclassifié à la hausse, et le concours aurait été retardé intentionnellement afin de l’empêcher d’occuper le poste, dans l’optique du tribunal, il n’est pas très logique que, dans une période de restrictions financières, Statistique Canada remplace un employé de niveau ES- 01 par un employé de niveau ES- 03 avec l’augmentation de salaire correspondante simplement pour évincer les ambitions professionnelles de M. Singh.

Finalement, il est nécessaire de considérer les déclarations que M. Singh a attribuées à M. Mozes. Sur ce point, en plus des préoccupations que nous avons déjà exprimées concernant la fiabilité du témoignage de M. Singh, nous sommes troublés par le contraste entre le ton des allégations contenues dans la plainte de M. Singh où il prétend, presque comme s’il avait des doutes après coup, que M. Mozes s’est moqué de lui à cause de son âge et la litanie des insultes vicieuses et haineuses relatives à son âge et à son origine nationale ou ethnique qu’il attribue à M. Mozes dans son témoignage. M. Singh a expliqué cette différence d’attitude par le fait que la plainte avait été rédigée par un employé de la Commission canadienne des droits de la personne, et qu’on lui avait dit que la plainte devait être aussi brève que possible et qu’il n’était pas nécessaire de fournir plus qu’un résumé de ses allégations. La preuve qui a été déposée devant nous (y compris la preuve qui concerne les événements postérieurs mettant en cause M. Mozes et M. Singh) révèle un conflit de personnalité bien ancré entre ces deux personnes, et il ne fait pas de doute que des paroles dures ont été échangées par ces deux individus en plusieurs occasions au cours des années. Il y a des preuves de l’assertion de M. Singh selon laquelle M. Mozes aurait entretenu une animosité fondée sur l’origine ethnique à son égard avant même que M. Singh dépose une plainte à la Commission - à titre d’exemple, la note de M. Singh en date du 22 janvier 1990 (pièce HR- 1, onglet 13). Néanmoins, dans toutes les circonstances, nous sommes préoccupés par le fait que M. Singh peut avoir brodé autour des commentaires faits par M. Mozes dans le but d’aider sa cause ou qu’il peut simplement avoir réinterprété des affirmations faites dans le passé en fonction de sa frustration croissante à l’égard de son employeur.

D’autre part, dans l’optique du tribunal, M. Mozes était aussi un témoin peu fiable. Son comportement durant son témoignage était troublant. Ses réponses, particulièrement pendant le contre- interrogatoire, étaient fréquemment précédées de pauses assez longues pendant lesquelles il pesait bien les réponses qu’il allait donner. En certaines occasions, nous avons trouvé que les réponses de M. Mozes étaient évasives. Sa réponse lorsqu’on lui a demandé s’il avait fait part à qui que ce soit de son intention d’intenter des poursuites contre M. Singh a suscité de sérieuses inquiétudes auprès du tribunal en ce qui concerne sa sincérité. 3

Nous nous retrouvons dans la position de choisir entre deux versions contradictoires fournies par deux témoins que le tribunal ne trouve pas particulièrement fiables. M. Singh a le fardeau en dernier ressort d’établir selon la prépondérance des probabilités que les commentaires qu’il a décrits ont bien été faits. Compte tenu des circonstances, le tribunal est d’avis qu’il ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve. En conséquence, nous ne sommes pas prêts à trouver que les affirmations décrites par M. Singh ont bien été faites par M. Mozes.

Le fait que nous n’ayons pas accepté le témoignage de M. Singh en ce qui concerne les commentaires liés à l’âge et à l’origine nationale ou ethnique attribués à M. Mozes ne signifie pas automatiquement que cet aspect de la plainte de M. Singh doit être rejeté. Il appartient au tribunal de déterminer la présence de la discrimination d’après toutes les circonstances d’une affaire, et nonobstant l’absence d’actes ouvertement discriminatoires.

Même si nous avons souligné nos inquiétudes en ce qui a trait à l’explication fournie par l’intimé, après examen approfondi de toutes les

3 Durant son contre- interrogatoire de M. Singh, Mme Palumbo a demandé à M. Singh s’il était au courant que M. Mozes avait l’intention d’intenter des poursuites contre lui par suite des allégations qu’il avait faites. Ce n’est pas une question que l’on pose habituellement dans le cadre d’une procédure de cette nature. Lors du contre- interrogatoire, M. Mozes a confirmé qu’il envisageait d’intenter des poursuites contre M. Singh. Lorsque le procureur de la Commission a demandé si M. Mozes avait informé quiconque de ses intentions, M. Mozes a hésité longtemps avant de répondre. Il a finalement témoigné qu’il n’avait parlé à personne, y compris Mme Palumbo, de ses intentions. Que M. Mozes ait l’intention ou non de poursuivre M. Singh n’a bien entendu rien à voir avec la question de savoir s’il y a eu effectivement discrimination dans la présente cause. Néanmoins, mis à part toute autre question qui pourrait être suscitée par cette série d’événements, dans l’optique du tribunal la seule déduction raisonnable pouvant être faite en ce qui concerne la sincérité de M. Mozes est que ce dernier ne disait pas la vérité sur ce point.

preuves qui nous ont été fournies, nous ne pouvons conclure que l’explication de l’intimé était un simple prétexte, que le motif réel motivant la conduite de Statistique Canada dans cette affaire était l’âge ou l’origine nationale ou ethnique de M. Singh ou encore que ces questions ont joué un rôle dans la prise de décision de l’intimé. Cet aspect de la plainte de M. Singh est en conséquence rejeté.

iii) Nominations interdivisionnaires

Nous devons ensuite examiner si M. Singh a établi une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire de discrimination en rapport avec le défaut de Statistique Canada de lui offrir un poste de niveau ES durant la période pendant laquelle son nom figurait sur une liste d’admissibilité. Le tribunal n’est pas convaincu que M. Singh a établi une preuve suffisante de discrimination en rapport avec cette question.

Afin d’appuyer une constatation selon laquelle une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est bien établie, le plaignant et la Commission doivent faire davantage que des affirmations péremptoires qui sont de nature générale et ne renferment pas d’information précise.

M. Singh affirme que Statistique Canada a comblé des postes de niveau ES- 01 pendant la période où la liste d’admissibilité était toujours en vigueur. Même si cela est peut- être vrai, nous ne disposons pas des renseignements pertinents en ce qui concerne un poste précis de niveau ES01 qui aurait été effectivement comblé durant cette période.

M. Singh affirme que les postes ES- 01 étaient de nature générale, et qu’il était qualifié pour les postes qui se libéraient. Nous n’acceptons pas comme crédible la vision de M. Singh de la nature des postes de niveau ES- 01 du milieu jusqu’à la fin des années 1980 comme étant complètement de nature générale. Même si ces postes étaient effectivement des postes de niveau de recrutement, néanmoins un examen de la pièce R- 10, le seul énoncé de qualités pour un poste de niveau ES- 01 qui nous a été transmis pour cette période 4, nous fournit certains renseignements concernant les domaines particuliers ayant un rapport avec le poste qui, en fait, étaient nécessaires.

Nous n’avons pu obtenir de renseignements précis concernant les exigences liées à l’emploi pour aucun des postes auxquels M. Singh fait référence. De même, nous n’avons pu obtenir aucun renseignement en ce qui concerne les candidats retenus, leur âge ou leur origine ethnique ou encore leurs qualifications par comparaison avec celles de M. Singh. Nous ne savons pas si des listes d’admissibilité étaient en vigueur pour l’un ou l’autre des postes qui se sont libérés et si ces postes ont été comblés à partir de ces listes.

4 La pièce R- 10 est l’Énoncé de qualités pour le concours remporté par Mme Cowan.

Dans l’optique du tribunal, la preuve qui nous a été fournie en ce qui concerne cette affaire ne répond pas aux normes établies dans l’affaire O’Malley. C’est- à- dire, les aspects de la preuve de M. Singh dans cette affaire que nous acceptons ne sont pas complets ni suffisants pour justifier un verdict en sa faveur, en l’absence d’une réponse de la part de l’intimé. En conséquence, cet aspect de la plainte est rejeté.

iv) Le concours de recrutement des ES- 01 de 1988

Même si M. Singh allègue que M. Vincent a refusé de créer une liste d’admissibilité une fois que le concours a été terminé, il est clair que M. Vincent a bel et bien créé une liste d’admissibilité (pièce HR- 1, onglet 9), et un exemplaire de cette liste a été fourni à M. Singh. De plus, malgré la prétention de M. Singh selon laquelle il y avait une obligation de la part de M. Vincent d’inscrire les noms de tous les candidats qualifiés sur la liste d’admissibilité, nous acceptons le témoignage de M. Mulvihill et celui des témoins de l’intimé selon lesquels en vertu des dispositions de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, les gestionnaires n’étaient pas tenus d’inscrire plus de noms sur la liste que nécessaire pour combler leurs besoins.

A la lumière de ces constations, nous devons déterminer si M. Singh et la Commission ont établi une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire de discrimination en rapport avec cette allégation. La preuve établit que M. Singh s’est qualifié pour un poste de ES- 01 lors du concours de 1988. Il a produit une preuve à l’aide de la pièce HR- 6 selon laquelle Statistique Canada embauchait au niveau ES- 01 à l’époque. Même si ce concours ne faisait pas partie du Programme de recrutement des ES 1988- 1989, la preuve établit en outre qu’à cette époque, Statistique Canada avait un besoin permanent sur le plan organisationnel d’employés de niveau ES- 01. En fait, en mars 1989, quelques semaines après l’établissement de la liste d’admissibilité en cause, Statistique Canada a offert un poste à vingt- six candidats dans le cadre du Programme de recrutement des ES (pièce R- 14, onglets 32 et 33). Afin de réussir l’étape de présélection du concours dans le cadre du Programme de recrutement des ES, les candidats devaient posséder des qualifications semblables en ce qui a trait à la scolarité et à la connaissance de la théorie socio- économique à celles que possédait M. Singh (voir pièce R- 1, onglet 22, à la p. 2 et annexe A).

La preuve existe que Statistique Canada était préoccupé au sujet du vieillissement de sa population. En plus de l’affirmation faite par M. Vincent selon laquelle, à 26 ou 27 ans, Mme Cowan était un peu plus âgée , nous disposons aussi du commentaire de M. Kaba selon lequel il était très vieux lorsqu’il a été engagé à titre de ES- 01 à l’âge de 35 ans. De plus, nous disposons de preuves statistiques concernant la distribution de l’âge parmi les employés de niveau ES- 01 à Statistique Canada qui montrent qu’un nombre disproportionné d’employés avaient moins de 40 ans et que, en fait, la vaste majorité des recrues étaient âgées de moins de 30 ans. A l’époque, M. Singh avait 43 ou 44 ans.

Nous n’avons pas de preuve concernant les postes précis qui ont été comblés à cette époque, ni des exigences liées à ces postes, et nous n’avons pas non plus de preuve en ce qui concerne l’identité, les qualifications, l’âge ou l’origine ethnique des candidats qui ont été engagés. Toutefois, contrairement aux allégations faites par M. Singh en ce qui concerne le défaut de Statistique Canada de lui offrir un poste de niveau ES- 01 pendant que la liste d’admissibilité était en vigueur à la suite du concours de 1985, dans le cas présent, l’allégation de M. Singh n’est pas qu’il n’a pas eu de poste mais plutôt qu’on a refusé de mettre son nom sur la liste d’admissibilité qui aurait pu éventuellement lui permettre de trouver un poste. En conséquence, le défaut de produire une preuve sur ces points n’est pas fatale à l’établissement d’une cause prima facie en ce qui concerne cet aspect de la plainte de M. Singh. En appliquant les critères articulés dans l’arrêt O’Malley, nous constatons que la preuve qui a été déposée en rapport avec la question de l’âge est suffisante pour justifier une décision en faveur de M. Singh, en l’absence d’une réponse de la part de l’intimé. En conséquence, nous constatons que M. Singh a établi une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire de discrimination sur le motif de l’âge et que le fardeau se déplace sur l’intimé qui doit fournir une explication raisonnable de sa conduite.

Encore une fois, en appliquant le critère de l’arrêt O’Malley, nous constatons que M. Singh n’a pas établi une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire de discrimination sur le motif de son origine nationale ou ethnique. Mise à part cette affirmation de son impression que son origine nationale ou ethnique était un facteur dans la décision de ne pas inclure son nom sur la liste d’admissibilité, nous ne disposons pas de preuves suffisantes pour appuyer cette affirmation. Au mieux, nous disposons de preuves statistiques concernant la représentation des minorités visibles à Statistique Canada dans son ensemble, qui suggèrent que les membres des minorités visibles étaient effectivement quelque peu sous- représentés au sein de l’organisation. Toutefois, lorsque l’on considère l’incidence des minorités visibles au sein de la population des ES, la preuve statistique ne vient pas appuyer la position de M. Singh de la même manière qu’elle le fait pour la question de l’âge. Une preuve circonstancielle de la sousreprésentation au sein de Statistique Canada dans son ensemble, jumelée avec une simple déclaration de M. Singh exprimant sa conviction que son origine nationale ou ethnique avait joué un rôle dans les événements, est insuffisante et incomplète pour justifier une décision en faveur de M. Singh.

L’explication fournie par Statistique Canada concernant la tenue de ce concours en particulier repose presque entièrement sur la preuve fournie par M. Vincent qui a témoigné qu’il n’avait pas porté le nom de M. Singh sur la liste d’admissibilité parce qu’il n’y avait qu’un seul poste à combler. M. Vincent a par la suite expliqué que son superviseur (qui n’a jamais été nommé) lui avait indiqué qu’il ne prévoyait pas que d’autres postes s’ouvriraient. L’explication fournie par Statistique Canada semble, au premier abord, être raisonnable. Il reste toutefois à déterminer si l’explication fournie par Statistique Canada est un simple prétexte et si la motivation de la conduite de l’intimé, du moins en partie, repose sur l’âge de M. Singh.

M. Vincent a déclaré avoir peu de souvenirs d’une quantité d’événements survenus dans le cadre de ce concours, et son témoignage était souvent incomplet. Par exemple, il n’arrivait pas à se rappeler le nombre de candidats ayant participé au concours, le nom des autres membres du comité de sélection, ou quels étaient les motifs de l’appel de M. Singh. D’un autre côté, M. Vincent se rappelait très bien que M. Singh avait obtenu 6,5 sur 10 pour une question ayant trait aux qualités personnelles, et que le score de M. Singh pour les qualités personnelles avait été diminué deux points après une vérification des références ce qui avait constitué la marge de points qui séparait M. Singh et Mme Cowan et que l’appel de M. Singh avait été abandonné la journée précédant son audition. En conséquence, nous avons constaté que la mémoire de M. Vincent était sélective.

Au cours du contre- interrogatoire de M. Vincent, la suggestion a été faite par le procureur de la Commission qu’une allégation de discrimination raciale avait été soulevée par Mme Sheikh en rapport avec un concours survenu ultérieurement. Nous avons constaté que le témoignage de M. Vincent sur cette question avait été évasif. Même si les questions ayant trait au dernier concours n’étaient pas directement pertinentes pour notre enquête, il reste que l’attitude de M. Vincent durant ses réponses à ces questions nous a causé quelque inquiétude.

Les circonstances entourant le retrait de l’appel de M. Singh en ce qui concerne ce concours sont aussi assez nébuleuses. Nous savons que peu de temps après le retrait de son appel, M. Singh a obtenu une affectation d’une durée déterminée au niveau ES- 01. M. Nemes a témoigné qu’il s’agissait d’une situation extrêmement rare et que c’était la seule occasion connue où un CR- 04 s’était vu offrir une affectation de niveau ES01 de cette nature.

Aucun des témoins appelés par Statistique Canada n’a été en mesure d’offrir une explication satisfaisante de l’obtention par M. Singh de cette affectation de durée limitée en l’absence d’un concours. M. Vincent a nié qu’une discussion ayant trait à une affectation de cette nature avait pu avoir lieu avec M. Singh et son délégué syndical. M. Mozes a témoigné qu’il pensait que M. Singh avait figuré sur une liste d’admissibilité, ce qui de toute évidence n’était pas le cas. Lorsque l’on a porté cela à son attention, M. Mozes a témoigné que le directeur de la Division et le directeur du personnel auraient normalement dû participer à une telle décision.

Mme Clément a témoigné que pour tous les postes, qu’ils soient de durée déterminée ou indéterminée, il fallait mettre en place un processus de concours. Elle a aussi témoigné que le seul moyen d’accorder une promotion à un employé qui occupait un poste de durée déterminée sans concours consisterait à faire approuver la promotion en question par la Commission de la fonction publique sur le motif que le poste était tellement spécialisé que personne d’autre dans le ministère ne pourrait accomplir la tâche et qu’il était par conséquent inutile de tenir un concours. Il était évident qu’une telle situation n’existait pas dans le cas présent.

Considérant la preuve dans son ensemble, nous sommes convaincus que M. Singh a obtenu cette affectation de durée limitée à la suite de l’intervention du syndicat en sa faveur. Même si M. Singh a déclaré dans ses conclusions qu’il n’était pas au courant si un marché avait été conclu, il avait déjà déclaré dans un témoignage précédent qu’on ne lui avait accordé cette affectation de durée limitée à un poste ES- 01 que parce qu’il avait menacé de déposer une plainte aux droits de la personne.

Nous acceptons la preuve de M. Mulvihill comme quoi il y avait des problèmes en rapport avec ce concours, et que c’était l’existence de ces problèmes et la possibilité que M. Singh gagne en appel qui avait entraîné l’entente négociée avec l’employeur. Même si nous ignorons quels problèmes avaient été identifiés en rapport avec le concours, le marché qui en est résulté soulève effectivement des questions en ce qui concerne l’équité générale du processus. En ce qui concerne le fait que la liste d’admissibilité fait partie intégrante du processus de concours, nos constatations soulèvent aussi de sérieuses inquiétudes concernant les explications fournies par M. Vincent de son défaut d’inclure le nom de M. Singh sur une liste d’admissibilité.

En examinant de plus près l’explication fournie par l’intimé, nous notons que le témoignage de M. Vincent n’est pas suffisamment clair en ce qui concerne l’information voulant qu’aucun poste ne devait s’ouvrir à la Division du travail ou à l’intérieur de Statistique Canada dans son ensemble. Très peu d’éléments ont servi à corroborer la preuve de M. Vincent selon laquelle on ne prévoyait aucune ouverture de poste. Le superviseur de M. Vincent n’a pas témoigné, ni M. Burke, l’agent de dotation affecté à ce concours ou encore Mme Tittley dont le nom figure sur la liste d’admissibilité à titre d’agent responsable de la dotation. Aucune information n’a été fournie concernant les niveaux de dotation, les coupures budgétaires ou les nombres d’années- personnes au sein de la Division à l’époque, même si M. Vincent a témoigné que les préoccupations relatives au financement étaient implicites dans l’explication fournie à M. Singh.

Par contraste, l’intimé a fourni une preuve détaillée en ce qui concerne ce type de problèmes ayant trait à ce qui s’était passé antérieurement à la Division des transports dans le contexte d’autres mesures de dotation (voir par exemple, pièce R- 36, onglet 48).

De même, aucune preuve ne nous a été fournie concernant le nombre de postes de niveau ES- 01 au sein de la Division du travail, pendant combien de temps Mme Cowan avait occupé son poste ES- 01 et à quel moment le prochain poste de niveau ES- 01 s’est ouvert dans la Division du travail et quelles étaient les exigences liées à ce poste.

Nous n’avons pas négligé la preuve statistique introduite par l’intimé afin d’établir qu’il était assez répandu que des listes d’admissibilité à Statistiques Canada ne comportent qu’un seul nom. Il convient de noter que la preuve statistique qui nous a été fournie en rapport avec cette question couvre la période de 1989- 1990 à 1993- 1994, alors que le concours qui nous occupe s’est déroulé en 1988- 1989. De toute évidence, Statistique Canada dispose d’un système d’information sur les ressources humaines informatisé et complet qui a été mis en place en 1985 : en 1997 on a décrit le système comme renfermant des données pour plus d’une dizaine d’années (voir pièce 39, onglet 78). Au moment de donner des explications sur la raison pour laquelle des statistiques n’avaient pas été fournies pour la période en cause, Mme Clément a témoigné que selon elle le système global n’avait été introduit qu’en 1989 (transcription, p. 953), tandis que Mme Slater a déclaré que l’information pour la période antérieure à 1989 n’était plus disponible transcription, pp. 2281- 2283). Il est évident que ces contradictions sont troublantes.

La preuve statistique suggère effectivement que, dans la majorité des cas survenus dans la période de 1989 à 1994, les listes d’admissibilité comportaient plus d’un nom, même s’il n’était pas complètement exclu que certaines listes créées n’en comportent qu’un seul. A la lumière de cette preuve, l’affirmation de M. Vincent selon laquelle l’utilisation des listes comportant un seul nom était très répandu et faisait pratiquement partie de la culture de la dotation frôle l’exagération.

La preuve établit aussi que plus souvent qu’autrement, les listes comportant plusieurs noms arrivaient à échéance sans avoir été épuisées. En réalité, Mme Slater a fait référence à ces données lorsqu’il fut question du fait que M. Singh n’avait pas été engagé à partir d’une liste d’admissibilité durant la période de 1985 à 1987 et elle a utilisé cette information pour suggérer que les listes comportaient souvent davantage de noms que le nombre de postes qui se concrétisaient.

Les renseignements statistiques portaient sur les listes d’admissibilité en général au sein de Statistique Canada, de façon générale dans la classification des ES et au niveau d’entrée de la classification ES- 01 (les groupes ES- 01 à ES- 03). Ce sont ces derniers renseignements qui se sont révélés les plus directement pertinents à la situation. Ce tableau indique que parmi les quatorze concours qui ont eu lieu, douze listes comportaient plus d’un nom et seulement deux ne comprenaient qu’un seul nom. Nous savons, toutefois, d’après la preuve que le Programme de recrutement des ES était en vigueur durant cette période et que toute l’embauche au niveau de ES- 01 s’effectuait par l’intermédiaire du Programme, et que des groupes de personnes étaient engagées chaque année, ce qui entraînait la création de liste d’admissibilité à plusieurs noms. Il est donc raisonnable de déduire que les deux concours ayant entraîné la création de listes d’admissibilité à un seul nom se situaient au niveau ES- 03 5, et que tous les concours de recrutement ES- 01 entraînaient la création de listes à plusieurs noms. L’on pourrait affirmer que la preuve statistique fournie par l’intimé pourrait en réalité venir appuyer la position de M. Singh, cependant nous constatons qu’étant donné les changements fondamentaux apportés au processus d’embauche pour les candidats de niveau ES- 01 amenés par l’introduction du Programme de

5 M. Dodds a témoigné que les gestionnaires ont été autorisés à poursuivre les concours au niveau ES- 03 pendant un certain temps après l’été de 1989 (Transcription, p. 2778).

recrutement des ES en 1988- 1989, utiliser les statistiques provenant de la période postérieure au Programme de recrutement des ES afin d’expliquer ce qui a pu se produire en vertu du système antérieur reviendrait, en tout état de cause, à comparer des pommes et des oranges.

Pour toutes ces raisons, nous avons conclu que la preuve statistique mise de l’avant par Statistique Canada sur ce point était de peu d’utilité dans le cadre de notre enquête.

Nous avons étudié la preuve donnée par M. Dodds et M. Nemes en ce qui concerne la mentalité de chasse gardée qui existait à Statistique Canada. Nous acceptons le fait qu’une telle mentalité pouvait exister à Statistique Canada à l’époque, et que ce facteur ait pu jouer un rôle dans la décision de laisser le nom de M. Singh en dehors de la liste d’admissibilité. Toutefois, pour les raisons qui sont décrites ci- après, nous avons conclu qu’il ne s’agissait pas du seul facteur ayant joué dans le processus de prise de décision.

Il est clair d’après la preuve donnée par M. Dodds et M. Nemes qu’à la fin de 1980, Statistique Canada commençait à se préoccuper du vieillissement de ses cadres, que le bureau avait identifié la nécessité de procéder à un renouvellement et qu’il avait entrepris de recruter une main- d’oeuvre plus jeune. Nous notons que Statistique Canada n’a pas tenté de justifier le fait de n’avoir pas mis le nom de M. Singh sur une liste d’admissibilité en s’appuyant sur le fait que, dans les circonstances, être jeune constituait une exigence professionnelle justifiée pour le poste. L’intimé a plutôt nié que l’âge de M. Singh était un facteur dans la décision proprement dite.

Au début de 1989, M. Singh aurait été âgé de 43 ou 44 ans. A cet âge, il est évident qu’il ne répondait pas aux critères établis par Statistique Canada pour le recrutement des postes de niveau ES. Nous avons étudié le témoignage de M. Dodds selon lequel ce n’était pas l’âge des candidats ES en lui- même qui était une préoccupation mais plutôt la propension de la personne à prendre sa retraite. M. Dodds a nié que Statistique Canada ait fait preuve d’une certaine répugnance à engager des personnes plus âgées dans le cadre du processus de renouvellement parce que, d’après M. Dodds, étant donné les critères d’admissibilité à la retraite de la fonction publique, une personne faisant son entrée dans l’organisation à l’âge de 45 ou 50 ans aurait normalement dû rester jusque dans la soixantaine. Cette explication est logique dans la mesure où l’embauche de candidats plus âgés de l’extérieur de la fonction publique est en cause, toutefois, la logique ne suit plus pour ce qui est des candidats internes. En 1989, un gestionnaire âgé de 43 ou 44 ans et possédant sept années de service dans la fonction publique aurait, probablement, eu la même propension à prendre sa retraite que M. Singh.

Dans l’optique du tribunal, la preuve statistique produite par l’intimé lui- même offrait une preuve circonstancielle éclatante d’une prédisposition organisationnelle contre la promotion de candidats internes plus âgés à des postes du groupe ES. La pièce R- 36, onglet 52 en particulier démontre que sur une période de neuf ans, sur un total de 340 personnes engagées, seulement cinq candidats internes âgés de plus de 40 ans ont été engagés à des postes de niveau ES- 01, 02 ou 03 et seulement un à un poste de niveau ES- 01. Ces statistiques doivent être examinées à la lumière du témoignage de M. Dodds selon lequel, depuis quelques années, environ 100 candidats internes étaient interviewés chaque année pour des postes de niveau ES.

Nous notons par ailleurs le témoignage de M. Vincent selon lequel à l’âge de 26 ou 27 ans, Mme Cowan était un peu plus âgée que les autres candidats ES. De plus, nous avons examiné le témoignage de M. Kaba selon lequel au moment où il avait été engagé, en 1995, à l’âge de 35 ans, il était déjà très âgé et que désormais les personnes qui entrent à Statistique Canada au niveau ES- 01 sont âgées de 22 ans. Ces commentaires sont largement appuyés par le profil statistique de la population des ES- 01 qui montre qu’au cours de la période de 1987 à 1992, seulement 2,3 % de la population ES- 01 était âgée de plus de 40 ans (pièce R- 39, onglet 74).

Contrairement aux autres plaintes de M. Singh, nos constatations en ce qui a trait au défaut d’ajouter le nom de M. Singh à la liste d’admissibilité en question ne repose d’aucune façon sur le témoignage de M. Singh. Après un examen soigneux de toute la preuve qui nous a été présentée, nous avons conclu que l’explication fournie par l’intimé, même si elle semble raisonnable à première vue, était en fait un prétexte. Nous sommes convaincus qu’il peut être raisonnablement déduit que le fait de ne pas mettre le nom de M. Singh sur une liste d’admissibilité s’expliquait en partie parce que, à l’âge de 43 ou 44 ans, M. Singh ne correspondait pas au profil des recrues de niveau ES- 01 que Statistique Canada prônait. Comme nous avons constaté que l’âge de M. Singh était un facteur dans la prise de décisions de l’intimé, en conséquence, nous avons conclu qu’à cet égard, nous accueillons la plainte de M. Singh.

Évidemment, il n’y a aucune garantie que M. Singh aurait eu un poste de ES- 01 si son nom avait été inscrit sur la liste d’admissibilité à la suite du concours Cowan. Selon le Tribunal, il s’agit d’une question qui doit être examinée dans l’évaluation quantitative des dommages, et qui n’affecte pas la responsabilité de Statistique Canada.

v) Défaut de prolonger le poste pour une durée déterminée ES- 01

Nous avons établi précédemment que M. Singh s’est fait donner le poste pour une durée déterminée en retour du retrait de son appel au concours de 1988. Après avoir examiné minutieusement toutes les preuves, nous ne pouvons pas statuer qu’il y avait eu un engagement de la part de M. Mozes vis- à- vis de M. Singh avant que ce dernier n’accepte l’affectation pour une période déterminée ou que M. Singh a accepté uniquement l’affectation à la suite des promesses que lui avait faites M. Mozes. Il est évident que M. Singh estimait qu’il était surqualifié pour un poste de CR- 04, qu’il s’était présenté à plusieurs reprises à des concours de ES et qu’il cherchait désespérément à occuper un poste de professionnel dans la catégorie ES. Selon le tribunal, la suggestion que M. Singh fait qu’il était réticent à occuper un poste de ES- 01 pour une période déterminée ne résiste pas aux preuves dans leur ensemble. L’explication qu’il donne quant à ses réticences n’est pas satisfaisante. En conséquence, nous rejetons les preuves soumises par M. Singh à cet égard.

Nous n’acceptons pas les preuves soumises par M. Singh à l’égard du harcèlement dont il dit avoir été victime de la part de M. Mozes et de Mme Sheikh au cours de son affectation. Il est important de souligner que la plainte de M. Singh repose uniquement sur l’application de l’article 7 de Loi canadienne sur les droits de la personne, et qu’il n’est fait aucune mention de l’article 14, qui traite du harcèlement en milieu de travail. En effet, malgré les allégations de M. Singh selon lesquelles il a été victime de harcèlement sur une base quotidienne au cours de son affectation pour une période déterminée, le libellé de la plainte de M. Singh ne fait aucune mention de harcèlement au cours de cette période.

La description par M. Singh de la nature et de la portée du travail qu’il exécutait au cours de son affectation ne correspond pas à celle donnée par M. Mozes, et ce qui est encore plus important, ne correspond pas aux preuves documentaires qui nous ont été remises au sujet de la période en question. M. Singh se décrit comme étant le seul auteur de l’étude sur les données fiscales, et il tente de minimiser l’apport des autres dans le produit fini. Cependant, il est évident d’après les échanges de notes de service entre M. Singh et ses superviseurs que le travail de M. Singh à l’égard de l’étude se faisait sous la direction d’autres personnes et était supervisé de façon étroite (voir la pièce HR- 1, onglets 11 et 13). Cette différence de perception a contribué sans l’ombre d’un doute à la friction entre M. Singh et ses superviseurs ainsi qu’au désaccord quant à l’appréciation du rendement de M. Singh.

Le Tribunal disposait d’un grand nombre de preuves selon lesquelles M. Singh n’acceptait pas facilement la critique à l’égard de son travail, preuves qui correspondent à nos propres observations de M. Singh tout au long de la présente audience. Nous avons également découvert qu’il y avait un conflit de personnalité de longue date entre M. Singh et M. Mozes. Il est possible que M. Singh percevait les efforts de M. Mozes et de Mme Sheikh à orienter son travail comme du harcèlement, surtout en rétrospective. M. Mozes a reconnu que Mme Sheikh et lui- même peuvent avoir donné des directives contradictoires à M. Singh de temps à autre. Bien qu’il aurait été préférable d’entendre Mme Sheikh à l’égard de ces événements, dans toutes les circonstances, nous ne sommes pas prêts à tirer des conclusions du fait qu’elle n’a pas témoigné. De même, bien qu’il soit un peu surprenant que M. Mozes n’ait pas répondu par écrit à la note de service de M. Singh du 2 janvier 1990, compte tenu des très graves allégations faites par M. Singh dans cette note, à la lumière de toutes les preuves devant nous, y compris l’explication de M. Mozes à cet égard, nous ne sommes pas prêts à faire ce que le procureur de la Commission nous a demandé de faire et à tirer des conclusions de ces circonstances, à savoir que les allégations contenues dans la note de service de M. Singh doivent par conséquent être fondées. Lorsque nous examinons dans leur ensemble les preuves qui sont devant nous, nous ne pouvons pas en conclure que les efforts de M. Mozes et de Mme Sheikh pour diriger le travail de M. Singh constituaient du harcèlement ou étaient d’une quelconque façon reliés soit à l’âge de M. Singh, soit à son origine nationale ou ethnique.

Il nous reste alors l’allégation dont il est fait mention dans la plainte de M. Singh, à savoir que l’intimé a refusé de prolonger sa période déterminée dans le poste de ES- 01 alors qu’il a prolongé celle de deux employés de race blanche. Les preuves que nous avons n’établissent pas une cause prima facie de discrimination à cet égard. M. Singh n’allègue pas que trois personnes, dont deux de race blanche et une qui était membre d’une minorité visible, effectuaient le même travail et que seules les personnes de race blanche ont vu leur période déterminée prolongée. Compte tenu du témoignage de M. Singh selon lequel le travail qu’effectuaient Mme Bekooy et M. Semotiuk était tout à fait différent du sien, il ne convient pas, selon le tribunal, de comparer leurs situations à celle de M. Singh.

Dans son témoignage, M. Singh a dit qu’il avait été engagé pour une période déterminée précise dans le but d’exécuter une tâche précise et qu’il a mené cette tâche jusqu’au bout . Compte tenu des preuves que nous avons devant nous, nous ne pouvons pas conclure que l’âge ou l’origine ethnique ou nationale de M. Singh ont joué un rôle dans la décision de ne pas prolonger sa période déterminée.

Si nous avions conclu que M. Singh avait établi une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire de discrimination à cet égard, nous aurions tout de même déclaré non fondé cet aspect de sa plainte. Les preuves fournies par M. Mozes et M. Nemes quant aux exigences du projet de redéveloppement n’ont pas été sérieusement contestées ni par la Commission, ni par M. Singh. En effet, il est évident que M. Singh n’avait pas idée des besoins globaux de la division, fait qui n’était pas surprenant compte tenu de son poste. Nous acceptons leur explication qu’une fois que M. Singh avait terminé l’étude sur les données fiscales, les fonds alloués à ce projet étaient requis pour d’autres choses.

vi) Le concours SI de 1990

La procureure de l’intimé prétend qu’étant donné qu’on ne nous a pas remis de preuves quant aux qualifications, à l’âge ou à l’ethnicité des candidats reçus dans le cadre de ce concours et d’autres concours, la Commission et le plaignant n’ont pas réussi à établir un élément nécessaire d’une cause prima facie de discrimination.

La Commission soutient que c’était l’intimé qui avait accès à cette information, et que les dossiers ont été détruits avant le dépôt de la plainte de M. Singh, conformément à la politique de Statistique Canada qui veut que les dossiers de dotation en personnel ne sont conservés que pendant deux ans après la dernière mesure administrative découlant d’un concours. En conséquence, la Commission prétend que l’intimé devrait être préclus d’avancer cet argument.

Il faudrait prendre note que, à l’exclusion du témoignage de Mme Clément au sujet de la politique générale de Statistique Canada à l’égard de la destruction de dossiers, il n’y avait aucune preuve directe devant nous qu’une partie ou la totalité des dossiers en question dans cette cause avaient, effectivement, été détruits conformément à la politique. Tout ce que nous avons, ce sont les assertions contradictoires des procureurs quant à la disponibilité des dossiers. Quoi qu’il en soit, nous somme convaincus que l’effet que la destruction possible des dossiers de dotation de l’intimé aurait sur les présentes ne doit pas être pris en compte ici. La plainte de M. Singh n’est pas qu’il n’a pas obtenu le poste de SI- 02, et que la personne qui l’a obtenu était plus jeune ou d’une origine nationale ou ethnique différente, mais pas plus qualifiée que M. Singh. Au contraire, sa plainte est qu’il n’a pas été considéré pour le poste parce qu’il n’avait pas satisfait aux exigences du concours en ce qui concerne les qualités personnelles. La comparaison entre M. Singh et les autres candidats n’est pas pertinente dans le présent cas étant donné qu’il ne s’est jamais rendu à cette étape du processus. Cependant, ce qu’il faut pour avoir compétence et prendre des mesures de réparation dans cette affaire, est que le fait que M. Singh n’a pas satisfait aux exigences du concours à l’égard des qualités personnelles soit relié d’une quelconque façon à son âge ou à son origine nationale ou ethnique. A cet égard, M. Singh n’a pas soumis au tribunal des preuves qui permettraient de justifier un verdict en sa faveur en l’absence d’une explication de la part de l’intimé.

Il peut y avoir eu des irrégularités lors du processus de référence dans le cadre de ce concours - en particulier, ayant demandé une référence à Mme Carrière, le comité de sélection a en effet obtenu la même référence une deuxième fois auprès de M. Beauchamp, compte tenu que M. Beauchamp dépendait largement de Mme Carrière pour son information au sujet du rendement de M. Singh. Cependant, une irrégularité lors du processus de dotation ne mène pas automatiquement à une inférence de discrimination, en l’absence d’autres preuves liant l’irrégularité à un motif de distinction illicite (Kibale c. Transport Canada (1985), 6 C. H. R. R. D/ 3033, p. D/ 3038, confirmé (1987), 8 C. H. R. R. D/ 4055 (Tribunal d’appel), 10 C. H. R. R. D/ 6100 (CAF), droit d’interjeter appel à la CSC refusé (1989), 101 N. R. 238).

Bien qu’une grande partie de la colère de M. Singh est attribuable au fait que M. Beauchamp a fourni une référence même si son nom n’avait pas été donné par M. Singh, les témoignages non contredits que nous avons indiquent que les références pour tous les candidats qui ont participé à ce concours provenaient des chefs de division des candidats. Rien ne suggère que M. Singh ait été traité différemment des autres candidats à cet égard.

La théorie de M. Singh relativement à la malveillance de la part de M. Beauchamp est minée par les témoignages non contredits selon lesquels c’est le comité de sélection qui a demandé des références à M. Beauchamp, et non le contraire. Aucune preuve ne laisse entrevoir que l’origine ethnique ou nationale ou l’âge de M. Singh aient été des facteurs dans l’évaluation faite par les membres du comité de sélection.

Outre les preuves statistiques devant nous, la Commission soutient que nous devons tenir compte du fait que les gestionnaires se parlent entre eux et que les sentiments de M. Mozes à l’égard de M. Singh peuvent avoir influencé le processus. Au mieux, cet argument est spéculatif. De plus, la Commission et M. Singh pressent le tribunal de tenir compte du fait que même avec trois diplômes, M. Singh est toujours un CR- 04 après tout ce temps. En effet, nous avons tenu compte de ce fait tout au long de notre évaluation des preuves dans la présente cause. Cependant, le Tribunal estime, avec le plus grand respect, que cela ne suffit pas pour établir une cause prima facie de discrimination.

Il ne fait aucun doute que l’évaluation des qualités personnelles dans le cadre de concours doit se faire avec minutie, compte tenu que cet aspect dépend souvent en partie ou totalement de considérations subjectives et peut également déboucher sur des stéréotypes, et que des préjugés culturels inconscients peuvent intervenir. Cependant, dans la présente affaire, même si nous acceptions que la référence donnée par M. Beauchamp était tout à fait injustifiée ou même malveillante (ce que nous n’acceptons pas), il y a peu de preuves devant nous qui nous permettent de relier le contenu négatif de la référence de M. Beauchamp à l’âge ou à l’origine ethnique ou nationale de M. Singh.

Les théories avancées par M. Singh relativement aux liens entre M. Beauchamp et M. Mozes, entre M. Beauchamp et les membres du comité de sélection, et entre Mme Walters et Mme Carrière, et les tentatives censément concertées de ces personnes pour discréditer M. Singh ne sont tout simplement pas crédibles , et ne sont pas étayées par les preuves.

En conséquence, nous concluons que la Commission et M. Singh n’ont pas établi une cause prima facie de discrimination, et cet aspect de la plainte de M. Singh est par conséquent rejeté.

S’il avait été nécessaire de tenir compte de l’explication de l’intimé, nous aurions accepté son explication comme raisonnable et non fondée sur des prétextes. Une partie de l’évaluation des qualités personnelles des candidats reposait sur une question écrite comportant des réponses déterminées au préalable. A cet égard, la réponse de M. Singh était de toute évidence insuffisante et sa note semble appropriée.

Le reste de l’évaluation semble avoir été fondé sur les demandes de renseignements auprès des références. D’après toutes les preuves fournies, nous constatons que les références données par les trois personnes citées en références étaient équitables et représentaient une évaluation exacte du rendement de M. Singh. Il est évident que M. Singh n’était pas du tout enchanté d’avoir été muté à la Division des opérations et de l’intégration au terme de sa période déterminée dans un poste de ES- 01. Il semble que la Division des opérations et de l’intégration était une installation de production, où il régnait en quelque sorte un climat de ligne de montage. Les travaux qui y étaient effectués par le personnel de bureau étaient très répétitifs et auraient été extrêmement peu intéressants pour une personne qui avait les antécédents et les aspirations de M. Singh. Il est également évident que M. Singh devenait de plus en plus frustré devant son incapacité de progresser à Statistique Canada. Cette frustration commençait sans aucun doute à influer sur son rendement au travail. En effet, Mme Carrière a constaté que la principale préoccupation de M. Singh à cette époque était de trouver un autre poste.

Les commentaires relatifs à l’attitude supérieure de M. Singh sont conformes au ton du témoignage de M. Singh devant le présent tribunal, où il a critiqué certains de ses collègues de travail du fait de leur scolarité inférieure. De même, la résistance de M. Singh à l’égard de la critique de son travail a été un thème qui est revenu tout au long de la présente affaire, et était apparent pour le tribunal lors du témoignage de M. Singh.

Ainsi, nous concluons que l’évaluation des qualités personnelles de M. Singh dans le cadre du concours était juste et raisonnable, et que ni l’âge ni l’origine ethnique ou nationale de M. Singh n’ont été des facteurs dans cette évaluation.

vii) Le concours de ES- 01 de 1991

L’intimé maintient que M. Singh et la Commission n’ont pas réussi à établir une cause prima facie de discrimination en rapport avec ce concours étant donné qu’il n’a pas été établi que M. Singh se qualifiait pour ce poste. En outre, la Commission et M. Singh n’ont pas démontré que des personnes, qui n’étaient pas plus qualifiées que M. Singh, mais qui auraient été plus jeunes ou d’une origine ethnique ou nationale différente, ont été en fait engagées.

La Commission et M. Singh maintiennent que les preuves démontrent que M. Singh était qualifié pour un poste de ES- 01 en 1991. En ce qui concerne l’absence de preuves relativement aux autres candidats, tel qu’il a été indiqué précédemment, la Commission soutient que c’était l’intimé qui avait accès à cette information et qui a détruit les dossiers et que, en conséquence, l’intimé devrait être préclu d’utiliser cet argument.

Après avoir examiné tant les preuves que les arguments avec minutie, nous estimons que la Commission et M. Singh n’ont pas établi une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire de discrimination en rapport avec ce concours, et que cet aspect de la plainte de M. Singh doit par conséquent être rejeté. Selon les preuves devant nous, il semble que l’examen écrit visait à évaluer la connaissance des candidats. De l’aveu même de M. Singh, il a échoué à l’examen écrit. Rien ne suggère que l’âge ou l’ethnicité de M. Singh étaient des facteurs dans la notation de l’examen, ou en effet que les personnes qui notaient l’examen auraient été même au courant soit de l’âge soit de l’origine ethnique ou nationale de M. Singh. En conséquence, M. Singh et la Commission n’ont pas démontré le premier élément du test Shakes, c’est- à- dire qu’il était qualifié pour le poste.

L’orientation des arguments de la Commission et de M. Singh est que le fait de s’être qualifié auparavant à deux reprises pour d’autres concours de ES- 01, de s’être bien acquitté de ses tâches dans des postes de niveau ES- 01 et d’avoir des qualifications académiques supérieures, M. Singh était qualifié pour des postes de ES qui étaient dotés par l’entremise de ce concours. Cet argument, bien qu’intéressant, ne tient pas compte des preuves devant nous (y compris les preuves fournies par M. Akeaympong, un des témoins de la Commission) que les normes pour le recrutement des ES à Statistique Canada avaient été haussées de façon significative à la suite de la création du Programme de recrutement des ES en 1989. Aucune des preuves devant nous ne suggère que les connaissances de M. Singh avaient été vérifiées autrement que de façon objective. Les considérations subjectives telles l’évaluation des qualités personnelles n’entraient pas en ligne de compte dans ce concours, étant donné que M. Singh n’est pas parvenu à cette étape du processus.

Nous sommes convaincus que le fait que nous n’ayons pas les dossiers du concours, et que par conséquent nous ne soyons pas en mesure de tenir compte des qualifications des candidats reçus, n’a aucune incidence sur notre conclusion d’une façon ou d’une autre, étant donné qu’il n’y a jamais eu de comparaison entre M. Singh et ces personnes, puisqu’il avait été éliminé du concours à une étape précédente.

viii) Le concours de ES- 01 de 1992

L’intimé prétend que la Commission et M. Singh n’ont pas établi une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire de discrimination en rapport avec ce concours étant donné qu’ils n’ont pas prouvé que M. Singh était qualifié pour un poste de ES. En outre, l’intimé soutient que ni la Commission ni M. Singh n’ont démontré que des personnes, pas plus qualifiées que M. Singh, mais plus jeunes ou d’une origine ethnique ou nationale différente, ont été en fait engagées.

Comme dans le cas du concours précédent, la position de la Commission et de M. Singh est qu’étant donné qu’il s’était qualifié précédemment à deux reprises dans des concours de ES- 01, qu’il s’était bien acquitté des tâches dans des postes de niveau ES- 01 et qu’il avait des qualifications académiques supérieures M. Singh était en fait qualifié pour les poste de ES dotés par l’entremise de ce concours, et que son âge et son origine ethnique ou nationale ont été des facteurs qui ont joué contre lui dans le cadre du Programme de recrutement des ES.

Ayant examiné minutieusement les preuves et les arguments présentés en rapport avec ce concours, nous estimons que la Commission et M. Singh n’ont pas établi une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire de discrimination et que cet aspect de la plainte de M. Singh doit par conséquent être rejeté.

Tel que nous l’avons indiqué précédemment, nous acceptons les preuves fournies par l’intimé et M. Akeaympong selon lesquelles les normes pour le recrutement des ES à Statistique Canada ont été rehaussées de façon significative avec la création du Programme de recrutement des ES en 1989. En conséquence, nous n’acceptons pas que, du fait qu’il se soit qualifié précédemment pour des postes des ES et qu’il se soit acquitté de façon satisfaisante de fonctions au niveau ES, M. Singh se serait nécessairement qualifié en vertu du nouveau régime.

Lorsque l’on examine l’équité du processus en vertu duquel la candidature de M. Singh a été évaluée, il est nécessaire d’examiner les preuves fournies par M. Singh à la lumière du témoignage de M. Rhoades, ainsi que les preuves documentaires qui ont trait au concours. M. Singh n’était pas en mesure de se rappeler de beaucoup de points au sujet de l’entrevue, si ce n’est qu’il se rappelle d’avoir très bien fait. Ayant refusé de rencontrer M. Rhoades après le concours, M. Singh n’avait, évidemment, aucune façon de connaître les réponses attendues aux questions qu’on lui avait posées, et ne pouvait connaître non plus sa performance par rapport aux autres candidats.

Nous avons retiré une impression très favorable du témoignage de M. Rhoades. Son témoignage a été donné de façon claire et franche, et il a été corroboré à tous les égards matériels par ses notes contemporaines de l’entrevue, ainsi que par les questions et les réponses prévues préparées aux fins du concours. Nous avons été particulièrement impressionnés par la réaction de M. Rhoades lorsque les erreurs d’arithmétique dans l’établissement des notes ont été portées à son attention - il n’a pas essayé de nier les erreurs, de les justifier, ou de les expliquer - il les a plutôt reconnues d’emblée et en a assumé la responsabilité. En conséquence, lorsque les preuves présentées par M. Rhoades contredisent celles présentées par M. Singh, nous préférons les preuves de M. Rhoades.

Nous acceptons la description du processus de concours de M. Rhoades et nous en concluons qu’on a posé à M. Singh les mêmes questions qu’aux autres candidats, que ses réponses ont été mesurées en fonction des réponses attendues, comme c’était le cas pour les autres candidats, et qu’on l’a évalué de la même façon que les autres personnes interviewées par M. Rhoades. Bien qu’il y ait de toute évidence un élément de subjectivité dans le processus, davantage en ce qui a trait à l’évaluation des aptitudes que pour les connaissances, et en particulier dans l’évaluation des qualités personnelles, nous ne sommes pas convaincus sur la foi des preuves devant nous que l’âge ou l’origine ethnique ou nationale de M. Singh aient été des facteurs dans l’évaluation faite par M. Rhoades à son sujet.

Nous concluons que l’erreur dans l’enregistrement de la note de M. Singh était de bonne foi, et que quoi qu’il en soit, elle n’a pas eu d’incidence sur le résultat du concours. De même, nous observons que même si M. Singh avait obtenu une note parfaite aux qualités personnelles lors de l’entrevue, il n’aurait tout de même pas atteint le seuil de 80 % pour se qualifier au concours.

Ayant conclu que M. Singh n’a pu démontrer qu’il était qualifié pour le poste, il s’ensuit qu’une cause prima facie n’a pas été démontrée. Comme dans le cas du concours précédent, le fait que nous ne soyons pas en mesure de tenir compte des qualifications des candidats reçus n’a aucune importance étant donné que M. Singh n’a jamais été comparé à ces personnes, ayant été éliminé du concours à une étape précédente.

ix) Discrimination par suite d’un effet préjudiciable

La présente affaire a été présentée comme étant une cause de discrimination directe. En d’autres mots, tout au long de l’audience, la théorie de M. Singh et de la Commission quant à l’affaire était que l’âge et l’origine ethnique et nationale de M. Singh ont été des facteurs qui ont influé sur le processus de décision de Statistique Canada. Les preuves ont été présentées dans ce contexte, et il n’y a eu aucune suggestion qu’une accommodation de M. Singh était nécessaire ou appropriée. Cependant, dans ses conclusions finales le procureur de la Commission a semblé essayer de formuler un argument fondé sur une discrimination par suite d’un effet préjudiciable (transcription, p. 2934 et suivantes.). Le procureur a prétendu que Statistique Canada avait pour politique ou pratique de recruter des employés de la catégorie ES qui étaient jeunes, et que cette politique ou pratique avait tendance à avoir un effet négatif sur M. Singh. Le procureur a expliqué, dans son argumentation, que Statistique Canada avait déterminé une nécessité de recruter des personnes plus jeunes, et que cela représentait une attitude ancrée chez les gestionnaires. M. Singh ne répondait pas au profil que Statistique Canada avait établi, ni explicitement ni implicitement, quant aux candidats souhaitables et, en conséquence, il a été exclu.

Selon le tribunal, ce que laisse entendre le procureur ne constituerait pas du tout, si c’était démontré, une discrimination par suite d’un effet préjudiciable, mais plutôt une discrimination directe. Un profil d’employé qui fait appel à des personnes jeunes ne serait pas une politique ou une pratique neutre, mais constituerait plutôt une politique ou une pratique de discrimination directe.

La conception du Programme de recrutement des ES de Statistique Canada soulève effectivement des questions en ce qui a trait à une discrimination systémique possible. En d’autres mots, une politique qui vise des personnes qui viennent de terminer leurs études universitaires pourrait constituer une politique qui a tendance à être inaccessible aux candidats et candidates d’un âge plus avancé. Cependant, il n’est pas nécessaire de décider des conséquences systémiques possibles de la politique dans le cadre de la présente plainte. Selon les preuves devant nous, en sa qualité de candidat interne de Statistique Canada, M. Singh avait accès au Programme de recrutement des ES. Nous sommes donc venus à la conclusion que sa candidature a été examinée de façon juste, et que ni son âge ni son origine ethnique ou nationale n’ont été des facteurs dans l’évaluation de sa candidature par Statistique Canada.

VI PARAGRAPHE 41e) DE LA LOI

Dans ses conclusions orales finales, la procureure de l’intimé a soutenu que le Tribunal ne peut pas prendre des mesures de réparation pour des événements qui sont survenus plus d’un an avant le dépôt de la plainte par M. Singh, en l’absence de preuves que la Commission a jugé approprié de prolonger le délai conformément aux dispositions du paragraphe 41e) de la Loi. A l’appui de sa prétention, la procureure a référé à la décision de la Cour fédérale dans Canada (procureur général) c. Canada (Commission des droits de la personne) (Pitawanakwat), 43 F. T. R. 47 et la décision de la Cour fédérale d’appel dans Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] F. C. J. no 813.

Dans des soumissions écrites ultérieures, l’intimé a soutenu que bien qu’il n’appartenait pas à ce tribunal d’examiner la décision de la Commission en vertu de l’alinéa 41e) de la Loi, le Tribunal pouvait prendre en considération la disposition limitative compte tenu de la capacité de l’intimé de préparer une défense complète en raison du temps écoulé, de la défaillance de la mémoire des témoins, des décès de témoins possibles et de la destruction de preuves documentaires. A cet égard, l’intimé renvoie à la décision dans Vermette c. Société Radio- Canada (1994), 28 C. H. R. R. D/ 89, confirmée (1996), 28 C. H. R. R. D/ 139 (T. D.).

L’intimé se fonde également sur la doctrine en equity du retard indu. (Voir Saanich Firefighters Union, Local 967 et District de Saanich (1981), 22 D. L. R. (3d) 577 (B. C. S. C.)

Enfin, l’intimé soutient que la formule de plainte ne mentionne aucun délai précis pour la plainte, et que la plainte n’a pas non plus été modifiée (Pitawanakwat, supra). Quoi qu’il en soit, on ne peut se prononcer sur des plaintes telles que prolongées : les prolongations audelà d’un an sont prescrites (Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (1998), F. C. J. no 312 (F. C. T. D.).

La Commission soutient que le tribunal n’a pas compétence pour faire enquête dans la décision de la Commission de référer cette affaire au tribunal : une telle contestation doit être faite devant la Cour fédérale. La Commission prétend en outre que l’intimé n’a pas présenté une preuve de préjudice qui s’y rattache.

En outre, la Commission soutient que l’intimé n’a pas donné un préavis de son intention de soumettre cet argument, et qu’en conséquence aucune preuve n’a été présentée par la Commission relativement aux questions en cause.

La Commission constate également que la plainte n’indique aucun délai précis en ce qui concerne la plainte, et qu’il est évident en consultant le formulaire que la plainte a rapport à la période s’étendant de 1985 à 1992.

Le paragraphe 41e) de la Loi stipule ce qui suit : 41. Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle- ci irrecevable pour un des motifs suivants... e) la plainte a été déposée plus d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée.

Suite à un examen de la jurisprudence mentionnée par l’intimé (la Commission n’ayant mentionné aucune cause à l’appui de sa position), il semble que les décisions du tribunal des droits de la personne et de la Section de première instance de la Cour fédérale dans Vermette (supra) s’appliquent directement. Dans Vermette, Muldoon J. de la Cour fédérale a fait remarquer que les tribunaux n’ont pas le pouvoir d’examiner des décisions de la Commission canadienne des droits de la personne prises en vertu de l’application des dispositions de l’article 41 de la Loi dans le but de déterminer si la Commission a agi correctement ou incorrectement dans l’exercice de sa discrétion. Cependant, cela ne signifie pas que les tribunaux n’ont pas le droit de conclure, en fonction des preuves devant eux, si un intimé doit être privé du bénéfice de la période de prescription prévue dans l’article. La Cour en est venue à la conclusion que les tribunaux ont le pouvoir de rejeter des plaintes à l’égard de faits, dont le dernier est survenu plus d’une année avant la réception de la plainte, si le Tribunal conclut qu’il n’y a aucune justification raisonnable de priver un intimé du bénéfice de l’article 41. En prenant sa décision quant à savoir s’il y a ou non une justification raisonnable, le Tribunal devrait tenir compte de facteurs suivants :

  1. la période de temps écoulé entre le fait ou l’omission qui fait l’objet de la plainte et le moment où la plainte est déposée auprès de la Commission ou reçue par cette dernière;
  2. la période de temps écoulé entre le fait ou l’omission qui fait l’objet de la plainte et le moment où l’intimé a reçu l’avis de plainte;
  3. les raisons pour le retard à déposer la plainte ou à la signifier à l’intimé;
  4. les raisons sur lesquelles se fonde la Commission pour décider en vertu de l’article 41 de la Loi de donner suite à la plainte, même si cette dernière se fonde sur des faits ou des omissions dont le dernier est survenu plus d’une année avant la réception de la plainte;
  5. le préjudice causé à l’intimé par le retard.( Vermette, décision de la Cour fédérale, supra, pp. D/ 161- 2 et 165).

La Cour a remarqué qu’il y a un chevauchement entre ces facteurs et ceux dont il doit être tenu compte dans l’application de la doctrine en equity du retard indu, mais que le test final était différent : la doctrine du retard indu exige un équilibre entre l’attente d’une diligence raisonnable du plaignant et le préjudice causé par le retard qui pourrait empêcher un intimé de monter une défense complète à l’égard de la plainte. Dans le présent cas, la question est de savoir s’il y a une justification raisonnable pour priver l’intimé de l’avantage de la période de prescription prévue à l’article 41.

La difficulté pour le présent tribunal d’essayer de tenir compte des facteurs énoncés par la Cour dans Vermette est que la plupart des questions n’ont jamais été abordées par l’une ou l’autre des parties au cours de l’audience. Évidemment, il n’y avait aucune raison pour elles de le faire étant donné que l’intimé n’avait donné aucun avis selon lequel l’article 41 de la Loi serait mis en cause dans la présente affaire. Cette question n’a été soulevée qu’à mi- chemin des soumissions finales de la procureure de l’intimé - après que toutes les preuves eurent été présentées et après que toutes les parties eurent terminé la preuve. Dans ces circonstances, le tribunal estime qu’il serait fondamentalement injuste pour la Commission et pour M. Singh de permettre à l’intimé de se cacher en vertu d’un argument de cette nature, puis de chercher à profiter de l’absence de preuves pertinentes. L’avis relatif à un argument tel celui présenté par la procureure de l’intimé doit être donné de façon opportune : en temps normal, cet avis devrait être donné bien avant le début de l’audience. En conséquence, l’argument de l’intimé est rejeté.

Quoi qu’il en soit, nous constatons que la plainte de M. Singh porte la date du 5 mars 1993. Bien que nous ne sachions pas à quel moment les décisions définitives ont été prises en ce qui concerne le concours de ES de 1992 (il s’agit du dernier des faits dont il est fait mention dans la plainte et qui ont été examinés au cours de l’audience), les preuves indiquent que le processus était normalement complété au cours du printemps de chaque année. Par conséquent, il n’est pas certain que la plainte de M. Singh a été déposée plus d’une année après le dernier des faits donnant lieu à la plainte. Nous constatons également que le dernier fait dont il fait effectivement mention dans la plainte de M. Singh a trait au grief déposé par M. Singh en mai 1992 - donc bien en deçà de la période de prescription d’une année.

Enfin, nous ne sommes pas convaincus que l’intimé ait souffert d’un réel préjudice en ce qui a trait au retard dans cette affaire. Nous avons conclu en faveur de l’intimé pour ce qui est de toutes les allégations de M. Singh, sauf celle qui a trait à l’omission d’inclure le nom de M. Singh sur la liste d’admissibilité à la suite du concours de ES- 01 de 1988. Pour les raisons déjà mentionnées, nous avons conclu que les renseignements relatifs aux autres candidats n’étaient pas pertinents aux questions soulevées par cette allégation. En conséquence, la destruction des dossiers du concours n’entraîne aucun préjudice pour l’intimé. Rien n’indique que soit M. Drover soit Françoise Singh, tous deux décédés depuis, aient participé de quelque façon que ce soit à la décision de ne pas inclure le nom de M. Singh sur la liste d’admissibilité. En conséquence, nous ne pouvons conclure que la capacité de l’intimé de correctement se défendre en rapport avec cette allégation a été compromise en raison du retard.

VII RÉPARATION

Ayant conclu en la responsabilité de Statistique Canada en ce qui concerne l’omission d’inclure le nom de M. Singh sur la liste d’admissibilité à la suite du concours de ES- 01 de 1988, il reste à déterminer quelle réparation, le cas échéant, devrait être accordée à M. Singh. Dans l’établissement d’une réparation, la compétence du tribunal est régie par l’article 53 de la Loi. En outre, les tribunaux ont déterminé que dans les cas de discrimination, l’objectif est d’indemniser la victime de la totalité des pertes et dépenses entraînées par l’acte discriminatoire, en tenant compte des principes de prévisibilité raisonnable et du caractère lointain du dommage (voir Canada (procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C. F. 401, et Canada (procureur général) c. McAlpine, [1989] 3 C. F. 530).

i) Nomination à un poste

La Commission et M. Singh demandent que M. Singh se fasse nommer à un poste au niveau ES- 03. Il est évident que les pouvoirs de réparation prévus à l’alinéa 53( 2) b) de la Loi vont jusqu’à permettre aux tribunaux d’ordonner des promotions lorsqu’il a été déterminé que de telles promotions ont été refusées pour des motifs discriminatoires (Canada (procureur général) c. Uzoaba, [1995] 2 C. F. 569, 26 C. H. R. R. D/ 428).

Cependant, avant d’accorder une telle indemnité, le Tribunal doit être convaincu qu’il y avait à tout le moins une sérieuse possibilité, sinon une probabilité, que le plaignant aurait occupé le poste n’eut été de la discrimination (Morgan, supra)

Nous remarquons que la période de validité de la liste d’admissibilité relative à ce concours n’a été que d’un mois. Selon Mme Clément, la période de validité des listes d’admissibilité est régie par l’article 8 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, qui dispose, en partie :

18 (1) Sous réserve des dispositions du présent article, une liste d’admissibilité est valide pour une période d’un an à compter de sa date d’entrée en vigueur telle que déterminée par l’agent du personnel responsable. (2) L’agent de dotation responsable peut établir une liste d’admissibilité qui est valide pour une période inférieure à une année à compter de sa date d’entrée en vigueur, déterminée par l’agent de dotation responsable...

Dans les présentes circonstances, nous estimons que l’on peut raisonnablement inférer que, avec un seul nom sur la liste, la liste allait être utilisée pour une seule mesure de dotation. Il n’y aurait aucune raison de prolonger la période de validité au- delà de la période nécessaire pour donner la promotion de Mme Cowan. Selon le libellé du Règlement, les preuves qui ont trait aux périodes de validité pour d’autres listes d’admissibilité (voir, par exemple, pièce HR- 1, onglet 4 et HR- 2, onglet 21), ainsi que le témoignage de M. Dodds selon lequel les listes d’admissibilité ont habituellement une période de validité d’une année, il est raisonnable de supposer que la liste aurait été valide pour une période plus longue si elle avait comporté un plus grand nombre de noms et qu’en toute probabilité, la liste aurait été en vigueur pendant une année.

Dans le présent cas, selon toutes les preuves fournies, compte tenu du taux normal de roulement pour les employés de niveau ES- 01, le niveau d’embauche en 1988- 1989 pour les employés de la catégorie ES à Statistique Canada, et en particulier, des preuves fournies par M. Dodds quant à la rareté de personnes recrutées dans la catégorie ES dans les mois qui ont suivi ce concours, nous sommes convaincus que si le nom de M. Singh avait été inclus sur la liste d’admissibilité à la suite du concours de 1988, il aurait probablement obtenu un poste de ES- 01 à un moment ou un autre au cours de la période de validité de la liste d’admissibilité.

Bien que nous ayons conclu qu’il est probable que M. Singh aurait obtenu un poste de ES- 01, il n’est pas certain que cela aurait été le cas. Bien qu’il y ait des preuves contradictoires à ce sujet, nous concluons que, en temps normal, les employés passent au niveau ES- 02 dans l’année qui suit, en supposant un rendement satisfaisant, puis au niveau ES- 03 quelque temps après. Cependant, il n’est pas du tout certain que la progression de M. Singh aurait suivi ce chemin. Les preuves qui nous ont été fournies ont identifié des points faibles dans le rendement de M. Singh, en particulier sa résistance à l’égard des critiques constructives au sujet de son travail. En outre, nous sommes convaincus que, à compter de 1989, le calibre des employés nommés au niveau ES- 01 à Statistique Canada était nettement plus élevé qu’auparavant. Par rapport à ce concours, il est fort possible que le rendement de M. Singh pourrait avoir présenté des lacunes. Dans le but de tenir compte de ces facteurs, le tribunal ordonne à Statistique Canada de nommer M. Singh, à la première occasion raisonnable, dans un poste de niveau ES- 01 à Statistique Canada. Ce poste doit être accordé aux mêmes conditions que celles qui s’appliquent aux candidats internes de Statistique Canada engagés dans le cadre du Programme actuel de recrutement des ES.

ii) Salaire perdu

La Commission et M. Singh demandent que M. Singh reçoive une indemnité au titre du salaire perdu d’un montant correspondant à la différence entre ce qu’il a effectivement gagné et ce qu’il dit qu’il aurait dû gagner, en supposant qu’il aurait obtenu le poste de ES- 01 à la suite du départ de M. Kaba de la Division des transports en juin 1987. Leurs calculs relatifs au salaire supposent également que M. Singh aurait occupé le poste au niveau ES- 01 pendant un an, après quoi il aurait été reclassifié dans un poste de niveau ES- 02. Au terme d’une autre période de douze mois, selon le scénario présenté par M. Singh à la Commission, il aurait été reclassifié dans un poste de niveau ES- 03. On suppose qu’il occuperait encore aujourd’hui un poste de ce niveau.

Compte tenu de la décision du tribunal à l’égard de la responsabilité, les dommages à M. Singh ne commencent qu’après le concours de 1988. En outre, tel qu’il est indiqué dans la section précédente, nous n’acceptons pas que M. Singh aurait nécessairement eu la progression suggérée par la Commission et M. Singh. En conséquence, nous ordonnons à Statistique Canada de verser à M. Singh la différence entre le salaire qu’il a effectivement reçu en tant que CR- 04 et le salaire qu’il aurait reçu s’il avait été nommé dans un poste de ES- 01 le 2 août 1989, c’est- à- dire le point milieu de la période de validité théorique pour la liste d’admissibilité du concours de 1988. Les avantages relatifs à la pension et les autres avantages relatifs à l’emploi de M. Singh devront également être rajustés pour tenir compte de ces paiements.

Notre tâche est d’essayer dans toute la mesure du possible de mettre M. Singh dans le même poste qu’il aurait occupé s’il n’y avait pas eu conduite discriminatoire de la part de Statistique Canada (McAlpine, supra). Selon le tribunal, M. Singh serait injustement pénalisé s’il devait supporter un fardeau d’impôt sur le revenu plus lourd en raison du versement sous forme d’un montant forfaitaire du différentiel salarial de neuf années que ce qu’il aurait dû payer si son salaire lui avait été versé chaque année au cours de la période en question. En conséquence, nous ordonnons à Statistique Canada de verser à M. Singh un montant additionnel compensant l’impôt additionnel sur le revenu qu’il devra payer suite à la réception des montants ainsi versés.

iii) Limitation des dommages

La procureure de l’intimé soutient que toute indemnité accordée à M. Singh devrait être ajustée en fonction du fait que M. Singh a omis de réduire ses dommages. Pour étayer cet argument, la procureure signale divers cours de formation qu’offrait Statistique Canada et qui, selon l’intimé, auraient amélioré les chances de M. Singh lors des divers concours. L’intimé signale également que M. Singh n’a pas jugé bon de rencontrer les membres du comité de sélection après la tenue des concours pour obtenir de l’information au sujet de sa performance, de façon à lui permettre de corriger ses lacunes. Enfin, l’intimé laisse entendre que M. Singh aurait pu chercher à obtenir des postes de la catégorie SI d’une façon plus dynamique, les preuves indiquant que le groupe SI était un groupe de relève pour la catégorie ES.

Il ne fait aucun doute que l’attribution de dommages- intérêts en vertu des dispositions de la Loi doit tenir compte de l’exhaustivité des efforts du plaignant pour réduire ses dommages- intérêts (Morgan, supra). Cependant, lorsqu’on l’examine de plus près, l’argument de l’intimé n’est pas véritablement dirigé à la question des dommages- intérêts - plutôt, l’argument laisse entendre implicitement que M. Singh était, du moins dans une certaine mesure, l’auteur de sa propre chute (voir, en particulier, les paragraphes 155 à 157 des observations écrites de l’intimé).

La question de limitation des dommages n’est soulevée que si nous en sommes venus à la conclusion qu’il y a eu discrimination de la part de l’intimé. Nous avons conclu que l’âge de M. Singh a été un facteur dans l’omission de la part de l’intimé d’inclure le nom de M. Singh sur la liste d’admissibilité faisant suite au concours de ES- 01 de 1988. Ayant conclu que l’âge de M. Singh avait été un facteur qui a empêché l’inclusion de son nom sur la liste d’admissibilité, nous ne pouvons voir de quelle façon cette situation aurait pu être prévenue ou corrigée par des actions de la part de M. Singh. Même si M. Singh avait profité de certaines des occasions que lui offrait l’intimé, comme il aurait peut- être dû le faire, il n’aurait néanmoins pas été plus jeune à la fin de la journée. En conséquence, nous ne sommes pas prêts à conclure qu’il y a eu omission de la part de M. Singh de limiter ses dommages- intérêts.

iv) Indemnité spéciale

Le paragraphe 53( 3) de la Loi autorise le tribunal à ordonner le versement d’une indemnité maximale de 5 000 $ lorsque le tribunal conclut qu’un intimé a agi de façon délibérée ou inconsidérée ou que la victime de la pratique discriminatoire en a souffert un préjudice moral

Il ne fait aucun doute que les allégations contenues dans la plainte de M. Singh, si elles avaient été démontrées, auraient justifié des dommages- intérêts dans la plage supérieure de l’échelle pécuniaire. Cependant, le tribunal a conclu uniquement que Statistique Canada avait eu recours à une pratique discriminatoire fondée sur l’âge une seule fois. Nous avons rejeté dans la totalité les allégations de M. Singh qui avaient trait à son origine ethnique ou nationale.

Bien qu’il n’y ait aucun doute que M. Singh a subi beaucoup de frustration et d’angoisse dans le cadre de son emploi à Statistique Canada, nous sommes convaincus qu’une grande partie de cette situation découle d’événements autres que la non- inclusion de son nom sur la liste d’admissibilité pour le concours de 1988.

Quoi qu’il en soit, le tribunal ordonne à Statistique Canada de verser à M. Singh la somme de 3 000 $ à titre d’indemnité spéciale.

v) Excuses

M. Singh a demandé que le Tribunal ordonne à la direction de Statistique Canada de lui présenter des excuses.

Dans les affaires où la conduite de l’intimé est marquée par de l’insensibilité, le tribunal a ordonné que des excuses soient présentées (voir, par exemple, Uzoaba c. Canada (Service correctionnel) (1994), 26 C. H. R. R. D/ 361, confirmé Canada (procureur général) c. Uzoaba, supra).

Ayant tenu compte de toutes les circonstances de la présente affaire, nous ne sommes pas persuadés qu’il s’agit d’une cause qui mérite que des excuses soient présentées.

vi) Intérêt

Il est maintenant bien établi que des intérêts doivent être versés à l’égard de dommages- intérêts dans le cas d’une indemnité spéciale ainsi que pour le salaire perdu (Morgan, supra). Par conséquent, le tribunal ordonne le paiement d’un intérêt simple sur les montants accordés suite à la présente décision. L’intérêt à l’égard du salaire perdu devrait couvrir la période commençant le 2 août 1989, c’est- à- dire la date à laquelle nous avons conclu que M. Singh aurait probablement dû obtenir un poste de ES- 01. L’intérêt à l’égard de l’indemnité spéciale devrait couvrir la période commençant le 2 février 1989, c’est- à- dire la date à laquelle la liste d’admissibilité reliée au concours de ES- 01 de 1988 a été publiée. L’intérêt doit être calculé en fonction du taux des obligations d’épargne du Canada. En ce qui concerne les fluctuations du taux d’intérêt au cours des neuf dernières années, le tribunal ordonne que l’on utilise le taux moyen des obligations d’épargne du Canada pour chacune de ces périodes. Toutefois, le montant total à verser en ce qui concerne l’indemnité spéciale, y compris l’intérêt, ne doit en aucun cas dépasser 5 000 $ (Canada (procureur général) c. Hebert, [1996] F. C. J. No. 1457).

vii) Maintien de compétence

Advenant que les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le calcul du montant auquel a droit M. Singh en vertu d’un ou de plusieurs chefs de dommages dont il est fait mention dans la présente décision, les parties peuvent faire d’autres représentations au tribunal.

VIII AUTRES QUESTIONS

i) Divulgation de renseignements confidentiels

Bien que cette question n’était pas directement pertinente aux questions qui font l’objet principal de la présente plainte, une grande partie de temps a été consacrée au cours de la présente audience à une prétendue divulgation de renseignements confidentiels par M. Singh du fait qu’il avait fait circuler des copies de l’étude sur les données fiscales à Statistique Canada pour appuyer ses efforts afin de trouver un nouveau poste à un niveau plus élevé. On a beaucoup insisté sur l’importance de la confidentialité en ce qui concerne les activités de Statistique Canada, et des preuves ont été fournies par plusieurs témoins de l’intimé selon lesquelles les agissements de M. Singh constituaient une très grave infraction aux règlements de Statistique Canada, qui aurait justifié le congédiement de M. Singh. Étant donné la nature grave des allégations contre M. Singh, quoique dans le cadre d’une question incidente, nous avons estimé qu’il convenait d’aborder ces allégations dans la présente décision.

Nous n’entendons pas examiner les conflits qui ressortent des preuves présentées par les divers témoins sur cette question, si ce n’est que de faire remarquer que malgré la gravité prétendue de l’infraction, il n’est fait aucunement mention de la conduite de M. Singh dans des notes de service ou une réprimande écrite, et il n’y en a aucune mention non plus dans son évaluation du rendement pour la période visée. En outre, M. Dodds, dont nous préférons les preuves à celles des autres témoins de l’intimé, a indiqué dans son témoignage que dans le cadre de projets à recouvrement des coûts de cette nature, les études produites étaient publiques, et que la diffusion de ces études au sein de Statistique Canada était autorisée. Ainsi, nous sommes convaincus que M. Singh n’a enfreint aucune obligation qu’il avait de respecter la confidentialité lorsqu’il a fait circuler des copies de l’étude, et que les allégations de l’intimé constituaient une attaque injustifiée à l’intégrité professionnelle de M. Singh.

ii) Questions de divulgation

Étant donné le rôle important que les questions relatives à la divulgation de documents, ou plus précisément à la non- communication de documents, ont joué tout au long de l’audience, il serait négligent de notre part de ne pas formuler de commentaires sur les questions qui se sont présentées lors de la présente affaire.

Selon la pratique courante du tribunal, une conférence préparatoire à l’audience a eu lieu au cours de laquelle le tribunal a ordonné aux parties de faire une divulgation complète des documents que chacune comptait présenter en preuve au cours de l’audience, et a établi un calendrier pour cette divulgation. La divulgation devait avoir été complétée un peu plus de deux semaines avant le début de l’audience.

Malgré la directive du tribunal, et presque quotidiennement tout au long de la présente audience, des objections ont été soulevées (principalement de la part du procureur de la Commission et de M. Singh, bien qu’à l’occasion de la part de Mme Palumbo également), du fait que des documents étaient présentés à la partie opposée à la dernière minute. A chaque occasion, on a fourni des explications relativement au défaut de divulgation, explications qui de façon générale étaient tout à fait insatisfaisantes. Cette situation a eu pour effet d’accroître l’acrimonie apparente entre les procureurs, de rendre ce qui allait inévitablement être une audience longue et difficile encore plus longue et plus désagréable pour toutes les parties concernées. En préparation des audiences du tribunal, et dans le but de respecter leurs obligations de divulgation en plus de réviser les dossiers et fichiers pertinents, les procureurs devraient communiquer avec chaque témoin qu’ils comptent faire témoigner afin de vérifier si le témoin a en sa possession ou a la connaissance de documents qui pourraient être pertinents. Le fait que le procureur dise qu’il venait tout juste de rencontrer le témoin et d’être mis au courant de l’existence d’un document ne constitue aucunement une réponse à une objection visant une communication en dehors des délais prescrits à mi- chemin d’une longue audience.

En outre, les avocats sont tenus, avant la tenue d’une audience, de réfléchir aux questions qui pourraient raisonnablement se présenter au cours de l’audience afin de s’assurer que les obligations en matière de divulgation sont respectées. De toute évidence, il y aura des situations où cela n’est tout simplement pas possible, ou il y aura des questions qui sont soulevées lors d’une audience et que l’avocat n’avait pas entrevues au départ. Cependant, il devrait s’agir de l’exception et non de la règle.

Outre les obligations susmentionnées, qui s’appliquent à toutes les parties comparaissant devant le tribunal des droits de la personne, les procureurs de la Commission canadienne des droits de la personne ont des obligations particulières qui découlent d’une conséquence du mandat prévu par la loi de la Commission d’agir conformément à l’intérêt public (article 51 de la Loi). Il est maintenant bien établi que lors d’audiences des tribunaux des droits de la personne ou des commissions d’enquête, le rôle des commissions est semblable à celui du procureur de la Couronne dans un procès au criminel - c’est- à- dire qu’ils doivent agir en tant que ministres de la Justice (voir, par exemple, Ontario (Commission des droits de la personne) c. Commission d’enquête des droits de la personne de l’Ontario (Jeffrey House) et autres (1993) 21 C. H. R. R. D/ 498, I. M. P. Group Limited c. Dillman et Commission des droits de la personne de la Nouvelle- Écosse (1995), 24 C. H. R. R. D/ 329 (N. S. C. A.) et Dhanjal c. Air Canada (1996), 28 C. H. R. R. D/ 367, confirmé [1997] F. C. J. no 1599, (1997) 139 F. T. R. 37 (F. C. T. D.)). Dans la décision House, supra, la Cour divisionnaire de l’Ontario a renvoyé à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans R. c. Stinchcombe ([ 1991] 3 R. C. S. 326), et a fait remarquer que :

[TRADUCTION]

R. c. Stinchcombe reconnaissait également que les fruits de l’enquête qui se trouvent en sa possession n’appartiennent pas au ministère public pour qu’il s’en serve afin d’obtenir une déclaration de culpabilité, mais sont plutôt la propriété du public qui doit être utilisée de manière à s’assurer que justice soit rendue [à] 331). A notre avis ce point s’applique également aux audiences d’une commission d’enquête et les fruits des enquêtes n’appartiennent pas à la Commission.

En conséquence, les procureurs de la Commission sont tenus de procéder à une divulgation opportune de toutes les preuves pertinentes qui sont en leur possession, y compris les preuves qui tendent à étayer la plainte tout comme celles qui ne le font pas. Compte tenu de ces obligations, nous sommes par conséquent surpris de la position prise par le procureur de la Commission dans la présente affaire, à savoir qu’il n’était pas tenu de communiquer à l’intimé des documents qu’il comptait utiliser en contreinterrogatoire, de façon à ne pas perdre l’avantage tactique de la surprise. Selon le tribunal, c’est se méprendre sur le rôle de procureur de la Commission, et cela ne devrait plus se produire à l’avenir.

iii) Intimidation

Au cours de la présente audience, il est ressorti que peu de temps avant le début de l’audience, M. Singh et M. Kaba avaient eu au moins deux entretiens téléphoniques au sujet de l’affaire. Bien qu’il y ait un désaccord entre M. Kaba et M. Singh quant à qui a appelé qui et à ce qui s’était dit précisément au cours de ces conversations, il est évident que M. Kaba a menacé d’intenter des poursuites contre M. Singh en se fondant sur les allégations de M. Singh au sujet des circonstances entourant l’embauche de M. Kaba à Statistique Canada en 1985.

Le tribunal a demandé à M. Singh quel effet, le cas échéant, avaient eu les menaces de M. Kaba sur son témoignage. Après avoir entendu ses réponses, nous étions convaincus que les menaces n’avaient pas eu pour effet de modifier ou de nuancer de quelque façon que ce soit son témoignage, et l’audience s’est poursuivie.

A la suite de ces menaces, les deux procureurs de la Commission et de M. Singh ont soutenu que M. Kaba avait contrevenu à l’article 59 de la Loi, qui stipule :

Est interdite toute menace, intimidation ou discrimination contre l’individu qui dépose une plainte, témoigne ou participe de quelque façon que ce soit au dépôt d’une plainte, au procès ou aux autres procédures que prévoit la présente partie, ou qui se propose d’agir de la sorte.

M. Singh a demandé au tribunal de saisir le procureur général du Canada de cette affaire en vue de poursuites éventuelles.

Le tribunal a examiné avec soin la demande de M. Singh. Nous remarquons qu’il n’y a aucune suggestion de complicité ou de participation de la part de l’intimé aux actions de M. Kaba. Plutôt, selon les preuves que nous avons devant nous, il semble que les actions de M. Kaba étaient celles d’une personne qui agit de sa propre initiative, dans une tentative quelque peu mal avisée de protéger sa propre réputation. Compte tenu de toutes les circonstances, nous ne proposons pas de saisir le procureur général de l’affaire. Évidemment, rien n’empêche M. Singh ou la Commission canadienne des droits de la personne de demander au procureur général d’examiner cette question s’ils le désirent.

IX ORDONNANCE

Pour les raisons qui précèdent, le tribunal déclare que les droits de M. Singh en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne ont été transgressés par l’intimé, et ordonne :

  1. que Statistique Canada nomme M. Singh, à la première occasion raisonnable, dans un poste de niveau ES- 01. Ce poste doit être accordé aux mêmes conditions que celles qui s’appliquent aux candidats internes de Statistique Canada engagés dans le cadre du Programme actuel de recrutement des ES;
  2. que Statistique Canada verse à M. Singh la différence entre le salaire qu’il a effectivement reçu en tant que CR- 04 et le salaire qu’il aurait reçu s’il avait été nommé dans un poste de ES- 01 le 2 août 1989. Les avantages relatifs à la pension et les autres avantages relatifs à l’emploi de M. Singh devront être rajustés pour tenir compte de ces paiements;
  3. que Statistique Canada verse à M. Singh un montant additionnel permettant de couvrir l’exigibilité de l’impôt sur le revenu qu’il devra acquitter du fait qu’il recevra les montants susmentionnés de cette façon;
  4. que Statistique Canada verse à M. Singh la somme de 3 000 $ à titre d’indemnité spéciale;
  5. qu’un intérêt simple soit versé à l’égard des montants attribués suite à la présente décision :
    1. sur le salaire perdu depuis le 2 août 1989;
    2. sur l’indemnité spéciale à compter du 2 février 1989

L’intérêt doit être calculé en fonction du taux moyen des obligations d’épargne du Canada pour chacune des périodes en question. Cependant, en aucun cas le montant total à payer au titre de l’indemnité spéciale, y compris l’intérêt, ne doit dépasser 5 000 $.

Fait à Ottawa ce jour de septembre 1998.

Anne L. Mactavish Peggy J. Blair Athanasios Hadjis

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