Tribunal canadien des droits de la personne

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DT- 9/ 83

Décision rendue le 8 août 1983

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE DANS L’AFFAIRE D’UNE AUDIENCE TENUE DEVANT

UN TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE ENTRE : JULIUS ISRAELI PLAIGNANT ET : LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE MIS EN CAUSE

DÉCISION DU TRIBUNAL DEVANT : WILLIAM TETLEY, C. R.

Ont comparu : JULIUS ISRAELI EN SON PROPRE NOM

DOUGLAS STANLEY Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

DAVID MEADOWS Avocat de la Commission de la Fonction publique

Dates des audiences : Audience préliminaire : le 8 avril 1983 Audience : les 14 et 15 juin 1983

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (S. C. 1976- 1977, c. 33) DANS L’AFFAIRE D’UNE AUDIENCE TENUE DEVANT UN TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

DEVANT : WILLIAM TETLEY, C. R.

ENTRE : JULIUS ISRAELI Plaignant et LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE et LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE Mis en cause

Audience tenue à Ottawa les 14 et 15 juin 1983.

Il s’agit d’une plainte déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (S. C. 1976- 1977, c. 33, version modifiée) contre la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) et la Commission de la Fonction publique du Canada (CFP) alléguant, en matière d’embauchage, un acte de discrimination fondé sur trois motifs : la religion, l’origine nationale ou ethnique et la déficience physique. La nature de la plainte soulève un certain nombre d’importantes questions de procédure et de droit.

En premier lieu, le fait que la plainte visait la CCDP elle- même a rendu nécessaire la modification de la procédure suivie habituellement devant un tribunal canadien des droits de la personne.

En temps normal, le plaignant dépose sa plainte auprès de la CCDP qui le représente a l’audience tenue devant un tribunal canadien des droits de la personne et, quelquefois, entame elle- même des poursuites. Dans le cas qui nous occupe cependant, la plainte visait la CCDP. Fait à signaler, il n’y a pas eu lieu de modifier la procédure prévue dans la Loi canadienne sur les droits de la personne pour faire face a cette situation inusitée.

En second lieu, le plaignant, M. Julius Israeli, n’était pas secondé par un avocat, ayant choisi d’assurer sa propre défense. C’est pourquoi le président du tribunal se devait de l’aider notamment en soulevant des questions de preuve et de procédure que ce dernier aurait pu omettre en raison de son manque de formation juridique. En revanche, les avocats des mis en cause se trouvaient ainsi dans une situation délicate en ce sens qu’il aurait pu leur être difficile de déterminer à quel moment s’opposer aux éléments de preuve présentés par le plaignant. Heureusement, les avocats des deux commissions mises en cause ont fait preuve de réserve et de compréhension. Il convient également de noter que M. Israeli s’est révélé un plaideur convaincant et expérimenté.

I. Les faits

En janvier 1979, la Commission de la fonction publique (CFP) a publié, dans les quotidiens locaux, un avis (pièce R- 1) visant à combler le poste d’enquêteur de la CCDP pour la région de Halifax. Né en 1933 (pièce R- 3) en Roumanie (page 166 de la déposition orale), M. Julius Israeli, qui habite maintenant à Newcastle au Nouveau- Brunswick, a présenté, en date du 9 janvier 1979, une demande d’emploi très détaillée (pièce R- 2) à laquelle il a joint de nombreux renseignements à l’appui (pièces R- 3 à R- 18). En particulier, la liste de ses qualifications figurait à la page 4 de la pièce R- 2. En temps utile, 224 demandes d’emploi, y compris celle de M. Israeli, ont été étudiées par un comité formé de M. Hugh McKervill et de Mme Lucille Finsten de la CCDP ainsi que de Mme Brenda Hudson- Firth de la CFP. Six d’entre elles ont été immédiatement rejetées, étant arrivées en retard, ce qui n’était toutefois pas le cas de la demande de M. Israeli.

La première étape du processus de sélection auquel furent soumises les 218 autres demandes consistait à déterminer si les candidats répondaient aux exigences fondamentales dans les cinq domaines suivants : 1) études, 2) expérience de l’examen de plaintes, 3) expérience de la rédaction de pièces de correspondance et de rapports détaillés, et 5) expérience en matière d’action positive. Dix candidats seulement satisfaisaient à toutes ces exigences; ils ont donc accédé à l’étape suivante du processus de sélection. M. Israeli n’était toutefois pas de ce nombre. Les trois agents de sélection, soit M. McKervill et Mmes Hudson- Firth et Finsten, ont affirmé qu’à leur avis M. Israeli ne satisfaisait pas aux trois exigences suivantes du poste d’enquêteur régional : expérience de l’examen de plaintes, expérience de la négociation de modalités de règlement des conflits et expérience en matière d’action positive.

II. Importantes questions relatives à la preuve Au cours de l’audience, trois importantes questions relatives à la preuve ont été soulevées :

  1. Le fardeau et l’ordre de présentation de la preuve en matière de discrimination.
  2. Les critères permettant d’établir qu’il s’agit d’un cas de discrimination apparemment fondé.
  3. L’admissibilité des preuves d’actes similaires.

A. Le fardeau et l’ordre de présentation de la preuve

Dans les cas de discrimination, le fardeau de la preuve est important, tout comme l’ordre de présentation des éléments de celle- ci. Il semble que le fardeau et l’ordre de présentation de la preuve soient les mêmes dans tous les cas de refus d’emploi pour motifs discriminatoires, sur lesquels doivent se prononcer des commissions d’enquête canadiennes, tant au niveau fédéral que provincial. Le plaignant doit d’abord établir qu’il s’agit, à première vue, d’un acte discriminatoire. Il incombe ensuite à l’employeur de justifier son comportement apparemment discriminatoire. Finalement, le fardeau de la preuve échoit à nouveau au plaignant qui doit démontrer que l’explication fournie n’est qu’un simple prétexte et que la discrimination est véritablement à l’origine des actes de l’employeur.

Deux décisions récentes, en particulier, suivent plus ou moins cet ordre de présentation de la preuve et constituent des exemples utiles : Offierski c. Peterborough Board of Education (1980) 1 CHRR D/ 33 (commission d’enquête de l’Ontario) paragraphes 269 - 270, et Ingram c. Natural Footwear (1980) 1 CHRR D/ 59 (commission d’enquête de l’Ontario) paragraphes 468 - 475.

La procédure a été la même dans bien d’autres cas, notamment les suivants :

Little c. Saint John Shipbuilding (1980) 1 CHRR D/ 1 (commission d’enquête du Nouveau- Brunswick), paragraphe 43; Clariss Kelly c. Via Rail Canada Inc. (1980) 1 CHRR D- 97 (tribunal canadien des droits de la personne), paragraphes 810 - 812; Foreman et al c. Via Rail Canada Inc. (1980) 1 CHRR D- 111 (tribunal canadien des droits de la personne), paragraphes 1001 - 1002; Severien Parent c. Dept. of National Defence and A- G Canada (1980) 1 CHRR D- 121 (tribunal canadien des droits de la personne), paragraphe 1059; KS Bhinder c. la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1981) 2 CHRR D- 546, paragraphes 5070 - 5079; voir également ce qu’en dit le juge Powell dans l’affaire McDonnall Douglas Corp c. Green 411 U. S. 792, page 802 (1973).

Dans l’arrêt Offierski c. Peterborough Board of Education (1980) 1 CHRR D/ 33, paragraphe 270, on indique en quelques mots comment le fardeau de la preuve échoit à l’employeur :

Une fois établi qu’il s’agit apparemment d’un acte discriminatoire, c’est à l’employeur qu’il incombe de se justifier. A cette fin, il peut faire valoir que le plaignant est moins qualifié que la personne qui a obtenu le poste, c’est- à- dire qu’il n’y a pas eu, en fait, de discrimination, ou que même s’il y a eu discrimination fondée sur le sexe du candidat, il s’agissait d’une exigence professionnelle justifiée du poste en question. (traduction) (paragraphe 4( 6) du Code)

Dans l’arrêt Ingram c. Natural Footwear (1980) 1 CHRR D/ 59, le président, John D. McCamus, est allé encore plus loin en déclarant au paragraphe 473 :

Cependant, une fois que l’employeur s’est acquitté de son obligation, c’est au plaignant qu’il appartient d’établir, par prépondérance de la preuve, que l’explication offerte s’écarte de la vérité et est pur prétexte.

(traduction)

Il est important de suivre à la lettre cet ordre de présentation de la preuve, sous peine de susciter d’innombrables difficultés. Bien que, dans l’affaire qui nous occupe, les mis en cause aient offert de présenter les premiers leurs éléments de preuve, M. Israeli s’est opposé à cette façon de procéder. Il en avait certes le droit et, de l’avis du tribunal, il a agi comme il le fallait. Il est essentiel que le plaignant expose d’abord ses éléments de preuve et que les mis en cause tentent ensuite de les refuter. Voilà la seule façon de décider de l’admissibilité de la preuve selon sa pertinence, selon qu’elle constitue une contre- preuve, etc. Voilà aussi la seule façon d’évaluer correctement la preuve, de l’admettre ou de la rejeter en toute équité.

B. Critères permettant d’établir qu’il s’agit d’un cas de discrimination apparemment fondé

Les critères permettant d’établir qu’il s’agit d’un cas de discrimination apparemment fondé semblent également assez précis en droit jurisprudentiel. Le plaignant doit démontrer : 1. qu’il appartient à l’un des groupes susceptibles d’être victimes de discrimination aux termes de la Loi, du fait, par exemple, de sa religion, d’une déficience physique ou de sa race; 2. qu’il s’est porté candidat à un poste que l’employeur désirait combler et qu’il possédait les compétences voulues; 3. que sa candidature a été rejetée en dépit du fait qu’il était qualifié; et 4. que, par la suite, l’employeur a continué d’étudier les demandes de candidats possédant les mêmes qualifications que le plaignant. A ce sujet, voir McDonnel Douglas supra p. 802, de même que Offierski c. Peterborough Board of Education supra, para. 269, et Ingram c. Natural Footwear supra, paragraphes 469 et 470.

C. Admissibilité de la preuve

1. Méthodes d’emploi

Au début de l’audience, il a fallu trancher une autre question. Le plaignant désirait faire admettre en preuve des faits détaillés se rattachant aux méthodes d’emploi du gouvernement dans le but de faire ressortir le caractère discriminatoire de ces dernières. Les mis en cause auraient pu s’y opposer en raison surtout du fait que le plaignant n’a pas réussi, ni au départ ni par la suite, à faire la preuve de ce qu’il avançait. Néanmoins, grâce à la collaboration des avocats des mis en cause, tous les faits ont été admis en preuve, les mis en cause eux- mêmes jouant un rôle important à cet égard. Le tribunal s’est ainsi trouvé à être, saisi d’une description détaillée de pratiques et de méthodes d’emploi qui, prises ensemble, étaient censées témoigner d’une tendance à la discrimination. Le tribunal a toutefois jugé qu’aucune preuve n’avait été apportée en ce sens.

2) Preuve d’actes similaires

M. Israeli désirait également faire admettre en preuve des documents relatifs à d’autres demandes d’emploi qu’il avait soumises à la CCDP et qui avaient également été rejetées. Les documents en question, en particulier ceux portant les numéros W- 36, W- 37, W- 39, W- 41, W- 14, W- 12, W- 10, W- 24, ont été reçus sous réserve.

La preuve d’actes similaires consiste à faire valoir des faits qui, tout en différant de ceux de l’affaire en question, ont néanmoins avec eux des points communs. La partie qui présente la preuve en souligne la pertinence pour le règlement du litige. En l’espèce, il a semblé bon de recevoir la preuve sous réserve pour les raisons suivantes :

  1. Valeur probante Il faut prendre bien soin d’éviter que le préjudice que la preuve d’acte similaire peut causer aux mis en cause ne l’emporte pas sur la valeur probante de celle- ci. Ces deux forces contraires que sont la valeur probante et le préjudice doivent être évaluées dans chaque cas par la cour, ce qui l’oblige souvent à poser des jugements de valeur délicats. En l’espèce, le tribunal a jugé que le fait de recevoir la preuve sous réserve laisserait au plaignant, qui croyait avoir été lésé, le bénéfice du doute, tout en ne faisant subir aucun préjudice réel aux organismes mis en cause.
  2. Collusion L’un des éléments qui entrent en ligne de compte lorsqu’un tribunal décide de l’admissibilité d’une preuve d’actes similaires est la possibilité de l’existence d’une collusion entre les témoins.

Dans l’affaire Chia- Su Won and Lee Min Chen and Shun- Shun Soong c. Greygo Gardens and Frank Peter (1982) 3 CHRR D- 812, paragraphe 7183) (commission d’enquête de l’Ontario), le président, Robert W. Kerr, a déclaré ce qui suit au sujet du problème de la collusion :

On se montre particulièrement circonspect dans les cas où les parties qui invoquent l’existence d’actes similaires ont discuté de leurs situations respectives avant de témoigner.

(traduction)

Dans le cas qui nous occupe, cependant, il ne semble y avoir eu aucun risque de collusion entre les témoins étant donné que la preuve d’actes similaires reposait sur des documents dont l’authenticité n’était pas contestée et que M. Israeli n’a fait intervenir aucun autre témoin susceptible d’être accusé de collusion.

c) Tribunaux et jurys L’un des éléments majeurs qui, depuis toujours, servent à déterminer s’il convient ou non de recevoir des preuves d’actes similaires, est l’impact de celles- ci sur les membres d’un jury. On suppose qu’après avoir entendu les preuves, les membres du jury ne peuvent en faire totalement abstraction du simple fait qu’ils en reçoivent l’ordre, le cas échéant. Le problème n’est pas aussi crucial dans le cas d’un juge qui a reçu une formation juridique. Comme le déclare Edward W. Cleary dans le Handbook of the Law of Evidence publié chez McCormick (seconde édition, 1972, page 837) :

En général, les instances administratives ont délaissé les règles techniques de la common law régissant l’admissibilité des preuves étant donné que nombre d’entre elles visent uniquement à empêcher que les jurys ne soient saisis d’éléments de preuve douteux et peut- être susceptibles de porter à confusion.

(traduction)

Aucun jury n’étant appelé à intervenir en l’espèce, le tribunal a donc jugé que le fait de recevoir les preuves sous réserve n’entraînerait aucun préjudice véritable.

d) Tribunaux administratifs

Les règles de la preuve sont généralement plus souples au niveau des tribunaux administratifs qui poursuivent des objectifs différents de ceux d’une cour de justice et, en particulier, se préoccupent beaucoup plus de formuler des politiques. Se reporter, à cet égard, à la page 837 de l’ouvrage mentionné ci- avant. Dans la présente espèce, le fait que le tribunal des droits de la personne soit en réalité une instance administrative a aussi joué en faveur de l’admission de preuves d’actes similaires.

e) Alinéa 40 (3) c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne

Il convient également de signaler que, selon l’alinéa 40( 3) c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le tribunal peut éluder les règles strictes de la preuve et recevoir, à sa discrétion, d’autres éléments de preuve discutables.

Cet alinéa se lit comme suit : ... le tribunal a le pouvoir c) de recevoir des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire.

f) Pertinence L’ultime critère d’admissibilité d’un élément de preuve, en particulier d’une preuve d’actes similaires, est sa pertinence, qu’il faut toujours évaluer avec soin lors de l’audience. Voici une définition récente de cette notion : Une preuve est pertinente si elle contribue logiquement à prouver un fait dont il faut établir la réalité. (traduction) (Voir Reg. (Director of Public Prosecutions) v. Kilbourne (1973) A. C. 729, page 756.)

Pour toutes les raisons susmentionnées, les documents relatifs aux demandes d’emploi antérieures du plaignant ont été reçus sous réserve de l’établissement subséquent de leur pertinence. Ils n’ont toutefois pas permis de conclure à l’existence d’un acte discriminatoire.

Il convient de noter que le fait d’admettre d’autres éléments de preuve sous réserve a contribué non seulement à élargir et à prolonger l’enquête, mais également à mettre en lumière tous les faits concomittants et à donner au plaignant toute la latitude nécessaire pour découvrir de nouveaux faits et d’éventuelles pratiques discriminatoires et s’en servir comme éléments de preuve.

Si l’admission de tels éléments de preuve comporte de toute évidence des dangers et des désavantages, ceux- ci sont amplement compensés par le fait que le plaignant ne peut prétendre avoir été privé de chances de faire valoir son point de vue. Selon les termes du juge en chef Lord Hewart dans l’affaire Rex c. Sussex Justices (1924) 1 K. B. 256 :

"il est essentiel non seulement que justice soit faite, mais également qu’il soit manifeste et indubitable qu’elle l’a été."

(traduction)

Éléments de preuve ultérieurs Des preuves d’actes similaires concernant les demandes de renseignements qui ont fait suite à la demande d’emploi de M. Israeli après le dépôt de sa plainte n’ont pas été acceptées, même sous réserve, parce qu’elles ne présentaient guère de lien avec la plainte à l’étude. D’ailleurs ni les documents en question ni les déclarations connexes faites par le plaignant ne renfermaient même un commencement de preuve de discrimination. Les documents W- 38, W- 13, W- 11, W- 17, W- 18, W- 43, W- 44, W- 42, R- 20 et R- 21 ont donc été étudiés mais n’ont pas été reçus, même sous réserve.

III. Conclusions de fait

A. Irrégularités

La plainte de M. Israeli reposait en partie sur de présumées irrégularités dans les méthodes d’emploi. En particulier, il semble qu’on lui ait adressé par erreur le document C- 3 qui se rattachait à un autre concours. Le document R- 31, qui ressemble beaucoup à la fois au document R- 17 et au document C- 3, a également été versé par erreur au dossier, en avril 1983, lors de la conférence préalable à l’audience. En outre, le plaignant a allégué que certaines observations écrites à la main par les responsables sur le profil de sélection (document R- 18) étaient entachées d’irrégularité à la lumière de ce qu’il avait lui- même indiqué à la page 4 de sa demande d’emploi (document R- 2). Les agents des mis en cause ayant fourni des explications concernant l’envoi des documents C- 3 et R- 31 et les observations faites à la main sur le document R- 18, aucune preuve de discrimination n’a été faite à cet égard.

M. Israeli a toutefois soutenu avec vigueur que ces irrégularités pouvaient constituer une façon indirecte de faire de la discrimination raciale. Il a invoqué, à cet effet, la déclaration suivante de la Cour suprême des États- Unis dans l’arrêt Arlington Heights v. Metropolitan Housing Department, 429 U. S. 252, p. 267 (1977) :

Tout écart par rapport à la façon habituelle de procéder peut témoigner de la poursuite de fins illicites. Les écarts quant au fond peuvent également être significatifs, surtout si les facteurs généralement considérés comme importants par la personne qui doit trancher militent fortement en faveur d’une décision contraire à celle qui a été rendue.

(traduction)

Il est évident que les Noirs du Sud des États- Unis ont jadis été traités injustement pour des motifs raciaux. Dans le cas qui nous occupe, toutefois, il ne s’est produit, à mon sens, aucune irrégularité préjudiciable ni aucun acte de discrimination découlant d’irrégularités éventuelles.

B. Religion

Aucun des éléments de preuve présentés (preuve d’actes similaires ou autre) n’a non plus permis de conclure à l’existence d’un acte discriminatoire fondé sur l’appartenance de M. Israeli à la religion juive.

M. McKervill, Mme Hudson- Firth et Mme Finsten sont des témoins dignes de foi et sincères qui ont rejeté la candidature de M. Israeli et de 207 autres personnes pour cause de non- satisfaction des exigences fondamentales. La religion ne constituant pas une exigence et n’entrant pas en ligne de compte, j’estime que M. Israeli n’a pas été victime de discrimination fondée sur la religion au moment où sa demande d’emploi a été étudiée.

C. Origine nationale ou ethnique

M. Israeli soutient avoir été victime de discrimination fondée sur l’origine nationale ou ethnique du fait de sa naissance derrière le Rideau de fer. Il soutient, par conséquent, que la directive no 35 du Cabinet s’applique à son cas. Cette directive, que l’on retrouve dans l’arrêt Le procureur général du Canada c. Murby (1981) 1 F. C. 713, p. 721, est datée du 18 décembre 1963 et a été publiée par le gouvernement du Canada dans l’intérêt de la sécurité dans la fonction publique. Elle s’applique aux dispositions de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique R. S. C. 1970 C. P. 32 (voir la page 718 de l’arrêt Le Procureur général du Canada c. Murby, précité.) L’alinéa 6c) de la directive interdit la communication de renseignements confidentiels à :

"toute personne qui, tout en étant loyale et digne de confiance, est étroitement attachée par des liens familiaux ou des sentiments d’affection à des personnes vivant à l’intérieur des frontières de certains pays étrangers qui pourraient exercer sur elle des pressions intolérables".

Au cours de l’audience, Mme Hudson- Firth, Mme Finsten, M. McKervill ainsi que M. Edgar Gallant, président de la Commission de la fonction publique, ont toutefois déclaré qu’il n’était pas nécessaire de subir de vérification sécuritaire pour occuper le poste en question. D’ailleurs, la question de l’autorisation sécuritaire n’a été soulevée dans le cas d’aucun des candidats à ce poste, y compris M. Israeli.

D. Déficience physique

La plainte déposée par M. Israeli était également fondée sur la déficience physique. Rien ne permet toutefois de conclure à l’existence d’une distinction illicite fondée sur ce motif.

E. La preuve avancée par M. Israeli

Les avocats des mis en cause ont fait valoir l’insuffisance de la preuve avancée par M. Israeli en ce qui a trait à la déficience physique, la religion ou l’origine nationale ou ethnique. Il est vrai que M. Israeli s’est montré plutôt vague à cet égard, bien que son témoignage et ses affirmations n’aient pas été refutés par les avocats des mis en cause. Néanmoins, la question de la suffisance de la preuve ne se pose même pas étant donné que rien ne permet de conclure à l’existence d’un acte discriminatoire.

F. Discrimination générale - Est- ce à dire que les faits parlent d’eux- mêmes?

Il ressort du témoignage, de l’argumentation et même du contre- interrogatoire de M. Israeli que ce dernier jugeait inconcevable qu’un défenseur et un champion des droits de la personne aussi reconnu que lui n’ait pas été engagé à ce poste ou n’ait pas passé l’étape de la sélection préliminaire. Selon lui, seule la discrimination pouvait expliquer cet état de fait. En réponse à cette allégation, M. McKervill ainsi que Mmes Hudson- Firth et Finsten ont déclaré que M. Israeli n’avait pas d’expérience en matière d’enquête, de négociation ou de programmes d’action positive et, par conséquent, n’était pas apte à accéder à l’étape suivante du concours malgré ses autres qualités évidentes susceptibles d’être mises à profit dans un autre poste. A mon avis, l’argumentation de M. Israeli ne tient pas.

IV. Conclusions préliminaires

Il faut noter que la plainte de M. Israeli visait à l’origine la CFP, la CCDP ainsi que Mme Hudson- Firth et M. McKervill, allusion étant également faite à une autre personne, présumément Mme Finsten (voir le document T- 2). M. Israeli a ensuite accepté, lors de la conférence préalable à l’audience (voir la page 2 du document T- 3), d’abandonner toute poursuite contre des particuliers. Il était cependant entendu que cela ne modifierait en rien la plainte déposée contre les deux commissions relativement aux actes de leurs employés.

L’audience s’est déroulée à huis clos à la demande de M. Israeli qui était conscient de la gravité des allégations visant non seulement les deux commissions mais également les trois personnes en question.

En intentant cette poursuite, M. Israeli a placé deux commissions gouvernementales et trois de leurs employés dans une situation délicate, leur occasionnant beaucoup d’embarras, de dépenses et de pertes de temps et d’énergie. De son propre aveu, M. Israeli est en chômage depuis nombre d’années. Il a donc eu tout le loisir d’intenter des poursuites pour lesquelles nombre de ses dépenses ont été payées par la CCDP, notamment les frais de déplacement pour assister à la conférence préalable et à l’audience elle- même, ainsi que les frais de logement et de couvert.

M. Israeli fait preuve d’une sincère préoccupation pour les droits de la personne qu’il a vus, selon ses dires, faire l’objet d’infractions en Roumanie. Cependant, cela ne doit pas l’inciter à croire qu’il peut, pour défendre ses propres droits, violer les droits d’autrui ou mettre à l’épreuve la société dont il fait maintenant partie.

La société canadienne est relativement libre et quiconque se prétend lésé par elle ne doit pas pour autant poser des gestes susceptibles de la léser, elle ou ses membres. Il convient de noter qu’en dépit du fait qu’il ait bénéficié d’une extrême latitude à l’égard des règles de la preuve, M. Israeli n’a même pas fourni un début de preuve de discrimination. D’autre part, il est vrai que, pour préserver sa liberté, une société doit pouvoir consacrer le temps et l’argent nécessaires à l’étude des plaintes des individus et à la défense de leurs droits. Le problème, tant au plan individuel que collectif, consiste à en arriver à un juste équilibre entre les droits individuels et le bon fonctionnement de la société.

Il faut également noter que l’étude de la plainte portée par M. Israeli contre les deux commissions a été reportée du 20 mars 1979 au 28 février 1983. Il semble avoir été difficile de trouver un organisme indépendant qui en prenne la responsabilité. Finalement, c’est la Commission des droits de la personne du Québec qui s’en est chargée. Néanmoins, le délai a été beaucoup trop long, amenant M. Israeli à intenter devant la Cour fédérale une poursuite qui, si elle n’était peut- être pas la bonne façon de procéder, a néanmoins abouti, semble- t- il, à la constitution du présent tribunal. Il est évident qu’en tardant à rendre justice, on peut créer une injustice; mais, dans le cas de M. Israeli, le retard n’a été aucunement préjudiciable.

V. Conclusions

Cette affaire intéressante et complexe nous aura donc permis de constater que la Loi canadienne sur les droits de la personne permet de faire face aux difficiles questions de droit et aux nouveaux problèmes de procédure qui se présentent. En ce qui a trait à la plainte déposée le 20 mars 1979 par M. Julius Israeli, je conclus que ni la Commission canadienne des droits de la personne et la Commission de la fonction publique ni leurs employés n’ont fait preuve de discrimination fondée sur la religion, l’origine nationale ou ethnique ou la déficience physique, que la plainte n’était pas justifiée et qu’elle est rejetée en vertu du paragraphe 41( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Je désire louer les témoins pour leur franchise et leur objectivité, M. David, M. Meadows et M. Douglas C. Stanley, représentant respectivement la CFP et la CCDP, pour la clarté de leurs exposés, leur patience et leur compréhension, et M. Israeli pour la cordialité irrépressible dont il ne s’est jamais départi. Je désire également remercier le greffier, M. Michael P. Glynn, pour l’efficacité dont il a fait preuve en tout ce qui touche aux détails de la procédure, et Mlle M. Lynn Bailey, LL. B., pour l’aide inestimable qu’elle m’a apportée.

Fait à Montréal le 29e jour de juillet 1983.

William Tetley, C. R., Président

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