Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 13/ 83

TRIBUNAL D’APPEL DES DROITS DE LA PERSONNE

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE, S. C. 1976- 1977, C. 33, version modifiée;

ET DANS L’AFFAIRE de l’appel interjeté le 20 mai 1983 par Jack Chuba, en vertu du paragraphe 42.1 (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de la décision d’un tribunal des droits de la personne rendue le 25 avril 1983.

ENTRE:

JANE KOTYK et BARBARA ALLARY intimées (plaignantes)

- et

LA COMMISSION DE L’EMPLOI ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA (intimée)

- et

JACK CHUBA appelant (partie intéressée)

TRIBUNAL D’APPEL: SIDNEY N. LEDERMAN, C. R., président
DONNA WELKE, membre
L. DAVID WILKINS, membre

DÉCISION DU TRIBUNAL D’APPEL

ONT COMPARU: K. WASYLYSHEN Avocat de l’intimé (appelant) Jack Chuba
L. P. MacLEAN Avocat de la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada
R. G. JURIANSZ Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne et des plaignantes (intimées)

Décision rendue le 29 décembre 1983

Jack Chuba en appelle, en vertu de l’article 142.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (ci- après appelée la Loi), de la décision rendue le 25 avril 1983 par Susan M. Ashley à titre de tribunal des droits de la personne. Mme Ashley a jugé que M. Chuba avait fait preuve de harcèlement sexuel à l’égard des deux plaignantes, Jane Kotyk et Barbara Allary, leur réservant aussi un traitement préjudiciable fondé sur le sexe et interdit par l’article 7 de la Loi. Le tribunal a donc ordonné à M. Chuba de payer respectivement à Jane Kotyk et à Barbara Allary des dommages de 2 500 $ et de 100 $. Le tribunal a également conclu à la responsabilité de la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada (ci- après appelée la CEIC), premièrement, de façon directe du fait qu’elle était garante du comportement discriminatoire d’un membre de son personnel d’encadrement et, deuxièmement, de façon indirecte, étant donné qu’elle a manqué à son obligation d’assurer à ses employés la possibilité de travailler sans être victimes de harcèlement ou sans craindre de l’être. La CEIC s’est donc vu ordonner de verser des dommages de 2 500 $ à Jane Kotyk et de rembourser 60 $ à Barbara Allary pour ses dépenses de voyage. En outre, le tribunal lui a ordonné de mettre sur pied les politiques et pratiques nécessaires pour assurer que ses employés soient mis au courant de la loi en matière de harcèlement sexuel.

Si la CEIC n’a pas interjeté appel de ces décisions, son avocat, M. MacLean, a comparu devant le tribunal d’appel et a tenté de faire entendre son point de vue sur diverses questions. Nous y reviendrons plus tard.

M. Wasylyshen a fait valoir, au nom de l’appelant Jack Chuba, que la décision du tribunal devait être infirmée pour un certain nombre de raisons que nous allons maintenant analyser dans l’ordre où elles ont été présentées.

1. PRÉSUMÉ DÉFAUT DE SE CONFORMER A L’ALINÉA 36( 4) a) ET DÉFAUT DE DÉSIGNER L’APPELANT PAR SON NOM DANS LE CONTEXTE DES PLAINTES

L’appelant soutient que la Commission canadienne des droits de la personne (ci- après appelée Commission) a complètement omis de se conformer à l’alinéa 36( 4) a) de la Loi en ce sens qu’elle n’a pas avisa M. Chuba de sa décision de constituer un tribunal chargé d’étudier les plaintes. Cet alinéa doit être replacé dans son contexte et, en conséquence, l’article 36 est reproduit ci- dessous en entier:

"36. (1) L’enquêteur doit, le plus tôt possible après la fin de l’enquête, présenter son rapport à la Commission.

(2) Dans les cas où, au reçu du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission est convaincue

a) qu’il est préférable que le plaignant épuise les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont raisonnablement ouverts, ou

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi du Parlement, elle doit renvoyer le plaignant à l’autorité compétente.

(3) Dans les cas où, au reçu du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission est convaincue

a) que la plainte est fondée, qu’il n’y a pas lieu de la renvoyer conformément au paragraphe (2), ni de la rejeter pour les motifs énoncés au sous- alinéa 33b) (ii) à (iv), elle peut accepter le rapport; ou

b) que la plainte n’est pas fondée ou qu’il y a lieu de la rejeter pour les motifs énoncés au sous- alinéa 33b) (ii) à (iv), elle doit rejeter la plainte.

(4) Après réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission

a) doit informer par écrit les parties à la plainte de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3); et

b) peut informer toute autre personne, de la manière qu’elle juge indiquée, de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3)."

Les plaintes de Jane Kotyk et Barbara Allary (pièces C- 2 et C- 11) sont presque identiques et allèguent ce qui suit:

"... la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada s’est livrée, vers le mois de juillet 1980, à un acte de discrimination fondée sur le sexe et l’état matrimonial. Les circonstances sont les suivantes: en cours d’emploi à la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, le directeur du CEC, Jack Chuba, m’a réservé un traitement défavorable. J’estime avoir été victime de discrimination pour les motifs susmentionnés."

(Traduction)

Bien que le nom de M. Chuba ait été mentionné dans le compte rendu des circonstances entourant la plainte, celui- ci n’a pas été expressément désigné comme étant la personne qui se serait livrée à un acte discriminatoire. Seule la CEIC a été désignée à cet égard. M. Wasylyshen déclare qu’étant donné la nature des allégations, il était impératif de désigner également M. Chuba comme principal intimé et que le fait de ne l’avoir pas désigné constitue un vice de forme grave.

M. Wasylyshen fait valoir que M. Chuba, tout en n’étant pas explicitement identifié comme tel dans la plainte, était en fait la personne visée par la plainte et, par conséquent, aurait dû être informé par écrit de la décision prise par la Commission au reçu du rapport de l’enquêteur. Pour une raison indéterminée, M. Chuba n’a pas été avisé par écrit de la décision de la Commission de constituer un tribunal. Cette omission, prétend l’avocat enfreint une disposition statutaire obligatoire et invalide le jugement finalement rendu par le tribunal. Essentiellement, M. Wasylyshen, tente de démontrer que M. Chuba aurait dû être désigné comme principal intimé dans l’affaire et être avisé par écrit conformément à l’alinéa 36( 4) a) de la Loi. Par suite de cette double omission, estime M. Wasylyshen, le tribunal inférieur n’avait pas la compétence voulue, et la décision qu’il a rendue doit être considérée comme invalide.

Le tribunal a été saisi de cet argument suite à une demande de rejet de la cause présentée au tout début de l’audience. Sans se prononcer sur le prétendu vice de forme de la plainte, il a rejeté l’argument fondé sur le paragraphe 36( 4) a) pour la simple raison que la disposition en question avait en fait été respectée. Le tribunal a raisonné comme suit:

"La Loi exige que la Commission avise ... les parties à la plainte de la décision qu’elle a prise suite au rapport de l’enquêteur. Ce qui fut fait. Les parties, c’est- à- dire Mme Kotyk, Mme Allary et la CEIC, furent avisées qu’un tribunal serait constitué. En vertu de l’alinéa 36( 4) b), la Commission peut aviser toute autre personne, de la manière qu’elle juge indiquée. Rien n’exige qu’elle informe toute autre personne que les parties mentionnées à l’alinéa a), et bien que M. Chuba aurait pu être informé en vertu de l’alinéa b), étant donné l’utilisation du mot peut, je ne puis conclure que le défaut de ce faire soit fatal. Le fait que l’enquêteur ait informé M. Wasylyshen qu’il serait avisé de la décision de la Commission et qu’il ne l’ait pas été, démontre un manque de courtoisie et rien de plus."

Nous ne partageons pas l’opinion de M. Wasylyshen voulant qu’il soit essentiel que les plaignantes ou la Commission aient porté plainte directement contre M. Chuba et non seulement contre la CEIC. Dans la plupart des cas de harcèlement sexuel soumis à des commissions d’enquête provinciales, l’employeur mis en cause était généralement, soit le seul propriétaire, soit une entreprise dont l’unique dirigeant était la personne prétendument coupable de l’acte discriminatoire en question. Dans ces circonstances, il était opportun que la Commission provinciale des droits de la personne porte plainte contre l’employeur. Toutefois, les employeurs qui relèvent de la compétence fédérale sont souvent d’importantes entreprises qui emploient de nombreuses personnes disséminées dans l’ensemble du pays. Nous croyons qu’en pareils cas, la Commission canadienne des droits de la personne peut engager des poursuites contre l’employeur seulement pour avoir créé ou toléré un milieu de travail très propice à la discrimination, le tenant par le fait même responsable de son propre chef et non pas en application d’une théorie de la responsabilité pour la faute d’autrui. Il n’appartient ni au plaignant ni à la Commission de chercher à obtenir réparation de la part d’un gestionnaire. Si elle le désire, la Commission peut choisir d’extirper le mal à la racine plutôt que de tenter d’obtenir un dédommagement de la personne directement responsable.

Elle peut n’intenter de poursuites que contre l’entreprise comme telle pour s’assurer que tel ou tel acte discriminatoire prenne fin dans l’ensemble de l’organisation et que le milieu de travail soit purifié de cette atmosphère propice aux insultes fondées sur des stéréotypes sexuels et aux propositions dégradantes. En conséquence, les plaintes ne sont pas entachées d’un vice de forme du fait qu’on n’y mentionne pas spécifiquement M. Chuba à titre de partie présumée coupable d’un acte discriminatoire.

Au moment où la décision de constituer un tribunal a été prise, M. Chuba n’était pas la partie contre qui la plainte avait été formulée et, par conséquent, la Commission n’était pas obligée de l’aviser de sa décision. Nous souscrivons à la conclusion du premier tribunal à cet égard. Même si, pour les raisons énumérées ci- dessous, M. Chuba est devenu, en cours d’audience, une des parties contre lesquelles les plaintes avaient été portées, il ne l’était pas au moment où la Commission a pris la décision de constituer un tribunal et, par conséquent, celle- ci n’était pas obligée de l’aviser, conformément à l’alinéa 36( 4) a).

Au cours de l’audience devant le tribunal, M. Chuba est devenu une partie intéressée au sens du paragraphe 40( 1) de la Loi. M. Wasylyshen prétend que le tribunal a eu tort de qualifier M. Chuba de partie intéressée seulement et non pas de partie contre laquelle la plainte avait été portée. Il affirme en outre que même si M. Chuba a effectivement été inscrit ensuite comme partie intéressée, à sa propre requête, lorsqu’il a appris par hasard qu’un tribunal avait été constitué afin d’enquêter sur la plainte portée contre la CEIC, il n’en demeure pas moins que la responsabilité de la CEIC n’était engagée qu’en raison des accusations portées contre M. Chuba lui- même et, donc, que celui- ci devrait devenir la partie directement visée par la plainte.

Le simple fait que M. Chuba n’ait pas été désigné explicitement dans la plainte comme étant la personne visée et que son nom ait été ajouté en qualité de partie intéressée, n’enlève rien, selon M. Wasylyshen, au bien- fondé de l’affirmation voulant que M. Chuba soit la partie principale visée par la plainte. Par conséquent, soutient- il, toute décision ultérieure rendue par le tribunal contre M. Chuba, même en sa qualité de partie intéressée, est nulle.

De prime abord, la distinction entre partie intéressée et partie visée par la plainte peut sembler négligeable étant donné que, dans le cas qui nous occupe, toutes deux ont eu le loisir de se préparer à l’audience et y ont même pleinement participé. Cependant, elle peut néanmoins revêtir une certaine importance. Par exemple, au sens du paragraphe 42.1( 1) de la Loi, il semble qu’une simple partie intéressée n’ait pas le droit d’interjeter appel devant un tribunal d’appel. En vertu de cette disposition, seules la Commission ou les parties ont ce droit. En conséquence, si M. Chuba n’était qu’une simple partie intéressée, comme l’a conclu le tribunal inférieur, il ne serait pas autorisé à se pourvoir en appel devant nous et, étant donné qu’il est le seul appelant (la CEIC s’étant abstenu), l’appel ne serait pas valide au sens de la Loi et nous n’aurions alors aucune compétence.

Si M. Chuba n’avait pas été désigné comme principal mis en cause dans la plainte, on n’aurait pas pu réclamer de lui réparation de dommages bien précis. Il ne fait cependant aucun doute que les constatations relatives à son comportement auraient pu quand même avoir une influence indirecte sur sa carrière de fonctionnaire et nuire à sa réputation. Ces répercussions éventuelles auraient pu renforcer son droit de participer à l’audience en qualité de partie intéressée, mais elles n’obligeaient ni les plaignantes ni la Commission à faire de M. Chuba l’une des parties mises en cause dans la plainte initiale.

La plainte elle- même n’a pas le caractère officiel des documents qui sont à l’origine de poursuites en vertu du Code criminel. Aux termes de la loi, la plainte n’est pas déposée sous serment; en fait, elle peut revêtir n’importe quelle forme acceptable pour la Commission (voir l’article 32). Quoique de caractère non officiel, la plainte revêt une importance considérable car, selon le paragraphe 40( 1) et l’article 41, le tribunal doit, respectivement, étudier l’objet de la plainte et juger si la plainte est fondée ou non.

A notre avis, il est utile de faire une distinction entre une personne qui devient partie intéressée dans le cadre d’une audience et une personne qui est visée par une plainte. Comme il a déjà été souligné, la première n’a pas le droit d’interjeter appel, contrairement à la seconde, ce qui donne à penser que la partie intéressée n’est touchée que de façon indirecte par les démarches engagées devant le tribunal de première instance et n’y participe que dans la mesure ou elle le veut bien. Aux termes de l’alinéa 36( 4) b), la Commission peut, après réception du rapport d’enquête, informer cette partie intéressée de la décision qu’elle a prise. Pour sa part, le tribunal peut, en vertu du paragraphe 40( 1), aviser la partie intéressée de la tenue d’une audience. C’est à cette dernière qu’il appartient de décider si elle y prendra part ou non. Si elle choisit de s’en abstenir, on ne peut lui réclamer réparation étant donné qu’elle n’a pas été désignée comme partie visée par la plainte. On ne l’aura pas avisé en bonne et dûe forme du fait qu’elle était susceptible d’être tenue responsable. Toutefois, si la Commission tente d’obtenir réparation d’une personne, elle doit lui indiquer clairement que son statut n’est pas seulement celui de partie intéressée mais bien de mis en cause principal. Voilà le moins que l’on puisse faire selon les principes de la justice naturelle. Même si, en vertu du paragraphe 41( 2), un tribunal peut rendre une ordonnance contre une personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire, il faut, an toute justice, que la personne soit ainsi désignée dans la plainte afin qu’elle prenne pleinement conscience de ce à quoi elle s’expose si les allégations s’avèrent fondées.

La présente instance est entachée d’un vice de forme car le nom de M. Chuba n’a été ajouté qu’à titre de partie intéressée. Si, au moment de l’audience, la nature du litige avait changé à un point tel qu’on doive réclamer réparation de M. Chuba tout autant que de la CEIC, la Commission aurait dû essayer de faire modifier la plainte afin qu’il ne subsiste aucune équivoque à cet égard. Au moment de l’audience, M. Chuba, loin de n’être qu’une partie intéressée, était devenu, au même titre que la CEIC, une partie visée par des allégations directes et dont on réclamait réparation. Cependant, lorsque M. Chuba a demandé et obtenu qu’on ajoute son nom en qualité de partie intéressée, il a été avisé qu’il risquait alors de partager le même sort que la CEIC en qualité de partie visée par la plainte. L’avocat de la Commission a exposé sa position comme suit devant les membres du tribunal:

"Je soutiens également que si M. Chuba devient partie intéressée aux présentes et qu’il se fasse représenter par M. Wasylyshen, il risque alors de faire l’objet d’une ordonnance en vertu du paragraphe 41( 2).

En vertu des alinéas 41( 3) a) et b), le tribunal peut ordonner de payer à la victime qui a souffert un préjudice moral une indemnité maximale de 5 000 $.

Je soutiens que cette ordonnance peut être rendue non seulement contre une personne visée par la plainte mais également contre une partie intéressée.

Je signale que si M. Chuba devient partie aux présentes, nous tenterons d’obtenir qu’il verse à la victime une indemnité, tout comme la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada." (Vol. 1, pages 17 et 18 de la transcription)

(Traduction)

Conscient de ce fait, M. Chuba n’a pas élevé d’objection. Son statut de partie intéressée ne l’a pas amené à s’endormir dans une fausse sécurité, de sorte qu’il n’a subi aucun préjudice. Nous convenons avec le tribunal que lorsque M. Chuba est devenu une des parties, la nature de l’affaire a changé en ce sens que les accusations portées par les plaignantes contre lui ont pris autant d’importance que celles portées contre la CEIC. En conséquence, le fait d’ajouter son nom en qualité de partie intéressée équivalait à modifier les plaintes afin qu’il devienne, en outre, une des parties visées. Selon lui- même et son avocat, M. Chuba était bien plus qu’une partie intéressée. Il savait qu’il était devenu un des principaux mis en cause et que si les accusations s’avéraient fondées, il se verrait réclamer réparation de façon bien précise.

En résumé, le fait que M. Chuba n’ait pas été désigné comme personne visée dans la plainte initiale ne nous parait pas infirmer toute la procédure. Même s’il a été avisé qu’il serait considéré comme partie intéressée, il a été considéré, sous tous les aspects, comme une partie visée par la plainte et c’est dans cette optique qu’il s’est préparé à l’audience et y a participé. Il n’y a donc eu aucun déni de justice naturelle dans la décision que le tribunal a finalement rendu contre lui.

2. ADMISSIBILITÉ DU RAPPORT DU COMITÉ ADMINISTRATIF D’ENQUETE DE LA CEIC

L’avocat de M. Chuba allègue que le tribunal a fait erreur en jugeant admissible le rapport des conclusions et recommandations d’un comité administratif d’enquête de la CEIC formé de trois personnes. Il s’agissait d’un groupe interne mis sur pied par la CEIC afin d’étudier les griefs déposés par Jane Kotyk et Barbara Allary au sujet du harcèlement sexuel ainsi que de la fraude et de la mauvaise administration au bureau de Yorkton. Ce comité avait pour mandat d’enquêter non seulement sur les allégations de harcèlement sexuel, mais également sur les allégations de fraude et de mauvaise gestion et, d’une manière générale, sur la dynamique du bureau. Selon son rapport, les allégations de harcèlement sexuel formulées par Barbara Allary n’étaient pas fondées. Le comité a conclu que même si M. Chuba avait fait des avances sexuelles à Mme Allary, il ne pouvait être accusé de harcèlement sexuel étant donné que la prépondérance de la preuve ne permettait pas de conclure que M. Chuba savait qu’une autre employée jugeait son comportement inadmissible. Cependant, les allégations de harcèlement sexuel formulées par Mme Kotyk ont été jugées fondées. Le comité a ensuite fait certaines recommandations pertinentes, proposant notamment de muter immédiatement M. Chuba, d’élaborer une politique régionale en matière de harcèlement sexuel et de retenir les services de conseillers professionnels pour les plaignantes, au besoin, et pour M. Chuba afin de lui faire prendre conscience des besoins, aspirations et sentiments des femmes et de l’amener à agir en conséquence. Le comité a jugé que rien ne permettait de croire que les allégations relatives à la fraude étaient fondées.

Ce rapport a été admis en preuve devant le tribunal à titre de pièce C- 18. L’avocat de M. Chuba et celui de la CEIC ont tous deux fait valoir dès le départ qu’il était inadmissible du fait que le comité avait rendu un jugement sur les mêmes questions qui étaient soumises au tribunal. Ils ont tous deux reconnu qu’en vertu de l’alinéa 40( 3) c) de la Loi, le tribunal jouissait d’une grande liberté quant aux éléments à admettre en preuve et qu’il n’était pas lié par les règles strictes de la preuve. A leur avis, toutefois, le tribunal se devait d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon équitable et de rejeter comme élément de preuve un jugement rendu sur la question qu’il était lui- même appelé à trancher. Selon l’avocat de M. Chuba, le fait d’admettre ce rapport en preuve équivalait à piper les dés contre son client, et ce, avant même le début de la procédure. Le rapport a révélé qu’à la suite d’une enquête menée auprès de certaines personnes, et dont les résultats sont demeurés absolument confidentiels et n’ont pas été communiqués à M. Chuba, le grief de Mme Kotyk relativement au harcèlement sexuel a été jugé fondé. Le comité a recommandé de muter sans plus tarder M. Chuba dans l’intérêt de ce dernier, des plaignantes et des employés du bureau de Yorkton de la CEIC. Sur la foi de ces conclusions, M. Chuba a été suspendu pour une période de deux semaines. On a fait valoir que le fait d’admettre ce rapport en preuve empêchait à toute fin pratique M. Chuba de se défendre.

Qui plus est, étant donné que ce rapport était fondé sur des renseignements émanant de sources confidentielles, l’avocat de M. Chuba prétend qu’il ne s’appuyait que sur des rumeurs et que son client s’était donc vu refuser le droit fondamental d’interroger les personnes en cause et de mettre à l’épreuve leur crédibilité. Les conclusions de ce rapport ne sont dignes de foi que dans la mesure où l’étaient les renseignements sur lesquels le comité s’est fondé.

Il ne fait aucun doute que, par rapport à M. Chuba, ces éléments de preuve sont marqués au sceau de la fragilité et de la précarité que leur attribue M. Wasylyshen. Toutefois, rien ne permet de croire que le tribunal les ait invoqués pour rendre sa décision contre M. Chuba ou en ait même tenu compte à cet effet. Il convient de signaler que lorsque l’avocat de la CEIC, M. MacLean, a mis en doute l’admissibilité de ce rapport, alléguant qu’il ne s’agissait que d’un témoignage sans forme d’opinion contre M. Chuba, le président du tribunal a eu la réplique suivante: En effet, mais nous voulons également savoir quelles sont les mesures que la CEIC a prises dans le but de régler cette plainte au niveau interne. (Volume II, page 156 de la transcription) (Traduction). En fait, dans l’exposé des motifs de son verdict, le tribunal n’y fait allusion qu’en ce qui a trait à l’affirmation selon laquelle la CEIC n’aurait pas réussi à fournir un milieu de travail libre de tout harcèlement. Ce rapport faisait état des mesures adoptées par la CEIC lorsqu’elle fût mise au courant des allégations en question. Selon les objections soulevées, ces éléments de preuve risquaient de nuire à M. Chuba, mais pas nécessairement à la CEIC. Nous jugeons que le tribunal inférieur n’a accordé aucune valeur à ce rapport en ce qui a trait aux allégations formulées contre M. Chuba et en a restreint la portée à la question des mesures adoptées par la CEIC pour y donner suite. Dans les circonstances, il était parfaitement normal et opportun d’admettre ces éléments en preuve. En conséquence, nous concluons que le tribunal n’a commis aucune erreur en les admettant à l’encontre de la CEIC.

3. DÉTERMINATION DES FAITS ET DE LA CRÉDIBILITÉ PAR LE TRIBUNAL

M. Wasylyshen a signalé qu’aux termes du paragraphe 42.1( 5) de la Loi, le tribunal d’appel était habilité à étudier les erreurs de fait commises par le tribunal de première instance. Omettant l’avis que le tribunal avait eu tort de conclure que le témoignage des plaignantes était plus digne de foi que celui de M. Chuba, il a énuméré un certain nombre de facteurs et de déductions qui, pris ensemble, corroboraient, selon lui, la version des faits de M. Chuba et mettaient en évidence des contradictions flagrantes dans le témoignage des plaignantes qui auraient dû être relevées par le tribunal inférieur. Il a soutenu que c’est aux plaignantes et à la Commission qu’il incombait de démontrer que, selon la prépondérance de la preuve, il y avait eu harcèlement sexuel. Dans son plaidoyer relatif à la crédibilité, il a passé en revue tous les témoignages afin de démontrer qu’on ne s’était pas acquitté du fardeau de la preuve.

M. Wasylyshen a invoqué l’affaire Robichaud c. Brennan et le Conseil du Trésor (1982) 3 C. H. R. R. D/ 977, décision infirmée (1983) 4 C. H. R. R. D/ 1272, dans laquelle un tribunal d’appel avait annulé la décision du premier tribunal voulant que la plaignante n’ait pas été victime de harcèlement sexuel. M. Wasylyshen s’est servi de cet exemple pour démontrer qu’un tribunal d’appel peut infirmer des décisions portant sur des questions de fait et de crédibilité en vertu du paragraphe 42.1( 5) de la Loi. Nous ne sommes pas d’accord avec son interprétation de la décision du tribunal d’appel. En l’occurence, le tribunal d’appel n’a pas mis en doute le bien- fondé de la décision rendue par le premier tribunal en matière de crédibilité; il a plutôt fait savoir qu’il ne souscrivait pas à l’affirmation ou au principe énoncé par celui- ci voulant que certains actes sexuels ne puissent être pratiqués que de plein gré et sans contrainte. Pour rejeter la présomption du premier tribunal, le tribunal d’appel s’est fondé sur le seul témoignage entendu à l’audience et en est arrivé à la conclusion suivante:

"Au contraire, le seul témoignage entendu par le tribunal est celui de la plaignante elle- même qui a affirmé sans équivoque qu’elle était remplie de crainte, intimidée et répétait sans cesse à M. Brennan de mettre fin à ses avances importunes. Nous ne sommes malheureusement pas d’accord avec l’affirmation voulant que certains actes, comme la fellation, la masturbation ou les caresses, soient d’un caractère tellement consensuel qu’il soit impensable que la plaignante ait pu s’y livrer si elle n’était pas pleinement consentante."

(Traduction)

En outre, le tribunal d’appel a jugé que le premier tribunal avait commis une erreur à la fois de fait et de droit en émettant l’avis que les faits témoignaient de l’existence d’un climat de travail malsain. Voilà une autre raison qui a amené le tribunal d’appel à infirmer la décision du premier tribunal dans cette affaire.

Si nous sommes investis du pouvoir de réviser les décisions portant sur un point de fait litigieux, il n’en reste pas moins que, dans les cas de discrimination, ces décisions reposent généralement sur la crédibilité des témoins qui est souvent difficile à évaluer. Pour bien interpréter les faits, il faut tenir compte de toute la gamme des nuances. La véracité d’une des versions des faits repose rarement sur un facteur unique. (voir Aragona c. Elegant Lamp Company and Fillipitto (1982) 3 C. H. R. R. D/ 1109 à 1112 (Commission d’enquête de l’Ontario, décision rendue par E. Ratushny).

L’attitude des témoins, leur façon de s’exprimer et d’autres traits personnels sont pertinents, mais non pas nécessairement déterminants, lorsque vient le moment d’établir leur crédibilité.

Les propos du vicomte Simon dans l’affaire Watt or Thomas v. Thomas (1947) A. C. 484, page 486 (H. L.) s’appliquent tout aussi bien à un tribunal d’appel qu’à une cour d’appel lorsqu’il s’agit d’évaluer le bien- fondé d’une décision portant sur un point de fait litigieux rendue par un juge des faits qui a eu l’avantage d’observer les témoins:

"Je désire formuler certaines observations sur les circonstances dans lesquelles une cour d’appel peut être en droit de ne pas partager l’avis d’un juge de première instance en ce qui a trait aux faits ... Mises à part les catégories de cas où les pouvoirs de la cour d’appel se limitent à trancher une question de droit ... une cour d’appel a, bien sûr, la compétence voulue pour étudier le procès- verbal des dépositions afin de déterminer s’il y a lieu de maintenir le jugement rendu à l’origine sur cette base; mais cette compétence doit être exercée avec circonspection. S’il n’y a aucun élément de preuve à l’appui d’une conclusion donnée (il s’agit là véritablement d’une question de droit), la cour d’appel n’hésitera pas à rendre une décision en ce sens. Mais, s’il est raisonable de considérer que la preuve, dans son ensemble, justifie la conclusion du tribunal de première instance, surtout si ce dernier en est venu à cette conclusion après avoir vu et entendu les témoins dont les dépositions se contredisaient, la cour d’appel tiendra compte du fait qu’elle n’a pas eu cette chance et que l’opinion du juge de première instance en matière de crédibilité est très importante. Celà ne signifie pas que ce dernier soit infaillible lorsqu’il s’agit de déterminer qui dit la vérité ou se contente de rapporter les faits sans exagération. Comme n’importe quel autre tribunal, le juge de première instance peut se tromper sur une question de fait, mais force est d’admettre que pour évaluer un témoignage présenté de vive voix, il a l’avantage (qui est refusé à la cour d’appel) de pouvoir rencontrer les témoins et d’observer la façon dont ils font déposition."

(Traduction)

Il va sans dire que l’avantage du fait de voir et d’entendre les témoins varie en fonction de l’objet du litige. Dans les cas de discrimination et, en particulier, de harcèlement sexuel, il est extrêmement important de voir et d’entendre les témoins et surtout les parties elles- mêmes. Les incidents faisant l’objet du litige entre les parties se sont habituellement déroulés en privé. Règle générale, seules les parties sont en mesure d’apporter une preuve directe étant donné que, selon toute probabilité, elles ont été les seuls témoins.

Le tribunal d’appel ne dispose d’aucun principe ou règle lui permettant d’évaluer, en se fondant sur le procès- verbal d’audience, les traits de caractère des protagonistes. N’ayant pas eu l’avantage de voir et d’entendre directement les témoins, nous ne sommes pas en mesure de conclure que le tribunal a tout simplement fait erreur. En fait, d’après notre étude de la transcription, le tribunal disposait d’assez d’éléments de preuve pour étayer sa décision concernant les faits et la crédibilité des témoins. Il serait superflu de répéter ici ces éléments que Mme Ashley a exposés en détail dans sa décision. Il n’est pas non plus utile, à notre avis, de passer en revue les diverses conclusions contraires que M. Wasylyshen a tirées des faits et nous a vivement recommandé d’accepter. Qu’il nous suffise de dire que les constatations et déductions faites par le tribunal étaient raisonnables et fondées dans les circonstances, et que nous rejetons les conclusions contraires suggérées par M. Wasylyshen. Il ne s’agit pas d’un cas où la décision du tribunal était sans fondement ou inique et justifiait l’ingérence d’un tribunal d’appel. En conséquence, nous estimons que les conclusions du tribunal quant à la crédibilité et aux faits concordaient avec les témoignages et l’ensemble de la preuve.

4. ARGUMENTS DE LA CEIC, PARTIE NON APPELANTE

Même si la CEIC n’a pas porté en appel la décision du tribunal, son avocat, M. MacLean, a comparu devant le tribunal d’appel et a proposé des arguments en qualité de partie intéressée aux termes du paragraphe 42.1( 5) de la Loi. La CEIC était l’un des principaux mis en cause visés par la décision du tribunal inférieur. Elle a préféré ne pas interjeter appel. A notre sens, les dispositions statutaires voulant qu’un tribunal d’appel puisse entendre les arguments des parties intéressées n’autorisent pas la CEIC à comparaître devant lui à ce titre et à contester les conclusions de fait ou de droit tirées à son désavantage. Si elle désirait s’y opposer, elle aurait dû interjeter appel. Elle ne peut s’en prendre de façon indirecte à ces conclusions en faisant agir son avocat comme partie intéressée. Elle avait le droit d’interjeter appel, mais pour des raisons qu’elle est seule à connaître, elle a décidé de ne pas l’exercer. Par conséquent, il ne nous semble pas nécessaire de nous pencher sur les arguments formulés par M. MacLean au nom de la CEIC.

5. LE HARCELEMENT SEXUEL EST- IL UNE FORME DE DISTINCTION ILLICITE?

M. MacLean a toutefois mis de l’avant un argument qui a été expressément adopté par M. Wasylyshen et que nous nous sentons donc obligés de prendre en considération. Cet argument se rattache à la question fondamentale de savoir si le harcèlement sexuel constitue un motif de distinction illicite au sens du terme sexe au paragraphe 3( 1) de la Loi. Les événements on question se sont produits avant l’entrée en vigueur de la récente modification à la Loi (1980- 1981- 1982- 1983, C. 143, Art. 7), dont l’article 13.1 stipule maintenant qu’en matière d’emploi, le harcèlement, et plus précisément le harcèlement sexuel, constitue un motif de distinction illicite. Cette modification ne s’appliquait donc pas an l’espèce. Le tribunal inférieur a jugé que même avant cette modification, l’interdiction de la discrimination fondée sur le sexe englobait le harcèlement sexuel, la modification n’ayant servi qu’à codifier cette interprétation. M. MacLean a fait valoir que le tribunal s’était trompé à cet égard.

Les nombreuses décisions de tribunaux provinciaux et fédéraux des droits de la personne et de cours américaines, auxquelles il a été fait allusion par le tribunal inférieur et, plus récemment, dans l’affaire Olarte et al v. Commodore Business Machines Limited and DeFilippis (11 octobre 1983, commission d’enquête de l’Ontario, Peter A. Cumming), ne peuvent que nous convaincre que le harcèlement sexuel constitue vraiment de la discrimination sur le sexe. Néanmoins, M. MacLean a soutenu que le tribunal d’appel devrait réexaminer la question et, évidemment, que ces décisions étaient erronées. Il a fait valoir que le harcèlement sexuel n’a à voir avec le sexe que dans la mesure où différentes personnes affichent des préférences sexuelles différentes (généralement hétérosexuelles). A son avis, les femmes ne sont pas plus exposées que les hommes au harcèlement sexuel et, dans les cas où l’auteur du harcèlement affiche des tendances bi- sexuelles, les hommes risquent autant d’être victimes de harcèlement. Celui qui profère des menaces à l’égard de la personne pour qui il éprouve une attirance sexuelle est susceptible d’adopter, à l’égard d’un autre employé, un comportement également répréhensible, par exemple de le forcer à lui rendre des services personnels. M. MacLean en a donc déduit que le harcèlement en milieu de travail n’était pas interdit en soi avant que la Loi ne soit modifiée. A son avis, le harcèlement n’est pas plus répréhensible du fait de son caractère sexuel car la notion de harcèlement sexuel ne s’applique pas plus à un sexe qu’à l’autre et, par conséquent, on ne peut pas dire qu’il s’agit de discrimination fondée sur le sexe.

Il a également invoqué l’arrêt Re Board of Governors of the University of Saskatchewan et al and Saskatchewan Human Rights Commission (1976) 66 D. L. R. (3rd) 561, dans lequel le juge Johnson de la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan a conclu qu’une disposition de la Saskatchewan Fair Employment Practices Act, interdisant la discrimination fondée sur le sexe en matière d’emploi, ne s’appliquait pas dans le cas d’un employeur qui refusait d’engager une personne en raison de son homosexualité. Il a jugé que le terme sexe dans son acception courante désigne le sexe de la personne et non pas ses activités, ses tendances ou son orientation sexuelles.

M. MacLean a soutenu que le raisonnement du juge Johnson s’appliquait à l’interprétation du terme sexe dans la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le contexte du harcèlement sexuel. Selon lui, il n’existe de discrimination fondée sur le sexe au sens de la Loi que dans les cas où l’employeur ou une personne agissant comme son représentant défavorise un employé parce qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme, selon le cas, et non à cause de ses préférences sexuelles.

Quoiqu’il en soit de la justesse de la décision rendue dans l’affaire The Board of Governors of the University of Saskatchewan, il suffit de signaler qu’il n’y était question que des préférences et de l’orientation sexuelles du plaignant, ce qui n’est évidemment pas le cas en l’espèce. De toute façon, pour qu’il y ait discrimination fondée sur le sexe, nous ne croyons pas que la victime doive nécessairement être de tel ou tel sexe. En théorie, nombreuses sont les permutations et combinaisons qui peuvent donner lieu à du harcèlement sexuel. Par exemple, un gestionnaire peut se livrer à du harcèlement de type hétérosexuel sur une employée ou de type homosexuel sur un employé. On peut imaginer des combinaisons similaires en inversant les rôles: le cas d’un employé harcelé par une gestionnaire. En fait, le harcèlement peut être à la fois lié au sexe et fondé sur l’orientation sexuelle dans le cas, par exemple, d’un employeur homosexuel qui exploite un employé affichant les mêmes tendances.

Dans toutes ces situations, l’essentiel du problème réside dans le fait qu’un employé donné (homme ou femme, hétérosexuel( le) ou homosexuel( le)) est victime de harcèlement et se voit donc imposer des conditions de travail qui diffèrent de celles des employés du sexe opposé. La victime du harcèlement subit un traitement défavorable fondé sur le sexe. Comme on l’a fait remarquer dans l’arrêt Bundy v. Jackson (1981) 641 F. 2d 934 à 942 (Cour d’appel des Etats- Unis):

"Dans chaque cas, il faut chercher à savoir si l’employé aurait été victime de harcèlement s’il avait appartenu au sexe opposé ... Ce n’est que par l’absurde qu’il est possible de concevoir un cas de harcèlement qui ne constitue pas de la discrimination fondée sur le sexe - celui d’un superviseur bi- sexuel qui harcèle indifféremment des hommes ou des femmes."

(Traduction)

L’employeur ne saurait non plus faire valoir qu’un gestionnaire fait de la discrimination à l’égard d’une femme non en raison de son sexe mais bien de l’attraction sexuelle qu’elle exerce sur lui et, par conséquent, qu’il ne harcèle pas toutes les femmes qu’il côtoie en milieu de travail, mais seulement celle- là. Dans l’arrêt Bundy v. Jackson, susmentionnée, à la page 942, la Cour a déclaré ce qui suit:

"La discrimination sexuelle ne se limite pas à un traitement défavorable fondé uniquement ou catégoriquement sur le sexe. Elle existe dans tous les cas où, pour des raisons non valables, le sexe de la victime joue un rôle important dans la discrimination."

(Traduction)

Par conséquent, il s’agit essentiellement de déterminer si le fondement de l’acte discriminatoire en question était lié au sexe. Dans l’affirmative, on peut dire qu’il y a discrimination fondée sur le sexe même si d’autres employés du même sexe ne sont pas victimes du même comportement. Une commentatrice a exposé le principe avec justesse dans les termes suivants:

"Qu’elles visent ou non une seule et unique personne, les attentions sont discriminatoires dans la mesure où elles sont fondées sur le sexe. L’appartenance au sexe féminin est une condition essentielle au harcèlement sexuel. Si elle n’avait pas été une femme, la victime du harcèlement sexuel n’aurait jamais reçu de propositions; on ne l’aurait pas invité à participer à des activités sexuelles si elle avait été un homme." (Constance Backhouse, Case Comment, (1981) 19 University of Western Ontario Law Review, page 141 à 143).

(Traduction)

Si on applique ces principes au cas qui nous occupe, il ne fait aucun doute que l’acte discriminatoire en question était fondé sur le sexe et, par conséquent, qu’il est illicite aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Pour les raisons susmentionnées, nous estimons qu’aucun des arguments invoqués ne tient et, par conséquent, nous rejetons l’appel.

FAIT à Toronto, ce 13 jour de décembre 1983.

SIDNEY N. LEDERMAN, C. R. Président

DONNA WELKE Membre

DAVID WILKINS Membre

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