Tribunal canadien des droits de la personne

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DT- 3/ 83

JUGEMENT RENDU LE 14 février 1983

LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

DEVANT: Me Marie- Claire Lefebvre

ENTRE: VALERE BRIDEAU Plaignant,

- et

AIR CANADA Mise en cause,

- et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE Intervenante,

JUGEMENT DU TRIBUNAL

ONT COMPARU: Me Yvon Tarte, procureur de la Commission Canadienne des Droits de la Personne et de Valère Brideau

Me Victor Marchand, procureur de la mise en cause

AUDITION TENUE le 13 octobre 1982.

English version to follow/ Version anglaise à suivre

 

PLAINTE:

M. Valère Brideau se prévalant des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne déposa une plainte en date du 28 février 1981, alléguant que la mise en cause: Air Canada, a exercé de la discrimination à son égard en matière d’emploi à cause d’un handicap physique.

FAITS et ADMISSIONS:

Dès le début de l’audience, les procureurs des parties ont informé le tribunal de leur intention de procéder à une série d’admissions sur les faits et d’y produire les documents s’y rapportant, sous réserve d’une objection quant à la juridiction du tribunal soulevé par le procureur de la mise en cause.

Voici donc par ordre chronologique, les faits admis et quelques précisions complémentaires sur les documents produits pour le bon entendement du présent litige:

  1. Constitution du tribunal (Pièce C- 1); - Demande d’embauche comme commis de bord reçu par Air Canada le 9/ 9/ 80 en vue d’une banque de candidats et résultats des 3 entrevues (Pièce R- 1);
  2. Examen médical obligatoire du plaignant par Dr. T. V. Luu,. Rapport du Dr. W. Light, radiologiste, en date du 14/ 11/ 80 révélant la présence de bulles d’emphysème aux deux apex des poumons et revision du dossier médical par le Dr. R. Dufresne où l’on y retrouve la mention non recommandé en date du 21/ 1/ 81 (Pièce R- 2);
  3. Copie de la plainte - Evaluation médicale par le Dr. A. Crépeau en date du 4/ 12/ 80 concluant à parfaite santé du plaignant - Lettre d’Air Canada en date du 2/ 2/ 81 informant M. Brideau qu’il ne possédait pas les prérequis pour l’emploi postulé (Pièce C- 2);
  4. Lettre adressée à M. Julien Déslisle, de la Commission des droits de la personne, incluant le rapport médical du Dr. R. Dufresne en date du 19 mars 1981, ledit rapport confirmant la présence de bulles d’emphysème et son refus d’embaucher M. Brideau (Pièce R- 3):
  5. Un deuxième rapport médical du Dr. André Crépeau en date du 29 novembre 1981 à la demande cette fois de la Commission des droits de la personne. Ce rapport était devenu nécessaire compte tenu des conclusions contradictoires des spécialistes - Résultat des radiographies - Résultat de la tomographie - le Dr. A. Crépeau reconfirme la parfaite santé du plaignant (Pièce R- 4)
  6. Réévaluation du dossier médical du plaignant suite au 2 ième rapport du Dr. Crépeau par les Docteurs Antoine St. Pierre et R. Dufresne:
  7. Air Canada admet son erreur de diagnostic - se rallie à l’opinion du Dr. A. Crépeau - réactive le dossier de M. Valère Brideau - offre de rembourser au plaignant tous les frais et déboursés réels encourus.

Voilà donc succinctement les faits et les documents soumis. Cette série d’admissions de la part des procureurs des parties, a permis d’écourter le débat et le tribunal tient à les en remercier.

A- JURIDICTION DU TRIBUNAL:

Comme nous le soulignions précédemment, le procureur de la mise en cause a soulevé une objection quant à la juridiction de ce tribunal.

Au soutien de ses prétentions il invoque le principe: qu’un plainte n’est fondée que si la Commission peut prouver qu’on a commis une acte discriminatoire à l’égard d’un plaignant pour un motif de distinction illicite, énuméré à l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il rappelle au tribunal qu’il est déjà en preuve que la plainte repose sur un conflit d’opinions médicales et non sur un handicap physique qui n’existe pas. Poursuivant ce raisonnement, il en déduit que s’il n’y a pas de plainte l’article 41 (2) ou (3) de la loi, prévoyant des indemnités ne saurait s’appliquer.

Donc pour le procureur de la mise en cause, il s’agit ici d’un litige relevant d’un tribunal de droit commun et prétend que l’article 33 de la Loi canadienne des droits de la personne qui se lit ainsi:

.........." La Commission doit statuer sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime la plainte irrecevable dans le cas où il apparait à la Commission:

a) qu’il est préférable que la victime présumée de l’acte discriminatoire épuise d’abord les recours internes... s’applique également. Le procureur du plaignant lui, cite l’arrêt Latif pour démontrer que l’article 33 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s’adresse qu’à La Commission et lui détermine la façon d’administrer son mandat.

Nous croyons aussi que c’est l’idée maîtresse qui s’en dégage. C’est pourquoi le tribunal est d’avis que l’article 33 est irrecevable.

Conséquemment devons- nous en conclure que ce tribunal a juridiction?

C’est à la lumière de la décision de l’arrêt Foucault de l’affaire Heerspink et en se référant à l’intention du législateur et à la Loi de l’interprétation que nous y trouvons une réponse affirmative.

Voyons donc comment les références préciteés permettent au tribunal d’en conclure qu’il a juridiction:

Dans l’arrêt Foucault (1) il a été décidé que ce n’est pas l’handicap physique qui compte mais bien la perception qu’a l’employeur de la condition physique du futur employé. Or dans le cas présent le plaignant: M. Valère Brideau était perçu par Air Canada comme ayant des bulles d’emphysème aux poumons. Donc, comme un handicapé physique .... bien que rien de cette condition n’existait.

  1. Philip Foucault vs Chemins de fer nationaux du Canada page 4 décision rendue le 30 juillet 1981.
  2. Robert C. Heerspink vs The Insurance Corporation of British Columbia (Cour Supreme du Canada) le 9 août 1982.

Si le tribunal fait sienne cette décision c’est qu’il serait trop facile à un employeur d’échapper à la loi en invoquant mille raisons ou prétextes plus ou moins valables, tel le manque d’informations, les préjugés, les erreurs de diagnostic ou autres arguments de même acabit.

De plus l’Honorable juge Antonio Lamer de la Cour Suprême du Canada dans l’affaire Heerspink (2) citée plus haut, s’est fait explicite quant à l’interprétation que doivent recevoir les lois sur les droits de la personne lorsqu’il dit:

.... They are more important than all others ..... It is intended that the code supersedes all other laws when conflict arises...."

qu’aucune personne ne peut y échapper et qu’une interprétation des plus libérale doit y être donnée.

Enfin le législateur, en adoptant la Loi canadienne sur les droits de la personne, a voulu réprimer les abus de droits et de comportements à l’égard des personnes, assurer l’égalité des chances pour tous en matière d’emploi et faire en sorte que les victimes de pratiques discriminatoires obtiennent justice.

Pour toutes les raisons invoquées plus haut, le tribunal conclut qu’il a juridiction pour entendre cette cause.

B- La mise en cause: Air Canada a t- elle exercé de la discrimination à l’égard du plaignant en matière d’emploi à cause d’un handicap physique, le tout contrairement aux articles 7 et 10 de la loi canadienne sur les droits de la personne?

Avant de trancher cette question, le tribunal tient à rappeler et à souligner ce principe que: c’est la perception qu’a l’employeur de la condition physique du futur employé qu’il faut considérer et non l’handicap physique lui- même.

Or, il a été mis en preuve que le Dr. Light, radiologiste, les Docteurs St. Pierre et Dufresne, tous d’Air Canada ont révélé ou confirmé la présence de bulles d’emphysème dans les poumons du plaignant. Il est donc évident que le motif de distinction illicite de discrimination était pour ainsi dire présent dans l’esprit de la mise en cause .... non seulement présent puisque l’employeur a dépassé pour ainsi dire ce stade de la simple connaissance pour poser un geste bien concret i. e. le refus de le considérer apte à l’emploi postulé i. e. commis de bord, d’où la lettre adressée au plaignant en date du 2/ 2/ 81 et produite comme Pièce C- 2.

Avant de poursuivre, nous tenons à souligner fortement les démarches faites par le plaignant à la suggestion expresse du D. R. V. Luu d’Air Canada à l’effet de consulter un spécialiste de son choix. Subséquemment le rapport médical du Dr. A. Crépeau a été versé au dossier du plaignant ce qui a permis à Air Canada d’obtenir des informations médicales supplémentaires, quoique divergentes.

L’équipe médicale d’Air Canada n’a pas cru bon de tenir compte de cet avis contradictoire parce que:

  1. - le rapport du Dr. A. Crépeau lui paraissait incomplet;
  2. - elle n’avait pas à douter de sa propre compétence;
  3. - les services du Dr. A. Crépeau n’avaient pas été retenus par elle. Nous soulignons également qu’il aura fallu une 2 ième rapport du Dr. A. Crépeau, requis cette fois par la Commission des droits de la personne, pour que les spécialistes d’Air Canada conviennent de leur erreur de diagnostic et se rallient finalement à celui du Dr A. Crépeau.

Tenant compte des faits précités, le tribunal s’interroge et se demande s’il n’y aurait pas eu lieu à plus de prudence et de concertation?

Les remarques précédentes étant faites, nous poursuivons en affirmant qu’il a été établi, à la satisfaction du tribunal qu’il s’agit bien d’un cas de discrimination fondé.

Il incombait alors à Air Canada de prouver que l’acte discriminatoire reposait sur une exigence professionnelle normale énoncée à l’article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Obligation moins contraignante, pense le tribunal, si l’employeur peut prouver que la sécurité de l’employé visé ou encore du public sont en cause. toutefois si nous pouvons en déduire que le fardeau de la preuve est moins lourd lorsque la sécurité entre en ligne de compte, l’exigence professionnelle normale doit tout même être interprétée strictement (3)

Il s’agit, donc, en conséquence d’appliquer cette règle dans le cas soumis et nous demander si Air Canada en refusant M. Valère Brideau comme commis de bord à cause de la perception d’un handicap physique, a prouvé que cette exigence était réelle, juste, basée sur la réalité du travail quotidien et du risque de tous les jours tant pour lui- même que pour les passagers. Nous croyons que preuve en a été faite. Il suffit pour cela de relire attentivement le témoignage au cours duquel le Dr. St- Pierre nous décrit les répercussions possibles de l’existence de bulles d’emphysème et sa relation avec la fonction d’agent du bord, pour nous en convaincre (4)

3 - Michael Ward vs les Messageries de C. N. P42- 43 décision rendu le 19 janvier 1982.

4 - Pages 62 et suivantes de l’audience du 13 octobre 1982. - 8 > Quoique le présent litige repose en fait sur un diagnostic erroné, où nous ne mettons nullement en doute la bonne foi des commettants, le tribunal faisant sien le principe de la perception qu’a l’employeur de la condition physique du futur employé et Air Canada ayant prouvé à la satisfaction du présent tribunal que son refus était basé sur des exigences professionnelles normales, le tribunal conclut que les articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et par voie de conséquence l’article 41 (2) ou (3) ne s’appliquent pas dans le présent litige.

En conclusion, pour les motifs sus- énoncés le Tribunal: A- REJETTE la plainte; B- Entérine l’offre de remboursement d’Air Canada au plaignant: M Valère Brideau de tous les frais et déboursés réels encourus, soit la somme de: 136.95$

MARIE- CLAIRE LEFEBVRE PRESIDENTE DU TRIBUNAL

Le 27 janvier 1983

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