Tribunal canadien des droits de la personne

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TD- 6/ 83 Décision rendue le 8 avril 1983

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

LITIGE METTANT EN CAUSE:

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE, PLAIGNANTE

ET:

LES LIGNES AERIENNES CANADIEN PACIFIQUE LIMITEE, MISE EN CAUSE

DECISION DU TRIBUNAL

DEVANT: BRYAN WILLIAMS, C. R.

Ont comparu: Hélène LeBel Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne
Norman D. Mullins, C. R. Avocat des Lignes Aériennes Canadien Pacifique Limitée

Dates des audiences: 12 janvier 1982 et 30 septembre 1982 , Translation/ Traduction >

DECISION

Introduction:

J’ai été constitué en tribunal des droits de la personne en vertu de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour examiner une plainte de la Commission canadienne des droits de la personne contre les Lignes Aériennes Canadien Pacifique Limitée et décider si les actes qui font l’objet de cette plainte constituent un acte discriminatoire au sens de l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Suite à ma nomination le 17 avril 1980 (c. 1), une résolution fut signée le 18 juin 1980, faisant état d’une réunion tenue les 18 et 19 mars 1980. Cette résolution révèle que ni la plaignante, qui a déposé plainte au nom d’une tierce personne désirant garder l’anonymat, ni la victime anonyme n’étaient intéressées à poursuivre la demande. La Commission résolut donc de prendre elle- même l’initiative d’une plainte fondée sur le fait que les Lignes Aériennes Canadien Pacifique Limitée, en engageant pour le travail d’été les enfants d’employés, par préférence à d’autres, commettent un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille, contrevenant ainsi aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Une formule de plainte datée du 17 avril 1980, et signée apparemment par Gordon Fairweather à titre de plaignant, mentionne que une préférence est accordée pour le travail d’été aux enfants des employés des Lignes Aériennes Canadien Pacifique Limitée. Elle allègue que les Lignes Aériennes Canadien Pacifique Limitée commettent ou ont commis un acte discriminatoire le ou vers le 17 avril 1980. La pièce C- 14 qui porte la date du 27 juillet 1981 mentionne que dans l’embauchage pour le travail d’été, les Lignes Aériennes Canadien Pacifique Limitée favorisent les membres des familles des employés de la compagnie le ou vers le 17 avril 1980.

Le Canadien Pacifique a contesté ma juridiction pour entendre la plainte de la Commission des droits de la personne au moyen d’une requête auprès de la Cour fédérale, en vertu de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.

Cette requête a été rejetée par la Cour le 8 septembre 1980. Le jugement de la Division de première instance a été maintenu par la Cour d’appel fédérale dans son jugement du 11 juin 1981.

Objections préliminaires La première audience tenue devant moi eut lieu le 12 janvier 1982, au cours de laquelle M. Mullins, au nom des Lignes Aériennes Canadien Pacifique Limitée, soulève un certain nombre d’objections préliminaires.

La première de ces objections était que la lettre de nomination est défectueuse en anglais. M. Mullins admet qu’elle est parfaitement valide dans sa version française, mais non dans sa version anglaise, les mots Human Rights Tribunal ayant été omis.

J’ai trouvé cette objection mal fondée et l’ai rejetée, la loi, lue dans ses deux versions et prise dans son ensemble, laissant peu de doute sur l’intention du législateur. Ma nomination était valide en tant que tribunal des droits de la personne.

La deuxième objection était que la Loi n’accorde pas à la Commission le pouvoir spécial de faire appel à un avocat de la pratique privée pour agir en son nom en matière d’enquêtes. M. Mullins a admis que la Commission pouvait recourir à un des avocats qui lui sont attachés, mais non à un avocat de la pratique privée, à moins d’une autorisation spéciale de la Loi.

J’ai trouvé cette objection encore moins fondée que la première et l’ai donc rejetée également.

En troisième lieu, M. Mullins s’est opposé à ma juridiction en alléguant que la pièce C- 4 datée de juillet 1980 est une plainte déposée par Gordon Fairweather postérieurement à ma nomination en avril de la même année, ce qui ne serait pas conforme aux dispositions du paragraphe 39 (1) qui stipule:

La Commission peut à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, constituer un tribunal des droits de la personne ...

Par conséquent, a prétendu M. Mullins, aucune nouvelle nomination n’étant intervenue après la plainte du mois de juillet, je n’avais nulle juridiction pour examiner cette plainte. Comme corollaire à cette troisième objection, M. Mullins en a soulevé une quatrième, à savoir que l’avis requis en vertu de l’article 40 de la Loi ne vise que la plainte du mois d’avril et non celle du mois de juillet. Mme LeBel a soutenu que la pièce C- 4 n’est qu’un amendement à la plainte originale et qu’elle en a avisé M. Mullins en septembre 1980. M. Mullins répondit que les amendements n’étaient pas conformes à la résolution.

Ma juridiction a été contestée par une objection de plus de la part de M. Mullins, selon laquelle mon enquête se limite à l’article 10 qui se lit comme suit:

Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur ou l’association d’employés

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite, ou b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

Et en vertu du paragraphe 32 (5): Pour l’application de la présente Partie, la Commission n’est validement saisie d’une plainte qui si l’acte discriminatoire a) a eu lieu au Canada alors que la victime y était légalement présente ou qu’elle avait le droit d’y revenir; b) a eu lieu à l’extérieur du Canada alors que la victime était un citoyen canadien ou qu’elle était admise au Canada pour y résider en permanence; ou c) tombe sous le coup des articles 8, 12 ou 13 et a eu lieu au Canada sans qu’il soit possible d’en identifier la victime.

M. Mullins prétend que puisque l’article 10 ne figure pas parmi ceux énumérés à l’alinéa (c) et qu’il n’est pas prouvé que les faits se sont déroulés hors du Canada, nous nous trouvons confrontés avec l’alinéa (a) qui suppose l’existence d’une victime. Or la victime réelle désirant rester anonyme et ayant déposé plainte par l’entremise d’un plaignant, lequel n’a pas voulu poursuivre, il n’y a donc pas de victime en vertu de l’alinéa (a) et, par conséquent, la Commission ne peut même pas être saisie de la plainte.

M. Mullins a, en outre, soulevé la question du statut et allégué qu’il n’a pas été statué sur la survenance des faits au Canada.

A la lumière de ces objections, l’audience fut ajournée sine die, pour être fixée à nouveau une fois que l’avocat de la Commission eût été en mesure de reconsidérer la base, s’il en est, sur laquelle la Commission procèderait.

L’affaire fut entendue à nouveau le 30 septembre 1982. Mme LeBel, au nom de la Commission, déclara qu’elle ne procèderait pas en vertu de la pièce C- 4, mais plutôt de la pièce C- 3, soit la plainte du mois d’avril. Il ne restait donc à statuer que sur les points suivants: a) cette plainte n’en est pas une dont la Commission puisse être saisie, parce qu’elle ne correspond à aucune des catégories visées à l’article 32. D’une part, il n’y a pas eu de victime identifiée et, d’autre part, l’article 10 ne fait pas partie des articles mentionnés à l’article 32; b) il n’y a pas de preuve que les faits se soient produits au Canada.

Avec l’assentiment de l’avocat, j’ai réservé ma décision sur ces deux points pour la fin de l’audition de la preuve.

LES FAITS

La pièce C- 6, déposée le 30 septembre et signée par les deux avocats, se lit comme suit:

(Traduction) Les Lignes Aériennes Canadien Pacifique Limitée admettent pour les fins de l’exmen de la plainte (Ex. C- 3) que le ou vers le 17 avril 1980 une préférence a été accordée, pour l’emploi d’été, aux enfants des employés de C. P. Air Ltée.

La pièce C- 7, soit la formule de demande d’emploi de C. P. Air, mentionne vers la deuxième moitié de la page 1:

Membres de votre famille au service du groupe CP Noms - Service - Lien de parenté Les pièces 8 et 9 ont été contestées par M. Mullins pour le motif que leurs dates (les 3 avril et 29 mai 1979, respectivement) les situent hors de la période où la plaignante a allégué que C. P. Air a pratiqué sa politique de traitement préférentiel en faveur des enfants des employés de la compagnie. Ces documents peuvent ne pas constituer une preuve déterminante de la politique de la compagnie en avril 1980 mais, comme l’a soutenu Mme LeBel, ils peuvent donner une idée de ses pratiques antérieures et, conjugués à d’autres preuves, ils peuvent bien être pertinents au débat dont je suis saisi. Je considère donc que ces deux lettres (pièces C- 8 et C- 9), reconnues comme écrites par la compagnie, étaient pertinentes et donc admissibles. La partie justificative de la pièce C- 8 se lit comme suit:

(Traduction)

Normalement, nous avons très peu d’emplois d’été disponibles et notre compagnie adopte une pratique visant à accorder la préférence aux garçons et filles des employés, surtout lorsque cette aide leur permet de poursuivre leur études ... Dans ces circonstances, il nous est difficile de nous montrer encourageants quant aux chances de placement et nous pensons que vous préférerez le savoir dès maintenant afin de pouvoir vous organiser en conséquence.

La pièce C- 9, adressée à un dénommé Postlethwaite, est de la même veine. On y lit:

(Traduction)

... pour les postes vacants, les candidats sont considérés dans l’ordre suivant: (a) les candidats ayant déjà travaillé pour C. P. Air et dontles services ont été satisfaisants, (b) les garçons et les filles des employés inscrits à l’Université, (c) les garçons et les filles des employés ayant terminé leur cours secondaire, (d) les garçons et les filles des employés inscrits au cours secondaire ... d’autres candidats ... pensons que vous préférez être au courant de la véritable situation afin de vous organiser en conséquence.

Selon le témoignage de Martha Hynna, secrétaire- générale de la Commission des droits de la personne, aucune victime de la politique de C. P. Air n’a été vraiment identifiée, pour ce qui est de 1980.

POSITION DES PARTIES

A. Sur les questions préliminaires

En résumé, la position de la compagnie est que la Loi canadienne sur les droits de la personne vise à soustraire des droits à des compagnies et des citoyens canadiens, en apportant des interdictions nouvelles et précises à leur conduite et à leurs pratiques. Les sanctions prescrites par la Loi peuvent avoir des conséquences graves pour les contrevenants. La compagnie soutient que, dans ces circonstances, la Loi est de nature pénale ou quasi- pénale et doit, de ce fait, être interprétée de façon restrictive. Une position juridique imparfaite de la Commission doit recevoir le même traitement qu’une position juridique imparfaite de la Couronne sous l’empire du Code criminel et donc aboutir au rejet de la plainte, à moins que toutes les dispositions procédurales de la Loi n’aient été rigoureusement respectées et que la discrimination alléguée ne tombe parfaitement dans le champ des motifs de discrimination interdits.

Toujours en résumé, la Commission prétend que le tribunal des droits de la personne est essentiellement un tribunal administratif qui exerce, cependant, une fonction quasi- judiciaire. Ses pouvoirs sont semblables à ceux d’un conseil de relations du travail chargé d’examiner une plainte. Plutôt qu’une interprétation restrictive, le tribunal doit accorder à la Loi une interprétation large et libérale. Le but de la Loi ne peut être atteint qu’en empruntant une approche d’interprétation élargie, plutôt que restreinte.

B. Sur le fond

Les faits n’étant pas contestés et C. P. Air ayant clairement accordé la préférence, pour les emplois d’été, aux enfants de ses employés, le seul point en litige est de déterminer si cette pratique équivaut à une discrimination fondée sur le marital status (version anglaise) ou situation de famille (version française). Mme LeBel, au nom de la Commission, a fait valoir un argument judicieux, fondé en partie sur son opinion que la Loi ne doit pas être interprétée restrictivement mais que, dans l’esprit du législateur, les pratiques discriminatoires répréhensibles, qui s’insèrent de façon défendable dans les motifs d’interdiction, doivent être jugées comme telles.

La Commission soutient que l’usage des mots situation de famille démontre l’intention du législateur d’interdire la discrimination fondée sur un statut personnel comme membre d’une famille. Si tel n’était pas le cas, l’expression état matrimonial figurant dans la Loi du Nouveau- Brunswick aurait, à son avis, sûrement été employée.

La Commission cite les dispositions des paragraphes 8 (1) et 8 (2) de la Loi sur les langues officielles (voir annexe), selon lesquelles un statut, des droits et des privilèges égaux doivent être accordés aux deux langues officielles du Canada.

La Commission analyse ensuite les dispositions spéciales des différentes lois sur les droits de la personne à travers le Canada et soutient (sans, toutefois, réussir à me convaincre) que les résultats de cette analyse appuient la positions de la Commission, à savoir que la version française, plus large, doit supplanter la version anglaise, plus restreinte.

Mme LeBel cite, entre autres, la cause La Commission des droits de la personne du Québec c. Les Biscuits Associés du Canada Ltée et sa Division Biscuits David et Fernande Martel, (1979) C. S. 532, où l’on a appliqué l’expression état civil utilisée dans la législation du Québec. Cette cause soulevait la question de savoir si une soeur était incluse, au sens de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, dans l’expression civil status (version anglaise), l’état civil (version française). Pour en ariver à sa conclusion, le tribunal passe en revue certaines opinions selon lesquelles l’état civil d’une personne est son individualité juridique, c’est- à- dire qui détermine sa situation sociale au sein de la famille et dans la société. Cette interprétation large comprend évidemment la situation dans la famille et l’expression situation de famille utilisée en l’espèce entre dans le cadre de cette définition. Enfin, Mme LeBel s’appuie substantiellement sur la décision Arsenault et al. c. L’association internationale des débardeurs, section locale 375, et L’association des employeurs maritimes, 19 juillet 1982, rendue par le Conseil canadien des relations du travail (Claude H. Foisy, Paul- Emile Chaisson et Nicole Kean). Dans cette cause, le syndicat des débardeurs, qui, de l’avis du Conseil contrôlait l’emploi sur les quais, prit une résolution en vertu de laquelle l’adhésion au syndicat (donc, l’accès à l’emploi dans ce métier) serait accordée par préférence à certains parents des membres bien cotés.

Traitant des dispositions particulières du Code canadien du travail, le Conseil décida que, dans l’interprétation du code des droits de la personne, la version française (la situation de famille) doit être préférée à la version anglaise (marital status) pour déterminer de quelle discrimination il s’agit.

La compagnie soutient que l’interprétation plus restreinte doit être retenue pour déterminer ce qui doit être compris dans les motifs de discrimination interdits, et que la plus restreinte des deux interprétations, marital status, doit prévaloir.

M. Mullins accorde à Mme LeBel que, pour déterminer l’intention du législateur, les deux versions doivent avoir le même poids; il prétend cependant que, une fois cette étape franchie, on s’aperçoit que la seule interprétation plausible consiste à donner à l’expression situation de famille le sens de marital status que lui donne le dictionnaire français- anglais Collins- Robert, 1978. La définition de ce dictionnaire est la suivante:

situation (emplacement): situation, position, location; ... de famille: marital status (p. 623)

marital adj. (a) problems: matrimonial; ... status: situation de famille

Il allègue, de plus, que dans plusieurs arrêts, St- Paul’s Roman Catholic Separate School District No 20 (1982) 131 D. L. R., p. 739, Re Caldwell & Stewart, (1982) 132 D. L. R. p. 79 (B. C. C. A.) et Air Canada v. Bane, (1982) 40 N. R. 481 (Cour d’appel fédérale), il est clairement démontré que le sens de marital status ne dépasse pas la définition du dictionnaire que je résumerai par du mariage ou se rapportant au mariage. Il ajoute que le mot famille, tel que défini par les dictionnaires français, donne lieu à diverses interprétations, l’une d’entre elles comprenant les serviteurs et une autre les animaux domestiques.

Enfin et de façon plus convaincante, s’appuyant sur les causes Food Machinery Corp. v. Registrar of Trademarks, (1946) 2 D. L. R. 258 (Thorson, P.), R. v. O’Donnell (1979) 1 W. W. R. 385 (B. C. C. A.), The King v. Dubois, (1935) S. C. R. 378, Reg. v. Govedarov, (1974) 3 O. R. 23 (O. C. of A.) et Cardinal c. La Reine (1981) C. F. 149 (Cour fédérale), la Compagnie soutient que l’interprétation reflétant le sens commun dans chaque langue doit être préférée à toute autre.

Le 28 janvier 1983, après l’exposé des arguments mais avant que je rende la présente décision, M. Mullins m’a écrit m’avisant que certains amendements étaient proposés à la Chambre des communes par le projet de loi C- 141 visant à modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne sous plusieurs aspects touchant les questions sur lesquelles je suis appelé à statuer. Ces différents points exposés dans sa lettre ont trait à des amendements à la version française (la situation de famille) et à l’extension des motifs de discrimination. Mme LeBel, dans une lettre qu’elle m’a adressée le 3 février, exprime sa surprise et sa désapprobation eu égard aux tactiques de M. Mullins d’expédier une telle lettre après la clôture des débats, mais en arrive à expliquer comment ces amendements confirment les allégations de la Commission.

Je ne trouve pas inopportun de la part de M. Mullins de m’avoir avisé des amendements proposés, mais je souscris au premier commentaire exprimé par Mme LeBel dans sa lettre du 3 février, selon lequel ces amendements sont absolument hors de cause et étrangers à l’objet du litige. Je suis appelé à décider si la Loi, telle que libellée en avril 1980 lors de la dérogation invoquée, interdisait la pratique adoptée par C. P. Air.

Je n’ai donc retenu la teneur d’aucune des deux lettres, en ce qui a trait à l’application des amendements proposés.

DECISION

Je traiterai d’abord des objections préliminaires sur lesquelles j’avais réservé ma décision précédemment, à savoir que la Commission n’avait pas le pouvoir d’être saisie de la plainte du fait qu’elle n’entre pas dans le cadre du paragraphe 32 (5). M. Mullins déclare qu’elle ne tombe pas sous le coup de l’alinéa (a) en raison de l’absence d’une victime identifiée; elle ne tombe pas sous le coup de l’alinéa (b), la preuve n’ayant pas établi que les faits soient survenus hors du Canada; et elle ne tombe pas sous le coup de l’alinéa (c), puisque l’article 10 que j’applique en vertu de ma nomination (pièce C- 1) n’y est pas inclus. Enfin, il n’y a pas de preuve de la survenance des faits à l’intérieur du Canada.

Abordant la tâche d’interpréter la Loi des droits de la personne, Mme LeBel m’a fourni une abondante citation d’autorités sur la question.

Dans l’affaire Bahjat Tabar and Chong Man Lee v. West End Construction Limited et al, 13 août 1982, Peter Cumming, commissaire - enquêteur en vertu de la Loi sur les droits de la personne de l’Ontario, déclare:

(Traduction)

J’ai qualifié la procédure devant la commission d’enquête comme une procédure administrative plutôt qu’une procédure civile. Je le vois comme tel parce que, à mon avis, il existe une différence fondamentale entre une commission d’enquête, qui constitue à mon sens un tribunal administratif, et un tribunal judiciaire. Ce n’est que devant un tribunal judiciaire que des procédures civiles peuvent être prises. Il est vrai qu’une commission d’enquête peut rendre une ordonnance incluant l’attribution d’une indemnité à un plaignant ayant subi un préjudice et cet aspect d’une ordonnance est analogue à l’adjudication de dommages- intérêts par un tribunal au cours d’une procédure civile. Néanmoins, il existe une différence fondamentale entre la nature intrinsèque des organismes en présence et, compte tenu du Code et du Statutory Powers Procedure Act, je n’ai aucun doute sur le fait qu’une commission d’enquête constitue un tribunal administratif et que les procédures prises devant lui sont de la nature des procédures administratives.

Le professeur Cumming poursuit: (Traduction) C’est avec réticence que j’ai developpé à ce point ces questions procédurales. L’attribution de la juridiction en matière de droits de la personne à des commissions d’enquête plutôt qu’à des tribunaux a pour but d’éviter les règles rigoureuses de procédure judiciaire.

Dans Re Attorney General of Canada and Cumming al, Cour fédérale, (1979) 103 D. L. R. (3d), le juge Thurlow, J. C. A., commente ainsi la Loi canadienne sur les droits de la personne:

(Traduction)

Quant à la première question, qui me semble relever de la juridiction du tribunal, je ne suis pas prêt à accepter le concept large voulant que le Ministre du revenu national, en imposant des impôts en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, ne s’engage pas dans la fourniture de services au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Loi est rédigée en termes vastes et tant la matière qui en fait l’objet que le but qu’elle énonce indiquent qu’elle ne doit pas recevoir une interprétation étroite ou restrictive ...

Je n’alimenterai pas d’arguments supplémentaires l’un ou l’autre des deux camps, dans cette querelle d’interprétation qui confronte l’école restrictive à l’école libérale. Il me suffit de dire que, à mon avis, il serait inadéquat, surtout lorsqu’il s’agit des dispositions de procédure de la Loi sur les droits de la personne, de recourir à une interprétation aussi étroite et stricte que celle que défend M. Mullins. Dans l’interprétation de ces dispositions procédurales de la Loi, un tribunal doit faire appel à toute sa réserve de bon sens pour donner effet à l’intention du législateur, en considérant soigneusement les termes choisis, le contexte dans lequel les articles se situent les uns par rapport aux autres, ainsi que la Loi dans son ensemble. Cette tâche me semble pouvoir être remplie sans devoir pour autant rejeter une plainte normalement valide pour une imperfection d’ordre procédural, ni étirer le sens des mots et des phrases utilisés dans la législation comme un énorme bandeau pour couvrir toute pratique susceptible d’être subjectivement considérée discriminatoire.

La discrimination, en tant que dérogation à la loi, est un nouveau concept dans notre droit, dont le tribunal n’a pas à étendre la portée au- delà du champ visé. A l’intérieur de ce cadre, cependant, la Loi canadienne sur les droits de la personne reflète l’intérêt public et le sentiment civilisé que les pratiques socialement repréhensibles et préjudiciables, adoptées contre certaines classes de la population, doivent être interdites. En règle générale, le tribunal, agissant à l’intérieur du cadre visé, ne doit pas adopter une approche étroite et restrictive, pas plus qu’il ne doit tolérer des imperfections de procédure entravant une étude adéquate du fond.

La Loi canadienne sur les droits de la personne se divise en plusieurs parties. La partie I porte le titre Motifs de distinction illicite et, sous cette partie l’article 10, reproduit en annexe A, couvre convenablement les faits de la présente cause. On a prétendu plus haut que je devais me pencher aussi sur l’article 7, vu qu’il apparaît à la résolution C2. Il ne figure pas sur la pièce 1 qui me nomme pour diriger l’enquête en vertu de l’article 10. Compte tenu de ma décision, le résultat serait le même, que je procède en vertu de l’un de ces articles ou des deux.

La partie II crée la Commission et la partie III porte le titre Actes discriminatoires et dispositions générales. Après la définition de l’acte discriminatoire à l’article 31, le paragraphe 32 (1) (qui est formulé sous réserve du paragraphe 32 (5)) accorde le pouvoir à un individu ou à un groupe d’individus de déposer la plainte. Le paragraphe (3) autorise la Commission à prendre elle- même l’initiative de la plainte. Bien que reproduit en annexe A, le paragraphe (5) est ici repris:

Pour l’application de la présente Partie, la Commission n’est validement saisie d’une plainte que si l’acte discriminatoire a) a eu lieu au Canada alors que la victime y était légalement présente ou qu’elle avait le droit d’y revenir; b) a eu lieu à l’extérieur du Canada... c) tombe sous le coup des articles 8, 12 ou 13 et a en lieu au Canada sans qu’il soit possible d’en identifier la victime.

Aucune victime n’a été identifiée dans cette cause, bien qu’une prétendue victime ait agi, à l’origine, par le biais d’un plaignant. Cette plainte étant tombée, la Commission a, de bon droit, décidé de prendre elle- même l’initiative de la plainte en vertu du paragraphe (3). La question est de savoir si en vertu du paragraphe (5), cette plainte peut être poursuivie. Il n’y a aucune ambiguïté dans les termes du paragraphe (5) et je ne vois pas, par quelque interprétation que ce soit, comment les mots la Commission n’est validement saisie peuvent être outrepassés, à moins que la plainte ne tombe d’une certaine façon sous l’une des trois catégories du paragraphe (5). On n’a pas allégué qu’elle tombait sous le coup de l’alinéa (b) et Mme LeBel a admis judicieusement qu’elle ne pouvait tomber sous l’alinéa (c), l’article 10 ne figurant pas parmi les articles qui y sont énumérés. Mme LeBel fonde son argumentation sur l’alinéa (a). Or cette disposition ne reçoit application que s’il y a eu une victime et que cette victime était présente au Canada ou avait légalement le droit d’y revenir. Je serais prêt à rejeter comme mal fondée, et rejette effectivement, l’objection de M. Mullins voulant que la Commission n’ait pas réussi à prouver que la dérogation alléguée a été commise au Canada. Je considère que la pratique de C. P. Air de favoriser les enfants de ses employés a effectivement eu lieu au Canada. Toutefois, je me demande même si l’alinéa 5 (a) s’applique aux faits qui sont à l’origine de cette cause. La Commission a certainement le droit de prendre l’initiative de la plainte, et elle l’a fait. Quant à la plainte elle- même, il importe peu, a mon avis, que ce soit un plaignant ou la Commission qui en prenne l’initiative, en autant qu’il y ait une victime (selon l’alinéa (a)). Aucune preuve n’a été produite par la Commission pour établir qu’il y ait jamais eu de victime, mais seulement qu’il y a eu une pratique. Lorsque la Commission décide de prendre action en se basant sur l’existence d’une pratique et qu’elle ne produit pas la preuve de l’implication d’une victime, il me semble qu’elle tombe sous le coup de l’alinéa (c) et le législateur, peu importe la raison, a exclu les articles 10 et 17 de l’alinéa (c).

Je ne vois pas comment, même avec un bandeau bien étiré, la plainte déposée dans cette cause peut tomber sous le coup du paragraphe (5) et il me semble donc que la Commission n’avait nullement le pouvoir d’en être saisie. Bref, même selon l’interprétation libérale défendue par Mme LeBel, une plainte ne peut être examinée, à moins que la Commission n’ait juridiction et cette juridiction est fondée sur le paragraphe 32 (5). Cette plainte ne peut être régie (ou même se laisser comprimer) par ce paragraphe.

Me fondant sur ces conclusions, je ne peux que rejeter la plainte. Une somme importante de temps, d’argent et d’énergie a été investie dans cette cause, avant et après que je fus saisi de la plainte. De peur que mon interprétation du paragraphe 32 (5) ne soit jugée erronée par une instance supérieure, j’ai décidé d’examiner le fond de la plainte afin d’éviter qu’on y revienne plus tard.

Sur le fond, je dois décider si la pratique de C. P. Air équivaut à une discrimination fondée sur le marital status (version anglaise) ou la situation de famille (version française).

Only in Canada décrit bien peut- être une certaine marque de thé, mais décrit encore mieux notre exercice national d’interprétation bilingue des lois. Notre héritage affectionné, bilingue et biculturel, ne renferme pas une double norme d’interprétation des lois, mais une norme unique découlant d’une double langue. Les préposés à la tâche difficile de donner un sens aux mots et aux phrases des lois canadiennes doivent considérer les versions française et anglaise avec une égale curiosité et un jugement serein et objectif. La Loi sur les langues officielles ne peut être plus claire. Les deux langues doivent recevoir une égale considération et, en cas de différence insoluble, on donnera la préférence à la version qui, selon l’esprit, l’intention et le sens véritables du texte assure le mieux la réalisation de ses objectifs.

Mme LeBel n’a pas tenté d’alléguer que la version anglaise, seule, était suffisamment large pour englober la pratique invoquée contre C. P. Air. Le marital status, selon toutes les définitions de dictionnaire qu’il n’est pas besoin de reprendre ici, se rapporte à une relation entre mari et femme dans le mariage. Il n’inclut pas, et ne peut par aucune extension inclure, une pratique qui consiste à favoriser l’embauchage des enfants. D’autre part, voudrais- je interpréter littéralement la version française, situation de famille, le mot famille comprendrait les enfants, et s’il y a une discrimination fondée sur la situation en famille, il y aurait là un acte qui équivaut à une pratique interdite.

Ce n’est pas la première fois, bien sûr, dans l’histoire du Canada qu’un tribunal est confronté au problème d’interprétation d’une loi, lorsque les versions anglaise et française ne sont pas absolument identiques. Dans l’affaire Food Machinery Corp. v. Registrar of Trademarks, (1946) 2 D. L. R. 258, Thorsson, P. écrit ce qui suit à la page 263:

(Traduction)

Très souvent, les textes français et anglais d’une loi sont comparés afin d’en clarifier le sens; puisque le Parlement parle en deux langues, chacune mérite un égal.

(Traduction) respect ... s’il y a ambiguïté, celle- ci est due a la divergence entre les deux textes et il me semble que la Cour devrait traiter la question comme tout cas d’ambiguïté, c’est- à- dire en essayant de s’assurer de la véritable intention du Parlement, guidée dans cette démarche par les règles d’interprétation reconnues, applicables en semblable matière. Dans ces circonstances, il serait juste, je pense d’affirmer que lorsque deux interprétations se trouvent confrontées face à un texte de loi français ou anglais, l’une étant sujette à objection et l’autre ne l’étant pas selon les règles d’interprétation reconnues, c’est cette dernière qui doit prévaloir, même si elle présente des divergences avec la langue de l’autre texte qui, elle, s’accorde avec l’interprétation contestable; cette interprétation contestable ne devient pas exempte d’objection du fait d’une telle concordance et ne saurait y trouver un appui.

Et le président du tribunal de conclure: que le sens grammatical du texte français semblait clair, alors que le texte anglais était susceptible de deux interprétations.

Sa décision, à la lumière de ces faits, a donc fait prévaloir la version française. Dans R v. O’Donnell, (1979) 1 W. W. R 385 à 388, la Cour d’appel de Colombie- Britannique a jugé ce qui suit:

(Traduction)

Les deux mots anglais sont clairs et non équivoques. Les versions françaises des deux mots ont plusieurs sens. Les mots dans les deux versions doivent nécessairement être interprétés dans le même sens. Donc, si une version est claire et non équivoque et que l’autre ne l’est pas, il en découle que, lors de l’interprétation, le sens commun doit être retenu.

Dans The King v. Dubois [1935] S. C. R. 378, la citation n’étant pas nécessaire, le tribunal va dans le même sens que dans Reg. v. Govedarov (1974) 3 O. R. (2d) 23, où la Cour d’appel de l’Ontario a jugé que le mot effraction dans la version française du Code criminel doit prévaloir sur le mot burglary dans la version anglaise, quand on limite le délit à une maison d’habitation. De même, dans Cardinal c. La Reine, [1980] 1C. F. 149, le juge Mahoney de la Cour fédérale, déclare: En l’espèce, le recours à la version française règle de façon absolue toute question d’ambiguïté dans le libellé du texte de loi; par conséquent, il est inutile d’examiner les arguments contraires des demandeurs, aussi convaincants qu’ils pourraient être, si seule la version anglaise avait force de loi.

Comme nous l’avons souligné plus haut, l’alinéa 8 (2) (d) de la Loi sur les langues officielles, S. R. C. 1970, oblige l’interprète législatif, lorsque les deux versions sont incompatibles, à donner la préférence à la version qui, selon l’esprit et l’intention, assure le mieux la réalisation des objets du texte. Les mots marital status et situation de famille, dans l’une au moins des interprétations de la version française, ne signifieraient pas la même chose et seraient de ce fait incompatibles. En examinant la pratique adoptée par C. P. Air, je dois donc m’efforcer à m’assurer de l’esprit et de l’intention véritables de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La Loi canadienne sur les droits de la personne, tout comme la législation provinciale sur les droits de la personne, a pour but, comme le stipule l’article 2, d’offrir à tous les canadiens, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur certaines distinctions illicites. La Loi a certainement été conçue pour éliminer le préjudice, le fanatisme et l’oppression et limiter la discrimination eu égard à certaines pratiques généralement reconnues comme inéquitables ou repréhensibles.

Quelques canadiens pourraient protester contre l’interdiction de la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe ou la situation de famille. La question qui m’est soumise est de déterminer si la préférence accordée aux enfants d’employés tombe sous cette catégorie. Le canadien d’intelligence moyenne pourrait considérer très injuste de refuser un emploi en raison du fait que le candidat est noir, baptiste, d’origine russe ou de sexe féminin. Ce même canadien d’intelligence moyenne trouverait- il injuste qu’une boulangerie accorde la préférence au fils du propriétaire par rapport à d’autres candidats? Lors de la promulgation de la Loi canadienne sur les droits de la personne, y avait- il le même genre de revendication pour interdire la préférence dans l’embauchage en été des enfants d’employés par rapport aux autres enfants que pour la préférence dans l’embauchage, par exemple, des hommes par rapport aux femmes? Il y a, bien sûr, le revers de la médaille et, en préférant les enfants d’employés, tous les autres enfants en tant que groupe peuvent être considérés victimes de discrimination. Mais plutôt que ses conséquences, j’étudie ici l’esprit et l’intention de la Loi et je ne suis pas sûr que l’esprit du législateur était orienté vers la question dont je suis saisi. Il est vrai, également, que ce qu’on appelle parfois le népotisme était une pratique qui inquiétait les syndicats quand il s’agissait des enfants des propriétaires; mais dans la mesure où le problème était prévu dans une convention collective, cette pratique tombait sous l’effet d’une disposition plus énergique basée sur l’ancienneté.

Mais ce même népotisme se trouve parfois favorisé par le syndicat quand il profite aux enfants de ses propres membres, qu’il s’agisse d’emploi ou d’adhésion syndicale. Cette question a été traitée par le Conseil canadien des relations du travail dans l’affaire Arsenault à laquelle je me réfère plus loin.

Si l’on considère l’histoire du développement des entreprises et des relations de travail au Canada, on constate que c’est presqu’une tradition chez les petits employeurs, propriétaires de leur propre entreprise, de favoriser leurs enfants, en les intégrant comme employés à l’entreprise, par préférence aux autres enfants. Cette pratique visait évidemment à assurer ce que le chef de famille considérait comme une prolongation de l’implication familiale dans le développement de l’entreprise. En effet, de nombreuses entreprises canadiennes se sont bâties sur ce principe et il arrivait très souvent que, lorsqu’une petite entreprise prenait de l’ampleur et se dotait de politiques d’emploi plus complexes, elle continuait à offrir à ses employés, en guise de bénifice marginal, des emplois d’été pour leurs enfants durant les vacances d’été.

Je n’ai connaissance d’aucune critique sévère à l’égard de cette pratique bien que, comme je l’ai signalé plus haut, une telle politique aurait pour conséquence évidente de créer une discrimination au détriment de personnes qui ne sont pas les enfants de l’employeur concerné. Je ne suis pas non plus entièrement convaincu que cette pratique soit socialement répréhensible ou préjudiciable au même titre qu’une distinction fondée sur la race, la couleur, la religion, le sexe, etc.

Le législateur entendait- il vraisemblablement abolir cette pratique, comme telle? Je serais porté à conclure que puisque la conjoncture canadienne, comme c’est le cas dans d’autres pays occidentaux, tient ses origines en matière d’emploi, partiellement du moins, du développement des entreprises familiales, il est improblable que l’on ait voulu interdire les normes d’emploi préférentiel aux enfants des employés en place. L’autre aspect de la question est évidemment plus délicat, soit le cas d’un employeur qui avait pour politique de ne pas engager les enfants des employés. Dans cette hypothèse, le coup est plus direct; mais, là aussi, il n’est pas sûr que le législateur, compte tenu de la formulation actuelle de la Loi, ait voulu y voir un acte discriminatoire.

On doit toujours garder à l’esprit que la Loi canadienne sur les droits de la personne n’interdit pas la discrimination, mais la limite seulement ou en interdit certaines formes. La distinction dans l’emploi fondée sur un certificat d’études secondaires, un diplôme universitaire, les aptitudes ou la force physique constituent des motifs de discrimination normaux et admis. Seuls les motifs interdits, ou pouvant logiquement en faire partie, sont visés par la Loi.

Les législations provinciales ne m’ont pas été d’un grand secours pour statuer sur la question; je signalerai cependant qu’au Nouveau- Brunswick la législation a opté pour l’expression état matrimonial comme équivalent de marital status. Dans la province de Québec, l’expression utilisée dans les deux langues est civil status, état civil en français et, selon une décision du moins, elle engloberait la situation de famille.

Je me réfèrerai à deux décisions qui ont traité de l’expression marital status. La première est Air Canada v. Bain (1982) N. R. 481, une décision de la Cour d’appel fédérale où le juge Pratte déclare:

(Traduction)

A mon avis, on ne peut pas dire dans les circonstances que Mlle Bain a été victime de discrimination en raison de sa situation de famille ou, de façon plus générale, que le plan de tarif familial d’Air Canada a fait une discrimination entre les voyageurs sur la base de leur situation de famille. Mlle Bain est célibataire et voulait voyager avec un ami. La raison pour laquelle elle n’a pas pu profiter du tarif familial est qu’elle n’avait pas de lien de parenté avec son compagnon de voyage pour former, à eux deux, une famille; la raison n’est pas qu’elle était célibataire. Mariée ou pas, une personne qui voyage avec un ami n’a pas droit au tarif familial.

L’affaire Bain ne traite pas directement, bien sûr, de la question de la situation de famille; mais dans cette cause le tribunal a pris pour acquis qu’il n’y avait rien de répréhensible à appliquer un tarif réduit sur la base de la situation familiale. Un tel tarif favorise les enfants des voyageurs et les voyageurs eux- mêmes mais, selon cette décision, n’a rien d’offensant et n’a rien à voir avec la situation de famille.

Une cause plus directement pertinente est celle mentionnée plus haut de Arsenault et al v. The International Longshoremens’ Association Local 375, (1982) C. L. L. R. p. 17018. Dans cette affaire, le syndicat avait adopté une résolution accordant la préférence aux enfants, frères (soeurs) et gendres (brus) de ses membres actifs. Le paragraphe 185 (f) du Code canadien du travail stipule ce qui suit:

Nul syndicat et nulle personne agissant pour le compte d’un syndicat ne doit ...

f) exclure définitivement ou temporairement un employé du syndicat ou lui refuser l’adhésion au syndicat en lui appliquant d’une manière discriminatoire les règles du syndicat relatives à l’adhésion;

La plainte invoquait aussi une violation de l’article 161.1, lequel réfère au déploiement de la main- d’oeuvre par un bureau d’embauche syndical. La décision explique que l’emploi sur les quais était pratiquement contrôlé par le syndicat des débardeurs et que ceux qui n’en faisaient pas partie avait peu de chances d’obtenir un travail dans ce métier.

Le Conseil canadien en arrive à la conclusion que la résolution qui accordait une telle préférence contrevenait aux dispositions du paragraphe 185 (f) du Code canadien du travail et devait donc être annulée.

Le fait que la décision soit basée sur le paragraphe 185 (f) et que ce paragraphe interdise la discrimination (sans en déterminer les critères) peut facilement suffire pour distinguer ce cas de celui dont je suis saisi. Je dois toutefois viser directement la conclusion du Conseil qui traite précisément des versions française et anglaise, situation de famille et marital status.

Le Conseil a décidé, à bon escient selon moi, que le mot discrimination, tel qu’il figure dans le code, ne peut signifier toute sorte de discrimination, mais uniquement celle qui est illégale, arbitraire ou déraisonnable, Je dois évidemment décider seulement si la discrimination est illégale, comme contraire à la Loi sur les droits de la personne. Sur un point donné, le Conseil déclare, page 20:

Il s’agit ici de déterminer si une telle norme de sélection est discriminatoire ou, en d’autres termes, si elle contrevient à l’un quelconque des motifs de discrimination prohibés par les différentes chartes et lois canadiennes des droits et libertés de la personne et subsidiairement, si la réponse est négative, si la norme est arbitraire ou déraisonnable.

A la page 26 des motifs de la décision, après une analyse de l’historique de la législation des droits de la personne et la citation d’extraits de l’excellent ouvrage de W. S. Tarnopolsky, Discrimination and the Law, Toronto, R. DeBoo, 1982, le Conseil adopte une attitude différente de celle du professeur Tarnopolsky et déclare:

Il faut en conclure que l’expression marital status comporte un sens beaucoup plus restreint que celui de situation de famille et par ailleurs que le premier est compris dans le second. Ces expressions n’ont certainement pas un sens contradictoire et, si tel était le cas, le conflit entre les termes français et anglais devrait être résolu selon les articles 8 (1) et 8 (2).

Avec tout mon respect pour le Conseil et pour l’honorable tribunal présidé par M. Claude Foisy, je ne partage pas, et ne peux partager, l’opinion voulant que, en déterminant les objectifs de la loi, on suppose automatiquement, comme semble le faire le Conseil, que la version plus large doive avoir préséance. Il se peut fort bien que le législateur ait voulu être très restrictif sur les motifs de discrimination et que la version restreinte doive être favorisée. Si l’on se base sur la décision du Conseil, qui favorise l’interprétation la plus large, on pourrait prétendre que les grands- parents, les petits- enfants, les tantes, les oncles et les cousins au deuxième degré (et serviteurs) sont inclus, puisqu’ils peuvent être considérés comme membres de la famille au sens large.

Le deuxième motif de mon désacord, en toute déférence, avec BWW4B. 24954 > -28- la conclusion du Conseil canadien des relations du travail est qu’il a opté pour la version française, situation de famille, parce qu’elle englobe le marital status. Cette opinion ne tient pas compte, à mon avis, des autorités consacrées et citées plus haut, selon lesquelles l’approche appropriée en matière d’interprétation législative bilingue consiste à s’assurer, dans le cas où une version a deux significations possibles, que l’une des deux ne concorde pas avec la signification de l’autre langue; et, dans l’affirmative, considérer, comme dit le président Thorson, que c’est cette signification qui est incontestable. Le Conseil n’a pas suivi ce test et lorsqu’on considère les définitions du Collins rapportées plus haut, on s’aperçoit que, du moins selon ce dictionnaire bien connu, situation de famille signifie marital status et marital status est défini par situation de famille. Dans une autre interprétation situation de famille pourrait inclure les enfants. L’expression marital status peut- elle inclure les enfants? Evidemment pas. Je me suis même demamdé s’il n’aurait pas été plus indiqué pour le législateur, s’il entendait inclure les enfants, d’utiliser simplement l’expression family status dans la version anglaise.

J’ai étudié attentivement les dispositions impératives de la Loi sur les langues officielles et les règles d’interprétation législative appliquées par les tribunaux. Je me suis efforcé, à l’aide des différents dictionnaires et des différentes traductions dans les deux langues, de déterminer s’il existe une signification commune aux deux versions; j’ai tenté ensuite, tel que mentionné plus haut, de m’assurer de l’intention probable du législateur canadien dans l’élaboration de cette loi, à savoir si dans son esprit et son intention véritables il avait prévu l’engagement préférentiel des enfants d’employés pour le travail d’été.

Pour les motifs mentionnés plus haut, je conclus qu’il est plus probable que le législateur n’ait pas eu l’intention d’inclure l’acte incriminé et que, puisque marital status et situation de famille veulent dire la même chose lorsque situation de famille est pris dans son sens restreint, et des choses différentes dans le cas contraire, je favorise, dans la présente cause, le sens restreint selon lequel la situation de famille (marital status) n’inclut pas les enfants. Je conclus donc que la plainte contre C. P. Air, qui a accordé la préférence aux enfants de ses employés, n’entre pas dans le cadre des motifs de discrimination interdits par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La plainte est rejetée sur le fond. Bryan Williams, C. R. 31 mars 1983 Tribunal des droits de la personne

ANNEXE A PARTIE I

ARTICLES PERTINENTS DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, aux principes suivants:

a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, la situation de famille ou l’état de personne graciée ou, en matière d’emploi, de leurs handicaps physiques; b) les individus ont droit à la vie privée et ils ont droit d’accès aux dossiers qui contiennent des renseignements personnels les concernant à toutes fins, notamment pour s’assurer qu’ils sont complets et que les renseignements qu’ils contiennent sont exacts, et ce dans toute la mesure compatible avec l’intérêt public.

3. Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, la situation de famille ou l’état de personne graciée et, en matière d’emploi, sur un handicap physique.

4. Les actes discriminatoires prévus aux articles 5 à 13 peuvent faire l’objet d’une plainte en vertu de la Partie III et toute personne reconnue coupable de ces actes peut faire l’objet des ordonnances prévues aux articles 41 et 42.

7. Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou b) de défavoriser un employé, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur ou l’association d’employés

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite, ou b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

31. Pour l’application de la présente Partie, acte discriminatoire s’entend des actes visés aux articles 5 à 13.

32. (1) Sous réserve des paragraphes (5) et (6), les individus ou groupes d’individus ayant des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire peuvent déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière.

(2) La Commission peut assujettir la recevabilité d’une plainte au consentement préalable de l’individu présenté comme la victime de l’acte discriminatoire.

(3) La Commission peut prendre l’initiative de la plainte dans les cas où elle a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire.

(4) En cas de dépôt, conjoint ou distinct, par plusieurs individus ou groupes de plaintes dénonçant la perpétration par une personne donnée d’actes discriminatoires ou d’une série d’actes discriminatoires de même nature, la Commission peut joindre les plaintes dont elle est saisie en vertu de la présente Partie et qui, à son avis, soulèvent quant au fond les mêmes questions de fait et de droit et charger, conformément au paragraphe 39 (1), un tribunal unique de les examiner.

(5) Pour l’application de la présente Partie, la Commission n’est validement saisie d’une plainte que si l’acte discriminatoire

a) a eu lieu au Canada alors que la victime y était légalement présente ou qu’elle avait le droit d’y revenir; b) a eu lieu à l’extérieur du Canada alors que la victime était un citoyen canadien ou qu’elle était admise au Canada pour y résider en permanence; ou c) tombe sous le coup des articles 8, 12 ou 13 et a eu lieu au Canada sans qu’il soit possible d’en identifier la victime.

(6) En cas de doute sur la situation d’un individu par rapport à une plainte dans les cas prévus au paragraphe (5), la Commission doit renvoyer la question au ministre compétent du gouvernement du Canada et elle ne peut procéder à l’instruction de la plainte que si la question est tranchée en faveur du plaignant.

(7) La Commission ne peut être saisie en vertu du paragraphe (1), d’une plainte qui porte sur les conditions et les modalités d’une caisse ou d’un régime de pensions, lorsque le redressement demandé aurait pour effet de priver un participant de droits acquis avant l’entrée en vigueur de la présente Partie ou des prestations de pension ou autres accumulées jusqu’à cette date notamment,

a) des droits ou de prestations attachés à un âge déterminé de retraite; et b) de prestations de réversion.

40. (1) Le tribunal doit, après avis conforme à la Commission, aux parties et, à sa discrétion, à tout intéressé, examiner l’objet de la plainte pour laquelle il a été constitué; il doit donner à ceux- ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve et des arguments, même par l’intermédiaire d’un avocat.

(2) En comparaissant devant le tribunal et en présentant ses éléments de preuve et ses arguments, la Commission doit adopter l’attitude la plus proche, à son avis, de l’intérêt public, compte tenu de la nature de la plainte.

(3) Pour la tenue de ses audiences en vertu de la présente Partie, le tribunal a le pouvoir

a) d’assigner et de contraindre les témoins à comparaître, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire les documents et pièces qu’il juge nécessaires à l’examen complet de la plainte, au même titre qu’une cour supérieure d’archives; b) de faire prêter serment; et c) de recevoir des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire.

(4) Par dérogation à l’alinéa (3) c), le tribunal ne peut admettre en preuve les éléments qui, dans le droit de la preuve, sont confidentiels devant les tribunaux judiciaires.

(5) Par dérogation au paragraphe (2), le conciliateur n’est un témoin ni compétent ni contraignable devant le tribunal.

(6) Les audiences du tribunal sont publiques, mais le tribunal peut, dans l’intérêt public, ordonner le huis clos pour tout ou partie de leur durée.

(7) Les témoins assignés à comparaître en vertu du présent article peuvent, à la discrétion du tribunal, recevoir les frais et indemnités accordés aux témoins assignés devant la Cour fédérale du Canada.

41. (1) A l’issue de son enquête, le tribunal rejette la plainte qu’il juge non fondée.

(2) A l’issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l’article 42, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire a) de mettre fin à l’acte et de prendre des mesures destinées à prévenir les actes semblables, et ce, en consultation avec la Commission relativement à l’objet général de ces mesures; celles- ci peuvent comprendre l’adoption d’une proposition relative à des programmes, des plans ou des arrangements spéciaux visés au paragraphe 15 (1); b) d’accorder à la victime, à la première occasion raisonnable, les droits, chances ou avantages dont, de l’avis du tribunal l’acte l’a privée;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte; et d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il fixe, des frais supplémentaires causés, pour recourir à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal, ayant conclu a) que la personne a commis l’acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence, ou b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l’acte discriminatoire, peut ordonner à la personne de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars.

(4) Le tribunal qui, à l’issue de son enquête, juge fondée une plainte portant sur l’emploi d’un handicapé physique, tout en reconnaissant l’impossibilité en raison d’un handicap de cette nature d’accéder aux locaux ou d’utiliser normalement les instalations de l’auteur de l’acte discriminatoire, doit le mentionner et faire les recommandations qu’il estime indiquées dans son ordonnance; le tribunal ne peut toutefois pas rendre une ordonnance en vertu des paragraphes (2) ou (3).

ANNEXE A PARTIE Il

ARTICLES PERTINENTS DE LA LOI SUR LES LANGUES OFFICIELLES

2. L’anglais et le français sont les langues officielles du Canada pour tout ce qui relève du Parlement et du gouvernement du Canada; elles ont un statut, des droits et des privilèges égaux quant à leur emploi dans toutes les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.

8 (1) Dans l’interprétation d’un texte législatif, les versions des deux langues officielles font pareillement autorité.

8 (2) Pour l’application du paragraphe (1) à l’interprétation d’un texte législatif, a) lorsqu’on allèque ou lorsqu’il apparaît que les deux versions du texte législatif n’ont pas le même sens, on tiendra compte de ses deux versions afin de donner, sous toutes réserves prévues par l’alinéa c), le même effet au texte législatif en tout lieu du Canada où l’on veut qu’il s’applique, à moins qu’une intention contraire ne soit explicitement ou implicitement évidente; b) sous toutes réserves prévues à l’alinéa c), lorsque le texte législatif fait mention d’un concept ou d’une chose, la mention sera, dans chacune des deux versions du texte législatif, interprétée comme une mention du concept ou de la chose que signifient indifféremment l’une ou l’autre version du texte législatif; c) lorsque l’expression d’un concept ou d’une chose, dans l’une des versions du texte législatif, est incompatible avec le système juridique ou les institutions d’un lieu du Canada où l’on veut que ce texte s’applique mais que son expression dans l’autre version du texte est compatible avec ce système ou ces institutions, une mention du concept ou de la chose dans le texte sera, dans la mesure où ce texte s’applique à ce lieu du Canada, interprétée comme une mention du concept ou de la chose, exprimée dans la version qui est compatible avec ce système ou ces institutions; et d) s’il y a, entre les deux versions du texte législatif, une différence autre que celle mentionnée à l’alinéa c), on donnera la préférence à la version qui, selon l’esprit, l’intention et le sens véritables du texte, assure le mieux la réalisation de ses objets.

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