Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Décision rendue le 26 octobre 1983

T. D. 11/ 83

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S. C. 1976- 77, c. 33, version modifiée

ET DANS L’AFFAIRE de l’appel déposé par Air Canada en date du 16 avril 1982, contre la décision du Tribunal des droits de la personne rendue le 18 mars 1982.

LITIGE METTANT EN CAUSE:

PAUL S. CARSON, RAMON SANZ, WILLIAM NASH BARRY JAMES ET ARIE TALL, Plaignants (Intimés)

- ET

AIR CANADA, Intimée (Appelante)

DÉCISION DU TRIBUNAL D’APPEL

Devant: Robert W. Kerr, Peter A Cumming, M. Wendy Robson

Ont comparu: John C. Murray et C. A. Morley pour l’appelante, Air Canada
George Hunter et David Aylen pour les intimés

Entendu: Audition préliminaire: le 9 août 1982 - Toronto, Ontario
Audition: les 8, 9 et 10 décembre 1982 - Totonto, Ontario les 16 et 17 février 1983 Toronto, Ontario

>DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

S. C. 1976- 77, c. 33, version modifiée ET DANS L’AFFAIRE de l’appel déposé par Air Canada en date du 16 avril 1982, contre la décision du Tribunal des droits de la personne rendue le 18 mars 1982.

LITIGE METTANT EN CAUSE: PAUL S. CARSON, RAMON SANZ, WILLIAM NASH BARRY JAMES ET ARIE TALL Plaignants (Intimés)
- ET AIR CANADA Intimée (Appelante)

Il s’agit d’un appel par Air Canada d’une décision rendue par Sidney N. Lederman, C. R., un tribunal constitue en vertu de l’article 39( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le tribunal constata que les plaintes en vertu des articles 7 et 10 de ladite loi étaient fondées.

Aux fins de la présente décision (et compte tenu qu’aucune preuve additionnelle sur les faits n’a été présentée, ni d’objection soulevé quant aux faits reconnus par le tribunal), les faits qui ont donné lieu aux plaintes se résument brièvement comme suit.

Chaque plaignant s’était porté candidat à un poste de pilote auprès de l’employeur appelante, Air Canada. Chacun fut avisé, en termes différents, que son âge, ils étaient tous au- dessus de 28 ans lors des demandes en question, était un facteur du refus d’emploi, et l’employeur avait indiqué une préférence pour les postulants dans la première moitié de la vingtaine.

La discrimination ayant été constatée, l’employeur avait dès lors le fardeau de prouver qu’il s’agissait d’une exigence professionnelle normale en vertu de l’article 14 a) de la loi, et le tribunal maintint qu’il ne s’était pas déchargé de ce fardeau. C’est essentiellement sur ce motif que l’appel fut porté devant le présent tribunal.

La juridiction du tribunal d’appel Les deux procureurs ont fait valoir différentes interprétations des pouvoirs qui nous sont conférés par l’article 42( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Leurs argumentations se résument comme suit.

Le procureur d’Air Canada a soutenu que le présent tribunal avait une juridiction très large, plus large que la révision ordinaire d’appel, qui, selon lui, équivaudrait presqu’à une nouvelle audition. Il a avancé que nous pouvions évaluer la preuve et substituer une opinion différente.

Le procureur de la Commission des droits de la personne défendait une interprétation plus étroite de l’article pertinent de la loi.

Il faisait valoir que la juridiction conférée à un tribunal d’appel était de portée réparatrice, et ne pouvait être exercée que si nous en arrivions à la conclusion que le tribunal de première instance avait commis une erreur réelle de fait ou de droit. Il nous a exhorté à présumer que la décision portée en appel était juste et que, par conséquent, l’appelante avait le fardeau de démontrer l’erreur de fait ou de droit.

Étant donné les opinions très divergentes des procureurs, nous croyons qu’il est approprié de commenter sur la nature des tribunaux d’appel. L’article 42.1( 3) à (6) se lit comme suit:

(3) Sous réserve du présent article, les tribunaux d’appel sont constitués comme les tribunaux prévus à l’article 39 et sont investis des mêmes pouvoirs; leurs membres ont droit à la rémunération et aux indemnités prévues au paragraphe 39( 4).

(4) Le tribunal d’appel peut entendre les appels fondés sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait.

(5) Le tribunal d’appel entend l’appel en se basant sur le dossier du tribunal dont la décision ou l’ordonnance fait l’objet de l’appel et sur les arguments des parties intéressées mais il peut, s’il l’estime indispensable à la bonne administration de la justice, recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre des témoignages.

(6) Le tribunal d’appel qui statue sur les appels prévus au présent article peut

a) les rejeter; ou b) y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles du tribunal dont la décision fait l’objet de l’appel.

Cette question fut débattue dans deux décisions rendues en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne: une décision intérimaire d’un tribunal d’appel dans Butterill, Foreman and Wolfman v. VIA Rail Canada Inc. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 233, et un appel de cette décision à la Cour fédérale (1981), 3 C. H. R. R. D/ 1043.

Dans la décision intérimaire dans Butterill, le tribunal d’appel était appelé à commenter sur les pouvoirs des tribunaux d’appel et en vint à la conclusion qu’ils avaient un pouvoir discrétionnaire plus large qu’un tribunal d’" appel", et que l’article 42.1( 6) leur donnait clairement le pouvoir de substituer leur opinion à celle du tribunal original, même sur des questions discrétionnaires.

Sur ce point, le juge en chef Thurlow de la Cour fédérale appuya le tribunal d’appel en disant à D/ 1044:

... de toute façon, eu égard à l’alinéa 42.1( 6) b) de la loi, je ne crois pas que l’on puisse honnêtement soutenir que le tribunal d’appel n’a pas le pouvoir de substituer son jugement à celui d’un tribunal des droits de la personne.

En outre, à D/ 1046, il dit:

Il appartenait au tribunal d’appel de se pencher sur ces questions d’après la preuve qui se trouvait au dossier du tribunal des droits de la personne et d’après toute preuve additionnelle qu’il aurait pu admettre.

(traduction)

Bien que les remarques du juge en chef ne constituent qu’un obiter à la décision rendue, elles nous aident considérablement et renforcent notre conclusion à l’effet que pour rester fidèle à l’esprit de la législation sur les droits de la personne, nous ne devons pas l’interpréter restrictivement mais plutôt de façon libérale. On a investi les tribunaux d’appel de pouvoirs généreux qui lui permettent d’admettre de la preuve additionnelle et, si nécessaire, de rendre la décision ou d’émettre l’ordonnance qui, selon eux, le tribunal dont la décision fait l’objet de l’appel aurait dû rendre ou émettre.

Par induction, la juridiction des tribunaux d’appel est plus large que la juridiction d’appel ordinaire. Or, nous nous en reportons au droit applicable dans la présente cause, puis à nos constatations et conclusions spécifiques fondées sur le dossier devant nous et non pas restreintes à la recherche d’une erreur dans la décision du tribunal de première instance.

Le droit relatif à la discrimination fondée sur l’âge 1. Structure générale des dispositions statutaires concernant la discrimination fondée sur l’âge En premier lieu, nous allons regarder le schéma général des lois provinciales en ce qui concerne la discrimination fondée sur l’âge, puis celles des États- Unis et du Royaume- Uni, et ensuite la loi canadienne.

Toutes les provinces canadiennes ont adopté des lois pour protéger les droits de la personne. De prime abord, il semble que la protection contre la discrimination fondée sur l’âge n’est pas abordée de la même façon partout au Canada. Par exemple, l’âge est parfois inclus comme l’un des motifs de discrimination interdits dans une disposition générale énumérant divers motifs qui, en général, comprennent la race, la couleur, le sexe, la religion, la situation de famille, l’origine ethnique, la croyance politique, et le lieu d’origine (comme c’est le cas dans le Human Rights Code de la Colombie- Britannique, R. S. B. C. 1979, c. 186, art. 8). Par contre, l’âge est parfois traité séparément (comme dans le Newfoundland Human Rights Code, R. S. N. 1970, c. 262, version modifiée par S. N. 1974, No 114, art. 9( 1)( b)), ou avec un autre motif spécifique, comme le handicap physique (dans la Human Rights Act, de l’Ile- Du- Prince- Edouard, S. P. E. I. 1975, c. 72, art. 11( 1)). L’approche du Québec est différente en ce qu’elle ne mentionne aucun motif de distinction illicite spécifique, mais parle plutôt de discrimination en général (Charte québécoise des droits et libertés de la personne, S. R. Q. 1977, c. C- 12, art. 16)

Néanmoins, les aspects substantifs des différentes dispositions visant la discrimination fondée sur l’âge sont assez semblables dans toutes les onze provinces canadiennes. Bien que l’âge soit un motif spécifique de distinction illicite (sauf dans le cas du Québec), il y a des cas d’exception où la discrimination fondée sur l’âge est permise dans certaines circonstances. La discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi est permise lorsqu’une exigence professionnelle raisonnable ou normale exige qu’une distinction relative à l’âge soit faite entre les employés, ou les postulants d’un emploi. La loi fédérale, ainsi que toutes les lois provinciales sur les droits de la personne, sauf celle de la Nouvelle- Écosse (Human Rights Act, C. S. N. S. 1979, c. H- 24), contiennent une telle disposition dérogatoire. Une autre exception à l’interdiction de discrimination fondée sur l’âge est celle prévue dans le cas d’une caisse ou régime de retraite ou d’assurance où l’on fait une distinction fondée sur l’âge entre les personnes qui y sont visées. (Voir, par exemple, le Human Rights Code de la Colombie- Britannique, R. S. B. C. 1979, c. 186, art. 9( 3)).

Or, la façon d’aborder la discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi est assez constante à travers le Canada. L’interdiction de faire une distinction fondée sur l’âge est habituellement accompagnée des exceptions relatives aux exigences professionnelles normales.

Les États- Unis ont adopté une loi fédérale interdisant spécifiquement la discrimination fondée sur l’âge, soit The Age Discrimination in Employment Act of 1967, 29 U. S. C. A. art. 621 et suivants. La structure des dispositions traitant de la discrimination fondée sur l’âge dans les conditions d’emploi, y compris les dispositions prévoyant des exceptions, est analogue aux lois canadiennes. La disposition américaine, article 623( a), prévoit:

Constitue un acte illégal de la part d’un employeur, le fait (1) de ne pas embaucher ou de refuser d’embaucher un individu quelconque ou d’autrement faire une discrimination contre un individu quelconque en ce qui touche la rémunération, les modalités, conditions, ou privilèges d’emploi, en raison de l’âge de cet individu;

Il y a également une disposition dérogatoire, à l’article 623( f), qui permet à un employeur: (1) de prendre toute action autrement interdite en vertu des alinéas (a), (b), (c), ou (e) du présent article lorsque l’âge constitue une qualification professionnelle normale et raisonnable nécessaire à l’exploitation normale de l’entreprise particulière, ou lorsque la distinction est fondée sur des facteurs raisonnables autres que l’âge;

(2) de respecter les modalités d’un système d’ancienneté normal ou tout autre régime d’avantages aux employés, comme une caisse ou régime de retraite ou d’assurance, qui n’est pas un prétexte pour éluder le but du présent chapitre, sauf qu’aucun tel régime d’avantages aux employés ne servira d’excuse pour ne pas embaucher un individu quelconque;

(traduction)

Au Royaume- Uni il n’y a aucune loi générale sur les droits de la personne, parce que l’on a jugé que des chartes des droits offenseraient le principe de la suprématie parlementaire. La Grande- Bretagne a néanmoins adopté des lois qui donnent une protection contre la discrimination fondée sur la race et le sexe (The Race Relations Act, 1976, c. 74; The Sex Discrimination Act, 1975, c. 65). Aucune loi semblable n’interdit la discrimination fondée sur l’âge, mais M. George Foulkes, un parlementaire travailliste, a récemment déposé un Bill privé a Westminster visant à investir la Equal Opportunity Commission du pouvoir d’agir dans les cas de discrimination fondée sur l’âge. L’une de ses dispositions interdirait aux employeurs de spécifier un groupe d’âges en matière d’emploi sans une raison particulière: le Daily Telegraph, 14 avril 1983, p. 8.

La Trade Union and Labour Relations Act, 1974, c. 52, apporte toutefois une certaine protection à l’employé en ce qu’elle lui permet d’entamer une action contre son employeur pour congédiement injuste, lorsque le congédiement n’est pas justifié comme étant attribuable au travail, à la conduite de l’employé, au surplus de personnel, ou à toute autre raison substantielle (Annexe 1, Partie II, article 6). Mais l’employé ne peut plus entamer d’action une fois qu’il a atteint l’âge normal de la retraite: Nelson and Woolett v. Post Office, 1978 I. R. L. S. 548. Il n’y a aucune cause rapportée qui implique un congédiement injuste en raison de l’âge de l’employé.

D’autres droits sont maintenant garantis en Grande- Bretagne en raison du fait que celle- ci a ratifié la Convention européenne sur les droits de la personne. En vertu de la convention, la Commission européenne peut entendre des pétitions individuelles de citoyens d’États signataires sur des violations des droits de la personne dans leur propre pays. Toutefois, la convention semble garantir les droits légaux et politiques contre la discrimination, non pas les droits contre la discrimination en matière de fourniture de services ou de conditions d’emploi. En outre, elle ne reconnaît pas l’âge comme motif de discrimination donnant ouverture à une plainte.

2. Définition statutaire de l’âge Ayant examiné la structure générale des diverses lois qui prévoient un recours pour les victimes de discrimination fondée sur l’âge, nous allons maintenant examiner la définition de l’âge que donnent ces lois. En regardant les articles 4( 1) b), 4( 6), et 19 a) de l’ancien Ontario Human Rights Code, R. S. O. 1970, c. 318, version modifiée (subséquemment R. S. O. 1980, c. 340, articles 4( 1) b), 4( 6), 26 a), abrogée par S. O. 1981, c. 53, article 48) qui traitent de la discrimination fondée sur l’âge, la commission d’enquête (le professeur Bruce Dunlop) s’exprimait dans les termes suivants à la page 5 de la décision Hall and Gray v. Etobicoke Fire Dept. (le 21 juillet 1977):

L’un des objectifs du Code est d’assurer que les personnes entre quarante et soixante- quatre ans, qui dans le passé ont été le plus souvent victimes de discrimination en matière d’emploi, ne sont pas exclues du marché du travail simplement parce qu’elles sont considérées comme étant trop âgées. Si on les empêche d’occuper des postes disponibles, ce doit être à cause de leurs déficiences, non pas à cause de leur âge.

(traduction)

En définissant l’âge dans l’article 19 a) comme étant toute personne âgée de quarante ans ou plus et de moins de soixante- cinq ans", l’intention de cette loi était clairement de protéger les employés dans ce groupe d’âges particulièrement vulnérable, contre la perte de leurs chances d’emploi.

Les autres provinces dont les lois sur les droits de la personne contiennent des définitions semblables de l’âge, et qui semblent viser le même objectif, sont: l’Alberta, Individual’s Rights Protection Act, R. S. A. 1980, c. I- 2, art. 38( a), (de 45 à 65 ans); la Nouvelle- Écosse, Human Rights Act, C. S. N. S. 1979, H- 24, art. 11B( 1), (de 40 à 65 ans); la Colombie- Britannique, Human Rights Code, R. S. B. C. 1979, c. 186, art. 1, (de 45 à 65 ans). On estimait que la définition antérieure dans le Code de la Colombie- Britannique n’était pas exhaustive étant donné qu’il y était stipulé que la définition s’appliquait ... à moins que le contexte n’en exige autrement... (traduction) (S. B. C. 1973 (2è session), c. 119, art. 1). Par conséquent, le Code était appliqué lorsqu’il y avait discrimination contre un plaignant âgé de 31 ans: Burns v. Piping Industry Apprentice Board, (avril 1977), mais il a maintenant été modifié par la suppression de la disposition à moins que le contexte n’en exige autrement.

Dans d’autres dispositions l’âge est défini de façon plus large, dans l’intention sans doute de protéger un groupe plus étendu. Dans ces lois, l’âge est défini comme suit: Newfoundland Human Rights Code, R. S. N. 1970, c. 262, art. 9( 1) b), (de 19 à 65 ans); Ile- Du- Prince- Édouard, Human Rights Act, S. P. E. I. 1975, c. 72, art. 11( 1) a), (de 18 à 65 ans); Saskatchewan Human Rights Code, S. S. 1979, c. S- 24.1, art. 2 a), (de 18 à 65 ans).

Dans la Human Rights Act, R. S. N. B. 1973, c. H- 11 15.2, version modifiée, du Nouveau- Brunswick, l’âge est défini comme étant plus de 19 ans, sans aucun plafond.

La Charte québécoise des droits et libertés de la personne, S. R. Q. 1977, c. C- 12, et la Human Rights Act, S. M. 1974, c. 65, du Manitoba, ne contiennent aucune définition de l’âge. Étant donné que la définition de l’âge ne prévoit aucun plafond ni dans la loi du Manitoba ni dans celle du Nouveau- Brunswick, on s’en est servi pour constater de la discrimination fondée sur l’âge lorsqu’un employé était forcé de prendre sa retraite à l’âge de 65 ans: Derksen v. Flyer Industries Ltd. (le 2 juin 1977); Little v. St. John Shipbuilding and Drydock (1980), 1 C. H. R. R. D/ 1.

Dans le nouveau Ontario Human Rights Code, S. O. 1981, c. 53, article 9, entré en vigueur le 15 juin 1982, l’âge est défini comme suit:

Dans la Partie I et dans la présente Partie, a) l’âge signifie 18 ans ou plus, sauf dans le paragraphe 4( 1) où l’âge signifie 18 ans ou plus et moins de soixante- cinq ans;

(traduction)

L’article 4( 1) traite de discrimination en matière d’emploi. Or, la législature ontarienne estime que la discrimination fondée sur l’âge en ce qui touche les personnes de 65 ans est raisonnable en matière d’emploi, mais non lorsqu’elle survient dans un autre contexte. La définition de l’âge est beaucoup plus large qu’elle ne l’était dans l’ancien code ontarien, puisque les personnes âgées de 18 à 39 ans s’y trouvent maintenant protégées, ainsi que celles de plus de 65 ans dans les situations qui n’ont pas trait à l’emploi.

3. La portée de la protection statutaire Les lois canadiennes interdisent la discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi. Par exemple, l’article 4( 1) de l’ancien code ontarien stipule:

Nul ne doit, a) refuser de référer ou de recruter une personne en matière d’emploi;

b) congédier ou refuser d’employer ou de continuer d’employer une personne;

c) refuser d’entraîner, de promouvoir ou de muter un employé;

d) assujettir un employé à une probation ou un apprentissage ou allonger une période de probation ou d’apprentissage;

e) établir ou maintenir une classification ou catégorie d’emplois qui par sa description ou sa mise en oeuvre exclut une personne d’un emploi ou d’un emploi continu;

f) maintenir des lignes de progression pour avancement ou des listes d’ancienneté distinctes qui seraient défavorables à un employé; ou

g) discriminer à l’endroit d’un employé en ce qui a trait à une modalité ou condition d’emploi quelconque en raison de ... l’âge ... de cette personne.

(traduction)

Toutes les lois (sauf celles de l’Alberta, de l’Ile- Du- Prince- Edouard et du Québec) interdisent à un syndicat ouvrier, une organisation patronale ou une association professionnelle de faire de la discrimination fondée sur l’âge. Par exemple, l’article 10 de la loi albertaine stipule:

Nul syndicat ouvrier, organisation patronale ou association professionnelle ne doit

a) exclure une personne de son organisme, ou b) expulser ou suspendre un de ses membres, ou c) faire de la discrimination contre une personne ou un membre en raison de ... l’âge ... de cette personne ou membre.

(traduction)

Le code de la Colombie- Britannique prévoit également de façon expresse qu’un tel organisme ne doit pas sans cause raisonnable ... négocier, pour le compte de cette personne, une entente qui lui serait discriminatoire en contravention à cette loi. (art. 9( 1)( b)) (traduction). Dans une certaine mesure, cette disposition protège un syndiqué contre un contrat discriminatoire intervenu entre l’employeur et le syndicat. Dans d’autres juridictions, des contrats qui violent une loi sur les droits de la personne ont été jugés contraires à la politique publique et, par conséquent, non exécutoires.

A l’exception du Québec, de la Saskatchewan et de l’Ile- Du- Prince- Edouard, les lois provinciales interdisent la publicité discriminatoire fondée sur l’âge en matière d’emploi. Les lois de la Nouvelle- Écosse, de Terre- Neuve, du Nouveau- Brunswick, de l’Ontario et du Canada interdisent à un employeur d’utiliser une formule de demande visant des employés éventuels qui fait une discrimination fondée sur l’âge. Les lois de la Nouvelle- Écosse, de Terre- Neuve, du Nouveau- Brunswick et de l’Ontario interdisent également à un employeur de chercher à obtenir, oralement ou par écrit, des renseignements relatifs à l’âge auprès des postulants d’un poste. L’Ontario, la Colombie- Britannique, la Nouvelle- Écosse et le Nouveau- Brunswick interdisent aux agences de placement de faire de la discrimination fondée sur l’âge. Par exemple, l’article 22( 4) du code ontarien stipule:

Le droit au traitement égal en matière d’emploi, prévu à l’article 4, est violé lorsqu’une agence de placement fait de la discrimination à l’endroit d’une personne en raison d’un motif de distinction illicite en recevant ou classifiant un postulant qui se prévaut de ses services, en disposant de celui- ci ou en le référant à un employeur ou à l’agent d’un employeur.

(traduction)

C’est le plaignant qui a d’abord le fardeau de la preuve. Une fois qu’il a établi un cas de discrimination qui est apparemment fondé, c’est à l’intimé que revient le fardeau de justifier ses actions. Le plaignant doit faire une preuve prépondérante, soit le même degré de preuve exigible d’une partie dans une action civile. Dans Miller v. Minister of Pensions, (1974) 2 All E. R. 372, Lord Denning décrit ce degré de preuve comme suit:

Ce degré est bien établi. Il s’agit d’un degré de probabilité raisonnable, mais pas aussi élevé que celui exigé dans une cause criminelle. Si la preuve est telle que le tribunal peut dire: Nous croyons qu’il est plus probable qu’autrement, la partie s’est acquittée de son fardeau, mais si les probabilités sont égales, elle ne s’en est pas acquittée.

(traduction)

Lorsque le plaignant s’est vu refuser un emploi, ou qu’il a été renvoyé de son poste, conformément à une politique régulière qui établit une distinction entre les employés ou postulants fondée expressément sur l’âge, il lui sera facile de se décharger du fardeau de prouver un cas de discrimination qui, de prime abord, paraît fondé. Par exemple, dans Derkson v. Flyer Industries Ltd. (Manitoba, le 2 juin 1977), un employé bien coté dans son travail avait été renvoyé lorsqu’il avait atteint sa 65è année, la seule raison de son renvoi étant son âge. La commission a jugé que le plaignant avait démontré un cas de discrimination qui, de prime abord, paraissait fondé, et le fardeau retomba alors sur l’employeur, étant donné que la Human Rights Act du Manitoba ne contient aucun plafond d’âge quant à la discrimination fondée sur ce motif.

De même, dans Canadian Human Rights Commission v. Voyageur Colonial Ltd. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 239, le plaignant s’était vu refuser un poste de chauffeur d’autobus parce qu’il avait plus de 40 ans.

L’intimée admettait que sa propre pratique était de refuser de considérer les postulants au- dessus de 40 ans. Le tribunal s’exprimait comme suit à D/ 240:

L’admission de l’intimée et la preuve présentée subséquemment ont établi au- delà de tout doute que l’intimée a, depuis le premier mars 1979, ou avant, refusé d’employer à titre de chauffeur d’autobus des individus de plus de 40 ans. Dès lors, il appartenait à l’intimée de prouver que son refus découlait d’une exigence professionnelle normale.

(traduction

Il est plus difficile de démontrer un cas de discrimination apparemment fondé lorsque l’employeur n’a pas agi selon une politique d’emploi bien établie, et particulièrement lorsque plusieurs raisons justifient le renvoi.

La décision de la commission d’enquête de la Nouvelle- Écosse dans Goyetche v. French Pastry Shop Ltd. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 124, est explicite. Un pâtissier âgé de 60 ans était congédié après 41 ans de service, alors qu’on l’avisait que son poste était fermé à cause d’un ralentissement des affaires. Toutefois, le plaignant avait l’impression qu’il avait perdu son emploi à cause de son âge. Plusieurs témoins pour l’employeur, y compris des employés et des actionnaires de la pâtisserie, indiquaient que le plaignant était un travailleur inefficace et que les affaires étaient à la baisse. La commission rejeta la plainte pour défaut de preuve de discrimination.

En l’absence de preuve directe de discrimination fondée sur l’âge, une commission d’enquête peut, bien sûr, déduire qu’il y a eu discrimination à partir des circonstances. Dans la cause O’Brien v. Ontario Hydro (1981), 2 C. H. R. R. D/ 504, une commission d’enquête ontarienne (Professeur P. A. Cumming) s’est penchée sur la plainte d’un homme de 40 ans qui alléguait ne pas avoir été considéré pour un poste d’apprenti électricien en raison de son âge. Il avait rempli une formule de demande d’emploi pour le poste et téléphona par la suite à un agent du personnel de Ontario Hydro pour essayer de savoir quelles étaient ses chances d’obtenir le poste. L’employé en question avisa le plaignant que la plupart des individus de plus de 40 ans étaient embauchés en qualité d’électriciens journaliers et que la majorité des postulants aux postes d’apprenti étaient âgés de 18 à 28 ans. La preuve soumise par l’intimée démontrait qu’Ontario Hydro n’avait pas de politique corporative générale de discrimination fondée sur l’âge, et l’intimée témoigna à l’effet que le plaignant n’avait pas été considéré parce qu’on l’avait jugé surqualifié et que son expérience de travail démontrait un manque de stabilité. Ontario Hydro avait perdu la demande d’emploi d’O’Brien. La commission s’exprimait comme suit à D/ 517- 8:

Néanmoins, compte tenu de toute la preuve, je suis d’avis que l’âge est un facteur arbitraire relié au recrutement d’apprentis. Si M. O’Brien avait eu, disons 22 ans, avec ses antécédents en théorie électrique, je suis convaincu que M. Low l’aurait certainement encouragé, et que, d’une façon ou d’une autre, on se serait rendu compte éventuellement que sa demande s’était perdue, qu’il en aurait faite une autre et qu’il aurait été un candidat de choix, du moins jusqu’à l’étape de la première interview et de l’examen. Mais M. Low l’a découragé parce que son âge était un facteur important. Je ne crois vraiment pas que c’était ses antécédents variés qui ont fait la différence.

(traduction)

(4) La position légale des parties devant ce tribunal C’est aux plaignants et à la Commission canadienne des droits de la personne que revient le fardeau de prouver un cas d’acte discriminatoire qui, de prime abord, paraît bien fondé en vertu des articles 7 et 10, et qui découle de la politique d’emploi de l’intimé. Les motifs de distinction illicite sont spécifiés à l’article 3 et comprennent l’âge.

La Partie 1 de la loi établit les motifs de distinction illicite, reconnaît certains actes qui constituent des actes discriminatoires, et prévoit certaines exceptions statutaires aux actes discriminatoires.

L’article 7 prévoit: Constitue un acte discriminatoire le fait

  1. de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou
  2. de défavoriser un employé, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

L’article 10 prévoit: Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur ou l’association d’employés

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite, ou b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

La Partie III de la loi établit le droit des individus, des groupes d’individus et de la Commission de déposer des plaintes en rapport avec des actes discriminatoires auprès de la Commission, et l’article 39 permet à la Commission de constituer un tribunal chargé d’examiner les plaintes.

L’article 41 confère au tribunal le pouvoir de rejeter les plaintes non fondées, et en ce qui touche les plaintes fondées, d’ordonner, entre autres choses, que la personne mette fin à l’acte discriminatoire, qu’elle accorde à la victime les droits dont l’acte l’a privée, et qu’elle indemnise la victime de toutes les pertes de salaire et dépenses encourues.

Le tribunal peut ordonner à l’intimé de payer un montant additionnel (jusqu’à un maximum de $5,000) en indemnité si la personne a commis l’acte de propos délibéré ou avec négligence, ou si la victime a subi un préjudice moral par suite de l’acte discriminatoire.

Un principe fondamental du concept de discrimination est qu’il soit fait une préférence ou une distinction fondée sur les caractéristiques d’un individu, et qui n’a aucun rapport avec le mérite de cet individu. L’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne énumère les caractéristiques spécifiques en vertu desquelles la discrimination est interdite. De ce fait, ladite loi énonce que la protection de certaines classes d’individus qui, historiquement, ont été particulièrement vulnérables à la discrimination défavorable, est un élément de politique publique.

L’article 2 constitue un énoncé clair à la fois des principes fondamentaux sous- jacents et de l’objectif de la loi:

La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, aux principes suivants:

a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, la situation de famille ou l’état de personne graciée ou, en matière d’emploi, de leurs handicaps physiques;

L’essence même de la législation est l’avancement de l’égalité des chances d’épanouissement dans le cadre des valeurs normatives de notre société. Toutefois, la loi n’interdit la discrimination que lorsqu’elle est fondée sur des motifs très particuliers, et même la discrimination fondée sur ces motifs n’est pas tenue comme constituant un acte discriminatoire lorsqu’elle a lieu pour satisfaire une exigence professionnelle normale, tel que prévu à l’article 14 a), ou dans d’autres circonstances exceptionnelles énoncées dans la loi.

La croyance à l’égalité fondamentale de tous, qui est exprimée dans l’article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, est un principe essentiel à la structure sociale de la société canadienne et des démocraties libérales occidentales en général.

Tout énoncé sur la nature de la discrimination raciale est fondé, plus ou moins explicitement, sur un concept d’égalité des êtres humains, concept qui n’en est arrivé à son état actuelle que relativement récemment. Les origines de ce concept d’égalité humaine remontent à la croyance judéo- chrétienne traditionnelle dans la paternité de Dieu et, par conséquent, dans la fraternité des hommes, tout aussi imbue d’humanité et de sens l’une que l’autre.

... Cette perception de l’égalité fondamentale des hommes, en dépit des innombrables différences entre les individus, repose au coeur même de la pensée libérale et démocratique en Occident. (traduction)

A. Lester et G. Bindman, Race and Law, pp. 73- 4, Penguin, Angleterre, 1972.

Une société qui épouse une telle philosophie doit aussi être flexible dans ses pratiques d’emploi afin d’assurer que sa philosophie énoncée est plus que de simples paroles.

Discutant de ce qui constitue de la discrimination, lord Reid déclarait dans la décision de la Chambre des lords, Post Office v. Crouch, (1974) 1 All E. R. 229, a la page 238:

La discrimination suppose une comparaison. Ici, je crois qu’elle pourrait signifier, soit qu’en raison de la discrimination le travailleur est en plus mauvaise position qu’il ne le serait si la discrimination à son endroit n’avait pas eu lieu, soit qu’en raison de la discrimination il est en plus mauvaise position que quelqu’un d’autre dans une situation comparable mais qui n’a pas été victime de discrimination. La signification qui est choisie ne fait peut- être pas beaucoup de différence, mais je préfère la dernière qui me paraît être un sens plus naturel du mot, et le plus approprié au cas à l’étude.

(traduction)

Dans une décision américaine, en examinant la signification des mots discriminer et discrimination, M. le juge Burton déclarait en référence aux ordonnances générales de la ville de Dayton, Ohio:

"Discriminer" signifie faire une distinction favorable ou défavorable à l’endroit d’une personne ou d’une chose en fonction du groupe, de la classe ou catégorie auquel la personne appartient, plutôt qu’en fonction du mérite réel.

"Discrimination" signifie l’acte de faire une distinction favorable ou défavorable à l’endroit d’une personne ou d’une chose en fonction du groupe, de la classe ou catégorie auquel cette personne ou chose appartient, plutôt qu’en fonction du mérite individuel.

(traduction)

Courtner v. The National Cash Registry Co., 262 N. E. 2d 586 (1970). > 22 Or, la discrimination suppose une distinction entre des personnes fondée sur un point autre que le mérite. En refusant d’employer quelqu’un, aux fins de la Loi canadienne sur les droits de la personne un acte discriminatoire illégal est commis lorsqu’il est fondé sur l’un des motifs de distinction illicite énumérés dans l’article 3, et qu’il ne constitue pas une exception prévue dans la loi.

Dans Foreman et al. v. VIA Rail Canada Inc., (1980), 1 C. H. R. R. D/ 111, le tribunal (Franks D. Jones, C. R.), s’exprimait comme suit, à D/ 113:

Par conséquent, pour interpréter la Loi canadienne sur les droits de la personne, j’adopte les critères d’interprétation statutaires avancés par Dreidger à la page 67 auxquels je faisais référence plus tôt. En lisant la loi dans son ensemble, je suis d’avis que son objet n’est pas de créer une présomption à l’effet qu’un traitement différent constitue en soi de la discrimination, et la loi n’interdit pas toute discrimination, mais que son objet est de prévenir et d’éliminer certains actes discriminatoires. Certaines formes de distinction, par exemple celles qui sont fondées sur des exigences professionnelles normales, y sont expressément permises.

En matière d’emploi, les articles 7, 11 et 14 démontrent clairement que la loi ne cherche pas à obliger les employeurs à traiter tous les postulants ou employés de façon identique. Elle cherche à assurer l’égalité fondamentale en matière d’emploi en restant compatible avec d’autres objectifs comme, entres autres, les efforts visant à éliminer l’incompétence, les conditions dangereuses, l’inefficacité et la frustration découlant de certains travaux. Les dispositions de ces articles, ainsi que les articles 8, 9, 10, 16 et 17, démontrent que la loi tient compte de la nature spéciale du marché du travail, et elle est structurée en conséquence.

(traduction)

Cette décision fut portée en appel et renversée, mais seulement sur la question de savoir si une indemnité devait ou non être accordée: Butterrill, Foreman and Wolfman v. VIA Rail Canada Inc. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 233, renversée en partie (1981), 3 C. H. R. R. D/ 1043 (Cour d’appel fédérale)

Il est implicite dans la loi, et en particulier dans l’article 32, que le fardeau d’établir un cas qui paraît, de prime abord, bien fondé à l’effet qu’un employeur aurait commis un acte discriminatoire, repose sur le plaignant ou la Commission, ou les deux, et que l’on doit utiliser la norme de prépondérance de preuve pour évaluer si la ou les parties se sont acquittées de leur fardeau: Foreman et al. v. VIA Rail Canada Inc. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 111, à D/ 113; Little v. St. John Shipbuilding (1980), 1 C. H. R. R. D/ 1, à D/ 6; Bhinder v. Canadian National Railways (1981), 2 C. H. R. R. D/ 546.

Dans Bhinder, le tribunal jugea que pour en arriver à la conclusion qu’un acte discriminatoire en matière d’emploi avait été commis en violation de l’article 7 de la loi, l’intention de l’employeur n’était pas un prérequis. Il argumentait par analogie à partir de quelques décisions des commissions d’enquête provinciales dans lesquelles on avait maintenu que l’" intention" n’était pas un élément nécessaire en vertu de la législation provinciale: Bhinder v. Canadian National Railways, supra, à D/ 588- 9. Le tribunal soutenait que cette interprétation de la loi dans son ensemble était renforcée par l’article 41( 3) qui permet d’accorder une indemnité spéciale lorsqu’un employeur commet un acte discriminatoire de propos délibéré. Si l’on compare les articles 41( 2) et 41( 3), il est clair qu’un tribunal peut, en vertu de l’article 41( 2), ordonner différents remèdes sans qu’il soit nécessaire d’établir que l’intimé a agi de propos délibéré. L’élément de propos délibéré prévu dans l’article 41( 3) serait l’équivalent de l’" intention", et, par conséquent, il peut être soutenu qu’un tribunal n’a pas besoin d’être convaincu qu’un intimé avait l’intention de faire de la discrimination pour maintenir qu’un acte discriminatoire a été commis, l’intention n’étant un prérequis que dans le cas où un tribunal veut accorder l’indemnité spéciale prévue dans l’article 41( 3).

Toutefois, la Cour d’appel fédérale a récemment accordé au C. N. R. la permission d’interjeter appel de la décision C. N. R. v. Bhinder (le 13 avril 1983, les juges Heald et Kelly; le juge LeDain, dissident). Tous ont maintenu que selon l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, une intention ou motivation discriminatoire était nécessaire, ou, alternativement, un traitement différent fondé directement sur l’un des motifs de distinction illicite: le juge Heald à la page 2; le juge LeDain aux pages 16 et 17. Une majorité a maintenu qu’il en était de même de l’article 10, faisant une distinction avec la législation américaine pertinente: le juge Heald aux pages 2 à 9. Le juge LeDain était dissident, étant d’avis qu’en vertu du langage de l’article 10, les mots d’une manière susceptible d’annihiler rendent la discrimination indirecte illégale (page 17). Bien que la majorité ne partageait pas cette opinion, elle a négligé d’indiquer quel était l’effet de ces mots en vertu de son interprétation. Si l’article 10 n’embrasse pas la discrimination indirecte, il semblerait que les mots susceptible d’annihiler, en particulier, seraient superflus. En outre, quoique le tribunal ait expressément adopté l’interprétation de la Cour suprême du Canada de la défense fondée sur l’exigence professionnelle normale dans Ontario Human Rights Commission et al. v. Borough of Etobicoke (1982), 132 D. L. R. (3è) 14 (c’est- à- dire, le test à deux volets: le juge Heald aux pages 7 et 8), il n’a pas discuté de l’argument à l’effet que ce test implique forcément que l’intention de faire de la discrination n’est pas nécessaire pour établir qu’un acte discriminatoire illégal a été commis puisque, même si l’employeur réussit le test subjectif quant aux exigences normales, il doit quand même réussir le test objectif. Dans Bhinder le tribunal a approuvé les décisions de la Cour de division et de la Cour d’appel ontariennes dans Ontario Human Rights Commission v. Simpsons- Sears Ltd; (1982), 38 O. R. (2d) 423 (C. A.); 36 O. R. (2d) 59 (Div. Ct.), qui ont maintenu que l’intention de faire de la discrination était un élément nécessaire pour contrevenir à l’article 4( 1)( g): le juge LeDain à la page 14. La décision Simpsons- Sears est en appel devant la Cour suprême du Canada. Dans cette cause, la Cour de division n’a pas fait référence à la décision de la Cour suprême du Canada dans Etobicoke, sauf dans un Addenda du juge Smith, alors que la Cour d’appel en a fait une distinction sommaire sur les faits.

Selon nous, la décision Etobicoke signifie que même en l’absence de l’intention de faire de la discrimination fondée sur le sexe, l’âge ou la situation de famille, il est possible de violer le Ontario Human Rights Code, parce que la cour n’a pas examiné la disposition dérogatoire de l’article 4( 6) de cette législation qui n’entre en jeu que lorsqu’un employeur exige une qualification professionnelle de bonne foi, c’est- à- dire, sans intention de faire de la discrimination. Pour pouvoir se prévaloir de la disposition dérogatoire, l’employeur devait également établir que l’exigence professionnelle était en fait reliée à la performance du travail en cause.

Nous sommes respectueusement d’avis que la décision de la Cour de division est incompatible avec la décision antérieure de la Cour suprême du Canada dans Etobicoke.

Dans un Addenda à ses raisons dans Simpsons- Sears, le juge Smith semblerait de la même opinion puisqu’il fait référence à la décision Etobicoke dans les termes suivants:

Depuis l’audition du présent appel et la formulation de ces raisons, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans The Ontario Human Rights Commission et al v. The Borough of Etobicoke.

... Il y a une différence entre la cause Etobicoke et celle- ci, en ce que nous devons voir dans la législation ce qui y est clairement énoncé, notamment les exigences normales. A mon avis, la cause Etobicoke démontre que dans un cas comme celui- ci l’intention n’est qu’un facteur parmi tant d’autres et que, par conséquent, il ne faut pas en faire une condition essentielle. Après avoir concédé l’honnêteté du mobile, l’affaire n’est pas close pour autant; les considérations objectives entrent alors en jeu. (traduction)

Avec le plus grand respect, notre opinion en qualité de tribunal est que la décision dans Simpsons- Sears est incompatible avec celle d’Etobicoke du fait que, pour une raison quelconque, la cour avait erré dans Bhinder, décision qui est aussi en appel devant la Cour suprême du Canada.

De toute façon, même si la décision majoritaire de la Cour d’appel fédérale dans Bhinder est juste dans son interprétation, il semblerait qu’en vertu des articles 7 ou 10, l’intention ou la motivation ne soit pas un élément nécessaire à la commission d’un acte discriminatoire lorsqu’il s’agit d’un traitement différent fondé directement sur l’un des motifs de distinction illicite. C’est le juge LeDain qui expose ce principe le plus clairement aux pages 13, 14, 16 et 17, mais le juge Heald l’incorpore également dans sa définition de la discrimination illicite à la page 2. Dans le cas qui est devant le présent tribunal, il est indiscutable que selon sa politique d’emploi, Air Canada faisait une distinction fondée sur l’âge, et que ce traitement différent était nettement intentionnel. Or, la décision Bhinder ne s’applique pas à la cause à l’étude.

Pour établir s’il y a eu ou non de la discrimination fondée sur l’âge, un tribunal doit faire une constatation de fait à l’effet que l’âge du plaignant constituait le fondement de la décision de l’intimée de lui refuser des services ou de refuser de l’employer. Lorsqu’un employé est renvoyé uniquement à cause de son âge, la situation est relativement claire. Par exemple, dans le cas d’un opérateur de tour, dont le rendement était satisfaisant, qui fut renvoyé lorsqu’il atteignit l’âge de 65 ans, une commission d’enquête manitobaine constata que la seule raison pour laquelle M. Derkson fut mis à la retraite ... était qu’il avait atteint l’âge de 65 ans (traduction): Derkson v. Flyer Industries Ltd. (juin 1977), à la page 35.

Par contre, lorsque l’âge n’est pas vraiment un motif de renvoi d’après la preuve déposée, il n’y a pas, bien sûr, de discrimination fondée sur ce motif en vertu de la législation sur les droits de la personne. La cause ontarienne Peterson and Carter v. Canadian Rubber Dealers (1980), 1 C. H. R. R. D/ 257, en est un exemple. Les plaignantes alléguaient qu’elles avaient été renvoyées en raison de leur âge. A l’audition, Mme Peterson laissa tomber sa réclamation.

La commission d’enquête (le professeur Ian Hunter) constata que l’intimée n’avaient pas renvoyé Mme Carter, une serveuse, à cause de son âge. En fait, elle venait tout juste d’être embauchée et l’intimée savait qu’elle avait 52 ans. La commission déclara que le renvoi de la plaignante n’était pas en fait contraire à l’article 4( 1) du Ontario Human Rights Code, étant donné qu’on lui avait offert un autre emploi auprès de la compagnie et qu’elle l’avait refusé. La commission constata également que l’âge n’avait pas été un facteur dans la décision de l’intimée à l’endroit de Mme Carter. La façon dont elle avait été traitée était plutôt attribuable aux plaintes des clients au sujet de ses disputes avec Mme Peterson, et du temps qu’elle mettait à s’acquitter de ses fonctions de serveuse.

Compte tenu que la loi manitobaine ne prévoit aucune limite d’âge lorsqu’il s’agit de discrimination fondée sur ce motif, dans Derkson la commission (le professeur Jack R. London) constata que l’intimé avait commis un acte discriminatoire à l’endroit du plaignant selon les dispositions de la loi. Suite à cette constatation, elle déclara à la page 37:

C’est l’employeur qui a dès lors le fardeau de démontrer, s’il le peut, qu’il n’a pas violé la loi sur les droits de la personne en faisant valoir l’une des défenses d’exception prévues dans la loi.

(traduction)

Le tribunal fait face à une situation plus difficile lorsque le refus d’emploi est motivé par plusieurs raisons. Dans Burns v. Piping Industry Apprenticeship Board (Colombie- Britannique, avril 1977), on avait refusé d’entraîner un postulant comme apprenti plombier. Ce dernier était âgé de 31 ans, alors que, selon ses normes, le comité d’apprentissage n’acceptait que des postulants âgés de 18 à 25 ans. Après avoir pesé la validité des autres motifs possibles pour le rejet de la demande de Burns, la commission d’enquête déclara:

... [N] ous en sommes arrivés à la conclusion que la raison prédominante du refus de la demande du plaignant relative à son inscription auprès de la P. I. A. B., était qu’il n’entrait pas dans la norme d’âge prévue, soit de 18 à 25 ans...

(traduction)

Après avoir constaté que le plaignant avait été victime de discrimination fondée sur l’âge, la commission rejeta la plainte sur les autres motifs. En appel, la Cour suprême de la Colombie- Britannique maintint la décision: (1978) 2 W. W. R. 22.

Un tribunal qui constaterait que le refus d’un employeur d’embaucher un plaignant est fondé sur plus d’un motif, dont un seulement est prévu à l’article 7, pourrait accueillir la plainte comme étant fondée et ordonner le remède approprié en vertu de l’article 41. C’est- à- dire, que pour constater qu’une plainte est fondée, il suffit que l’acte discriminatoire soit l’une des causes étroitement reliée au refus d’emploi.

Dans Britnell v. Brent Personnel, Ontario (Ontario, juin 1968), il s’agissait d’une femme qui s’était vue refuser un emploi à titre de secrétaire de direction. L’intimée avança diverses raisons pour lesquelles elle n’avait pas retenu la demande de la plaignante, mais la commission (le professeur W. S. Tarnopolsky) constata que la vraie raison du rejet était l’âge de la plaignante. La commission s’exprimait dans les termes suivants à la page 15:

... [L] a loi [Age Discrimination Act, R. S. O. 1970, c. 7], de toute façon, rend ma décision plus facile du fait qu’elle n’attache aucune qualification à l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge. L’article 5( 1) ne dit pas strictement en raison de l’âge, ni l’âge exclusivement. L’expression âge n’est qualifiée que dans l’article 1 a) comme étant tout âge de quarante ans ou plus et de moins de soixante- cinq ans.

(traduction)

Cette interprétation laisse sous- entendre que toute constatation à l’effet que l’âge est une cause étroitement reliée au traitement réservé au plaignant entraîne une violation de la loi. Cette loi, Age Discrimination Act, fut par la suite abrogée, et la discrimination fondée sur l’âge incorporée dans l’Ontario Human Rights Code.

Dans une cause de la Colombie- Britannique, Wilson v. Vancouver Vocational Institute (le 4 juin 1976), l’institut professionnel de Vancouver avait renvoyé une dame de 56 ans d’un cours d’arts graphiques. Elle avait complété les deux premières parties du cours, mais on refusait de la laisser continuer. L’institut alléguait, entre autres, qu’elle était maladroite, que les autres étudiants se plaignaient de son comportement dans la salle de cours, et qu’elle représentait un risque à la sécurité. Au nom de la commission, Carolyn Gibbons disait à la page 4:

Dans un cas de refus de services ou d’installations [interdit par l’article 3( 1)] où les raisons avancées ne sont pas sérieuses, lorsque l’âge et le sexe sont des facteurs en cause, la commission peut déduire qu’il y a eu en fait discrimination. ... Quand il s’agit d’une évaluation subjective et que des facteurs comme l’âge et le sexe jouent un rôle, on peut établir un cas de discrimination qui paraît, de prime abord, bien fondé, si un refus de services ou d’installations a eu lieu suite à cette évaluation.

(traduction)

Une commission d’enquête ontarienne (le professeur D. A. Soberman) décidait de façon semblable dans la cause Hawkes v. Brown’s Ornamental Iron Works (le 12 décembre 1977). La plaignante, Mme Hawkes, avait décidé à l’âge de 51 ans d’apprendre le métier de soudeuse en vue d’obtenir un emploi. Les intimés avaient d’abord convenu de l’engager, mais changèrent d’idée par la suite. La commission en vint à la conclusion que cette décision postérieure était due au fait que les intimés croyaient que Mme Hawkes était trop âgée pour répondre aux exigences de l’emploi. La commission s’exprime comme suit à la page 13:

... Mme Brown ne croyait pas que Mme Hawkes pouvait faire le travail, non pas à cause de facteurs relatifs à sa santé ou à son poids ou sa stature, mais à cause de son âge et d’une présomption qu’elle n’avait pas eu suffisamment d’expérience de travail physique lourd. Par conséquent, je suis d’avis que l’âge de Mme Hawke a été une considération importante dans la décision de Mme Brown.

(traduction)

Étant donné que l’âge était une considération importante la commission examina la question de savoir si elle équivalait à de la discrimination en vertu de l’article 3( 1) b) du Ontario Human Rights Code, à la page 13:

Si l’âge de Mme Hawke était l’unique raison ou la raison dominante de la décision de Mme Brown, l’article 4( 1) b) de l’Ontario Human Rights Code pourrait avoir été violé. Par contre, le code n’est pas violé si le refus d’embaucher un postulant est fondé sur une opinion erronée en ce qui touche la capacité physique du postulant en question. Quel est l’effet d’un refus d’embaucher qui est appuyé sur des raisons en partie étrangères au code et en partie contraire à celui ci?

(traduction)

La commission s’en reporta à l’interprétation de l’article 110( 3) du Code canadien du travail, S. R. C. 1970, c. L- 1 dans la cause R v. Bushnell Communications Ltd. et al (1973), 1 O. R. (2d) 442 (H. C.); confirmée (1974), 4 O. R. (2d) 288 (C. A.). Dans cette cause, le défendeur avait renvoyé un employé membre d’un syndicat ouvrier. En examinant la question de savoir si l’employé avait été renvoyé en raison de son appartenance au syndicat, le juge Hughes dit à la page 447 du jugement:

Si le fait que l’employé appartenait à un syndicat ouvrier était dans l’esprit de l’employeur lorsqu’il a pris la décision de le renvoyer, que ce soit en tant que raison principale ou accidentelle, ou en tant qu’une des raisons, sans égard à la priorité, l’employeur a transgressé l’article 110( 3) du Code canadien du travail.

Le professeur Soberman s’exprime comme suit à la page 16: Il s’ensuit que si l’âge était dans l’esprit de Mme Brown lorsqu’elle refusa d’employer Mme Hawkes, elle a violé l’article 4( 1) b) de l’Ontario Human Rights Code, sans égard au fait qu’elle pouvait avoir aussi d’autres raisons.

(traduction)

Les tribunaux ont adopté ce raisonnement dans quelques causes subséquentes en citant Bushnell comme autorité. Voir, par exemple, Robertson v. Metropolitan Investigation Security Ltd. (Ontario, le 10 août 1979), et Reid v. Russelsteel Limited (1981), 1 C. H. R. R. D/ 400.

On a aussi suivi cette approche dans une cause albertaine: Godowsky v. School Committee of the Court of Two Hills, No. 21, (le 14 août 1979). Dans cette cause, la plaignante avait été forcée de prendre sa retraite à l’âge de 62 ans, plutôt que d’accepter un changement déraisonnable dans son poste d’enseignante. Pour établir que Mme Gadowsky avait été victime de discrimination fondée sur l’âge, à la page 8:

... la commission doit être convaincue qu’elle faisait face à un changement défavorable dans son statut et que l’âge était un facteur qui influençait ce changement de statut.

(traduction)

En évaluant les facteurs de la décision du comité scolaire, la commission s’en référa, avec approbation, à un sommaire du droit dans un article du professeur Ian Hunter: Human Rights Législation in Canada: Its Origin, Development and Interpretation (1976), 15 U. W. O. L. Rev. 21, à la page 32:

... Les commissions d’enquête canadiennes ont constamment maintenu qu’il suffisait que le motif de distinction illicite soit présent dans l’esprit de l’intimé, quelque petite que soit la part qu’il ait pu jouer dans la décision éventuelle.

(traduction)

Une commission d’enquête ontarienne (le professeur P. A. Cumming) passait en revue les causes canadiennes dans Iancu v. Simcoe County Board of Education (1983), 4 C. H. R. R. D/ 1203, à D/ 1204- 1207. Elle s’exprimait comme suit à D/ 1204:

Lorsque le renvoi d’un employé est appuyé de plusieurs raisons, dont seulement une est un motif interdit, le fait que ce motif interdit soit présent suffit pour créer une infraction pourvu qu’il constitue une cause étroitement reliée au renvoi.

(traduction)

Les tribunaux des États- Unis ont adopté une approche semblable. Dans Polstorff v. Fletcher, 452 F. Supp. 17 (1978), le juge Guin disait à la page 23:

La loi sur la discrimination en matière d’emploi (ADEA) protège les personnes dans le groupe d’âges entre 40 et 65 ans. Ladite loi avait pour but d’alléger les souffrances économiques et psychologiques sérieuses des personnes dans ce groupe d’âges, souffrances causées par des préjugés et de la discrimination déraisonnables en matière d’emploi.

... En bref, la loi ne cherche qu’à faire échec aux politiques et pratiques arbitraires des employeurs de classifier les employés ou les employés éventuels en fonction de l’âge. Elle ne cherche pas à faire entrave aux décisions des employeurs quant à l’évaluation individuelle des compétences, des capacités ou du potentiel d’une personne. (Le juge Robson dans Magruder v. Selling Areas Marketing, Inc. (1977), 439 F. Supp. 1155, à la page 1164)

(traduction)

Étant donné que le but de la législation est d’exiger que les employeurs évaluent les gens en fonction du mérite plutôt que de l’âge, l’interprétation de ce qui constitue de la discrimination doit être compatible avec cet objectif. Dans Wells v. Franklin Broadcasting Corp., Me., 403 A 2d 771 (1979), une décision mettant en cause la Human Rights Act, 5 M. R. S. A., articles 457- 72 (1979), du Maine, le juge en chef McKusick disait:

L’objectif de ... l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge est d’assurer que c’est la performance, non pas l’âge, d’un employé qui établira sa valeur sur le marché du travail et sa sécurité d’emploi.

Cet objectif serait affaibli si, pour avoir gain de cause..., un employé devait avoir à établir que son âge était l’unique facteur, plutôt qu’un facteur substantiel, relatif à son renvoi. (traduction) ... Par conséquent, nous maintenons que dans un cas de discrimination fondée sur l’âge..., même si la décision de renvoyer un employé comporte plusieurs facteurs, ce dernier peut obtenir gain de cause si l’âge constitue l’un des facteurs et qu’il a, en fait, fait une différence pour déterminer si l’employé devait être retenu ou renvoyé.

(traduction)

Dans Langesen v. The Anaconda Company, 510 F. 2d 307 (1975), le plaignant en appelait d’un procès par jury dans lequel le juge avait dit dans ses directives que l’âge devait être l’" unique" raison du renvoi du plaignant. En renversant la décision de la Cour de district, le juge Engel indiquait à la page 317:

Quelle que soit la façon de l’exprimer, nous croyons qu’il était essentiel que le jury comprenne, à partir des directives, qu’il pouvait y avoir plus d’un facteur relatif à la décision de le renvoyer et qu’il pouvait quand même obtenir gain de cause si l’un des facteurs était son âge et si, en fait, celui- ci a fait une différence pour déterminer s’il devait être retenu ou renvoyé.

(traduction)

On a suivi cette décision dans deux causes récentes: Carpenter v. Continental Trailways, 446 F. Supp. 70 (1978), et Cunningham v. Central Beverage Inc.. 480 F. Supp. 59 (1980).

Le raisonnement qui précède est approprié pour interpréter la Loi canadienne sur les droits de la personne. En résumé, si un tribunal des droits de la personne constate que l’âge d’un plaignant était un facteur étroitement relié au comportement de l’intimé envers le plaignant, même si d’autres facteurs sont aussi en cause, il y a alors un cas de discrimination illégale qui paraît, de prime abord, bien fondé. L’âge doit toutefois être une cause étroitement reliée au traitement discriminatoire.

Des âges minimal et maximal en matière d’emploi sont prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, S. R. C. 1976- 77, c. 33, dans certaines circonstances. L’article 14 de la loi stipule:

Ne constitue pas des actes discriminatoires b) le fait de refuser ou de cesser d’employer un individu

(i) qui n’a pas atteint l’âge minimal, ou (ii) qui a atteint l’âge maximal prévu pour l’emploi en question par la loi ou par les règlements que peut établir le gouverneur en conseil pour l’application du présent alinéa; [ou]

c) le fait de mettre fin à un emploi en appliquant la règle de l’âge de la retraite en vigueur dans le secteur professionnel concerné;

Dans Arnison v. Pacific Pilotage Authority (1980), 1 C. H. R. R. D/ 138, le nom du plaignant avait été retiré d’une liste d’admissibilité pour service à titre de pilote de rivière lorsqu’il atteignit sa 50è année. Conformément aux règlements en vertu de la Loi sur le pilotage, S. C. 1970- 71- 72, c. 52, les requérants de permis de pilotage doivent être âgés d’au moins 23 ans et d’au plus 49 ans.

Le tribunal examina la question de savoir si l’article 14 b) (ii) de la Loi canadienne sur les droits de la personne permettait d’imposer un plafond d’âge dans une loi ou des règlements établis par le gouverneur en conseil. En vertu de l’article 42 de la Loi sur le pilotage, le gouverneur en conseil ne peut que prescrire les qualifications minimales ... relatives à l’âge, et il fut soutenu que ceci ne conférait pas le pouvoir d’établir un âge maximal. Or, le tribunal constata que le gouverneur en conseil avait dépassé son autorité en établissant un âge maximal dans les règlements. Il ordonna que le nom du plaignant soit placé en tête de la liste d’admissibilité.

L’autorité visée interjeta appel de la décision du tribunal devant la Cour d’appel fédérale: (1980), 1 C. H. R. R. D/ 225. Le juge LeDain maintint à D/ 226, que l’établissement d’un âge maximal équivalait à prescrire des qualifications minimales dans les règlements conformément à l’article 42 de la Loi sur le pilotage. Par conséquent, en établissant un âge maximal le gouverneur en conseil n’agissait pas en dehors de sa compétence. Or, la cour maintint que la déqualification du plaignant ne constituait pas un acte discriminatoire. Dans White v. Minister of Public Works Canada (1980), 1 C. H. R. R. D/ 136, le plaignant alléguait discrimination fondée sur l’âge contrairement à l’article 7 b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il avait été mis à la retraite à l’âge de 65 ans après un peu plus de trois ans de service auprès du Ministère. Il alléguait la discrimination du fait que s’il avait simplement été mis à pied, il aurait reçu une indemnité pour rupture de contrat.

En vertu de la convention collective en vigueur, les employés mis à pied avaient droit à l’indemnité pour rupture de contrat, tout autant que les employés admissibles à une pension. Toutefois, pour être admissible à une pension, un employé devait avoir complété au moins cinq ans de service donnant droit à la pension. Or, M. White n’avait pas droit à l’indemnité pour rupture de contrat étant donné qu’il avait été mis à la retraite, non pas mis à pied, et qu’il n’avait complété qu’un peu plus de trois ans de service ouvrant droit à la pension.

Le président du tribunal (William Tetley, C. R.) rejeta la plainte. Il indiqua que le plaignant n’avait pas été victime de discrimination fondée sur l’âge puisqu’à la lumière de l’article 14 b) et c) de la loi, la mise à la retraite en soi n’était pas un acte discriminatoire, et que le fait de ne pas avoir droit à l’indemnité pour rupture de contrat était une question d’années de service, non pas d’âge.

Constatations relatives à la discrimination apparemment fondée sur l’âge

Dans le cas qui nous intéresse, la Commission canadienne des droits de la personne et cinq individus attaquent la politique d’emploi de l’intimée, Air Canada, en ce qui touche le plafond d’âge qui était un facteur essentiel dans la décision de cette dernière de ne pas retenir les candidatures des individus en question pour des postes de pilotes. Les plaignants soutiennent qu’Air Canada a commis un acte discriminatoire interdit par l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne du fait qu’elle a directement ou indirectement refusé de les employer en raison de leur âge, et que l’âge est un motif de distinction illicite prévu à l’article 3 de la loi.

Les plaignants soutiennent également qu’Air Canada a commis un acte discriminatoire en vertu de l’article 10 de la loi en se fixant ou en appliquant une ligne de conduite susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus pour un motif de distinction illicite.

L’intimée, Air Canada, a soutenu devant le tribunal de première instance qu’elle avait des raisons non rattachées à l’âge pour refuser l’emploi à chacun des plaignants, et que, par conséquent, elle n’avait pas commis d’acte discriminatoire. Le tribunal décida en faveur des plaignants, au motif que les demandes d’emploi en qualité de pilote avaient été rejetées en raison de l’âge, et ce contrairement à l’article 7 de la loi. En outre, M. Lederman constata que selon la politique d’embauche d’Air Canada, celle- ci exigeait des qualifications additionnelles lorsqu’un candidat était chronologiquement plus âgé qu’un autre. Or, le tribunal maintint que la ligne de conduite d’Air Canada était susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un groupe d’individus, soit ceux de plus de 27 ans, en raison de l’âge, contrairement à l’article 10 de la loi: pages 122 et 123 de la décision du tribunal (le 9 mars 1982). Le tribunal d’appel est d’accord avec les constatations de M. Lederman à l’effet qu’il semblait, de prime abord, y avoir eu violation des articles 7 et 10. Le facteur âge était étroitement relié à la décision de rejeter les candidatures des plaignants. En outre, un traitement différent était directement fondé sur un motif de distinction illicite. Par conséquent, il s’agissait d’une violation apparemment fondée, même selon l’interprétation restrictive des articles 7 et 10 que la majorité de la Cour d’appel fédérale a adoptée dans C. N. R; v. Bhinder (le 13 avril 1983).

La défense dérogatoire de l’exigence professionnelle normale de l’employeur, en rapport avec la discrimination fondée sur l’âge

La question difficile est celle de savoir si la défense d’Air Canada à l’effet que sa pratique d’embauche, qui apparaît de prime abord discriminatoire, est un cas de dérogation aux articles 7 et 10 permis par l’article 14 a) de la loi qui se lit comme suit:

Ne constituent pas des actes discriminatoires a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils sont fondés sur des exigences professionnelles normales;

La discrimination suppose une distinction entre des personnes fondée sur un motif autre que le mérite, et la distinction illicite, interdite par les articles 7 et 10, a lieu lorsqu’un acte discriminatoire est fondé sur un motif, tel l’âge, interdit par l’article 3, et que l’employeur ne peut justifier en vertu d’une disposition dérogatoire de la loi. Dans la présente cause, les plaignants ont établi un cas d’acte discriminatoire interdit par les articles 7 a) et 10 a) de la loi qui est apparemment fondé, et qui découle d’une exigence d’emploi de la part de l’intimée consistant à établir le plafond d’âge des postulants à 27 ans.

Compte tenu qu’un cas de discrimination apparemment fondé a été établi, il revient maintenant à l’employeur intimé d’apporter une preuve prépondérante justifiant l’application de la disposition dérogatoire 14 a) de la loi, à l’effet que sa politique ou pratique sont fondées sur une qualification professionnelle normale.

La disposition dérogatoire des exigences professionnelles normales de l’article 14 a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été interprétée pour la première fois par la Cour d’appel fédérale dans C. N. R. v. Bhinder, (le 13 avril 1983). Il y a toutefois quelques décisions judiciaires portant sur des dispositions semblables dans les législations provinciales sur les droits de la personne. Nous passerons sommairement en revue les dispositions dérogatoires dans les législations provinciales pour ensuite nous pencher spécifiquement sur l’article 14 a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Au cours des dernières années la société canadienne s’est montrée de plus en plus intéressée à la protection des droits de la personne, y compris la protection contre la discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi. Les conséquences psychologiques, sociales et économiques sur la personne qui se voit privée de son emploi, ou qui ne peut pas obtenir d’emploi, en raison de la discrimination de l’employeur à l’égard de son âge, sont indéniables.

Par contre, les employeurs et la société ont un intérêt certain à permettre à un employeur d’imposer des normes de travail, y compris une exigence relative à l’âge, lorsque de telles normes sont, dans une mesure raisonnable, nécessaires à l’exploitation légitime de son entreprise.

Nous devons tenir compte de l’efficacité économique, à la fois dans l’intérêt direct de l’employeur et aussi dans l’intérêt indirect de la société afin d’assurer la production efficace des biens et services à l’intérieur du Canada à des coûts compétitifs. La sécurité de l’employé, de ses compagnons de travail, et du public ainsi que le bien- être général de la société sont d’autres facteurs dont nous devons également tenir compte. Nous devons rechercher le juste équilibre entre les intérêts divergents de l’employé (et la valeur sociale sous- jacente que sa protection implique) et de l’employeur (et la valeur sociale sous- jacente que sa protection implique). Voir, par exemple, Foreman et al v. VIA Canada Inc. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 111, à D/ 112, et Lament v. Air Canada (1982), 34 O. R. (2d) 195 (H. C.).

Donc, dans certaines circonstances, les employeurs ont le droit de reconnaître que l’âge est un facteur qui affecte la capacité d’un employé, et d’agir en conséquence. Toutes les lois canadiennes sur les droits de la personne, sauf celle de la Nouvelle- Écosse, permettent la discrimination fondée sur l’âge lorsqu’il s’agit d’une qualification professionnelle normale ou qu’il existe une cause raisonnable de le faire. De même, la discrimination fondée sur l’âge est permise pour l’établissement "d’une caisse ou régime de retraite normal. Cette disposition se retrouve dans toutes les lois canadiennes pertinentes.

La plupart des décisions canadiennes portant sur l’exception relative aux exigences professionnelles normales furent rendues en vertu de l’article 4( 6) de l’ancien Ontario Human Rights Code, R. S. O. 1970, c. 318, version modifiée (subséquemment R. S. O. 1980, c. 340, art. 4( 6), abrogé par S. O. 1981, c. 53, art. 48), qui stipulait:

Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas à un cas de discrimination, restriction, spécification ou préférence fondée sur l’âge visant un emploi ou un travail ... lorsque l’âge constitue une qualification professionnelle normale pour l’emploi ou le travail en question.

(traduction)

Dans plusieurs décisions, il s’agissait de déterminer ce que signifie l’expression normale ou raisonnable. Dans Hawkes v. Brown’s Ornamental Iron Works of Belleville Ltd. (Ontario, le 12 décembre 1977), la commission d’enquête (le professeur D. A. Soberman) indiquait à la page 17:

[I] l semble clairement établi que le paragraphe [article 4( 1)( 6)] ne peut servir qu’à justifier la discrimination fondée sur l’âge lorsque l’intimé a réussi à convaincre la commission que la qualification repose sur des raisons valables.

(traduction)

Le professeur Soberman maintint que les raisons de l’employeur ne pouvaient pas être valables puisqu’il n’avait déposé aucune preuve démontrant que des hommes ou des femmes de plus de 50 ans n’auraient pas pu faire le travail.

Dans Derkson v. Flyer Industries, Inc. (Manitoba, le 2 juin 1977), la commission d’enquête était appelée à établir s’il existait une qualification professionnelle raisonnable ou un régime de retraite normal (articles 6( 6) et 7( 2) de la Human Rights Act, S. M. 1974, c. 65) pour renverser le cas de discrimination apparemment fondé du plaignant. La commission disait, à la page 38:

La dérogation à l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge contenue dans les mots qualification et exigence professionnelles normales pour la position ou l’emploi ne peut faire référence qu’à deux circonstances. La première est le cas où l’individu, uniquement en raison de son âge, n’a pas la capacité physique, mentale ou technique pour s’acquitter de ses tâches en qualité d’employé. Il reviendrait à l’employeur qui cherche à se prévaloir de cette exception de démontrer par une preuve convaincante que, dans les circonstances particulières, quelqu’un peut déduire que seul l’âge d’un employé le rend physiquement, mentalement ou techniquement inapte à exécuter ses fonctions. Le deuxième cas ... serait lorsqu’il est possible de démontrer que le public ou d’autres personnes pourraient être défavorablement affectés ou blessés parce qu’en raison de l’âge même de l’employé, il serait évident qu’il ne peut pas exécuter ses fonctions aussi sécuritairement que ne le ferait une personne plus jeune ... Encore une fois, l’employeur devra présenter une preuve substantielle démontrant l’incapacité ou l’affaiblissement de la capacité dus à l’âge de l’employé.

... Il me semble difficile d’interpréter les mots du paragraphe (2) de l’article 7 de façon à en arriver à la conclusion que l’adoption d’une règle d’âge de retraite obligatoire, avec ou sans avantages économiques à ce moment, constitue une modalité admissible d’un régime de retraite normal. Le fait que les mots retraite normal soient groupes avec les mots prestations ou pension suivant le mot régime, indique, à mon avis, que le type de régime envisagé dans l’article en est un qui prévoit des avantages économiques pour un employé une fois que celui- ci a atteint un certain âge, qu’il continue ou non à travailler, ou une fois qu’il a quitté son emploi auprès de la compagnie, soit volontairement ou pour cause. En outre, on utilise le mot régime et non pas politique. En bref, je ne crois pas que le simple fait de fixer un âge de retraite constitue une modalité relative au type de régime envisagé dans ce paragraphe. Le but de celui- ci est simplement d’assurer qu’un régime approprié puisse prévoir des distinctions ou des bénéfices différents selon l’âge. D’en conclure autrement pourrait sérieusement affecter le fondement actuariel de ces régimes, qui pourraient de ce fait fournir des bénéfices inadéquats.

(traduction)

L’interprétation du professeur London de la défense fondée sur la qualification professionnelle normale est à l’effet que la preuve doit démontrer que la capacité de l’employé est diminuée ou que celui- ci présente des risques de sécurité en raison de son âge, et la défense fondée sur un régime de retraite normal doit démontrer qu’il existe un régime d’avantages aux employés, et non pas simplement une politique fixant un âge de retraite obligatoire. On n’a pas réussi à établir ni l’une ni l’autre de ces défenses dans la cause Derkson.

Un tribunal du Nouveau- Brunswick s’est penché sur la question de la preuve nécessaire pour établir une qualification professionnelle normale dans la cause Little v. St. John Shipbuilding and Drydock Co. Ltd. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 1, à D/ 5:

... [S] i des tests médicaux sont possibles pour établir avec justesse l’âge biologique ou fonctionnel, ces tests éliminent alors la nécessité de faire de la discrimination fondée sur l’âge chronologique ... Si de tels tests médicaux ne sont pas possibles, Il est alors plus plausible qu’une qualification professionnelle fondée sur l’âge soit nécessaire.

... Lorsqu’il n’est pas pratique de faire des tests médicaux pour une raison quelconque, et que des données sont disponibles pour démontrer qu’il existe une probabilité raisonnable que des individus qui ont atteint un certain âge aient de la difficulté à rencontrer les normes de performance minimales acceptables pour un travail particulier, il pourrait logiquement être soutenu qu’une qualification professionnelle normale devrait exister; que la discrimination fondée sur l’âge chronologique est nécessaire.

(traduction)

La commission continuait en disant, à D/ 8:

... [D] ans les situations où la sécurité publique est un facteur important, le fardeau de démontrer l’existence d’une qualification professionnelle normale devrait être moins onéreux que dans les autres cas.

(traduction)

Or, comme le suggérait le tribunal dans Little, la défense d’exception peut reposer sur l’un ou l’autre de deux types de preuve établis. Dans les deux situations, l’employeur doit démontrer que la preuve médicale n’est pas disponible pour des raisons d’ordre pratique. D’une part, lorsqu’il est impossible d’obtenir une preuve médicale pour ces raisons, nous devrions reconnaître que l’âge constitue une qualification professionnelle normale si des statistiques disponibles démontrent une probabilité raisonnable qu’une incapacité d’effectuer un travail est susceptible de se faire sentir à un âge donné. D’autre part, lorsqu’une preuve médicale relative à la capacité est impossible pour les raisons susmentionnées, et si la sécurité de l’employé ou d’autrui est en cause, alors le fardeau d’établir la qualification professionnelle normale fondée sur l’âge est allégé.

Par conséquent, le genre de travail (y a- t- il un facteur de sécurité?) et la preuve de la capacité relative à l’âge (est- il impossible d’obtenir une preuve médicale pour des raisons d’ordre pratique?) sont les deux considérations importantes en matière de preuve. On a évalué ces facteurs dans une série de causes ontariennes en rapport avec des pompiers.

Dans la première de ces causes on examinait la prise de retraite obligatoire à l’âge de 60 ans d’un agent affecté à la prévention des incendies. Dans Re Ontario Human Rights Commission and City of North Bay (1977), 17 O. R. (2d) 607 (C. A.), il était mis en preuve que le travail du plaignant comportait un certain danger et causait du stress à la fois physique et mental du fait que la personne en cause était appelée à examiner des édifices endommagés par le feu. Aucune preuve médicale ne fut déposée à l’effet que le plaignant n’avait plus la capacité de s’acquitter des fonctions reliées à son emploi, mais quatre pompiers d’expérience témoignèrent dans les termes suivants:

... [I] is étaient d’avis que, dans l’intérêt de la personne elle- même et de ses compagnons de travail, à environ 60 ans une personne avait atteint les limites sécuritaires pour ce genre de travail.

(traduction)

Il s’agit d’une citation de la Cour de division (1977), 17 O. R. (2d), à la page 714, lors de la confirmation en appel de la décision de la commission d’enquête (le professeur R. S. Mackay, C. R.) dans Cosgrove v. City of North Bay (le 21 mai 1976), à la page 8.

Or, le professeur Mackay examina la nature du travail et la preuve déposée quant à l’incapacité. La Cour d’appel cita également l’interprétation du professeur Mackay de ce qui s’entend par exigences professionnelles normales, à la page 715:

... [B] ien qu’il soit essentiel qu’une limite soit adoptée ou imposée honnêtement ou avec des intentions sincères, elle doit être appuyée sur des faits, ou la raison, fondés sur la réalité pratique du monde du travail et de la vie.

A mon avis, la règle de l’âge de retraite obligatoire de 60 ans ... répond aux deux aspects des mots qualification normale. C’est une condition imposée honnêtement et, à la lumière des déclarations des témoins de la Corporation, déclarations que j’accepte, Il s’agit d’une condition raisonnable et juste dans le contexte particulier des pompiers. Ceux- ci (ainsi que les policiers) oeuvrent dans les domaines les plus dangereux en Ontario ...

(traduction)

Dans Hadley v. City of Mississauga (le 21 mai 1976), une seconde décision d’une commission d’enquête ontarienne, le plaignant était aussi un pompier qui avait été forcé de prendre sa retraite à l’âge de 60 ans. Toutefois, bien que la commission (le professeur S. N. Lederman) reconnut que le travail de pompier était dangereux, elle maintint la validité de la plainte parce que la ville n’avait présenté aucune preuve démontrant que la capacité d’un pompier se détériorait après l’âge de 60 ans au point où celui- ci représente inévitablement un danger. En ce qui concerne la preuve requise par un employeur pour établir l’exigence professionnelle normale, le professeur Lederman disait à la page 6:

C’est à l’employeur de prouver ce fait. Nous devons interpréter la dérogation prévue à l’article 4( 6) restrictivement et suivre le principe qui veut qu’en interprétant une loi humanitaire réparatrice qui répond à un but public, le fardeau de la preuve doit reposer sur l’intimé qui cherche à se prévaloir d’une dérogation à l’intention générale de la législation: Voir la Loi d’interprétation, R. S. O. 1970, c. 225, article 10: Weeks v. Southern Bell Telephone and Telegraph Company (1969), 408 F 2nd 228.

(traduction)

A la page 7, le professeur Lederman s’en reporta à la décision américaine, Hodgson v. Greyhound Bus Lines Inc., 499 F. 2d 859 (1974), dans laquelle il fut maintenu que l’employeur, pour s’acquitter de son fardeau de preuve, devait au moins démontrer un fondement rationnel de fait pour croire que le fait d’éliminer l’âge maximal d’embauche aurait vraisemblablement pour effet d’augmenter le risque de blessure. Toutefois, dans Hadley, l’employeur n’a pas avancé la moindre preuve, à la page 11.

Par conséquent, la commission n’a aucune preuve concrète devant elle qui pourrait porter à croire que l’âge est une qualification et exigence professionnelles normales pour un capitaine d’équipe. (traduction)

Une troisième décision d’une commission d’enquête ontarienne traitait des mêmes questions. Dans Hall and Gray v. IAFF and Etobicoke Fire Dept. (le 21 juillet 1977), la commission (le professeur Bruce Dunlop) suivait la décision Hadley. Le professeur Dunlop maintint que, étant donné qu’aucune preuve démontrant que les pompiers de plus de 60 ans étaient moins efficaces ou présentaient un risque plus élevé que des employés plus jeunes, l’intimé n’avait pas réussi à prouver une qualification professionnelle normale. Il dit qu’il avait entendu un témoignage impressionniste de la part du chef adjoint du département des incendies d’Etobicoke à l’effet que certains pompiers auraient plus de difficulté à s’acquitter de leurs fonctions après l’âge de 60 ans. Il s’est dit d’avis que cette preuve démontrait que les pompiers devraient être libres de prendre leur retraite à 60 ans, mais qu’ils ne devraient pas être forcés de le faire. Avant de pouvoir reconnaître que cette limite d’âge constitue une qualification professionnelle normale, la commission aurait besoin d’une justification médicale quelconque au moyen d’une preuve scientifique ou statistique.

La Cour de division de l’Ontario renversa cette décision: Borough of Etobicoke v. Hall et al. (1980), 26 O. R. (2d) 308. Au nom du tribunal, le juge O’Leary n’était pas d’accord avec la formulation de la défense fondée sur la qualification professionnelle normale de la commission d’enquête, à la page 316.

Il ne semble pas s’être penché du tout sur la question de savoir si en consentant à la règle de la limite d’âge, la municipalité avait agi honnêtement et avec des intentions sincères. Puis en exigeant une conclusion scientifique à l’effet que le risque devenait plus grand pour les pompiers eux- mêmes, leurs collègues ou le public en général, s’il leur était permis de continuer à travailler après avoir atteint l’âge de 60 ans, il demandait beaucoup plus de l’employeur que de simplement démontrer que la règle de la limite d’âge était appuyée sur des faits et la raison, fondés sur la réalité pratique du monde du travail. (traduction)

En fait, la cour insinuait que la défense fondée sur l’exigence professionnelle normale, pouvait réussir si l’intimé établissait qu’il avait agi avec des intentions sincères.

Toutefois, dans North Bay et Etobicoke, les deux commissions avaient appuyé sur le test à deux volets pour établir l’exigence professionnelle normale. Bien que la bonne foi ou la sincérité de l’intention constituait le premier volet du test, il y en avait un autre.

Dans North Bay le président Mackay disait: Le mot normale est le mot clé. Les dictionnaires de bonne renommée, qu’il s’agisse d’un dictionnaire général (comme Oxford et Webster) ou juridique (comme Black) définissent de façon régulière l’expression par un ou plusieurs des termes suivants: honnêtement, de bonne foi, sincère, sans fraude ou déception; réel, sans simulation ou prétexte, vrai. Ces termes laissent sous- entendre un motif, une norme subjective. Or, une personne peut honnêtement croire que quelque chose est juste et honnête même si objectivement sa croyance est sans fondement et déraisonnable. En ne considérant que cette norme subjective, je n’ai aucun mal à croire que la corporation lorsqu’elle a adopté le règlement 2085 et négocié la convention collective sur laquelle il est fondé, agissait honnêtement par opposition à malicieusement, en vue de décevoir ou en cachant un but détourné ou ultérieur.

Toutefois, ceci ne pourrait pas clore le débat, ni constituer l’unique sens attribuable au mot normale, car si tel était le cas, les normes seraient trop éphémères et les exigences d’un travail donné varieraient selon l’opinion personnelle de chaque employeur (y compris ses préjugés), en autant qu’il soit sincère, qu’importe jusqu’à quel point cette opinion puisse être déraisonnable ou indéfendable. Donc, une compagnie aérienne peut sincèrement croire que ses hôtesses de l’air ne devraient pas dépasser 25 ans. Toutefois, si elle exige une telle limite d’âge comme condition d’emploi, je ne doute aucunement qu’il soit impossible de faire accepter cette limite comme étant une qualification ou exigence professionnelle normale en vertu de l’exemption prévue à l’article 4( 6). Pourquoi? Parce qu’à mon avis, une telle limite est dépourvue de tout fondement dans la réalité ou les faits. En autres mots, bien qu’il soit essentiel qu’une limite soit adoptée ou imposée honnêtement ou, avec des intentions sincères, elle doit en outre être appuyée sur des faits ou la raison fondés sur la réalité pratique du monde du travail et de la vie (reprenant les mots de M. O’Neil dans son résumé). (traduction)

Il s’agit d’une citation tirée de la décision de la Cour de division (1977), 17 O. R. (1d) 712, à la page 715.

Dans Etobicoke, le professeur Dunlop indiquait: L’un des premiers points que la commission doit établir est la signification du mot normale, tel qu’il s’applique à une qualification et exigence professionnelle dans le contexte d’une loi interdisant la discrimination. L’un des objectifs du code est d’assurer que les gens âgés de quarante à soixante- quatre ans, qui dans le passé ont souvent été victimes de discrimination en matière d’emploi, ne sont pas privés de la chance de travailler à cause qu’ils sont regardés comme étant trop vieux. Si on les empêche d’occuper des emplois disponibles, que ce soit en raison de leurs déficiences, non pas en raison de leur âge. La clause dérogatoire de l’article 4( 6) tient compte du fait que des personnes entre quarante et soixante- quatre ans peuvent être trop âgées pour certains travaux. Le sens du mot normale qui semble le plus compatible avec cet objectif serait réelle ou vraie, c’est- à- dire qu’il existe une raison valable pour imposer une limite d’âge, et le fardeau de démontrer que la discrimination est justifiée revient à la personne qui soutient qu’elle est justifiée. (traduction)

Citation tirée de la décision de la Cour de division (1979), 26 O. R. (2d) 308, à la page 314.

La Cour d’appel de l’Ontario rejeta la demande d’appel du plaignant et de la commission aux motifs énoncés par le juge O’Leary. Un autre appel fut déposé devant la Cour suprême du Canada: Ontario Human Rights Commission et al v. Borough of Etobicoke (1982), 132 D. L. R. (3d) 14.

Le juge McIntyre, parlant au nom d’un banc unanime à permettre l’appel, accepta la définition de la qualification professionnelle normale formulée par la commission d’enquête dans la décision North Bay, dans laquelle il était stipulé aux pages 19 et 20:

Pour qu’il s’agisse d’une qualification et exigence professionnelles normales, comme la retraite obligatoire à un âge déterminé, elle doit être imposée honnêtement, de bonne foi, et en croyant sincèrement qu’une telle limite est imposée pour assurer que le travail en cause soit exécuté de façon adéquate et aussi rapidement, sécuritairement et économiquement que possible, et non pas pour des raisons visant des objectifs ultérieurs et étrangers qui pourraient détruire le but du code. En outre, elle doit, de façon objective, se rattacher à l’exécution du travail, c’est- à- dire qu’elle doit être, dans une mesure raisonnable, nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans exposer au danger l’employé lui- même, ses compagnons de travail et le public en général.

(traduction)

Le juge McIntyre maintint que la composante subjective de la cause avait été satisfaite, et passa à l’examen de la composante objective à la page 20:

Dans les cas où la capacité de l’employé est en grande partie une question économique, c’est- à- dire lorsque la préoccupation de l’employeur se situe au niveau du rendement et que les fonctions reliées à l’emploi n’exigent aucune compétence spéciale qui pourrait diminuer considérablement avec l’âge, ou des fonctions qui impliquent des dangers particuliers pour l’employé ou le public qui pourraient augmentés avec l’âge, il serait difficile, si non impossible, de démontrer qu’une prise de retraite obligatoire à un âge donné, sans égard à la capacité de l’individu, puisse être valablement imposé en vertu du code. Au fur et à mesure que la capacité de la personne qui occupe pareil emploi diminue, et que cette diminution devient évidente, l’employé peut faire l’objet d’un renvoi ou d’une mise à la retraite pour cause.

Il s’attarda davantage sur la nature de la composante objective du test à deux volets pour l’exception de l’exigence professionnelle normale, aux pages 20 et 21:

Lorsqu’il s’agit d’une occupation (comme c’est le cas des pompiers) pour laquelle... l’employeur cherche à justifier l’exigence en fonction de la sécurité publique, pour établir si celui- ci a démontré une qualification et exigence professionnelles normales, la commission d’enquête et le tribunal doivent voir si la preuve offerte justifie la conclusion à l’effet que le risque de défaillance chez les employés qui ont dépassé l’âge de la retraite obligatoire justifie la mise à la retraite anticipée de l’employé en cause pour sa propre sécurité, celle de ses compagnons de travail et du public en général.

(traduction)

Quant à la preuve que doit faire l’intimé, le juge McIntyre indiquait aux pages 22 et 23:

Il ne serait pas sage d’essayer d’établir une règle fixe quant à la nature et la suffisance de la preuve requise pour justifier un âge de retraite obligatoire au- dessous de 65 ans en vertu des dispositions de l’article 4( 6) du code. En analyse finale, c’est la commission d’enquête qui doit juger ces questions, toujours sous réserve des droits d’appel prévus à l’article 14d du code. Lorsqu’il s’agit d’un âge de retraite obligatoire, il semblerait impératif que la preuve démontre le rapport qui existe entre l’exécution sécuritaire et efficace des fonctions en cause et le processus de vieillissement. Plusieurs facteurs entreraient en jeu et il semblerait essentiel que la preuve démontre dans les détails la nature des tâches à exécuter, les conditions existantes dans le milieu de travail, et l’effet de ces conditions sur les employés, particulièrement sur ceux qui sont près de l’âge ou ont atteint l’âge de retraite obligatoire que l’on cherche à maintenir. Le processus de vieillissement en est un qui a retenu l’attention de la profession médicale et a fait l’objet de recherches substantielles et continue à le faire. Alors que la validité d’une limite d’âge doit reposer sur une preuve à l’effet que la sécurité publique serait compromise si des employés continuaient dans leurs fonctions après avoir atteint un certain âge, il semblerait nécessaire pour s’acquitter de son fardeau que l’employeur dépose de la preuve à ce sujet... car même si ce n’est pas toujours absolument nécessaire, dans les cas comme celui- ci, des statistiques et des données médicales fondées sur l’observation et la recherche sur la question du processus de vieillissement seraient certainement plus persuasives que les témoignages de personnes, bien que ces dernières aient plus d’expérience dans le domaine de la lutte contre les incendies, à l’effet que le métier de pompier est un champ d’action qui doit être réservé à des jeunes hommes.

(traduction)

La bonne foi d’Air Canada en tout temps dans la mise à exécution de sa politique d’embauche n’a pas été mise en doute. Néanmoins, en ce qui concerne le second volet du test dans Etobicoke, M. Lederman constata à la page 123, qu’Air Canada faisait face à des difficultés de taille. Le test de la nécessité commerciale exige que l’exigence professionnelle normale soit reliée, au sens objectif, à l’exécution du travail en cause, en ce qu’elle soit nécessaire pour assurer une performance efficace et économique du travail sans exposer au danger l’employé lui- même, ses compagnons de travail et le public en général.

M. Lederman en vint à la conclusion, aux pages 124 et 125 qu’Air Canada ne s’est pas acquittée de son fardeau consistant à démontrer, du point de vue de la nécessité commerciale, qu’il y a, en fait, des raisons de croire que tous les pilotes, ou un bon nombre de ceux- ci, âgés de plus de 27 ans et possédant des qualifications équivalentes à celles de candidats plus jeunes, sont incapables d’exécuter le travail sécuritairement et efficacement; ou qu’il est impossible ou peu pratique de mettre à l’épreuve les individus qui ont dépassé un certain âge sur une base individuelle avant qu’ils aient atteint l’âge de la retraite obligatoire pour assurer qu’ils répondent aux exigences rigoureuses en ce qui touche la sécurité. La preuve offerte ne permet pas d’en arriver à la conclusion que le risque de défaillance des pilotes qui ont plus de 27 ans justifie les restrictions d’âge dans l’embauchage imposées par Air Canada. Par conséquent, je trouve que les plaintes devant moi sont fondées. (traduction)

Quatre autres tribunaux canadiens des droits de la personne se sont récemment penchés sur l’exception de l’exigence professionnelle normale: Foreman et al. v. VIA Rail Canada Inc., Arnison v. Pacific Pilotage Authority, C. H. R. C. v. Voyageur Colonial and Canadian Motor Coach Association, et Bhinder v. Canadian National Railways.

Dans Foreman v. Via Rail Canada Inc. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 111, les plaignants avaient postulé des postes de serveur et serveuse sur les trains de l’intimée. Ils avaient tous été refusés au motif que leur capacité visuelle ne rencontrait pas la norme de l’employeur.

Ils alléguèrent la discrimination fondée sur le handicap physique, et l’employeur se prévalut de la défense de l’exigence professionnelle normale.

Le tribunal (Frank D. Jones, C. R.) adopta le test à deux volets de la décision North Bay, particulièrement la composante objective du test quant à savoir si l’acte de l’employeur était fondé sur la réalité pratique du monde du travail et de la vie, à D/ 111.

Il s’agissait d’un travail exigeant, impliquant de longues heures sur un wagon qui pouvait équivaloir à la longueur de quatre automobiles (D/ 115), et il était nécessaire d’avoir une capacité visuelle normale pour effectuer le travail qui comportait aussi un facteur de danger. Le tribunal pesa la preuve médicale soumise par les deux parties et en vint à la conclusion que l’exigence professionnelle normale n’avait pas été établie.

Dans Arnison v. Pacific Pilotage Authority (1980), 1 C. H. R. R. D/ 138, le nom du plaignant avait été enlevé d’une liste d’admissibilité pour un emploi de pilote de rivière lorsqu’il atteignit sa 50è année. Conformément aux règlements en vertu de la Loi sur le pilotage, S. C. 1970- 71- 72, c. 52, les requérants de permis de pilotage devaient être âgés d’au moins 23 ans et d’au plus 49 ans.

Le tribunal (R. G. Herbert) jugea que ces limites d’âge ne constituaient pas une exigence professionnelle normale selon l’article 14 a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il souligna que les pilotes étaient soumis à une période d’apprentissage, après quoi, ils doivent passer les tests médicaux et techniques normatifs qui sont imposés de temps à autre, durant lesquels on peut mesurer leurs capacités avec justesse. La Cour d’appel fédérale renversa la décision sur la question des exigences d’un âge minimal et maximal prescrites par la loi, plutôt que celle de l’exigence professionnelle normale: Pacific Pilotage Authority v. Arnison (1980), 1 C. H. R. R. D/ 225. Par conséquent, la cour n’a pas jugé nécessaire d’exprimer une opinion sur la défense fondée sur l’exigence professionnelle normale, à la page 27.

Dans Canadian Human Rights Commission v. Voyageur Colonial Ltd. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 239, le plaignant avait déposé une plainte concernant la politique de l’intimée de refuser d’employer à titre de chauffeurs d’autobus les postulants de plus de 40 ans. L’intimée soutint que la limite d’âge constituait une exigence professionnelle normale au sens de l’alinéa a) de l’article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

L’employeur prétendait que les nouveaux chauffeurs occupaient des postes inférieurs à cause du système d’ancienneté, qu’ils pouvaient être appelés n’importe quand et que leur horaire de travail était imprévisible dû à un systèm de mise en réserve, et que tous ces facteurs étaient des sources de stress. Le tribunal (R. D. Abbott) en vint à la conclusion que la capacité d’une personne de supporter pareilles sources de stress diminuait avec l’âge, qu’il fallait minimiser la tension dans l’intérêt de la sécurité publique, et que, par conséquent, l’employeur se devait d’éliminer les postulants qui pourraient avoir de la difficulté à supporter ce stress. La limite d’âge de 40 ans pour l’embauchage était une exigence professionnelle normale pour les raisons suivantes, à D/ 244:

[I] l n’existe présentement aucune façon de prédire la capacité d’une personne de faire face à ces tensions... [U] n indice raisonnablement fiable de la capacité de supporter ces tensions, est l’âge. Il est logique de croire que si la limite de 40 ans était éliminée, en l’absence d’un test de remplacement plus fiable, un certain nombre de nouveaux chauffeurs qui sont âgés de plus de 40 ans seraient vraisemblablement incapables de supporter les tensions qui découlent du manque d’ancienneté et du système de tableau de réserve, et le danger pour le public qui voyage en serait augmenté.

(traduction)

La décision de M. Abbott nous éclaire quant à la nature et la suffisance de la preuve qu’un employeur doit faire pour établir une exigence professionnelle normale. Il dit, à D/ 240:

Si j’étais appelé à me pencher sur la question d’établir si l’âge constitue une mesure appropriée de la capacité physique, alors je m’attendrais à ce que l’on m’ait soumis une preuve de nature scientifique et statistique pour démontrer le rapport entre l’âge et la capacité physique. Dans l’alternative, ou en plus, je m’attendrais à ce que l’on m’ait soumis une preuve empirique fondée sur des observations quant à la capacité des chauffeurs d’autobus, et autres, à faire face aux demandes physiques qui découlent de leur travail au fur et à mesure qu’ils avancent en âge. Mais dans le cas qui nous intéresse, aucune preuve fiable scientifique ou statistique n’a été présentée pour démontrer le rapport, le cas échéant, entre l’âge et la capacité de supporter le stress psychologique. Ni y a- t- il eu une preuve satisfaisante, fondée sur l’expérience ou l’observation, concernant cette question.

(traduction)

Les coordinateurs préposés à la sécurité de l’employeur, un médecin qui avait fait subir des tests aux postulants, et un psychologue dans le domaine industriel, témoignèrent pour l’employeur. A D/ 243, le témoignage du psychologue est à l’effet que la capacité de supporter le stress, particulièrement les changements brusques dans les conditions de travail, diminuait avec l’âge, et qu’il n’existait aucun test, ni qu’il était possible d’en élaborer un, pour prédire sur une base individuelle si un postulant âgé de 40 ans pourrait ou non supporter le système de tableau de réserve de l’intimée. Bien que le tribunal constata que l’employeur avait tout juste réussi à faire pencher la preuve en sa faveur, il maintint qu’une exigence professionnelle normale avait été démontrée. Il appliqua, en l’approuvant, le test à deux volets pour l’exigence professionnelle normale utilisé dans North Bay, à D/ 244. En ce qui touche la composante objective du test en question, le tribunal examina et approuva la décision américaine Hodgson v. Greyhound, 499 F. 2d 859 (7th Cir., 1974); cert. rejeté, 95 S. Ct. 805 (1975).

Dans Hodgson l’intimée soutenait que sa politique de n’embaucher que des personnes de moins de 35 ans comme chauffeurs d’autobus constituait une qualification professionnelle normale. Les témoignages d’agents de transport d’expérience appuyaient la prétention de l’intimée à l’effet que la limite d’âge était normale, mais le juge en chef Swygert, maintint que la preuve en soi n’était pas suffisante. Il s’exprimait comme suit à la page 863:

Le témoignage de ces agents, bien que persuasif compte tenu de leur grande expérience dans l’industrie du transport, n’est pas suffisant en soi pour établir l’existence d’une exigence professionnelle normale. A notre avis, la preuve de Greyhound est plus convaincante, en ce qui touche les difficultés que présentent les affectations en dehors de l’horaire prévu, les changements physiques dégénératifs et sensoriels chez l’être humain causés par le processus de vieillissement qui commence vers la fin de la trentaine, et les statistiques qui démontrent, entre autres choses, que le chauffeur le plus sécuritaire chez Greyhound est celui qui a acquis entre seize et vingt ans d’expérience au service de cette dernière; nombre d’années de service qu’un postulant de quarante ans ou plus ne pourrait jamais acquérir.

(traduction)

Donc, là où une preuve médicale et statistique était disponible, les simples opinions des agents expérimentés n’auraient pas été suffisantes pour établir la présence d’une exigence professionnelle normale. Dans cette situation particulière, une fois qu’une preuve médicale et statistique fut présentée, le tribunal maintint qu’étant donné qu’il serait impossible ou difficile de déceler tous les changements dégénératifs qui accompagnent le vieillissement, la limite d’âge était raisonnable.

Le tribunal fit aussi référence à la nature du travail d’un chauffeur d’autobus, à la page 863:

...[ U] n transporteur public comme Greyhound, responsable de la vie et du bien- être des passagers, doit continuellement s’efforcer d’employer les personnes disponibles les plus qualifiées pour conduire les autobus sur les lignes interurbaines, car l’objectif primordial d’un chauffeur d’autobus est la sécurité. Dû à l’importance du facteur de sécurité, Greyhound n’est pas tenue de démontrer que tous les chauffeurs d’autobus, ou la majorité des postulants en cette qualité, qui sont âgés de plus de quarante ans ne pourraient pas faire le travail de façon sécuritaire... Elle n’a qu’à démontrer que le risque serait tant soit peu plus élevé; car il lui suffirait d’établir que le fait de supprimer sa politique d’embauche pourrait mettre en danger la vie d’une seule personne de plus que c’est présentement le cas avec sa politique actuelle.

(traduction)

Aaron v. David, 414 F. Supp. 453 (1976), est une autre décision américaine sur la nature de la preuve requise qui traite de la question de l’âge de retraite obligatoire des pompiers. Le juge en chef Eisele indique à la page 461:

Il est évident que le degré de preuve requise d’un employeur est inversement proportionnel à la mesure inévitable du risque au public ou aux confrères de travail qui est inhérente aux exigences d’un emploi particulier et aux fonctions qui s’y rattachent. En autres mots, lorsque le dégré de risque est élevé et que les méthodes pour le diminuer (autre que la méthode d’un âge de retraite obligatoire) sont inadéquates ou incertaines, la méthode la plus arbitraire peut être celle de fixer un âge de retraite obligatoire. Mais en aucune circonstance la loi permet- elle, en deçà de la limite prévue dans la loi, de fixer un âge de retraite obligatoire entièrement fondé sur une idée, une intuition ou un stéréotype, c’est- àdire, sans justification empirique.

(traduction)

Or, étant donné qu’il n’y avait eu aucune preuve à l’effet que la suppression de la limite d’âge pourrait entraîner un risque substantiel, le tribunal en vint à la conclusion que la restriction ne constituait pas une exigence professionnelle normale. Il fit une distinction entre Greyhound au motif que dans cette dernière décision, on avait prouver le risque, et la détérioration n’était pas mesurable. Dans Aaron, on n’avait pas présenté de preuve de risque et, de toute façon, il était maintenu que les examens médicaux périodiques individuels révéleraient la détérioration dans les capacités des employés.

L’analyse du tribunal dans Hodgson est semblable à celle de la Cour suprême du Canada dans Etobicoke. D’après la preuve présentée par les employeurs, les tribunaux en vinrent à la conclusion que les deux occupations, soit celle du chauffeur d’autobus et du pompier, comportaient un facteur de sécurité publique de par la nature des tâches à exécuter. Pour s’acquitter de son fardeau, l’employeur devait aller plus loin et démontrer que le risque augmenterait s’il changeait sa politique relative au plafond d’âge. Pour ce faire, il doit présenter une preuve médicale et statistique sur la question du vieillissement. La nature et la suffisance de la preuve requise variera selon les circonstances de chaque cas, mais le fardeau de produire toute preuve médicale ou statistique disponible repose toujours sur l’employeur: Etobicoke, aux pages 22 et 23.

Lorsque de la preuve scientifique ou statistique est disponible, il faut l’utiliser pour établir la composante objective du test à deux volets. Or, dans Foreman v. VIA Rail, (1980), 1 C. H. R. R. D/ 111, le tribunal en vint à la conclusion que l’employeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de démontrer qu’il s’agissait d’une exigence professionnelle normale, étant donné qu’aucune preuve scientifique n’avait été produite. Il disait à D/ 117:

La question à laquelle nous devons répondre est celle de savoir si ces normes sont normales ou non d’après la réalité pratique du monde du travail. A mon avis, il n’y a aucune preuve qui démontre que tel est le cas. Les experts qui ont témoigné pour VIA Rail s’en sont tenus à déclarer qu’elles étaient raisonnables mais qu’il n’y avait aucun fondement scientifique à l’appui de cette prétention.

(traduction)

Dans Bhinder v. Canadian National Railways (1981), 2 C. H. R. R. D/ 50, le plaignant était un Sikh qui portait un turban pour des raisons religieuses. Il travaillait dans la cour de chemin de fer de l’intimée en qualité d’électricien, mais fut renvoyé lorsque l’employeur changea ses pratiques d’emploi en exigeant que tous les employés affectés à la cour portent des chapeaux de sécurité. Le plaignant ne pouvait pas s’y soumettre, parce qu’en ce faisant il aurait violé ses croyances religieuses. Or, il fallait établir, entre autres, si la demande de l’employeur de porter un chapeau de sécurité constituait une exigence professionnelle normale.

Dans une décision majoritaire, la Cour d’appel fédérale se servit d’Etobicoke pour interpréter la défense de l’exigence professionnelle normale de l’article 14 a) de la loi. Elle permit l’appel partiellement au motif suivant: étant donné que le tribunal en était arrivé à la conclusion que l’exigence de porter un chapeau de sécurité était reliée à l’exécution de son travail, [et] que les... employés... qui ne le portaient pas étaient plus susceptibles de subir des blessures, l’employeur s’était acquitté de son fardeau de démontrer une exigence professionnelle normale sur la base du test objectif: le juge Heald à la page 8. L’un des juges de la majorité indiqua également que l’employeur n’avait pas le devoir d’accommoder: le juge en chef adjoint Kelly à la page 3. Le 6 juin 1983, la Cour suprême du Canada accorda la permission d’interjeter appel de cette décision.

Dans sa dissidence, le juge LeDain aurait appuyé la constatation du tribunal à l’effet que l’employeur n’avait pas démontré qu’il s’agissait d’une exigence professionnelle normale. Il disait aux pages 21 et 22:

Dans la présente cause le tribunal adopta la position, et c’était la prétention du procureur de la commission et de Bhinder, que le devoir d’accommoder est un aspect nécessaire a l’application de la clause dérogatoire portant sur l’exigence professionnelle normale dans un cas particulier. C’est le corollaire du concept de l’effet défavorable ou indirecte de la discrimination que l’exception doit être examinée en rapport avec l’employé touché. Autrement la dérogation pourrait rendre le concept de la discrimination indirecte illusoire. Donc, il faut évaluer les divers facteurs, y compris l’effet discriminatoire, afin d’établir si l’exigence est raisonnablement nécessaire en ce qui concerne l’employé touché, et regarder si l’employeur ne pourrait pas l’exempter ou substituer une autre exigence sans causer de difficulté déraisonnable à son entreprise. ... C’est, à mon avis, une approche valable qui est ouverte, en tant que matière de droit, à un tribunal des droits de la personne en vertu de l’article 14 a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et elle n’est pas exclue par la définition donnée à l’exigence professionnelle normale par la Cour suprême du Canada dans la décision Etobicoke.

(traduction)

Nous allons maintenant examiner les causes types américaines et la défense fondée sur la qualification professionnelle normale.

Dans la cause Smallwood v. United Airlines Inc., 661 F. 2d 303 (4th Cir., 1981), cert. rejeté, 102 S. Ct. 1199 (1982), des questions semblables à celles devant le présent tribunal furent soulevées. United avait établi une limite d’âge de 35 ans pour les postulants au poste de pilote. Dans sa défense fondée sur la qualification professionnelle normale prévue dans la Age Discrimination in Employment Act, 29 U. S. C. articles 621 à 634, la compagnie prétendait que la sécurité aérienne serait défavorablement affectée si la limite d’âge n’était pas observée. Le tribunal de première instance en était arrivé à la conclusion que United avait réussi à démontrer que son exigence relative à l’âge constituait une qualification professionnelle normale. La Cour d’appel renversa la décision en appuyant sur le fait, à la page 307, que la clause dérogatoire de la qualification professionnelle normale devait être appliquée restrictivement et cita de la décision antérieure, Arritt v. Grisell, 567 F. 2d 267 (4th Cir., 1977), à la page 1271:

Pour justifier un refus d’embaucher en vertu de l’exception de la qualification professionnelle normale prévue dans la Age Discrimination in Employment Act, l’employeur doit réussir un test à deux volets, en démontrant:

(1) que la qualification professionnelle normale qu’il invoque est raisonnablement nécessaire à l’essence même de son entreprise... et

(2) que sa cause est raisonnable, c’est- à- dire, qu’il y a un fondement de fait pour croire que toutes les personnes, ou un nombre substantiel des personnes, dans la catégorie... seraient incapables d’exécuter sécuritairement et efficacement les tâches de l’emploi en cause, ou qu’il est impossible ou peu pratique d’examiner individuellement les personnes qui dépassent la limite d’âge.

(traduction)

A notre avis, ce test est semblable, en substance, à celui établi par la Cour suprême du Canada dans Etobicoke. Dans Smallwood, la Cour d’appel rejeta plusieurs arguments de United à l’effet que la sécurité serait défavorablement affectée si la limite d’âge était supprimée, du fait que la compagnie avait des dispositions en place prévoyant des examens médicaux pour ses pilotes de tous les âges, et que, par conséquent, elle n’avait pas démontré qu’il serait impossible ou difficile d’examiner les postulants individuellement: pages 308 et 309. Dans ces pages, la cour indiqua:

En première instance, il fut démontré de façon concluante que le programme d’examen physique de United était efficace pour découvrir les conditions physiques potentielles susceptibles de provoquer des incapacités, et que le degré de prévisibilité des problèmes cardiovasculaires était très élevé. Quant aux incapacités médicales futures, ces examens médicaux préventifs doivent donner le même degré de prévisibilité autant pour les nouveaux pilotes de 48 ans des autres compagnies aériennes que pour les pilotes de carrière de United. En bref, la preuve de United en première instance, bien que convaincante quant à l’incidence des problèmes médicaux chez les pilotes plus âgés et l’efficacité de son propre système d’examen, n’a pas démontré un rapport entre une limite d’âge maximal à l’embauche et la sécurité aérienne.

(traduction)

Par conséquent, l’appel de l’intimé de la décision de première instance en faveur de United fut accueilli.

Il s’agissait d’une situation semblabla dans Murname v. American Airlines Inc., 667 F. 2d 98 (D. C. Cir., 1981), cert. rejeté, 102 S. Ct. 1770 (1982). On n’a pas mentionné Murname dans la décision Smallwood qui ne fut transmise que sept jours plus tard. En première instance, American Airlines avait réussi à défendre sa politique de ne pas embaucher des personnes de plus de 30 ans à titre de seconds officiers en invoquant la qualification professionnelle normale pour faire de la discrimination en vertu de la Age Discrimination in Employment Act of 1967. L’article 623( f)( 1) de la loi stipule:

Un employeur pourra prendre toute action autrement interdite par [l’alinéa (a)]... du présent article lorsque l’âge constitue une qualification professionnelle normale raisonnablement nécessaire à l’exploitation normale de l’entreprise particulière, ou lorsque la distinction est fondée sur des facteurs raisonnables autres que l’âge.

(traduction)

La Cour d’appel confirma la décision du tribunal de première instance en faveur d’American Airlines au motif que la compagnie aérienne avait prouvé que la meilleure expérience qu’un pilote puisse avoir comme capitaine était de pouvoir prendre les commandes de l’avion dans n’importe quelle des trois positions dans la cabine. La cour indiquait aux pages 100 et 101:

"en n’embauchant que des pilotes relativement jeunes, American s’assure que ses capitaines actifs pourront acquérir le plus d’expérience possible. Ce qui, comme nous l’avons souligné plus tôt, permet une sécurité maximale". (traduction) > 66 En outre, la cour maintint, en se référant à Hodgson, que bien qu’il soit possible que la règle de la limite d’âge n’augmente que marginalement la sécurité, l’employeur avait démontré la qualification professionnelle normale. C’est- à- dire que, si la sécurité publique est en cause et qu’il existe la moindre possibilité d’augmentation du risque en supprimant la politique relative à la limite d’âge, et en assumant qu’il existe de la preuve médicale, statistique ou autre preuve scientifique à l’appui de la prétention de l’employeur à l’effet qu’une politique d’ensemble, plutôt que l’examen individuel, est la seule façon de minimiser le risque et d’améliorer la sécurité, il a démontré l’existence d’une qualification professionnelle normale.

American Airlines avait comme politique d’exiger que tous les seconds officiers avancent à la position de capitaine, et la compagnie n’embauchait personne sans avoir cet objectif à l’esprit. Cette politique était connue sous le nom de avancement ou renvoi.

Toutefois, Air Canada n’a pas de politique d’" avancement ou renvoi"; elle permet plutôt des carrières permanentes en qualité de premier et second officiers. En première instance, M. Lederman a fait une distinction entre Murname et la cause devant nous sur ce motif, aux pages 121 et 122:

Air Canada cherche à maximiser le nombre d’années de service d’un pilote à titre de capitaine afin d’obtenir un meilleur rendement sur son investissement dans une formation coûteuse. Toutefois, il n’y a rien dans la preuve devant nous qui porte à croire que la politique d’embauche d’Air Canada vise spécifiquement à donner le plus d’expérience possible à ses capitaines dans l’intérêt de la sécurité.

En fait, il ne s’agit pas d’une politique de la compagnie Air Canada, puisque cette dernière permet que des individus restent au niveau de premier ou second officier sans les obliger à essayer d’obtenir un poste plus élevé dans la cabine de pilotage. La promotion à une position plus élevée dépend des circonstances économiques d’Air Canada et du désir d’un pilote d’être promu lorsque l’occasion se présente. Lorsque cette occasion se présente, s’il désire garder son titre de second officier en permanence, et refuse la promotion, ou choisit d’avancer plus tard quand il lui sera plus commode de le faire, il frustre ainsi tout principe de maximisation de ses années de service en qualité de capitaine, expérience qu’il pourrait acquérir s’il était tenu de se conformer à une règle d’" avancement ou de renvoi". Par conséquent, en l’absence d’une telle règle, il serait difficile de soutenir que la politique relative à la limite d’âge d’Air Canada vise à augmenter la sécurité au moyen de la maximisation de l’expérience de son groupe de capitaines. Si ce tribunal devait donner effet au principe énoncé dans Murname dans les circonstances du présent cas, il agirait sur de la pure supposition ou de la preuve impressionniste plutôt que substantielle. (Voir Ontario Human Rights Commission v. The Borough of Etobicoke, supra, aux pages 8 et 9). La simple affirmation générale du capitaine Sanderson à l’effet que la compagnie regarde chaque postulant comme un capitaine éventuel du point de vue économique, ne peut conduire à la conclusion, justifiée par une preuve probante, que la politique d’embauche d’Air Canada est nécessaire, dans une mesure raisonnable, pour augmenter la sécurité publique. Bien que le fardeau d’Air Canada de démontrer qu’il s’agit d’une qualification professionnelle normale soit amoindri compte tenu de la nature dangereuse des fonctions d’un pilote, elle n’est pas soustraite à l’obligation de présenter une preuve crédible quant à l’importance de maximiser l’expérience de ses capitaines pour des raisons de sécurité. Par conséquent, considérant la nature de la preuve soumise au cours de cette audition, la décision Murname n’a pas beaucoup d’application.

(traduction)

Dans Murname, le processus de vieillissement n’était pas vraiment la question en cause. Il s’agissait plutôt de la question d’établir si le plafond d’âge relatif à l’embauchage établi par American Airlines était justifiable au motif qu’en n’engageant que des pilotes relativement jeunes, ceux- ci pouvaient acquérir plus d’expérience au service de la compagnie et, de ce fait, maximiser la sécurité. United Airlines avait argumenté dans le même sens dans la cause Smallwood, en soutenant que des pilotes plus âgés qui avaient acquis leur expérience au service d’autres transporteurs aériens pourraient avoir de la difficulté à s’intégrer de façon sécuritaire aux équipes de United (page 306), étant donné qu’il était préférable que des pilotes n’apprennent qu’une méthode d’opération, celle de United, tout au long de leur carrière.

Bien que dans Smallwood le tribunal était d’accord que le concept d’équipe de United avait pour but de favoriser des techniques de vol plus sécuritaires (page 307), il rejeta ce point de défense au motif que la preuve démontrait clairement que la plupart des nouveaux pilotes (de United) étaient embauchés à partir d’une réserve d’anciens pilotes militaires qui avaient plusieurs années d’expérience de vol à leur crédit (page 308). Par conséquent, il refusa d’accepter la preuve de l’employeur quant à son concept d’équipe. Or, quoique la sécurité était le motif subjectif de ce dernier, le trubunal n’était pas d’avis que le plafond d’âge était nécessaire pour minimiser le degré de danger. En bref, il rejeta la preuve de l’employeur visant le deuxième volet du test de l’exigence professionnelle normale, soit la partie objective.

Donc, dans les causes Smallwood et Murname les tribunaux différaient d’opinion sur la question de l’acceptabilité de la preuve offerte par les employeurs respectifs, à l’effet que leur politique relative au plafond d’âge en matière d’emploi visait à favoriser le concept d’équipe pour augmenter le degré de sécurité. M. Lederman rejeta la défense de l’exigence professionnelle normale d’Air Canada en partie pour la même raison qui avait motivé le rejet de cette défense de United dans Smallwood. A la page 122 de sa décision, il dit:

De toute façon, il serait difficile de réconcilier le principe de Murname avec l’habitude d’Air Canada d’ignorer, à l’occasion, sa propre politique et d’embaucher des pilotes plus âgés en période de nécessité économique. Si la sécurité publique est la raison primordiale de l’adhérence au plafond d’âge en matière d’emploi afin d’augmenter les années d’expérience de ses capitaines, alors la ligne de conduite d’Air Canada d’embaucher des pilotes plus âgés lorsqu’il lui est économiquement avantageux de le faire, semblerait contredire cette raison d’être.

(traduction)

Par conséquent, compte tenu qu’Air Canada n’a pas de politique d’" avancement ou renvoi" et qu’elle a embauché des postulants plus âgés que son actuelle norme d’âge de 27 ans lorsque des conditions économiques le justifiaient (c’est- à- dire, lorsque son approvisionnement de pilotes était moins grand que la demande du marché pour ses services), il semble évident qu’elle est disposée soit à accepter un niveau de risque plus élevé en embauchant des postulants de plus de 27 ans en qualité de pilotes lorsqu’il lui est commode de le faire, ou qu’elle estime l’élément de sécurité comme étant tout au plus d’importance marginale. Nous croyons que la deuxième explication est la plus plausible. Air Canada préfère embaucher des pilotes de moins de 27 ans, mais est disposée à mettre de coté cette exigence, même si elle croit que le degré de risque du point de vue sécurité pourrait en être marginalement augmenté, lorsque des circonstances économiques ou autres le rendent avantageux. Il n’y a alors qu’une seule question qui se pose. Si Air Canada croit personnellement que le niveau de risque du point de vue sécurité est plus grand, a- t- elle présenté une preuve suffisante (dans le cadre de la décision Etobicoke) pour satisfaire au volet objectif du test relatif à la défense de l’exigence professionnelle normale? Dans l’affirmative, la preuve indéniable qu’Air Canada est elle- même disposée à compromettre la sécurité pour des raisons d’opportunité ou d’économie ne serait pas déterminante. La défense de l’exigence professionnelle normale tiendrait quand même. Néanmoins, les propres pratiques d’Air Canada de violer la limite d’âge qu’elle impose habituellement en matière d’emploi constituent une preuve qui demeure pertinente à la question préliminaire, qui est celle de savoir si le fait d’embaucher des pilotes plus âgés présente un risque réel en ce qui touche la sécurité.

Constatations relatives à la défense de l’exigence professionnelle normale Dans les dossiers qui se trouvent devant ce tribunal, c’est la preuve médicale qui est la plus convaincante à l’effet que l’âge constitue une exigence professionnelle normale en ce qui concerne les pilotes des transporteurs aériens. Cette preuve provient de cinq sources principales. Elle comprend les témoignages oraux de trois médecins, et le dépôt de deux rapports préparés par des comités d’experts médicaux aux États- Unis.

Air Canada a appelé comme témoins le Dr Antoine St. Pierre, son officier médical en chef (Air), et le Dr Douglas E. Busby, président du Département de la santé environmentale à la Fondation de la clinique de Cleveland. Le Dr St. Pierre n’avait pas d’expertise particulière sur la question du vieillissement, mais avait de l’expérience en qualité de préposé aux examens médicaux au service d’Air Canada. Il était également membre permanent du Comité de sélection des pilotes d’Air Canada, et responsable du programme du maintien de la santé de ses pilotes. A cause de ces responsabilités, il était très versé en matière de médecine aéronautique, y compris les aspects pertinents de la question du vieillissement.

Le Dr Busby avait antérieurement acquis de l’expérience en tant qu’assistant chirurgien de l’air pour le gouvernement des États- Unis et directeur médical de la Continental Airlines. Au cours de ses années de service auprès de la clinique de Cleveland, il avait participé aux services de consultation en ce qui touche la médecine aéronautique. Bien que, comme c’était le cas pour le Dr St. Pierre, son expertise semblait porter sur la médecine aéronautique en général plutôt que sur le processus de vieillissement, il avait beaucoup contribué à la préparation des auditions du Congrès en 1978- 79 sur la question de l’âge de retraite de 60 ans alors qu’il était au service du bureau des chirurgiens de l’air au niveau fédéral. Or, il était bien informé sur la question du vieillissement. Il est également évident que, personnellement, il estimait que l’âge constituait une exigence professionnelle normale pour les pilotes des transporteurs aériens, à la fois en ce qui touche la prise de retraite à 60 ans et l’embauchage aux environs de 30 ans.

La Commission canadienne des droits de la personne appela le Dr Stanley R. Mohler, directeur de la médecine aéronautique de la faculté de médecine de l’Université Wright dans l’État de l’Ohio. Il était anciennement le chef de la division Aeromedical Applications du bureau de la médecine aéronautique de l’administration de l’aviation fédérale des États- Unis. Il avait participé à des recherches spécialisées sur la question du processus de vieillissement en plus de son implication plus générale dans la médecine aéronautique. Jusqu’en 1978 environ, il avait appuyé la règle de l’âge de retraite à 60 ans, mais il en vint alors à croire, à la lumière des développements de la science médicale, que l’âge ne pouvait plus être regardé comme une exigence professionnelle normale en matière de retraite ou d’embauche.

Les rapports des deux comités médicaux avaient été préparés dans le cadre d’une révision de la règle de retraite à 60 ans pour les pilotes des États- Unis, révision mandatée par le Congrès. Le premier était le rapport de l’Institut de médecine de l’Académie nationale des sciences qui avait été engagé par contrat pour réviser la preuve scientifique pertinente et préparer un rapport y afférent à l’intention de l’Institut national sur le vieillissement qui relève des Instituts nationaux de la santé. La responsabilité première de l’Institut sur le vieillissement était de préparer un rapport pour le Congrès sur les avantages d’un âge de retraite obligatoire pour les pilotes, et l’autre rapport était celui d’un comité mis sur pied par l’Institut. Son rapport était fondé sur les constatations dans le rapport de l’Institut de médecine et d’autres soumissions. Il est important de noter que la pertinence de ces deux rapports face à la question de l’âge maximal d’embauche est limitée, du fait qu’ils portaient surtout sur l’état de santé d’un pilote à l’âge de 60, non pas sur l’état de santé des postulants de 28 ans et plus qui désiraient un emploi en qualité de pilote.

Les aspects qui intéressent la médecine en ce qui concerne l’embauche des pilotes, aussi bien que la performance continue de ceux- ci, se divisent en deux catégories: ceux de nature physique et ceux de nature psychologique. La preuve quant aux aspects psychologiques était relativement faible et il convient d’en disposer en premier lieu.

Somme toute, on a relevé deux problèmes psychologiques possibles relatifs à l’âge. On pourrait les appeler le phénomène de l’impossibilité d’avancement et le problème du renversement des âges.

Le phénomène de l’impossibilité d’avancement a trait aux frustrations que pourrait ressentir un individu face à la perspective de rester au même poste pendant une longue période de temps sans possibilité d’atteindre les objectifs de carrière implicites à ce poste. Dans le cas particulier des pilotes, il était suggéré que l’objectif de carrière naturel serait de devenir capitaine du modèle d’avion le plus avancé que sa compagnie utilise. A cause du système d’ancienneté, un nouveau pilote pourrait avoir à attendre jusqu’à 13 ans avant de pouvoir accéder même au poste de premier officier. Étant donne la règle de retraite obligatoire à 60 ans, un pilote qui est embauché à un âge avancé se trouverait devant la perspective de n’accéder au poste de capitaine ou premier officier que tard dans sa carrière, ou peut- être jamais.

La preuve du phénomène de l’impossibilité d’avancement ne contenait que des observations relativement isolées. Le phénomène semble impliquer plusieurs facteurs, particulièrement des facteurs d’ordre économique qui ont rapport à la situation à la fois de la compagnie aérienne et de l’individu. Les chances d’avancement sont plus grandes lorsque la compagnie est en période d’expansion et elles diminuent en période de stabilité ou de décroissement. La situation financière et les objectifs de l’individu influencent sa motivation quant à l’avancement. La preuve n’est pas suffisante pour démontrer qu’il s’agit d’un problème d’âge à l’appui de l’existence d’une exigence professionnelle normale. Elle est au plus, simplement impressionniste.

Le problème du renversement des âges a trait au potentiel de conflit dans la cabine dans le cas où un nouveau pilote plus âgé devait, à cause du système d’ancienneté, se retrouver sous le commandement d’un pilote plus jeune. Le plus âgé pourrait mettre en doute l’autorité du plus jeune, causant une rupture dangereuse dans la chaîne de commandements.

Encore un fois, la preuve à l’appui de la possibilité d’un tel problème n’implique que des observations isolées. Elle était tout au plus, impressionniste. Elle était contrée par une preuve démontrant que le renversement des âges est courant dans l’aviation militaire et n’a apparemment pas créé de problème dans ce domaine.

Dans la mesure où le renversement des âges pourrait créer le problème que l’on a décrit, ce problème semblerait découler simplement de l’attitude de l’individu plus âgé, et indique une partialité fondée sur l’âge. Un pilote plus âgé qui mettrait en doute l’autorité d’un plus jeune qui est en position de commandement en raison de l’âge, agirait sur la prétention que l’âge donne droit à une position supérieure.

Si pareilles attitudes équivalaient à des exigences professionnelles normales, cette clause dérogatoire pourrait donner ouverture à des formes de discrimination des plus répréhensibes, parce que des attitudes fondées sur des préjugés créent en fait des problèmes si la discrimination n’a pas lieu. Les employés en place qui s’objectent à travailler avec des membres d’un autre groupe créeront sans doute des problèmes si des membres de cet autre groupe sont embauchés. L’employeur pourrait soutenir qu’il s’agit d’une exigence professionnelle normale et resufer d’embaucher des personnes qui appartiennent à un groupe donné. Ce tribunal est d’avis qu’il serait nettement contraire à l’esprit de la législation de permettre que des problèmes qui découlent d’attitudes qui réflètent la partialité fondée sur un motif de discrimination interdit par la Loi canadienne sur les droits de la personne, puissent se justifier en droit comme étant des exigences professionnelles normales. Pour cette raison, et aussi parce que la preuve à l’effet que le renversement des âges constitue un problème considérable n’est pas suffisante, cet argument n’est pas valable pour soutenir l’existence d’une exigence professionnelle normale.

Les aspects médicaux de nature physique en rapport avec l’âge d’embauche des pilotes, peuvent se groupés en catégories de problèmes relatifs au système cardiovasculaire, au système nerveux et au niveau du fonctionnement du cerveau, comme la vue et l’ouïe, au système respiratoire et à la structure musculo- squelettique. On a également exprimé une certaine inquiétude concernant le développement possible d’un cancer, et la difficulté à supporter le stress.

Les témoignages des Drs St. Pierre et Busby sur la pertinence de l’âge comme potentiel d’incapacité des pilotes dans ces divers domaines ne concordaient pas avec celui du Dr Mohler. Les différences se situaient au niveau du degré d’importance à accorder à l’âge en tant que facteur causal en rapport avec les incapacités potentielles, et le degré de fiabilité à accorder à la science médicale pour découvrir les incapacités chez les personnes qui travaillent en qualité de pilotes.

Dans leurs témoignages, les Drs St. Pierre et Busby ont appuyé sur le fait que l’incidence d’incapacité augmentait avec l’âge, ce qui justifierait les distinctions fondées sur ce motif. En outre, tous les deux se disaient sceptiques que nous puissions au moyen de la science médicale découvrir, dans une mesure fiable, des conditions débilitantes. Ce qui les conduisait à en conclure que, étant donné que l’incidence d’incapacité augmente avec l’âge, le risque qu’une incapacité ne soit pas découverte augmente aussi, rendant l’âge un moyen de sélection justifiable pour combattre le risque relatif à la sécurité au cours des opérations aux commandes d’un avion.

Par contre, le Dr Mohler souscrivait à l’opinion que les incapacités importantes chez la plupart des individus ne sont pas attribuables au processus de vieillissement en lui- même avant qu’ils n’aient atteint un âge très avancé, soit dans les quatre- vingts ou quatre- vingt- dix ans. Lorsque des incapacités surviennent plus tôt, elles sont attribuables à d’autres facteurs et ne devraient pas être évaluées en fonction de l’âge. En outre, il était d’avis qu’au moyen de la science médicale, en mettant sur pied des procédures d’examen individualisées plus intensives pour lesquelles nous possédons maintenant la technologie nécessaire, nous pouvons découvrir les incapacités qui accablent les pilotes au moment de l’embauche, afin de diminuer le degré de risque à un minimum acceptable, sans avoir à tenir compte de l’âge. Par conséquent, selon lui, l’âge n’était pas une exigence professionnelle normale.

Dès le départ, nous devons noter que chacune de ces opinions divergentes contient un sophisme qui fait qu’elle est inacceptable comme réponse complète à la question de savoir si l’âge constitue une exigence professionnelle normale lorsqu’il s’agit d’embaucher des pilotes. Dans les deux cas, le sophisme implique réellement une question de droit qui est celle d’établir ce qui constitue une exigence professionnelle normale.

Le sophisme dans la proposition du Dr Mohler a trait à la signification de l’âge aux fins d’une telle exigence. Il serait porté à restreindre la signification de l’âge au processus de vieillissement avec le résultat que, s’il peut être démontré que d’autres facteurs causent les incapacités, elles ne sont pas reliées à l’âge et, par conséquent, ne justifient pas la discrimination fondée sur l’âge. Son témoignage est à l’effet que dans plusieurs cas, l’explication causale alternative a rapport à la longueur de temps qu’une personne est exposée aux vicissitudes de la vie. Les incapacités sont plus courantes chez les personnes plus âgées, non pas en raison de leur âge, mais parce que l’incapacité prend du temps à se développer.

D’un point de vue logique, l’âge équivaut à la période de temps pendant laquelle un individu est exposé à l’environnement de la vie, y compris son style de vie personnel ainsi que des facteurs sur lesquels il n’a que très peu ou pas de contrôle, comme la pollution ou les maladies contagieuses. En fait, il est très peu probable que dans l’usage ordinaire du terme âge, le concept scientifique du vieillissement avancé par le Dr Mohler soit inclus.

Bien sûr, cette proposition a deux faces. Tout comme nous ne pouvons pas réfuter la prétention que l’âge est une exigence professionnelle normale en démontrant que le fondement réel de la préoccupation est la période de temps pendant laquelle un individu est exposé à l’environnement de la vie, plutôt que le processus de vieillissement, nous ne pouvons pas non plus éviter une accusation de discrimination fondée sur l’âge en faisant reposer la distinction sur la période de temps pendant laquelle un individu est exposé à l’environnement de la vie, plutôt que sur l’âge. En autres mots, Air Canada ne pourrait pas échapper à une accusation de discrimination fondée sur l’âge si son critère n’était pas l’âge, mais plutôt la longueur de temps qu’une personne a vécue. Cette proposition est si évidente qu’elle rend indiscutable que l’âge a un sens plus large en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne que celui qui est implicite dans l’opinion du Dr Mohler, à l’effet qu’il n’y a pas de rapport entre l’incapacité et le processus de vieillissement et que, par conséquent, l’âge ne serait pas une qualification professionnelle normale. Si l’incapacité est le corollaire de l’âge dû au fait qu’une personne est exposée aux facteurs écologiques, y compris son style de vie, l’âge est possiblement une exigence professionnelle normale, même si les incapacités ne sont pas causées par l’âge en soi.

Le sophisme dans l’approche des Drs St. Pierre et Busby est qu’elle tend à assumer que le fait qu’il y ait un rapport entre l’âge et l’incapacité n’est non seulement un fondement nécessaire, mais qu’il suffit pour maintenir que l’âge constitue une exigence professionnelle normale. La prémisse fondamentale de la législation sur les droits de la personne est que l’on doit évaluer les mérites d’un individu. Autrement, il serait possible de démontrer l’exigence professionnelle normale en s’appuyant simplement sur les moyennes statistiques des caractéristiques des groupes. Ce qui équivaudrait simplement à une nouvelle forme de stéréotypie qui serait encore plus odieuse, si possible, que les préjugés traditionnels étant donné qu’elle reposerait sur une base apparemment scientifique. Même s’il est démontré que la corrélation entre une caractéristique discriminatoire et une déqualification légitime implique une relation causale, comme dans le cas à l’étude, la relation indéniable entre le fait d’avoir été exposé à l’environnement de la vie et le développement d’incapacités chez certains pilotes, ne nous permet pas d’ignorer les droits des individus auxquels la corrélation ne s’applique pas.

Le test légal convenable pour l’exigence professionnelle normale, tel qu’exposé dans la cause Etobicoke est d’établir si l’exigence est nécessaire, dans une mesure raisonnable, à l’exécution du travail. Ce qui signifie que le tribunal doit examiner à la fois la nécessité de la règle et la nature raisonnable de celle- ci à la lumière de cette nécessité.

Une autre observation préliminaire est que, dans le présent cas, la preuve n’indique d’aucune façon que ce soit que l’âge, en lui- même et de lui- même, et à l’intérieur des limites dont il est question présentement, constitue une exigence professionnelle pour le pilotage d’un avion. Mis à part le manque de preuve à cet effet, une telle prétention serait nettement incompatible avec la politique d’Air Canada de continuer à employer des pilotes jusqu’à l’âge de 60 ans lorsqu’il ne sont pas autrement atteints d’incapacité. Bien que la preuve démontre que les pilotes, en tant que groupe, sont moins susceptibles aux effets de l’âge que d’autres personnes, cette preuve est loin d’être suffisante pour maintenir, eu égard a l’âge exclusivement, que les personnes à l’emploi d’Air Canada seraient supérieures aux postulants en cause qui sont dans la trentaine ou quarantaine. Le fait qu’Air Canada continue d’employer ses pilotes jusqu’à l’âge de 60 ans, démontre que, strictement sur la question de l’âge, les individus ne sont pas disqualifiés pour un tel genre d’emploi du fait qu’ils ont plus de 27 ans.

En ce qui concerne les qualifications d’un pilote, la vraie question est celle de l’incapacité physique, non pas de l’âge. C’est ce que démontrent les facteurs médicaux déjà mentionnés. Il y a, en fait, deux aspects à cette question: d’une part, les pilotes qui volent beaucoup ne souffrent pas d’incapacités qui pourraient compromettre leur performance de travail, et d’autre part, ils demeurent libres de ces incapacités plus longtemps. Du point de vue analytique, nous devons reconnaître que ce qui peut sembler une préoccupation en ce qui concerne l’incapacité future se divise en deux parties, dont l’une a rapport à l’état de santé courant des pilotes actifs. A la lumière de l’efficacité de l’examen médical, il est possible qu’une incapacité qui n’a pas été détectée survienne soit parce que la condition a considérablement progressée depuis que la personne a subi son dernier examen, ou parce que la condition n’a pas été découverte. C’est en partie la raison pour laquelle la compagnie aérienne cherche à prévenir les incapacités futures en s’assurant que les pilotes en service actif ne souffrent d’aucune incapacité au moment de l’embauche.

L’autre aspect qui intéresse Air Canada quant à l’état de santé futur de ses pilotes a trait à son désir d’embaucher des personnes qui ont le potentiel d’une carrière longue et productive auprès de la compagnie. C’est en partie une question économique étant donné que le recrutement et la formation d’un pilote appellent un investissement substantiel que la compagnie doit récupérer par la productivité subséquente des pilotes qu’elle emploie. Plus la période d’emploi de chaque pilote est longue, plus les prévisions de rendement sont élevées et, par conséquent, plus la compagnie est rentable. Un autre domaine d’intérêt se situe au niveau de l’expérience que les pilotes doivent acquérir, étant donné qu’ils sont normalement embauchés en qualité de seconds officiers, et doivent progressivement pouvoir remplir les positions plus exigeantes de premier officier et de capitaine. Puis, les deux facteurs susmentionnés relatifs à la possibilité d’une longue carrière productive sont finalement restreints par la règle de retraite à 60 ans qui n’est pas en cause ici. S’il est établi qu’Air Canada a un besoin raisonnable de s’assurer que les pilotes qu’elle embauche ont un potentiel de carrière d’une durée quelconque, alors l’âge d’embauche devrait forcément être fixé à 60 ans, moins la durée raisonnable de la carrière désirée.

De façon générale, la question de la carrière potentiellement longue et productive ne comporte pas de facteurs médicaux. Il est donc préférable d’en reporter la discussion jusqu’à ce que nous ayons complètement couvert les questions d’ordre médical, étant donné que celles- ci, comme nous l’avons déjà souligné, constituent les meilleures preuves au soutien de l’exigence professionnelle normale fondée sur l’âge. Une partie de la preuve médicale touche cette question, c’est- à- dire, que la preuve que le fait d’embaucher des pilotes qui sont jeunes permet à la compagnie d’accumuler des données sur une longue période de temps pour un individu donné, et de mettre sur pied un programme de maintien de la santé laquelle, à son tour, favorise les exploitations sécuritaires et la longévité de la carrière. Nous examinerons ces questions à la fin de l’examen de la preuve médicale et elles serviront à introduire les facteurs économiques et la question de longévité dans la discussion.

Il est évident qu’Air Canada cherche à s’assurer que ses pilotes en service actif ne souffrent d’aucune incapacité pour des raisons de sécurité. Que la sécurité soit la préoccupation primordiale dans les opérations d’une compagnie aérienne, n’a jamais été mis en doute, et il est indéniable que l’habileté d’un pilote pour diriger son avion de façon sécuritaire est essentielle à l’accomplissement de son travail. Pour évaluer cette habileté, Air Canada n’exige non seulement une compétence minimale pour pouvoir piloter de façon sécuritaire dans des conditions normales, mais une marge substantielle d’habileté en cas de circonstances extraordinaires et difficiles.

Bien que l’on ait présenté une preuve considérable sur les procédures d’Air Canada pour évaluer les capacités de ses pilotes du point de vue médical, nous n’avons pas grand chose qui démontre ce que sont les exigences réelles, sauf pour ce qui est de la capacité visuelle. Le Dr St. Pierre a témoigné à l’effet qu’un état de santé normal était la norme requise pour un candidat à un poste de pilote. Même envisagée dans le contexte de la politique de l’embauche préférentiel des personnes entre 21 et 27 ans, cette preuve est pour le moins nébuleuse. Dans la présente cause, la validité des exigences médicales d’Air Canada n’a pas été mise en question, ce qui explique la carence de preuve à ce sujet. La nécessité d’une marge de sécurité pourrait servir à justifier des exigences médicales relativement élevées, mais, de prime abord, il semble que de telles exigences pourraient être imposées à n’importe quel niveau d’âge. Or, la nécessité d’une marge de sécurité ne justifie pas nécessairement l’exigence d’un âge particulier pour le candidat à un poste de pilote.

Air Canada soutient que son exigence relative à l’âge pour l’embauche des pilotes est une nécessité d’ordre pratique, son but étant d’assurer que la norme médicale est maintenue à l’endroit de tous ses pilotes. Étant donné que la validité de ces exigences médicales n’a pas été mise en question, nous devons prendre pour acquis qu’il s’agit d’exigences légitimes. Par conséquent, l’utilisation de l’exigence professionnelle normale fondée sur l’âge dépend de la question d’établir s’il s’agit d’une nécessité raisonnable pour maintenir les normes médicales d’Air Canada visant à prévenir les incapacités potentielles déjà soulignées.

La preuve la plus spécifique sur l’âge que le tribunal a devant lui, est le témoignage du Dr St. Pierre. Il a parlé spécifiquement de l’époque de la vie où la plupart des problèmes médicaux qu’il a soulevés commencent à causer des incapacités. Bien que l’âge varie selon les différents types d’incapacité, dans la plupart des cas ces incapacités commencent à se manifester, selon lui, vers l’âge de 40 ans. Les autres témoignages n’étaient pas aussi spécifiques, mais en général ils semblent confirmer l’opinion du Dr St. Pierre, à l’effet que l’incidence de l’incapacité commence à prendre de l’importance au cours de la quarantaine et tend à augmenter par la suite.

Par contre, nous devons tenir compte du témoignage du Dr Mohler, à l’effet que l’état de santé des individus dans n’importe quel groupe d’âges varie énormément et que ces variations s’accentuent au fur et à mesure que les personnes avancent en âge. Nous avons d’autre preuve à l’appui de cet énoncé.

Par contre, la preuve indique que, bien que l’incapacité devienne de plus en plus problématique après 40 ans, elle peut survenir plus tôt et, même en tenant compte de la règle de retraite obligatoire à 60 ans, que le taux annuel d’incapacités n’est pas très élevé. Si l’on additionne les taux annuels d’incapacités à partir de 40 jusqu’à 60 ans, il semblerait que les pilotes soient considérablement touchés au cours de cette période de leur vie.

Autrement dit, un pilote risque d’être frappé d’une incapacité avant d’avoir atteint l’âge de 40 ans, mais le risque commence à augmenter de façon marquée à environ 40 ans. Il demeure relativement bas à n’importe quel âge jusqu’à 60 ans, mais les chances qu’un pilote soit frappé d’une incapacité entre 40 et 60 ans sont considérablement plus grandes. Lorsque ceci est juxtaposé à l’objectif légitime d’Air Canada de maintenir une marge de sécurité contre la possibilité que ses pilotes actifs soient frappés d’incapacité, l’exigence professionnelle normale fondée sur l’âge, en ce qui concerne les pilotes, pourrait devenir défendable, du moins à partir de 40 ans. Si un pilote doit nécessairement acquérir de l’expérience pratique comme partie de sa formation pour devenir capitaine, une telle exigence ajoute encore au bien- fondé de la politique actuelle d’Air Canada de fixer une limite d’âge à l’embauche.

Avant d’en conclure que cette base défendable suffit pour soutenir que l’exigence fondée sur l’âge est raisonnablement nécessaire pour maintenir la marge de sécurité dans les opérations d’Air Canada, nous devons examiner d’autres facteurs. Entre autres, le risque qui est démontré dans la preuve concerne les pilotes qui, étant libres de toute incapacité, resteraient, en fait, au service de la compagnie jusqu’à l’âge de 60 ans. En autres mots, il est évident qu’Air Canada n’estime pas que le risque d’employer des pilotes qui ont plus de 40 ans est incompatible avec sa marge de sécurité opérationnelle.

Bien que la preuve démontre que les pilotes, en tant que groupe, sont plus en santé que la population en général et, par conséquent, moins susceptibles aux effets de l’âge, cette preuve ne démontre pas que le risque d’incapacité pour le reste de la population est beaucoup plus élevé, de sorte qu’il soit permis de croire qu’il serait inacceptable quant au reste de la population alors qu’il est acceptable chez les pilotes. Le tribunal doit en conclure que, bien que le risque d’incapacité soit plus élevé chez les personnes de plus de 40 ans, il se situe dans les limites qu’Air Canada estime acceptable. Il ne s’agit nullement d’insinuer que les opérations d’Air Canada ne seraient pas sécuritaires, étant donné qu’elle a d’autres moyens de protéger ses pilotes contre le risque d’incapacité.

Ces méthodes alternatives de protéger contre le risque d’incapacité sont d’autres considérations dont il faut tenir compte pour établir si la limite d’âge à l’embauche est une exigence raisonnablement nécessaire. En vue d’éviter que ses pilotes actifs soient frappés d’incapacité, Air Canada exige que ceux- ci se soumettent à des examens médicaux périodiques qui sont plus extensifs que les examens semblables qu’exige le gouvernement pour accorder des permis de pilotage. La compagnie apprend à ses pilotes comment découvrir eux- mêmes des signes d’affaiblissement. Les vols sont dirigés par trois pilotes en position pour se surveiller l’un et l’autre. Deux d’entre eux ont toute la formation nécessaire pour prendre les commandes de l’avion et, dans l’éventualité extrêmement rare où ces deux pilotes seraient frappés d’incapacité durant un vol, le troisième est aussi capable de prendre les commandes, bien qu’il ne soit pas totalement qualifié pour le faire.

Effectivement, la preuve sur l’incidence d’incapacité chez les pilotes, dont il est fait mention ci- dessus, semble viser des incapacité qui ont, en fait, été découvertes au moyen de ce système de protection. Les incidences dues à une incapacité non découverte qui fait surface en cours de vol semblent très rares, bien qu’il ait été admis que ces incapacités ne se révèlent habituellement que lorsqu’elles causent un accident ou un danger d’accident, mais qui, heureusement, peut être évité par le système de renfort susmentionné. Le fait demeure que le système semble donner une marge de sécurité opérationnelle substantielle, malgré le risque qu’une incapacité ne soit pas découverte.

Tel que souligné, l’objectif général de la législation sur les droits de la personne est d’assurer le respect du droit des individus d’être évalués selon leurs mérites, et non pas selon les caractéristiques qui sont énumérées comme étant des motifs de distinction illicite. Le système d’examens médicaux pour découvrir les incapacités est compatible avec cet objectif, mais les normes fondées sur l’âge ne le sont pas. Or, le but de la loi est de favoriser l’utilisation d’un moyen de protection autre que l’âge pour répondre à l’exigence professionnelle.

Pour ce qui est des incapacités qu’il est possible de découvrir facilement, il n’y a certainement aucune raison d’utiliser l’âge plutôt que l’évaluation individuelle pour établir qui est qualifié et qui ne l’est pas. En regardant les aspects médicaux spécifiquement en cause, il ne fait aucun doute, selon la preuve, que les problèmes relatifs à la capacité visuelle et à l’ouïe sont faciles à découvrir. Bien que les problèmes relatifs au système respiratoire et à la structure musculo- squelettique soient plus difficiles, nous n’avons aucune preuve à l’effet qu’une incapacité non découverte dans ces domaines est susceptible d’affecter la sécurité opérationnelle d’un avion. Il en est de même pour le cancer. Ce qui laisse les problèmes relatifs aux systèmes cardiovasculaire et nerveux et au fonctionnement du cerveau, ainsi que les problèmes causés par le stress, qui pourraient être éventuellement sérieux du point de vue médical, et qui, selon la preuve présentée, sont reliés à l’âge et risquent de ne pas être découverts.

La preuve à l’effet que la capacité de résister au stress qu’implique le pilotage d’un avion diminue considérablement avec l’âge, est pour le moins rudimentaire. En fait, c’est l’une des rares questions sur lesquelles l’Institut de médecine a refusé de se prononcer quant à son rapport avec l’âge, en soulignant que des recherches étaient nécessaires. La preuve est définitivement insuffisante pour soutenir l’existence d’une exigence professionnelle normale fondée sur ce motif.

Selon Air Canada, ce serait l’explication de l’anomalie apparente d’avoir reconnu que l’âge constituait une exigence professionnelle normale pour l’embauche des chauffeurs d’autobus dans la cause Canadian Human Rights Commission v. Voyageur Colonial Ltd. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 239, anomalie que le tribunal de première instance dans la présente cause a refusé de reconnaître à l’endroit des pilotes des compagnies aériennes. Dans la décision Voyageur, les constatations étaient à l’effet que les nouveaux chauffeurs d’autobus étaient assujettis au stress particulier découlant de la nature de leurs affectations de travail en vertu du système de tableau de réserve, et que la capacité de supporter ce stress diminuait avec l’âge. La preuve devant nous ne contient aucune constatation semblable en ce qui concerne les pilotes d’Air Canada.

Les raisons pour ces différences sont sans doute nombreuses. Il ne s’agit pas d’insinuer que la tension est moins grande pour les pilotes que pour les chauffeurs d’autobus. Bien qu’il ne soit pas nécessaire pour rendre une décision dans la présente cause que le tribunal en arrive à une conclusion sur la raison pour laquelle la preuve est différente sur ce point de celle de la cause Voyageur concernant les chauffeurs d’autobus, l’explication se trouve probablement dans les différences opérationnelles évidentes entre une compagnie comme Air Canada et une compagnie d’autobus comme Voyageur.

Air Canada a prétendu que son système d’ancienneté équivalait au système de réserve de Voyageur. Les deux systèmes comportent tout de même des différences importantes qui pourraient expliquer les divergences dans la preuve sur la question du stress. Selon les deux systèmes d’ancienneté les nouveaux employés sont affectés aux travaux les moins désirables. Néanmoins, d’après les constatations dans la cause Voyageur, ces affectations étaient non seulement moins désirables, mais impliquaient également un milieu de travail qualitativement très différent de celui dont jouissaient les chauffeurs avec plus d’ancienneté. La preuve devant nous n’indique pas que les affectations des nouveaux pilotes, quoique peut- être moins désirables, impliquent un milieu de travail de qualité très différente de celui dont jouissent les pilotes avec plus d’ancienneté. En fait, en vertu du système d’équipage composé de trois pilotes, chaque nouveau pilote partage exactement le même milieu de travail que les deux autres qui ont forcément beaucoup plus d’ancienneté.

Mise à part la question du stress, la préoccupation d’ordre médical en ce qui concerne l’âge se situe au niveau du système nerveux et du fonctionnement du cerveau, plus particulièrement en ce qui touche la transmission ralentie des signaux par le système nerveux, la difficulté de capter l’information et de résoudre les problèmes, et les difficultés d’apprentissage. Ces problèmes pourraient diminuer la capacité de fonctionnement d’un pilote dans un même poste sur une longue période ainsi que sa capacité de s’entraîner pour occuper un nouveau poste dans la cabine ou l’avion; un changement qui est périodiquement nécessaire tout au long de sa carrière.

Abstraction faite du fait que la preuve est insuffisante pour démontrer que l’un quelconque des facteurs susmentionnés présente un problème sérieux chez les pilotes avant l’âge de la retraite, la pratique actuelle d’Air Canada en ce qui a trait aux affectations de son équipe de pilotes est nettement contradictoire. La technologie des avions modernes fait de plus en plus appel aux compétences mentales plutôt que physiques. En vertu du système d’ancienneté applicable aux pilotes, ce sont surtout des pilotes plus âgés qui agissent à titre de capitaines aux commandes des modèles d’appareils les plus avancés. En outre, ces pilotes sont susceptibles d’être soumis à un entraînement en vue d’occuper un nouveau poste dans la cabine ou l’avion virtuellement jusqu’au moment de la retraite. L’affirmation à l’effet que la pratique et l’expérience compensent pour la détérioration causée par l’âge dans le système nerveux et le fonctionnement du cerveau, semble une question théorique qu’il reste à démontrer. De toute façon, une certaine mesure de l’avantage que donnent la pratique et l’expérience est forcément perdue lorsqu’un pilote assume une nouvelle position dans la cabine ou l’appareil, malgré le fait que les procédures opérationnelles d’Air Canada sont semblables pour les différents avions. Il est difficile d’imaginer un système plus incompatible avec l’énoncé à l’effet que les capacités mentales des pilotes diminuent avec l’âge.

Il est vrai que les facultés mentales déclinent dans certains cas, comme le démontrent les déqualifications des pilotes qui n’ont pas réussi à se maintenir à la hauteur des normes de compétence pour une même position, ou à satisfaire les exigences d’entraînement pour assumer un nouveau poste dans la cabine ou l’appareil. Néanmoins, le système d’ancienneté résulte d’un accord entre Air Canada et le syndicat des pilotes, deux organismes qui ont sûrement à coeur la sécurité de la navigation aérienne et le bien- être des pilotes. Il est impossible de croire que l’on permettrait que le système d’ancienneté fonctionne de pareille façon si la détérioration dans le système nerveux et le fonctionnement du cerveau présentait un problème sérieux avant l’âge de la retraite.

Or, tout compte fait, le seul problème de santé sérieux qui a fait l’objet d’une preuve crédible, susceptible de rester caché et qui pourrait avoir un rapport avec l’âge et augmenter le risque relatif à l’opération sécuritaire d’un avion, semble être celui des troubles cardiovasculaires chez les pilotes. Quoique les méthodes de détection des faiblesses cardiovasculaires avant qu’elles ne progressent au stage de la défaillance du système soient très efficaces, la preuve indique qu’il y a encore un risque indéniable que la faiblesse ne soit pas découverte. En outre, lorsqu’une défaillance du système survient, elle peut facilement provoquer une incapacité soudaine et sérieuse. Il est également possible que le stress occasionné par des situations critiques dans les opérations d’un avion précipite une défaillance du système.

Toutefois, en analyse finale, le tribunal doit établir comment le risque de défaillance cardiovasculaire peut constituer une exigence professionnelle normale en ce qui touche les candidats à un poste de pilote s’il n’existe aucune exigence comparable à l’endroit des pilotes déjà en place. Il est vrai, encore une fois, que l’état de santé des pilotes semble meilleur que celui de la population en général. Par contre, il est à noter que cet état de choses est sûrement dû en grande partie à la sélection minutieuse des pilotes afin d’exclure les cas discernables qui présentent un risque considérable de défaillance cardiovasculaire. Mais lorsque des membres du public sont sélectionnés de façon semblable, les individus qui présentent un risque de défaillance cardiovasculaire continuent à faire partie du grand public aux fins des statistiques. Le tribunal ne voit aucune raison d’en arriver à la conclusion qu’une sélection semblable parmi les candidats plus vieux à un poste de pilote ne diminuerait pas dans la même mesure le risque de défaillance cardiovasculaire chez les nouveaux pilotes plus âgés. Comme c’est le cas des autres incapacités qui restent cachées, l’incidence réelle des défaillances cardiovasculaires sur la sécurité est apparemment négligeable, de sorte qu’il semblerait s’agir d’un problème plus théorique que pratique.

En résumé, selon la preuve médicale la prétention à l’effet que l’âge constitue une exigence professionnelle normale pour l’embauche des pilotes à cause du risque d’incapacité qui augmente avec l’âge, a un certain fondement. Néanmoins, le fait que les pilotes continuent à exécuter leurs fonctions de pilotage jusqu’à l’âge de 60 ans indique que le risque est acceptable jusqu’à cet âge, étant donné qu’il est possible de l’éliminer ou le réduire considérablement par la détection médicale de la condition débilitante et par le système de renfort de l’équipe de trois pilotes. En outre, de toute façon, exception faite des problèmes cardiovasculaires, la preuve n’indique pas que le risque de ne pas découvrir une incapacité sérieuse soit considérable dans le groupe d’âges qui nous intéresse. Or, le tribunal en conclut que les préoccupations d’ordre médical énumérées ci- dessus ne sont pas suffisantes pour soutenir qu’il est raisonnablement nécessaire qu’Air Canada impose l’âge préférentiel en question en matière d’embauche pour maintenir une marge de sécurité dans ses opérations aériennes. En ce qui concerne les problèmes cardiovasculaires, les deux premières raisons pour conclure qu’Air Canada n’a pas satisfait au test de nécessité raisonnable incitent encore une fois le tribunal à tirer la même conclusion, bien que l’existence d’un risque d’incapacité sérieuse ne soit pas mise en doute, le fait demeure que ce risque existe présentement chez les pilotes de plus de 40 ans qui ont été embauchés lorsqu’il étaient plus jeunes. L’évaluation de la capacité de l’individu, sans égard à l’âge, est une alternative qui est à la fois légalement préférable et adéquate.

Avant de mettre la preuve médicale de côté, il importe d’examiner certains aspects médicaux relatifs à la question de la longévité de la carrière d’un pilote. Les témoins d’Air Canada ont indiqué que l’exigence relative à l’âge était nécessaire pour recueillir des données longitudinales sur l’état de santé des pilotes individuels qui sont importantes pour évaluer leur état de santé dans les années à venir. Ils déclaraient également que ladite exigence était nécessaire pour permettre de mettre sur pied un programme de maintien de la condition physique chez les pilotes tôt dans la vie, afin d’empêcher que des incapacités se développent.

En ce qui concerne les données longitudinales sur l’état de santé, il convient de souligner qu’une personne peut avoir de telles données dans son dossier médical sans être à l’emploi d’Air Canada. Si elles constituent une exigence, la compagnie pourrait en faire demande directement. Il n’est pas nécessaire d’exclure toutes les personnes au motif de l’âge pour obtenir ces données.

D’après la preuve, le programme de maintien de la condition physique d’Air Canada consiste à conseiller et à éduquer les pilotes; ce n’est pas un programme formel de conditionnement physique. Il ne semble pas contenir quoi que ce soit qui ne serait pas disponible aux membres du grand public qui se soucient de leur condition physique et qui cherchent à adopter un style de vie favorable au bon état de santé. Ce bon état de santé est le fruit qu’un individu tire d’un tel programme. Bien que le programme d’Air Canada contribue probablement à garder ses pilotes en bonne santé, il est difficile de croire que le simple fait d’y être exposé donne une plus grande assurance quant à l’état de santé d’un groupe d’individus particulier à des âges plus avancés, que ne le ferait une évaluation de ceux- ci au moyen d’un examen médical.

Facteurs économiques Le dernier point à examiner est celui de savoir si un employeur peut établir l’existence d’une exigence professionnelle normale en se fondant sur les facteurs économiques qui sous- tendent la limite d’âge pour restreindre les chances d’emploi d’un individu.

La question fut débattue dans la cause américaine Marshall v. Arlene Knitwear Inc., 454 F. Supp. 715 (1978). Une dessinatrice avait été renvoyée et le tribunal constata que l’âge en soi n’était pas la raison du renvoi, mais qu’il s’agissait plutôt d’une raison économique directement reliée à l’âge. A cause de son ancienneté, le salaire de la dessinatrice était plus élevé que celui de n’importe quel autre dessinateur. En outre, elle était renvoyée avant que ses prestations de retraite soient acquises, de sorte que l’employeur pouvait réduire le montant de sa contribution au régime. Le juge Neaker maintint, à la page 730:

La preuve oblige à conclure que les économies de salaire et les prestations de retraite impayées qui revenaient aux défendeurs suite à [son]... renvoi, étaient les facteurs économiques déterminants du renvoi. Étant donné que ces facteurs économiques sont directement reliés à l’âge,... le fait de s’en prévaloir pour [la] renvoyer constitue de la discrimination fondée sur l’âge.

(traduction)

Dans Smallwood v. United Airlines Inc., 661 F. 2d 303 (4th Cir., 1981), cert. refusé, 102 S. Ct. 2299 (1982), en examinant une défense fondée sur la qualification professionnelle normale prévue dans la Age Discrimination in Employment Act, 29 U. S. C., article 621 à 634, le tribunal maintint, à la page 307:

En révisant la résolution du tribunal de première instance sur cette question, nous sommes frappés par le thème principal de United à l’effet que les pilotes plus âgés ont des effets économiques très lourds sur la compagnie. Au cours de l’interrogatoire préliminaire, United a repris la même position que dans sa seconde lettre à Smallwood, à savoir, que le maintien du système de progression entraîne des coûts substantiels, y compris un investissement important dans la formation d’un officier pour lui permettre de se déplacer d’un poste à un autre et d’un modèle d’avion à un autre. Or, en exigeant que les nouveaux pilotes soient au- dessous de 35 ans, la période de productivité maximale est plus longue. Néanmoins, une qualification professionnelle normale ne peut pas reposer sur des considérations économiques, car ce sont précisément ces considérations, entre autres, que la loi cherche à interdire. Voir 29 C. F. R. S. 860.103( h) (1980); ch. City of Los Angeles v. Manhart 435 U. S. 702, 716 (1978) (la défense fondée sur des justifications économiques n’est pas admise dans une action Titre VII).

(traduction)

Toutefois, cette opinion n’est pas universelle. Dans Reid v. Memphis Publishing Co., 369 F. Supp. 684 (1973), le tribunal maintint que l’employeur avait été déraisonnable en refusant d’accommoder son employé face à ses croyances religieuses, mais c’était en partie parce que l’employeur n’aurait pas souffert économiquement en le faisant. Dans Trans World Airlines v. Hardison, 97 S. Ct. 2264 (1977), il fut maintenu qu’un employeur n’était pas obligé de payer du temps supplémentaire à un autre employé pour remplacer le plaignant qui ne pouvait pas travailler à l’époque en raison de ses croyances religieuses. Le tribunal jugea que l’employeur n’était pas tenu de payer plus que les coûts minimaux pour accommoder un employé face à ses croyances religieuses.

La question fut mentionnée dans la cause du Nouveau- Brunswick Little v. St. John Shipbuilding and Drydock Co. Ltd. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 1, à D/ 5 et 6:

De façon générale, en ce qui concerne l’embauche des individus, un employeur est libre de choisir la personne qu’il estime la mieux qualifiée pour faire le travail. Si l’employeur peut démontrer que la personne engagée était mieux qualifiée pour exécuter l’aspect fonctionnel du travail, le fait qu’elle soit plus jeune ou plus âgée qu’un autre individu qui n’a pas été engagé, n’équivaut pas à de la discrimination fondée sur l’âge. Des problèmes de discrimination fondée sur l’âge peuvent survenir en raison de politiques d’embauche lorsque le travail en question exige que l’individu fasse l’objet d’une formation considérable en cour d’emploi. A moins que l’employé ne reste au service de son employeur pendant une longue période de temps, ce dernier ne peut pas récupérer l’investissement qu’il a fait pour entraîner cet employé.

(traduction)

Dans la cause de la Colombie- Britannique, Burns v. P. I. A. B. et al. (le 20 avril 1977), il s’agissait d’un apprenti plombier qui avait été renvoyé de son emploi lorsqu’on se rendit compte qu’il ne répondait pas à l’exigence de l’âge du bureau des apprentis de l’intimé (soit, entre 18 et 25 ans). La raison de la mise en place de ces normes était énoncée comme suit, à la page 11:

... [D] ans le cas d’un apprenti quelconque, celui- ci est plus susceptible de permettre une récupération de sa part des coûts d’entraînement s’il est plus jeune, et il est apte à payer des contributions sur une plus longue période de temps.

(traduction)

Dans sa décision sur la question d’établir si la raison du bureau des apprentis constituait une cause raisonnable, la commission d’enquête maintint:

Par conséquent, nous sommes d’avis que, selon la preuve qui nous a été présentée au cours de cette audition, le plaignant, en se voyant refusé l’inscription au programme d’entraînement de la P. I. A. B. au motif qu’il était âgé de plus de 25 ans, ce qui fait qu’il ne répondait pas à l’une des conditions d’emploi stipulées dans la convention collective entre les employeurs et le syndicat, a été victime de discrimination, sans cause raisonnable, en rapport à sa qualification,... son occupation et son emploi.

(traduction)

Le comité des apprentis n’a pas présenté de preuve à l’appui des raisons économiques qui sous- tendraient les normes. S’il avait démontré que le défaut de respecter les limites d’âge entraînerait une perte économique, peut- être aurions- nous pu constater une cause raisonnable.

Dans la cause américaine, Judson v. Apprenticeship and Training Council, 495 P. 2d 291 (Or. App., 1972), le tribunal a regardé si un conseil des apprentis avait le pouvoir d’empêcher qu’un apprenti soit embauché au motif qu’il est âgé de 43 ans. Il fut décidé que les employeurs pouvaient tenir compte de la possibilité de l’apprenti de compléter son entraînement et de la période de temps qu’il pourrait exercer son métier après cet entraînement, mais que le conseil ne pouvait pas fixer des limites d’âge pour les apprentis éventuels.

Dans la récente cause canadienne, Arnison v. Pacific Pilotage Authority (1980), 1 C. H. R. R. D/ 138, dans laquelle il était maintenu que l’exigence dans les règlements en vertu de la Loi sur le pilotage, S. C. 1970- 71- 72, c- 52, à l’effet que les requérants de permis de pilotage devaient être âgés de 23 à 49 ans ne constituait pas une exigence professionnelle normale, le tribunal des droits de la personne a également examiné la question des facteurs économiques. Si le plaignant devait obtenir son permis à l’âge de 52 ans, et devenir pleinement qualifié après une période de probation de trois ans, soit à 55 ans, il ne lui resterait que dix ans de travail actif avant l’âge de la retraite à 65 ans. Ce qui présumément diminuait son utilité économique en comparaison avec un pilote plus jeune. M. Herbert n’a pas estimé que cette limite d’âge de 50 ans constituait une qualification professionnelle normale. Peut- être était- ce parce que très peu de preuve lui avait été soumis sur le facteur économique. Toutefois, il a indiqué:

Par exemple, il serait peut- être plausible d’établir un minimum de cinq ans de disponibilité de service, après avoir acquis toutes les qualifications nécessaires et avant l’âge de la retraite, pour fixer un plafond d’âge sur l’admissibilité qui pourrait constituer une qualification professionnelle normale.

(traduction)

La Cour d’appel fédérale a renversé cette décision, Pacific Pilotage Authority v. Arnison (1980), 34 N. R. 22, mais sur d’autres motifs.

Dans O’Brien v. Ontario Hydro (1981), 2 C. H. R. R. D/ 504, la commission d’enquête ontarienne, après avoir passé plusieurs de ces décisions en revue, soumettait que les facteurs économiques, dans une situation appropriée, pourraient permettre à un employeur d’établir la qualification professionnelle normale. Dans cette cause, un plaignant de 40 ans avait fait demande pour un poste d’apprenti électricien auprès d’Ontario Hydro. Il obtint gain de cause, mais l’employeur n’a pas orienté sa défense sur le fait que l’âge préférentiel (candidats âgés de 18 à 31 ans) constituait une qualification professionnelle normale au sens de l’article 4( 6) du code ontarien.

En résumé, la jurisprudence américaine porte à croire que lorsqu’un employé est renvoyé pour des raisons économiques directement reliées à l’âge, la discrimination est illégale: Marshall v. Arlene Knitwear. En outre, selon un certain courant jurisprudentiel, l’employeur ne peut pas réussir dans une défense de qualification professionnelle normale qui repose sur des considérations économiques, parce que l’objectif même de la législation sur la discrimination fondée sur l’âge est d’assurer l’égalité des chances en matière d’emploi: Smallwood v. United Airlines.

Néanmoins, des commission d’enquête canadiennes ont avancé que, sur une preuve appropriée de la part de l’employeur, les facteurs économiques pourraient donner ouverture à une défense d’exigence professionnelle normale: Little; Burns; Arnison: O’Brien. Bien qu’elle ne se soit pas prononcée sur la question, la Cour suprême du Canada a aussi envisagé cette possibilité dans Ontario Human Rights Commission et al v. Borough of Etobicoke (1982), 132 D. L. R. (3d) 14, lorsqu’elle parlait de facteurs d’ économie et de performance économique en définissant l’aspect objectif de l’exigence professionnelle normale, à la page 20.

Le tribunal est d’avis qu’un employeur pourrait invoquer des considérations économiques pour établir une exigence professionnelle normale en vertu de l’alinéa a) de l’article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous ne partageons pas l’opinion exprimée dans Smallwood à l’effet que des considérations économiques... ne peuvent pas justifier la qualification professionnelle normale [parce que] ce sont précisément ces considérations, entre autres, que la loi cherche à éliminer. Nous avons discuté des principes qui sous- tendent la Loi canadienne sur les droits de la personne, et du but de la législation, tel qu’énoncé dans l’article 2. L’essence de la législation est de favoriser, entre autres, l’égalité des chances en matière d’emploi. Bien que l’âge soit un motif de distinction illicite, à la lumière des articles 7, 8, 9, 10, 11, 14 et 17 dans leur ensemble, il est clair que la loi ne vise pas à obliger les employeurs à traiter tous les postulants d’emploi ou les employés de façon identique.

La loi cherche à éliminer l’âge en tant que facteur arbitraire en matière d’emploi et à assurer l’égalité des chances en fonction du mérite.

Néanmoins, ces dispositions sont conçues pour pemettre de tenir compte des objectifs sociaux qui sont tout à fait compatibles avec celui de l’égalité des chances, comme l’efficacité de la production et l’avancement des conditions sécuritaires: Foreman et al v. VIA Rail Canada Inc. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 111, à D/ 113. L’article 2 stipule qu’un individu a le droit au genre de vie qu’il désire ... compatible avec [ses] devoirs et obligations au sein de la société... Il est implicite dans cette phrase que la liberté de l’individu n’est pas sans limite. Dans notre société, cette liberté repose sur la prémisse sous- jacente qu’elle ne peut pas empiéter sur le même droit à la liberté qu’ont les autres individus. Le but de la législation est d’éliminer l’âge comme facteur de distinction arbitraire en matière d’emploi, mais lorsqu’une pratique ou politique d’emploi fixe une limite d’âge qui repose sur des considérations économiques sérieuses, une défense fondée sur une exigence professionnelle normale semblerait alors souhaitable.

Par contre, le tribunal est aussi d’avis qu’on ne peut pas établir l’existence d’une exigence professionnelle normale en simplement démontrant que le fait de ne pas faire de discrimination implique un coût économique. Pareille ligne de conduite ouvrirait trop grande la porte à plusieurs formes de discrimination. Nous pensons, par exemple, à la déclaration souvent répétée à l’effet que la présence de membres d’un groupe minoritaire dans une entreprise a des effets défavorables sur la clientèle. Il est impossible de croire que l’intention du Parlement était que la Loi canadienne sur les droits de la personne n’entre en jeu que lorsque son application n’entraîne aucun coût pour les employeurs.

Le rôle des considérations économiques en ce qui a trait à la discrimination fondée sur l’âge est particulièrement problématique, étant donné que ce sont ces considérations, plutôt que la perception stéréotypée des caractéristiques d’un groupe vulnérable à la discrimination, qui ont traditionnellement servi de justification pour la grande partie de ce genre de discrimination en matière d’emploi. L’embauche de tout nouvel employé implique certains coûts, et ceux- ci sont souvent considérables. A moins que le nouveau venu ne reste en place pendant une période de temps donnée, abstraction faite de la longévité de sa vie productive, les statistiques démontrent qu’il est plus coûteux d’embaucher une personne plus âgée, par opposition à une plus jeune, à cause que la première est susceptible d’occuper l’emploi moins longtemps. Ce qui signifie que les coûts relatifs à l’embauche doivent s’amortir plus rapidement et que, par conséquent, leur effet est plus sérieux.

Le Parlement devait avoir pensé à ce facteur lorsqu’il a adopté l’article 7 de la loi qui interdit spécifiquement la discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi. Si un employeur pouvait invoquer l’exigence professionnelle normale dès que l’âge de l’employé éventuel est susceptible d’entraîner des coûts plus élevés, le Parlement aurait substantiellement annihiler par l’article 14 a) la protection contre la discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi qu’il a spécifiquement prévue à l’article 7. Seul un langage clair et indubitable pourrait convaincre le présent tribunal que le Parlement avait des intentions aussi contradictoires. Or, ce tribunal en conclut que l’exigence professionnelle normale ne peut pas normalement être appuyée sur les coûts que pourrait occasionner l’embauche d’un individu si la discrimination à son endroit n’avait pas lieu.

Le fait qu’il existe des alternatives, autres que d’exclure les candidats au moment de l’embauche à cause de leur âge, pour récupérer les coûts initiaux, renforce l’opinion du tribunal sur le point. L’une de ces alternatives serait de récupérer d’une façon quelconque de l’employé sur une période de temps plus courte que la durée d’une carrière de toute une vie. Une autre serait de les reporter sur les candidats avant d’embaucher, en exigeant que ceux- ci rencontrent certaines exigences, par exemple dans le domaine de l’éducation ou de la formation. Lorsqu’une formation en cours d’emploi est essentielle, le moyen probablement le plus courant de récupérer les coûts initiaux que les employeurs utilisent, est l’échelle de salaires progressive selon l’expérience. De cette façon, ils peuvent récupérer ces coûts si les salaires, selon l’échelle en question, sont moins élevés que la valeur réelle de la productivité de l’employé durant ses premières années de service.

Bien que le tribunal soit convaincu que, en règle générale, l’exigence professionnelle normale ne peut être fondée sur les coûts économiques, la question devient problématique dans les cas où ces coûts sont substantiels et qu’il est clair qu’en raison de l’âge la carrière d’un candidat sera courte. Dans ces cas, une limite d’âge pourrait constituer une exigence professionnelle normale, mais pour éviter d’annihiler les effets de l’article 7 en ce qui touche la discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi, une telle défense doit être particulièrement circonscrite.

Le tribunal est d’avis que les coûts relatifs à l’embauche d’un individu ne peuvent constituer une exigence professionnelle normale de nécessité commerciale que lorsqu’ils répondent à deux conditions. D’une part, l’emploi en question doit être assujetti à un âge de retraite justifié par l’article 14. Autrement, il n’y a aucun fondement à la prétention de l’employeur à l’effet qu’il doit respecter un âge d’embauche maximal afin d’amortir ses coûts avant la prise de retraite. D’autre part, l’employeur doit démontrer qu’il ne peut pas s’attendre à amortir ses coûts, dans une mesure raisonnable, face à un candidat donné sur la période restante avant que celui- ci ait atteint l’âge de la retraite. Sans quoi, la limite d’âge ne peut pas être tenue comme étant raisonnablement nécessaire.

Dans l’éventualité où, dans des cas d’espèce, le défaut d’établir une limite d’âge fondée sur les prévisions de rendement semble placer un fardeau économique déraisonnable sur l’employeur, c’est dans les règlements du gouverneur en conseil autorisés par l’article 14 b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne que nous trouvons la solution. Cette disposition stipule:

Ne constitue pas des actes discriminatoires

b) le fait de refuser ou de cesser d’employer un individu

(i) qui n’a pas atteint l’âge minimal, ou (ii) qui a atteint l’âge maximal prévu pour l’emploi en question par la loi ou par les règlements que peut établir le gouverneur en conseil pour l’application du présent alinéa;

Bien qu’un lecture littérale de cette disposition permet de se demander s’il serait possible de prescrire plus d’un âge maximal à l’égard d’un emploi particulier, c’est- à- dire, si l’âge maximal d’embauche pourrait être différent de l’âge maximal de retraite, la Cour d’appel fédérale dans Arnison v. Pacific Pilotage Authority (1980), 1 C. H. R. R. D/ 225, a indiqué que ces règlements seraient valides. Dans cette cause, la cour a maintenu un âge maximal d’embauche de 49 ans prescrit par règlement, malgré que la loi prescrivait un âge maximal de retraite de 65 ans. A D/ 226, le juge LeDain disait:

Une telle qualification, qui a trait à l’âge approprié d’un individu pour faire ses débuts dans le domaine du pilotage, n’est pas, à mon avis, incompatible ou inconciliable avec la disposition de l’article 15( 7) de la loi qui prévoit un âge de retraite obligatoire de 65 ans.

(traduction)

Bien que dans la cause Arnison il s’agissait d’exigences d’âge prescrites en vertu d’une loi indépendante de l’article 14 b), plutôt que par des règlements adoptés sous l’empire de cette disposition, l’article 14 b) place ces deux types d’exigences sur un pied d’égalité. Or, si l’exemption s’applique à une exigence d’âge prescrite en vertu d’une loi indépendante de l’article 14 b) même si des âges maximaux différents sont prescrits pour fins d’embauche et de retraite, les règlements adoptés en vertu de ce paragraphe pourraient aussi prescrire des âges différents à ces deux fins.

Ce qui démontre que le Parlement était conscient des problèmes particuliers en rapport avec l’âge en matière d’embauche et de retraite, puisqu’il a adopté une disposition distincte pour donner libre cours aux décisions relativement arbitraires qui s’imposent face à de telles distinctions en rapport avec l’âge. Ce qui renforce la conclusion du tribunal à l’effet que les prévisions de rendement ne peuvent pas servir à l’appui d’une exigence professionnelle normale dans un cas de discrimination fondée sur l’âge. D’autres facteurs économiques pourraient aussi donner ouverture à une défense fondée sur ladite exigence. Ce sont les circonstances particulières à chaque cas qui décideraient si l’employeur s’est déchargé de son fardeau. Nous sommes d’avis que le Parlement a évalué les coûts et bénéfices inhérents à la protection des libertés individuelles qui sont énoncées à l’article 2 de la loi, et qu’il voulait étendre cette protection à tous les Canadiens. Dans toute situation, le coût économique additionnel qu’un employeur peut avoir à assumer directement dû au fait qu’il doit adopter des politiques flexibles en matière d’embauche ou d’emploi, et les coûts indirects possibles pour la société, doivent être évalués en fonction des bénéfices sociaux évidents qui découlent de la protection et de l’avancement des libertés reconnues dans la législation sur les droits de la personne. Elles sont si fondamentales à la structure sociale canadienne que le Parlement a clairement énoncé que l’avantage de la protection accordée à un individu est à l’avantage ultime de tous les Canadiens.

Le tribunal n’est pas inattentif à l’opinion majoritaire de la Cour d’appel fédérale dans C. N. R. v. Bhinder (le 13 avril 1983) à l’effet que, en l’absence d’une disposition incontestablement claire, la Loi canadienne sur les droits de la personne ne confère aucune autorité d’ordonner à un employeur d’accommoder les exigences spéciales des groupes minoritaires: le juge Heald, à la page 10. Néanmoins, la cour faisait référence à une décision du tribunal dont il était fait appel qui aurait obligé un employeur à exempter un employé d’une exigence générale imposée à tous les autres employés. En outre, il s’agissait d’une exigence qui, de l’avis de la majorité du banc, n’était pas discriminatoire (c’est- à- dire, qu’elle ne constituait pas une violation de l’article 7 ou 10 de la loi). De soutenir qu’un employeur n’a aucune obligation d’accommoder un employé dans de telles circonstances est une affirmation bien différente de celle de supposer qu’un employeur n’a aucune obligation d’essayer de trouver des alternatives à un traitement différent fondé sur un motif de discrimination interdit. Il importe de se rappeler que chaque membre du banc a accepté le principe qu’un tel traitement différent était, de prime abord, un acte discriminatoire.

De toute façon, en examinant des alternatives possibles, le présent tribunal n’impose pas à un employeur une obligation quelconque d’accommoder. Il cherche plutôt à s’acquitter de sa propre obligation d’évaluer si l’exigence professionnelle normale est raisonnablement nécessaire, conformément à l’aspect subjectif du test approuvé par la Cour suprême dans Etobicoke. S’il existe une alternative raisonnable non discriminatoire à l’acte discriminatoire que l’employeur commet, on ne saurait dire que l’aspect objectif du test à deux volets (c’est- à- dire, la nécessité raisonnable en rapport avec la performance du travail en cause) a été démontré.

Constatations relatives aux facteurs économiques Les facteurs économiques relatifs à la prétention d’Air Canada à l’effet que l’âge constitue une exigence professionnelle normale comportent deux aspects. D’une part, il y a l’aspect purement monétaire. Le recrutement et la formation des pilotes sont coûteux, et plus la carrière individuelle d’un pilote est longue, plus le coût relatif à la productivité de ce pilote est bas. D’autre part, il y a la nécessité pour chaque pilote d’acquérir de l’expérience en qualité de premier et second officiers respectivement qui fait partie de la formation visant des postes de premier officier et de capitaine.

Le premier aspect de cette prétention d’Air Canada tombe directement dans le domaine des coûts relatifs aux prévisions de rendement à l’embauche. Bien que la règle d’âge de retraite obligatoire de 60 ans pour les pilotes de la compagnie n’ait pas été remise en question devant ce tribunal, et qu’elle constitue une prévision de rendement considérable, nous disposons d’une bien faible preuve sur les implications économiques de ces prévisions.

D’après la preuve dans la présente cause, il semble que les coûts de formation initiaux d’Air Canada pour un second officier seraient de l’ordre de $11,000 à $15,000, en dollars de 1981. Et même ces chiffres seraient quelque peu exagérés en termes de coûts réellement imputables à la carrière totale d’un pilote. Cette partie de la formation initiale doit apparemment être répétée périodiquement tout au long de sa carrière. Dans la mesure où ceci soit exact, Air Canada doit forcément pouvoir récupérer ces coûts à partir de la productivité du pilote durant la période de temps entre chaque session de perfectionnement. Il n’est pas juste de soutenir qu’ils seraient calculables en fonction de la carrière entière des nouveaux pilotes, sauf dans le cas où un pilote serait embauché vers la fin de sa cinquantaine et prendrait sa retraite avant qu’il ne soit admissible à sa première session de perfectionnement. Par contre, les frais généraux de recrutement légitimement imputables à la carrière productive d’un pilote ne semblent pas inclus dans ce montant. C’est la raison pour laquelle ces chiffres sont peut- être un peu plus bas que le coût actuel attribuable à l’embauche d’un pilote. Aucune preuve ne fut présentée quant à la période de temps réelle qu’Air Canada prend pour amortir ce coût ou à l’importance de ce facteur en fonction du coût total de son personnel.

Pour réussir à justifier une exigence professionnelle normale raisonnablement nécessaire fondée sur les coûts économiques, le tribunal aurait besoin de beaucoup plus de preuve sur les coûts et bénéfices réels en cause qu’il en a présentement devant lui. La preuve en main ne permet nullement d’établir quelle est la période minimale sur laquelle Air Canada pourrait raisonnablement s’attendre d’amortir les frais d’embauche d’un nouveau pilote. Compte tenu que c’est l’employeur qui doit démontrer la nécessité de l’exigence professionnelle normale, cette carence est fatale à la prétention d’Air Canada à l’effet que la limite d’âge d’embauche de 27 ans constitue une telle exigence sur la base des prévisions de rendement.

Or, il reste un autre facteur économique à examiner, notamment, la nécessité que les pilotes restent au service de la compagnie pendant un certain nombre d’années afin d’acquérir l’expérience requise à leur formation pour devenir premiers officiers et capitaines. Cette prétention d’Air Canada quant à la nécessité d’expérience est certainement crédible. Toutefois, la preuve n’est pas claire quant au nombre d’années exact qui serait nécessaire avant qu’un pilote puisse avancer en toute sécurité à ces deux postes plus exigeants. C’est, dans une certaine mesure, présumément une question individuelle. Certaines personnes peuvent acquérir l’expérience nécessaire rapidement, alors que d’autres y mettent plus de temps.

Au cours d’une période d’expansion récente, Air Canada a embauché des pilotes en qualité immédiate de premiers officiers pour ses appareils DC- 9. Bien que toutes les dérogations à une politique générale ne lui enlèvent pas forcément sa validité compte tenu que des circonstances spéciales peuvent appeler une dérogation temporaire, celle- ci met du moins en doute le caractère essentiel de la progression en trois étapes de second officier à capitaine.

Il n’est pas clair non plus si l’embauche de pilotes en qualité immédiate de premiers officiers n’est plausible que pour les appareils DC- 9, ou s’il s’agissait simplement d’une mesure plausible pour cet appareil qui ne s’est pas avérée nécessaire face aux besoins de personnel sur les autres types d’avions.

Selon la politique d’Air Canada, les pilotes ne sont pas tenus de se conformer au système de progression à trois étapes, contrairement à la politique d’" avancement ou renvoi" de certains transporteurs aériens importants. Ce qui, jusqu’à un certain point, affaiblit la cause d’Air Canada, puisque cette ligne de conduite indique qu’il n’est pas nécessaire que la compagnie utilise tous ses postes de premiers et seconds officiers pour former ces personnes pour devenir capitaines. Or, on pourrait soutenir qu’il n’est pas raisonnablement nécessaire que tous les individus embauchés en qualité de seconds officiers doivent avancer au poste de capitaine avant la retraite.

Par contre, la preuve d’Air Canada est convaincante à l’effet qu’elle s’attend normalement à ce que ses pilotes progressent dans le système. Il semble peu probable que le système du libre choix resterait en vigueur bien longtemps si Air Canada avait, en fait, de la difficulté à combler ses postes de premiers officiers et de capitaines. Le système actuel est sûrement indicatif du fait qu’il n’existe aucun problème parce que la majorité des pilotes choisissent l’avancement. Le maintien du système du libre choix a peut- être certains avantages quant à la coopération entre les pilotes, en autant qu’il ne présente aucun problème d’ordre pratique.

Étant donné que la progression des pilotes est influencée par le système du libre choix, et aussi par la situation économique de la compagnie dans son ensemble, il est difficile de prédire la longueur de temps requise pour qu’un pilote en arrive à la position de capitaine. A l’heure actuelle, la période de progression normale se situe entre deux et dix ans pour passer à la position de second officier, et entre six et vingt- trois ans pour passer à celle de premier officier.

Si l’âge constitue une exigence professionnelle normale à cette fin, il faudrait également prévoir une certaine période de service dans la position de capitaine, puisque la compagnie ne pourrait évidemment pas fonctionner si tous prenaient la retraite peu de temps après avoir accédé au poste de capitaine. Par contre, il faut bien garder à l’esprit que plusieurs, sinon la majorité, des nouveaux pilotes de la compagnie seront des personnes plutôt jeunes. Ceux- ci pourront servir en qualité de capitaine pendant de plus longues périodes de temps, de sorte qu’il est fort possible que la compagnie n’ait jamais de problèmes de personnel dû au fait qu’elle embauche quelques pilotes plus âgés.

Étant donné la règle de retraite obligatoire de 60 ans, et parce qu’une certaine formation est nécessaire en qualité de premier et second officier avant de pouvoir accéder au poste de capitaine, le tribunal est convaincu qu’Air Canada pourrait justifier sa restriction relative à l’âge en matière d’embauche comme étant une exigence professionnelle normale, strictement sur le motif qu’elle est nécessaire pour rencontrer ses besoins de personnel de pilotage. Il lui suffirait de démontrer qu’il s’agit d’une exigence raisonnablement nécessaire pour assurer qu’elle a une équipe de pilotes acceptable pour chacun des trois postes dans la cabine. Mais étant donné que ce n’est pas la nature de la cause devant le tribunal, la restriction relative à l’âge en matière d’embauche que pratique Air Canada qui est présentement à l’étude (c’est- à- dire, 27 ans) ne peut pas être tenue comme constituant une exigence professionnelle normale.

Sommaire Le tribunal en conclut que le facteur de l’âge qu’utilise Air Canada dans sa politique d’embauche actuelle constitue un acte discriminatoire contraire aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette politique n’est pas appuyée sur une exigence professionnelle normale, étant donné que la preuve ne démontre pas qu’elle est raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution du travail sans mettre en danger l’employé lui- même ou les autres. Air Canada utilise déjà des mesures alternatives pour atteindre son but, qui consistent à s’approprier une équipe de pilotes saine et sécuritaire. Cette exigence n’est pas non plus justifiable sur des motifs économiques.

Par conséquent, l’appel est rejeté. Étant donné que le tribunal d’appel a exercé sa compétence en se penchant de nouveau sur le dossier, et n’a pas examiné dans le détail le raisonnement dans la décision du tribunal de première instance, ce n’est pas l’intention de ce tribunal de signaler un désaccord significatif quelconque avec le raisonnement de M. Lederman. L’affaire lui est renvoyée quant à la question du redressement prévu à l’article 41( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Daté du 26è jour d’octobre 1983.

Robert W. Kerr, président du tribunal

Peter A Cumming, membre du tribunal

M. Wendy Robson, membre du tribunal

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.