Tribunal canadien des droits de la personne

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DT- 1/ 83

Jugement rendu le 13 janvier 1983

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

DEVANT: Me. André Lacroix, C. R. President, Raymond Robillard, M. D., F. R. C. P.( C), Pierre Denault

ENTRE: Clément Labelle et Denis Claveau Les Plaignants

et

Air Canada Le Mis en cause

JUGEMENT DU TRIBUNAL ON COMPARU:

Me. Yvon Tarte, Conseiller pour La Commission des droits de la personne Me. Victor Marchand, pour Air Canada

Les plaignants Denis Claveau et Clément Labelle, représentés par Me Yvon Tarte, conseiller de la Commission des droits de la personne ont choisi de présenter leurs plaintes dans une même audience étant donné que toutes les parties concernées s’accordent à dire que les faits sont suffisamment semblables pour permettre des conclusions communes, même si les dommages ou conséquences affectant chacun des plaignants soient différents.

Il est alors convenu d’entendre les deux plaintes dans une même audience.

La plainte déposée par Denis Claveau et présentée comme pièce à l’audience se lit comme suite:

"On refuse de considérer ma candidature comme pilote, malgré mes qualifications et mon expérience à cause d’une légère (spondylolyse) dans la région lombaire qui, selon l’opinion de mon médecin ne nuira en rien dans l’exercise de mes fonctions comme pilote."

La plainte déposée par Clément Labelle présentée comme pièce à l’audience se lit comme suit:

"On refuse de considérer ma candidature comme pilote, malgré mes qualifications et mon expérience à cause d’une légère malformation congénitale (spondylolyse) qui ne peut en rien nuire à mon travail selon l’opinion de mon médecin".

Les plaignants fondent leurs plaintes au tribunal sur les articles 3, 7, 10 de la Loi Canadienne sur les droits de la personne.

En bref, les plaignants soumettent qu’Air Canada a refusé de les embaucher pour un motif illicite selon la loi; soit un handicap physique. Par contre Air Canada maintient qu’il n’y a pas ici de handicap physique, donc pas d’infraction à la loi, et que l’on a tout simplement appliqué la politique d’embauche normale pour les pilotes de ligne.

Les faits dans les deux cas sont singulièrement semblables et n’offrent pas d’éléments contradictoires sérieux.

Dans les deux cas, chacun soumet une application à Air Canada pour un emploi comme pilote de ligne. Chacun fournit l’information préliminaire et est convoqué à une première entrevue en 1978; et quelques mois plus tard à une deuxième entrevue. Il semble que jusqu’à ce stage les candidats fournissent les preuves nécessaires de leur compétence et de leurs qualifications pour le poste.

A la suite de ce processus normal, les deux candidats sont appelés à se soumettre à l’examen médical de rigueur, lequel est pratiqué par le Dr. St. Pierre d’Air Canada.

Le 7 novembre 1978 Air Canada avisait M. Labelle que son état de santé ne repondait pas aux exigences de l’employeur. L. K. Sanderson, lui addressait une lettre (pièce C- 4) de laquelle nous citons:

"Nous avons revu le rapport de votre examen médical. Après en avoir discuté avec les responsables de nos services médicaux nous sommes au regret de vous informer que votre état de santé ne satisfait pas aux exigences d’Air Canada et qu’en conséquence nous ne pouvons plus retenir votre candidature".

Le 12 décembre M. Denis Claveau recevait de L. K. Anderson la même lettre l’avisant de sa condition (pièce C- 11).

Dans les deux cas, les plaignants s’informent auprès du Docteur St. Pierre quant à la nature de leur état de santé et tous deux découvrent qu’ils sont affectés d’une spondylolyse.

Le plaignant Labelle troublé par ce diagnostic et de son effet sur sa carrière de pilote de ligne consulte un autre médecin, le docteur Anastasiadis, et muni de son rapport (pièce C- 5) demande au docteur St. Pierre d’Air Canada une ré- évaluation de son dossier. Cette requête lui est refusée par le docteur St. Pierre dans sa lettre du 15 janvier 1979. (pièce C- 6)

Par la suite M. Labelle loge une plainte à la Commission Canadienne des droits de la personne. (pièce C- 7)

Le plaignant Claveau a, lui aussi, demandé une révision de son dossier et on lui aurait indiqué qu’il n’y avait rien à faire. Il loga sa plainte auprès de la Commission des droits de la personne en mai 1980 après avoir été informé d’un autre cas semblable où avec nouvelle preuve médicale, un dossier d’Air Canada pouvait être ré- ouvert.

La preuve démontre que dans les deux cas, le processus d’embauche à été interrompu par la découverte d’un spondylolyse, et n’eût été la malformation démontrée par l’examen radiologique, Messieurs Labelle et Claveau auraient été admis au cours d’entraînement de pilotes d’Air Canada. Les lettres de L. K. Sanderson d’Air Canada indiquent clairement que la candidature de chacun n’est pas retenue à cause de leur condition médicale.

Il ne paraît pas douteux qu’aux yeux de l’employeur (Air Canada) une spondylolyse, même asymptômatique est une malformation qui rend le porteur plus sujet à des maux de dos qu’un individu normal, et que la politique générale d’Air Canada est de ne pas embaucher de pilote dont la radiographie démontre une spondyloyse lombaire.

Le procureur d’Air Canada n’a pas fait ou tenté de faire la preuve que le refus d’embaucher les plaignants, ou que la préférence accordée à d’autres candidats ait été motivé par des exigences professionnelles normales (bona fide occupational requirements) tel que prévues à la section 14( a) de la loi.

Au fait, l’évidence médicale présentée par les deux parties confirme une malformation physique congénitale de la région lombaire appelée spondylolyse, laquelle n’affecterait pas la fonction du pilote en soi mais augmente, pour son porteur, plus de risques de maux de dos futurs.

Le procureur d’Air Canada affirme spécifiquement qu’il ne qualifie pas la spondylolyse de ’handicap physique’ et soumet que l’employeur a le droit de considérer la condition médicale d’un candidat comme facteur de sélection de ses employés.

Il convient à ce moment de considérer les soumissions suivantes:

  1. Y- a- t’il, de la part d’Air Canada, motif illicite ou discrimination selon la loi?
  2. Dans l’affirmative, est- ce qu’Air Canada a su décharger le fardeau de la preuve imposé par l’article 14. La responsabilité d’établir le motif illicite de discrimination revient aux plaignants et le tribunal a conclu qu’ils ont rencontré cette exigence.

Le tribunal accepte le fait que la candidature des plaignants a été rejetée par suite d’une difformité physique, et n’eut été cette difformité ils auraint été acceptés au cours d’entraînement de pilotes de ligne en 1979.

Le tribunal rejette la distinction entre ’difformité physique’ et ’handicap physique’ et est d’opinion que l’article 20 de la loi ne permet pas cette distinction. Nous concluons que le motif illicite de discrimination est bien fondé. Nous faisons référence ici à la décision rendue aux Etats- Unis dans:

Western Weighing and Inspection Bureau Petitioner -vs Wisconsin Department of Industry, Labor and Human Relation Respondent Employment Practices divison, page 5542

Cette décision traite précisément des mêmes questions que celles qui ont été soulevées dans cette audience et le tribunal est d’accord avec les conclusions.

Le tribunal conclut également que l’employeur (Air Canada) n’a pas fourni de preuve ou d’explication suffisante pour rencontrer les exigences de l’article 14 de la loi.

En bref, le tribunal accepte la soumission des plaignants à l’effet qu’on leur a refusé un emploi comme pilote de ligne chez Air Canada en raison d’un handicap physique contrairement à la loi, et que l’employeur n’a pas démontré que son refus était fondé sur des exigences professionnelles normales.

Délai

Le procureur d’Air Canada soumet qu’il y a eu délai déraisonnable à la signification des plaintes et s’en remet à l’article 33 de la loi. Le tribunal est d’avis que les plaignants ont agi raisonnablement dans les circonstances et ont continué à contester le refus d’emploi en demandant une révision du dossier, laquelle a été refusée. Il n’y a pas lieu de croire que l’employeur aurait changé sa position si la plainte avait été déposée plus rapidement.

Nous concluons que les plaintes sont correctement déposées devant le tribunal et que le délai ne constitue pas une des circonstances prévues à l’article 33 de la loi.

Ordonnance

1. Cessation de la pratique discriminatoire

Nous ne contestons pas la fonction ou le droit de l’employeur de considérer des notifs d’ordre médical dans l’évaluation de candidats à l’emploi; ces raisons médicales cependant doivent constituer un élément sérieux relié aux exigences de la fonction à remplir. Les critères médicaux ou les politiques d’embauche peuvent perpétuer un système discriminatoire lorsqu’appliqués d’une façon arbitraire. La preuve médicale présentée au cours de cette audience a porté sur la spondylolyse, accompagnée ou non d’un degré variable de glissements d’une vertèbre sur une autre (spondylolisthesis). L’importance de la malformation, de la spondylolyse simple au glissement vertébral important, est exprimée par une échelle graduée universellement reconnue. Un barême acceptable existe donc pour définir l’importance de la malformation sur le plan radiologique. Il faut cependant tenir compte en plus de l’incapacité du candidat, subjective ou objective, si elle existe.

Nous ordonnons donc, à Air Canada, de cesser la pratique générale de refuser comme candidat au poste de pilote de ligne, les aspirants affectés de spondylolyse avec ou sans spondylolisthesis, et que chaque candidat soit évalué individuellement selon ses mérites ou sa condition physique.

2. Pertes de salaire

Selon l’accord conclu entre les procureurs, il fut reconnu que le plaignant Claveau n’a pas subi de perte, parce qu’il a été employé comme pilote de ligne avec Québec Air durant la période, à us salaire semblable. En ce qui a trait au plaignant Labelle, les pertes jusqu’a la date d’audience sont évalués à $27,000.00 et nous ordonnons donc que le mis en cause, Air Canada, paie à Clément Labelle la somme de vingt- sept milles ($ 27,000.00) dollars.

3. Emploi

N’eut été de l’acte discriminatoire, les plaignants auraient été admis au cours d’entraînement de pilote de ligne d’Air Canada, un state qui précède l’embauche.

Nous ordonnons donc qu’Air Canada offre à chacun des deux plaignants une place dans le prochain cour d’entraînement de pilote mis sur pied par Air Canada.

4. Ancienneté

Le procureur de la Commission et des plaignants réclame l’ancienneté au sein d’Air Canada pour les deux plaignants, à compter de la date des cours d’entraînement auquels ceux- ci auraient pu être inscrits. Cette demande est vigoureusement rejetée par Me. Marchand qui ne conçoit pas qu’un tribunal puisse accorder des droits rétroactifs et applicables alors qu’ils n’étaient pas à l’emploi d’Air Canada. Il soumet qu’une telle mesure chambarderait le système de relations de travail existant, affecterait d’autres employés et entraînerait l’application de l’article 42 (2) de la loi. Il suggère que le dédommagement devrait être monétaire et que l’article 41 (2B) prévoit un acte futur et non antérieur.

Le tribunal reconnaît le bien fondé d’émettre une ordonnance qui a l’effet de placer le plaignant dans la position où il se trouverait, n’eut été de l’acte discriminatoire. L’ordonnance toutefois doit affecter le plaignant et le mis en cause et non des tierces personnes non impliquées. Nous acceptons donc les soumissions de Me Marchand et ne faisons pas d’ordonnance quant à l’ancienneté.

5. Prejudice Moral:

Nous reconnaissons que les plaignants, après avoir complété des études et un entraînement longs et couteûx les destinants a une carrière de pilote de ligne, soient affectés moralement par suite du refus d’emploi par la plus importante compagnie d’aviation canadienne. Ils ont fait la preuve du préjudice moral subi, par leurs comportements et leurs action jusqu’à ce jour. Nous sommes d’avis qu’il y a eu préjudice moral sous la section 41( 3) et ordonnons paiement de la somme de $2,000.00 à chacun des Plaignants.

DONNE CE 31 JOUR DE DECEMBRE, 1982.

Andre Lacroix

Raymond Robillard

Pierre Denault

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