Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 2/98

Décision rendue le 11 mars 1998

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. 1985, ch. H-6 (tel que modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

DAVID BADERl'appelant

(le plainant)

- et -

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

l'appelant

(la Commission)

- et -

LE MINISTÈRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL D'APPEL

TRIBUNAL : Norman Fetterly, président

Jane Shackell, membre

Paul Groarke, membre

ONT COMPARU : David Bader, l'appelant

Margaret Rose Jamieson, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Donald Richards, pour l'intimé

DATES ET LIEUX DE L'AUDIENCE : 17, 18, 19, 20 et 21 juin 1996

Surrey (Colombie-Britannique)

13, 14 et 15 novembre 1996 et 5, 6 et 7 mars 1997

Vancouver (Colombie-Britannique)

TABLE DES MATIÈRES  

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES 4

COMPÉTENCE - La question préjudicielle 9

DISCRIMINATION - Article de la Loi canadienne sur les droits de la personne 16

NOUVEAUX ÉLÉMENTS DE PREUVE 24

MOTIF JUSTIFIABLE DE L'INTIMÉ 25

NORME D'APPEL 31

MOTIFS D'APPEL 39

Motif 1 : Fardeau de la preuve 40

Motif 2 : Qualité et poids de la preuve 48

Motif 3 : Évaluation du risque - Politique fondée

sur le degré de risque peu élevé 59

Motif 4 Caractère limité des ressources 63

a) Application égale de la Loi 66

25 octobre 1983 69

3 décembre 1984 70

Octobre 1988 70

Février 1989 71

13 février 1991 71

b) Traitement différentiel - Pas une conséquence de la race ou de l'origine ethnique de l'importateur, mais plutôt d'une différence de traitement entre l'application de la Loi au niveau de la vente au détail et aux points d'entrée au Canada 73

c) Conclusions 78

LE CRITÈRE SUBJECTIF 80

Le 9 août 1983 84

Le 25 octobre 1983 85

Le 12 décembre 1983 85

Le 21 décembre 1983 85

Février et mars 1984 86

Le 27 novembre 1984 86

Le 24 novembre 1986 86

Le 30 juin et le 26 août 1987 86

Le 22 septembre 1987 87

Le 1er octobre 1987 87

Le 18 novembre 1987 88

Mars 1988 88

Août 1988 89

Le 3 octobre 1988 89

Le 14 décembre 1988 89

Le 23 janvier 1989 90

Le 5 février 1989 90

Le 23 mars 1989 92

Le 16 juin 1989 93

Le 13 février 1991 94

SOMMAIRE DES CONCLUSIONS 98

RÉPARATIONS 99

Glossaire des acronymes, abréviations et renvois 103

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

Avant d'analyser le bien-fondé du pourvoi, le tribunal d'appel devait se prononcer sur les trois questions préliminaires suivantes :

  1. Le tribunal d'appel est-il l'instance appropriée pour entendre la question préjudicielle de sa compétence compte tenu de la décision rendue par le juge Rothstein de la Cour fédérale à la suite de la requête de bref de prohibition de l'intimé?
  2. L'intimé était-il tenu de déposer un avis formel de son intention de contester les conclusions du tribunal de première instance favorables à l'appelant sur la question préjudicielle de sa compétence et sur la question de la discrimination?
  3. Les relations alléguées entre un membre du tribunal d'appel et le procureur de l'intimé créent-elles véritablement une crainte de partialité?

En ce qui concerne la question à savoir si le tribunal est l'instance appropriée, le juge Rothstein, en rejetant la requête de bref de prohibition sur la question préjudicielle de la compétence du tribunal a ordonné que cette question soit renvoyée à un tribunal. Il est probable que le juge Rothstein songeait alors à un tribunal constitué de trois membres dont la décision aurait pu ensuite faire l'objet d'un pourvoi devant la Cour d'appel fédérale en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Par ailleurs, les articles 55 et 56 de la Loi stipulent que la partie qui désire contester une décision rendue par un tribunal de moins de trois membres doit le faire devant un tribunal d'appel. En l'espèce, le tribunal qui a été constitué à la suite de l'ordonnance du juge n'était constitué que d'un seul membre.

Or, l'article 55 stipule ce qui suit :

«La Commission ou les parties peuvent interjeter appel de la décision ou de l'ordonnance rendue par un tribunal de moins de trois membres en signifiant l'avis prescrit par décret du gouverneur en conseil aux personnes qui ont reçu l'avis prévu au paragraphe 50(1)...» (Souligné du tribunal d'appel)

La question consistait donc à établir si, compte tenu de la décision du tribunal antérieur constitué d'un seul membre sur la question préjudicielle de sa compétence, le tribunal d'appel constituait l'instance appropriée pour réexaminer cette question. Fallait-il plutôt renvoyer la question devant la Cour fédérale comme semble le laisser entendre implicitement l'ordonnance du juge Rothstein? Sa décision sur la question de la compétence se lit notamment comme suit :

[Traduction]

«ET SUR INDICATION DE la Cour qu'elle collaborerait afin de convertir la requête d'établissement judiciaire de la compétence qui lui est ici soumise en examen judiciaire de la décision du tribunal des droits de la personne si cette demande lui était adressée par le requérant ou l'intimé et si elle était jugée fondée et afin d'entendre cette demande de révision judiciaire et de la trancher en temps opportun...»

Il semble que le juge Rothstein songeait alors à un pourvoi en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale à l'encontre d'une décision rendue par un tribunal constitué d'au moins trois membres.

Une question similaire est abordée dans l'arrêt Commission canadienne des droits de la personne c. British American Banknote Company, [1981] 1 C.F. Reports, p. 578, mais le procureur a établi une distinction entre notre affaire et cette autre affaire au motif que dans cette dernière, la requête de bref de prohibition avait été déposée avant même que l'affaire ne soit entendue sur le fond par le tribunal. En l'espèce, en renvoyant la question de la compétence à un tribunal et en rejetant la requête de bref de prohibition, la Cour fédérale a, dans les faits, établi que le tribunal des droits de la personne ou son prolongement, le tribunal d'appel, constitue l'instance la plus appropriée pour établir sa propre compétence.

À l'appui des arguments invoqués dans son mémoire, le procureur de l'intimé a invoqué l'arrêt Singh c. Ministère des Affaires extérieures [1989] 1 C.F., p. 430, dans lequel la Cour d'appel fédérale a soutenu ce qui suit :

[Traduction]

«Un examen de la Loi canadienne sur les droits de la personne révèle clairement que les compétences de la Commission englobent la compétence de trancher sur les limites de sa propre compétence.»

Le tribunal d'appel est convaincu que le principe énoncé dans l'arrêt Singh s'applique par extension au tribunal des droits de la personne, que la question préjudicielle de sa compétence lui a donc été soumise de manière appropriée et qu'il constitue l'instance habilitée à trancher la question.

Le tribunal devait ensuite répondre à la question à savoir si l'intimé, ayant réussi à obtenir une ordonnance rejetant la plainte pour cause de motif justifiable, est tenu de ne répondre qu'à cette seule question en appel ou s'il a le droit, nonobstant son défaut d'aviser de manière formelle ou informelle l'appelant de sa position, de revenir sur les autres conclusions du tribunal qui lui ont été défavorables et de les contester.

Il nous faut reconnaître que le tribunal d'appel ainsi que le procureur de l'appelant, ont été quelque peu surpris par la position du procureur de l'intimé au début de l'audience. Les motifs énoncés dans l'avis d'appel ne contestent en effet que la conclusion de motif justifiable du tribunal de première instance, d'où la présomption que le tribunal d'appel n'était saisi que de cette question..

La Loi canadienne sur les droits de la personne comme telle est silencieuse en ce qui concerne la procédure à suivre en cas d'appel incident et la jurisprudence semble indiquer qu'un appel incident d'une ordonnance ou d'un jugement final de la Cour est sans objet s'il ne cherche pas à faire modifier l'ordonnance émise. On a invoqué à cet égard les propos catégoriques de madame la juge Southin dans la décision Kehler v. Surrey (District) 70 B.C.L.R. (2e édition), p. 381 :

[Traduction]

«Un avis d'appel incident n'est requis que lorsque l'intimé cherche à obtenir une mesure de réparation différente de celle qu'a ordonnée le tribunal inférieur. En ce qui me concerne, j'espère ne jamais voir de nouveau un document aussi dépourvu de sens que cet avis d'appel incident.» (Souligné du tribunal d'appel)

Par conséquent, le tribunal d'appel en vient à la conclusion qu'en l'absence de toute disposition dans la Loi canadienne sur les droits de la personne sur les avis formels, l'intimé a le droit de revenir sur les questions à l'égard desquelles le tribunal de première instance lui a donné tort.

Finalement, le plaignant a allégué qu'il y avait crainte de partialité compte tenu d'une relation très lointaine entre l'ex-mari de Mme Shackell, membre du tribunal, et le procureur de l'intimé, M. Richards. M. Richards a spontanément reconnu qu'il y a quelque dix ou onze années, il avait effectué son stage avec l'ex-époux de Mme Shackell. Ce dernier et M. Richards sont ensuite devenus associés dans un grand cabinet d'avocats de Vancouver.

Le divorce a été prononcé de nombreuses années avant que M. Richards ne devienne l'associé de l'ex-mari de Mme Shackell. Mme Shackell a reconnu avec franchise que son ancien mari avait été un associé de M. Richards. Elle a notamment déclaré ce qui suit :

[Traduction]

«Toutefois, le divorce entre mon ancien mari et moi-même est survenu il y a de nombreuses années, soit bien avant qu'il [M. Richards] ne devienne associé dans ce cabinet. Si nous avions été encore mariés au moment en cause ou plus récemment, je pense que vous auriez un motif légitime d'invoquer une crainte de partialité. Mais franchement, compte tenu des circonstances, il ne m'est jamais venu à l'idée qu'il pouvait y avoir quelque crainte de partialité que ce soit. Lorsque M. Richards a soulevé spontanément cette question ce matin, j'ai été la plus surprise.» (Voir pages 65 et 66 de la transcription.)

Mme Shackell a indiqué qu'il lui était arrivé de rencontrer M. Richards lorsqu'il effectuait son stage avec son ex-mari, mais qu'ils n'avaient entretenu aucune relation personnelle ou professionnelle.

Après avoir entendu les arguments de M. Bader et de la procureure de la Commission qui, incidemment, s'est dissociée des allégations de crainte de partialité, et compte tenu des faits présentés, le tribunal d'appel en est venu à la conclusion que les circonstances ne peuvent raisonnablement l'amener à conclure à une crainte de partialité. Nonobstant la déclaration de Mme Shackell et selon la compréhension qu'il a des faits, le tribunal d'appel est de l'avis que cette allégation de crainte de partialité n'est fondée que sur de vagues soupçons et de pures spéculations.

Il convient de souligner qu'au cours des procédures devant le tribunal de première instance, le plaignant avait aussi allégué qu'il y avait crainte de partialité au motif que le procureur de l'intimé avait été un étudiant du président du tribunal pendant ses études à la faculté de droit. Dans un cas comme dans l'autre, les allégations du plaignant sont peu convaincantes.

Le plaignant avait aussi déposé une requête en vue d'invoquer la Charte canadienne des droits et libertés, mais après réflexion et de longues discussions, il a finalement retiré cette requête de son plein gré.

COMPÉTENCE - La question préjudicielle

Dans le pourvoi en cause, l'appelant conteste le rejet antérieur de sa plainte au motif que s'il y avait bien eu discrimination, l'intimé avait été cependant en mesure de démontrer qu'il avait un motif justifiable de poser les actes discriminatoires qui lui étaient reprochés, conformément au paragraphe 15(g) de la Loi.

Avant d'en venir à la conclusion qu'il y avait eu discrimination, le tribunal devait d'abord répondre à la question à savoir si oui ou non le plaignant, David Bader, était habilité à réclamer des mesures de réparations puisque la victime de la pratique discriminatoire alléguée était une société dont lui-même et son épouse étaient les administrateurs et seuls actionnaires.

Sur cette question, le président du tribunal de première instance a formulé le commentaire suivant : Les parties n'ont référé le tribunal à aucune décision où la partie plaignante, qui était actionnaires (sic), administrateur ou cadre d'une compagnie, aurait obtenu une réparation sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne lorsque l'effet direct de l'acte discriminatoire allégué se serait fait sentir sur la compagnie. (Voir page 5, point 3.6.)

Voilà la question préjudicielle soumise au tribunal de première instance et dont le tribunal d'appel est aussi saisi. Comme nous l'avons déjà mentionné, le procureur de l'intimé a fait valoir avec succès à l'audience qu'il était habilité à soulever toutes les questions de fond ayant fait l'objet d'une décision du tribunal de première instance.

Le procureur de l'intimé a contesté avec vigueur les conclusions du tribunal de première instance sur cette question. Le tribunal a analysé en profondeur les faits ainsi que les principes et les autorités sur lesquels le tribunal de première instance s'est appuyé pour en venir à la conclusion qu'il avait compétence pour entendre la plainte présentée par le plaignant en raison de la conséquence suffisamment directe et immédiate des actes discriminatoires allégués sur le plaignant en sa qualité d'actionnaire, d'administrateur, de cadre et d'employé de Don Bosco Agencies Limited, mais non à quelque autre titre. (Voir page 15.)

Le tribunal de première instance appuie cette conclusion sur le principe énoncé dans l'arrêt Singh [1989] 1 C.F., pages 430 à 442, dans lequel la Cour écrivait ce qui suit :

«La législation sur les droits de la personne ne tient pas tant compte de l'intention à l'origine des actes discriminatoires que de leur effet. L'effet n'est d'aucune façon limité à la cible présumée de l'acte discriminatoire et il est tout à fait concevable qu'un acte discriminatoire puisse avoir des conséquences qui sont suffisamment directes et immédiates pour justifier qu'on qualifie de victimes de la discrimination des personnes qui n'ont jamais été visées par l'auteur des actes en question.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Pour établir si les conséquences de la discrimination sur l'entreprise du plaignant étaient suffisamment directes et immédiates, le tribunal s'est reporté à la décision Secrétaire d'État aux Affaires extérieures et autre c. Menghani, (1993) 21 C.H.R.R, p. D/427 et énonce à la page 6 les quatre facteurs appliqués par le tribunal des droits de la personne qui ont reçu en appel l'assentiment tacite de la Cour fédérale.

Le tribunal de première instance a reformulé ces quatre facteurs en termes plus généraux afin de les rendre applicables par analogie aux affaires autres que celles ayant trait à l'immigration, y compris à la plainte en l'espèce. Le tribunal reformule donc ainsi ces quatre facteurs :

  1. la proximité des liens entre le plaignant et la personne qui était la cible de l'acte discriminatoire ou qui en a subi l'effet direct;
  2. la dépendance (financière, émotive) du plaignant à l'égard de la personne qui était la cible de l'acte discriminatoire ou qui en a subi l'effet direct;
  3. la privation d'importantes occasions pour le plaignant du fait d'actes discriminatoires envers une autre personne;

3. le degré de participation du plaignant aux affaires de la personne qui était la cible de l'acte discriminatoire ou qui en a subi l'effet direct.

Le tribunal a analysé de manière assez poussée les éléments de preuve portant sur les quatre facteurs susmentionnés et en est venu à la conclusion (nonobstant la faiblesse de la preuve en ce qui concerne le troisième facteur soit, nommément, la privation d'importantes occasions) que les trois autres facteurs établissent l'existence d'une conséquence suffisamment directe et immédiate, sur le plaignant, des actes discriminatoires allégués à l'endroit de Don Bosco Agencies Limited.

Le tribunal d'appel estime qu'il ne lui appartient pas ici de revenir sur les conclusions de fait du tribunal de première instance. Ces conclusions sur l'effet de la discrimination alléguée sur la personne morale en cause découlent d'une approche nouvelle et constituent une incursion en territoire inconnu. Comme le tribunal de première instance l'a lui-même reconnu, cette conclusion pourrait éventuellement augmenter le nombre de plaintes portées en vertu de la Loi.

Compte tenu des circonstances particulières de l'affaire et des critères établis pour évaluer l'effet d'un acte discriminatoire tels qu'énoncés dans la décision du tribunal des droits de la personne dans l'affaire Menghani qui a été examinée en appel par la Cour fédérale, section de première instance, précitée, le tribunal d'appel est de l'avis que cette décision du tribunal de première instance est si circonscrite et limitée dans son application que la menace éventuelle d'une multiplication des requêtes est minime.

Puisque cette conclusion établit le droit du plaignant de présenter une requête sur l'effet de la discrimination alléguée à l'endroit de Don Bosco Agencies Limited, elle peut aussi sembler donner du poids à la thèse de l'intimé selon qui il est impossible de donner suite à la réclamation de M. Bader puisque l'entreprise n'a, en vertu de la Loi, aucun statut pour porter plainte. La réponse à une telle objection semble claire : il y a en l'espèce concordance d'intérêts et en ce qui concerne la qualité pour comparaître, il est impossible d'établir une distinction entre les actions dirigées contre le plaignant et celles dirigées contre l'entreprise. Dans l'affaire en cause, les intérêts de M. Bader et de son entreprise se confondent et le tort effectif causé à l'un ou à l'autre est le même.

La seule différence significative que nous pouvons établir entre une affaire portée devant le tribunal par M. Bader et une qui le serait par son entreprise se situe au niveau de la procédure : l'entreprise n'est pas habilitée à demander réparation en vertu de la Loi. Par conséquent, nous ne pouvons souscrire à l'argument de l'intimé sans, dans les faits, éteindre toute cause d'action de la part du plaignant. Il existe d'autres possibilités toutefois. On pourrait faire valoir, par exemple, qu'au strict plan du droit, deux personnes sont touchées par la discrimination alléguée. Toute émotivité mise à part, il ne semble pas exister de motif convaincant susceptible d'expliquer pourquoi l'inhabilité d'une personne (dans cette affaire, l'entreprise) pourrait empêcher une autre personne de porter plainte.

Il existe en droit constitutionnel des cas similaires, où la doctrine des droits du tiers (jus tertii) permet à une partie au litige (comme une société) d'invoquer le droit constitutionnel d'une tierce partie dans certaines circonstances particulières et restreintes. L'applicabilité de l'exemple constitutionnel dans les cas de discrimination a été confirmée dans l'affaire américaine Craig v. Boren 429 U.S. 190 (1976), dans laquelle la Cour suprême des États-Unis a établi qu'une loi de l'Oklahoma qui interdisait la vente de bière alcoolisée à 3,2 p. 100 aux hommes de moins de 21 ans et aux femmes de moins de 18 ans était inconstitutionnelle. Cette décision revêt un intérêt particulier en l'espèce, car la requête avait été soumise à la Cour par un fournisseur qui n'était pas membre du groupe victime de discrimination.

Cela n'a pas empêché ce fournisseur de comparaître. Robert Allen Sedler a écrit un article intitulé The Assertion of Constitutional Jus Tertii : A substantive Approach dans la revue California Law Review (décembre 1982) volume 70, pages 1308 à 1344. À la page 1333, il écrit notamment qu'il n'y avait pas de distinction significative entre le tort fait au fournisseur plaignant et celui fait au groupe discriminé :

[Traduction]

«... si l'État ne peut justifier son interdiction d'interdire aux hommes de 18 à 20 ans d'acheter de la bière, il ne peut pas non plus empêcher le plaignant de la leur vendre.»

En l'espèce, la situation est un peu plus complexe. Il semble en effet d'une importance déterminante d'établir s'il existe une distinction significative entre le traitement censément réservé à l'entreprise et celui censément réservé au plaignant. Néanmoins, le même raisonnement semble s'appliquer dans les deux affaires et la question fondamentale demeure la même. Si l'intimé ne peut faire preuve de discrimination à l'endroit de M. Bader, en vertu de quel principe pourrait-il faire preuve de discrimination à l'endroit de son entreprise?

Au moins un auteur a fait valoir qu'il nous faut au Canada nous pencher sur les considérations de principe sur lesquelles s'appuie la jurisprudence américaine en ce qui concerne la doctrine de jus tertii. Dans des commentaires formulés sur l'arrêt R. c. Wholesale Travel (1991) 3 R.C.S. 154 (C.S.C.) dans la revue The Canadian Bar Review (juin 1992) volume 71, no 2, pages 369 à 383, Chris Tollefson écrit ce qui suit à la page 380 :

[Traduction]

Dans de nombreux cas, les cours de justice sont justifiées de permettre à une partie de s'appuyer sur les droits constitutionnels d'une autre de comparaître et d'obtenir réparation. C'est notamment le cas lorsqu'il est jugé nécessaire de promouvoir ou de maintenir un système social souhaitable. C'est aussi le cas, et la jurisprudence actuelle d'intérêt public en fait foi, lorsque la partie véritablement touchée ne dispose d'aucun autre recours pour revendiquer directement le droit en question. (Souligné du tribunal d'appel.)Voilà qui est révélateur de l'importance de la doctrine dans le droit américain, puisque la capacité de la tierce partie de revendiquer ses propres droits est l'un des facteurs principaux dont il est tenu compte dans la jurisprudence américaine. Ce fait semble particulièrement important dans le contexte de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dont le caractère réparateur est notoire.

Les cours de justice canadiennes se sont prononcées sur des questions de même nature en vertu de la Charte des droits, sinon de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans un arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans ce domaine, Hy & Zel's Inc. c. Ontario (Procureur général) [1993] 3 R.C.S. 675, par exemple, le plus haut tribunal a rejeté un pourvoi en appel de tierces parties qui demandaient que la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail de l'Ontario soit déclarée inconstitutionnelle. Richard S. Kay résume le jugement de la majorité dans son article Jus Tertii Standing and Constitutional Review in Canada (février 1997) 7 N.J.C.L., pages 129 à 169. Il écrit plus particulièrement à la page 130 :

[Traduction]

Tout en reconnaissant qu'une question constitutionnelle sérieuse lui avait été soumise et que la Loi avait un effet direct sur les appelants, il en est venu à la conclusion que les appelants avaient fait défaut de satisfaire à un troisième critère, soit qu'il existait d'autres recours raisonnables et efficaces devant une cour de justice. (Souligné du tribunal d'appel.)

Bien que le litige en ce domaine soit trop complexe pour l'examiner en détail ici, il convient de signaler que ce commentaire résume bien l'un de ses thèmes les plus dominants.

Le même genre de préoccupation semble étayer la décision rendue dans au moins une autre affaire canadienne qui présente un ensemble de faits similaires aux faits ici en cause. Dans l'arrêt Agence canadienne de commercialisation des oeufs c. Richardson (1995) 33 Admin. L.R. (2e édition) 128, la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest a pris en considération un ensemble de circonstances. Invoquant l'arrêt Wholesale Travel, précité, l'Agence de commercialisation faisait valoir que l'intimée n'avait pas la qualité requise pour contester la constitutionnalité en vertu de la Charte des droits parce qu'elle exerçait ses activités par l'entremise d'une ou plusieurs entreprises. M. le juge deWeerdt a rejeté cet argument au motif que la question à trancher était grave et que dans les circonstances, il n'y avait aucun autre recours raisonnable et efficace de la trancher. (Page 137. Souligné du tribunal d'appel.)

Il convient aussi de mentionner que la Cour dans l'arrêt Richardson s'était penchée sur une question relevant de l'article 15 de la Charte des droits puisque dans le libellé de cet article, comme dans l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, on trouve le mot individu. Cette question est pertinente en l'espèce parce que les cours de justice n'ont pas étendu le concept d'égalité des droits prévu à l'article 15 aux sociétés commerciales. Comme le juge Joyal l'indique dans l'arrêt Parkdale Hotel Limited. c. Procureur général du Canada (1986) 27 D.L.R. (4) 19 (C.F.S.P.I.), à la page 36f :

[Traduction]

«Il semble que compte tenu du libellé de l'article 15 (c'est-à-dire, compte tenu de l'utilisation qui y est faite du mot individu), la protection qu'offre cet article ne vaut que pour les seules personnes physiques et que les sociétés ou autres personnes morales ne peuvent se prévaloir de la protection offerte.»

Cela n'a pas empêché le juge deWeerdt d'accorder la qualité pour comparaître à l'intimée dans l'affaire Richardson et son point de vue semble avoir été accepté de manière implicite par la Cour d'appel des Territoires du Nord-Ouest dans son arrêt (1996) 60 A.C.W.S. 722.

Si nous appliquons le raisonnement formulé dans l'arrêt Richardson à l'affaire en cause, nous sommes interpellés par une question : si, en l'espèce, M. Bader ne peut formuler une plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui le peut? Son entreprise ne le peut certainement pas puisque la Loi vise les individus et empêche une entreprise commerciale de demander réparation.

Comme le tribunal de première instance l'a soutenu, la règle établie dans l'affaire Foss c. Harbottle (1842) 2 Hare 461, 67 E.R. 189 ne s'applique pas ici, car elle a été établie pour empêcher qu'une entreprise commerciale et ses actionnaires engage des actions distinctes à l'égard du même préjudice et qu'on voulait ainsi éliminer toute possibilité de double indemnisation à l'égard du

même préjudice. Si la règle de l'arrêt Foss c. Harbottle était appliquée aux plaintes déposées en vertu des lois sur les droits de la personne, l'objet même de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui consiste à éliminer la discrimination contre des individus et afin de promouvoir le principe du droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement ..., ne serait pas atteint dans des cas comme celui qui est soumis en l'espèce au tribunal d'appel.

Par ailleurs, l'individu ne peut être empêché du fait de son appartenance à une entreprise de se prévaloir pour lui-même des dispositions de la Loi. Selon l'analyse que nous faisons des principes qui ont motivé la décision du tribunal de première instance sur cette question, si nous devions trancher en faveur de l'intimé, cela reviendrait à dire qu'une victime de discrimination n'aurait aucun moyen d'obtenir réparation si la perte qu'elle a subie est assumée par l'entreprise à laquelle elle appartient.

Il est vrai que dans l'affaire en cause, il est question de la Loi canadienne sur les droits de la personne et non de la Constitution. Cependant, les lois sur les droits de la personne ont maintes fois été décrites comme quasi constitutionnelles et des considérations similaires semblent donc pouvoir s'appliquer aux deux textes. Les cours de justice ont souligné que la Loi canadienne sur les droits de la personne devait être interprétée de manière large et libérale et il semble injuste de placer certains actes discriminatoires hors de portée des dispositions de la Loi au motif que le plaignant exerçait ses activités par l'entremise d'une entreprise qui lui appartenait.

Compte tenu de toutes les circonstances ici en cause, le tribunal d'appel est d'avis que la conclusion du tribunal de première instance sur la question de la compétence doit prévaloir. Par conséquent, le tribunal d'appel a compétence dans l'affaire en cause et peut se prononcer sur les autres questions.

DISCRIMINATION - Article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

Le tribunal de première instance en est venu à la conclusion qu'à première vue et jusqu'à preuve du contraire, l'intimé avait fait preuve de discrimination fondée sur la race caucasienne et l'origine ethnique canadienne du plaignant qui est actionnaire, administrateur, dirigeant et employé de la société Don Bosco Agencies Limited. Le plaignant aurait fait l'objet de discrimination par rapport aux détaillants de plantes médicinales de race orientale et d'origine ethnique chinoise. (Souligné du tribunal d'appel.)

Le procureur de l'intimé, à la page 165 de son mémoire, a concédé qu'il lui serait difficile d'obtenir gain de cause sur la question de la preuve suffisante de discrimination jusqu'à preuve du contraire (prima facie). Cependant, il n'était pas pour autant disposé à reconnaître qu'il y avait bien eu discrimination, compte tenu de l'existence de ce qu'il a appelé une politique axée sur le produit de la Direction générale de la protection de la santé et de la dichotomie importateur-détaillant dont il a dit qu'elle avait amené les intéressés à comparer des pommes à des oranges.

Ce thème revient tout au long du mémoire du procureur de l'intimé et il est formulé à la page 336 de la manière suivante :

[Traduction]

«J'affirme que compte tenu du fait que la politique est axée sur le produit et que puisque la différence de traitement constatée existait entre les importateurs et les détaillants, il n'y a pas eu de discrimination. Il y a plutôt eu simplement traitement différent de personnes appartenant à des catégories différentes.»

Dans sa conclusion qu'il y avait eu discrimination, le tribunal de première instance a reconnu la validité de cette analyse et a comparé le plaignant et son entreprise, Don Bosco Agencies Limited, qui est un importateur, à des détaillants chinois de plantes médicinales. (Souligné du tribunal d'appel.)

Le tribunal d'appel rejette l'argument de l'intimé qu'il n'y a pas eu discrimination parce que les comparaisons effectuées pour établir les différences de traitement l'ont été entre des entités n'appartenant pas à des catégories correspondantes. Le tribunal est plutôt d'avis que la preuve produite démontre amplement qu'une comparaison menant aux mêmes conclusions peut être effectuée entre des importateurs ethniques chinois et Don Bosco Agencies Limited en sa qualité d'importateur. Même si le tribunal d'appel souscrit aux conclusions du tribunal de première instance sur la question de la preuve suffisante de discrimination jusqu'à preuve du contraire, il convient de mentionner que dans le cadre de son analyse de la preuve relative à la discrimination, le tribunal de première instance s'est concentré sur les détaillants de plantes médicinales de race orientale et d'origine ethnique chinoise. (Souligné du tribunal d'appel.) De l'avis du tribunal d'appel, la preuve démontre qu'en fait, il ne lui était pas nécessaire de restreindre ses conclusions sur cette question aux détaillants d'origine ethnique chinoise. Dans le contexte de la décision du tribunal, la distinction entre détaillants et importateurs revêt une certaine importance pour les motifs suivants :

1. Elle appuie l'hypothèse avancée par le procureur de l'intimé que la comparaison qui a servi à établir la différence de traitement n'est pas valide au motif qu'elle ne visait pas des personnes appartenant à des catégories correspondantes.

2. Elle laisse entrevoir par anticipation l'effet que, le cas échéant, la soi-disant dichotomie importateur-détaillant pourrait avoir sur la défense de motif justifiable. À cet égard, il peut être utile de se reporter au commentaire formulé à la page 41 de la décision du tribunal de première instance où on peut lire le passage suivant :

«Le plaignant et la Commission ont comparé l'application différente de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements à l'égard de Don Bosco Agencies Limited, qui est un importateur/grossiste, avec l'application de la Loi et de ses règlements à l'égard des détaillants herboristes chinois. C'est comme si l'on comparait, pour reprendre les mots de l'avocat de l'intimé, des pommes avec des oranges. Pour faire des comparaisons pertinentes, il aurait fallu comparer l'application de la Loi et des règlements à l'égard des aliments de santé et des produits à base d'herbes médicinales :

(1) entre les détaillants ethniques et non ethniques;

(2) entre les importateurs/grossistes ethniques et non ethniques.»

(Souligné du tribunal d'appel.)

Le tribunal de première instance formule ces commentaires après avoir adapté à l'affaire en cause les éléments subjectif et objectif du critère énoncé par le juge McIntyre, dans l'arrêt La Commission ontarienne des droits de la personne c. La municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S., pp. 202 à 208. Ce faisant, le tribunal s'est appuyé sur l'arrêt Canada (Procureur général) c. Rosin (1992), 16 C.H.R.R. D/441 à D/453 (C.A.F.) rendue par le juge d'appel Linden. (Voir page 33 et subséquentes de la décision du tribunal.)

Le plaignant, par l'entremise de sa société, Don Bosco Agencies Limited, importe des aliments de santé, des vitamines et des produits à base d'herbes médicinales. Au cours des années quatre-vingts, il s'est procuré certains produits chez des détaillants ethniques chinois ayant pignon sur rue dans le quartier chinois de Vancouver et il a acheminé des échantillons de ces produits au bureau de la DGPS à Vancouver afin de démontrer qu'il existait des lacunes dans l'application des dispositions de la Loi sur les aliments et drogues relatives à l'importation de produits au sujet desquels étaient formulées des revendications de propriétés curatives d'un état physique anormal mentionné à l'annexe A (revendications liées à l'annexe A). Les étiquettes de ces produits comportaient de telles revendications et ne comportaient aucun code d'identification numérique de la drogue (code DIN). Ces produits avaient une teneur élevée en don quai, substance qui avait à l'époque le statut de drogue nouvelle. Quelque 70 p. 100 des préparations d'herboristerie chinoises contiennent du don quai. (Voir la lettre du Dr R.A. Armstrong à M. R.T. Ferrier datée du 23 mars 1989.)

Le plaignant avait forcément mené son enquête chez des détaillants où des produits à base d'herbes médicinales chinois étaient accessibles, étalés et offerts en vente.

À l'époque en question, la surveillance des livraisons importées de produits à base d'herbes médicinales chinois se limitait à l'envoi aux fonctionnaires de la DGPS par les autorités douanières des documents accompagnant les livraisons. Il était donc pratiquement impossible pour le plaignant, compte tenu de sa position, d'intervenir au moment où les livraisons se trouvaient sous le contrôle des douanes.

En ce qui concerne la preuve qu'il existait des liens étroits entre les importateurs et les détaillants ethniques chinois, il suffit de se reporter au rapport du projet DEHA dans lequel M. Forbes, directeur, Région de l'Ouest, DGPS, formule le commentaire suivant :

[Traduction]

«Il appert que les détaillants s'occupent eux-mêmes de leurs importations, ce qui augmente de manière considérable le nombre de points que nous (DGPS) devons surveiller pour évaluer quels sont les produits qui entrent au pays.» (Voir pièce HR-1, volume 1, onglet 21, page 2, point 3.)

On trouvera à l'annexe I une liste des 15 principaux importateurs chinois. Au cours du contre-interrogatoire mené par la procureure de la Commission, l'inspecteur Sloboda a indiqué que onze d'entre eux figuraient aussi sur la liste de M. Forbes. (Voir pages 1710 à 1712 du volume 12 de la transcription des témoignages.)

Le rapport du projet DEHA a été suivi le 22 septembre 1987 par le rapport sur la Stratégie de visibilité de la région de l'Ouest (Rapport WRVS) dont les auteurs étaient les inspecteurs Wozny et Ansari. Ce rapport, désigné pièce HR-1, volume 1, onglet 42, ne comportait pas de liste des importateurs chinois.

Toutefois, le procureur a remis à l'inspecteur Sloboda une liste que le témoin a identifiée comme étant la liste manquante des importateurs sélectionnés aux fins de l'étude.

Même si la liste manquante n'était pas annexée au Rapport WRVS, elle contenait bien les noms des onze importateurs chinois identifiés par l'inspecteur Sloboda et a été désignée pièce HR-5.

En contre-interrogatoire, on a présenté à l'inspecteur Sloboda une lettre datée du 7 octobre 1987 adressée par le directeur Forbes à M. Riou, directeur, Bureau des opérations régionales, DGPS, à Ottawa (pièce R-1, volume 1, onglet 39). Cette lettre a été rédigée peu après que le Rapport WRVS ait été publié et est intitulée [Traduction] Réglementation des drogues ethniques. Au premier paragraphe, il est question [Traduction] ... d'un relevé concret de la situation au niveau du commerce de détail. Immédiatement après un astérisque situé au bas de cette même page, on peut lire la mention suivante : [Traduction] Il convient de souligner que tous les détaillants visités étaient aussi des importateurs.

Lorsqu'on lui a demandé de commenter la lettre qu'avait adressée le directeur Forbes à M. Riou en se reportant à la liste d'importateurs ethniques chinois qui était jointe au rapport du projet DEHA, l'inspecteur Sloboda a été contraint de répondre : [Traduction] ... oui ce sont des importateurs et oui, ce sont des détaillants. Voir pages 1714 et 1715, volume 12 de la transcription des témoignages entendus au cours de l'audience de première instance. (Souligné du tribunal d'appel.)

Le plaignant a visité des commerces de détail chinois en février 1984 et de nouveau en 1985. Il a dressé la liste des noms de ces commerces, liste qui figure dans la pièce HR-1, volume 1, onglet 6, et on peut établir une comparaison entre les noms qui y sont énumérés et ceux qui sont énumérés sur la liste des principaux importateurs chinois du directeur Forbes et de l'annexe II du Rapport WRVS. Il est évident que les noms des commerces de détail ethniques chinois visités par le plaignant figurent également sur la liste des principaux importateurs chinois qui figurent soit à l'annexe II ou sur la liste du directeur Forbes, ce qui corrobore l'observation faite par M. Forbes dont il a été précédemment question, soit nommément, que [Traduction] les détaillants s'occupent eux-mêmes de leurs importations, ....

La liste compilée par le plaignant comprend le nom des établissements qu'il a visités et des produits qu'il y a achetés. Cette liste décrit en détail le nom de chaque produit, les revendications de propriétés curatives (d'états physiques anormaux mentionnés à l'annexe A) et indique si le produit possède un code DIN. Aucun des produits figurant sur la liste du plaignant ne possède de code DIN et sur les étiquettes de tous ces produits, on trouvait des revendications liées à l'annexe A.

Le tribunal de première instance a jugé qu'on avait établi de manière suffisante jusqu'à preuve du contraire que la DGPS avait fait preuve de discrimination contre le plaignant dans un certain nombre de domaines qui sont décrits, examinés et analysés dans cette décision et qu'on pourrait résumer brièvement comme suit :

1. Produits importés par Don Bosco Agencies Limited auxquels on a refusé l'entrée sur le territoire canadien au motif :

a) qu'ils avaient le statut de drogue nouvelle;

b) qu'ils ne comportaient pas de code DIN;

c) qu'il se trouvait sur leur étiquette ou sur la notice d'accompagnement des revendications liées à l'annexe A. Pourtant, des produits semblables ou similaires importés par des commerçants ethniques chinois n'avaient pas été refusés.

2. De manière générale, un certain nombre de notes de service, de rapports de projet et d'autres rapports, y compris un extrait du Rapport WRVS du 22 septembre 1987 mentionné par le tribunal et cité à la page 30 de sa décision de la manière suivante :

[Traduction]

«De beaucoup, le plus grand nombre et le degré le plus élevé d'infractions se trouve au sein de la communauté ethnique chinoise. On y compte plus de magasins, plus de produits et plus d'importateurs que tout autre groupe.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Dans chacun de ces cas, le tribunal de première instance en est venu à la conclusion qu'on avait établi de manière suffisante jusqu'à preuve du contraire la prétention de traitement différentiel du plaignant par la DGPS. À une exception près, il n'est pas de l'intention du tribunal d'appel de revenir sur les faits qui ont étayé ces conclusions du tribunal de première instance. Cette exception figure sous la rubrique Drogue nouvelle et elle porte plus précisément sur la substance appelée don quai.

Le don quai représente l'exemple le plus ostensible du traitement différentiel accordé par la DGPS au plaignant et à l'ensemble des commerçants occidentaux d'aliments de santé. Entre autres manifestations de ce traitement différentiel, mentionnons les politiques maladroites et contradictoires adoptées par la DGPS et auxquelles étaient assujettis le plaignant et ses associés ainsi que les pratiques d'application inégales et sporadiques mises de l'avant par la DGPS. Ces politiques et ces pratiques favorisaient, quel qu'en soit le motif, les détaillants et les importateurs ethniques chinois. La preuve produite devant le tribunal de première instance appuie cette conclusion. Le tribunal d'appel formulera d'autres commentaires sur la question du don quai lorsqu'il analysera la défense de motif justifiable.

Dans sa décision rendue sur la question de la discrimination, le tribunal de première instance n'a pas directement analysé l'argument du procureur de l'intimé selon qui la politique de la DGPS serait axée sur les produits. Cette question a plutôt été abordée par le tribunal de première instance dans son analyse de la défense de motif justifiable invoquée par l'intimé en vertu du paragraphe 15(g) de la Loi.

Le tribunal de première instance en est bel et bien venu toutefois à la conclusion que l'application par la DGPS des dispositions de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements sur les drogues nouvelles, sur le code DIN et sur les revendications liées à l'annexe A et certains documents internes de la DGPS avaient bel et bien eu un effet différentiel sur Don Bosco Agencies Limited, ce qui constituait une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire d'actes discriminatoires contraires aux dispositions de la Loi. (Souligné du tribunal d'appel.)

À notre avis, il est impossible de dissocier entièrement le libellé d'une politique de la manière dont elle est appliquée dans une situation donnée, du défaut de l'appliquer dans certains cas ou de son application d'une manière qui ne peut que saper son intégrité. À cet égard, il peut être utile de se reporter à la pièce HR-1, volume II, onglet 117, datée du 23 janvier 1989, document dans lequel M. Elliot, directeur général, Opérations régionales, examine la question de l'application des règlements relatifs aux herbes médicinales et aux produits d'herboristerie et en particulier celle du statut du don quai en tant qu'aliment ou drogue.

En bref, nous souscrivons à la conclusion du tribunal de première instance qui a jugé qu'il y avait eu discrimination et que Don Bosco Agencies Limited avait fait l'objet d'un traitement différentiel. Toutefois, nous sommes aussi de l'avis que la preuve n'appuie pas la conclusion suivant laquelle ce traitement différentiel n'aurait existé que par rapport aux détaillants ethniques chinois.

Par contre, la preuve démontre bien clairement que les importateurs et détaillants appartenant à la communauté ethnique chinoise sont, dans presque tous les cas, les même. Il s'ensuit que la comparaison effectuée entre Don Bosco Agencies Limited et les commerçants ethniques chinois n'en est pas une entre des importateurs et des détaillants et que l'argument selon lequel on aurait cherché à comparer des pommes à des oranges ne tient pas.

Nous en venons donc à la conclusion que le niveau de la chaîne d'approvisionnement, soit celui des importations ou celui du commerce de détail, auquel le traitement préférentiel a été accordé aux commerçants ethniques chinois importe peu dans la mesure où la politique d'application de la Loi par la DGPS est visée.

NOUVEAUX ÉLÉMENTS DE PREUVE

  1. La lettre à la profession du 1er mai 1996 (pièce C-1) émise par la DGPS et la liste qui y était annexée ont été admises en preuve au motif que ces pièces sont essentielles dans l'intérêt de la justice, car elles démontrent que les mesures palliatives temporaires prises par la DGPS en réaction aux plaintes de M. Bader ne constituaient pas une solution de rechange durable aux pratiques et politiques d'application préconisées par la DGPS.
  2. Le compte rendu daté du 14 décembre 1988 d'une réunion entre des représentants de la DGPS et des fonctionnaires de l'ambassade de la République populaire de Chine à Ottawa. Ce document a fait l'objet de discussions au cours du contre-interrogatoire de M. Riou, directeur du Bureau des opérations régionales. À cause d'un malheureux concours de circonstance, cet important document, dont l'authenticité a été prouvée, n'a pas été admis en preuve au cours de l'audience de première instance ni marqué comme une pièce au dossier.
  3. L'affidavit de David Bader auquel est annexé la pièce B énumérant les différents achats effectués par lui dans différentes villes canadiennes au cours des mois de septembre et octobre 1996. La liste de M. Bader, la pièce B, a été comparée à la lettre à la profession datée du 1er mai 1996 (pièce C-1). Cette liste énumère les médicaments traditionnels à base d'herbes médicinales contenant ... des niveaux élevés de métaux lourds nocifs comme l'arsenic et le mercure qui peuvent causer des problèmes de santé très graves. Dans la liste de M. Bader annexée à son affidavit, la pièce B, il énumère en détail les produits ne comportant pas de code DIN et les produits sur les étiquettes desquels on trouve des revendications liées à l'annexe A. Nombre de ces produits figurent également sur la liste annexée à la lettre à la profession, ce qui corrobore les assertions de M. Bader selon qui l'application de la politique de la DGPS sur l'évaluation des risques demeure un problème.

Le tribunal d'appel est d'opinion qu'il est indispensable à la bonne administration de la justice d'admettre en preuve les documents mentionnés aux points 1 à 3 ci-dessus. Par conséquent, ces documents ont été admis et identifiés comme des pièces au dossier.
DÉFENSE DE MOTIF JUSTIFIABLE DE L'INTIMÉ

Avant d'analyser les questions de fond comme telles visées par le pourvoi, il nous semble utile d'examiner les dispositions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne et les motifs de l'appel et d'établir dans quel ordre nous devrions les aborder.

L'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne stipule ce qui suit :

«Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public :

a) d'en priver un individu;

b) de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture.

L'article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne énumère certaines exceptions y compris, entre autres, le paragraphe g) qui se lit comme suit :

«15. Ne constituent pas des actes discriminatoires :

g) le fait qu'un fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s'il a un motif justifiable de le faire.»

Fondamentalement, l'intimé fait valoir qu'il a le droit d'invoquer cette dernière disposition en réponse à la conclusion du tribunal de première instance qu'il aurait posé un acte discriminatoire parce que sa politique d'évaluation des risques axée sur le produit exigeait que ses ressources limitées en matière d'application soient déployées dans les secteurs où elles pourraient être utilisées de la manière la plus efficace possible et où le risque perçu pour la population était le plus grand.

En d'autres termes, les ressources limitées dont l'intimé disposait pour faire appliquer la réglementation n'étaient pas concentrées dans des secteurs où l'intimé estimait que le risque pour la population était inférieur en l'occurrence, au sein de la communauté ethnique chinoise.

Avant d'analyser la preuve, le tribunal de première instance a fait état des principes juridiques applicables compte tenu des faits mentionnés dans la plainte.

Le tribunal a commencé par énoncer qu'il incombait à l'intimé de prouver qu'il avait un motif justifiable (voir page 33 de la décision). Nous présumons que le tribunal de première instance entendait par là qu'il appartenait à l'intimé de prouver, suivant la prépondérance des probabilités, qu'il s'était conformé aux critères subjectif et objectif énoncés par le juge McIntyre dans l'arrêt Etobicoke, précité.

Le tribunal, s'appuyant sur l'arrêt Canada (Procureur général) c. Rosin (1992), 16 C.H.R.R. D/441 à D/453 (C.A.F.), du juge Linden de la Cour d'appel fédérale a adapté les critères articulés par le juge McIntyre dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke [1982] 1 R.C.S., pages 202 à 208. Le critère objectif a été reformulé de la manière suivante à la page 36 de la décision du tribunal de première instance :

«La politique ou la pratique doit se rapporter objectivement à l'application de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'application efficace et économique de la Loi et la protection de la sécurité du public en général.»

Le critère subjectif a été reformulé de la manière suivante à la page 34 de la décision du tribunal de première instance :

«Pour constituer un motif justifiable, la politique ou la pratique doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette politique ou pratique a été adoptée en vue d'assurer la bonne application de la Loi ou des règlements d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux de la Loi canadienne sur les droits de la personne.»

Les trois éléments du critère subjectif que le tribunal a adaptés en s'inspirant de l'arrêt Large c. La Corporation municipale de Stratford, [1995] J.C.S. no 80 (C.S.C.) exigent que la politique ou la pratique ait été imposée :

«a) honnêtement, de bonne foi;

b) avec la conviction sincère que cette politique ou pratique est imposée en vue d'assurer l'application adéquate de la Loi et des règlements d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique; et

c) non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux de la Loi canadienne sur les droits de la personne.»

Il convient de signaler que l'interprétation de la partie subjective du critère contenant les trois éléments susmentionnés avait été proposée par le procureur de la Commission dans cette affaire. La Cour avait soutenu que le critère subjectif était appliqué de manière trop rigide lorsqu'on insistait, comme l'a fait le procureur de la Commission, sur l'obligation, pour satisfaire à la partie b) du critère, de produire une preuve sur l'état d'esprit de l'employeur.

Avant d'analyser la preuve, le tribunal de première instance a résumé la position de l'intimé à l'égard de la défense de motif justifiable et de tout effet différentiel qui avait pu découler de l'administration et de l'application de la Loi. De l'avis de l'intimé, cet effet différentiel découlait :

1) de la politique de l'intimé de concentrer le déploiement de son personnel d'application de la Loi principalement au niveau de l'importation et de la fabrication plutôt qu'au niveau de la vente au détail; et

2) de la politique de classification de l'évaluation des risques de l'intimé qui :

i) a attribué une évaluation de faible risque à la consommation de remèdes à base d'herbes traditionnels par les membres des communautés ethniques; et

ii) avait présumé que les ventes par les herboristes ethniques se limitaient principalement aux membres de leurs communautés ethniques respectives. (Voir page 35 de la décision.)

Sur la question du critère objectif, l'analyse du tribunal de première instance a été la suivante :

«La politique ou la pratique doit se rapporter objectivement à l'application de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements :

1) en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'application efficace et économique de la Loi

2) et la protection de la sécurité du public en général.»

Après avoir analysé en profondeur la preuve, le tribunal en est venu à la conclusion que l'intimé avait répondu aux exigences du critère objectif. Sa décision à cet égard se trouve à la page 49 de la décision et se lit comme suit :

Le Tribunal conclut que la preuve établie selon la prépondérance des probabilités que ces politiques et pratiques satisfont aux deux volets du critère objectif. Les politiques et pratiques de l'intimé étaient une réponse raisonnable de l'intimé au mandat que le législateur lui a confié eu égard aux ressources qui lui étaient allouées et à la portée de ses responsabilités en matière d'application de la Loi.

Le Tribunal conclut que l'intimé ne va pas à l'encontre de la Loi canadienne sur les droits de la personne en établissant entre des produits des différences fondées sur l'origine ethnique du produit.

Après avoir brièvement examiné la preuve à l'égard du critère subjectif, le tribunal de première instance en est venu à la conclusion que l'intimé satisfaisait aussi à ce critère et on trouve sa décision à cet égard à la page 52 de la décision. Cette conclusion se lit comme suit :

«Le Tribunal conclut que la preuve établie selon la prépondérance des probabilités que les politiques et pratiques de l'intimé soumises à son examen ont satisfait aux trois éléments du critère subjectif.»

Il convient de signaler que le tribunal a appliqué le critère objectif avant le critère subjectif, et qu'il a donc procédé dans l'ordre inverse à celui préconisé par le juge McIntyre dans l'arrêt Etobicoke. Dans cette affaire, le savant juge n'avait trouvé aucun élément de preuve indiquant que les motifs de l'employeur n'étaient pas honnêtes ou empreints de bonne foi au sens où il l'avait décrit et que l'élément subjectif du critère n'était donc pas en cause.

De plus, l'analyse dans un premier temps du critère subjectif puis, dans un deuxième temps, du critère objectif semblerait être davantage conforme aux dispositions du paragraphe 15(g) de la Loi qui se lit en partie comme suit :

. . . s'il a un motif justifiable de le faire. (Souligné du tribunal d'appel.) Il semblerait que la procédure appropriée exige qu'on s'intéresse d'abord à l'élément subjectif, puis qu'on cherche ensuite à établir si l'intimé a satisfait au critère objectif. Toutefois, comme dans son application du critère subjectif, le tribunal de première instance se reporte à des questions auparavant mentionnées dans l'application du critère objectif, le tribunal d'appel considère plus pratique de traiter de ces questions dans l'ordre adopté par le tribunal de première instance dans sa décision.

La Commission et le plaignant ont tous deux déposé un avis d'appel distinct. Les motifs d'appel de la Commission se lisent comme suit :

[Traduction]

  1. Que le tribunal a commis un erreur de droit en ce qui concerne l'attribution du fardeau de la preuve entre les parties à l'égard de la défense de motif justifiable.
  2. Que le tribunal a commis un erreur de droit à l'égard de la preuve requise pour établir qu'il y a eu un motif justifiable.
  3. Que le tribunal a commis un erreur de droit à l'égard de l'aspect de la défense de motif justifiable ayant trait à l'évaluation des risques.
  4. Que le tribunal a commis une erreur de fait et de droit à l'égard de l'élément d'application efficace de la Loi invoqué dans la défense de motif justifiable.
  5. Que le tribunal a commis une erreur de fait et de droit à l'égard des éléments de bonne foi et d'honnêteté du critère subjectif requis pour démontrer un motif justifiable.

Les motifs d'appel mentionnés dans l'avis d'appel du plaignant qui étaient différents de ceux avancés par la Commission sont les suivants :

[Traduction]

  1. Que le tribunal a commis une erreur de droit dans l'interprétation des exigences relatives à la défense de motif justifiable, aussi bien en ce qui concerne le critère objectif que le critère subjectif.
  2. (Voir point 2 ci-dessus.)
  3. Que le tribunal a commis une erreur d'application de la Loi compte tenu de la preuve produite devant lui.
  4. Que le tribunal et le procureur de l'intimé ont commis une erreur de droit et ont contrevenu aux lignes directrices régissant les conflits d'intérêt lorsqu'ils ont fait défaut de révéler, au début de l'audience, que le président du tribunal était l'ancien professeur de droit du procureur à l'Université de Victoria, un fait qui pouvait constituer un conflit d'intérêts ou être perçu comme tel.
  5. Que le tribunal a commis une erreur de droit en ne permettant pas de contre-interrogatoire sur les documents déposés comme pièces au dossier comme il avait précédemment énoncé qu'il le ferait.
  6. Que le tribunal a manqué aux principes courants d'équité en laissant de côté certains passages et paragraphes importants dans ses citations des notes de service et autres documents de la Direction générale de la protection de la santé.

Le point ii) ci-dessus est le même que le point 2 des motifs d'appel de la Commission et nous avons disposé du point iv) à la section de la présente décision portant sur les questions préliminaires. Le tribunal d'appel ne conteste pas la formulation ou la reformulation par le tribunal de première instance des principes initialement énoncés dans la jurisprudence invoquée.

Par contre, la manière dont ces critères ont été appliqués, l'attribution du fardeau de la preuve, les hypothèses sous-jacentes et la qualité de la preuve produite à l'appui des conclusions du tribunal de première instance constituent les enjeux de ce pourvoi et nous devons donc les analyser.
NORME D'APPEL

En cas de contestation d'une décision d'un tribunal composé de moins de trois membres, l'article 55 de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit la constitution d'un tribunal d'appel. Conformément aux paragraphes 2, 3, 4 et 5 de l'article 56 de la Loi, les pouvoirs du tribunal d'appel sont décrits comme suit :

«Constitution

d'un tribunal d'appel
(2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les tribunaux d'appel sont constitués comme les tribunaux prévus à l'article 49 et sont investis des mêmes pouvoirs; leurs membres ont droit à la rémunération et aux indemnités prévues au paragraphe 49(4).

Motifs

d'appel (3) Le tribunal d'appel peut entendre les appels fondés sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait.

Audience

(4) Le tribunal d'appel entend l'appel en se basant sur le dossier du tribunal dont la décision ou l'ordonnance fait l'objet de l'appel et sur les observations des parties intéressées; mais il peut, s'il l'estime indispensable à la bonne administration de la justice, recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre des témoignages.

Décision

(5) Le tribunal d'appel qui statue sur les appels prévus à l'article 55 peut soit les rejeter, soit y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles faisant l'objet des appels.

L.R. (1985) ch. H-6, art. 56; L.R. (1985) ch. 31 (1er suppl.), art. 67.»

Avant la promulgation de l'article 56 actuel de la Loi canadienne sur les droits de la personne en 1985, l'article décrivant les pouvoirs du tribunal d'appel se trouvait à l'article 42.1, paragraphe (6) et se lisait comme suit :

«(6) Le tribunal d'appel qui statue sur les appels prévus au présent article peut

a) les rejeter; ou

b) y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles du tribunal dont la décision fait l'objet de l'appel.»

Bien que leur libellé soit légèrement différent, le paragraphe 56(5) de la Loi actuelle et le paragraphe 42.1(6) de l'ancienne version de la Loi possèdent fondamentalement le même sens.

La procureure de la Commission a demandé au tribunal d'appel d'interpréter au sens large les pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 56 et plus particulièrement le paragraphe (5).

Elle a invoqué la décision du tribunal d'appel dans l'affaire Butterill et autres c. VIA Rail Canada Inc. (1980) 1 C.H.R.R. D/233, dans laquelle il avait été établi que les tribunaux d'appel disposaient d'un vaste pouvoir discrétionnaire qui leur permettait de substituer leur propre opinion à celle du tribunal de première instance.

Bien que cette décision particulière ait été cassée en appel, le juge en chef Thurlow, a maintenu le pouvoir d'un tribunal d'appel de renverser une décision du tribunal de première instance sur les faits lorsque la Cour d'appel fédérale a été saisie de cette même affaire dans Butterill et autres c. VIA Rail Canada Inc. (1982) 3 C.H.R.R. D/1043, D/1044 et 45 :

[Traduction]

«. . . quoi qu'il en soit, en ce qui concerne l'alinéa 42.1(6)b) de la Loi, je ne crois pas qu'on puisse en toute justice prétendre que le tribunal d'appel n'est pas habilité à substituer son jugement à celui du tribunal des droits de la personne.»

À la page D/1046, le juge affirme ce qui suit :

[Traduction]

«Il appartenait au tribunal d'appel d'examiner les questions en se fondant sur le dossier du tribunal des droits de la personne et sur tout élément de preuve additionnel qu'il était susceptible d'admettre.

Le fait que l'esprit sous-jacent aux lois sur les droits de la personne exige une interprétation large et libérale est devenu un principe élémentaire de droit. Les tribunaux d'appel se sont vus conférer le pouvoir d'entendre des témoignages oraux additionnels et, le cas échéant, le pouvoir de rendre la décision ou d'émettre l'ordonnance que selon eux le tribunal de première instance aurait dû rendre ou émettre.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Toutefois la décision Butterill ne constitue pas le dernier mot du juge en chef Thurlow sur la question comme en témoigne l'arrêt Brennan c. La Reine [1984] 2 C.F. 799 (C.A.F.) où il s'est intéressé aux pouvoirs des tribunaux d'appel en vertu de l'article 42.1 et où il a notamment écrit ce qui suit :

[Traduction]

«Dans l'affaire ici en cause, aucun témoignage additionnel n'a été entendu.

On pourra observer dans l'extrait que je viens de citer que pour l'essentiel, le tribunal d'appel semble avoir renversé les déductions de fait qu'avait tirées le tribunal des droits de la personne, qui estimait que Mme Robichaud avait consenti à des relations sexuelles, pour en venir plutôt à la conclusion que cette participation avait été, à tout le moins dans une certaine mesure, obtenue par voie de coercition. Selon moi, cette conclusion était possible compte tenu de la preuve et le tribunal d'appel était habilité à la faire. Il ne fait aucun doute que, dans une situation de ce genre où la preuve portée à la connaissance du tribunal d'appel est exactement la même que celle dont disposait le tribunal des droits de la personne, le premier doit conformément aux principes bien connus, adoptés et appliqués dans Stein et al. c. Le navire Kathy K, [1976] R.C.S. 802, 62 D.L.R. (3d) 1, accorder tout le respect qui convient à l'opinion du tribunal des droits de la personne quant aux faits, en raison particulièrement de l'avantage qu'a eu ce dernier de pouvoir évaluer la crédibilité des témoins puisqu'il les a vus et entendus. Toutefois, cela dit, le tribunal d'appel avait néanmoins le devoir d'examiner la preuve et de substituer sa propre conclusion sur les faits s'il était convaincu que la conclusion du tribunal des droits de la personne était entachée d'une erreur évidente ou manifeste.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Puisque il n'y a eu aucun nouvel élément de preuve dans l'affaire Brennan, on pourrait en venir à la conclusion que le tribunal d'appel ne peut substituer ses conclusions sur les faits à celles du tribunal de première instance que dans les seuls cas où celui-ci a commis une erreur évidente ou manifeste dans son évaluation des faits.

Dans l'arrêt Cashin c. Société Radio-Canada [1988] 3 C.F. 494, le juge d'appel MacGuigan a cité le raisonnement du juge en chef Thurlow dans l'affaire Brennan et a notamment écrit ce qui suit :

«La première intimée a soutenu que, indépendamment de la question de savoir si le tribunal d'appel avait entendu une preuve supplémentaire, le pouvoir de ce tribunal de substituer ses décisions... à celles du tribunal dont la décision fait l'objet de l'appel lui permettait effectivement de procéder à une audition de novo. Toutefois, mise à part l'autorité de l'arrêt Robichaud, supra, il me semble qu'une telle interprétation ne devrait être donnée à l'article 42.1 que si elle exprime l'intention claire du Parlement, puisque le droit applicable tient fortement à ce que les conclusions de fait ressortissent au tribunal qui a entendu les témoins. L'intention du Parlement, selon mon interprétation, semble en fait être que l'audition ne soit menée comme une audition de novo que dans les cas où le tribunal d'appel reçoit des éléments de preuve ou des témoignages additionnels. Dans les autres cas, il devrait être lié par les conclusions du tribunal antérieur en vertu du principe énoncé dans l'arrêt Kathy K.

Les conclusions de l'arbitre doivent donc être maintenues à moins qu'elle n'ait commis une erreur manifeste et dominante.»

Sans s'appuyer directement sur l'arrêt Cashin, un comité différent de la Cour d'appel fédérale s'est prononcé dans le même sens dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mongrain [1992] 1 C.F. 472 :

[Traduction]

«Il est exact de dire que les pouvoirs d'un tribunal d'appel établi en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont analogues à ceux d'une cour d'appel dans la hiérarchie habituelle de l'appareil judiciaire. Par conséquent, le procureur général a raison d'affirmer que le tribunal d'appel ne pouvait intervenir que s'il y avait une erreur de droit ou une erreur manifeste dans l'évaluation des faits.»

On trouve des points de vue similaires dans d'autres textes de doctrine et de jurisprudence et il existe un résumé utile de la jurisprudence pertinente dans l'arrêt Heincke c. Brownell (1992) 4 Admin. L.R,. (2d) 212 (Cour divisionnaire de l'Ontario), qui fixe la portée de l'examen que peut faire une commission d'enquête en vertu de l'article 41 du Code des droits de la personne de l'Ontario, S.O. 1981, chap.53.

Néanmoins, l'arrêt Université de l'Alberta c. Alberta (Commission des droits de la personne), (1992) 17 C.H.R.R. D/87 rendu par la Cour suprême du Canada est venu embrouiller la jurisprudence. Dans cet arrêt, la plus haute cour de justice au pays s'est penchée sur la portée d'un pourvoi devant la Cour d'appel de l'Alberta d'une décision rendue par la Commission des droits de la personne de l'Alberta en vertu du paragraphe 33(2) de la Individual Rights Protection Act, S.A. 1972, chap. 2. La disposition en question n'autorisait que les pourvois portant sur une question de fait ou sur une question mixte de fait et de droit. À la page D/99, le juge Cory, pour la majorité, écrit ce qui suit :

«Il ressort clairement du libellé de l'IRPA que le législateur a voulu expressément que les cours d'appel examinent à nouveau la preuve et qu'elles tirent leurs propres conclusions de fait, si elles le jugent approprié. En vertu de cette loi, la Cour d'appel n'est aucunement tenue de faire preuve d'une retenue particulière à l'égard des conclusions tirées par le premier juge des faits. Notre Cour a la même compétence légale que la Cour d'appel.

[29] À l'appui de cette position, je soulignerais que la disposition de l'IRPA relative aux appels est semblable à celle du Human Rights Code de l'Ontario (auparavant R.S.O. 1970, ch.318) que notre Cour a examiné dans l'arrêt Etobicoke, précité. La disposition législative permettant d'interjeter appel d'une décision d'une commission d'enquête ontarienne se trouve au par.42(3) du Code, L.R.O. 1990, ch.H.19. Elle prévoit la possibilité d'interjeter appel sur toute question de droit ou de fait et précise que la cour peut substituer son opinion à celle de la commission. Dans l'arrêt Etobicoke, le juge McIntyre a conclu que cette disposition (alors le par.14d(4)) accordait à une cour d'appel des pouvoirs d'examen des conclusions du juge des faits plus larges que ceux qui existent en common law. La formulation du par.42(3) du Code ontarien est plus explicite que celle du par.33(2) de l'IRPA. Toutefois, les deux dispositions doivent être de même portée puisque le droit d'interjeter appel sur des questions de fait n'aurait aucun sens si la cour d'appel n'était pas habilitée à substituer sa propre opinion à celle de la commission.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Puisque le paragraphe 52(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne permet d'interjeter appel sur des questions de fait, la décision rendue dans l'arrêt Université de l'Alberta appuierait le point de vue selon lequel un tribunal d'appel a le droit de substituer son opinion sur les faits à l'opinion du tribunal de première instance. Il ne découle pas nécessairement de ce droit que l'on peut se soustraire au principe suivant lequel un tribunal d'appel devrait toujours tenir

compte du fait que le tribunal de première instance a pu, lui, observer les témoins et évaluer leur crédibilité.

La juge Cory reconnaît qu'un tribunal peut avoir droit à certains égards judiciaires en reconnaissance de sa compétence spécialisée dans un domaine particulier. Cette situation peut comporter certains aspects étranges. En effet, il semble que ces facteurs favorisent notamment l'attribution de larges pouvoirs d'examen aux tribunaux d'appel puisque ceux-ci partagent la compétence spécialisée du tribunal de première instance et comptent de plus sur l'apport de deux membres supplémentaires dans le cadre de leurs délibérations.

Dans l'arrêt Canada (CCDP) c. Canada (Forces canadiennes) (Bouchard) (1993) 152 N.R. 316, la Cour d'appel fédérale a également énoncé des principes intéressants en l'espèce . Dans cette affaire, la Commission canadienne des droits de la personne avait interjeté appel d'une décision du tribunal d'appel. La Commission affirmait ce qui suit :

[Traduction]

«1) Le tribunal d'appel a outrepassé sa compétence en s'interposant dans l'évaluation de la preuve produite devant le tribunal de première instance, puisque ce dernier n'avait commis aucune erreur manifeste.

2) Le tribunal d'appel a commis une erreur de droit en appliquant les normes médicales des Forces canadiennes sans se demander si celles-ci constituaient véritablement une défense acceptable d'exigence professionnelle justifiée.»

Dans cette affaire, la Cour a statué que les efforts déployés par la Commission pour contester la décision du tribunal d'appel n'étaient pas fondés. Elle a notamment affirmé ce qui suit :

[Traduction]

«Le tribunal d'appel avait raison de critiquer le tribunal de première instance pour n'avoir pas pris en considération des éléments de preuve qui ne souffraient d'aucune ambiguïté ...»

La Cour affirme aussi ce qui suit :

[Traduction]

«Le tribunal d'appel avait aussi raison de critiquer le tribunal de première instance d'avoir à tort attribué un caractère prédominant au facteur obésité ...»

La Cour conclut finalement comme suit :

[Traduction]

«Nous ne pouvons donc affirmer que le tribunal d'appel a outrepassé sa compétence ni qu'il a commis une erreur de droit susceptible de justifier notre intervention.»

Finalement, dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Lambie (23 décembre 1996), Ottawa T-2250-95 (C.F.S.P.I.), le juge Nadon, en interprétant les pouvoirs du tribunal d'appel en vertu du libellé actuel du paragraphe 56(5) de la Loi et citant les propos du juge MacGuigan, statue de la manière suivante :

«[15] Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, le tribunal d'appel entend d'autres témoins, il doit évaluer ces témoignages à la lumière de l'ensemble de la preuve, ce qui comprend nécessairement la preuve présentée devant le tribunal initial. Il va sans dire que, étant donné que le tribunal d'appel a entendu des personnes qui n'ont pas témoigné devant le tribunal initial, il avait le droit d'adopter une opinion différente en ce qui a trait à l'évaluation des faits.»

En ce qui concerne le principe ou les principes qui doivent guider la démarche du tribunal d'appel, il semble que :

  1. Le tribunal d'appel doit accorder à l'opinion exprimée sur les faits par le tribunal des droits de la personne les égards judiciaires qui lui sont dus et cela est particulièrement vrai compte tenu de l'avantage qu'a eu ce dernier d'évaluer la crédibilité des témoins puisqu'il les a vus et entendus.
  2. Le tribunal d'appel doit répondre à la question à savoir si le tribunal de première instance a commis une erreur de droit dans ses conclusions ou une erreur manifeste dans l'évaluation des faits.
  3. Si de nouveaux éléments de preuve sont produits ou de nouveaux témoignages entendus devant le tribunal d'appel, celui-ci doit évaluer ces éléments de preuve ou ces témoignages en tenant compte de l'ensemble de la preuve qui englobe nécessairement les éléments de preuve qui avaient été produits devant le tribunal de première instance.

En conclusion, il peut être utile de se reporter de nouveau et en insistant au commentaire du juge Thurlow dans l'arrêt Brennan, précité, dans lequel le juge cite le passage suivant de l'arrêt Kathy K :

«Toutefois, cela dit, le tribunal d'appel avait néanmoins le devoir d'examiner la preuve et de substituer sa propre conclusion sur les faits s'il était convaincu que la conclusion du tribunal des droits de la personne était entachée d'une erreur évidente ou manifeste.»

Lorsqu'un tribunal d'appel découvre qu'il y a eu une erreur évidente ou manifeste dans la version des faits exprimée par le tribunal initial, il ne semble donc y avoir aucune raison de s'éterniser sur la question à savoir si une erreur d'une moindre ampleur suffirait pour satisfaire à la norme d'appel établie en vertu de la Loi.

MOTIFS D'APPEL

Les motifs d'appel peuvent être reformulés sous une forme abrégée de la manière suivante :

Le tribunal a commis une erreur de droit et de fait en ce qui concerne :

Motif 1 : le fardeau de la preuve;

Motif 2 : la qualité et le poids de la preuve;

Motif 3 : l'élément évaluation des risques du critère objectif servant à établir un motif justifiable, c'est-à-dire la politique de l'intimé relative à l'évaluation des risques;

Motif 4 : l'élément application efficace de la Loi du critère objectif servant à établir un motif justifiable quand il a conclu a) que la Loi était appliquée également à tous les importateurs, y compris à ceux d'origine ethnique chinoise et b) que la différence dans l'application de la Loi ne s'expliquait pas par la race ou l'origine ethnique.

Motif 5 : Le tribunal a conclu que l'intimé a agi de bonne foi et avait des raisons valables.

Les motifs 3 et 4 se rapportent au critère objectif et le cinquième motif porte plutôt sur le critère subjectif.

En ce qui concerne le critère objectif, le tribunal de première instance a résumé son analyse de la preuve sous les titres de rubrique suivants :

a) L'application efficace et économique de la Loi

1) Déploiement des ressources d'inspection principalement au point de fabrication ou d'importation dans la chaîne de distribution

2) Évaluation des risques et des produits

b) Protection de la sécurité du public en général

c) Conclusion sur le critère objectif

Motif 1 : Fardeau de la preuve

À la page 46 de sa décision, le tribunal en vient à la conclusion que l'évaluation des risques était fondée sur des hypothèses. Nous en citons ce passage de la décision commençant au bas de la page 45 et se poursuivant à la page 46 :

«L'évaluation du risque par l'intimé était aussi fondée sur les présomptions suivantes. En premier lieu, les ventes par des détaillants ethniques se limitaient à leur communauté ethnique immédiate. En deuxième lieu, les consommateurs dans la communauté ethnique avaient la connaissance voulue quant à l'usage adéquat de ces produits à base d'herbes médicinales. En troisième lieu, selon M. Riou (page 1220 de la transcription), au début des années 1980, la perception de l'intimé était qu'il y avait peu de circulation de produits à base d'herbes médicinales hors des communautés ethniques chinoises.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Le tribunal poursuit ses commentaires en reconnaissant qu'il ne dispose d'aucune donnée empirique pour étayer ces hypothèses outre le fait que très peu de plaintes émanant des communautés ethniques chinoises ont été déposées à l'égard des infractions à la Loi.

Malgré ces hypothèses et les perceptions de l'intimé sur la communauté ethnique chinoise et la nature des produits à base d'herbes médicinales importés et vendus au sein de cette collectivité (voir le témoignage de M. Riou aux pages 1111 à 1124 inclusivement) et malgré l'absence de données empiriques mentionnée précédemment, le tribunal statue comme suit à la page 46, et nous citons :

«... par ailleurs, on n'a présenté au tribunal aucun élément de preuve susceptible de suggérer que les présomptions n'étaient pas fondées.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Ces commentaires du tribunal figurent dans son analyse de la preuve au point (ii) intitulé Évaluation des risques des produits, dans laquelle le tribunal énonce les quatre classes de risques énoncées dans le document Directives en matière de politique opérationnelle 86-0-1 (pièce R-10, onglet 7) qui est cité in extenso aux pages 43 à 45 de sa décision. Il est inutile de répéter ici la classification des risques ou les stratégies de conformité énoncées dans la directive en question, si ce n'est pour faire observer qu'il n'existe aucune politique écrite à l'appui de la décision de la DGPS de concentrer ses ressources d'application de la Loi au niveau des importateurs ni d'ailleurs à l'appui de sa décision de n'attribuer qu'un faible degré de risque aux produits à base d'herbes médicinales ethniques chinois.

À la page 47, le tribunal en vient à la conclusion suivante :

«... Le manque de données empiriques pour appuyer certaines des présomptions faites par les responsables de l'intimé dans l'évaluation des risques n'enlève rien à la bonne foi de l'évaluation des risques.»

Il nous faut ici souligner que cette conclusion fondée sur le caractère justifiable ou de bonne foi de l'évaluation des risques relève davantage du critère subjectif.

À ce sujet, nous nous reportons à l'arrêt Canada (Procureur général) c. Rosin et Commission canadienne des droits de la personne (1992) 16 C.H.R.R. D/441 (C.A.F.). Dans cette affaire, le plaignant, M. Rosin, alléguait qu'on lui avait refusé un service public et qu'on avait fait preuve de discrimination à son endroit en matière d'emploi à cause de son invalidité.

En appel d'une décision du tribunal des droits de la personne, la Cour a soutenu qu'on avait refusé à M. Rosin un service public et qu'on avait fait preuve à son endroit de discrimination lorsqu'on avait refusé qu'il participe à un cours d'été de parachutage à cause d'un problème de vision monoculaire (vision dans un seul oeil). De plus, la Cour a soutenu que sa participation au cours constituait un emploi au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Cour a notamment affirmé ce qui suit :

«. . . on pourrait conclure que les deux expressions - exigence professionnelle justifiée (comme dans le paragraphe 15(a)) et motif justifiable (comme dans le paragraphe 15(g)) ont la même signification, sauf que la première expression est applicable aux situations d'emploi, alors que la deuxième est utilisée dans d'autres contextes. Le choix de ces différents termes utilisés pour justifier une discrimination à première vue, ne constitue donc qu'une question de forme plutôt qu'une question de fond.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Au paragraphe [33], la Cour formule des commentaires sur la question du fardeau de la preuve en se reportant à l'arrêt Central Alberta Dairy Pool :

«Il incombe à l'employeur d'établir que la règle ou la norme est une EPJ. Il ne suffit pas de s'appuyer sur des présomptions et sur le soi-disant bon sens; pour établir la nécessité de la règle discriminatoire, une preuve convaincante et, si nécessaire, une preuve d'expert est nécessaire pour l'établir suivant la prépondérance des probabilités. Sans cette exigence, la protection offerte par les lois en matière de droits de la personne serait effectivement vide de sens. Par conséquent, il est nécessaire, pour justifier une discrimination directe à première vue, de démontrer qu'elle a été faite de bonne foi et qu'il était raisonnablement nécessaire de le faire, ce qui constitue à la fois un critère subjectif et objectif.(Voir l'arrêt Central Alberta Dairy Pool [1990] 2 C.S.C. 489)»

Nous sommes donc de l'avis qu'il est inexact de soutenir, comme l'a fait le tribunal, que dès lors que la prétention de discrimination a été établie de manière suffisante jusqu'à preuve du contraire, un motif justifiable fondé sur des perceptions et des hypothèses permet de se décharger du fardeau de la preuve. Tout au cours de ce processus, le fardeau demeure celui de la partie qui tente de démontrer le motif justifiable, soit l'intimé. Afin de se libérer de ce fardeau, il doit y avoir une preuve convaincante, fondée sur bien plus que de simples impressions issues d'observations, de perceptions et d'hypothèses non confirmées et qui ne sont étayées par aucune étude ou donnée empirique concrète. Nous nous pencherons sur le poids et la qualité de la preuve dans la prochaine section de la présente décision.

De l'avis du tribunal d'appel, la déclaration du tribunal de première instance qu'aucun élément de preuve ne suggère que les présomptions ne sont pas fondées ne fait qu'éluder la question et est tout simplement mal fondée en droit. Ces hypothèses ne peuvent constituer une base factuelle sur laquelle le tribunal était habilité à se fonder pour rendre une décision.

Comme la procureure de la Commission l'a indiqué avec justesse, cette manière de procéder a dans les faits transféré de l'intimé au plaignant le fardeau d'établir le motif justifiable. Il s'agit d'une erreur de droit fondamentale. Dans cette affaire, il appartenait à l'intimé, du début jusqu'à la fin, de prouver sa prétention qu'il avait un motif justifiable de poser des actes discriminatoires. Ce fardeau est souvent décrit comme le comme le fardeau ultime ou l'élément qui permet de départager les parties.

De manière générale, selon le texte de doctrine Phison on Evidence, 14e édition, (London Sweet & Maxwell, 1990), paragraphe 4-10(b) et les paragraphes suivants, la règle qui s'applique est la suivante : [Traduction] Celui qui invoque la loi doit prouver ses affirmations. Il s'ensuit que la partie qui s'appuie sur la notion de motif justifiable doit assumer le fardeau de démontrer qu'elle avait un tel motif.

Cette règle est fondée sur le simple bon sens et aussi sur l'observation générale qu'il est plus difficile d'établir le bien-fondé d'une négation que celui d'une affirmation. Voir aussi l'arrêt Robins v. National Trust Company, [1927] C.A. 515, [1927] 2 D.L.R. 97, [1927] 1 W.W.R. 692 (P.C.).

Le paragraphe (g) de l'article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit qu'on peut échapper à l'interdiction de tout acte discriminatoire ... s'il existe un motif justifiable de le faire..

Dans l'arrêt La Commission ontarienne des droits de la personne c. La municipalité d'Etobicoke [1982] 1 C.S.C. 202, le juge McIntyre a énoncé les deux éléments du critère mentionnés précédemment. Dans cette affaire, le savant juge a pris en considération le Code des droits de la personne de l'Ontario et a statué comme suit :

«. . . la non-discrimination est la règle générale et la discrimination, lorsqu'elle est permise, est l'exception.»

Le juge McIntyre a carrément imposé le fardeau de la preuve à la partie qui invoque la défense d'exigence professionnelle justifiée ou de motif justifiable pour valider ses pratiques discriminatoires.

Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Limited [1985] 2 R.C.S. 536, la décision rendue par la Cour découlait d'un pourvoi en appel du plaignant contre l'employeur, alléguant des conditions d'emploi discriminatoires. La commission d'enquête

avait rejeté la plainte en concluant comme suit :

«Compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire et du contexte global du Code ontarien des droits de la personne, j'en suis venu à la conclusion que la commission n'a pas satisfait à son obligation d'établir que l'intimée a agi si déraisonnablement dans les mesures qu'elle a prises pour s'entendre avec la plaignante après avoir appris que cette condition générale d'emploi était incompatible avec l'observance de sa religion.»

Dans cette affaire, la preuve était insuffisante pour établir un motif justifiable. Confronté au caractère insuffisant de cette preuve, le professeur Ratushny, qui siégeait au sein de la commission d'enquête, a décidé de réimposer le fardeau de la preuve au plaignant et à la Commission. La Cour suprême faisait allusion à cette erreur lorsqu'elle a écrit ce qui suit :

«Le professeur Ratushny a reconnu cette insuffisance, mais a fondé sa conclusion sur le fait que la Commission n'était pas parvenue à s'acquitter de son obligation de prouver que l'accommodement était inadéquat. Il a examiné la question du fardeau de la preuve et l'a analysé assez longuement. Il a conclu qu'il incombait à la Commission, qui était chargée de diriger les procédures au départ, de prouver de façon suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y avait discrimination, c'est-à-dire, en l'espèce, un effet discriminatoire. Ajoutant ensuite qu'une fois cette preuve faite, le fardeau de la preuve incombait alors à l'employeur intimé...

. . . Il hésitait cependant à imposer à l'employeur une obligation stricte de faire la preuve faisant valoir que le Code ontarien des droits de la personne n'imposait lui-même aucune obligation d'accommodement ni aucun fardeau de la preuve.»

À notre avis, voilà précisément l'erreur que le tribunal a commise dans cette affaire en laissant entendre qu'aucune preuve n'avait été produite ... suggérant que les présomptions n'étaient pas fondées.

Dans le haut de la page 558 de l'arrêt Simpsons-Sears, la Cour suprême conclut comme suit :

«On constate que le professeur Ratushny s'est écarté de la règle énoncée dans l'arrêt Etobicoke au sujet du fardeau de la preuve. On a jugé dans cette affaire que, tout au moins dans les cas de discrimination directe, lorsque le plaignant a fait une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire de l'existence de discrimination pour un motif prohibé, il incombe à l'employeur de justifier, s'il le peut, la règle discriminatoire par prépondérance des probabilités.»

La Cour a de plus estimé que la règle du fardeau de la preuve devrait aussi s'appliquer dans les cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable:

«. . . l'attribution du fardeau de la preuve à l'une ou l'autre partie est un élément essentiel. Ce fardeau n'est pas toujours nécessairement lourd — il varie en fonction de chaque cas — et il se peut qu'il n'incombe pas à une partie pour tous les points de l'affaire; il peut passer d'une partie à l'autre. Mais, faute de mieux en pratique, on a jugé nécessaire, pour assurer une solution claire dans toute instance judiciaire, d'attribuer le fardeau de la preuve à l'une ou l'autre partie, pour les départager.(...) et donc que, dans ces affaires comme dans toute affaire civile, il doit y avoir reconnaissance et attribution claires et nettes du fardeau de la preuve. À qui doit-il incomber? Suivant la règle bien établie en matière civile, ce fardeau incombe au demandeur. Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.»

La Cour, après avoir appliqué la règle susmentionnée dans les cas de discrimination ayant des effets préjudiciables, poursuit dans la même veine au haut de la page 559 où sa Seigneurie écrit ce qui suit :

«Il me semble évident que, dans ce type d'affaire, le fardeau de la preuve doit encore incomber à l'employeur puisque c'est lui qui dispose de l'information nécessaire pour démontrer l'existence d'une contrainte excessive et que l'employé est rarement, sinon jamais, en mesure d'en démontrer l'absence. (...) À mon avis, la commission d'enquête a commis une erreur en attribuant à la Commission le fardeau de la preuve.»

Outre l'arrêt Rosin, précité, il ne semble pas exister d'autre arrêt de la Cour concernant la défense de motif justifiable stipulée au paragraphe 15(g) de la Loi. Les arrêts Simpsons-Sears, Etobicoke et Central Alberta Dairy Pool découlent tous de contrats d'emploi.

De nombreuses décisions antérieures du tribunal des droits de la personne peuvent toutefois être invoquées pour démontrer que l'intimé assume le fardeau de prouver qu'elle avait un motif justifiable en vertu du paragraphe 15(g).

Dans la décision Lawrence, D.T. 2/97, la plainte alléguait qu'il y avait eu discrimination dans l'application des règles et règlements des autorités douanières canadiennes. Il s'agissait donc d'une affaire de services. Le tribunal constate ce qui suit :

«Il incombe au plaignant et à la Commission d'établir prima facie un cas de discrimination. S'ils s'acquittent de ce fardeau, l'obligation de prouver une justification se déplace vers l'intimée.»

Dans la décision MacNutt, D.T. 14/95, le service en cause était le versement de prestations d'aide sociale. Le tribunal a conclu comme suit :

[Traduction]

«Le tribunal en vient donc à la conclusion que les plaignants ont établi de manière suffisante jusqu'à preuve du contraire la discrimination et qu'il incombe maintenant à l'intimé de justifier le traitement qu'il a réservé au plaignant.»

Dans la décision Raphaël, D.T. 10/95, la fourniture, entre autres choses, de permis de chasse et de permis de construction était en cause de même que l'accès à des cours de langue. Le tribunal a procédé comme suit :

[Traduction]

«Le tribunal analysera d'abord les faits démontrés pour chacun des aspects des plaintes afin d'établir si on a démontré de manière suffisante jusqu'à preuve du contraire les actes discriminatoires. Il cherchera ensuite à établir, le cas échéant, si l'intimé s'est acquitté du fardeau qui lui était imposé de prouver qu'il avait un motif justifiable pour poser les actes discriminatoires allégués.»

Dans la décision Thiffault, D.T. 11/89, l'obligation de preuve a été exprimée comme suit dans le contexte de la fourniture de services de transport aérien :

«Comme j'en suis arrivé à la conclusion que le plaignant a été victime de discrimination, il en résulte en vertu de l'arrêt Etobicoke [1982], 1 RCS, 202, un renversement de fardeau de preuve qui repose dorénavant sur la mise-en-cause, Québécair-Air Québec, en tant que fournisseur de services.»

Parmi les autres affaires portant sur le fardeau de la preuve, mentionnons la décision Association canadienne des paraplégiques, D.T. 2/92; la décision Naqvi, D.T. 2/93, et la décision McKenna, D.T. 18/93, cassées pour d'autres motifs.

Le tribunal d'appel en vient donc à la conclusion que compte tenu de l'état actuel du droit, le fardeau de la preuve aurait dû demeurer celui de l'intimé. Il appartenait en effet à l'intimé de démontrer que ses méthodes d'évaluation des risques ou sa politique de non-intervention dans les cas présentant peu de risques, telle qu'appliquées à l'égard des produits ethniques chinois, étaient raisonnablement nécessaires pour assurer une application efficace et économique de la Loi et la protection du public en général.

Le tribunal d'appel estime donc que le tribunal de première instance a commis une erreur de droit dans l'attribution du fardeau de la preuve à l'égard de la défense de motif justifiable.

Motif 2: Qualité et poids de la preuve

La procureure de la Commission n'a pas avancé qu'il n'existait aucune preuve à l'appui de la défense de motif justifiable de l'intimé. Elle a plutôt fait valoir que cette preuve ne possédait pas la qualité et la valeur probante requises pour démontrer l'existence d'un motif justifiable conformément au paragraphe 15(g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

En soutenant que le tribunal de première instance a commis une erreur de droit en acceptant que des perceptions et des hypothèses puissent servir à démontrer un motif justifiable, la procureure de la Commission se reportait plus particulièrement aux propos du tribunal sur la politique ou la pratique d'évaluation des risques de la DGPS qu'aucun élément de preuve ne suggérait que les présomptions n'étaient pas fondées.

Les conclusions du tribunal à l'égard de la politique d'évaluation des risques figurent à la page 45 de la décision :

«Le Tribunal est convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, les considérations énoncées dans les catégories de risques dans les Directives en matière de politique opérationnelle 86-0-1 se rapportent toutes objectivement à l'évaluation des risques pour la santé du public et que les stratégies d'application de la Loi mises de l'avant dans la politique se rapportent toutes raisonnablement et objectivement à leurs catégories de risques respectives.»

Ces catégories de risque et ces stratégies d'application de la Loi ne sont pas contestées par la Commission ni par le plaignant. Ceux-ci contestent plutôt la manière dont sont appliquées les stratégies de contrôle mises en œuvre par l'intimé qui s'appuie pour ce faire sur des politiques ou des pratiques non documentées axées sur le peu de risques que représenteraient certains produits, apparemment établies sous l'égide des Directives en matière de politique opérationnelle.

Outre la classification des risques, les Directives en matière de politique opérationnelle établissent des principes généraux. Le point b) au haut de la page 2 se lit notamment comme suit :

[Traduction]

«Lorsqu'un produit appartient à l'une des classes et que, suivant la publicité, la documentation d'accompagnement, le folklore ou la perception publique, ce produit est considéré comme étant en infraction, tous les produits semblables doivent être traités de la même manière.» (Souligné du tribunal d'appel.)

En théorie donc, la politique d'évaluation des risques de la DGPS doit être appliquée en fonction du produit, et la classification en fonction du risque et les stratégies d'application doivent ensuite être toutes axées sur le produit et le traitement qui est réservé aux produits de chaque classe doit être le même.

On pourrait croire que la réalité est conforme à la théorie. En fait, cependant, la politique de non-intervention pour les produits présentant peu de risques était appliquée en fonction des utilisateurs plutôt qu'en fonction des produits. Le cas du don quai constitue un excellent exemple à cet égard. En effet, non seulement les risques posés par ce produit ont-ils été évalués en fonction de ses utilisateurs éventuels, mais aussi en fonction de groupes auxquels l'appartenance était établie en s'appuyant sur des critères ethniques, c'est-à-dire selon que les utilisateurs appartenaient ou non à la communauté ethnique chinoise. À cet égard, on peut se reporter au Rapport WRVS (voir page 5, pièce HR-1, volume 1, onglet 42); au document [Traduction] Critères de refus des produits dont l'entrée au Canada est demandée, point 8, drogues contenant des ingrédients occidentaux (voir pièce R-15 et liste annexée); au [Traduction] Règlement sur les herbes médicinales chinoises traditionnelles contenu dans le rapport DEHA du 24 janvier 1985 (voir pièce HR-1, volume 1, onglet 21); au [Traduction] Profil de distinction rapide dans lequel les importateurs sont classifiés comme des importateurs ethniques ou comme des importateurs d'aliments de santé. Et comme nous l'avons déjà établi, il y avait aussi discrimination fondée sur des critères ethniques dans l'application de ces politiques.

Le don quai est un ingrédient présent dans 70 p. 100 des produits chinois à base d'herbes médicinales. Selon la preuve produite, il appert que ni les inspecteurs sur le terrain (voir le témoignage de l'inspecteur Sloboda au volume 12, pages 1725 et 1726) ni la Division de l'évaluation des médicaments de la DGPS à Ottawa ne possèdent de connaissances réelles ou scientifiques de ce produit. Avant 1989, celui-ci était considéré comme une drogue (voir par exemple la note de service de R.J. Mulherin datée du 12 décembre 1983 et intitulée [Traduction] Extraits de don quai dans laquelle l'auteur affirme que la seule utilisation connue du don quai est celle d'agent médicinal et que ce produit a toujours été considéré comme une drogue nouvelle, même en l'absence de revendications ouvertes de propriétés curatives). Cette note de service se trouve à la pièce HR-1, volume 1, onglet 5.

Pour des raisons inexpliquées, en juin 1989, la DGPS a reclassifié le don quai parmi les aliments. Il s'agit de la première manifestation officielle et publique de cette reconnaissance. Voir la pièce HR-1, volume 2, à l'onglet 128. Avant la reclassification du don quai comme un aliment, le Dr Amstrong avait fait parvenir au directeur Ferrier, le 21 mars 1989, une lettre dans laquelle il écrit notamment :

[Traduction]

«L'établissement du statut approprié du don quai en vertu de la réglementation pose plusieurs problèmes :

1. les nombreuses revendications de propriétés liées à l'annexe A qui sont formulées dans la documentation chinoise, sur les étiquettes et dans les notices d'accompagnement et à l'appui desquelles il n'existe littéralement aucune confirmation scientifique.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Malgré cette incertitude, le Dr Amstrong en vient à la conclusion que le don quai peut être reconnu comme un aliment sous réserve que l'on évite toute revendication de propriétés curatives. (Voir pièce HR-1, volume 2 à l'onglet 125.)

Même si le tribunal de première instance reconnaît lui-même que les propos de M. Riou et les observations des inspecteurs sur le terrain sont assimilables à des présomptions et des perceptions, il n'est pas nécessaire de revoir en détail ces témoignages. Néanmoins, il pourrait être utile à ce stade de citer certains exemples d'hypothèses ou de présomptions qui ne sont étayées par aucune donnée empirique ni étude scientifique et qui, dans certains cas, contredisent la situation de fait qui prévalait au cours des années soixante-dix et quatre-vingts. La liste qui suit n'a pas la prétention d'être exhaustive.

  1. Les clients se procurant des produits ethniques chinois à base d'herbes médicinales appartiennent pour la plupart à la collectivité chinoise. Pourtant, depuis les années quatre-vingts, un nombre croissant de ces produits sont offerts à des clients n'appartenant pas ce groupe ethnique (voir par exemple la note de service de J.M. Forbes datée du 24 janvier 1985 relativement au Règlement sur les herbes médicinales chinoises à la page 2).
  2. On avait la perception que les consommateurs appartenant à la communauté chinoise, monolithique, connaissaient bien les produits chinois à base d'herbes médicinales, d'où la conclusion par la DGPS que ces produits présentaient peu de risques. Or, cette conclusion est fondée sur des hypothèses non corroborées.

    La perception que le quartier chinois traditionnel constitue une enclave de type ghetto n'est pas valide même pour l'observateur non averti.

    Néanmoins, le facteur le plus important de cette affaire est que la DGPS ne s'est jamais trouvée dans une position lui permettant d'évaluer avec justesse le degré de connaissance qu'avait la collectivité asiatique des produits chinois à base d'herbes médicinales et n'a jamais déployé quelque effort que ce soit pour s'en assurer.

  3. La vente de produits à base d'herbes médicinales au sein de la collectivité chinoise présentait peu de risques pour la santé, compte tenu qu'on avait tendance à percevoir ces produits comme étant bons pour la santé (c'est-à-dire pour le bien-être) plutôt que de les considérer comme des produits thérapeutiques.

    La note de service de M. Riou datée du 10 mai 1990 (pièce C-29) a été rédigée en réaction à l'abondance des revendications liées à l'annexe A dont il est fait état dans le Rapport WRVS. De plus, M. Riou lui-même a reconnu en témoignage avoir constaté des cas de contamination au plomb de produits ethniques chinois à base d'herbes médicinales remontant au milieu des années soixante-dix.

  4. Il existait au sein de la Direction générale de la protection de la santé (DGPS) une perception que les risques posés par les produits à base d'herbes médicinales occidentaux étaient plus importants que les risques présentés par les produits à base d'herbes médicinales asiatiques et chinois. Pourtant, dans le rapport du projet DDAB du 13 février 1991 (pièce R-10, onglet 4), on peut lire ce qui suit à la page 4: [Traduction] Au cours de la dernière année, plusieurs cas d'empoisonnement attribuables aux métaux lourds contenus dans des produits médicinaux ethniques sont survenus au Canada. . Par comparaison, mentionnons que les auteurs du Rapport de la Stratégie de visibilité de la région de l'Ouest (Rapport WRVS), mentionnent dans leurs conclusions n'avoir constaté la présence d'aucune revendication liée à l'annexe A de la part des importateurs européens qui [Traduction] démontrent un degré supérieur de conformité aux bonnes pratiques de fabrication.
  5. Il existait une présomption que les produits ethniques chinois étaient importés en petites quantités. Dans les faits, ces produits sont importés au Canada par conteneurs entiers. (Voir le compte rendu de la réunion entre l'Association des commerçants du quartier chinois de Vancouver et les représentants du gouvernement du Canada (pièce HR-4, pages 5, 8 et 9)).
  6. M. Riou et le tribunal ont présumé que les détaillants ethniques chinois n'étaient pas, pendant toute la période en cause, des importateurs de produits à base d'herbes médicinales et de préparations d'herboristerie alors que dans les faits, ceux-ci étaient pour la plupart à la fois détaillants et importateurs.

À notre avis, la liste qui précède constitue une bonne indication de la qualité et du poids de la preuve sur laquelle l'intimé a fondé sa défense de motif justifiable.

En s'appuyant exclusivement sur des perceptions et des opinions, l'intimé dans cette affaire a invoqué de l'information subjective non corroborée pour satisfaire aux exigences du critère objectif. Dans le meilleur des cas, l'information en possession de l'intimé était très partielle et ne revêtait aucun caractère scientifique et elle souffrait donc d'un manque inhérent de fiabilité.

Des vices de raisonnement fondamentaux teintent le point de vue du tribunal sur la preuve produite et se manifestent dans toute l'évaluation qu'il a faite de la défense de motif justifiable de l'intimé. Par exemple, au sujet de l'argument de l'intimé qu'on comparait des pommes et des oranges, dont il a été question précédemment, le tribunal écrit ce qui suit à la page 41 de sa décision :

[Traduction]

«...Pour faire des comparaisons pertinentes, il aurait fallu comparer l'application de la Loi et des règlements à l'égard des aliments de santé et des produits à base d'herbes médicinales :

1) entre les détaillants ethniques et non ethniques;

2) entre les importateurs/grossistes ethniques et non ethniques.»

Cette affirmation est à tout le moins déroutante puisque le tribunal lui-même, lorsqu'il prend en considération les actes discriminatoires de l'intimé cite un passage se trouvant à la page 7 du Rapport WRVS :

[Traduction]

«Les importateurs qui sont habitués à un marché sans réglementation ne veulent pas consacrer l'argent, le temps ni les efforts requis pour rendre leurs produits conformes ...» (Souligné du tribunal d'appel.)

Le tribunal cite aussi ce passage de la page 8 du rapport :

[Traduction]

«De beaucoup, le plus grand nombre et le degré le plus élevé d'infractions se trouvent au sein de la communauté ethnique chinoise. On y compte plus de magasins, plus de produits et plus d'importateurs que dans tout autre groupe.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Et finalement, dans le post-scriptum que l'inspecteur Sloboda ajoutait à sa lettre adressée à Helen Quesnel le 8 février 1989 (pièce HR-1, volume 2, onglet 120), lettre qui comprenait notamment une liste des produits ethniques dont l'entrée au Canada avait été refusée entre avril 1988 et le 22 novembre 1988, on retrouve le commentaire suivant :

[Traduction]

«À l'heure actuelle, nous avons complètement relâché la surveillance des importations chinoises à la suite de l'énoncé de politique de R. Elliot en date du 23 janvier 1989.»

La procureure de la Commission s'est reportée au contre-interrogatoire de M. Riou, au volume 7, de la page 1105 à 1108 inclusivement. M. Riou y reconnaît qu'il connaissait les conclusions du Rapport WRVS et que les plaintes de M. Bader avaient accéléré la décision de procéder à cette étude ou étaient une des causes expliquant la décision de procéder à cette étude. Il formule notamment le commentaire suivant :
[Traduction]

«Que l'industrie, l'industrie évoluait, comme nous avons pu le constater, ce qui incluait la vente d'herbes, d'herbes médicinales et de préparations d'herboristerie et nous avons donc conclu à la nécessité de nous intéresser à cette industrie.»

Lorsqu'on lui a demandé si, à la suite du Rapport WRVS, on avait perçu le besoin de procéder à des études sur les enclaves ethniques et sur la vente de produits à base d'herbes médicinales, la réponse de M. Riou a été la suivante :

[Traduction]

«Nous disposions de moins d'information sur ces questions précises que sur d'autres affaires qui étaient plus accessibles.»

Ainsi, la procureure de la Commission s'interroge-t-elle sur le caractère suffisant des connaissances dont disposait la DGPS sur la nature des produits vendus au sein de la communauté chinoise et sur leur distribution lorsqu'elle a maintenu, au cours d'une période qui s'est prolongée jusqu'en 1994, sa politique de non-intervention fondée sur le peu de risques que représentaient les produits ethniques à base d'herbes médicinales.

On serait en effet justifié de croire que la DGPS aurait dû fonder une telle décision sur des données factuelles répertoriées dans des études confirmant que le commerce des produits à base d'herbes médicinales était bien structuré et réglementé. Or, il n'y a jamais eu de telles études même si l'inspecteur Sloboda a appuyé la recommandation formulée à la page 9 du Rapport WRVS, point j, que l'on procède à des études plus approfondies.

M. Riou a tenu en témoignage des propos ambigus sur la question à savoir si oui ou non les revendications liées à l'annexe A représentent un risque grave pour le public en général (voir volume 7, pages 1139 à 1142) et il convient donc de comparer son témoignage à celui de l'inspecteur Sloboda au volume 12, pages 17 et 18, dans lequel ce dernier indique que ces revendications créent dans les faits un risque grave, même s'il existe certaines exceptions de moindre importance.

De plus, en ce qui concerne l'attitude générale de la DGPS à l'endroit des revendications liées à l'annexe A, on en a une bonne indication dans la lettre de M. Elliot, directeur des Opérations régionales, adressée à M. Dugas dans la pièce R-1, volume 1, onglet 22, dans laquelle il énonce ce qui suit :

[Traduction]

«La DGPS a toujours considéré les revendications liées à l'annexe A comme des infractions graves à la Loi sur les aliments et drogues. Le personnel régional a eu pendant de nombreuses années pour directive de traiter sévèrement les infractions relatives à l'annexe A.»

En ce qui concerne la distribution des produits, on trouve dans le Rapport WRVS à l'égard des détaillants ethniques chinois le commentaire qui suit :

[Traduction]

«De beaucoup, le plus grand nombre et le degré le plus élevé d'infractions se trouvent au sein de la communauté ethnique chinoise.»

En ce qui concerne la communauté ethnique où les études ont été effectuées, on trouve le commentaire suivant dans le rapport :

[Traduction]

«On y compte plus de magasins, plus de produits et plus d'importateurs que dans tout autre groupe.»

Et M. Riou, au volume 8, page 1105, affirme qu'il ne savait rien de cela.

Dans une lettre datée du 24 février 1989 adressée à M. Bader que l'on trouvera dans la pièce HR-1, volume 2, onglet 22, le Dr Armstrong écrit ce qui suit :

[Traduction]

«Des déclarations anecdotiques sous la forme d'un témoignage attribué à d'éminents herboristes chinois au fil des siècles ne peuvent tenir lieu à tous égards de données scientifiques modernes.»

Dans son témoignage (transcription, volume 7, pages 1143 à 1145), M. Riou convient que :

[Traduction]

«. . . l'évaluation des risques que présente un produit ou de la situation que crée ce produit est effectuée sur la base de la preuve scientifique que nous utiliserions pour évaluer cette preuve.»

Cependant, la DGPS, à quelque échelon que ce soit, ne dispose d'aucune preuve scientifique en ce qui concerne la nature et les propriétés du don quai. La seule preuve sur cette question a été fournie par le Dr Armstrong, qui cite le Dr Varo Tyler, un scientifique et auteur respecté de traités de pharmacologie. En ce qui concerne plus particulièrement le don quai, le Dr Armstrong cite le passage suivant d'un ouvrage du Dr Tyler :

[Traduction]

«Toutefois, (...) de fortes doses de coumarine ne sont pas sans avoir des effets indésirables et les furocoumarines comme le psoralène et le bergaptène peuvent prédisposer à une photosensibilisation susceptible de causer certains genres de dermatites chez les personnes exposées. Pourtant, récemment, certains enquêteurs en sont venus à la conclusion que ces soi-disant psoralènes posent suffisamment de risques pour les êtres humains et que toute exposition inutile à ces produits devrait être évitée. Pour cette raison, l'absorption de grandes quantités de produits contenant de la coumarine, comme le don quai, ne peut être recommandée.»

L'opinion du Dr Tyler est le seul élément de preuve scientifique qui ait été produit devant le tribunal. Or, cette opinion est défavorable à la prise de grandes quantités de don quai.

La procureure de la Commission fait valoir qu'il incombe au gouvernement, dans l'intérêt public, de fonder ses perceptions et ses hypothèses, ou encore, son analyse des risques pour la santé publique sur d'autres données que de simples observations épisodiques de ses fonctionnaires sur le terrain ou sur des perceptions et des présomptions non corroborées.

La procureure a cité le juge McIntyre qui, à la page 210 de l'arrêt Etobicoke, formule des commentaires sur la suffisance et la qualité de la preuve soumise au président de la commission d'enquête :

«Même si ce sont là de bonnes raisons de permettre à un pompier de prendre sa retraite à 60 ans, elles ne semblent pas justifier la mise à la retraite obligatoire en l'absence de données scientifiques ou statistiques qui prouvent que, passé l'âge de 60 ans, les pompiers deviennent moins efficaces et moins sûrs.»

Le tribunal d'appel se reporte lui aussi à l'arrêt Etobicoke, précité, et cite le juge McIntyre sur la question de la suffisance et de la qualité de la preuve soumise au président de la commission d'enquête :

«...le professeur Dunlop a fait remarquer qu'elle était [la preuve] très impressionniste. Il a estimé qu'il faut une preuve plus étoffée pour s'acquitter du fardeau de la preuve et il a souligné l'insuffisance des affirmations et des déclarations générales des témoins, dont certains avaient beaucoup d'expérience dans la lutte contre les incendies, que le métier de pompier est [Traduction] une affaire de jeune homme. Il a fait remarquer l'absence de preuve scientifique à l'appui de la thèse de l'employeur et il a conclu de manière défavorable à l'employeur en disant : (Souligné du tribunal d'appel.)

Même si ce sont là de bonnes raisons de permettre à un pompier de prendre sa retraite à 60 ans, elles ne semblent pas justifier la mise à la retraite obligatoire en l'absence de données scientifiques ou statistiques qui prouvent que, passé l'âge de 60 ans, les pompiers deviennent moins efficaces et moins sûrs.»

De plus, à la page 212 de l'arrêt, le juge McIntyre poursuit ainsi :

«Il serait imprudent de tenter de formuler une règle fixe concernant la nature et le caractère suffisant de la preuve requise pour justifier la retraite obligatoire avant l'âge de 65 ans ...»

Le tribunal d'appel s'est donc demandé si les observations formulées par les inspecteurs sur le terrain devaient être écartées. Même si les observations d'inspecteurs expérimentés méritent certains égards, elles ne constituent pas le genre de preuve requise pour réfuter la prétention établie jusqu'à preuve du contraire de discrimination. Il faudrait plutôt un témoignage s'appuyant sur une expertise scientifique ou sur des données empiriques directes.

Par ailleurs, de nombreux éléments de preuve ont confirmé que nombre de ces produits contenaient des métaux lourds et d'autres substances nocives, y compris certains médicaments occidentaux délivrés uniquement sur ordonnance.

Les plaintes de M. Bader avaient une portée aussi bien nationale que locale ce qui, compte tenu du Rapport WRVS et de ses implications, aurait dû attirer l'attention des fonctionnaires aux deux paliers sur le problème et les dangers que cette situation posait pour le public en général.

La procureure de la Commission a conclu son mémoire sur cette question en indiquant que lorsqu'une règle stipulant que les efforts d'application de la Loi doivent être concentrés aux points d'importation est fondée sur une évaluation des risques fondée sur des connaissances, des hypothèses et des perceptions insuffisantes, la validité de cette règle est tributaire de la preuve qu'en l'absence de celle-ci le danger pour la sécurité du public aurait été supérieur.

Le tribunal d'appel n'est pas convaincu que la preuve étayant la politique de non-intervention compte tenu du peu de risques que représentaient les détaillants et importateurs ethniques chinois est d'une qualité et d'un poids conformes aux exigences de la preuve de motif justifiable. Les quelques éléments de preuve sur lesquels on s'est appuyé sont presque tous de nature impressionniste et à notre avis, le tribunal a commis une erreur manifeste en fondant ses conclusions sur une preuve de cette nature et de cette qualité.

Motif 3: Évaluation des risques - politique fondée sur le degré de risque peu élevé

Les motifs 3 et 4 portent sur l'élément objectif du critère énoncé par le juge McIntyre dans l'arrêt Etobicoke. Le tribunal a reformulé comme suit ce critère aux pages 33 et 34 de sa décision :

«La politique ou la pratique doit se rapporter objectivement à l'application de la loi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'application efficace et économique de la loi et la protection de la sécurité du public en général.»

Le tribunal a ensuite établi un lien objectif entre la politique ou la pratique de la DGPS et l'application de la Loi sur les aliments et drogues et ses règlements. La politique ou la pratique doit être :

  1. ... raisonnablement nécessaire pour assurer l'application efficace et économique de la loi
  2. et la protection de la sécurité du public en général.

Avant d'amorcer son analyse et ses commentaires sur le critère objectif, le tribunal a adopté la position prise par le juge d'appel Desjardins dans l'arrêt Distribution Canada Inc. c. M.N.R., [1993] 2 C.F. 26 (C.A.F.), où la juge indique aux pages 40 et 41 de l'arrêt :

«L'intimé est limité dans ses opérations par des facteurs tels que les limitations en matière de budget, d'installations, de personnel, etc. L'obliger à faire ce que l'appelante demande à la Cour de lui ordonner de faire revient à pénétrer dans un domaine où, par la force des choses, l'intimé doit être le seul à manœuvrer.»

Puis à la page 41, elle conclut en ces termes :

«Seul celui qui est tenu à une obligation publique de ce genre peut décider de la façon dont il utilise ses ressources à cette fin.»

Le tribunal en vient ensuite à la conclusion suivante :

«Il n'appartient pas au tribunal d'examiner la répartition des fonds au sein du budget global d'un ministère.»

Avec tout le respect qui est dû au tribunal, là n'était pas la question. À notre avis, celle-ci portait plutôt sur les choix effectués au sein de cette enveloppe de ressources globale dont disposait l'intimé.

Abstraction faite des difficultés pratiques que suppose l'analyse de la répartition des fonds et du déploiement des ressources, un domaine relevant presque exclusivement et spécialement de la connaissance et des pratiques et politiques internes du Ministère, la seule démarche possible pour une personne qui désire contester la répartition des ressources consiste à évaluer ces pratiques et politiques du point de vue des résultats obtenus, tout en respectant les principes d'équité et d'égalité inhérents aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

L'arrêt CCDP c. La Reine (1994) 22 C.H.R.R. D/40 (C.F.S.P.I.) s'intéresse notamment à la suprématie de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il s'agissait d'un pourvoi en appel pour obtenir une révision judiciaire d'une décision du tribunal et la Cour fédérale, Section de première instance, par l'entremise du juge Cullen a cité en y souscrivant l'arrêt Canada (CCDP) c. Association canadienne des paraplégiques (1991) 13 C.H.R.R. D/568 dans lequel la Cour d'appel fédérale a maintenu la suprématie de la Loi canadienne sur les droits de la personne sur toutes les autres lois.

Dans le même arrêt, soit l'arrêt CCDP c. La Reine, la Cour adopte [Traduction] l'interprétation généreuse et fondée sur la Loi et combine cette interprétation à la déclaration de la Cour suprême dans l'arrêt Kelso c. Canada [19981] 1 R.C.S. 199, soit nommément :

[Traduction]

«Personne ne conteste le droit général du gouvernement de répartir ses ressources et sa main-d'œuvre comme bon lui semble. Toutefois, ce droit n'est pas illimité et il doit être exercé conformément à la Loi. Le droit du gouvernement de répartir ses ressources ne peut avoir préséance sur une loi comme la Loi canadienne sur les droits de la personne.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Ce n'est pas tant la répartition des fonds, mais le choix, la sélection de l'utilisation qu'on entend faire d'une enveloppe de ressources qui établit si les politiques et les pratiques sont raisonnablement nécessaires afin d'assurer une application efficace et économique de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements.

En ce qui concerne le quatrième motif d'appel relatif à l'application efficace et économique de la Loi, le tribunal de première instance a pris en considération, dans le cadre du critère objectif, les questions suivantes :

  1. l'objet de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements d'application;
  2. les ressources d'application dont disposait l'intimé; et
  3. la portée des responsabilités de l'intimé en matière d'application de la Loi.

Selon la compréhension que nous avons de la thèse de la procureure de la Commission, celle-ci s'attaque principalement à l'application inégale de la Loi découlant de l'évaluation des risques posés, selon la DGPS, par les produits à base d'herbes médicinales et les préparations d'herboristerie vendus par les importateurs et détaillants ethniques chinois et ceux vendus par les importateurs occidentaux.

En ce qui concerne la politique d'évaluation des risques de la DGPS, la procureure de la Commission s'est reportée au contre-interrogatoire de M. Riou, au volume 7, de la page 1105 à 1108 inclusivement. Dans son témoignage, M. Riou a admis qu'il connaissait les conclusions du Rapport WRVS et que les plaintes de M. Bader avaient accéléré la décision de procéder à une étude comme celle ayant donné lieu au dépôt de ce rapport ou en constituaient une des causes lorsqu'il a formulé l'observation suivante :

«Que l'industrie, l'industrie évoluait, comme nous avons pu le constater, ce qui incluait la vente d'herbes, d'herbes médicinales et de préparations d'herboristerie et nous avons donc conclu à la nécessité de nous intéresser à cette industrie.»

Elle exprime son point de vue sur le critère objectif à l'égard des motifs 3 et 4 d'appel en citant d'abord la conclusion du tribunal énoncée à la page 41 :

«Le fait de concentrer le déploiement de ses ressources principalement aux points de fabrication et d'importation constituait une utilisation objectivement raisonnable des ressources d'application de l'intimé.»

Elle conteste ensuite cette conclusion à trois égards :

[Traduction]

  1. Premièrement, que l'erreur se situe dans la conclusion de fait et de droit qu'il y a eu application égale de la Loi entre les importateurs ethniques chinois et M. Bader.
  2. Que le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il en est venu à la conclusion que la différence dans l'application de la Loi ... n'était pas une conséquence de la race ni de l'origine ethnique de l'importateur, mais plutôt d'une différence entre l'application de la Loi chez les détaillants par rapport à l'application de la Loi aux ports d'entrée.
  3. Que le tribunal a commis une erreur de fait et de droit lorsqu'il en est venu à la conclusion que cette application de la Loi était objectivement raisonnable puisqu'elle était axée sur les produits.

Le plaignant, quant à lui, conteste le fait que les ressources de l'intimé étaient limitées au point de l'obliger à concentrer ses activités de surveillance aux ports d'entrée plutôt que dans les commerces de détail. À cet égard, on peut se reporter aux commentaires formulés par le tribunal aux pages 30 à 32 inclusivement de sa décision.

Motif 4 : Caractère limité des ressources

Le tribunal d'appel analysera d'abord le mémoire du plaignant qui, selon la compréhension que nous avons de sa thèse, remet en question les allégations selon lesquelles la DGPS disposerait d'une quantité limitée de ressources pour s'occuper d'un volume sans cesse croissant d'importations dans un contexte géographique comprenant des points d'entréé au Canada en Colombie-Britannique et en Alberta.

Cette question est importante puisque selon l'inspecteur Sloboda, les ressources limitées expliquent la politique visant à concentrer les ressources d'applications de la Loi au niveau des importations.

Le déploiement des ressources d'inspection aux points de fabrication et d'importation a été appuyé par M. Riou, qui a mentionné en témoignage que la politique ou la pratique consistant à cerner les problèmes de non-conformité au niveau des importations était plus facile à appliquer que de procéder à des vérifications dans les points de vente au détail, compte tenu de la multiplicité de ceux-ci. Toutefois, il faut présumer que M. Riou, en sa qualité de directeur des Opérations régionales à Ottawa, connaissait le contenu du Rapport WRVS et ses implications. Dans son témoignage, qui en contre-interrogatoire a été vague, M. Riou a également insisté sur la distinction à établir entre les importateurs et les détaillants, distinction dont nous avons traitée précédemment.

M. Riou a aussi indiqué que le volume des livraisons était un facteur dans l'établissement de la charge de travail de la DGPS. Il affirme qu'il faut beaucoup plus de main-d'œuvre pour examiner de nombreuses livraisons de faible volume (censément le fait d'importateurs ethniques chinois) qu'il n'en faut lorsqu'on se concentre sur les livraisons plus importantes destinées aux importateurs occidentaux.

Le seul élément de preuve produit devant le tribunal en ce qui concerne le volume des livraisons est le compte rendu d'une réunion entre des représentants de la DGPS, des douanes canadiennes et de l'Association des commerçants du quartier chinois de Vancouver qui a eu lieu le 3 octobre 1988. Or, au cours de cette réunion, les membres de l'association présents ont souvent fait allusion à des livraisons par conteneurs (voir pièce HR-4).

Le tribunal a décrit de manière assez détaillée les modalités suivies par la DGPS dans le processus de concentration de ses ressources sur les importations. La DGPS comptait notamment sur l'appui des employés des douanes, qui depuis 1979, examinaient les factures remises volontairement par les importateurs et sur lesquelles figurait la mention Direction générale de la protection de la santé. Les factures portant cette mention étaient acheminées au bureau de la DGPS à Vancouver où, selon le témoignage de M. Shelley, un commis, lorsqu'il était disponible, examinait les documents en question et les triait.

Aucun élément de preuve n'a été produit pour confirmer, le cas échéant, l'embauche de personnel de soutien par la DGPS, outre la mention faite par M. Shelley. Certains éléments de preuve confirment toutefois qu'à l'occasion, outre la collaboration avec les douanes qui a été officialisée dans un protocole d'entente daté du 7 septembre 1993 (protocole d'entente D19-9-1 joint à la pièce R-9), la DGPS pouvait aussi compter sur l'aide de la Direction des aliments.

Il ne fait aucun doute que les raids effectués dans des grands centres comme Vancouver, Winnipeg et Toronto ont immédiatement attiré l'attention des médias sur ce problème et qu'ils ont aussi provoqué la colère de la communauté ethnique chinoise. (Voir par exemple l'article publié dans l'édition du 17 novembre 1988 du Vancouver Sun, intitulé Chinese Community Complains Business Hurt by Ban on Remedies et l'article non daté paru dans le même quotidien et intitulé Chinatown Drug Raid et d'autres articles similaires dans le Winnipeg Sun et le Toronto Star qui se trouvent tous dans la pièce R-1, volume 2, onglets 55, 56, 57 et 58.)

En ce qui concerne la surveillance des activités de fabrication de ces produits, on peut se reporter au témoignage de l'inspecteur Sloboda aux pages 1695 et 1696 du volume 12 de la transcription, où le témoin déclare que les bonnes pratiques de fabrication (dont le respect est attesté par le code DIN) et les politiques de la DGPS ne s'appliquaient pas aux produits à base d'herbes médicinales ni aux préparations d'herboristerie chinois. (Voir aussi la note de service du 23 septembre 1987 de l'inspecteur Sloboda à M. Shelley, pièce R-1, onglet 36.)

Comme nous l'avons mentionné, la question du caractère limité des ressources à la disposition de la DGPS en est une qu'il est difficile d'évaluer puisque l'information n'est pas facilement accessible pour quelqu'un de l'extérieur de la DGPS. Chose certaine, les activités menées chez les détaillants par la DGPS ont causé bien des réactions et il est donc possible qu'à certains égards, ces activités aient constitué une utilisation plus efficace des ressources que la pratique consistant à concentrer les activités de surveillance au niveau des importateurs. Il convient aussi de signaler que les inspecteurs se rendaient rarement aux points d'entrée des marchandises et que la preuve n'indique pas clairement où les interventions ont eu lieu dans la chaîne de distribution. Dans la mesure où il y a eu des interventions à l'égard des produits à base d'herbes médicinales et des préparations d'herboristerie ethniques chinois, il est permis de penser que ces interventions se sont déroulées dans des entrepôts.

Plus récemment, toutefois, selon une lettre datée du 25 juin 1993 rédigée par l'inspecteur Sloboda (pièce R-24, point 3 à la page 2), une méthode de surveillance plus efficace avait été mise en œuvre afin de mieux contrôler ce qu'il décrit dans sa lettre comme [Traduction] les importateurs qui causent réellement problème. Cette méthode fait appel aux données informatisées transmises aux douanes aux points de dédouanement des marchandises.

Selon le témoignage des fonctionnaires de la DGPS, les ressources humaines disponibles pour des inspections dans la région de l'Ouest totalisaient 3,5 années-personnes. Même si l'effectif avait été plus considérable, il semble que compte tenu du nombre de points d'entrée dans la région constituée de la Colombie-Britannique et de l'Alberta, les ressources humaines disponibles auraient probablement été sollicitées au maximum.

La question à savoir si le fait de concentrer la surveillance sur les importateurs en recourant aux services des douanes constitue la meilleure manière de déployer les ressources humaines de la DGPS demeure sans réponse. Le tribunal d'appel n'entend donc pas se prononcer sur les conclusions du tribunal à cet égard.

Le tribunal d'appel est d'opinion que les mémoires de la Commission concernant a) l'application égale de la Loi; b) la différence de traitement et c) les activités d'application axées sur le produit doivent être analysés en tenant compte des allégations relatives au caractère limité des ressources de la DGPS.

a) Application égale de la Loi

Comme nous l'avons déjà mentionné en réponse aux conclusions du tribunal de première instance formulées à la page 41 de sa décision et selon lesquelles le fait de concentrer le déploiement de ses ressources principalement aux points de fabrication et d'importation constituait une utilisation objectivement raisonnable des ressources d'application de l'intimé, la procureure de la Commission ne conteste pas comme tel le déploiement de ces ressources aux points d'importation, mais fait plutôt valoir qu'il y a eu application inégale de la Loi à ce niveau entre les importateurs ethniques chinois et M. Bader.

Il nous semble que cette affirmation suppose implicitement qu'il y a eu une forme de discrimination directe parce que la notion d'égalité est fondamentale à l'objectif poursuivi par la Loi. Dans ce contexte, la question consiste à savoir s'il était raisonnable pour la DGPS d'utiliser ou de déployer ses ressources d'application de la Loi de manière inégale.

L'intention n'est pas un facteur déterminant dans les cas de discrimination directe. Voir l'arrêt O'Malley c. Simpsons-Sears 1985] 2 C.R. du juge McIntyre aux pages 549 et 550, lequel a été confirmé par l'arrêt Robichaud c. Conseil du Trésor du Canada 2 [1987] 2 R.C.S. 84. Toutefois, il semblerait que dans un tel cas, le fardeau de la preuve soit transféré à la partie qui affirme qu'il y a eu application inégale de la Loi.

À la page 42 de sa décision, le tribunal s'appuie sur les conséquences d'une note de service émanant du directeur général Elliot datée du 23 janvier 1989 (pièce HR-1, volume 2, onglet 117) et sur deux recueils volumineux de Rapports des douanes (pièces R-2 et R-17) pour démontrer l'existence d'une politique continue de la DGPS. La note en question se lit comme suit :

[Traduction]

«Entre-temps, veuillez vous assurer que les activités d'application de la Loi impliquant des préparations à base d'herbes se limitent aux domaines de risques clairement établis jusqu'à ce que la politique de la direction générale ait été clarifiée.»

Cette note de service contient également l'observation suivante :

[Traduction]

«Plus particulièrement, le statut de l'herbe nommée don quai fait actuellement l'objet d'un examen afin d'établir s'il s'agit d'un aliment ou d'une drogue et les activités d'application de la Loi qui s'ensuivront font actuellement l'objet d'études approfondies.»

Cette herbe était à la source d'un litige de longue date entre la DGPS et le plaignant.

La période visée par la pièce R-17 intitulée [Traduction] Rapports des douanes et portant sur les importations ethniques chinoises ne commence pas avant le 10 mai 1988, soit environ dix ans après les interventions de la DGPS à l'égard des importations du plaignant, M. Bader.

Le tribunal a décrit la note de service de M. Elliot comme la preuve d'un examen en cours de la politique de l'intimé sur les herbes médicinales et les préparations d'herboristerie. Il est toutefois évident que cet examen, qui découle d'une note datée du 23 janvier 1989, fait défaut d'englober la période écoulée entre 1978 et mai 1988, au cours de laquelle seule l'entreprise du plaignant était assujettie aux interventions de la DGPS comme le confirme la pièce R-2, les rapports Don Bosco.

Il est utile de se reporter au témoignage de M. Shelley au volume 10, pages 1447 et 1448 de la transcription. Cette partie de son témoignage portait sur les formules de déclaration en douanes 60.10 au moment où le témoin parcourait la pièce R-17 [Traduction] Rapports des douanes Ethnique / Traditionnel). Au bas de la page 1447, la procureure de l'intimé pose les questions suivantes :

[Traduction]

«Et en supposant que vous puissiez le parcourir page après page dans son entier, diriez-vous que les recommandations formulées dans ce document préconisent de refuser l'accès à des produits ethniques provenant d'importateurs chinois ou ethniques?»

À cette question, M. Shelley répond de la manière suivante :

[Traduction]

«D'accord. De la manière dont ce tout dernier document est structuré, il y avait une deuxième page qui y était annexée qui comprenait la liste des produits qui font l'objet d'un refus. En autant que je puisse dire, simplement en regardant les noms, il s'agit d'une liste de 15 produits, dont 13 seraient des médicaments ethniques ou traditionnels chinois.» (Souligné du tribunal d'appel.)

La procureure pose ensuite la question suivante :

[Traduction]

«Et ces documents sont-ils similaires à ceux qui sont regroupés dans la pièce R-2 ...»

(La pièce R-2 est un recueil de Rapports aux douanes concernant M. Bader.)

[Traduction]

«... qui semblent être des rapports aux douanes relativement à l'entreprise de M. Bader, Don Bosco Agencies Limited?»

Le témoin répond de la manière suivante à cette question :

[Traduction]

«Le seul commentaire que je puisse faire à ce sujet, c'est qu'il s'agit du même formulaire, Monsieur le président, mais si je regarde certains des rapports chinois, les listes de produits sont beaucoup plus longues qu'elles ne le sont sur des documents similaires dans la pièce R-2.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Par conséquent, la seule période où il y a eu application égale de la Loi entre Don Bosco Agencies Limited et les importateurs ethniques chinois commence en 1989.

Il convient de faire remarquer que le plus grand nombre d'infractions signalées au cours de la période considérablement raccourcie écoulée entre mai 1988 et mai 1994 visaient des importations ethniques chinoises et que la différence était considérable (voir par exemple le témoignage du chef inspecteur Shelley au volume 10, pages 1447 et 1448).

À la suite d'une note de service émise par le directeur général Elliot le 23 janvier 1989, le nombre de refus pour des raisons soi-disant techniques comme l'absence de codes DIN a diminué. Si l'on se reporte à la pièce R-17, on constate toutefois qu'il y a eu de nombreuses infractions graves aux dispositions relatives à l'annexe A. Il y est notamment fait mention d'étiquettes susceptibles de créer une impression erronée et de renseignements trompeurs sur les propriétés curatives des produits. Certains produits refusés contenaient des substances comme du chloroforme et de la codéine.

En témoignage, M. Bader a indiqué que la DGPS semblait avoir commencé à appliquer la Loi au moment où il a commencé à exercer des pressions sur les fonctionnaires de la DGPS. Lorsqu'il s'est rendu personnellement vérifier les rapports d'application de la Loi, il a constaté que les activités d'application de la Loi s'étaient intensifiées au niveau des importations à partir de mars ou d'avril 1988 et s'étaient poursuivies jusqu'en novembre de cette même année.

Incidemment, ce qui semble avoir été une période intense d'activités d'application de la Loi a commencé le 9 mars 1988, soit environ au même moment où M. Bader a déposé sa plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La politique et la pratique d'application de la Loi de la DGPS avant l'envoi par M. Elliot de sa note de service du 23 janvier 1989 peuvent être examinées en analysant les notes de service et la correspondance obtenues par l'entremise de la Loi sur l'accès à l'information. Voici les passages pertinents de ces documents :

25 octobre 1983

Envoi d'une note de service de l'inspecteur Ansari concernant l'importation de don quai par Don Bosco Agencies Limited et ses préoccupations à l'égard d'une possibilité d'application non uniforme de la réglementation, note de service qui se lit notamment comme suit :

[Traduction]

«Nous nous inquiétons aussi du grand nombre de marques (aucune allégation sur l'étiquette) de produits similaires commercialisés dans des quartiers ethniques comme le quartier chinois qui peuvent facilement être invoqués par l'importateur comme des exemples d'application non uniforme du paragraphe C.08.002 du Règlement. Vous êtes probablement aussi au courant de la possibilité de poursuites en Cour fédérale de la part de cet importateur quant à la validité de [cette réglementation]. Nous devons donc nous assurer d'être en mesure de justifier notre décision d'en faire une drogue nouvelle à la satisfaction de la Cour compte tenu de la possibilité bien réelle que cet importateur engage des poursuites.» (Voir pièce HR-1, volume 1, onglet 4.) (Souligné du tribunal d'appel.)

3 décembre 1984

Envoi d'une note de service de l'inspecteur Sloboda à M. Krause ayant pour objet les plaintes de David Bader. Voir page 2 de la pièce HR-1, volume 1, onglet 19. Cette note de service se lit notamment comme suit :

[Traduction]

«Je me soucie plus particulièrement du fait que M. Bader peut faire valoir son point de vue de manière plutôt convaincante et citer des exemples précis de cas où les activités d'application de la Loi par la DGPS ne sont pas uniformes. L'argument le plus convaincant que M. Bader peut avancer réside dans le fait que la DGPS consacre plus d'attention au groupe d'importateurs auquel il appartient tandis qu'il est facile de démontrer que des infractions plus graves ont été constatées dans le quartier chinois. Les importations de médicaments chinois ne font pratiquement l'objet d'aucune surveillance et de nombreux produits non conformes à la Loi sont vendus dans le quartier chinois. La surveillance des importations par la DGPS se fait de manière sélective aux douanes et certains importateurs sont surveillés de manière plus étroite. De toute évidence, les ressources dont nous disposons actuellement en matière d'inspection sont insuffisantes pour assurer une surveillance totale efficace aux douanes. J'estime que ces ressources devraient être accrues et qu'on devrait consacrer plus d'attention à la surveillance exercée aux douanes sur tous les importateurs.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Octobre 1988

Dans le compte rendu de la réunion tenue entre des représentants de la DGPS et de l'Association des commerçants du quartier chinois de Vancouver (pièce HR-4 à la page 38), on peut lire le commentaire suivant de M. Sloboda formulé en réponse aux questions émanant de membres de l'Association :

[Traduction]

«Je ne pense pas que vous puissiez me citer un seul cas où nous avons pris des mesures aux douanes pour entraver le commerce de l'un ou l'autre de ces produits.»

Février 1989

Dans un post-scriptum à une lettre qu'il adressait à Mme Helen Quesnel, l'inspecteur Sloboda formule le commentaire suivant :

[Traduction]

«À l'heure actuelle, nous nous sommes complètement retirés de la surveillance des importations chinoises à la suite de l'énoncé de politique de R. Elliot en date du 23 janvier 1989.» (Souligné du tribunal d'appel.)

13 février 1991

Le rapport du projet DDAB intitulé [Traduction] Surveillance des médicaments en vente libre (voir pièce R-10 à la page 8) où on peut lire dans la section sur le Contexte, le commentaire suivant :

[Traduction]

«La partie de ce projet portant sur l'inspection vise deux objectifs. Le premier est d'exercer une surveillance sur les fabricants, importateurs et distributeurs d'herbes médicinales, préparations d'herboristerie, produits de source naturelle et produits alternatifs afin d'y déceler des ingrédients dangereux ...»

On peut aussi lire à la page 8 de ce même document le commentaire suivant :

[Traduction]

«Traditionnellement, la Direction générale a eu pour politique de ne pas s'attaquer aux magasins ethniques et d'orienter ses mesures coercitives essentiellement vers les importateurs ou fabricants non ethniques. Bien qu'étant fondée sur une évaluation du degré relatif de risque, cette différence d'approche face à la réglementation du même médicament n'est plus acceptable. Une stratégie fondée sur une introduction progressive d'une démarche nationale uniformisée est requise afin de s'assurer que :

- le même genre de drogue est assujetti aux mêmes méthodes d'application de la Loi peu importe où elle est vendue ...;

- les priorités sont établies en fonction des risques pour la santé.»

Dans le dernier paragraphe de cette page, on peut également lire ce qui suit :

[Traduction]

«Étant donné le caractère délicat des questions dont s'occupe ce module, les mesures coercitives appliquées auprès du secteur ethnique ont été minimales de 1988 à 1990.» (Dans les extraits qui précèdent, nous soulignons.)

Il est néanmoins évident que cette préoccupation ne s'est pas traduite par une volonté de traiter les produits à base d'herbes médicinales ethniques chinois de la même manière que les produits que Don Bosco Agencies Limited tentait d'importer. En d'autres termes, il n'y avait pas dans les faits de traitement approprié et égal des produits ethniques chinois par rapport aux produits de la Don Bosco Agencies Limited. Il faut aussi tenir compte de la liste que M. Bader a compilée au cours de ses visites dans des magasins de détail ethniques chinois, par exemple à la Kiu Shun Trading Company, qui est identifiée dans la pièce HR-1, onglet 21 à l'annexe I comme étant un important importateur chinois.

Nous ne croyons pas nécessaire de nous reporter à la jurisprudence invoquée par la procureure de la Commission sur le concept d'égalité puisque ce concept a été amplement défini par les philosophes et les cours de justice. Nous nous contenterons de souligner que M. Bader, soit la Don Bosco Agencies Limited, était une petite entreprise du point de vue de l'inspecteur Sloboda et que le volume de ses importations était beaucoup moins important que celui des livraisons par conteneurs destinées aux importateurs ethniques chinois. Pourtant, M. Bader faisait l'objet d'une surveillance beaucoup plus étroite et d'interventions beaucoup plus fréquentes de la part des fonctionnaires de la DGPS que ses homologues chinois avant 1988.

En témoignage, M. Bader a affirmé que l'intensification des activités d'application de la Loi par la DGPS à l'endroit des importateurs ethniques chinois semble avoir coïncidé avec les plaintes qu'il avait déposées auprès des fonctionnaires quant à l'absence d'équité et à la suite du dépôt de sa plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne en mars 1988.

En ce qui concerne l'établissement de règles du jeu équitables, nous nous reportons au rapport du Comité consultatif d'experts sur les herbes médicinales et les préparations d'herboristerie daté du 19 janvier 1986 (pièce R-7, onglet 2) qui à la rubrique [Traduction] Mesures coercitives comprend les observations suivantes :

[Traduction]

«Le Comité reconnaît que certains groupes ethniques qui vendent des herbes médicinales et des préparations d'herboristerie bénéficient d'une immunité relative compte tenu du fait que les étiquettes de leurs produits ne sont habituellement pas libellées en anglais et en français.»

«... bien que reconnaissant ces facteurs, le Comité en vient à la conclusion que la Loi doit être appliquée de manière égale sur le marché et que les avantages concurrentiels de cette nature doivent être éliminés à plus ou moins brève échéance.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Depuis le dépôt de ce rapport, il s'est écoulé environ dix ans et, selon l'affidavit du 12 novembre 1996 de M. Bader, admis comme nouvel élément de preuve, de nombreux produits qui contreviennent à la Loi continuent d'être vendus par des détaillants ethniques chinois dans les grandes villes canadiennes. Certains de ces produits contiennent de l'arsenic, de la codéine et d'autres substances interdites ou réglementées.

La procureure de la Commission a fait valoir que la concentration par la DGPS de ses ressources principalement aux points d'importation ne constitue pas une utilisation raisonnable de ces mêmes ressources dans la mesure où il s'ensuit que la Loi n'est pas appliquée également auprès de tous les importateurs. À titre d'exemple, mentionnons qu'une tentative par la Don Bosco Agencies Limited d'importer du don quai a été contestée par l'inspecteur Ansari dans une lettre qu'il rédigeait le 25 octobre 1983, dont il a déjà été question, et que le don quai a par la suite été refusé. Cette même substance, soit un ingrédient présent dans 70 p. 100 des produits ethniques chinois à base d'herbes médicinales, a finalement été reclassé comme un aliment en juin 1989. Pendant toute cette période, aucune mesure d'application de la Loi n'a été prise à l'encontre des importateurs ethniques chinois. Le tribunal d'appel souscrit donc au mémoire de la procureure et en vient à la conclusion qu'il y a eu un déploiement inégal des ressources de la DGPS aux points d'importation et que cette manière de procéder ne constituait pas une utilisation raisonnable de ces ressources par la DGPS.

b) Traitement différentiel - Pas une conséquence de la race ou de l'origine ethnique de

l'importateur, mais plutôt d'une différence de traitement entre l'application de la Loi au niveau de la vente au détail et aux points d'entrée au Canada

La procureure de la Commission a fait valoir que le tribunal de première instance avait commis une erreur de droit lorsqu'il en est venu, à la page 42 de sa décision, à la conclusion suivante :

[Traduction]

«... que le traitement différentiel ... n'était pas une conséquence de la race ou de l'origine ethnique de l'importateur, mais plutôt qu'il y a eu différence de traitement entre l'application de la Loi au niveau de la vente au détail et l'application aux points d'entrée au Canada ...»

Nous avons déjà décrit d'une manière assez détaillée ce qui, de notre avis, constitue un vice de raisonnement fondamental du tribunal de première instance qui l'a amené à faire une distinction entre les importateurs ethniques chinois et les détaillants ethniques chinois, distinction que la preuve ne confirme pas.

Outre ce vice de raisonnement, certains éléments de preuve confirment que les importateurs ethniques chinois ont été considérés et traités par les fonctionnaires de la DGPS comme appartenant à une catégorie distincte par rapport à leurs homologues occidentaux. Ce traitement qui leur était réservé l'était aussi par voie de conséquence aux produits à base d'herbes médicinales et aux préparations d'herboristerie qu'ils importaient.

Nous nous reportons au rapport du projet DEHA rédigé par M. Forbes et daté du 24 janvier 1985 intitulé [Traduction] Réglementation des médicaments chinois traditionnels à base d'herbes médicinales. Dans sa note de service, à la rubrique [Traduction] Phase 1 - Établissement des faits, on constate qu'il devait y avoir :

[Traduction]

«Mise en oeuvre d'un projet national afin de procéder à un relevé des activités d'importation, de distribution et de vente au détail afin d'établir ...»

À la page 3 de l'annexe I de ce rapport de M. Forbes, à la rubrique [Traduction] DEHA - Enquête sur les produits chinois à base d'herbes médicinales, M. Forbes énonce l'objectif de ce projet comme suit :

[Traduction]

«Améliorer la situation à la suite des plaintes concernant les médicaments en vente libre importés pour être vendus au sein de la communauté ethnique chinoise.» (Souligné du tribunal d'appel.)

On décrit ensuite à l'annexe I comment on entend atteindre cet objectif.

Jointe à l'annexe I du rapport de M. Forbes, on trouve une liste des principaux importateurs ethniques chinois qu'il est intéressant de comparer à la pièce HR-5, un document comportant une liste des importateurs chinois présenté par la procureure de la Commission parce que les noms de ces importateurs avaient été rayés de la liste annexée au Rapport WRVS de manière que la pièce HR-5 donne de l'information sur l'identité des importateurs qu'on ne pouvait trouver dans la pièce C-1, onglet 10 ou dans la pièce HR-1, volume 1, onglet 42. Ces deux pièces, sans les listes, proviennent du Rapport WRVS.

Si l'on compare la pièce HR-5, la liste énumérant les importateurs chinois, à l'annexe I du rapport de M. Forbes, le nom des 15 importateurs ethniques chinois qui y sont énumérés figure aussi sur la liste de l'annexe I du rapport du projet DEHA de M. Forbes.

Si l'on se reporte ensuite à la pièce HR-1, volume 1, onglet 6, page 2, qui est une liste des commerces de détail chinois visités par M. Bader en février 1984, il devient apparent que cette liste comporte les mêmes noms que celle des importateurs figurant sur la liste de M. Forbes et sur la liste annexée au Rapport WRVS. Voici trois exemples d'entreprises qui figurent à la fois sur la liste de M. Bader et sur la liste de M. Forbes : Chung Wah Trading Co., Man Hing (King) Trading Co. et Kiu Shun Trading Co.

Le 20 novembre 1984, M. Bader a de nouveau visité des commerces de détail chinois et a dressé une nouvelle liste (pièce HR-1, volume 1, onglet 14) sur laquelle figure de nouveau le nom d'importateurs qui figurent sur la liste de M. Forbes dont la Trans Nation Emporium.

Les 26 et 27 octobre 1985, M. Bader s'est rendu dans les locaux de deux importants importateurs chinois, soit Man King Co. et Chung Shun Trading Co., et s'y est procuré des marchandises. Les étiquettes de ces produits comportaient des revendications liées à l'annexe A, soit à certains problèmes de vésicule biliaire, de polyarthrite rhumatoïde et de menstruations. Dans une lettre de M. Forbes datée du 21 décembre 1987 (pièce HR-7, volume 1, onglet 52), M. Bader mentionne les points de vente au détail qu'il a visités et annexe une liste sur laquelle figurent notamment Awai Yuen Tung Trading Co., Dai Chong Ltd et Yuen Fong Co., toutes des entreprises qui figurent également sur la liste des principaux importateurs de M. Forbes.

Dans une lettre de M. Forbes adressée à M. Riou le 7 octobre 1987 (pièce R-1, volume 1, onglet 39), celui-ci se reportant apparemment au Rapport WRVS, en parle comme d'une étude d'établissement des faits au niveau du commerce de détail* .... Toutefois, dans un post-scriptum à cette lettre, M. Forbes écrit ce qui suit :

[Traduction]

«*Veuillez remarquer que tous les détaillants visités sont aussi des importateurs.»

Mentionnons de plus le témoignage de l'inspecteur Sloboda en contre-interrogatoire, aux pages 1709 à 1717. Ayant été invité à se reporter au projet de M. Forbes, on a demandé au témoin de le comparer à la pièce HR-5, soit la liste où les principaux importateurs ethniques chinois étaient identifiés. M. Sloboda a convenu que quelque onze enreprises figuraient à la fois sur la liste de M. Forbes et sur la liste des principaux importateurs chinois identifiés dans le Rapport WRVS.

Si l'on combine la liste de M. Forbes, l'annexe I du Rapport WRVS, la liste de M. Bader, le post-scriptum à la lettre de M. Forbes adressée à M. Riou, le témoignage de l'inspecteur Sloboda et la grille annexée aux rapports des Douanes, il devient évident, avec preuve à l'appui, que certains importateurs chinois sont aussi des détaillants de Vancouver.

En dernière analyse, l'établissement des éléments de comparaison satisfaisants est une question de droit et il n'appartient pas à l'intimé de les sélectionner et par exemple, de comparer des pommes à des oranges.

Finalement, on peut aussi se reporter aux formulaires des douanes annexés à la pièce C-1, onglet 10, qui contiennent une grille classant les organisations ou les personnes à savoir s'ils sont, entre autres choses, des importateurs. Un examen rapide de ces formulaires, lorsqu'il est possible de les déchiffrer, révèle qu'un certain nombre d'organisations ou de particuliers y sont classés comme des importateurs / distributeurs.

Le tribunal est par conséquent d'avis que les différences d'application de la Loi ne sont pas attribuables à un traitement différentiel entre les détaillants et les importateurs, mais plutôt que ces différences étaient fondées sur la race ou l'origine ethnique de l'importateur.

Le dernier point invoqué par la procureure de la Commission avait trait à la conclusion du tribunal de première instance figurant à la page 41 de sa décision :

[Traduction]

«Le fait de concentrer le déploiement de ses ressources principalement aux points de fabrication et d'importation constituait une utilisation objectivement raisonnable des ressources d'application de l'intimé.»

Avant d'en venir à cette conclusion, le tribunal avait indiqué qu'aucun élément de preuve direct n'avait été produit devant lui à savoir si les produits vendus par des détaillants ethniques étaient importés directement par ceux-ci ou si ces produits étaient acquis chez un grossiste qui avait importé les produits. La preuve produite n'appuie tout simplement pas cet énoncé. Au contraire, de nombreux éléments de preuve confirment que dans bien des cas, des produits importés avaient été vendus par les mêmes commerçants qui les avaient importés.

Quoiqu'il en soit, en ce qui concerne la possibilité que l'application de la Loi ait été axée sur les produits, il convient de se reporter aux pièces C-30 et R-15. La pièce R-15 est le [TRADUCTION] Profil de distinction rapide dans lequel on compare les importateurs ethniques chinois d'herbes médicinales et de préparations d'herboristerie d'une part et les importateurs (occidentaux) d'aliments de santé, d'herbes médicinales et de préparations d'herboristerie d'autre part.

La pièce R-15 comprend aussi une liste qui énumère les critères sur lesquels doit s'appuyer le refus de produits dont l'entrée est demandée sur le territoire canadien. Cette liste a été rédigée par M. Shelley afin de servir de guide aux inspecteurs sur le terrain. On remarquera qu'au point 8 de cette liste, les produits sont classés en fonction de l'appartenance ethnique des importateurs ou des consommateurs.

La politique rédigée en vertu de la Loi sur les aliments et drogues et ses règlements prévoit que la Loi doit être appliquée en fonction des produits. Voir par exemple les Directives en matière de politique opérationnelle A6-0-1.

M. Shelley, M. Sloboda et M. Riou ont tous indiqué en témoignage que la politique établie en vertu de la Loi sur les aliments et drogues et ses règlements était appliquée en fonction des produits et que l'application de la Loi était donc axée sur les produits. Malheureusement, la preuve produite ne vient pas étayer leurs affirmations. Si les activités d'application de la Loi avaient véritablement été axées sur les produits, il s'ensuivrait nécessairement que les mesures d'application auraient été égales pour un même produit donné. Si l'on prend le don quai pour exemple, on constate qu'une livraison de don quai destinée à M. Bader s'est vue refuser l'accès au territoire canadien en 1983. M. Bader avait alors été informé que s'il tentait de nouveau d'importer ce produit, celui-ci serait considéré illégal et qu'il ne serait pas autorisé à le faire.

Par ailleurs, il existe une abondance d'éléments de preuve confirmant qu'en ce qui concerne les importateurs chinois, la Loi sur les aliments et drogues et les directives n'étaient pas appliquées. Si les politiques de la DGPS étaient véritablement axées sur les produits, la Loi aurait été appliquée de la même manière pour tous. Or, la preuve révèle l'existence d'une politique accordant une faible priorité aux activités des importateurs détaillants ethniques chinois et des consommateurs appartenant à ce groupe.

Comme nous l'avons mentionné précédemment, il a de plus été prouvé que de nombreux produits à base d'herbes médicinales vendus par des importateurs et des détaillants ethniques chinois contiennent des substances nocives comme du plomb, de l'arsenic, de la codéine, etc. Pour des exemples, voir la liste annexée à la lettre à la profession du 1er mai 1996, nouvelle pièce C-1.

c) Conclusions

Nous sommes donc convaincus que le tribunal de première instance a commis une erreur manifeste sur les points suivants :

  1. Le tribunal a commis un erreur lorsque, en s'appuyant sur l'existence alléguée d'une politique uniforme permanente de la DGPS, il en est venu à la conclusion que la Loi était appliquée également aux importations des importateurs ethniques chinois et aux importations de M. Bader, alors qu'en fait la preuve démontre que c'est plutôt le contraire qui se produisait.
  2. Le tribunal a commis un erreur lorsqu'il en est venu à la conclusion de droit et de fait que l'application qui était faite de la Loi était objectivement raisonnable puisqu'elle était axée sur le produit alors qu'il y avait abondance d'éléments de preuve confirmant que les activités d'application de la Loi de la DGPS au niveau des importations se traduisait dans les faits par l'octroi d'un traitement préférentiel aux importateurs ethniques chinois.
  3. Finalement, le tribunal a commis un erreur lorsqu'il en est venu à la conclusion que s'il y avait bien une différence dans l'application de la Loi elle se situait entre l'application de la Loi aux points d'entrée sur le territoire canadien des produits par rapport à l'application de la Loi dans les commerces de détail alors que dans les faits, la différence d'application de la Loi était fondée, selon la preuve produite, à l'appartenance ethnique des personnes en cause.

LE CRITÈRE SUBJECTIF

À la page 50 de sa décision, le tribunal de première instance reformule son analyse du critère subjectif en s'inspirant des trois éléments issus de l'arrêt Large c. La Corporation municipale de Stratford, [1995] J.C.S., no 80 (C.S.C.).

Le tribunal se reporte aux commentaires du juge Sopinka dans l'arrêt Large, précité, et s'en inspire pour reformuler ces trois éléments de la manière suivante :

  1. ... doit être imposée honnêtement et de bonne foi;
  2. ... avec la conviction sincère que cette politique ou pratique a été adoptée en vue d'assurer la bonne application de la Loi ou des règlements d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique;
  3. ... n'est pas imposée pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Dans l'arrêt Large, il était question d'un contrat d'emploi et il fallait établir si le point b), ci-dessus, soit nommément s'il y avait conviction sincère que la politique ou pratique (soit la retraite obligatoire à l'âge de 60 ans) avait été adoptée en vue d'assurer la bonne application de la Loi ou des règlements d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique.

L'enjeu dans l'arrêt Large consistait à établir si l'état d'esprit de l'employeur constituait un élément indispensable du critère subjectif.

En rejetant cette proposition, la Cour suprême du Canada, par la plume du juge Sopinka à la page 746, énonce ce qui suit :

«À mon avis, cependant, la commission d'enquête et les tribunaux d'instance inférieure ont privilégié une application trop rigide du critère subjectif contre l'employeur appelant dans les circonstances de l'espèce. Il serait trop formaliste d'insister invariablement sur une preuve relative à l'état d'esprit de l'employeur alors qu'objectivement la règle ou la politique contestée est adoptée pour une raison professionnelle valide et que le but qui sous-tend l'élément subjectif du critère est par ailleurs atteint.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Ce ne sont pas les principes énoncés dans l'arrêt Etobicoke, précité, et appliqués dans l'arrêt Large que l'appelant conteste, mais plutôt l'application du critère compte tenu de la preuve produite.

À la page 50 de sa décision, le tribunal de première instance semble en venir à la conclusion que si le critère objectif a été respecté, il s'ensuit nécessairement que le critère subjectif a aussi été respecté selon la prépondérance des probabilités.

Le tribunal d'appel a examiné et commenté de manière assez détaillée les pratiques et les politiques de la DGPS et les points sur lesquels, à son avis, le tribunal de première instance a erré compte tenu de la preuve produite et de l'application de la Loi. Il est donc inutile de se pencher de nouveau sur ces questions qui ont déjà été abordées dans l'analyse du critère objectif.

Le tribunal d'appel entend cependant examiner de manière assez détaillée les questions de preuve qui, à l'égard de l'élément subjectif du critère, l'amènent à tirer des conclusions différentes de celles du tribunal de première instance.

La procureure de la Commission a fait valoir que la politique consistant à considérer les détaillants ethniques chinois, dont la plupart étaient aussi des importateurs, comme représentant peu de risques, n'était pas une politique ou une pratique publique ni généralement connue à la DGPS.

Elle a soutenu aussi que la soi-disant politique d'évaluation des risques de la DGPS n'était pas véritablement axée sur les produits comme l'affirme l'intimé. En fait, cette politique ou pratique, qui a été maquillée en formule adoptée de bonne foi pour évaluer les risques liés aux produits, était une politique dissimulée de la DGPS qui consistait dans les faits à accorder un traitement spécial aux importateurs et détaillants ethniques chinois.

La contestation de la bonne foi de la DGPS comporte deux volets que l'on peut décrire comme suit :

  1. En premier lieu, la politique d'évaluation des risques n'était pas véritablement axée sur les produits.
  2. En deuxième lieu, il y a eu ingérence politique et des pressions ont été exercées sur la DGPS en ce qui concerne le don quai en particulier.

Il deviendra évident dans l'analyse de la preuve qui suit que le tribunal d'appel souscrit à ces deux affirmations. L'affaire en cause soulève une question importante en ce qui concerne la bonne foi, soit le premier des trois éléments du critère subjectif qui a été appliqué par le tribunal de première instance. Dans son mémoire au tribunal d'appel, la procureure de la Commission a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

«Le premier sujet que j'aimerais aborder est celui de la bonne foi, soit le fait que les politiques et les pratiques appliquées ne sont pas axées sur le produit et qu'il y a eu absence de bonne foi et d'une application véritable, honnête et réelle de la politique. Si la politique est appliquée différemment à divers groupes dont l'appartenance est établie en fonction de critères ethniques, elle n'est pas simplement appliquée à l'égard d'un produit.» (Voir volume 5 de la transcription de l'audience devant le tribunal d'appel, page 477.)

Aux fins de l'analyse de ce mémoire, il peut être utile de faire remarquer que les mots bonne foi ont été interprétés de différentes manières dans la jurisprudence. Un des principaux sujets qui y est abordé est la question à savoir si une partie qui a agi honnêtement, mais avec négligence, au sens commun du terme, peut être reconnue comme ayant agi de bonne foi.

Même si la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt G. (A.) v. Superintendent of Family Child Service (1989) 61 D.L.R. 136 et dans l'arrêt MacAlpine v. H.(T.) (1991) 82 D.L.R. (4e) 609, porte sur des questions de responsabilité civile, ces arrêts permettent tout de même de situer le débat. Sans entrer dans le vif du sujet, il nous semble indiqué, en l'espèce, de réaffirmer que le concept de bonne foi exige qu'un organisme public exerce ses pouvoirs discrétionnaires d'une manière opportune et rationnelle en se préoccupant de manière raisonnable des objectifs des lois pertinentes. Il faut donc qu'il y ait eu une appréciation raisonnable des objectifs de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le défaut d'un organisme public comme la DGPS d'exercer les pouvoirs dont il dispose en vertu de la Loi d'une telle manière constitue un manque de bonne foi en vertu du critère subjectif de motif justifiable. Cette question est importante dans le contexte actuel parce que le tribunal d'appel ne remet nullement en question l'intégrité de M. Sloboda ni celle des autres inspecteurs travaillant sur le terrain qui méritent notre reconnaissance pour la sincérité et la patience dont il font preuve dans l'exercice de leurs fonctions. Il semble en effet que leurs mains étaient liées par les directives émanant de leurs supérieurs à la DGPS et qu'ils n'ont pas joué un rôle déterminant dans cette affaire.

L'autre difficulté à laquelle nous sommes confrontés réside dans le fait que les origines de la politique d'évaluation des risques ne sont pas claires et que la partialité et le caractère arbitraire des mesures prises par la DGPS se sont accrus au fil du temps. Une des caractéristiques les plus frappantes de l'affaire est la réaction de la DGPS aux questions soulevées par M. Bader, qui ne peut être décrite autrement que comme vindicative et défensive. On peut faire valoir que la position adoptée par la DGPS était plus compréhensible au début du processus, mais dès lors que la politique d'évaluation des risques avait été contestée, la Direction générale avait l'obligation fondamentale de se pencher sur les questions de fond soulevées par le plaignant.

Dans ce contexte, il convient de signaler que Mme la juge L'Heureux Dubé a rejeté le raisonnement de la majorité sur le critère subjectif dans l'arrêt Large au motif que l'absence de motif inapproprié de la part de l'employeur ne suffisait pas à satisfaire au critère subjectif. Ce facteur est important, de l'avis de la juge, parce qu'un employeur qui a adopté aveuglément une exigence discriminatoire n'a pas le droit d'invoquer un motif justifiable en vertu de la Loi. Si ce genre de préoccupation semble devoir être soulevé dans l'affaire ici en cause, toutefois, cela ne peut être fait qu'à partir du moment où la politique d'évaluation des risques existait et il suffit donc d'affirmer que la politique doit être analysée en fonction de la totalité de la période où elle a été appliquée et dans le contexte général de l'affaire ici en cause.

Quoi qu'il en soit, les faits en l'espèce sont substantiellement différents de ceux visés par l'arrêt Large. Cela est évident à la lecture des commentaires formulés par le juge Sopinka, pour la majorité, à la page D/18, paragraphe [20] :

«La commission d'enquête et les tribunaux d'appel inférieurs ont par conséquent pris comme prémisse que l'état d'esprit de l'employeur est un élément essentiel du critère subjectif. Nonobstant le fait que l'employeur en l'espèce a agi de bonne foi et sans aucun motif inavoué lorsqu'il a adopté une politique en vue d'assurer l'exécution sûre et efficace du travail en question, le critère subjectif requiert la preuve qu'au moment de l'adoption de la politique, l'employeur avait la conviction sincère qu'elle était nécessaire à cette fin.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Le juge Sopinka souscrit de nouveau à ce point de vue sur les faits, en insistant considérablement à la page D/19, paragraphe [23] :

[TRADUCTION]

«Je ne comprends pas comment on sert la cause des droits de la personne en invalidant une règle professionnelle raisonnable appuyée par les employés et adoptée de bonne foi par l'employeur, pour le motif que ce dernier avait quelques réserves quant à son opportunité.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Il semble apparent dans ces citations et d'autres commentaires formulés dans cet arrêt, que la Cour suprême n'était pas appelée à se pencher sur une situation comme celle qui nous occupe actuellement, où la bonne foi de l'intimé est sérieusement remise en question.

Toute autre question mise à part, le tribunal d'appel ne croit pas que la majorité dans l'arrêt Large avait l'intention de permettre une défense de motif justifiable lorsqu'une politique qui est de toute évidence discriminatoire a été adoptée de manière négligente et expéditive sans qu'on ait même véritablement envisagé la possibilité qu'elle soit discriminatoire. Quelle que soit la provenance de la politique originale d'évaluation des risques, il semble clair que cette politique était entachée par des motifs inavoués qui sont apparus ultérieurement à mesure que les événements se déroulaient. Cette situation s'est continuellement aggravée à cause de l'entêtement de la DGPS à refuser de s'occuper des plaintes soulevées par M. Bader. Il est difficile de réfuter que la politique témoignait d'une mauvaise foi grave au moment où le don quai a été reclassifié comme un aliment sans qu'on puisse pour autant justifier cette décision par quelque critère de bonne foi que ce soit.

Un examen chronologique du traitement accordé par la DGPS au don quai illustrera, nous croyons, le caractère étrangement erratique et de nature à semer la confusion des activités de la Direction générale concernant ce produit à base d'herbes médicinales.

9 août 1983

La DGPS refuse l'entrée sur le territoire canadien de certains produits à base d'herbes médicinales que Don Bosco Agencies Limited tentait d'importer. L'entreprise en appelle à la Cour fédérale qui casse le refus (voir pièce R-8, datée du 21 décembre 1983 et voir ci-dessous, 21 décembre 1983).

25 octobre 1983

Une livraison de don quai destinée au plaignant se voit refuser l'entrée sur le territoire canadien même si aucune revendication liée à l'annexe A n'est formulée à l'égard de ce produit. On peut aussi se reporter aux notes manuscrites figurant au verso d'une lettre de l'inspecteur Ansari relativement à l'extrait de don quai qui se lit Échantillon, entrée refusée, une note inscrite par l'inspecteur Sloboda.

12 décembre 1983

L'inspecteur des drogues Mulherin envoie une lettre (voir pièce HR-1, volume 1, onglet 4) dans laquelle il écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

«Le don quai, qui n'a d'autre usage connu que celui d'agent médicinal, a toujours été considéré comme une drogue nouvelle, même en l'absence de revendication manifeste.»

Cette lettre de l'inspecteur Mulherin avait été rédigée en réponse à une tentative d'importation de don quai par le plaignant. Afin de se conformer à la réglementation (Titre 8, paragraphe C.08.002), il aurait fallu que M. Bader se lance dans un processus long et coûteux.

21 décembre 1983

En août 1983 ou aux environs de cette date, la DGPS a pris des mesures afin de faire saisir certaines importations de Don Bosco Agencies Limited (voir ci-dessus, 9 août 1983). Le 21 décembre de la même année, M. Bader s'est adressé à la Cour d'appel fédérale afin de faire casser le processus amorcé par la DGPS (voir pièce R-8). La Cour lui a donné raison. M. Bader et son entreprise ont donc obtenu gain de cause dans leur guerre juridique entreprise avec la DGPS et c'est probablement à ce moment qu'il est devenu persona non grata face à cette organisation.

Février et mars 1984

L'inspecteur des drogues McKenzie et le Dr Amstrong, chef de la Division de l'évaluation des médicaments de la DGPS, s'échangent une série de lettres dans lesquelles ils procèdent à l'examen et à l'évaluation d'un certain nombre de produits chinois à base d'herbes médicinales contenant du don quai. Toutefois, les auteurs ne se prononcent pas à savoir si ces produits constituent des drogues nouvelles. (Pièce HR-1, volume 1, onglets 10, 11 et 12.)

27 novembre 1984

Dans une lettre de l'inspecteur Sloboda à Albi Imports Limited, un importateur occidental, l'entreprise en question est informée que le don quai est classifié comme une drogue nouvelle. (Voir pièce C-1, onglet 6.).

24 novembre 1986

Dans une lettre, le Dr Armstrong fait état d'un examen mené sur des pilules sédatives contenant du Tang Kwe Gin et du Cinabar. Ces comprimés étaient des échantillons achetés par le plaignant à Ottawa. Le docteur en vient à la conclusion que l'ingrédient principal de ces pilules est du don quai et formule le commentaire suivant : [TRADUCTION] ... ces pilules sont clairement un médicament, mais demeure silencieux sur la question à savoir si ce médicament a le statut de drogue nouvelle..

30 juin et 26 août 1987

L'inspecteur Wozny écrit à M. Bader concernant une livraison de Paul D'Arco (Soloray), et de don quai (Soloray) l'informant que ces substances possèdent le statut de drogue nouvelle et qu'il lui faut donc obtenir un avis de conformité qui ne peut être émis par la DGPS que dans le cadre d'une présentation de drogue nouvelle.(Voir pièce HR-1, volume 1, onglets 37 et 40.)

Entre-temps, la méthode d'application de la Loi consistant à n'accorder qu'une faible priorité aux importateurs, détaillants et consommateurs chinois avait été adoptée parce que l'on présumait que ces segments de la communauté ethnique chinoise comprenaient et connaissaient les produits à base d'herbes médicinales. Dans ce cas, il serait raisonnable de s'attendre à ce que la DGPS ait possédé elle-même une certaine compréhension et une certaine connaissance des produits ethniques à base d'herbes médicinales et des préparations d'herboristerie ethniques sur lesquelles elle aurait pu fonder ses hypothèses. Toutefois, en réalité, la DGPS ne possédait ni cette compréhension ni cette connaissance des produits ethniques à base d'herbes médicinales et des préparations d'herboristerie. Ainsi, l'inspecteur Sloboda, titulaire d'un diplôme en pharmacologie, a reconnu qu'avant 1983, il n'avait aucune connaissance de la substance nommée don quai. (Voir pages 1725 et 1726, volume 12 de la transcription.)

En témoignage, M. Bader a mentionné qu'un membre de la communauté ethnique chinoise lui aurait affirmé jouir d'un accord spécial avec la DGPS. Cette perception est accentuée par une lettre de l'inspecteur Sloboda à M. Wong Wai datée du 6 septembre 1988 (pièce HR-6), dans laquelle celui-ci tente de réfuter la perception selon laquelle les préparations orientales à base d'herbes médicinales auraient été exemptées de l'application de la Loi dans le passé.

22 septembre 1987

Le Rapport WRVS est publié. Dans ce rapport, les auteurs font état de la situation relative aux importateurs et détaillants de la communauté ethnique chinoise. Ils en viennent à la conclusion que de nombreux produits qui ne répondent pas aux exigences de la Loi sont vendus dans le quartier chinois de Vancouver et que l'absence de codes DIN est pandémique.

1er octobre 1987

M. Shelley écrit ce qui suit au directeur Forbes :

[TRADUCTION]

«4. Les aspects politiques de la question de l'étiquetage et de l'emballage des herbes médicinales et des produits d'herboristerie devraient être évalués en lançant des ballons d'essai visant à établir l'importance des réactions qu'ils suscitent, au moyen d'une lettre d'information ou d'un autre moyen.»

Cette lettre a été rédigée en réaction au Rapport WRVS du 22 septembre 1987, qui était annexé à la lettre de M. Shelley.

18 novembre 1987

Le sous-ministre adjoint de la Santé et du Bien-être social, M. Liston, écrit à M. Bader après la publication du rapport du Comité consultatif d'experts de janvier 1986 dans lequel ce comité propose que le don quai soit reclassifié et passe du statut de drogue nouvelle à celui d'épice ou de substance aromatisante en vertu du titre 7 ou 10 du Règlement.

Dans sa lettre, le sous-ministre Liston informe M. Bader que cette suggestion ou recommandation du Comité consultatif d'experts ne retire pas au don quai son statut de drogue nouvelle (voir pièce HR-1, volume 1, onglet 49).

Mars 1988

Avant mars 1988, les mesures d'application de la Loi à l'encontre des importateurs ethniques chinois étaient peu nombreuses, voire inexistantes. À partir du 9 mai de cette même année, on relève neuf refus de livraisons destinées à des importateurs ethniques chinois et le nombre de refus a continué à augmenter jusqu'à la fin de cette année civile (voir pièce R-17).

Entre-temps, M. Bader reçoit une lettre datée du 31 mars 1988, soit avant que la DGPS ne commence à appliquer la Loi et les règlements auprès des importateurs ethniques chinois, rédigée par M. Forbes, directeur de la Région de l'Ouest, qui se lit notamment comme suit :

[TRADUCTION]

«... des sanctions légales seront prises contre les livraisons de don quai consignées au nom de votre entreprise aux Douanes.»

Cette lettre faisait suite à une autre tentative de M. Bader, au nom de son entreprise, d'importer du don quai (voir pièce HR-1, volume 1, onglet 60).

Août 1988

À ce moment, la communauté chinoise de Vancouver tient une assemblée de protestation contre la surveillance accrue de la DGPS sur les produits importés et vendus par les commerçants chinois dans cette ville et contre les raids effectués par la DGPS.

3 octobre 1988

Une réunion à laquelle assistent des représentants de la DGPS, des douanes et de l'Association des commerçants du quartier chinois de Vancouver a lieu dans cette ville. Au cours de cette réunion, des fonctionnaires de la DGPS et des douanes tentent pour la première fois de justifier leur surveillance et les activités d'application de la Loi (voir pièce HR-4). Le compte rendu de cette réunion est très révélateur. On y constate que les importateurs chinois protestaient contre les pertes économiques essuyées à la suite de cette première tentative de la DGPS d'appliquer la Loi. On y apprend aussi que des livraisons d'un volume considérable étaient en cause et que les marchands étaient précédemment sous l'impression que leurs produits étaient exonérés de l'application de la Loi.

14 décembre 1988

À Toronto, une assemblée publique à laquelle assistent des représentants de la DGPS et des représentants de la communauté ethnique chinoise et d'autres personnes a lieu (voir pièce R-1, volume 2, onglet 58).

Ce même jour, une rencontre a lieu à Ottawa à l'ambassade de la République populaire de Chine entre le directeur général des Opérations régionales, M. Elliot, Mme Quesnel de la DGPS et certains fonctionnaires chinois. Au cours de cette rencontre, on discute de l'histoire des relations commerciales et des échanges commerciaux entre les deux pays. Les plaintes de citoyens de descendance chinoise et l'histoire des herbes médicinales dans la culture chinoise, y compris l'importance du don quai, sont analysées par les personnes présentes. (Voir pièce C-2, nouvel élément de preuve obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.)

Après cette réunion, le directeur, M. Elliot, fait parvenir une lettre à M. Tony Chung, président de la Chamber of Chinese Herbal Medicine à Toronto. Il y est notamment question de la réunion du 15 décembre 1988 et M. Elliot donne des assurances que les fonctionnaires de la DGPS [TRADUCTION] ... réévalueraient dans un proche avenir la question de la vente du don quai au Canada, commentaire qui était suivi par une demande en vue d'obtenir de M. Chung et des fonctionnaires de l'ambassade chinoise à Ottawa des renseignements complémentaires sur le don quai .

Dans son témoignage, au volume 7, pages 11 et 12 de la transcription, M. Riou mentionne indirectement les tractations ayant eu lieu entre la DGPS et les fonctionnaires de l'ambassade de Chine au début des années quatre-vingts.

23 janvier 1989

Une directive émanant du directeur, M. Elliot, stipule notamment ce qui suit :

[TRADUCTION]

«Entre-temps, veuillez vous assurer que les activités d'application de la Loi impliquant des préparations à base d'herbes se limitent aux domaines de risque clairement établis jusqu'à ce que la politique de la Direction générale ait été clarifiée.» (Souligné du tribunal d'appel.)

5 février 1989

Dans une note de service intitulée [TRADUCTION]Médicaments ethniques dont l'entrée a été refusée par la région de l'Ouest - d'avril 1988 au 22 novembre 1988 adressée à Mme Quesnel, l'inspecteur Sloboda formule des commentaires sur la liste de produits ethniques (pour la plupart, des préparations chinoises) jointe à sa note de service (voir pièce HR-1, volume 2, onglet 120) et auxquels on a refusé l'entrée sur le territoire canadien. Il formule notamment le commentaire suivant :

[TRADUCTION]

«Je ne sais pas si cette liste vous sera utile dans votre réponse à la Commission canadienne des droits de la personne relativement à la plainte de D. Bader.»

Il ajoute ensuite en post-scriptum, après semble-t-il qu'il ait été mis au courant de la politique du 23 janvier du directeur Elliot (voir ci-dessus), le commentaire suivant :

[TRADUCTION]

«À l'heure actuelle, nous nous sommes complètement retirés de la surveillance des importations chinoises à la suite de l'énoncé de politique de R. Elliot en date du 23 janvier 1989.»

Ce post-scriptum dénote une certain sentiment de frustration chez l'inspecteur Sloboda à la suite du volte-face apparent des hauts fonctionnaires de la DGPS à l'égard de la pratique mise en œuvre précédemment au printemps de 1988 (en partie à cause des plaintes déposées par M. Bader) d'accroître la surveillance sur les importations chinoises.

Cet agent de première ligne dont le dévouement et le professionnalisme transparaissent dans la conduite qu'il a affichée tout au long de cette affaire, n'était pas partie aux pressions politiques exercées à cause de l'importance du don quai sur le plan des échanges commerciaux.

Le fait que les fonctionnaires de la DGPS étaient parfaitement au courant de la possibilité d'une vive réaction de la communauté ethnique chinoise est démontré par la note suivante rédigée à la main par M. Shelley à la page 8 du Rapport WRVS (C-1, onglet 10) :

[TRADUCTION]

«Il serait utile de nous concentrer sur la communauté chinoise (nous en obtiendrions davantage pour notre argent!) mais nous devons nous méfier des accusations possibles de racisme.» (Souligné du tribunal d'appel.)

Dans le rapport du projet DEHA rédigé par M. Forbes quelques années auparavant, soit en janvier 1985, on trouve le commentaire suivant à la page 1 :

[TRADUCTION]

«Il ne fait aucun doute que toute tentative, même modeste, de la DGPS à Vancouver d'intensifier l'application de la réglementation sur ces importations de produits traditionnels chinois entraînera une vive réaction de la communauté chinoise.»

Ces notes de services internes étaient échangées entre fonctionnaires de la DGPS. Toutefois, pendant ce temps, M. Bader continuait à recevoir des lettres de la DGPS exigeant qu'il se conforme à la réglementation régissant les demandes de codes DIN. Par contre, M. Shelley, chef, Division de l'inspection des drogues et de l'hygiène du milieu, dans son témoignage qui se trouve aux pages 1456 à 1461 du volume 10 de la transcription a parlé de la pièce R-17 (qui constitue une compilation des refus essuyés par des importateurs chinois de la part de la DGPS) et a expliqué que ces refus étaient considérés comme de simples infractions techniques. Cette décision de considérer l'absence de codes DIN comme une simple infraction technique découlait, selon M. Shelley, de la directive émanant de l'exposé de principe du 23 janvier 1989 rédigé par le directeur général Elliot.

23 mars 1989

Une lettre du Dr R.A. Armstrong à M. R.T. Ferrier, directeur, Bureau des médicaments en vente libre, indique que le don quai (angelica sinensis) anciennement considéré comme une drogue nouvelle par les fonctionnaires de la DGPS était maintenant traité, sous réserve de l'absence de toute revendication curative, comme un aliment.

L'intérêt de cette lettre du Dr Armstrong réside dans son caractère équivoque. On trouvera la lettre à l'onglet 125 de la pièce HR-1, volume 2. Elle se lit notamment comme suit :

[TRADUCTION]

«Le don quai (Angelica Sinensis) est un ingrédient extrêmement populaire dans les préparations d'herbes médicinales chinoises et on croit en général qu'il est présent dans environ 70 p. 100 des médicaments chinois importés au Canada.

Toute démarche en vue d'établir le statut du don quai en vertu de la réglementation pose plusieurs problèmes :

1. les nombreuses revendications liées à l'annexe A qui sont énoncées dans la documentation chinoise, les étiquettes des produits et les notices d'accompagnement et au sujet desquelles il n'existe pratiquement aucune documentation scientifique à l'appui;

2. scientifique respecté et auteur de traités en pharmacognosie, dont le populaire The New Honest Herbal, Varro E. Tyler, Ph.D affirme ceci au sujet du don quai : [TRADUCTION] Toutefois, de fortes doses de coumarine ne sont pas sans avoir des effets indésirables et les furocoumarines comme le psoralène et le bergaptène peuvent prédisposer à une photosensibilisation susceptible de causer certains genres de dermatites chez les personnes exposées. Certains enquêteurs en sont venus à la conclusion que ces soi-disant psoralènes posent suffisamment de risques pour les êtres humains et que toute exposition inutile à ces produits devrait être évitée. Pour cette raison, l'absorption de grandes quantités de produits contenant de la coumarine, comme le don quai, ne peut être recommandée.»

Les documents recueillis par la Direction des opérations régionales auprès des commerçants sino-canadiens ont été examinés par l'Unité de l'évaluation des médicaments et ils se sont avérés de peu de valeur puisqu'ils sont essentiellement similaires à la documentation de promotion mentionnée au point 1 ci-dessus. Nous n'avons pas à ce jour, reçu d'autres documents de Chine continentale qui pourraient, nous l'espérons, être de nature plus scientifique.

Le Dr Armstrong mentionne ensuite les propos du Dr D.V.C. Awang du Bureau de recherche, médicaments, selon qui une consommation modérée de don quai ne devrait pas poser de menace appréciable pour la santé humaine.

Le Dr Armstrong conclut, tel que mentionné précédemment, qu'en l'absence de toute allégation laissant entendre qu'il s'agit d'un médicament, le don quai ne devrait pas être réglementé comme un médicament. Il est intéressant de constater que cette conclusion permet de court-circuiter la réglementation régissant l'émission d'un avis de conformité, un processus long et coûteux.

16 juin 1989

Dans une lettre à la profession signée par le directeur général Elliot sur la question du don quai, ce dernier écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

«J'ai le plaisir de vous informer qu'en l'absence de données permettant de croire que le don quai pose un risque important pour la santé et que sous réserve de l'absence de toute allégation de propriété thérapeutique, le don quai n'a pas à être réglementé comme une drogue et peut être vendu comme un aliment.»

13 février 1991

Le rapport du projet DDAB intitulé [TRADUCTION] Surveillance des médicaments destinés à l'automédication est publié (pièce R-10, onglet 4). À la page 8, on peut lire le commentaire suivant :

[TRADUCTION]

«Traditionnellement, la Direction générale a eu pour politique de ne pas s'attaquer aux magasins ethniques et d'orienter ses mesures coercitives essentiellement vers les importateurs ou fabricants non ethniques. Bien qu'étant fondée sur une évaluation du degré relatif de risque, cette différence d'approche face à la réglementation du même médicament ne peut plus être acceptable.» (Souligné du tribunal d'appel.)

«Étant donné le caractère délicat des questions dont s'occupe ce module, les mesures coercitives appliquées auprès du secteur ethnique ont été minimales au cours de 1988-1990. On a donc traité différemment les secteurs ethniques et non ethniques du volet herbes aromatiques et herboristerie de l'industrie pharmaceutique, tous à des niveaux différents de conformité.»

Incidemment, dans la section du rapport du projet où les auteurs procèdent à la mise en contexte, on trouve ce commentaire :

[TRADUCTION]

«Au cours de l'année écoulée et un peu plus, plusieurs cas d'empoisonnement aux métaux lourds sont survenus au Canada à la suite de l'absorption de produits médicamenteux ethniques.» (Souligné du tribunal d'appel.)

La procureure de la Commission pose donc la question qui suit. Si la DGPS s'appuyait effectivement sur une politique d'évaluation des risques, n'aurait-il pas été alors sensé de donner suite au rapport du projet DDAB de M. Forbes, qui avait précédé le Rapport WRVS, deux rapports qui préconisaient, en matière d'activités d'application, de mettre l'accent sur la communauté ethnique chinoise?

Simultanément à ces événements, soit à partir de 1978, on refusait à Don Bosco Agencies Limited le droit d'importer des produits à base d'herbes médicinales et des préparations d'herboristerie et on refusait de lui accorder des codes DIN. L'entreprise de M. Bader, la Don Bosco Agencies Limited, a été mise sur la soi-disant liste nationale de surveillance. L'inspecteur Sloboda lui-même a révélé dans son témoignage que selon la lettre acheminée à M. Bader par le directeur Forbes le 31 mars 1988 (voir pièce HR-1, volume 1, onglet 60), l'importation de don quai était illégale.

La DGPS et ses fonctionnaires, y compris l'inspecteur Sloboda et le directeur Forbes, ont nié qu'une exonération ou une exemption ait été accordée à la communauté ethnique chinoise à l'égard de l'importation de produits à base d'herbes médicinales ou de préparations d'herboristerie. Cependant, la DGPS avait à sa disposition un processus qu'elle aurait pu appliquer si elle avait désiré exonérer officiellement ces produits des dispositions de la Loi et de ses règlements. La DGPS était en effet habilitée à agir ainsi en vertu du paragraphe 30(j) de la Loi sur les aliments et drogues en édictant un règlement qui exempterait :

«.. un aliment, une drogue, un cosmétique ou un instrument de l'application, en tout ou en partie, de la présente loi et fixer les conditions de l'exemption"

La procureure de la Commission a laissé entendre que ce qui a été décrit comme une politique non écrite d'évaluation des risques est dans les faits un argument créé par la DGPS après le fait pour expliquer l'absence d'activités d'application dans un secteur particulier de la collectivité.

Le tribunal d'appel considère les assemblées de protestation tenues à Vancouver et Toronto, la réunion de représentants de l'Association des commerçants chinois de Vancouver avec des fonctionnaires de la DGPS au cours de laquelle les activités d'application de la DGPS ont été remises en question, la réunion de haut niveau tenue dans les locaux de l'ambassade de la République populaire de Chine et le changement subséquent de position de la DGPS sur le don quai comme une preuve des pressions qui ont été exercées sur la DGPS et qui n'avaient rien à voir, ou si peu, avec la qualité, les avantages ou la sécurité du produit comme tel.

Finalement, la reclassification du don quai comme un aliment, comme en témoigne la lettre à la profession de juin 1989 émanant du directeur général Elliot, nous oblige à nous interroger carrément sur la bonne foi de la Direction générale de la protection de la santé.

En ce qui concerne la sécurité des produits chinois à base d'herbes médicinales en général, il convient de se reporter à la lettre à la profession du 1er mai 1996, nouvelle pièce C-1, portant sur les exigences relatives aux codes DIN et sur les dangers pour la santé des produits qui y sont énumérés, au sujet desquels on a constaté [TRADUCTION] la présence de niveaux élevés de métaux lourds nocifs, comme l'arsenic et le mercure, qui peuvent causer des problèmes de santé très graves. (Souligné du tribunal d'appel.)

La liste des produits chinois à base d'herbes médicinales est longue et on a découvert que certains de ces produits contenaient des médicaments délivrés sur ordonnance et d'autres, des ingrédients dont il a été prouvé qu'ils peuvent provoquer des problèmes graves de santé, notamment au coeur et au rein. Il est donc difficile de prêter foi aux affirmations de la DGPS qu'elle a adopté ces politiques et pratiques avec la conviction sincère qu'elles favorisaient une application satisfaisante de la Loi et de ses règlements. La preuve va à l'encontre de la proposition selon laquelle la DGPS aurait agi de bonne foi et contredit toute interprétation suivant laquelle ses politiques et ses pratiques n'ont pas été imposées pour des motifs inavoués ou étrangers qui, lorsque mis en œuvre, étaient susceptibles d'aller à l'encontre de l'objectif de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la Loi sur les aliments et drogues elle-même.

Le tribunal d'appel est donc d'avis que le tribunal de première instance a commis une erreur évidente et manifeste lorsqu'il a fait défaut de tenir compte du manque de bonne foi manifesté par la DGPS dans la manière dont elle a traité les produits ethniques chinois à base d'herbes médicinales en général, et plus particulièrement dans la manière dont elle a traité la situation relative à l'herbe appelée don quai.

Le tribunal d'appel a analysé en profondeur la preuve liée à la bonne foi manifestée par l'intimé dans sa conduite à l'égard du don quai en particulier à cause de l'importance de cette herbe qui est présente dans 70 p. 100 des produits ethniques chinois à base d'herbes médicinales et des préparations d'herboristerie chinoises.

Le tribunal de première instance n'a pas tenu compte d'une grande partie de ces éléments de preuve, préférant plutôt s'appuyer sur une reformulation du critère inspirée de l'arrêt Large c. La corporation municipale de Stratford, précité, et sur le témoignage de M. Riou.

En ce qui concerne la preuve liée à l'élément subjectif du critère, le tribunal d'appel a tenté de l'analyser de deux points de vue. En premier lieu, les services dispensés par la DGPS aux intervenants, y compris le public en général, étaient-ils conformes à son mandat? Ont-ils été offerts de manière honnête, de bonne foi et dans la croyance sincère que les politiques ou les pratiques avaient été adoptées dans l'intérêt de l'application satisfaisante de la Loi ou de ses règlements? En deuxième lieu, dans la prestation de ses services, la DGPS agissait-elle dans l'intérêt du public en général ou agissait-elle plutôt pour des motifs inavoués et étrangers susceptibles d'aller à l'encontre des objectifs de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de sa propre loi habilitante?

À notre avis, le tribunal de première instance a commis une erreur de droit et de fait manifeste lorsqu'il a traité le critère subjectif comme étant relativement moins important que le critère objectif, comme en témoignent l'ordre dans lequel il a abordé les deux volets du critère, son refus de tenir compte d'éléments de preuve cruciaux sur cette question et son analyse plutôt sommaire de l'ensemble de cette question. Quoi qu'il en soit, le tribunal d'appel est de l'avis, lorsqu'il aborde la preuve dans son ensemble ainsi que les nouveaux éléments de preuve produits, que l'intimé a fait défaut de répondre aux exigences du critère subjectif tel qu'énoncé dans les motifs du juge McIntyre dans l'arrêt Etobicoke, précité. Ainsi, à la première question posée au paragraphe précédent, il nous faut répondre négativement et à la deuxième question, nous ne pouvons que reconnaître que la DGPS n'agissait pas dans les intérêts du public en général, y compris dans les intérêts de la communauté ethnique chinoise, lorsqu'elle a adopté sa soi-disant politique d'évaluation des risques qui dans les faits, est contraire à son mandat en vertu de la Loi et aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

SOMMAIRE DES CONCLUSIONS

Le tribunal d'appel est de l'avis que le tribunal de première instance a commis des erreurs de fait et droit évidentes et manifestes et des erreurs mixtes de droit et de fait sur les points suivants :

  1. en imposant le fardeau de la preuve au plaignant après que celui-ci ait établi de manière suffisante jusqu'à preuve du contraire qu'il y avait eu discrimination;
  2. en dénaturant la qualité et le poids des éléments de preuve requis pour établir un motif justifiable;
  3. en soutenant que l'élément d'évaluation du risque requis pour établir un motif justifiable avait été respecté;
  4. en soutenant que l'élément d'application efficace de la Loi requis pour établir le motif justifiable avait été respecté;
  5. en soutenant que les éléments de bonne foi et de raisons valables du critère subjectif requis pour établir un motif justifiable avaient été respectés.

Pour les raisons susmentionnées, le tribunal d'appel accueille donc favorablement le pourvoi dont il est saisi sur les cinq motifs d'appel formulés par la Commission.

RÉPARATIONS

La Commission a proposé un large éventail de mesures de réparation possibles et les membres du tribunal ont exprimé certaines préoccupations devant la portée étendue de ces propositions.

Avant d'aborder la question des mesures de réparation, nous estimons utile de replacer dans un contexte plus large la question relativement étroite de la discrimination dont a été victime le plaignant et son entreprise, la Don Bosco Agencies Limited.

En l'espèce, le tribunal de première instance en est venu à la conclusion qu'il y avait eu discrimination, conclusion qui a été confirmée par le tribunal d'appel. Cette discrimination a été le fait d'un organisme gouvernemental dont le mandat consiste à protéger la santé de la population.

De plus, nos conclusions indiquent que le mandat de la DGPS était assujetti aux activités de groupes de pression influents. Il a aussi été démontré que des pressions politiques avaient été exercées aux échelons plus élevés et nous avons reconnu que les pressions en question avaient amené la DGPS à adopter des politiques et des pratiques contraires à son mandat.

Pour ces raisons, nous sommes enclins à accepter les mesures de réparation générales proposées par le procureure de la Commission, dans l'espoir qu'elles permettront au ministère de la Santé et à la DGPS de mener à l'avenir des activités d'application de la Loi uniformes, créant de ce fait des règles du jeu équitables pour tous et assurant la protection et le bien-être de la population.

La procureure de la Commission décrit assez longuement les motifs à l'appui des mesures de réparation qu'elle demande aux pages 1216 à 1238 du volume 11 de la transcription (7 mars 1997). Le tribunal d'appel n'entend donc pas répéter les arguments de la procureure de la Commission à l'appui de ces mesures de réparation.

Par conséquent, le tribunal d'appel ORDONNE que le ministère de la Santé et plus particulièrement, la Direction générale de la protection de la santé, adopte les politiques, pratiques et mesures suivantes, qu'il y souscrive et qu'il les mette en œuvre :

1. a) Qu'il cesse d'établir des différences fondées sur des motifs de distinction prohibés, c'est-à-dire qu'il cesse de traiter les détaillants d'herbes médicinales et de produits d'herboristerie, qu'ils soient des importateurs, des distributeurs, des grossistes, des marchands ou des détaillants ou qu'ils possèdent toutes ces qualités, différemment en fonction de leur race, ou de leur origine nationale ou ethnique au moment d'appliquer la Loi sur les aliments et drogues et ses règlements.

b) Qu'il cesse d'appliquer de manière inégale la Loi sur les aliments et drogues en se fondant sur l'appartenance ethnique des importateurs et des détaillants de l'industrie des aliments de santé, des produits d'herboristerie et des herbes médicinales.

c) Qu'il cesse d'appliquer de manière inégale la Loi sur les aliments et drogues en s'appuyant sur la soi-disant appartenance ethnique du produit, soit en considérant différemment les produits selon qu'ils sont ethniques ou non ethniques ou occidentaux.

d) Qu'il cesse d'appliquer de manière inégale la Loi en s'appuyant sur l'appartenance ethnique des utilisateurs ou des consommateurs du produit.

2. Que le Ministre prenne les mesures nécessaires à la mise en place d'un système national d'examen de ses politiques et pratiques d'application de la Loi et de ses stratégies de contrôle du commerce des herbes médicinales et des préparations d'herboristerie afin d'établir la liste des motifs de distinction prohibés sur lesquels on s'appuyait auparavant et de les éliminer, soit les motifs de distinction fondés sur l'appartenance ethnique du commerçant, l'appartenance ethnique du produit, ou sur l'appartenance ethnique de l'utilisateur ou du consommateur en accordant une attention particulière à l'élimination de tout traitement différentiel entre groupes qui ont par le passé été définis par Santé Canada et la DGPS comme chinois, ethniques chinois, traditionnels, à base d'herbes médicinales occidentales, des aliments de santé occidentaux et le secteur non ethnique de l'industrie des produits d'herboristerie.

3. a) Que Santé Canada mette au point une stratégie d'application de la Loi neutre d'un point de vue racial afin que les distinctions actuelles en fonction de la race dans l'industrie des produits d'herboristerie et des herbes médicinales soient éliminées et afin d'établir des règles équitables pour tous les intervenants au sein de cette industrie.

b) Que Santé Canada élabore des stratégies de contrôle véritablement axées sur le produit dans la mesure où l'application comme telle de la Loi serait liée à l'importance du risque pour la santé humaine présentée par un produit, peu importe son origine ou l'appartenance ethnique du commerçant qui le vend ou du consommateur qui l'utilise.

c) Que la stratégie susmentionnée de contrôle de Santé Canada soit appliquée de manière uniforme à l'échelle nationale.

4. Que Santé Canada formule et diffuse au moyen d'une lettre à la profession ou par tout autre moyen (après l'examen à l'échelle nationale décrit au paragraphe 2 ci-dessus) dans les 90 jours de la publication de la présente décision un énoncé de politique clair, comprenant un engagement à adopter une démarche nationale uniforme d'établissement de la réglementation et d'application des dispositions de la Loi et des règlements relativement aux produits à base d'herbes médicinales et aux préparations d'herboristerie, peu importe où ils sont vendus et par qui ils sont importés (plus particulièrement les produits décrits dans le rapport du projet DDAB où ces objectifs sont énoncés).

En ce qui concerne l'indemnisation pour préjudice moral, nous comprenons que M. Bader a consacré beaucoup de son temps, de son énergie et de son argent à cette croisade contre les politiques discriminatoires de la DGPS. Nous reconnaissons ses efforts et nous les applaudissons et nous croyons qu'il tirera une certaine satisfaction des résultats obtenus.

Nous souscrivons au passage suivant qui se trouve à la page 14 de la décision du tribunal de première instance :

«Le tribunal constate que M. Bader a été traité avec courtoisie et respect au cours des nombreuses rencontres qu'il a eues avec les représentants de Santé Canada. À plusieurs occasions au cours des présentes procédures, M. Bader a réitéré n'avoir personnellement aucun motif de plainte ni d'animosité à l'endroit des fonctionnaires de Santé Canada.»

Il nous semble qu'il n'y ait aucun motif d'accorder des dommages pour préjudice moral et aucune réclamation comme telle n'a été présentée en vue d'obtenir une indemnisation ou un remboursement de pertes financières.

Nous ne rendons donc pas d'ordonnance sur les dépens.

 

Fait à Kamloops (Colombie-Britannique), ce 30e jour de janvier 1998.

_______(signature)______

Norman Fetterly, président

_______(signature)______

Jane S. Shackell, membre

_______(signature)______

Paul Groarke, membre

Glossaire des acronymes, des abréviations et des renvois

Motif justifiable S'entend au sens prévu au paragraphe 15(g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne).

Codes DIN Voir Règlement sur les aliments et drogues, paragraphes C.01.005 et C.01.014 (1)

«(1) La partie principale des étiquettes intérieure et extérieure d'une drogue vendue sous sa forme posologique doit indiquer clairement l'identification numérique de cette drogue attribuée par le Directeur au fabricant ou à l'importateur de ladite drogue, conformément au paragraphe C.01.014.2(1)»

Don quai Herbe aussi appelée tang kwe, tang kwe gin, angelicae sinensis et tang kwei pien

DGPS Direction générale de la protection de la santé du ministère de la Santé

Lettre à la profession Avis publié de temps à autre par la Direction générale de la protection de la santé et diffusée parmi les importateurs et les détaillants de médicaments traditionnels à base d'herbes médicinales.

Drogue nouvelle Selon le titre 8 du Règlement, paragraphe C.08.001, qui prévoit, entre autres choses :

«Pour l'application de la Loi et du présent titre, drogue nouvelle désigne :

a) une drogue qui est constituée d'une substance ou renferme une substance, sous forme d'ingrédient actif ou inerte, de véhicule, d'enrobage, d'excipient, de solvant ou de tout autre constituant, laquelle substance n'a pas été vendue comme drogue au Canada pendant assez longtemps et en quantité suffisante pour établir, au Canada, l'innocuité et l'efficacité de ladite substance employée comme drogue.»

Projet DDAB Rapport du projet relatif à la Stratégie de visibilité de la région de l'Ouest (Rapport WRVS) daté du 22 septembre 1987

Projet DDAL Rapport sur la surveillance analytique des médicaments délivrés sur ordonnance daté du 15 février 1994

Projet DDXQ Rapport sur la surveillance des importations de médicaments daté du 8 mai 1991

Projet DEHA Rapport sur la réglementation des médicaments traditionnels à base d'herbes médicinales daté du 24 janvier 1985

Annexe A Le paragraphe 3(1) de la Loi sur les aliments et drogues stipule notamment ce qui suit :

«... 3(1) Il est interdit de faire, auprès du grand public, la publicité d'un aliment, d'une drogue, d'un cosmétique à titre de traitement ou de mesure préventive d'une maladie, d'un désordre ou d'un état physique anormal énumérés à l'annexe A ou à titre de moyen de guérison.»

Rapport WRVS Rapport de la Stratégie de visibilité de la région de l'Ouest daté du 22 septembre 1987. C-1 avec encart à l'onglet 10.

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