Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 9/98

Décision rendue le 15 décembre 1998

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C., 1985, C. H-6 (modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

LE SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

(DIVISION DU TRANSPORT AÉRIEN)

le plaignant

- et –

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

-et-

LES LIGNES AÉRIENNES CANADIEN INTERNATIONAL LIMITÉE

AIR CANADA

les intimées

DÉCISION DU TRIBUNAL

Tribunal : Errol P. Mendes, président

Irwin Corobow, membre

Comparutions : Denis W. Ellickson, avocat représentant

le Syndicat canadien de la fonction publique

(Division du transport aérien)

Fiona Keith, Eddie Taylor, avocats représentant laCommission canadienne des droits de la personne

Roy Heenan, Thomas Brady, avocats représentant lesLignes aériennes Canadien International Limitée etAir CanadaDates et lieu

des audiences :

Dates variés entre janvier 1997 et mai 1998

Ottawa (Ontario)

TRADUCTION Table des matières

1. Contexte factuel et juridique et questions préliminaires

1.1 La constitution du Tribunal

1.2 Questions que doit trancher le Tribunal

1.3 Les plaintes initiales

1.4 La Loi canadienne sur les droits de la personne

1.5 L’ordonnance sur la parité salariale

1.6 Début de l’enquête de la Commission sur les plaintes 5

1.7 Règlements de la Cour fédérale

1.8 Les rapports d’enquête

1.9 Décisions préliminaires

2. Questions légales à déterminer

2.1. La question de l’impartialité institutionnelle duTribunal des droits de la personne

2.2.0. Application de l’ordonnance sur la paritésalariale, 1986 DORS/86-1082, en tant que principedirecteur dans l’interprétation de l’article 11 dela LCDP

2.2.1. La portée de l’OPS, 1986

2.2.2. Application de l’OPS, 1986 à Air Canada telqu’allégué par le plaignant

2.2.3. Application de l’OPS, 1986 aux Lignes aériennesCanadien tel qu’allégué par le plaignant

2.2.4 Conclusion du Tribunal sur les politiques communesdes salaires et du personnel aux deux compagniesintimées

2.2.5. Les interprétations d’un établissement avancées par la Commission et le plaignant

2.3 Application de l’interprétation du terme établissement par le Tribunal aux compagniesintimées

2.4 L’interprétation du terme établissement par leTribunal est-elle conforme aux principes générauxd’interprétation de la Loi sur les droits de lapersonne, y compris l’article 11 de la LCDP?

3.0 Conclusions et ordonnances du Tribunal

Contexte factuel et juridique et questions préliminaires

1.1 La constitution du Tribunal.

Le 15 août 1996, en vertu du paragraphe 49(1.1) de la Loi canadiennesur les droits de la personne, le président du Comité du Tribunal desdroits de la personne a nommé un tribunal de trois membres pour faireenquête sur les plaintes (DOSSIER # X00348 CCDP) et (DOSSIER # X00380 CCDP)soumises par le Syndicat canadien des employés de la fonction publique -Divisiondu transport aérien de la part de ses membres agents de bord àseule fin de déterminer les aspects de la plainte ayant trait à la questiond’un établissement aux termes de l’article 11 de la Loi canadienne surles droits de la personne. Les audiences du Tribunal se sont déroulées dejanvier 1997 à mai 1998.

Les parties aux audiences sont la Commission canadienne des droits dela personne (ci-après la Commission); le Syndicat canadien de la fonctionpublique - Division du transport aérien (ci-après le plaignant), et AirCanada ainsi que les Lignes aériennes Canadien International (ci-après lesintimées).

Il est à noter qu’en février 1997 un membre du Tribunal a dûdémissionner par suite de la longueur inattendue des audiences. Compte tenudes arguments avancés par les parties sur la question en cause, le Tribunala rejeté une motion de la Commission réclamant qu’un troisième membre soitnommé pour combler la vacance. Suite à la décision du président, lesparties sont convenues que la poursuite de l’instruction par un tribunal dedeux membres ne constituait pas un motif d’appel.

1.2 Questions que doit trancher le Tribunal

La question fondamentale pour ce Tribunal est de déterminer si lesagents de bord qui travaillent pour les intimées font partie du mêmeétablissement tel que défini à l’article 11 de la Loi canadienne surles droits de la personne, L.R.C., 1985, c.H-6 (ci-après la LCDP) que lesgroupes comparables à prédominance masculine mentionnés dans les plaintes.Ces groupes comparables sont les suivants :

  1. les premiers et seconds officiers (pilotes) qui pilotent lesaéronefs des intimées et
  2. les travailleurs membres de l’Association internationale desmachinistes et des travailleurs de l’aérospatiale et quifournissent des services d’entretien et d’autres servicestechniques sur les aéronefs et les lieux d’opération desintimées.

Le Tribunal n’a pas pour mandat de considérer en aucune façon lesmérites d’un salaire égal pour un travail équivalent concernant toutemployé travaillant pour les intimées.

1.3 Les plaintes initiales

En novembre 1991, le Syndicat canadien de la fonction publique,Division du transport aérien, a soumis une plainte à la Commissioncanadienne des droits de la personne au nom des agents de bord à l’emploid’Air Canada. La plainte alléguait que :

Air Canada établit une discrimination contre le groupe àprédominance féminine des agents de bord en leur versant des.salaires inférieurs à ceux offerts au groupe à prédominancemasculine des premiers et seconds officiers et à ceux offerts augroupe à prédominance masculine représenté par l’Associationinternationale des machinistes et des travailleurs del’aérospatiale et fournissant un travail équivalent. Cettepratique contreviendrait à l’article 11 de la Loi canadienne surles droits de la personne.

La plainte allègue également que :

Air Canada établit une autre discrimination contre les agents debord en ayant une structure de salaire qui nécessite sept annéespour atteindre le maximum, tandis que les groupes à prédominancemasculine membres de l’Association internationale des machinisteset des travailleurs de l’aérospatiale atteignent leur plage desalaire maximale plus rapidement, en contravention del’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.En juillet 1992, le Syndicat canadien de la fonction publique,Division du transport aérien, a soumis une plainte à la Commissioncanadienne des droits de la personne au nom des agents de bord à l’emploides Lignes aériennes Canadien International Limitée.

La plainte alléguaitque :

Les Lignes aériennes Canadien International établissent unediscrimination contre le groupe à prédominance féminine desagents de bord en ne versant pas des salaires et des avantagessociaux, y compris des pensions, égaux à ceux des premiers etseconds officiers et à ceux des groupes à prédominance masculinereprésentés par l’Association internationale des machinistes etdes travailleurs de l’aérospatiale pour un travail équivalent, encontravention de l’article 11 de la Loi canadienne sur les droitsde la personne.

La plainte allègue également que :

Les Lignes aériennes Canadien International établissent une autrediscrimination contre les agents de bord en ayant une structurede salaire qui nécessite plus de temps pour atteindre le maximumque celle des groupes à prédominance masculine de valeuréquivalente représentés par l’Association internationale desmachinistes et des travailleurs de l’aérospatiale, encontravention des articles 10 et 11 de la Loi canadienne sur lesdroits de la personne.

Air Canada emploie environ 3 700 membres du SCFP et les Lignes aériennesCanadien environ 3 500 membres du SCFP, dont 80 % sont des femmes. (DP-4,DP-10 onglet 2 à la page 3)

1.4 La Loi canadienne sur les droits de la personne.

L’article 11 de la LCDP stipule que :

  1. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeurd’instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre leshommes et les femmes qui exécutent, dans le mêmeétablissement, des fonctions équivalentes.
  2. Le critère permettant d’établir l’équivalence des fonctionsexécutées par des salariés dans le même établissement est ledosage de qualification, d’effort et de responsabiliténécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditionsde travail.
  3. Les établissements distincts qu’un employeur aménage oumaintient dans le but principal de justifier une disparitésalariale entre hommes et femmes sont réputés, pourl’application du présent article, ne constituer qu’un seulet même établissement.
  4. Ne constitue pas un acte discriminatoire au sens duparagraphe (1) la disparité salariale entre hommes et femmesfondée sur un facteur reconnu comme raisonnable par uneordonnance par la Commission canadienne des droits de lapersonne en vertu du paragraphe 27(2).
  5. Des considérations fondées sur le sexe ne sauraient motiverla disparition salariale.
  6. Il est interdit à l’employeur de procéder à des diminutionssalariales pour mettre fin aux actes discriminatoires visésau présent article.
  7. Pour l’application du présent article, salaires s’entendde toute forme de rémunération payable à un individu encontrepartie de son travail et, notamment :
    1. des traitements, commissions, indemnités de vacance oude licenciement et des primes;
    2. de la juste valeur des prestations en repas, loyer,logement et hébergement;
    3. des rétributions en nature;
    4. des cotisations de l’employeur aux caisses ou régimesde pension, aux régimes d’assurance contre l’invaliditéprolongée et aux régimes d’assurance-maladie de toutenature;
    5. des autres avantages reçus directement ou indirectementde l’employeur.

L’article 27(2) de la LCDP stipule que la Commission canadienne des droitsde la personne :

... dans un cas ou une catégorie de cas donné, la Commissionpeut, sur demande ou de sa propre initiative, décider depréciser, par ordonnance, les limites et les modalités del’application de la présente Loi.

L’article27(3) de la Loi prévoit également que :

Les ordonnances prises en vertu du paragraphe (2) lient, jusqu’àce qu’elle soit abrogée ou modifiée, la Commission, les Tribunauxdes droits de la personne constitués en vertu du paragraphe 49(1)et les Tribunaux d’appel constitués en vertu du paragraphe 56(1)lors du règlement des plaintes déposées conformément à la.partie III.

1.5 L’ordonnance sur la parité salariale

L’ordonnance sur la parité salariale, 1986 DORS/86-108, (ci-après l’OPS,1986) a été promulguée en vertu de l’article 27(2) de la LCDP. Comme il ensera question longuement ci-après, cette ordonnance, notammentl’article 10, est devenue un élément central des arguments de toutes lesparties à cette audience concernant la détermination de ce qui constituel’établissement mentionné à l’article 11(1) de la LCDP. L’article 10 del’OPS, 1986 stipule que :

Pour l’application du paragraphe 11 de la Loi, les employés d’unétablissement comprennent, indépendamment des conventionscollectives, tous les employés au service de l’employeur qui sontvisés par la politique en matière de personnel et de salaires,que celle-ci soit ou non administrée par un service central.

1.6 Début de l’enquête de la Commission sur les plaintes

La Commission a entrepris d’enquêter sur les deux plaintesséparées.

La Commission a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de plaintesen ce que le groupe des victimes alléguées est à prédominance féminine (80 %des agents de bord, 3 700 à Air Canada, 3 500 aux Lignes aériennes CanadienInternational) et que les groupes comparables sont reconnus comme étant àprédominance masculine : un examen préliminaire des conventions collectivesdes deux groupes indique que les salaires des agents de bord sontinférieursà certains de ceux des groupes à prédominance masculine (rapports d’enquête X00348 et X00380).

Dès le début, les intimées ont soutenu (Air Canada, DP 11, lettre deG. Delisle à la CCDP, février 1992) et (Lignes aériennes CanadienInternational, DP 10, onglet 3, lettre de L. Safran à la CCDP, août 1992)que les groupes d’employés mentionnés dans les plaintes travaillent dansdes établissements différents et que par conséquent les plaintes devraientêtre rejetées. Les intimées ont également soutenu qu’il n’existait pas depolitique commune des salaires ou du personnel au sein des groupesd’employés et que les politiques en place pour chaque groupe sont lerésultat de négociations et de conventions collectives distinctes.Au début de 1993, les intimées ont déposé un avis de motion à la Courfédérale du Canada pour une injonction interdisant à la Commission depoursuivre son enquête sur les plaintes.

1.7 Règlements de la Cour fédérale

Lors des règlements de la Cour fédérale (Air Canada dossier de la Cour# T-2201-93, Lignes aériennes Canadien International dossier de la Cour# T-2202-93) en janvier/février 1996, les parties ont conclu des accords derèglement qui comprenaient entre autres les dispositions suivantes :

  1. Tant Air Canada que les Lignes aériennes Canadien ontaccepté de collaborer pleinement avec la Commission et defournir sans retard à son enquêteur toute information.additionnelle que celui-ci jugerait nécessaire, pourvu queladite information ait trait à la question del’établissement .
  2. L’enquêteur révélerait aux parties ses conclusionsconcernant la question de l’établissement et les partiesdisposeraient de 15 jours pour préparer des plaidoyersécrits sur la question de l’établissement.
  3. Dans le cas où la Commission exercerait son pouvoir deréclamer du président du Comité du Tribunal des droits de lapersonne qu’il nomme un Tribunal des droits de la personne(Tribunal ) chargé d’enquêter sur la question del’établissement , les parties ont convenu que la questionde l’établissement ferait l’objet d’une audience le plustôt possible sans porter préjudice aux propositions desintimées voulant que les plaintes dépassent les compétencesde la Loi canadienne sur les droits de la personne et que nila Commission ni le Tribunal n’ont la compétence pour enjuger.
  4. Les intimées ont accepté de ne pas prendre de mesures pourempêcher ou interdire la Commission de traiter des plaintessur la question de l’établissement avant qu’un Tribunalne se soit prononcé sur cette question, si un Tribunal estconstitué.
  5. Les parties ont convenu que, sans préjudice à tout droit derévision ou d’appel de toute décision du Tribunal concernantla question de l’établissement , y compris toute révisionou tout appel concernant la compétence du Tribunal de réglerles plaintes, si le Tribunal concluait que le plaignant etles groupes comparables décrits dans les plaintes fontpartie du même établissement tel que défini parl’article 11 de la Loi, alors les intimées collaboreraientpleinement et complètement avec l’enquêteur sur la plainteen vertu des articles 10 et 11 de la Loi ou à une étudeconjointe sur l’équité salariale, au choix des intimées.
  6. Les intimées ont consenti à ne pas intenter de poursuites enjustice pour interdire de quelque façon que ce soit à laCommission de poursuivre son enquête sur les plaintes envertu des articles 10 et 11 de la Loi, à la suite d’unedécision du Tribunal à l’effet que les plaignants et lesgroupes comparables décrits dans la plainte font partie d’unmême établissement , à moins que la décision du Tribunalsoit annulée par une cour compétente.

1.8 Les rapports d’enquête

Conformément aux règlements cités dans les dossiers de la Courfédérale T-2201-93 et T-2202-93, la Commission a entrepris ses enquêtesconcernant la définition d’établissement à l’article 11 de la Loi.Suite à une analyse de l’information obtenue des parties, l’enquête aconclu que les agents de bord et les groupes comparables à prédominancemasculine cités dans les plaintes font partie du même établissement.(Rapports d’enquête de la CCDP X00380 et X00348.) Les rapports d’enquêteont recommandé que l’on soumette la question de l’établissement directement au Tribunal des droits de la personne. Tel qu’indiqué plushaut, les audiences du Tribunal ont commencé en janvier 1997.

Les rapports d’enquête publiés sous la direction de M. Paul Durber,directeur de la parité salariale à la Commission, ont été présentés commepreuve par la Commission lors du long interrogatoire principal deM. Durber. Il est à noter que la Commission avait tenté de faire qualifierM. Durber a titre de témoin expert. Les intimées s’y sont fermementopposées. Le jugement du Tribunal à cet égard fut que la participation deM. Durber à l’enquête et à la préparation des rapports d’enquête faisait delui une partie intimement intéressée à la cause. Par conséquent, leTribunal ne pouvait accepter les opinions de M. Durber comme étantsuffisamment désintéressées pour pouvoir aider le Tribunal comme témoinexpert. (Décision préliminaire #3)

Le Tribunal avait espéré que les enquêtes qui ont entraîné larecommandation que le Tribunal soit constitué et les conclusions desrapports résultant de ces enquêtes pourraient considérablement aider àdéterminer si les agents de bord, les pilotes et le personnel desopérations techniques des compagnies intimées faisaient partie du mêmeétablissement. Lors du long interrogatoire principal de M. Durber, leTribunal s’est fait demander d’accepter des tests ou questions élaborés par la Commission aux fins de cette enquête. Les rapportsd’enquête, plus précisément les questions tests, n’ont pas énormément aidéle Tribunal sur la question à trancher dans cette cause. De fait dans sesplaidoyers écrits finaux, la Commission elle-même ne s’est fiée en aucunefaçon aux rapports d’enquête dans ses arguments sur la signification d’unétablissement. La Commission s’est fiée bien davantage au témoignage deM. Ondrak, qui fut accepté par le Tribunal comme témoin expert invité parla Commission.

Lors de ses enquêtes, la Commission a soutenu que pour s’assurer qu’ilexiste une politique commune des salaires et du personnel il doit yavoir la preuve d’une politique générale de l’organe décideur(l’employeur) et que la Commission n’enquêterait pas sur la preuveconcernant les détails de la mise en uvre de cette politique, y compristoutes les conventions collectives pertinentes. Les tests ou questionsélaborés par la Commission pour établir si une telle politique généraleexiste étaient comme suit (rapports d’enquête X00380, X00348) :

  1. Existe-t-il une direction unique au sein de la compagnie quiétablit des politiques de ressources humaines applicables àla fois aux plaignants et à d’autres groupes d’employés?
  2. Existe-t-il des points communs en matière de relationsindustrielles qui vont au-delà des unités de négociation,par exemple, les employeurs comparent-ils généralement leursniveaux de salaire avec ceux du même secteur industriel et àun certain niveau, par rapport à ses concurrents? Dans lemême ordre d’idées, est-ce qu’une même autorité établit lesmandats pour toutes les négociations?
  3. Existe-t-il des secteurs d’activités nettement séparés etfonctionnant indépendamment au sein de la compagnie?
  4. Les politiques de ressources humaines et de compensation de.la compagnie ont-elles évolué indépendamment oudistinctement pour certaines parties de la compagnie ou pourdes groupes au sein de la compagnie?
  5. Existe-t-il une direction unique au sein de la compagnie quiexamine l’efficacité des politiques de ressources humaineset des pratiques de compensation, et qui décide où il y alieu d’apporter des améliorations ou des changements?
  6. Existe-t-il des questions hors de portée des négociationscollectives, par exemple des droits réservés de la directionou des questions de pension qui sont communes à toutes lescompagnies et à l’égard desquelles la compagnie a décidéqu’un même traitement ou qu’un traitement différent devaitêtre appliqué à des groupes d’employés?
  7. La compagnie réunit-elle ses agents négociateurs pour desconsultations ou tente-t-elle des approches concertées pourtoutes les occupations? Des exemples dans certainescompagnies comprennent la santé et la sécurité ou lesprogrammes d’aide aux employés.

Tel qu’indiqué dans les rapports, les deux intimées ont souligné queles deux directions opérationnelles séparées étaient responsables de lanégociation des conventions collectives et de l’établissements des buts etdes objectifs à atteindre lors de chacune des négociations séparées. Lesdeux intimées ont reconnu que leurs directions centrales des ressourceshumaines conseillaient les directions individuelles sur l’administration etla négociation des conventions collectives, mais qu’elles n’avaient aucuneautorité pour fixer des objectifs de négociation collective pour chaquedirection ou service opérationnel.

Le Tribunal note qu’à l’égard de chacune de ces questions tests ,la Commission a cherché, au-delà de la preuve et des réponses fournies parles intimées, des preuves qu’à un certain niveau de la structured’entreprise de chaque intimée, un contrôle central était exercé sur tousles aspects de la gestion et de la planification des ressources humaines.Dans les rapports, la Commission a cité l’existence de directions centralesdes ressources humaines, d’un plan général d’entreprise, d’une stratégie demarketing d’entreprise ou d’une philosophie d’entreprise d’amélioration dela qualité comme preuves à l’appui de sa décision que les groupesd’employés travaillaient tous dans un même établissement. En vertu de cetteanalyse, la Commission semblerait proposer une définition d’unétablissement par les entreprises , bien qu’elle ait maintenu lecontraire tout au long des audiences et des plaidoyers écrits.La Commission n’a jamais clairement expliqué au Tribunal pourquoi cestests ou questions particulières ont été retenus pour l’enquête plutôt qued’autres. De l’avis du Tribunal, ces tests ou questions ne pouvaientconduire qu’à une conclusion préétablie sur ce qui constituel’établissementpertinent dans le cas des compagnies intimées; que les deuxgroupes comparables cités dans les plaintes travaillaient dans le mêmeétablissement que les plaignants..

1.9 Décisions préliminaires

Le Tribunal a été invité à se prononcer sur un certain nombre dequestions avant le début des audiences. Ces questions ont été tranchéeslors d’une audience préliminaire tenue les 10 et 11 janvier 1997 etportaient sur les points suivants :

  1. Admissibilité des preuves et des avis d’expert : L’avocat des intimées(volume 1, page 14 de la transcription) a allégué que la preuved’expert quant à l’intention de la législature concernant lasignification d’un établissement ne devait pas être admise auTribunal. A la suite des représentations des trois parties sur cettequestion, le Tribunal a décidé que les parties à cette audiencepeuvent tenter d’introduire des avis d’expert qui peuvent s’appliquerà certains aspects du point en litige pourvu que les experts aient étécorrectement qualifiés par le Tribunal et que celui-ci ait déterminéqu’une telle opinion d’expert est utile, pertinente et fiable. (Décision préliminaire 1.)
  2. Le caractère contraignant de OPS, 1986: L’avocat des intimées ademandé que le Tribunal accorde une enquête préliminaire sur l’étenduedu caractère contraignant de l’ordonnance sur la parité salarialeémise par la Commission canadienne des droits de la personne en vertude l’article 27 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ala suite des représentations des parties, le Tribunal a décidé commesuit : Il n’est pas utile de traiter la question du caractèrecontraignant de l’ordonnance sur la parité salariale au moyen d’uneenquête préliminaire. (Décision préliminaire 2). Le Tribunal aégalement déclaré que le contexte dans lequel on tente d’appliquerl’ordonnance sur la parité salariale à cette cause devrait êtreexploré avant d’entendre les arguments sur l’étendue du caractèrecontraignant de l’ordonnance pour ce Tribunal. Le Tribunal aégalement estimé que rien dans cette décision, cependant, ne devraitlaisser entendre que nous considérons l’ordonnance sur la paritésalariale comme déterminante des questions relatives aux termesétablissement au terme de l’article 11 de la Loi canadienne surles droits de la personne.

2.Questions légales à déterminer

Les questions de droit essentielles qui suivent devaient être résoluespar le Tribunal.

2.1. La question de l’impartialité institutionnelle du Tribunal desdroits de la personne

L’article 11 de la LCDP interdit en tant que pratique discriminatoirel’instauration et la pratique par un employeur de la disparité salarialeentre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement,des fonctions équivalentes. Il est donc clair que la référence àl’établissement à l’article 11 est une question seuil qui délimiteles comparaisons des occupations équivalentes. L’inclusion del’établissement dans l’article 11 de la LCDP présente une ambiguïtéconsidérable..Il n’est donc pas étonnant que la Commission ait décidé d’énoncer sapropre ordonnance en 1986. Tel que mentionné plus haut, le Parlement aexpressément accordé à la Commission le pouvoir d’émettre des ordonnancesen vertu des paragraphes 27(2) et (3) de la LCDP lorsqu’elle fut adoptéepour la première fois en 1977. (Voir Canada, Chambre des communes, Débatsdes communes, vol. 120, no 65, 2e session, 30e Parlement. 11 février 1977p. 2977) (onglet 54, vol. III, A.B.C.).

L’avocat des intimées a allégué que le Tribunal n’est pasinstitutionnellement indépendant s’il est astreint à une ordonnanceélaborée par une des parties comparaissant devant lui, nommément laCommission. Par conséquent, les intimées ont allégué que le Tribunal avaità résoudre une grave question constitutionnelle. Le Tribunal a ordonné quel’on signifie au procureur général du Canada et aux procureurs généraux detoutes les provinces les questions constitutionnelles soulevées et ademandé une preuve de signification telle que requis à l’article 57(1) dela Loi sur la Cour fédérale du Canada, L.R.C. 1985, c.F-7, modifiée.(Exposé des précisions, dossier T-456/1196, dossier T-455/1096,signification des questions constitutionnelles à tous les procureursgénéraux, en date du 21 janvier 1997, par les intimées.)

Par conséquent, la question centrale est de savoir si la Commission,en tant que partie en cause devant le Tribunal, peut émettre une ordonnancecontraignante pour le Tribunal qui pourrait être un facteur déterminant dela décision du Tribunal. Cette allégation d’absence d’indépendanceinstitutionnelle, selon les intimées, soulève une crainte raisonnable departialité.

Les intimées ont donc allégué que si le Tribunal est lié par l’OPS,1986, il ne peut accorder aux intimées une audience devant un tribunalindépendant conformément aux principes de la justice fondamentale garantispar l’article 2(e) de la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. 1985,c.44, et ne peut donc pas se prononcer sur la plainte du SCFP. Lesdispositions de l’article 2(e) se lisent comme suit :

Interprétation de la législation

2. Toute loi du Canada, à moins qu’une Loi du Parlement du Canada nedéclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclarationcanadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière àne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droitsou libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser lasuppression, la diminution ou la transgression, et en particulier,nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme ...e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sacause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définitionde ses droits et obligations.

Il est à noter également que l’article 5(2) de la Déclarationcanadienne des droits stipule expressément que : L’expression loi duCanada , à la partie I, désigne une Loi du Parlement du Canada, édictéeavant ou après la mise en vigueur de la présente Loi... Cela signifie quela LCDP est sujette aux normes fondamentales des droits de la personnecontenues dans la Déclaration canadienne des droits. Les droitscontenus dans l’article 2e) de la Déclaration canadienne des droitsdemeurent en vigueur, après l’enchâssement de la Charte canadienne desdroits et libertés en 1982, en vertu des dispositions de l’article 26 de laCharte qui stipule que : Le fait que la présente charte garantit certainsdroits et libertés ne constitue pas une négation des autres droits ou libertésqui existent au Canada.

Cette interprétation fut confirmée par Madame le juge Bertha Wilson,en son propre nom, le juge en chef et J. Lamer dans Singh c. le ministèrede l’Emploi et de l’Immigration, (1985) 1 RSC, 177, p. 185 :

Il ne fait aucun doute que cette loi demeure en vigueur et exécutoireet que les droits qu’elle confère sont expressément protégés parl’article 26 de la Charte. Cependant, étant donné que la situationactuelle tombe sous la protection constitutionnelle accordée par laCharte canadienne des droits et libertés, je préfère fonder madécision sur la Charte.

M. le juge Beetz, en son nom, Estey et JJ. McIntyre dans la cause deSingh, sont allés plus loin pour réaffirmer la Déclaration canadienne desdroits en soutenant que la procédure pour déterminer le statut de réfugiéau sens de la convention prévue par la Loi sur l’immigration, 1976 entraiten conflit avec l’article 2(e) de la Déclaration canadienne des droits. Ila déclaré :

Ainsi, la Déclaration canadienne des droits conserve toute sa force etson effet, de même que les diverses chartes des droits provinciales.Comme ces instruments constitutionnels ou quasi-constitutionnels ontété rédigés de diverses façons, ils sont susceptibles de produire deseffets cumulatifs assurant une meilleure protection des droits et deslibertés. Ce résultat bénéfique sera perdu si ces instruments tombenten désuétude. Cela est particulièrement vrai dans le cas où ilscontiennent des dispositions qu’on ne trouve pas dans la Chartecanadienne des droits et libertés et qui paraissent avoir étéspécialement conçues pour répondre à certaines situations de faitcomme de celles en cause en l’espèce. (Singh, ci-haut p. 224)M. le juge Beetz a également rejeté expressément la suggestion voulantque la Déclaration canadienne des droits ne s’applique qu’aux lois quil’ont précédée. (Singh, ci-haut p. 239).

Les intimées ont allégué que le Tribunal est comparable à une cour dejustice composée de personnes dont le pouvoir de juger n’émane pas duconsentement des parties mais de l’État. Les normes plus souples quipourraient s’appliquer à des organismes administratifs qui cumulent desfonctions d’enquête, de décision et de réglementation avec des fonctionsjuridictionnelles ne s’appliquent pas au Tribunal, selon les intimées,citant, entre autres, la décision de la Cour suprême dans Cooper & Bell c.Canada, [1996] 3 RSC pp. 854 et 895 à 898. Les intimées ont allégué enoutre que les paragraphes 27(2) et (3) de la LCDP confèrent à la Commissionun pouvoir unique parmi les commissions des droits de la personne auCanada, et, de fait, parmi tous les organismes administratifs pour ce qui a.trait à sa capacité d’exiger d’un organisme juridictionnel (avant qu’il necomparaisse comme partie en cause) qu’il interprète une loi comme laCommission dit qu’elle devrait être interprétée. On a également allégué quedes présidents successifs du Tribunal (y compris le président actuel) etdes procureurs généraux ont proposé que ce pouvoir anormal de la Commissionde lier le Tribunal par ses ordonnances soit aboli parce que, entre autreschoses, il crée une crainte raisonnable de partialité.

Compte tenu des arguments ci-dessus, les intimées ont allégué qu’envertu des normes établies par la Cour suprême du Canada, que ce soit auxtermes de la common law ou de la Déclaration canadienne des droits, leTribunaldoit être considéré comme étant institutionnellement partial, voirle Comité pour la justice et la liberté c. l’Office national de l’énergie[1978] 1 RSC 369 p. 394; Valente c. La Reine, [1985] 2 RSC 673 pp. 684-689;R. c. Lippé, [1991] 2 RSC 114 pp. 138-139.; R. c. Généreux, [1992] 1 RSC259 pp. 283-287; C.P. Ltée c. Matsqui Indian Band, [1995] 1 RSC 3pp. 41-42, 49; et 2747-3174 Québec Inc. c. RPAQ, [1996] 3 RSC 919 p. 951.La norme fondamentale découlant de la jurisprudence en matière departialité institutionnelle en ce qui concerne cette cause est dedéterminer si une personne raisonnable bien renseignée aurait une crainteraisonnable de partialité par suite de l’application des paragraphes 27(2)et (3).

L’avocat de la Commission a fait savoir au Tribunal que desconsultations écrites ou orales approfondies avaient présidé àl’élaboration de l’OPS, 1986. (Pièce DP-12, DP-14, DP-3, onglet 8). LaCommission a également allégué que des mesures de protection sont en placepour prévenir une crainte raisonnable de partialité. La Loi sur les textesréglementaires, 1970-71-72, c.38, prévoit un examen de l’ordonnance par legreffier du Conseil privé, en consultation avec le ministre de la Justice,pour s’assurer que l’ordonnance a été autorisée par la LCDP. Parconséquent, l’ordonnance ne constitue pas une utilisation inhabituelle ouinattendue de l’autorité conférée par les paragraphes 27(2) et (3) et necontrevient pas à la Déclaration canadienne des droits. (Pièce DP-3,onglet 8)

En outre, la Commission a allégué qu’en tant qu’organismemultifonction, elle peut jouer un rôle d’enquêteur (article 43), un rôle dedéfenseur devant le Tribunal (article 51) ou un rôle de régulateur(article 27). L’avocat de la Commission accepte le fait que celle-cin’exerce pas une fonction juridictionnelle et que son rôle lorsqu’elleachemine une plainte à une audience en bonne et due forme estadministratif.

L’avocat a donc conclu que : ... Par conséquent,l’application de l’OPS, 1986 à une cause en particulier ne détermine passon bien-fondé ni n’engage le Tribunal. (Plaidoyers écrits de laCommission canadienne des droits de la personne, page 56, para : 161).

Le présent Tribunal estime que l’OPS, 1986 ne peut être considéréecomme contraignante que dans la mesure où elle sert de principe directeur.que les tribunaux sont tenus de considérer mais qui ne peuvent entraverleurs pouvoirs quasi-judiciaires de décision. Les déclarationsjuridictionnelles diffèrent sur ce point.

M. le juge Richard, de la Cour fédérale du Canada, a déclaré que lecaractère contraignant de l’OPS, 1986 sur l’indépendance institutionnelledu Tribunal n’a pas soulevé de problème quant à l’indépendanceinstitutionnelle lorsque la LCDP a envisagé l’adoption de l’ordonnance.(Voir Bell Canada c. le Syndicat canadien des communications, de l’énergieet du papier, (1977), 127 F.T.R. pp. 44-56.) Ce Tribunal a noté que M. lejuge Richard n’a pas traité de l’applicabilité de la Déclaration canadiennedes droits à cette question d’indépendance institutionnelle.Plus récemment, dans des remarques incidentes, Madame le jugeMcGillis, également de la Cour fédérale du Canada dans Bell Canada c.l’Association canadienne des employés de téléphone et autres(23 mars 1998), T-2722-96, T-950-97, T-1257-97 (F.T.D.C.) p. 67, estimantque le Tribunal en question ne supposait pas d’assez d’indépendanceinstitutionnelle pour d’autres raisons, a déclaré que :

... Je souhaite néanmoins indiquer que j’éprouve de gravesréserves concernant l’incidence sur l’impartialitéinstitutionnelle du pouvoir de la Commission, qui est partie à unlitige dans toutes les affaires instruites par le Tribunald’émettre des ordonnances exécutoires... Je n’ai pas la moindrehésitation à suggérer qu’afin de préserver l’impartialitéinstitutionnelle d’un Tribunal constituée en vertu de la Loi, laligne de conduite préférable et prudente serait de permettre à laCommission d’émettre des ordonnances non contraignantes pour leTribunal.

Le présent Tribunal est sensible aux craintes soulevées par Madame lejuge McGillis concernant l’indépendance du Tribunal. Si l’OPS, 1986représentait plus que des principes directeurs pour les tribunaux il yaurait alors, pour les raisons qui suivent, une question constitutionnelletrès grave à résoudre, tant pour le Tribunal que pour les cours quisupervisent le Tribunal.

Si les dispositions de la LCDP permettent à la Commission d’élargirles dispositions de la Loi par la promulgation d’ordonnances de telle façonque les tribunaux, et partant les cours de surveillance ne peuvent exercerun jugement indépendant dans l’interprétation des intentions deslégislateurs lorsqu’ils ont promulgué la LCDP, deux principes fondamentauxde notre constitution et de notre démocratie seraient alors compromis.

Le premier de ces principes à être compromis serait le droitfondamental de toutes les personnes à une audience équitable conformémentaux principes de la justice fondamentale, protégés par le paragraphe 2(e)de la Déclaration canadienne des droits. Ce principe constitutionnelfondamental d’une audience équitable conformément aux principes de lajustice fondamentale se retrouve également aux paragraphes 7 et 11(d) de laCharte canadienne des droits et libertés et dans les principes fondamentauxde la justice naturelle en common law (voir la discussion de lajurisprudence pertinente dans ce domaine par Garant, Fundamental Rights,Fundamental Justice dans Beaudoin & Mendes (édit.), La Charte canadienne.des droits et libertés, (Carswell, 1995) chapitre 9, pp. 40-90). Lesintiméesn’ont pas demandé au Tribunal de considérer l’applicabilité de laCharte canadienne des droits et libertés à la question de l’impartialitéinstitutionnelle. Bien que la situation dans la présente cause puisserelever au premier chef de la protection offerte par la Déclarationcanadienne des droits, les valeurs constitutionnelles contenues dans laCharte sont certainement applicables à la résolution de la question del’impartialité institutionnelle dont est saisi le Tribunal. Nousreviendrons plus loin à l’application de telles valeurs.

En second lieu, des normes fondamentales de notre système démocratiqueseraient également compromises. En particulier, la promulgationd’ordonnances d’un organisme exécutif du gouvernement imposant des entravescontraignantes au pouvoir de décision d’une entité quasi-judiciairecompromettrait logiquement les principes de l’indépendance judiciaire et dela séparation des pouvoirs que nous tenons pour acquis dans notre systèmeconstitutionnel. Si les ordonnances émises en vertu des paragraphes 27(2)et (3) sont contraignantes pour les tribunaux, il serait logique que detelles ordonnances soient également contraignantes d’une certaine façonpour les cours qui supervisent le Tribunal. Il serait illogiqued’interpréter la LCDP de manière à conclure que le Parlement souhaitait queles pouvoirs de décision quasi-judiciaires du Tribunal des droits de lapersonne soient entravés par des ordonnances émises en vertu desparagraphes 27(2) et (3) de la Loi, mais que ces mêmes ordonnances puissentêtre totalement ignorées ou invalidées par les cours de révision.

Par conséquent, la conclusion logique est que le cadre législatif dela LCDP soulève un sérieux problème d’indépendance institutionnelle si lesordonnances émises en vertu des paragraphes 27(2) et (3) sont considéréescomme entravant le pouvoir de décision du Tribunal et partant des cours derévision.

Dans Généreux, la Cour suprême a jugé que le principe del’indépendance institutionnelle exige que la Cour martiale générale soità l’abri d’ingérences extérieures à l’égard de questions directementreliées à la fonction judiciaire (ci-haut, p. 308). Il ne saurait y avoird’ingérence plus directe dans la fonction juridictionnelle de tribunauxjudiciaires ou quasi-judiciaires qu’un organisme exécutif comparaissantcomme partie qui les contraindrait à une interprétation d’une loi par lapromulgation d’ordonnances.

En outre, la Cour suprême du Canada a reconnu que dans le contexte desgaranties de justice fondamentale aux termes de l’article 7 de la Charte,le cadre législatif est un élément clé pour déterminer s’il existe unproblème pertinent d’impartialité et d’indépendance institutionnelles. DansLippé, le juge en chef Lamer a déclaré : il est également important pourle maintien de la confiance du public dans l’impartialité des cours que lesystème ou le cadre législatif ne prête pas le flanc à la critique et nesuscite pas de crainte raisonnable de partialité (ci-haut, p. 140).

Si le cadre législatif de la LCDP, par les dispositions des.paragraphes 27(2) et (3) permet à la Commission de contraindre destribunaux judiciaires et quasi-judiciaires à une interprétationparticulière de la Loi, alors le concept de la séparation des pouvoirsentre le législatif, l’exécutif et le judiciaire dans ce domaine a étéeffectivement compromis. L’indépendance judiciaire est un élémentfondamental de la séparation des pouvoirs, tant dans la loiconstitutionnelle canadienne que dans celle du Royaume-Uni dont estinspirée une grande partie de notre cadre constitutionnel. Ces principesséculaires remontent à l’Acte d’établissement de 1701 et sont confirmésdans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1982, qui stipule quenotre constitution doit être semblable en principe à celle du Royaume-Uni.L’indépendance du pouvoir judiciaire et partant, des tribunaux quasi-judiciaires,est également fondamentale de la primauté du droit, égalementconfirmée comme principe constitutionnel fondamental du Canada dans lepréambule de la Charte canadienne des droits et libertés.

A la lumière de la discussion ci-haut des principes constitutionnelspertinents, le présent Tribunal, comme le lui impose le paragraphe 2(e) dela Déclaration canadienne des droits, interprétera et appliquera lesparagraphes 27(2) et (3) de la LCDP et de l’OPS, 1986 de manière à ne pasenfreindre les droits des intimées à une audition équitable conformémentaux principes de la justice fondamentale. La seule interprétation etapplication des dispositions de la LCDP et de l’OPS, 1986 quin’enfreindrait pas les droits des intéressés à une audition équitableconformément aux principes de la justice fondamentale est de les considérercomme un principe directeur que le Tribunal doit considérer mais qu’iln’est pas obligé de suivre dans son interprétation de l’article 11 de laLCDP. Cela signifie que si le Tribunal estime que tout principe directeurémis par la Commission est légalement non valide, il n’est pas obligé des’y conformer.

L’avocat de la Commission a exprimé l’avis que ce Tribunal n’est pashabilité à considérer l’application de la Déclaration canadienne des droitsà sa loi délégatrice, la LCDP. L’avocat a affirmé que la Déclarationcanadienne des droits est une loi quasi-constitutionnelle qui peutl’emporter sur une loi fédérale incompatible en la rendant inopérante ounon valide citant R. c. Drybones [1970] RSC 282 pp. 293-4 (plaidoyersécrits de la Commission, p.59). Bien que la Commission se soit appuyée surla décision de la Cour suprême dans la cause Cooper & Bell, discutée plusavant ci-après, il est à noter que de récentes modifications à la LCDP(L.R.C., 1985, c.H-6 modifié par S.C. 1998 c.9), ajoutent les dispositionsà l’article 50(2) voulant que : Il tranche les questions de droit et lesquestions de fait dans les affaires dont il est saisi en vertu de la présentepartie. Il est évident que l’application de la Déclaration canadienne des droits ou, quant à cela, de toute partie de la Constitution du Canada à la question de l’impartialité institutionnelle du Tribunal des droits de lapersonne constituerait une question de droit.

Il est également inexact de prétendre que la Déclaration canadiennedes droits permet seulement de rendre inopérantes et non valides les loisincompatibles. L’article 2 permet également, le cas échéant, d’interpréteret d’appliquer les lois de façon à les rendre compatibles avec les droitsénumérés. L’esprit de la loi constitutionnelle et des droits de lapersonne, tant aux termes de la Déclaration canadienne des droits qu’auxtermes de la Charte canadienne des droits et libertés, permet d’apporterdes remèdes qui n’abolissent pas ni ne rendre inopérant tout le cadrelégislatif, mais qui, grâce au bois vif de la justiceconstitutionnelle, permet de façonner les lois de manière à les rendrecompatibles avec le paysage des droits et libertés fondamentales.La Cour d’appel fédérale dans MacBain c. Lederman, [1985] 6 CHRRD/3064, est allée beaucoup plus loin dans un cas semblable ou l’appelantcontestait les dispositions de l’article 39 d’alors de la LCDP, quiprévoyait la nomination d’un tribunal par la Commission. L’appelantalléguait que ce processus de nomination donnait lieu à une crainteraisonnable de partialité. On ne pouvait soulever d’objection en vertu del’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés parce que leTribunal n’avait pas le pouvoir d’empiéter sur les droits définis dans cetarticle, à savoir la vie, la liberté et la sécurité de la personne. LaCour d’appel fédérale, s’inspirant des conclusions de M. le juge Beetz dansla cause Singh, a soutenu que le Tribunal avait bel et bien le pouvoir dedéterminerles droits et obligations. La Cour a conclu que lesdispositions alors existantes visant la nomination de tribunaux par laCommission, étant donné que la Commission est également le poursuivant en vertu de la LCDP, enfreignaient le paragraphe 2(e) de la Déclarationcanadienne des droits et a entrepris alors d’élaborer un remède approprié.La Cour d’appel fédérale a jugé que le remède approprié consistait àémettre une déclaration en faveur de l’appelant voulant que lesdispositions irrégulières de la LCDP soient inopérantes en ce qui a trait àla plainte déposée contre l’appelant. La Cour a refusé de déclarer quetoute cette partie de la LCDP portant sur les nominations de tribunaux(partie III) était inopérante tel que demandé par l’appelant. La Cour aestimé que de ne considérer comme inopérants que les articles 39(1) et (5)de la LCDP, pour ce qui concerne la plainte, remédierait au défautconstitutionnel de la loi pour les fins de la cause. La Cour, citantJ. Beetz dans la cause Singh, (ci-haut pp. 235-236) a jugé qu’un tel remèden’était pas une réfection de la Loi, mais était analogue à une chirurgierudimentaire sur les dispositions législatives déficientes. (MacBain,ci-haut, paragraphes 24570-24571)

Pareillement, ce Tribunal interprète les dispositions actuelles desarticles 27(2) et (3) de la LCDP d’une façon qui les rend moins déficientesconstitutionnellement en soutenant que les tribunaux sont tenus deconsidérer les ordonnances émises par la Commission en vertu de cesdispositions comme principes directeurs, mais que ces principes directeursn’entravent pas leurs pouvoirs quasi-judiciaires de décision en dernièreanalyse.

Estimant que la Déclaration canadienne des droits ne permet de rendreinopérantes ou non valides que les lois incompatibles, l’avocat de laCommission a allégué que la décision de la Cour suprême dans Cooper & Bellc. Canada (CHRC), [1996] 3 RSC 854 a conclu que le Tribunal des droits de lapersonne n’a pas l’autorité de déterminer la validité constitutionnellede la LCDP. L’avocat a convenu que bien que le Tribunal a effectivementplus de pouvoir que la Commission pour examiner des questions de droit engénéral, ces pouvoirs sont limités. Enfin, l’avocat de la Commission a émisl’avis que la jurisprudence récente de la Cour suprême n’étayait que laproposition étroite voulant que le Tribunal n’ait pas le pouvoir decontester la validité d’une disposition limitative de la LCDP, (voir ladécision Cooper & Bell, ci-haut, pp. 897-898). La Commission a allégué quele paragraphe 27(3), qui confère à la Commission le pouvoir d’émettre desordonnances contraignantes, constituait en quelque sorte une dispositionlimitative et que par conséquent, en vertu de Cooper & Bell, le Tribunaln’avait pas le pouvoir de contester la validité de ce paragraphe.Il faut souligner que le présent Tribunal ne conteste pas la validitédes paragraphes 27(2) et 27(3) de la LCDP. Il ne fait que les interpréteret les appliquer de façon à les rendre compatibles avec une audienceéquitable selon les principes de la justice fondamentale tels que garantispar la Déclaration canadienne des droits. Ces principes sont égalementenchâssés dans la Charte canadienne des droits. De fait, la Commission,dans son plaidoyer écrit, a souligné que dans Cooper & Bell, (ci-haut,p. 877), la Cour suprême a décidé qu’un tribunal doit interpréter la LCDPd’une façon qui soit compatible avec les valeurs de la Charte.

En outre, le présent Tribunal ne voit pas comment la Commission peutqualifier les paragraphes 27(2) et (3) de dispositions limitatives lorsquemanifestement pareilles dispositions laissent à la Commission un champ deréglementation si large qu’elle pourrait élargir les dispositions de laLCDP par la promulgation d’ordonnances. C’est là exactement ce que lesintimées prétendent qu’il s’est passé avec l’OPS, 1986. Il n’est guèrelogique de prétendre qu’une disposition à laquelle les intimées reprochentde donner à la Commission le pouvoir d’élargir la portée de la LCDP est unedisposition limitative. Le concept de disposition limitative utilisé par laCour suprême vise les dispositions de la LCDP en vertu desquelles leParlement, en promulguant cette importante loi quasi-constitutionnelle, adécidé de limiter ce qu’on pouvait appeler une discrimination interditedans certains domaines qui ont des implications vitales en matière depolitique gouvernementale. Dans la cause Cooper & Bell, la limite en litigeétait celle promulguée par le Parlement concernant la retraite obligatoire.

Le paragraphe 15(c) de la LCDP stipulait qu’il n’y aurait pasdiscrimination si les personnes prenaient leur retraite à l’âge normal dela retraite pour les employés travaillant à des postes semblables à celuide l’employé alléguant une discrimination. C’est dans le contexte d’unedisposition claire limitant ce qui constitue une discrimination que lamajorité dans Cooper & Bell (ci-haut, p. 898) a conclu que : ... untribunal nommé à la demande de la Commission n’a pas le pouvoir dedéterminer la validité constitutionnelle des dispositions limitatives de laLoi. Les pouvoirs étendus accordés à la Commission d’émettre desordonnances en vertu des paragraphes 27(2) et (3) de la LCDP ne pouvaientêtre considérés comme une disposition limitative au même titre que leparagraphe 15(c) de la LCDP..Le présent Tribunal juge donc qu’il n’y a pas de limite imposée auTribunal pour l’interprétation des ordonnances émises par la Commission envertu des paragraphes 27(2) et (3) de la LCDP d’une manière compatible avecla Déclaration canadienne des droits, la Charte canadienne des droits etavec les principes généraux de la Constitution du Canada. A la lumière dela décision qui précède, le présent Tribunal estime que l’ordonnance sur laparité salariale, 1986, n’entrave pas les pouvoirs de décision quasi-judiciairesdu Tribunal des droits de la personne. Le Tribunal estseulement tenu de considérer l’ordonnance comme un principe directeur,qu’il peut choisir d’utiliser dans l’interprétation de la LCDP. Le Tribunalne peut être contraint de suivre cette ordonnance lorsqu’il y a de sainesraisons juridiques de ne pas le faire.

Le Tribunal par conséquent rejette également la prétention desintimées voulant que l’indépendance institutionnelle du Tribunal soitcompromise par l’ordonnance et que par conséquent celle-ci ne peut garantirune audience équitable conformément aux principes de la justicefondamentale tels que stipulés à l’article 2e) de la Déclaration canadiennedes droits.

2.2.0. Application de l’ordonnance sur la parité salariale, 1986DORS/86-1082, en tant que principe directeur dansl’interprétation de l’article 11 de la LCDP.

2.2.1. La portée de l’OPS, 1986.

Même en tant que principe directeur, l’OPS , 1986 demeure fortambiguë. Tel que mentionné précédemment, les dispositions pertinentesétablissent que :

10 - Pour l’application de l’article 11 de la Loi, lesemployés d’un établissement comprennent, indépendamment desconventions collectives, tous les employés au service del’employeur qui sont visés par la même politique en matièrede personnel et de salaires, que celle-ci soit ou nonadministrée par un service central.

La première tâche d’interprétation du Tribunal est de dégager lasignification ordinaire de cette disposition. La premièreconstatation est que l’ordonnance n’est pas exhaustive. Lesdispositions stipulent que la définition d’un établissement comprendles lieux de travail qui ont une politique des salaires et despolitiques commune, qu’elle soit administré centralement ou non. Ellen’exclut pas d’autres définitions d’un établissement.

Il demeure très difficile de déterminer si l’article 10 del’ordonnance exclut toute considération de conventions collectiveslorsqu’il s’agit de décider si les employés ou un employeur sontsoumis à une politique des salaires et du personnel commune. Sil’intention des rédacteurs de l’ordonnance était d’exclure touteconsidération de conventions collectives dans les lieux de travail.syndiqués, l’énoncé de l’article aurait également pu être plus clair.

L’article 10 aurait pu être rédigé de façon à établir clairement quenonobstant toute convention collective à l’effet du contraire,applicable à tout employé de l’établissement, ce dernier conceptinclut les lieux de travail où tous les employés sont soumis à unepolitique commune du personnel et des salaires, que cette politiquesoit administrée centralement ou non.

Il y a également le fait que la plupart des lieux de travailmodernes ne sont pas régis par un seul ensemble de politiques dessalaires et du personnel. Il existe au contraire de nombreusespolitiques touchant les questions de salaires et de personnel, dontplusieurs, sinon la plupart se trouvent dans les conventionscollectives des lieux de travail syndiqués. L’article 10 pose donc àl’interprète une énigme. Dans un lieu de travail syndiqué, plusieurssinon toutes les politiques des salaires et du personnel se trouventvraisemblablement dans les conventions collectives. Dans la plupartdes cas, les autres politiques des salaires et du personnel établiesen vertu des droits réservés de la direction dans les lieux syndiquéssont peu susceptibles de constituer, par elles-mêmes, une politiquecommune des salaires et du personnel pour toutes les unités denégociation.

Pareilles politiques comprendraient des politiques anti-discriminatoireset sur le harcèlement sexuel, des politiquesd’équité en matière d’emploi, des politiques d’aide aux employés etdes politiques générales sur les avantages sociaux qui sont décritesen détail dans les conventions collectives. En outre, il pourraitexister des stratégies écrites ou non écrites de la direction pourles négociations salariales et d’autres questions à traiter dans leprocessus de négociation collective. Tel que discuté plus haut,l’argument central de la Commission et du plaignant était que detelles politiques générales établies en vertu des droits réservés dela direction et que toute stratégie de la direction en matière denégociation collective constituent une politique commune dessalaires et du personnel.

2.2.2. Application de l’OPS, 1986 à Air Canada tel qu’allégué parle plaignant

Pour ce qui concerne Air Canada, le plaignant affirme que lerégime général de pensions d’Air Canada (pièce C-26 et témoignaged’Egon Keist, vol. 19, pp. 2641-2644 de la transcription), leslaissez-passer de voyage des employés (pièce C-21 et témoignages deTed D’arcy et Sylvie Lachance-Harrison, vols. 22, p. 3136 et 26,p. 3483 de la transcription), les politiques de la compagnie sur lesvacances, le temps libre et les congés (pièce C-24 et témoignage deTed D’arcy, vol. 26, p. 3510 de la transcription) et les programmesgénéraux sur les avantages sociaux touchant les régimes de soins desanté, d’invalidité et de soins dentaires (pièce C-25 et témoignaged’Egon Keist, vols. 18 et 19 de la transcription) sont autant depreuves de l’existence d’une politique commune des salaires à AirCanada. Tout en reconnaissant que les conventions collectives avecces employés créent des différences et des distinctions , le SCFP aaffirmé que ces distinctions résultent des exigences.opérationnelles d’un groupe en particulier ou d’une négociation.

Quant aux politiques du personnel à Air Canada, la Commission etle SCFP ont cité la politique sur le harcèlement de la compagnie(pièce DP-7 et témoignage de Ted D’arcy, vol. 26, pp. 3453-3454 de latranscription et témoignage de Keith Kelly, vol. 31, p. 4289 de latranscription), le Programme d’aide aux employés (pièce C-18 ettémoignage d’Egon Keist, vol. 18, pp. 2530-2621 de la transcriptionet témoignage de Ted D’arcy, vol. 26, p. 3443 de la transcription) lapolitique sur le vol (pièces C-19 et C-20 et témoignage d’Egon Keist,vol. 18, p. 2534, vol. 19, p. 2630-2633 de la transcription) et lapolitique de la compagnie sur l’absentéisme (pièce C-54 et témoignagede Sylvie Lachance-Harrison, vol. 22, pp. 3119-3123, vol. 23,pp. 3169-3170 de la transcription). A nouveau, la Commission et leSCFP ont allégué que ces politiques générales sont révélatrices del’existence d’une politique du personnel commune à Air Canada, mêmesi ces politiques peuvent être appliquées différemment dans lesconventions collectives et d’autres conventions relatives à desgroupes de négociation précis en raison, entre autres, du pouvoir denégociation et d’une discrimination historique, du caractèrefortement réglementé de l’industrie et des emplois des diversgroupes.

2.2.3. Application de l’OPS, 1986 aux Lignes aériennes Canadientel qu’allégué par le plaignant

De même, la Commission et le SCFP ont allégué que des politiquesgénérales et des stratégies de négociation semblables aux Lignesaériennes Canadien établissent l’existence d’une politique communedes salaires et du personnel à la compagnie. En outre, dans le casdes Lignes aériennes Canadien, le SCFP a également soulignéqu’historiquement les accords salariaux présents dans les conventionscollectives des groupes d’employés comprenaient des concessions dessyndicats qui avaient été réclamées pour l’ensemble de la société(plaidoyers écrits du plaignant, p. 60.) Le SCFP a allégué que mêmesi les concessions réclamées n’ont pas été effectivement obtenues detous les groupes d’employés, les mêmes types de concessions ont étéréclamés de chaque groupe.

En ce qui concerne la méthode par laquelle les pilotes et lesagents de bord sont rémunérés, la Commission et le plaignant ontallégué que toute différence entre le système de paie des pilotes etcelui des agents de bord était attribuable à des systèmes de paiedifférents soumis à une politique des salaires commune. Le SCFPallègue en outre que même si la méthode de compensation constitue unepolitique des salaires, il n’y a pas de différence notable entre laméthode par laquelle les pilotes et les agents de bord des Lignesaériennes Canadien sont rémunérés (plaidoyers écrits du plaignant,pp. 61-63, citant plusieurs pièces et volumes de témoignages.) LeSCFP suggère que les différences entre les systèmes de rémunération,de même qu’entre les heures de travail résultent des exigences.opérationnelles de même que de la nature des tâches à remplir et nonde l’application de politiques des salaires différentes pour chaquegroupe. De même, le SCFP a allégué que même si les Lignes aériennesCanadien ont des plans de retraites séparés pour chacun des troisgroupes, ces plans se fondent tous sur le plan juridique de lacompagnie. Le plaignant écarte toute différence en matièred’avantages sociaux aux termes de chaque plan comme résultant denégociations collectives précises. (Plaidoyers écrits du plaignant,p. 65.) Cependant, peu après, le plaignant allègue paradoxalementqu’un examen des conventions collectives pertinentes au chapitre desavantages sociaux touchant l’assurance-vie, les régimes de santé, lesrégimes d’invalidité et de soins dentaires révèle que les employésdes trois principaux groupes d’employés reçoivent en substance lemême type et le même nombre d’avantages des Lignes aériennesCanadien. (Plaidoyers écrits du plaignant, pp. 67-68 citant plusieurspièces et volumes de la transcription du témoignage.) Enfin, le SCFPsouligne que le système commun de laissez-passer pour voyage desemployés, même s’il est qualifié de privilège par les Lignesaériennes Canadien, en vertu du paragraphe 11(7) de la LCDP constitueun salaire aux termes de la LCDP en ce qu’il s’agit d’un avantageou privilège reçu de Canadien.

2.2.4 Conclusion du Tribunal sur les politiques communes dessalaires et du personnel aux deux compagnies intimées.

Le Tribunal a noté que le plaignant n’invoquait pas lesconventions collectives mais bien les politiques générales où ilpourrait exister des différences importantes entre les groupesd’employés dans les politiques des salaires, mais qu’il invoquait cesmêmes conventions collectives où peuvent exister des similarités,comme dans le cas des avantages sociaux, pour établir l’existenced’une politique des salaires commune. De plus, la référence àl’article 11(7) de la LCDP concernant les laissez-passer de voyageest également sélective. Cet article stipule que :

(7) Pour l’application du présent article, salaires s’entend de toute forme de rémunération payable à unindividu en contrepartie de son travail et, notamment :

a) des traitements, commissions, indemnités de vacance oude licenciement et des primes;

b) de la juste valeur des prestations en repas, loyer,logement et hébergement;

c) des rétributions en nature;

d) des cotisations de l’employeur aux caisses ou régimes depension, aux régimes d’assurance contre l’invaliditéprolongée et aux régimes d’assurance maladie de toutenature;

e) les autres avantages reçus directement ou indirectementde l’employeur.

Il est certainement illogique de prétendre que cetarticle détaillé de la LCDP qui tente de clarifier l’interprétationdes dispositions de l’article 11 sur la discrimination salariale,devrait amener les tribunaux à ignorer les détails des salaires, descongés payés et les contributions de l’employeur aux fonds ou régimesde pension présents dans les conventions collectives, mais à tenircompte des avantages salariaux mineurs trouvés à l’extérieur desconventions collectives, tel que le système de laissez-passer devoyage à Air Canada et aux Lignes aériennes Canadien.

Le même méthode fut employée par le plaignant quant auxpolitiques du personnel aux Lignes aériennes Canadien, se référant àla politique sur le harcèlement sexuel (pièces C-7 et C-8, voirégalement les nombreuses références aux volumes de la transcriptionconcernant la politique dans des plaidoyers écrits du plaignant,pp. 69-70), le Programme d’aide aux employés (pièce C-10, voirégalement les nombreuses références aux volumes de la transcriptionconcernant la politique dans des plaidoyers écrits du plaignant,pp. 70-71) et le manuel de politiques générales du personnel desLignes aériennes Canadien. (Pièce DP-10) Le plaignant allègue qu’endépit d’une application différente dans des conventions collectivesprécises, ces politiques sont communes à tous les employés etindiquent donc l’existence d’une politique commune du personnel oudes ressources humaines aux Lignes aériennes Canadien. Cependant, leplaignant reconnaît que dans le cas du manuel de politiques généralesdu personnel, les politiques contenues dans le manuel nes’appliqueraient pas dans les cas où ces politiques ont étéexpressément abrogées par une disposition de la convention collectiveou dans des situations où le manuel stipule expressément qu’elles nes’appliquent pas à un groupe en particulier. (Plaidoyers écrits duplaignant, p. 69.) Là encore, cet argument contient un illogisme. Lespolitiques contenues dans un manuel de politiques générales dupersonnel ne peuvent être considérées comme communes qu’aussilongtemps qu’elles ne sont pas abrogées par une conventioncollective. Mais la convention collective abrogative n’aurait aucunrapport avec ce qui constitue ou non une politique commune dupersonnel.

A la lumière de la discussion ci-haut, le Tribunal estime que ladétermination de l’existence d’une politique commune des salaires etdu personnel, logiquement et aux termes de l’article 11 de la LCDP,peut et doit inclure les conventions collectives négociées dans deslieux de travail syndiqués.

2.2.5. Les interprétations d’un établissement avancées par laCommission et le plaignant

Compte tenu des illogismes que comportent les arguments de laCommission et du plaignant et décrits plus haut et du caractère fortambigu de l’OPS, 1986 elle-même, le présent Tribunal doit interpréterl’intention du Parlement lorsqu’il a promulgué l’article 11 de laLCDP et interpréter ensuite l’ordonnance dans cet esprit. Tel quenoté précédemment, le paragraphe 11(1) stipule : Constitue un actediscriminatoire le fait pour l’employeur d’instaurer ou de pratiquerla disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutentdans le même établissement, des fonctions équivalentes. .Il est à noter également que le paragraphe 11(3) laisseentrevoir le sens que la législature a pu vouloir donner au termeétablissement par la disposition suivante, également soulignéeci-haut : Les établissements distincts qu’un employeur aménage oumaintient dans le but principal de justifier une disparité salarialeentre hommes et femmes sont réputés, pour l’application du présentarticle, ne constituer qu’un seul et même établissement.

Il est évident que le Parlement n’avait pas l’intention depermettre aux employeurs de tourner les dispositions sur ladiscrimination salariale en utilisant différents établissements,quelle que soit la signification de ce concept. Le ministre de laJustice, en introduisant le projet de loi qui allait devenir la LCDP,1977, a semblé indiquer que la définition d’établissement pouvaits’inspirer de l’une des significations existantes de ce concept. Enparticulier, une telle signification peut être obtenue des structuresutilisées dans la réglementation des relations de travail dans lessecteurs soumis aux lois fédérales : Nous avons utiliséétablissement parce que ce terme a été employé dans le Code dutravail et qu’il existe un ensemble de droits jurisprudentiels, tantde la Loi sur les relations de travail que des cours, concernantl’utilisation de ces mots. (Procès-verbal du Comité permanent de lajustice et des questions juridiques, 18 mai 1977, Hansard 12:19.)

Cette preuve de l’intention du Parlement va clairement àl’encontre de la définition par les entreprises du termeétablissement. Elle semblerait plutôt souligner la pertinence desunités de négociation collective ou des établissements industrielsdans la détermination de la signification d’établissement dansl’article 11 de la LCDP. Tel qu’il sera discuté plus bas, pour desraisons de saine logique, le concept d’établissement industriel nepeut constituer un facteur dans la détermination de la significationdu terme établissement. La définition par les entreprises ne peut pasnon plus s’appliquer en vertu des dispositions existantes del’article 11 de la LCDP. La définition par les entreprisesconsidérerait tous les employés d’une entreprise comme faisant partied’un seul établissement. On pourrait même alléguer que telle n’étaitpas l’intention des rédacteurs de l’article 11, comme en fait foi ladéclaration du ministre de la Justice lors de l’introduction duprojet de loi qui allait devenir la LCDP, 1977.

Le Tribunal reconnaît que la Cour suprême du Canada a déclaréque le Hansard revêt si peu de poids en matière de preuve qu’ildevrait être inadmissible dans l’interprétation de toute dispositionlégale ou constitutionnelle. (Voir la référence à la Loi sur lalocation de locaux d’habitation, 1979 [1981] 1 RSC pp. 714-721, parJ. Dickson) Cependant, dans la jurisprudence subséquente de la Coursuprême dans des causes concernant la Charte et de la Cour fédéraledans des causes de droits de la personne la règle d’exclusion a étéassouplie à l’égard des preuves extrinsèques en matière de contexte,d’intention et d’interprétation de la loi et des dispositions.constitutionnelles, même si l’on ne devrait accorder que peu ou pasde poids à ces preuves voir R. c. Morgentaler [1993] 3 RSC 463 à 484;Canada (A.G.) c. Mossop [1991] 1 C.F. 18 (C.A.; conf. (1993), 100D.L.R. (4e) 658 (C.C.S.) p. 40.

Par conséquent, bien qu’il ne faille accorder que peu de poids àla déclaration du ministre de la Justice sur la signification duterme établissement dans l’article 11 de la LCDP, on ne peut pas nonplus l’ignorer. Elle peut certainement être retenue comme preuve quela définition du terme établissement par les entreprises n’était pascelle qu’avait à l’esprit le ministre chargé de la rédaction de laloi. Lors des arguments juridiques, les avocats tant de la Commissionque du plaignant ont également reconnu qu’ils ne préconisaient pasl’utilisation de la définition des entreprises dans l’interprétationde la signification du terme établissement dans l’article 11 de laLCDP.

Malgré la nette déclaration des avocats de la Commission et duplaignant à l’effet qu’ils ne préconisaient pas la définitionemployée par les entreprises, une grande partie de leurs argumentstendait précisément vers cette définition. Tout d’abord, laCommission et le plaignant ont allégué que le Tribunal ne devrait passe concentrer uniquement sur la philosophie et les politiquesgénérales de ressources humaines, mais se pencher également surl’intégration des fonctions dans la technologie de base , de mêmeque sur la culture organisationnelle et le contrat endouceur . Se référant au témoignage du témoin expert de laCommission, M. Ondrack, la Commission a allégué que :

la culture organisationnelle désigne la cultureintentionnelle ou gérée d’une organisation qui s’inscritdans une stratégie visant à encourager les gens à secomporter de façon compatible avec les buts del’organisation. Une culture organisationnelle gérée vise àcréer un système de valeurs communes à l’organisation. Lecontrat en douceur désigne un contrat psychologique avec l’employeur, par opposition au contrat dur fondésur les salaires et les avantages sociaux. Le contrat endouceur est fondé sur l’adhésion de l’employé aux buts del’organisation, à un sentiment de partenariat etd’appartenance à l’entreprise. (Plaidoyers écrits de laCommission, p. 26, citant l’interrogatoire principal deM. Ondrack, vol. 15, pp. 2175-2212 de la transcription.)Bien que l’avocat de la Commission qualifie de fonctionnelle la définition du terme établissement fondé sur la cultureorganisationnelle et le contrat en douceur (plaidoyer écrit de laCommission, p. 25 et pp. 27-29) il est difficile d’imaginer unecompagnie soumise aux dispositions de l’article 11 de la LCDP qui netenterait pas de promouvoir une culture organisationnelle parlaquelle ses employés adhéreraient aux buts de l’entreprise, à unsentiment de partenariat et d’appartenance à l’entreprise. Parconséquent, si cette définition était acceptée, le Tribunal seraitcontraint de conclure que chaque société soumise à l’article 11 de laLCDP constitue un seul établissement. Cela équivaudrait à une.réfection de l’énoncé et de l’intention de l’article 11 de la LCDP.

De même, la Commission, se référant à un témoignage ultérieur deM. Ondrack, a allégué que l’intégration dans la technologie de baseou dans la fonction de base est l’élément clé pour déterminer si lesemployés travaillent dans le même établissement, même s’ilstravaillent dans des lieux différents. (Plaidoyer écrit de laCommission, p. 27, citant le contre-interrogatoire de M. Ondrack,vol. 15, p. 2230 de la transcription.) Encore une fois, bien que lesarguments de la Commission n’offrent pas de définition précise detechnologie de base et de fonction de base , le présentTribunal estime qu’il serait difficile de trouver une seuleentreprise soumise aux dispositions de l’article 11 de la LCDP, saufpeut-être de vastes conglomérats, qui n’ait pas de fonction debase à laquelle sont intégrés tous les employés. Là encore,l’acceptation de ces critères pour définir un établissemententraînerait une réfection de l’article 11 de la LCDP et laconsécration de la définition du terme établissement par lesentreprises.

De même, le plaignant a allégué que les critères ou facteurssuivants, entre autres, seraient les plus aptes à servir les fins dela LCDP dans l’interprétation de l’article 11 et la signification dumot établissement . Citant une fois de plus le témoignage dutémoin expert de la Commission, M. Ondrack (plaidoyer écrit duplaignant, p. 15), le SCFP a suggéré que le critère primordial pour déterminer si un ou plusieurs groupes font partie du mêmeétablissement est de savoir si les employés participent ou non aumême secteur d’activité ou à la même fonction de base de l’employeur.Affirmant que ce critère primordial n’équivaut pas à accepter ladéfinition du terme établissement par les entreprises, le SCFP aconclu qu’une enquête sur le secteur d’activité ou la fonction debase ne donne pas effet aux différences organisationnelles permettantau Tribunal (et aux parties subséquentes) de séparer les conceptsd’employeur et d’établissement et donnait ainsi effet aulibellé exprès de la loi. (Plaidoyers écrits du plaignant, p. 15.)Là encore, le plaignant admet que l’article 11 de la LCDP nepermet pas une définition du terme établissement par les entreprises.Cependant, le SCFP ne réussit pas à démontrer comment son critèreprimordial ne mène pas précisément à cette même définition par lesentreprises. Le SCFP a affirmé que le secteur d’activité ou lafonction de base d’Air Canada et des Lignes aériennes Canadien estle transport aérien de passagers et de fret, au pays etinternationalement. Le plaignant a ajouté que bien qu’il soitévident que les pilotes des deux compagnies intimées font partieintégrante du secteur d’activité de la compagnie qu’est le transportaérien, compte tenu de leurs fonctions, un examen des conventionscollectives et d’autres documents pour les employés couverts par lesconventions collectives du SCFP avec les deux compagnies intimées etles conventions collectives de l’AIM avec les deux compagnies.intimées a également établi clairement que ces deux groupes sontemployés à seule fin de réaliser les buts et les objectifs des deuxcompagnies intimées liées à leurs fonctions de base. (Plaidoyersécrits du plaignant, p. 15, pp. 18-22, pp. 51-55.)

Le présent Tribunal trouve fort surprenant que tant laCommission que le Plaignant n’aient pas reconnu que des critèresaussi larges que le secteur d’activité ou la fonction de base, quiéquivalent à une description de l’activité essentielle de lacompagnie concernée, ne mèneraient pas à la définition du termeétablissement par les entreprises. Une telle approche ferait depratiquement toutes les entreprises couvertes par l’article 11 àl’exception de vastes conglomérats des établissements uniques pourles fins de la LCDP.

De même, le plaignant allègue que le critère del’interdépendance des groupes comparés devrait être considérédans la définition du terme établissement. Bien que l’avocat du SCFPait reconnu que ce critère empiète sur d’autres critères suggéréspour définir un établissement, on a allégué que ces critèresétablissent clairement que les employés des trois unités denégociation sont traités de la même façon par les compagniesintimées. Selon le SCFP, l’égalité de traitement serait prouvée parle fait que la majorité des politiques d’entreprises ont étéélaborées par le Service des ressources humaines et sont applicablesaux autres services dans lesquels ces trois groupes travaillent. (Plaidoyers écrits du plaignant, pp. 44-45, pp. 72-73.) Là encore leprésent Tribunal estime qu’une telle approche mènerait à unedéfinition du terme établissement par les entreprises, étant donnéque la plupart des politiques d’entreprise formulées en vertu desdroits réservés de la direction dans des lieux de travail syndiquéss’appliquent à l’ensemble des unités de négociation.

L’avocat du SCFP a également invoqué une stratégie d’entreprisedans les négociations collectives pour établir l’interdépendance destrois groupes syndiqués. Dans le cas d’Air Canada, le SCFP, citant denombreux témoins ayant comparu devant le Tribunal, a allégué ce quisuit :

La preuve apparaît indéniable que chaque direction ouservice élabore son propre programme de propositions denégociation avec l’aide des Relations de travail, etsouvent, des Finances et de l’Affectation des équipages. Ceprogramme ou mandat, toutefois, doit être examiné etapprouvé par le Comité directeur de l’entreprise. Ce Comitécomprend le PDG, de même que les principaux vice-présidents.

Dans le cas des Lignes aériennes Canadien, le SCFP a alléguéqu’une abondance de preuves soumises au Tribunal démontrait que lemodèle de négociation à la baisse pour les trois unités denégociation était une stratégie ou une politique d’entrepriserépondant à des facteurs économiques. Le SCFP a allégué que lastratégie de négociation à la baisse consistait à économiser sur unebase relativement égale, même si les preuves soumises au Tribunal.montraient qu’il est extrêmement difficile de quantifier la valeur decertains avantages ou de certaines concessions obtenus de chaqueunité de négociation. (Plaidoyers écrits du plaignant, pp. 45-47concernant Air Canada citant les témoignages d’Egon Keist,Ted D’arcy, le capitaine Wayne MacLellan, Keith Kelly et Fred Parker;pp. 74-79, concernant les Lignes aériennes Canadien citant lestémoignages de Senka Dukovich, Sheri Cameron, Hunter Rogers, lecapitaine Robert Weatherly et Alan Bower.)

Quant aux critères d’interdépendance et de négociationcollective du SCFP, à nouveau ce Tribunal trouve difficile d’imaginercomment toutes les compagnies soumises à l’article 11 de la LCDPpourraient ne pas être définies comme un seul établissement, à partpeut-être les conglomérats. Toutes les entreprises dont les lieux detravail sont syndiqués auront des stratégies de négociationcoordonnées à un certain niveau de la haute direction, tel qu’on a pule voir dans le cas des compagnies intimées. Par conséquent, toutesles compagnies soumises à la LCDP, à part peut-être les grandsconglomérats, constitueraient un seul établissement selon cetteversion de l’interdépendance. De même, en ce qui concerne lescompagnies soumises à l’article 11 qui éprouvent des difficultésfinancières, le présent Tribunal conclut qu’il serait rare qu’ellesne tentent par des stratégies de négociation à la baisse d’obtenirdes concessions égales de toutes les unités de négociation. Dans laplupart des cas, il s’agirait là de la question d’équité la plusimportante dans la négociation à la baisse. Là encore, on voit malcomment la position du SCFP sur l’interdépendance, telle qu’appliquéeà la négociation collective, ne mènerait pas à la définition du termeétablissement par les entreprises.

Enfin, le SCFP a allégué que le lieu de travail des troisgroupes d’employés, à bord ou autour des divers appareils desintimées, l’interaction quotidienne et la coordination entre lesagents de bord des deux compagnies et les employés des autres unitésde négociation, la couleur des uniformes des employés d’Air Canada(tous bleu sarcelle sauf pour les pilotes), les insignes nominatifsavec l’insigne de la compagnie, le système d’information CIT auquelont accès tous les employés, la formation périodique que les piloteset les agents de bord reçoivent ensemble, les nombreuses référenceset définitions des divers manuels de la compagnie communs aux troisgroupes, les divers comités conjoints d’employés avec les Lignesaériennes Canadien et les bulletins de la compagnie Canadien, quisont adressés à tous les employés, constituaient autant d’indicationsque les trois groupes étaient très interdépendants danspratiquement tous les aspects de leur tâche chez chacune descompagnies intimées. D’où la preuve que les employés des troisgroupes en question étaient tous employés d’un même établissement.(Plaidoyers écrits du plaignant, pp. 47-50 citant les témoignages deSylvie Lachance-Harrison, Ted D’arcy, Keith Kelly et le capitaineWayne MacLellan concernant la situation à Air Canada; pp. 79-83,.citant les témoignages de Senka Dukovich et Sheri Cameron concernantla situation aux Lignes aériennes Canadien.)

De même, à l’égard de ces arguments, le présent Tribunal ne voitpas comment la plupart des compagnies soumises à l’article 11 de laLCDP ne connaîtraient pas elles aussi une interdépendance semblablede leurs divers groupes d’employés syndiqués. Par exemple, la plupartdes grandes compagnies soumises à la LCDP auraient des groupesd’employés qui interagissent quotidiennement. Leurs employés peuventégalement porter des uniformes arborant l’insigne de la compagnie sicelle-ci veut projeter une image de marque. Ils recevraient presquecertainement une formation commune et elles distribueraientcertainement une publication ou un bulletin d’entreprise à tous lesemployés. Là encore, si nous poursuivons l’analyse logique, leplaignant demande en réalité que la définition du terme établissementpar les entreprises soit enchâssée dans l’article 11 de la LCDP.Compte tenu des conclusions ci-dessus concernant les arguments,les longs témoignages et les preuves abondantes de la Commission etdu plaignant, le présent Tribunal estime que l’OPS, 1986, considéréede concert avec l’article 11 de la LCDP n’aident pas et ne peuventaider le présent Tribunal à adopter une définition du termeétablissement par les entreprises. Dans la mesure où l’OPS, 1986propose une définition fonctionnelle du terme établissement, leprésent Tribunal intègre cette approche dans son interprétation del’article 11 de la LCDP de la façon suivante :

Aussi longtemps que l’article 11 de la LCDP maintient la normeminimale d’établissement pour comparer un travail équivalent envue de déterminer s’il y a discrimination salariale, les conventionscollectives sont valables pour déterminer s’il y a un seulétablissement . Le présent Tribunal juge que les employés d’unétablissement pour les fins de l’article 11 de la LCDP signifientles employés dont à l’issue d’une analyse complète, on peut direqu’ils sont soumis à une des politiques communes du personnel et dessalaires, que ces politiques soient administrées centralement ou non.Bien que les politiques générales de l’entreprise, promulguéesen vertu des droits réservés de la direction et des obligationsstatutaires (telles que la politique sur les droits de la personne etsur l’équité en matière d’emploi, les programmes d’aide aux employéset autres politiques des ressources humaines) font légitimementpartie d’une recherche de politiques communes des salaires et dupersonnel dans des lieux de travail syndiqués, cette recherche nedoit pas s’arrêter là. Dans de tels lieux de travail, aussi longtempsque les normes minimales d’un établissement sont incluses dansl’article 11 de la LCDP, la recherche de politiques communes dupersonnel et des salaires doit inclure les conventions collectivesnégociées par des unités de négociation..Mettre fin à la recherche avant d’examiner les conventionscollectives reviendrait à consacrer la définition du termeétablissement par les entreprises, ce que, selon le plaignantlui-même, ni la lettre ni l’esprit de l’article 11 de la LCDPn’envisagent. Toutes les compagnies soumises à la LCDP ont de tellespolitiques générales des ressources humaines, de sorte que toutes cescompagnies, à part peut-être certains conglomérats, seraientconsidérées comme étant un seul établissement. En outre, l’adjonctionde critères encore plus généraux, tels qu’une cultureorganisationnelle commune, le secteur d’activité, la fonction de baseou l’interdépendance, telle que proposée par la Commission et leplaignant, entérinerait encore davantage la définition desentreprises.

Tel que discuté plus haut, l’ambiguïté du libellé de l’OPS, 1986n’empêche pas l’inclusion des conventions collectives dans l’examendes politiques communes des salaires et du personnel. De plus, telque discuté également plus haut, le fait de commencer par lespolitiques générales de ressources humaines en tant que politiquescommunes des salaires et du personnel entraînerait logiquement quel’on termine par les conventions collectives comme faisant égalementpartie des politiques communes des salaires et du personnel, étantdonné notamment que la plupart des conventions collectives remplacentet annulent les politiques générales de l’entreprise dans lesdomaines couverts par ces conventions.

Par conséquent, une définition logique et fonctionnelle dutermeétablissement dans le contexte de l’article 11 de la LCDPtelle qu’influencée par les dispositions ambiguës de article 10de l’OPS, 1986, serait que les établissements sont des unitésfonctionnelles où les employés sont soumis à des politiques communesdes salaires et du personnel, y compris les politiques générales desressources humaines, mais sans exclure l’examen des conventionscollectives dans les lieux de travail syndiqués.

A la lumière de cette interprétation de l’article 10 de l’OPS,1986, dans le contexte des dispositions de l’article 11 de la LCDP,le présent Tribunal ne considère pas ultra vires les dispositions del’ordonnance. L’avocat des intimées a allégué qu’en permettantd’ignorer les conventions collectives et les unités de négociationdans la détermination du terme établissement, l’OPS, 1986 avaitintroduit un concept d’établissement contraire à celui du Codecanadien du travail qui devait s’appliquer de pair avec la LCDP dansun système législatif cohérent et harmonieux. (Plaidoyers écrits desintimées, pp. 48-54.) Même si l’OPS, 1986 était jugée contraignantepour le Tribunal canadien des droits de la personne plutôt que de neconstituer que des principes directeurs, la conclusion du présentTribunal quant à l’interprétation de l’article 10 de la mêmeordonnance demeurerait la même.

L’interprétation du terme établissement retenu par le présentTribunal inclut la prise en considération des conventions collectiveset des unités de négociation qui sont les principaux mécanismes parlesquels les employés syndiqués déterminent leurs salaires et leursconditions de travail lors d’une négociation avec leurs employeurs..Par conséquent, la cohérence entre le Code canadien du travail et laLCDP est préservée.

2.3 Application de l’interprétation du terme établissement parle Tribunal aux compagnies intimées.

Une grande partie de la preuve et des témoignages de laCommission et du plaignant tendait à prouver que la plupart desemployeurs soumis à l’article 11 de la LCDP constituent un seulétablissement. L’article 11 et notamment le paragraphe 11(3) montrentclairement que l’intention du Parlement était que les employeurspuissent avoir plus d’un établissement. Comme l’a allégué l’avocatdes intimées, les employés mentionnés dans la plainte du SCFP àl’endroit des compagnies intimées sont partagés entre les troisunités de négociation accréditées des pilotes, des agents de bord etdu personnel des opérations techniques. Chez les deux compagnies, cesunités de négociation ont une longue histoire. Dans le cas d’AirCanada, l’accréditation par le Conseil canadien des relations dutravail remonte à l’après-Seconde Guerre mondiale. L’avocat desintimées a allégué que l’accréditation par le Conseil canadien desrelations du travail signifie que l’organisme neutre mandaté par leParlement pour superviser les lieux de travail syndiqués decompétence fédérale a conclu que les groupes séparés des pilotes, desagents de bord et du personnel des opérations techniques chez chacunedes intimées sont les responsables appropriés de la négociationcollective des salaires et des conditions de travail des employéssyndiqués.

Dans l’accréditation de ces unités de travail séparées, leConseil a dû appliquer des critères établis par la jurisprudence etportant notamment sur la communauté d’intérêts des employés desunités séparées en matière de salaires, d’heures de travail, deconditions de travail et d’autres sujets de négociation collective.De même, les unités doivent présenter une certaine homogénéité et uneidentité de groupe séparé qui permettent de les distinguer des autresemployés ou groupes d’employés de l’effectif. (Voir Syndicatinternational c. Coca-Cola Ltée [1978] L.R. 391 (Qué. L.R.B.)pp. 409-410.)

L’avocat des compagnies intimées a allégué qu’en vertu de cettejurisprudence, les unités de négociation à Air Canada et aux Lignesaériennes Canadien reflètent la communauté d’intérêts des employéseux-mêmes. Elles reflètent des conditions de travail et desqualifications radicalement différentes pour les pilotes, les agentsde bord et le personnel des opérations techniques... Ces unitéscorrespondent également aux divisions internes chez Air Canada etCanadien et dans l’industrie du transport aérien en général, qui sontutilisées pour la comparaison des salaires, des conditions de travailet des politiques d’emploi; c’est-à-dire les secteurs opérationnelsd’une ligne aérienne. (Plaidoyers écrits des intimées, Air Canadaet les Lignes aériennes Canadien, p. 73.) Les intimées allèguent par.conséquent qu’elles sont organisées en établissements fonctionnels,fondés sur des unités de négociation séparées. Les conventionscollectives applicables à chacune des unités de négociation exposenttoutes les modalités et conditions des employés de chacun de cesétablissements fonctionnels séparés, y compris les principalespolitiques des salaires et du personnel de chacun des établissementsfonctionnels séparés. Finalement, les intimées allèguent que toutesquestions non couvertes par les conventions collectives applicablesaux établissements séparés sont couvertes par les manuels préparéspar le secteur concerné et particuliers à ce secteur. Ces manuels ontfait l’objet de longs témoignages et contre-interrogatoires.(Plaidoyers écrits des intimées, Air Canada et les Lignes aériennesCanadien, pp. 74-78.)

Le présent Tribunal juge que les unités de négociation actuellesà Air Canada et aux Lignes aériennes Canadien formées de pilotes,d’agents de bord et d’employés des opérations techniques négocientdes négociations collectives séparées qui contiennent une vastemajorité des pratiques des salaires et du personnel applicables àchacun des secteurs fonctionnels des compagnies intimées. Cesconventions collectives, jointes aux manuels propres à chaquesecteur, empêchent la création d’un même établissement comprenant lespilotes, les agents de bord et les opérations techniques à Air Canadaet aux Lignes aériennes Canadien. L’existence de politiques généralesdes ressources humaines et de stratégies de négociation communes chezchacune des compagnies intimées, applicables à tous les employés, àmoins qu’elles ne soient remplacées par la convention collectivepertinente, ne peut en elle-même établir un établissement uniquecomprenant les pilotes, les agents de bord et les opérationstechniques chez chacune des compagnies intimées. La Commission et leplaignant ont été remarquablement incapables de démontrer le moindresemblant de politique essentielle commune des salaires et dupersonnel s’appliquant à l’ensemble des unités de négociation. Telque discuté plus haut, nombre des arguments et des points de vueavancés par la Commission et le plaignant sont remplis d’illogismeset mèneraient au bout du compte à une définition du termeétablissement par les entreprises, qui n’est préconisée par aucunedes parties devant le Tribunal. Tel qu’accepté par la Commission, unétablissement est un élément de la plainte prima facie, dont lefardeau de la preuve est assumé par la Commission et le plaignantselon la prépondérance des probabilités. (Plaidoyers écrits de laCommission, p. 5.) La preuve et les arguments présentés par laCommission et le plaignant ne satisfont pas au fardeau accepté de lapreuve.

2.4 L’interprétation du terme établissement par le Tribunalest-elle conforme aux principes généraux d’interprétation de laLoi sur les droits de la personne, y compris l’article 11 de laLCDP?

L’avocat de la Commission allègue qu’en raison du caractère.quasi-constitutionnel de la LCDP, ses dispositions doivent êtreappliquées en adoptant une interprétation large, corrective etintentionnelle de l’article 11 de la LCDP, y compris le termeétablissement. (Plaidoyers écrits de la Commission, pp. 8-10,citant les principales décisions de la Cour suprême du Canada, entreautres Action Travail des Femmes c. Les chemins de fer nationaux duCanada, [1987] 1 RSC 1114; la Commission ontarienne des droits de lapersonne c. Simpson-Sears, [1985] 2 RSC, 536 pp. 546-555.) LaCommission dresse ensuite longuement l’historique et le contexte del’article 11 de la LCDP par rapport aux objectifs inhérents auxinstruments internationaux traitant de la parité salariale pourfonctions équivalentes, l’historique des initiatives juridiquesfédérales visant à corriger la discrimination fondée sur le sexe enmatière de rémunération, les torts que l’article 11 vise à redresseret la relation entre cet historique et le contexte et la négociationcollective. (Plaidoyers écrits de la Commission, pp. 13-24.) LaCommission a également plaidé en faveur d’une approche large etintentionnelle de l’interprétation du concept d’établissement, telqu’il apparaît à l’article 11 de la LCDP et tel que défini plus avantdans l’OPS, 1986. (Plaidoyers écrits de la Commission, pp. 24-32.)Essentiellement, la Commission a allégué qu’une approche large etintentionnelle du concept d’établissement commanderait une approchefonctionnelle de son interprétation, conformément au témoignage deson témoin expert, M. Ondrack. Ce témoin allègue que la définition duterme établissement commande, tel que discuté plus haut un examen desfonctions de base, de la culture organisationnelle et du contrat endouceur dans toute entreprise. (Plaidoyers écrits de la Commission,pp. 25-27, citant le témoignage de M. Ondrack.) Pareille approchetant de l’article 11 de la LCDP que de l’OPS, 1986 conduiraitlogiquement à la définition par les entreprises du conceptd’établissement. Si le présent Tribunal devait retenir pareilleinterprétation, il réitérerait essentiellement l’intention dulégislateur qui sous-tend l’article 11 de la LCDP. Tant la Commissionque le plaignant affirment également ne pas préconiser la définitiond’un établissement par les entreprises, même si la logique de leursarguments va dans cette direction.

Bien que le présent Tribunal reconnaisse que l’interprétationdes dispositions d’une loi quasi-constitutionnelle telle que la LCDPcommande une approche large et intentionnelle, il y a des limites àses implications. Une telle approche ne saurait impliquer uneréécriture des dispositions législatives qui rejettent clairementl’interprétation d’une définition d’un établissement par lesentreprises.

Il peut y avoir d’excellentes raisons de justice sociale pourpermettre des comparaisons entre l’ensemble des unités de négociationavec un seul employeur dans un système légiféré de parité salarialepour fonctions équivalentes. La Commission peut avoir avancé debonnes raisons politiques de modifier les dispositions législativesde l’article 11 de la LCDP afin de permettre de telles comparaisons.Dans ses plaidoyers écrits (pp. 23-24), la Commission allègue que :50. La preuve fournie dans les deux plaintes devant leprésent Tribunal est que les agents de bord sont un.groupe à prédominance féminine professionnellementcloisonné au sein de leur syndicat. Le SCFP (Divisiondu transport aérien) souligne le caractère historiquede cette ségrégation professionnelle fondée sur lesexe. Étant donné qu’il n’existe pas d’emplois oud’occupations à prédominance masculine au sein dugroupe professionnel ou de l’unité de négociation desagents de bord, il est impossible d’examiner leseffets éventuels d’une discrimination systémique àl’égard de leurs salaires sans faire de comparaisonsavec des emplois à prédominance masculine dansd’autres unités de négociation.

52. En résumé, bien que le terme établissement vise à définir les limites à l’intérieur desquelles onpeut établir des comparaisons entre fonctionséquivalentes à des fins de parité salariale, ce termedoit être interprété de manière à élargir la portée del’article 11. Ces fins sont l’élimination de ladiscrimination salariale systémique dans les lieux detravail à prédominance féminine, indépendamment desunités de négociation. Il convient de se rappeler,dans l’interprétation du terme établissement lamise en garde de Madame le juge Abella, de laCommission royale d’enquête sur l’égalité en matièred’emploi, à l’effet que l’établissement puisse devenirun obstacle éventuel à l’application généralisée dela loi fédérale sur la parité salariale. Rapport dela Commission royale sur l’équité en matière d’emploi,p. 243. Pièce DP-2.

Les plaidoyers écrits de la Commission ne font pas mention dufait que Madame le juge Abella a également conclu dans son rapportque l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personnedevrait être modifié de façon à omettre l’exigence voulant que lescomparaisons entre les emplois s’effectuent à l’intérieur d’un mêmeétablissement. (Rapport de la Commission royale sur l’équité, recueildes documents, témoignage de Paul Durber, onglet 2, page 261.)Les arguments de la Commission sur la discrimination systémiqueà l’endroit des femmes dans des lieux de travail professionnellementcloisonnés, s’ils étaient soumis au Parlement ou à d’autres forums,pourraient fort bien justifier une modification de la LCDP quiéliminerait le concept d’établissement. Cela dit, il faut égalementsouligner qu’il n’entre pas dans les prérogatives du présent Tribunald’examiner la discrimination systémique à l’endroit des femmes dansdes lieux de travail professionnellement cloisonnés aux termes de laLCDP en général, et à partir de cet examen de redéfinir le conceptd’établissement aux termes de l’article 11 de la LCDP de manière àéliminer pareille discrimination. Il s’agit là essentiellement d’une.fonction législative. Même si le présent Tribunal a une obligationconstitutionnelle de se prononcer sur le caractère contraignant del’OPS, 1986, il doit prendre garde de ne pas réécrire lesdispositions législatives.

Tant que le concept d’établissement existera dans l’article 11de la LCDP et tant que le Tribunal des droits de la personneacceptera le fait qu’il n’a pas de fonctions législatives dans notresystème constitutionnel et démocratique, le présent Tribunal nepourra ignorer la réalité. Cette réalité est le fait que chaque unitéde négociation dans un lieu de travail syndiqué détermine, par lanégociation collective, la grande majorité des politiques dessalaires et du personnel régissant ses membres, comme l’a démontréune bonne part des témoignages entendus lors de trente-cinq joursd’audience devant ce Tribunal.

Cette conclusion n’ignore pas les arguments avancés par l’avocatde la Commission et du plaignant voulant que si l’on ne peut comparerles emplois qu’à l’intérieur d’une même unité de négociation, leprincipe de la parité salariale pour fonctions équivalentes del’article 11 de la LCDP, tel que rédigé, pourrait être sujet auxinégalités du pouvoir de négociation. La Commission a allégué àmaintes reprises tout au long de l’audience et dans ses plaidoyersécrits que les unités de négociation d’employés à prédominanceféminine tels que les agents de bord représentés par le SCFP chez lesdeux compagnies intimées ont un pouvoir de négociation plus faibleque les autres unités de négociation. C’est ainsi que la réalité dupouvoir de négociation détermine les politiques essentielles dessalaires et du personnel pour chaque unité. La Commission a soulignénotamment que les pilotes, par le biais de leurs unités denégociation, ont un pouvoir de négociation appréciable au sein del’industrie du transport aérien et que c’est ce facteur qui expliquela différence entre les conventions collectives des pilotes et desagents de bord à l’égard des politiques des salaires et du personnel.(Plaidoyers écrits de la Commission, pp. 19-24 et pp. 64-70.)La Commission et le plaignant ont également allégué que lapreuve qu’ils ont présentée dans cette cause illustre à quel point ilest difficile de s’en remettre à la dynamique de la négociationcollective pour corriger les inégalités fondées sur le sexe. Ils ontallégué que le SCFP a tenté de s’attaquer à la question de la paritésalariale en proposant aux Lignes aériennes Canadien l’établissementd’un Comité conjoint sur l’équité salariale. Le SCFP a allégué que sademande est demeurée lettre morte. Le plaignant a allégué une mêmefin de non recevoir de la part d’Air Canada. On a affirmé que lorsd’une réunion patronale-syndicale au siège social, du 7 au9 mars 1990, le SCFP a proposé la création d’un Comité conjoint pourtraiter de la question de l’équité salariale pour les agents de bord.Cette proposition, a-t-on allégué, fut également incluse dans lacontre-proposition syndicale lors des négociations de la conventioncollective de 1990 et Air Canada a répondu en renvoyant le SCFP à saconvention collective. (Plaidoyers écrits de la Commission,pp. 69-70.)

Si ces allégations sont fondées, et le Tribunal n’a reçu aucune.contre-preuve des intimées à cet égard, nous en venons au c ur mêmede la cause qui a entraîné la constitution du présent Tribunal. LeSCFP a été incapable, par la négociation collective, de faire inclureles principes de la parité salariale pour fonctions équivalentesfondés sur des comparaisons entre les unités de négociation dans lesrèglements salariaux obtenus dans les conventions collectives desagents de bord.

N’ayant pu obtenir de succès à la table des négociations, leSCFP, avec l’aide de la Commission, tente de faire remettre sur latable des négociations les principes de la parité salariale pourfonctions équivalentes fondés sur des comparaisons entre les unitésde négociation en vertu de l’article 11 de la LCDP. Il se heurtecependant à l’objection que les comparaisons en matière de paritésalariale pour fonctions équivalentes ne sont permises qu’au seind’un même établissement.

Essentiellement, la Commission et le plaignant invoquent que lesprincipes de la politique générale et des tests ou questions de M. Durber ou ceux des fonctions de base, du secteur d’activité,de la culture organisationnelle, des contrats en douceur et del’interdépendance de M. Ondrack, contourneraient cet obstacle enpréconisant la définition du terme établissement par les entreprises.C’est à la lumière de tels arguments que l’article 11 de la LCDP peutêtre reformulé afin de résoudre les difficultés que suscitel’inégalité du pouvoir de négociation des agents de bord par rapportaux pilotes et au personnel des opérations techniques à Air Canada etaux Lignes aériennes Canadien. Le présent Tribunal conclut qu’unetelle réfection de l’article 11 de la LCDP pourrait être souhaitable.Si toutes les preuves pertinentes confirment l’existence d’unediscrimination systémique et d’une injustice sociale auxquellesdonnerait lieu le présent système de négociation collective. Leprésent Tribunal estime également qu’une telle réfection devraitintervenir au Parlement et non à un Tribunal si nous devons respecternotre régime constitutionnel et démocratique.

Cependant, si nous acceptons le fait que le Tribunal a pourtâche de donner une interprétation large, corrective etintentionnelle de l’article 11 de la LCDP et de l’OPS, 1986 sansréfection des dispositions législatives, le présent Tribunal peutnettement rejeter l’une des interprétations du terme établissementavancé par les intimées. L’avocat des intimées a allégué qu’unétablissement dans le sens de l’article 11 de la LCDP devrait avoirle même sens qu’établissement industriel , tel que décrit dans lesRèglements en vertu de la partie III du Code canadien du travail(ci-après le Code).

L’expression établissement industriel figure à la partie IIIdu Code intitulée Durée normale du travail, salaires, congés etjours fériés. La partie III comporte seize sections, y compris lasection IX, qui traite des licenciements collectifs. Cette partie.du Code traite des exigences de préavis lorsque cesse l’emploi de50 personnes ou plus (article 212). En vertu de cet objectif de cettepartie du Code, un établissement est défini à l’article 166 commel’entreprise fédérale elle-même ou la succursale, section ou autredivision de celle-ci que le règlement d’application de l’alinéa 264b)définit comme tel.

A l’annexe I des Règlements, les employés d’Air Canada et desLignes aériennes Canadien sont partagés en un certain nombred’établissements , énumérés à la partie IV pour Air Canada et à lapartie V pour les Lignes aériennes Canadien. Cette définitionessentiellement géographique d’établissement aux fins du Codevise à aider les employés à se trouver un autre emploi en donnant àtoutes les parties concernées un avis de cessation d’emploi. (VoirTelecommunication Workers Union c. British Columbia Telephone Co,Ltd., [1985] 18 D.L.R. (4e) pp. 626-628.)

L’avocat des intimées a également cité plusieurs autres sectionsoù le terme établissement est employé à la partie III du Code, telque la durée du travail (articles 169, 171(1), 175(a), (d), 176(1),la période d’emploi, les jours fériés et l’assimilation à salaire,articles 181(f), 190(e) 191(a), 201(2)(b), les travaux urgents et laréglementation des activités pour les employés de moins de 17 ans,articles 177(1), 181(f). (Plaidoyers écrits des intimées, pp. 66-67.)L’avocat du plaignant a affirmé que les établissements ont étédéfinis à l’égard des dispositions de la partie III du Code quitraite des licenciements collectifs (i.e. section IX). Le présentTribunal partage la position du SCFP qu’aucune preuve n’a étéapportée que les désignations d’établissement ont été utilisées parles intimées à d’autres fins que les licenciements collectifs, mêmesi ce terme est utilisé abondamment à la partie III du Code.Ce serait donc aller à l’encontre d’une interprétation large,corrective et intentionnelle de l’article 11 de la LCDP qued’appliquer la répartition en établissements industriels, ayant traitprincipalement au licenciement collectif à des dispositions portantsur la parité salariale pour fonctions équivalentes. Le présentTribunal souscrit en outre à l’opinion du SCFP à l’effet qu’il n’y apas de lien rationnel entre le but des établissements industrielsdésignés à l’annexe I des Règlements en vertu du Code et les servicesfonctionnels des compagnies intimées. Tout d’abord, il n’existe pasde taux de salaire régionaux dans aucune des conventions collectivesdes pilotes, agents de bord ou personnel des opérations techniques.Ce seul fait irait à l’encontre d’une définition géographique d’unétablissement pour les compagnies intimées, étant donné que des tauxde salaire régionaux constitueraient une raison majeure d’une telledéfinition géographique. En second lieu, lorsqu’il s’agit de droits àdes prestations, de préférence pour la postulation de blocs, ou decourrier pour des horaires de vol (dans le cas des pilotes et desagents de bord) et de droits d’ancienneté dans des cas de mises àpied, ceux-ci sont déterminés par la base à laquelle les employés destrois groupes sont affectés, plutôt que par la division enétablissements industriels. (Plaidoyers écrits de la SCFP, p. 90.).

Pour renforcer l’interprétation large, corrective etintentionnelle du terme établissement à l’article 11 de la LCDP, cequi éliminerait toute référence à un établissement industriel tel quedéfini à l’annexe I des Règlements en vertu du Code, il nous fautégalement noter que les agents de bord aux Lignes aériennes Canadiensont partagés en deux établissements industriels à l’annexe I desRèglements en vertu du Code, un pour l’Ouest du Canada et un pourl’Est. De même, les employés de l’entretien couverts par laconvention collective de l’AIM avec les Lignes aériennes Canadien serépartissent entre quatre établissements industriels différents selonles régions géographiques. Si la position des intimées est juste, enthéorie, il serait possible de passer outre au paragraphe 11(1) pourles agents de bord de Canadien dans leurs deux régions et pour lesemployés de l’entretien de Canadien dans leurs quatre régions parcequ’ils ne font pas partie du même établissement aux fins del’article. On présumerait alors que les dispositions duparagraphe 11(3) n’entrent pas en jeu. Une interprétation large,corrective et intentionnelle d’établissement à l’article 11 de laLCDP ne pourrait en aucune façon entraîner un tel résultat. Leprésent Tribunal rejette donc l’argument des intimées voulant que leterme établissement à l’article 11 de la LCDP devrait être interprétécomme un établissement industriel tel que défini par lesRèglements adoptés en vertu du Code canadien du travail.

3.0 usions et ordonnances du Tribunal

  1. Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, le présent Tribunalconclut que la Commission et le SCFP n’ont pas réussi às’acquitter de la charge de la preuve de la prépondérance desprobabilités que les trois principaux groupes d’employés d’AirCanada, comprenant les pilotes, les agents de bord et lepersonnel des opérations techniques, forment un seulétablissement pour les fins de l’article 11 de la LCDP. Comptetenu de cette conclusion, la plainte doit être abandonnée.
  2. De même, la Commission et le SCFP n’ont pas réussi davantage às’acquitter de la charge de la preuve de la prépondérance desprobabilités que les trois principaux groupes d’employés desLignes aériennes Canadien, soit les pilotes, les agents de bordet le personnel des opérations techniques, forment un seulétablissement. Compte tenu de cette conclusion, la plainte doitégalement être abandonnée.
  3. Le présent Tribunal rejette l’allégation des intimées voulantqu’on leur refuse le droit à une audience équitable devant untribunal impartial conformément aux principes de la justicefondamentale et en violation de l’article 2e) de la Déclarationcanadienne des droits, 198 L.R.C. 5, c.44. Le présent Tribunalconclut que l’ordonnance sur la parité salariale, 1986DORS/86-1082 n’entrave pas les pouvoirs quasi-judiciaires dedécision de ce Tribunal des droits de la personne. Le Tribunal.est seulement tenu de considérer l’ordonnance comme un principedirecteur, qu’il peut choisir d’appliquer à l’interprétation desdispositions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits dela personne, L.R.C. 1985 c.H-6.

De plus, même si l’ordonnance était totalement contraignantepour le Tribunal et entravait effectivement ses pouvoirs quasi-judiciaires de décision, la même interprétation de l’ordonnanceserait appliquée par le Tribunal.

4. Pour les raisons exposées ci-dessus, le Tribunal déclare quel’article 10 de l’ordonnance sur la parité salariale, 1986,DORS/86-1082 n’est pas au-delà des compétences de la Commissionen étant contraire à l’article 11 de la Loi canadienne sur lesdroits de la personne, L.R.C. 1985 c.H-6.

Décision rendue le 10e jour de novembre 1998.

Errol P. Mendes, président du Tribunal

Irwin Corobow, membre du Tribunal

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